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Date : 20201020


Dossier : T-1315-18

Référence : 2020 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

CHRIS HUGHES

demandeur

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

TRANSPORTS CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Les présents motifs ont trait à un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Le demandeur, M. Hughes, demande à la Cour de modifier ou d’annuler en partie l’ordonnance rendue par la protonotaire Ring le 28 novembre 2019 (l’ordonnance). Dans cette ordonnance, la protonotaire a rejeté une requête en ordonnance de justification en lien avec des allégations d’outrage au tribunal formulées à l’encontre de Transports Canada et de quatre fonctionnaires, dont le ministre des Transports.

[2]  Pour les motifs exposés ci-après, l’appel est rejeté.

[3]  M. Hughes n’était pas représenté par un avocat dans le cadre du présent appel. Pour résumer l’affaire sans jargon juridique, je dirai que la protonotaire n’a pas commis d’erreur qui puisse justifier la modification de ses conclusions. Dans le cadre d’un appel, la Cour peut modifier les conclusions d’un protonotaire si ce dernier a commis une erreur en exposant les questions de droit. La Cour peut aussi modifier les conclusions d’un protonotaire concernant la question de savoir si la preuve satisfait au critère juridique applicable, mais seulement si l’erreur commise à cet égard est évidente pour la Cour et si elle a eu une incidence sur le résultat global, à savoir que le résultat aurait été différent si le protonotaire n’avait pas commis l’erreur évidente. Je n’ai relevé aucune erreur de ce genre dans les motifs de la protonotaire.

I.  Événements ayant mené à l’appel

[4]  Il y a un long historique procédural rattaché au litige qui oppose les parties, notamment au regard des événements ayant mené au présent appel. Aux fins de la présente décision, un résumé suffira.

[5]  La présente instance tire sa source d’une décision rendue en 2014 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Le Tribunal a conclu que Transports Canada avait fait preuve de discrimination fondée sur une déficience envers M. Hughes dans le cadre d’un processus de sélection visant à pourvoir un poste d’analyste de la sûreté maritime (PM-04) à Transports Canada : Hughes c Transports Canada, 2014 TCDP 19. La Cour fédérale a initialement annulé la décision du Tribunal dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, mais la Cour d’appel fédérale l’a rétablie : Hughes c Canada (Procureur général), 2016 CAF 271.

[6]  Le 1er juillet 2018, le Tribunal a rendu sa décision sur les mesures de redressement : Hughes c Transports Canada, 2018 TCDP 15. Cette décision comporte plus de 400 paragraphes. Le Tribunal y ordonne à Transports Canada d’intégrer M. Hughes au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM-04 et de lui verser une indemnité pécuniaire. Le Tribunal a rendu une ordonnance de redressement conformément à l’article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6. Cette ordonnance est formulée comme suit : 

1. L’intimé intégrera le plaignant, sous réserve de la cote de sécurité requise, à la première occasion raisonnable et sans concours, au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM-04, de pair avec tous les avantages sociaux connexes. Le poste sera situé à Esquimalt (Colombie-Britannique) ou à Vancouver (Colombie-Britannique), à la condition que le plaignant soit disposé à déménager.

2. Aussitôt après l’intégration du plaignant au poste d’analyste du renseignement PM‑04, l’intimé dispensera au plaignant une formation adaptée à ce poste, en tenant compte du temps écoulé depuis que l’acte discriminatoire a été commis.

3. L’intimé paiera au plaignant une indemnité pour le salaire (exclusion faite du temps supplémentaire) que le plaignant aurait gagné à titre d’analyste de la sûreté maritime au groupe et au niveau PM-04, au cours de la période du 8 mai 2006 au 7 mai 2011, y compris toute augmentation salariale prévue par les conventions collectives applicables, et sous réserve de toutes les retenues auxquelles sont habituellement soumis les employés nommés pour une période indéterminée.

4. De l’indemnité prévue au paragraphe 3 de la présente ordonnance de redressement, l’intimé soustraira un montant équivalant aux revenus d’emploi que le plaignant a touchés pendant chacune des années de la période.

5. L’indemnité pour perte de salaire est assujettie aux obligations qu’imposent aux parties les articles 45 et 46 de la Loi sur l’assurance-emploi.

6. L’intimé cotisera la totalité des montants qu’il aurait cotisés à tous les régimes de retraite auxquels aurait adhéré le plaignant, en tant qu’employé nommé pour une période indéterminée, pendant la période du 8 mai 2006 au 7 mai 2011.

7. L’intimé paiera au plaignant la somme de 46 100 $ à titre d’indemnité pour la rémunération du temps supplémentaire perdue au cours de la période du 8 mai 2006 au 7 mai 2011, sous réserve des retenues habituellement prélevées sur cette forme de rémunération.

8. L’intimé paiera au plaignant un montant de majoration suffisant pour couvrir tout montant supplémentaire d’impôt sur le revenu à payer à la suite de l’ordonnance imposée à l’intimé de payer au plaignant, sous la forme d’un montant forfaitaire, le salaire habituel, le temps supplémentaire ainsi que tous les avantages imposables qu’il aurait par ailleurs acquis au cours de la période du 8 mai 2006 au 7 mai 2011.

9. Aux termes de l’alinéa 53(2)e) de la Loi, l’intimé paiera au plaignant la somme de 15 000 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral découlant de l’acte discriminatoire commis.

10. Aux termes du paragraphe 53(3) de la Loi, l’intimé paiera au plaignant la somme de 5 000 $ à titre d’indemnité pour l’acte discriminatoire inconsidéré que l’intimé a commis.

11. Aux termes du paragraphe 53(4) de la Loi, ainsi que du paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal, l’intimé paiera au plaignant des intérêts sur les indemnités ordonnées, depuis le 8 mai 2006 jusqu’à la date du paiement. Ces intérêts seront à taux simple, calculés sur une base annuelle, à un taux équivalent au taux (série mensuelle) fixé par la Banque du Canada. L’accumulation des intérêts sur les indemnités accordées en vertu de l’alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) ne pourra en aucun cas donner lieu à une indemnité totale supérieure aux montants maximaux qui y sont prescrits.

[7]  Les deux parties ont demandé le contrôle judiciaire de la décision sur les mesures de redressement. Le juge LeBlanc a rejeté la demande présentée par le procureur général et a fait droit en partie à la demande de M. Hughes : Hughes c Canada (Procureur général), 2019 CF 1026. Il a aussi annulé la décision sur les mesures de redressement pour ce qui est de la détermination de la date de fin de la période d’indemnisation au titre de la perte de salaire et d’avantages sociaux (mai 2011) et a renvoyé l’affaire à un membre instructeur différent du Tribunal.

[8]  Les deux parties ont interjeté appel de la décision du juge LeBlanc.

[9]  Peu après le prononcé de la décision du Tribunal sur les mesures de redressement et pendant que les demandes de contrôle judiciaire étaient en instance, M. Hughes a entrepris des démarches pour que les mesures de redressement soient mises en œuvre. En juin et juillet 2018, peu de temps après que la décision sur les mesures de redressement a été rendue, l’avocat du demandeur a écrit à l’avocat de Transports Canada pour exiger le paiement immédiat de l’indemnité accordée par le Tribunal. Par l’entremise de son avocat, Transports Canada a répondu que le montant de l’indemnité était contesté dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[10]  Le 9 juillet 2018, le demandeur a déposé une copie certifiée de la décision sur les mesures de redressement auprès de la Cour. Un certificat de dépôt d’une copie certifiée de l’ordonnance a été versé au dossier de la Cour fédérale. L’administrateur de la Cour fédérale n’a pas délivré de certificat de jugement contre la Couronne en application de l’article 474 des Règles des Cours fédérales, ni délivré de certificat de jugement au sous-procureur général du Canada.

[11]  À la fin de juillet 2018, le demandeur a fait valoir dans sa correspondance que l’omission de la part de Transports Canada de payer l’indemnité accordée constituait un outrage au tribunal. Cependant, selon Transports Canada, l’application combinée du paragraphe 30(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50 (la LRCECA) et de l’article 474 des Règles des Cours fédérales avait pour effet de suspendre tout paiement de l’indemnité accordée dans l’attente de la décision finale sur sa demande de contrôle judiciaire.

[12]  Le 8 août 2018, le demandeur a déposé un avis de requête pour outrage relativement à l’ordonnance du Tribunal. Il cherchait ainsi à obtenir une ordonnance enjoignant à Transports Canada de comparaître à une audience de justification conformément à l’article 467 des Règles.

[13]  Le 12 octobre 2018, à la suite du règlement de diverses questions procédurales, la protonotaire Ring a été désignée comme juge responsable de la gestion de l’instance. Les parties ont également convenu d’un exposé conjoint des faits qui a été déposé à la Cour le 10 octobre 2019 (l’ECF).

[14]  Le 13 novembre 2018, le demandeur a déposé une requête pour outrage modifiée en vertu des articles 359, 466 et 467 des Règles en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Transports Canada et à quatre personnes de comparaître devant la Cour pour [traduction] « justifier pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour avoir désobéi » à la décision sur les mesures de redressement rendue par le Tribunal. En plus de Transports Canada (qui était l’intimé visé par l’ordonnance de redressement rendue par le Tribunal), la requête désignait quatre nouvelles personnes qui auraient pris part au présumé outrage : le ministre des Transports (Marc Garneau), un directeur exécutif de Transports Canada (Trevor Heryet) ainsi que deux avocats du ministère de la Justice (Malcolm Palmer et Kevin Staska).

[15]  Selon l’allégation de M. Hughes, Transports Canada et les quatre personnes désignées ont enfreint l’ordonnance de redressement [traduction« en omettant d’amorcer le processus visant à nommer M. Hughes au poste d’analyste de la sûreté maritime (l’indemnisation non pécuniaire) et en omettant d’amorcer le processus visant à calculer les pertes sur les plans du salaire, des prestations de retraite, etc. (les indemnisations pécuniaires) ».

[16]  Après le dépôt de la requête pour outrage par M. Hughes, cette requête a été ajournée sine die et plusieurs choses se sont passées. Des requêtes et des demandes ont notamment été présentées et des discussions ont eu lieu en vue d’un règlement. Il y a eu aussi une demande de réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi sur le Canada, 1982 (Royaume-Uni), 1982, c 11 : Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2019 CF 53 (la juge Heneghan). Dans cette décision, la juge Heneghan a rejeté la prétention de Transports Canada selon laquelle l’article 30 de la LRCECA a pour effet de suspendre l’exécution de la décision sur les mesures de redressement dans l’attente de la décision sur la demande de contrôle judiciaire : aux para 40 et 46.

[17]  À la suite de la décision de la juge Heneghan, Transports Canada a émis un chèque à l’ordre de M. Hughes au montant de 352 970,07 $ relativement à certains montants devant être versés en exécution de la décision sur les mesures de redressement.

[18]  Finalement, le 8 novembre 2019, les parties se sont présentées à une audience de justification liée à la requête pour outrage au tribunal devant la protonotaire Ring.

[19]  Le 28 novembre 2019, la protonotaire Ring a rendu l’ordonnance rejetant la requête. Il s’agit de la décision visée par le présent appel.

[20]  De nombreux autres faits sont importants. Premièrement, comme je l’ai signalé, le premier paragraphe de l’ordonnance de redressement rendue par le Tribunal le 1er juin 2018 prévoyait que Transports Canada « intégrera le plaignant, sous réserve de la cote de sécurité requise, à la première occasion raisonnable et sans concours, au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM-04, de pair avec tous les avantages sociaux connexes » [non souligné dans l’original]. À cet égard :

  • Un poste vacant de niveau PM-04 est disponible à Transports Canada depuis le 1er juin 2018 : ECF, au para 72.

  • Le 10 décembre 2018, Transports Canada a envoyé à M. Hughes les formulaires du service du personnel et d’autorisation de sécurité pour qu’il les remplisse : ECF, au para 51.

  • Rien ne permet de conclure que M. Hughes ait demandé, entre le 1er juin 2018 et le 10 décembre 2018, à Transports Canada de lui envoyer des formulaires d’autorisation de sécurité à remplir.

  • Le 17 janvier 2019, l’avocat de Transports Canada a écrit à l’avocat du demandeur pour lui donner de l’information additionnelle sur la livraison des formulaires d’autorisation de sécurité et confirmer que Transports Canada couvrirait les frais associés à l’obtention des empreintes digitales requise pour l’autorisation de sécurité : ECF, au para 67.

  • En date de l’ECF (10 octobre 2019), Transports Canada n’avait pas reçu de formulaire d’autorisation de sécurité de la part de M. Hughes : ECF, au para 76.

II.  L’ordonnance visée par l’appel

[21]  Selon la protonotaire Ring, deux questions devaient être tranchées : premièrement, la question « préliminaire » de savoir s’il était possible d’intenter une procédure d’outrage au tribunal contre les cinq présumés auteurs de cet outrage; deuxièmement, si la procédure d’outrage au tribunal peut être intentée, M. Hughes a-t-il établi à première vue que les présumés auteurs de l’outrage ont effectivement commis un outrage au tribunal.

[22]  En ce qui a trait à la première question, soit la question préliminaire, la protonotaire a conclu que Transports Canada ne pouvait pas faire l’objet d’une procédure d’outrage au tribunal parce qu’une telle procédure ne peut pas être intentée contre la Couronne, en partie en raison de la décision Tahmourpour c Canada (Commission des droits de la personne), 2013 CF 1131 (Tahmourpour CF), conf 2014 CAF 204 (la Cour d’appel ne s’est pas prononcée sur cette question). Toutefois, se fondant sur les observations formulées dans la décision Tahmourpour CF, la protonotaire a conclu qu’un représentant de la Couronne peut être déclaré coupable d’outrage au tribunal, même s’il n’est pas nommé en qualité de partie dans l’ordonnance judiciaire, lorsque le représentant de la Couronne visé par la requête pour outrage a connaissance de cette ordonnance, qu’il est tenu, par l’effet de la loi ou d’une délégation de pouvoir, de respecter l’ordonnance en question et qu’il omet d’une façon ou d’une autre de la mettre en œuvre. Pour ce qui est des quatre personnes nommées dans la procédure d’outrage, la protonotaire a conclu que seul le ministre Garneau pouvait, en droit, faire l’objet d’une procédure d’outrage, mais seulement pour le volet de l’ordonnance ayant trait à l’intégration, et seulement si M. Hughes était en mesure de justifier d’une apparence de droit suffisante que le ministre Garneau avait commis un outrage au tribunal en omettant de mettre en œuvre le volet de la décision sur les mesures de redressement rendue par le Tribunal qui concernait l’intégration. Le ministre Garneau ne pouvait pas être déclaré coupable d’outrage relativement au non-paiement de l’indemnité pécuniaire parce que, selon l’article 30 de la LRCECA, le ministre des Finances a la responsabilité exclusive de payer de telles indemnités : au para 43.

[23]  En ce qui a trait à la deuxième question, la protonotaire a conclu que M. Hughes ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir à première vue que le ministre Garneau, ou une des personnes nommées, avait omis de se conformer à la décision sur les mesures de redressement, comme le soutenait M. Hughes. Aux paragraphes 48 et 49 de ses motifs, la protonotaire a énoncé comme suit le critère juridique de l’outrage civil :

[traduction][48]  Il est bien établi que l’outrage civil comporte trois éléments que le requérant doit démontrer :

1. l’ordonnance dont on allègue la violation « formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait »;

2. la partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance doit avoir été réellement au courant de son existence;

3. la personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme l’ordonnance l’exige (Carey c Laiken, 2015 CSC 17 (CanLII), [2015] 2 RCS 79 aux para 32 à 35 [Carey]; ASICS Corporation c. 9153-2267 Québec inc., 2017 CF 5 au para 32 [ASICS].

[49]   En ce qui concerne le troisième élément, il suffit de prouver hors de tout doute raisonnable que l’auteur présumé de l’outrage civil a intentionnellement commis un acte, ou omis d’agir, en violation d’une ordonnance claire dont il avait connaissance. Il n’y a aucune exigence additionnelle d’établir une « intention de désobéir », c’est-à-dire le fait de vouloir désobéir à l’ordonnance ou au jugement en question ou de choisir sciemment de le faire : Carey, au para 35; ASICS, au para 33.

[24]  En ce qui a trait au volet de la décision sur les mesures de redressement qui concernait l’intégration de M. Hughes, la protonotaire a conclu au paragraphe 53 qu’il était [traduction« manifeste au vu de la décision sur les mesures de redressement rendue par le Tribunal » que l’ordonnance enjoignant à Transports Canada d’intégrer M. Hughes au poste d’analyste de la sûreté maritime était [traduction« expressément conditionnelle à ce que M. Hughes remplisse toutes les conditions d’emploi requises pour le poste, y compris l’autorisation de sécurité ». Elle a renvoyé au paragraphe 1 de l’ordonnance du Tribunal (« sous réserve de la cote de sécurité requise ») et au paragraphe suivant des motifs du Tribunal :

[272] Je conclus donc que, sous réserve de l’alinéa 54a) de la Loi et à condition que M. Hughes réponde à toutes les conditions d’embauche requises – y compris la cote de sécurité, l’intimé est tenu de l’intégrer dès la première occasion raisonnable à titre d’analyste du renseignement PM-04.

[Souligné par la protonotaire Ring.]

[25]  La protonotaire a conclu [traduction« [qu’]il n’est pas contesté, d’après la preuve dont je dispose, que M. Hughes n’a pas rempli l’exigence liée à la cote de sécurité ». Elle a signalé que, dans l’ECF, les parties ont convenu que l’avocat de Transports Canada avait envoyé des copies des formulaires du service du personnel et d’autorisation de sécurité à l’avocat de M. Hughes le 10 décembre 2018, même si le Tribunal n’avait pas expressément prévu un tel envoi dans son ordonnance. Des renseignements additionnels ont été fournis le 17 janvier 2019. Elle a signalé que, selon le paragraphe 72 de l’ECF, un poste était vacant à Transports Canada depuis le 1er juin 2018. La protonotaire a ensuite renvoyé au paragraphe 76 de l’ECF :

[traduction] 76. En date du présent exposé conjoint des faits, Transports Canada n’a pas reçu les formulaires d’autorisation de sécurité dûment remplis par M. Hughes, une étape initiale obligatoire pour la nomination au poste d’analyste de la sûreté maritime.

[26]  Au paragraphe 58 de ses motifs, la protonotaire a conclu que [traduction« [c]onformément aux modalités de la décision sur les mesures de redressement, [le demandeur] est tenu de soumettre les formulaires d’autorisation de sécurité, s’agissant d’une condition préalable à son intégration au poste d’analyste du renseignement ».

[27]  La protonotaire a mentionné l’argument avancé par M. Hughes à l’audience selon lequel avant de soumettre une demande d’autorisation de sécurité, il [traduction« v[oulait] que Transports Canada lui présente une offre d’emploi qui précise ce qui se produira s’il n’obtient pas l’autorisation de sécurité ». La protonotaire a fait observer que [traduction« M. Hughes préférerait peut-être que le processus se déroule ainsi, mais ce scénario est tout à fait contraire à ce qu’exige la décision sur les mesures de redressement. Le Tribunal a expressément prévu que M. Hughes doit obtenir une autorisation de sécurité avant que Transports Canada soit tenu de l’intégrer » [souligné dans l’original].

[28]  Au paragraphe 63, la protonotaire a tiré la conclusion suivante :

[traduction] [63] Étant donné que la disposition de la décision sur les mesures de redressement qui exigeait l’intégration de M. Hughes à un poste d’analyste du renseignement est conditionnelle à ce que M. Hughes obtienne d’abord une autorisation de sécurité, et que ce dernier n’a pris aucune mesure en vue de respecter cette exigence, je conclus que M. Hughes n’a pas établi à première vue que le ministre Garneau ou l’un des autres présumés auteurs de l’outrage ont enfreint cette disposition de la décision sur les mesures de redressement.

[29]  Pour ce qui est du volet de la décision sur les mesures de redressement qui avait trait au paiement de l’indemnité pécuniaire, la protonotaire était d’avis que M. Hughes n’avait pas justifié d’une apparence de droit suffisante que les présumés auteurs de l’outrage avaient eu l’intention de soustraire Transports Canada à son obligation de lui payer l’indemnité pécuniaire. Comme je l’ai déjà signalé, elle a conclu que le ministre Garneau ne pouvait être déclaré coupable d’outrage au tribunal relativement au non‑paiement de l’indemnité pécuniaire prévue dans la décision sur les mesures de redressement, car il n’avait pas le pouvoir légal ou délégué d’autoriser un tel paiement sur le Trésor.

[30]  Par souci d’exhaustivité, et au cas où elle aurait commis une erreur dans son analyse de la question préliminaire, la protonotaire a poursuivi son analyse de la preuve et a conclu que M. Hughes n’avait pas établi à première vue que les présumés auteurs de l’outrage avaient enfreint la décision sur les mesures de redressement en omettant de payer l’indemnité pécuniaire.

[31]  La protonotaire a renvoyé à l’article 29 de la LRCECA, qui prévoit que les jugements rendus contre l’État ne sont pas susceptibles d’exécution forcée. Elle a signalé que les indemnités accordées par jugement contre l’État doivent plutôt être payées par le ministre des Finances sur le Trésor, conformément à l’article 30 de la LRCECA, sur réception d’un certificat de jugement rendu contre l’État.

[32]  Selon l’article 474 des Règles de la Cour fédérale, un certificat de jugement est délivré dans les cas où une ordonnance rendue contre la Couronne lui enjoignant de payer une somme est exécutoire, et où l’ordonnance soit n’a fait l’objet d’aucun appel soit n’a pas été infirmée ou a été modifiée à la suite d’un appel. Après avoir énoncé l’article 474 des Règles, la protonotaire a signalé que les parties avaient convenu dans l’ECF que [traduction« [l’]administrateur de la Cour fédérale n’a, à aucun moment, en application de l’article 474 des Règles […] délivré de certificat de jugement contre la Couronne, ni délivré de tel certificat au sous-procureur général du Canada ». La protonotaire a aussi souligné que la juge Heneghan avait conclu qu’une partie se trouvant dans la situation de M. Hughes était tenue de présenter une demande de certificat de jugement au titre des Règles et que M. Hughes ne s’était pas conformé à l’article 474 des Règles : Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2019 CF 53, aux para 48 à 50 et 63. Faute d’un tel certificat de jugement, M. Hughes n’a pas établi à première vue qu’il y a eu outrage au tribunal.

[33]  Enfin, la protonotaire n’était pas convaincue que M. Hughes avait justifié d’une apparence de droit suffisante que [traduction] « les présumés auteurs de l’outrage » avaient intentionnellement omis de payer l’indemnité pécuniaire accordée par le Tribunal.

[34]  Par conséquent, la protonotaire Ring a rejeté la requête de M. Hughes et a exercé son pouvoir discrétionnaire pour ne pas adjuger de dépens au défendeur.

III.  Questions préliminaires

A.  Nouveaux éléments de preuve en (1)

[35]  Deux questions se posent en l’espèce en ce qui concerne la présentation de nouveaux éléments de preuve en appel. La première s’est manifestée d’une manière inhabituelle.

[36]  Dans ses observations écrites, le défendeur a déclaré que M. Hughes avait tenté de présenter à la Cour, au moyen de son dossier de requête, des extraits de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas la protonotaire. Le défendeur s’y est opposé au motif que M. Hughes n’avait pas soumis de requête officielle à cet égard et n’avait pas démontré que le critère applicable pour la présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel avait été respecté.

[37]  À première vue, il s’agissait d’une prétention étonnante, car le dossier de requête présenté par le demandeur ne semblait renvoyer à aucun nouveau document en vue de l’appel. Le dossier de requête que le demandeur a déposé ne renfermait aucun document autre que ses observations écrites initiales concernant l’appel. L’avis de requête touchant le présent appel et d’autres ordonnances judiciaires étaient recensés, mais aucun élément de preuve nouveau ou proposé. De plus, les observations écrites du demandeur ne renferment aucune mention de nouveaux éléments de preuve ou de quoi que ce soit au moyen d’un nouveau document.

[38]  Dans ses observations présentées en réponse, sous le titre [traduction« Arguments soulevés par le défendeur », le demandeur a signalé qu’il avait [traduction« prévu soulever ces questions dans le cadre de sa réponse et, par conséquent, avait donné une sorte de préavis au défendeur ». Il a déclaré que [traduction« les questions soulevées ne constituent pas des éléments de preuve, mais sont plutôt des dispositions législatives et des politiques du Conseil du Trésor » que Transports Canada est tenu de respecter. Quelques paragraphes plus loin, la brume s’est dissipée un peu lorsque le demandeur a renvoyé à une disposition législative, à une [traduction« Norme sur le filtrage de sécurité du Conseil du Trésor », à deux documents de la Commission de la fonction publique et à une [traduction« Politique sur la sécurité du ministère des Travaux publics ».

[39]  Le demandeur n’a pas déposé d’avis de requête en vue de demander l’admission en preuve de ces documents dans le cadre de l’appel, ni expliqué pourquoi ces documents n’avaient pas été présentés à la protonotaire ou n’avaient pas été repérés plus tôt. De plus, aucun de ces documents n’a été déposé dans un dossier de requête. D’après les observations du demandeur présentées en réponse, ces documents ne constituaient pas des [traduction« éléments de preuve » et étaient « accessibles au public » et, par conséquent, la protonotaire Ring aurait dû y recourir. Il a fourni un lien à un site Internet qui renferme apparemment les documents, et il a affirmé que ces documents sont des [traduction« précédents » ou des [traduction« sources secondaires » qui sont énumérés dans sa réponse et qu’ils régissent la fonction publique fédérale. Il n’a renvoyé à aucun argument précis du défendeur auquel ce nouvel argument et ces nouveaux documents devaient répondre.

[40]  En fait, selon mon propre examen, les nouveaux documents sont directement liés à un nouvel argument soulevé par le demandeur dans ses observations formulées en réponse, à savoir que Transports Canada était tenu, dès le début, de lui envoyer une [traduction« lettre d’offre faisant état de toutes les conditions à remplir » [souligné dans l’original]. Selon l’argument présenté en réponse par le demandeur, ce dernier a commencé à réclamer une lettre d’offre dès décembre 2018. M. Hughes a fait valoir un argument similaire devant la protonotaire et, comme on l’a vu, cette dernière a rejeté cet argument (au para 59, tel qu’il est mentionné ci‑dessus, au para 27). Toutefois, je ne suis arrivé à trouver aucune mention d’une obligation en ce qui a trait à une lettre d’offre dans les observations initiales du demandeur relatives au présent appel ni aucune mention de cette question dans les observations du défendeur présentées en réponse.

[41]  Tout récemment, M. Hughes a présenté une requête distincte à la Cour fondée sur l’article 431 des Règles pour obtenir une ordonnance enjoignant au gouvernement de le nommer au poste à Transports Canada en lui remettant une lettre d’offre conditionnelle. La juge McVeigh a rejeté cette requête le 20 août 2020 : Hughes c Transports Canada, 2020 CF 843. L’argument avancé par M. Hughes dans ses observations formulées en réponse relativement au présent appel reprend en grande partie l’argument qu’il a défendu devant la juge McVeigh.

[42]  Je suis d’avis que, dans le cadre du présent appel, il ne convient pas que la Cour tienne compte des nouveaux documents énumérés par le demandeur ou des arguments y afférents, et ce, pour les motifs suivants :

(i) ils ne figuraient pas au dossier de la requête pour outrage au tribunal initiale dont disposait la protonotaire Ring;

(ii) ils n’ont pas été présentés à la Cour, puisqu’ils ne font pas partie du dossier de requête. La Cour ne peut pas s’employer à repérer des documents du domaine public, par exemple en consultant Internet : Canada (Procureur général) c Kattenburg, 2020 CAF 164 (le juge Stratas), au para 32. Outre le fait qu’il serait inapproprié de le faire, aucun affidavit n’a été présenté à la Cour pour mentionner les documents sur lesquels le demandeur souhaite se fonder ou pour expliquer la nature de ces documents et leur pertinence pour la présente affaire;

(iii) les observations initiales du demandeur relatives à l’appel ne contenaient aucune mention des documents ni aucun argument à leur sujet. Ils ont été mentionnés pour la première fois dans les observations du demandeur présentées en réponse, à l’instar de son argument selon lequel Transports Canada aurait dû lui envoyer une lettre d’offre. Même si le défendeur était au courant de la question de la lettre d’offre en dehors du contexte de la requête et qu’une question semblable a été soulevée devant la protonotaire, il n’est pas juste envers lui que le demandeur invoque pour la première fois ces documents et arguments dans une réponse dans le cadre du présent appel. Certes, le demandeur a courtoisement prévenu l’avocat du défendeur; cela ne donne toutefois pas l’occasion à ce dernier de répondre aux observations écrites qu’a présentées le demandeur en réponse par ses propres observations écrites sur la signification et l’importance des documents ou sur les questions plus vastes que le demandeur soulève maintenant;

(iv) le demandeur n’a pas déposé d’avis de requête ni autrement présenté une demande d’admission des documents à titre de nouveaux éléments de preuve en appel; il n’a pas non plus présenté à la Cour une quelconque preuve démontrant la conformité au critère concernant l’admission de nouveaux éléments de preuve en appel : voir Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 379 (la juge Kane), aux para 16-19, 36-39, 41; Carten c Canada, 2010 CF 857 (la juge Gauthier), au para 23;

(v) plusieurs questions à propos d’une lettre d’offre ont été soulevées par M. Hughes et tranchées par la Cour, y compris la question de savoir s’il a droit à une lettre d’offre en vertu du paragraphe 1 de la décision du Tribunal. L’argument invoqué dans le présent appel constituerait ni plus ni moins un moyen détourné de contester l’ordonnance et les motifs de la juge McVeigh : voir 2020 CF 843, en particulier à la page 2, nos 1 et 4, et aux para 4, 6, 10, 14-18 et 23. La voie à suivre pour tenter d’annuler cette ordonnance consiste à la porter en appel. Je reconnais que les parties ont déposé leurs observations écrites relatives à la requête avant que la juge McVeigh ne rende sa décision, mais cela ne change en rien le fait que la Cour a déjà tranché les questions opposant les parties soulevées par M. Hughes quant à la prétendue obligation de lui présenter une lettre d’offre.

[43]  Aux yeux de certains, ces préoccupations ne sembleront constituer que des questions de forme ou de procédure. Toutefois, elles ont directement trait au caractère équitable du présent appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles. Toutes les parties, y compris celles qui ne sont pas représentées par un avocat, doivent respecter certaines règles de base. Plusieurs de celles-ci sont en cause en l’espèce.

[44]  Premièrement, la présentation d’arguments écrits dans le cadre de la procédure de requête écrite se fait en trois étapes, lesquelles sont énoncées à l’article 369 des Règles des Cours fédérales : le requérant présente ses prétentions écrites; ensuite, l’intimé présente ses réponses et, s’il y a lieu, soulève ses propres arguments; enfin, le requérant peut déposer une réponse. L’échange de prétentions écrites s’arrête là.

[45]  À la deuxième étape, l’intimé a le droit de connaître tous les arguments de fond sur lesquels le requérant se fonde et a le droit d’y répondre. À la troisième étape, la réponse permet au requérant de répondre aux arguments de l’intimé. La juge Mactavish a expliqué ce qui suit concernant les réponses dans Deegan c Canada (Procureur général), 2019 CF 960, au paragraphe 121 :

Le droit est bien fixé : ce n’est pas dans une réponse qu’il convient de soulever de nouveaux arguments. L’objet d’une réponse est de donner suite à des questions soulevées par la partie adverse, et non de soulever de nouveaux moyens ou éléments de preuve qui auraient dû être soulevés en première instance. Une réponse appropriée se limite aux questions que la partie n’a pas eu la possibilité de discuter ou qui n’auraient raisonnablement pas pu être prévues.

[46]  La présentation d’un nouvel argument dans une réponse qui ne répond pas à un argument soulevé par le défendeur et qui aurait dû être faite dans le cadre de la présentation initiale des observations du demandeur n’est pas autorisée parce que cela ne donne pas l’occasion au défendeur d’y répondre dans ses observations écrites. Il s’agit non seulement d’une question d’équité, mais aussi de bon sens. En l’absence de limites à l’étendue du droit de réponse et aux étapes de présentation d’arguments juridiques en réponse, certaines parties ne cesseraient pas d’échanger des prétentions écrites, comme s’il s’agissait d’une partie de ping-pong, ce qui causerait des retards, ferait perdre du temps et grimper les frais de justice et ne profiterait en fin de compte à personne.

[47]  Une deuxième règle de base veut que les preuves documentaires soient déposées devant la Cour dans le dossier de requête, et ce, pour que tous disposent des mêmes éléments relativement à la requête. Les dossiers de requête font l’objet des articles 364 et 365 des Règles.

[48]  Troisièmement, pour qu’un document puisse être versé au dossier de requête, il doit être admissible en preuve. La Cour ne peut agir que sur la base de faits avérés au vu de la preuve, de la connaissance d’office ou de dispositions déterminatives : voir Kattenburg, au para 32, et les affaires qui y sont citées. Quand une partie dépose un document en preuve, elle y joint habituellement un affidavit qui en explique la nature à la Cour. Cela dit, je souligne que la Cour peut tenir compte d’arguments juridiques à propos d’une loi sans qu’il soit nécessaire de présenter une preuve formelle de cette loi, comme l’a soutenu à juste titre M. Hughes.

[49]  Quatrièmement, lorsqu’elle est saisie d’un appel interjeté conformément à l’article 51 des Règles, la Cour tient compte de la preuve dont disposait le protonotaire. Elle ne tient pas compte de nouveaux éléments de preuve factuels sauf s’ils satisfont à un critère juridique autorisant leur admission en appel. Le critère juridique autorise exceptionnellement l’admission de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel lorsque ceux-ci n’ont pas pu être communiqués à une date antérieure, serviront l’intérêt de la justice, aideront la Cour et ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse. : Fondation David Suzuki, au para 37; Carten, au para 23. De plus, ils doivent influer sur l’issue de l’appel ou avoir une incidence sur le fond de l’appel : Fondation David Suzuki, en particulier aux para 38, 41 et 56.

[50]  Enfin, la loi limite la possibilité pour la Cour d’être saisie d’une même question plus d’une fois. Les principes juridiques de la préclusion et de la chose jugée empêchent de présenter une demande pour une question déjà tranchée ou une cause d’action ayant fait l’objet d’une décision sur le fond : voir Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422, aux para 24, 25, 27 et 34; Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, [2013] 2 RCS 125, aux para 28‑31 et aux para 88‑91 et 98‑100; Tuccaro c Canada, 2014 CAF 184, aux para 12‑17; Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460; Angle c Ministre du Revenu National, [1975] 2 RCS 248.

[51]  Pour les motifs qui précèdent, je ne tiendrai pas compte des nouveaux documents du demandeur ni des arguments qui s’y rapportent dans le cadre du présent appel.

B.  Nouvel élément de preuve en appel (2)

[52]  Dans une lettre en date du 25 août 2020, M. Hughes a informé la Cour que le demandeur avait [traduction« découvert [la veille] une non-divulgation importante » qui, selon lui, [traduction« est importante et concerne directement la question de l’outrage au tribunal ». Il a annexé deux pages d’une annonce pour un poste vacant qu’il a affirmé [TRADUCTION« [être] précisément le poste auquel le Tribunal a enjoint au défendeur de nommer le demandeur le 1er juin 2018 ». Il allègue que l’annonce montre que Transports Canada pourvoirait le poste avec différentes cotes de sécurité. Selon la lettre du demandeur, le document affaiblit l’argument du défendeur selon lequel le demandeur ne pourrait être embauché que comme agent du renseignement maritime ayant la [traduction« cote de sécurité la plus élevée » (Très secret) et la cote de sécurité doit être obtenue avant qu’une lettre d’offre puisse lui être envoyée. Selon l’annonce, le concours de dotation devait se terminer en janvier 2018.

[53]  Le demandeur a demandé à la Cour de permettre aux parties de présenter de brèves observations à l’égard de ce nouvel élément de preuve. Je dois toutefois d’abord déterminer si le nouvel élément de preuve devrait pouvoir être examiné dans le cadre du présent appel.

[54]  Dans une lettre en date du 28 août 2020, le défendeur a fait valoir que l’élément de preuve n’était pas pertinent pour l’appel interjeté devant la Cour, qu’il n’était plus loisible au demandeur de déposer cet élément de preuve puisqu’il existait avant l’ordonnance du Tribunal du 1er juin 2018 et que le nouvel élément de preuve ne satisfaisait pas au critère d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel. Le défendeur a également affirmé que la demande relative à ce nouvel élément de preuve constituait un abus de procédure visant à contourner les conclusions tirées dans une ordonnance de la juge McVeigh selon lesquelles M. Hughes n’était pas en droit de recevoir une lettre d’offre avant d’obtenir sa cote de sécurité : Hughes c Transports Canada, 2020 CF 843. Le défendeur n’a pas précisé à quelles conclusions il faisait référence.

[55]  À mon avis, l’annonce du poste ne doit pas être admise comme nouvel élément de preuve en appel.

[56]  Premièrement, le demandeur n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles une annonce de poste dont la date de clôture est janvier 2018 n’a pas pu être trouvée avant la fin du mois d’août 2020 et, plus précisément, quant aux raisons pour lesquelles l’annonce n’avait pas été présentée à la protonotaire saisie de la requête en outrage au tribunal en novembre 2019. Par conséquent, le nouvel élément de preuve ne satisfait pas au critère d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve en appel énoncé dans les décisions Fondation David Suzuki et Carten, lequel prévoit entre autres que, pour que le nouvel élément de preuve soit admissible en appel, il ne pouvait pas être présenté plus tôt.

[57]  Deuxièmement, l’élément de preuve que constitue l’annonce du poste est peu pertinent pour le présent appel. La protonotaire a mentionné au passage différentes cotes de sécurité, au paragraphe 60 de ses motifs, où elle a fait mention d’un affidavit préparé en réponse à une autre requête présentée par M. Hughes dans lequel on déclarait que [traduction« [l]e 10 décembre 2018, les formulaires requis pour que M. Hughes puisse demander la cote Très secret et pour lui permettre d’occuper éventuellement le poste d’affectation pour une période déterminée ont été transmis à son avocat » [non souligné dans l’original]. Elle n’a mentionné les différentes cotes de sécurité nulle part ailleurs dans ses motifs.

[58]  Dans le cadre du présent appel, on constate que M. Hughes a à peine traité des différentes cotes de sécurité dans ses observations initiales. Lorsqu’il l’a fait, il a affirmé que cela n’était pas pertinent pour les allégations d’outrage au tribunal dont il était question (au para 63 de ses observations, ci‑dessous) :

[traduction]

62.  Le défendeur a admis qu’un poste existait le 1er juin 2018. Les formulaires de sécurité requis devaient être postés au demandeur dans les jours suivants. Or, le défendeur a plutôt réécrit l’ordonnance en affirmant qu’il n’était pas tenu de se conformer à cette condition. Et il l’a fait sans chercher à obtenir une suspension par consentement ou une suspension autorisée par la Cour. Les formulaires de sécurité n’ont été transmis par courriel que le 10 décembre 2018. L’accusation d’outrage au tribunal a trait au défaut de prendre quelque mesure que ce soit entre le 1er juin 2018 et le 13 novembre 2018 pour commencer à se conformer à l’ordonnance et non au défaut de nommer le demandeur au poste.

63.   Toutes les autres questions entourant le fait que les formulaires n’avaient pas été renvoyés en raison de préoccupations sur la capacité financière, la question de la cote Très secret par opposition à la cote Secret, tout cela déborde du champ des accusations d’outrage au tribunal. De fait, ces questions devraient faire l’objet d’une accusation d’outrage au tribunal tout à fait distincte.

[Souligné et caractères gras dans l’original au para 62; non souligné dans l’original au para 63]

[59]  Dans les observations présentées en réponse par le demandeur, il n’est nullement mentionné que les différentes cotes de sécurité sont en litige, bien que je constate que dans certaines des affaires sur lesquelles le demandeur s’est fondé (p. ex. Tahmourpour) les différentes cotes de sécurité faisaient partie des faits.

[60]  Par conséquent, selon les propres arguments du demandeur, le nouvel élément de preuve proposé est tout au plus faiblement pertinent pour l’issue du présent appel de l’ordonnance de la protonotaire interjeté conformément à l’article 51 des Règles. Le défendeur n’a présenté aucune observation dans le cadre du présent appel à propos des différentes cotes de sécurité. Je conclus donc que le nouvel élément de preuve proposé n’a que peu ou pas de pertinence pour le présent appel.

[61]  Étant donné que le nouvel élément de preuve proposé, à savoir l’annonce du poste, ne satisfait pas au critère d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve en appel et qu’il n’a que peu ou pas de pertinence pour le fond de l’appel, il ne doit pas être admis en preuve et pris en compte dans le cadre de l’appel. Il n’est pas nécessaire que je me prononce sur l’argument du défendeur en ce qui concerne l’effet de la décision de la juge McVeigh.

IV.  L’appel

A.  Norme de contrôle applicable à un appel interjeté conformément à l’article 51 des Règles

[62]  Dans le cadre d’un appel interjeté contre une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, la Cour applique les normes de contrôle établies par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c The Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 RCF 331. Le juge Nadon, s’exprimant au nom d’une formation de cinq personnes de la Cour d’appel, a conclu que la Cour fédérale ne peut intervenir dans une décision discrétionnaire d’un protonotaire que si celui-ci a commis une erreur de droit, ou si le protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit : Hospira, aux para 68, 69 et 79. Dans l’arrêt Hospira, la Cour a adopté la même norme pour les appels fondés sur l’article 51 des Règles que celle établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, pour le contrôle en appel des décisions des juges de première instance : Housen, aux para 19-37.

[63]  La norme de la décision correcte peut également s’appliquer à une question de droit ou à un principe juridique isolable d’une question mixte de fait et de droit (Hospira, aux para 66 et 71‑72; Creston Moly Corp. c Sattva Capital Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 RCS 633, aux para 53‑55, 63 et 64; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344 (le juge Stratas), aux para 57 et 74; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Emerson Milling, 2017 CAF 79, [2018] 2 RCF 573 (le juge Stratas), aux para 21 à 28; Teal Cedar Products Ltd. c Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, [2017] 1 RCS 688, au para 44; Clayworth c Octaform Systems Inc., 2020 BCCA 117 (le juge Hunter), au para 47. Toutefois, si les conclusions contestées sont axées sur les faits ou si un principe juridique ne peut être isolé facilement, la norme applicable sera celle de l’erreur manifeste et dominante (Mahjoub, aux para 60, 156 et 318; Housen, au para 36; Teal Cedar Products, aux para 45 et 46).

[64]  La norme de la décision correcte est une norme de contrôle qui ne commande aucune déférence, c’est-à-dire que la Cour peut substituer son opinion, son pouvoir discrétionnaire ou sa décision à celle du protonotaire : Hospira, au para 68; Mahjoub, au para 58. En revanche, la norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : Benhaim c St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 RCS 352, au para 38. Dans l’arrêt Mahjoub, le juge Stratas a décrit la norme de l’erreur manifeste et dominante dans les mots suivants :

[61] La norme de l’erreur manifeste et dominante est une norme de contrôle qui commande une grande déférence : arrêts Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352, au paragraphe 38, et H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. Voir l’arrêt Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, 431 N.R. 286, au paragraphe 46, cité avec […] approbation [par] la Cour suprême dans l’arrêt St-Germain, précité.

[62] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente. Bien des choses peuvent être qualifiées de « manifestes ». À titre d’exemples, mentionnons l’illogisme évident dans les motifs (notamment les conclusions de fait qui ne vont pas ensemble), les conclusions tirées sans éléments de preuve admissibles ou éléments de preuve reçus conformément à la doctrine de la connaissance d’office, les conclusions fondées sur des inférences erronées ou une erreur de logique, et le fait de ne pas tirer de conclusions en raison d’une ignorance complète ou quasi complète des éléments de preuve.

[63] Cependant, même si une erreur est manifeste, le jugement de l’instance inférieure ne doit pas nécessairement être infirmé. L’erreur doit également être dominante.

[64] Par erreur « dominante », on entend une erreur qui a une incidence déterminante sur l’issue de l’affaire. Il se peut qu’un fait donné n’aurait pas dû être tenu comme avéré parce qu’il n’existe aucun élément de preuve pour l’étayer. Si ce fait manifestement erroné est exclu, mais que la décision tient toujours sans ce fait, l’erreur n’est pas « dominante ». Le jugement du tribunal de première instance demeure.

Voir également l’arrêt Laliberte c Day, 2020 CAF 119 (le juge Laskin), au para 32.

[65]  Les normes énoncées dans l’arrêt Hospira ont été appliquées très récemment dans des appels interjetés en vertu de l’article 51 des Règles concernant des questions d’outrage au tribunal : Wachsberg c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 675 (le juge Mosely), au para 26; Lill c Canada (Procureur général), 2020 CF 551 (le juge Gascon), au para 23.

[66]  Des décisions d’un protonotaire rejetant une requête pour outrage au tribunal ont été considérées comme étant de nature discrétionnaire : Johnson c Canada (Procureur général), 2008 CAF 290 (la juge Sharlow), au para 7, rejetant un appel de la décision 2008 CF 119 (le juge Hughes), au para 5; Osmose-Pentox Inc c Société Laurentide Inc., 2010 CF 676 (le juge Martineau), au para 25.

[67]  De plus, je garde à l’esprit, en ce qui concerne les appels fondés sur l’article 51 des Règles, que le juge responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’instance : Hospira, aux para 102 et 103; Première Nation Da’naxda’xw c Peters, 2020 CF 208 (le juge Favel), au para 39. Dans la présente affaire, la protonotaire était la juge responsable de la gestion de l’instance depuis plus d’un an avant l’audience de justification. De plus, les décisions du juge responsable de la gestion de l’instance doivent être traitées avec déférence, surtout en ce qui concerne les questions où les faits dominent : Hospira, au para 102; voir aussi Bande de Sawridge c R, 2001 CAF 338, [2002] 2 CF 346, au para 11; Merck & Co c Apotex Inc., 2003 CAF 438, au para 12; 744185 Ontario Inc. c Canada (Transports)), 2018 CF 1024 (le juge Ahmed), au para 20.

B.  Motifs d’appel

[68]  M. Hughes a soulevé un grand nombre de problèmes dans le présent appel. Il a commencé par décrire la décision de la protonotaire Ring comme étant [traduction« manifestement erronée » et [traduction« fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise compréhension des faits ». Dans l’ensemble, voici ses principaux arguments :

● La protonotaire a commis une erreur en se fondant sur des événements survenus en décembre 2018 (formulaires de sécurité envoyés par la poste) et en février 2019 (indemnité accordée) qui étaient en dehors de la période pertinente pour l’accusation d’outrage mentionnée dans sa requête (du 1er juin 2018 au 13 novembre 2018). La protonotaire [traduction] « s’est fondée sur des événements ultérieurs et non pertinents pour miner les accusations d’outrage en autorisant essentiellement une contestation incidente ».

● La protonotaire a demandé au demandeur de démontrer que le défendeur faisait [traduction] « toujours preuve d’outrage au tribunal à la date de l’audience [pour outrage] et non aux dates pertinentes. Cette fausse perception a donné lieu à une audience qui a dérivé vers des délais non pertinents, et la décision faisant l’objet de l’appel est imprégnée de cette confusion ».

● La protonotaire [traduction] « a confondu le défaut des défendeurs de respecter l’ordonnance (outrage au tribunal) avec l’incapacité légale du demandeur d’obliger le défendeur à payer (procédure d’exécution) ».

[69]  L’argument fondamental de M. Hughes dans le cadre du présent appel est que le défendeur n’a pas commencé sans délai à exécuter la décision du Tribunal accordant des mesures de redressement. M. Hughes soutient qu’une « erreur de droit » n’excuse pas le défaut du défendeur à commencer l’exécution – surtout que Transports Canada ne peut être excusé en raison de son argument juridique erroné selon lequel sa demande de contrôle judiciaire entraînait la suspension de la décision touchant les mesures de redressement selon l’article 30 de la LRCECA : voir Hughes c Canada (Commission des droits de la personne), 2019 CF 53 (la juge Heneghan), aux para 38‑47.

[70]  M. Hughes soutient également que la protonotaire a commis une erreur en concluant que Transports Canada ne peut être tenu responsable d’un outrage civil. Il a présenté une grande variété d’autres arguments juridiques et factuels destinés à démontrer que la protonotaire a incorrectement tranché le fond sa requête pour outrage.

C.  Analyse

[71]  À mon avis, l’appel peut être tranché sans traiter de nombreux arguments soulevés par les parties.

[72]  Résumons comme suit la décision de la protonotaire : elle a conclu, comme point préliminaire, que Transports Canada ne pouvait, en droit, être tenu responsable d’outrage au tribunal. En ce qui concerne les auteurs individuels de l’outrage, la protonotaire a conclu que le ministre Garneau pouvait être tenu responsable d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance d’intégration à un poste de la décision du Tribunal sur les mesures de redressement, sur le fondement de son pouvoir légal, mais que les autres personnes ne pouvaient se fonder sur leurs pouvoirs délégués respectifs. En ce qui concerne l’aspect pécuniaire de la décision touchant les mesures de redressement, la protonotaire Ring a conclu qu’aucune des personnes ne pouvait être tenue responsable d’outrage au tribunal, puisqu’aucune d’elles n’avait le pouvoir légal ou délégué de verser les montants ordonnés.

[73]  La protonotaire a ensuite cherché à savoir si M. Hughes avait établi à première vue qu’il y a eu outrage. Elle a conclu, en appliquant l’arrêt Carey, que M. Hughes ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de justifier d’une apparence de droit suffisante que le ministre Garneau ou l’un des présumés auteurs de l’outrage au tribunal ne s’était pas conformé à la décision sur les mesures de redressement comme il l’a allégué : au para 50. Elle a examiné l’outrage par rapport à l’ordonnance d’intégration à un poste (aux para 51-63) et à l’ordonnance relative à l’indemnité pécuniaire : aux para 64‑79.

[74]  Dans les circonstances, si la protonotaire avait raison dans ses conclusions d’appliquer l’arrêt Carey à la preuve, il n’est pas nécessaire d’examiner les questions « préliminaires ». Cela tient au fait que même si la protonotaire a commis une erreur de droit à l’égard de l’une des questions préliminaires, elle a de toute façon conclu d’après la preuve que le demandeur n’avait, à l’encontre d’aucun des présumés auteurs de l’outrage au tribunal, fait valoir des arguments suffisants pour établir le caractère sérieux de ses prétentions d’outrage. Ce n’est que si la Cour conclut que la protonotaire a commis une erreur susceptible de contrôle sur les questions de l’existence d’une preuve à première vue d’outrage qu’il faut examiner les questions préliminaires.

[75]  La Cour doit appliquer la norme de contrôle appropriée aux conclusions de droit de la protonotaire, y compris la norme juridique qu’il faut appliquer à la preuve. En revanche, les conclusions de la protonotaire sur la question de savoir si les faits satisfont au critère juridique soulèvent des questions mixtes de droit et de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, aux para 35 et 45; Housen, aux para 36 et 37; Mahjoub, aux para 72 à 74.

(1)  Critère juridique de l’outrage civil

[76]  À mon avis, la protonotaire a correctement formulé le critère juridique de l’outrage civil, exposé dans l’arrêt Carey rendu par la Cour suprême. Outre les trois éléments décrits ci‑dessus, comme il a été mentionné, la protonotaire a reconnu que le fardeau de la preuve applicable à l’outrage civil est la preuve hors de tout doute raisonnable : au para 49 de ses motifs.

[77]  Au résumé de la protonotaire, j’ajouterai les points suivants tirés des motifs du juge Cromwell dans l’arrêt Carey (renvois omis) :

● Concernant le premier élément (« l’ordonnance dont on allègue la violation [traduction] “formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait” »), le juge Cromwell a souligné que « cette exigence de clarté garantit qu’une personne ne sera pas reconnue coupable d’outrage lorsqu’une ordonnance n’est pas claire ». En outre, il a souligné qu’il peut être établi qu’une ordonnance n’est pas claire si, par exemple, il manque un détail essentiel sur l’endroit, le moment ou l’individu visé par l’ordonnance, si elle est formulée en des termes trop larges ou si des circonstances extérieures ont obscurci son sens : Carey, au para 33.

Le pouvoir en matière d’outrage « est discrétionnaire et les tribunaux ont toujours refusé de l’exercer de façon routinière pour faire respecter des ordonnances judiciaires : Carey, au para 36.

« […] l’outrage au tribunal ne peut être réduit à un simple moyen d’exécution des jugements » […] Le pouvoir en cette matière devrait plutôt être exercé [traduction] “avec prudence et avec une grande réserve” […] Il s’agit en outre d’un pouvoir qui ne doit être exercé qu’en dernier recours »: Carey, au para 36.

(2)  Application du droit relatif à l’outrage en matière civile à la preuve

[78]  En appliquant les éléments juridiques relatifs à l’outrage énoncés dans l’arrêt Carey, la protonotaire a tiré des conclusions expresses sur la preuve, à savoir que M. Hughes n’avait établi à première vue l’existence d’un outrage à l’égard de l’ordonnance d’intégration à un poste (au para 63) ou de l’ordonnance relative à l’indemnité pécuniaire (aux para 66, 72, 76 et 79) à l’égard d’aucun des présumés auteurs de l’outrage au tribunal.

[79]  Les conclusions de la protonotaire sur ces questions ne sont pas assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Il n’appartient pas à la Cour de réexaminer ou de réévaluer la preuve ou de substituer sa propre opinion de la preuve concernant la question de savoir s’il existe à première vue une preuve d’outrage. La question est de savoir si la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante – une erreur qui était évidente et qui influe sur l’issue de sa décision, faisant en sorte que tout son raisonnement s’écroule.

[80]  L’ordonnance d’intégration à un poste : le fondement des conclusions de la protonotaire sur l’aspect de l’intégration à un poste qui faisait l’objet de l’allégation d’outrage au tribunal reposait sur son interprétation des conditions expresses de l’ordonnance du Tribunal d’intégrer M. Hughes à un poste, énoncées dans la décision sur les mesures de redressement, et sur la preuve non contestée que ce dernier n’avait pas satisfait à l’exigence relative à la cote de sécurité car il n’avait pas retourné les formulaires de sécurité qui lui ont été envoyés en décembre 2018. La protonotaire a conclu, en se fondant sur les modalités de la décision sur les mesures de redressement et sur les faits convenus, que le renvoi des formulaires d’autorisation de sécurité remplis constituait une condition préalable à l’intégration de M. Hughes au poste (para 58), que le Tribunal avait expressément prévu que M. Hughes était tenu d’obtenir une cote de sécurité [traduction« avant » que Transports Canada ne lui offre un poste (para 59), qu’il n’avait pas demandé ou obtenu la cote de sécurité en question comme l’exigeait la décision sur les mesures de redressement (para 61) et que son intégration à un poste était subordonnée à l’obtention préalable de la cote de sécurité (para 63).

[81]  M. Hughes a fait valoir que la protonotaire avait commis une erreur parce que les présumés auteurs de l’outrage au tribunal avaient omis d’entamer le processus visant à l’intégrer au poste. En fait, il a soutenu que l’ordonnance du Tribunal est applicable à compter de la date à laquelle elle a été prononcée (1er juin 2018) et que TransportsCanada aurait dû commencer immédiatement à l’appliquer en lui envoyant les formulaires de sécurité nécessaires [traduction« dans les jours suivants ». Il a souligné que son avocat avait écrit à Transports Canada à plusieurs reprises en juin et en juillet 2018 pour demander l’exécution de l’ordonnance du Tribunal. La première réponse de l’avocat de Transports Canada n’est arrivée que vers la fin juillet, soit près de deux mois après que la décision du Tribunal sur les mesures de redressement a été rendue. Les formulaires de sécurité lui ont finalement été postés, mais que des mois plus tard, soit en décembre 2018. M. Hughes a également soutenu, en lien avec l’observation de la Cour suprême dans l’arrêt Carey aux paragraphes 58 et 59, que Transports Canada aurait pu demander des directives à la Cour pour justifier l’inexécution de l’ordonnance, mais ne l’a pas fait.

[82]  Le défendeur a soutenu que M. Hughes est responsable de sa non-intégration à un poste parce que la décision sur les mesures de redressement (au para 272) et l’ordonnance du Tribunal (au para 1) exigeaient expressément qu’il prenne des mesures pour obtenir une autorisation de sécurité avant d’être intégré à un poste. Au moment de l’audience de justification en novembre 2019, qui visant la période allant de juin à novembre 2018, M. Hughes n’avait pris aucune mesure en vue de donner suite à l’exigence relative à l’autorisation de sécurité, condition préalable à l’intégration à un poste. M. Hughes n’a pas demandé les formulaires d’autorisation de sécurité et l’ordonnance sur les mesures de redressement n’exigeait pas que Transports Canada prenne quelque mesure que ce soit à cet égard (bien que Transports Canada ait finalement fait des démarches le 10 décembre 2018 et fait le suivi le 17 janvier 2019). De plus, la décision sur les mesures de redressement ne prévoyait aucun délai pour l’intégration à un poste.

[83]  Le défendeur a également souligné que le demandeur aurait pu retourner devant le Tribunal pour régler les problèmes d’exécution, étant donné que le Tribunal a conservé sa compétence à l’égard de l’ordonnance pendant un an dans l’éventualité où des problèmes d’exécution se poseraient : ECF, au para 9a); ordonnance du Tribunal, au para 408 (« [le Tribunal] conserve par la présente la compétence de trancher tout litige pouvant survenir à l’égard de la quantification ou de la mise en œuvre de l’une quelconque des mesures de redressement ordonnées »).

[84]  En ce qui concerne le moment de l’exécution des ordonnances, je constate que dans la décision Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs en télécommunications, 2002CFPI 1268, au para 43, la Cour a fait observer que les tribunaux ont toujours conclu qu’une ordonnance portant condamnation pour outrage ne sera pas rendue lorsque le délai pour s’y conformer n’a pas été précisé, citant les décisions Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 529 c Central Broadcasting Co., [1977] 2 CF 78, au para 79 (CF 1re inst); et Tardif c Verrault Navigation Inc., [1978] 1 CF 815, au para 7 (CF 1re inst). Voir la décision récente M.P.R c J.B.R., 2020 BCSC 1046 (le juge Armstrong), au para 117, et les décisions qui y sont citées. Il existe d’autres décisions, mais elles indiquent que si elle ne précise pas de délai explicite pour l’exécution, l’ordonnance devrait être appliquée dans un délai raisonnable après avoir été rendue : Société Radio‑Canada c Association des réalisateurs, [1993] ACF 1356 (CF 1re inst) (le juge Noël), aux para 15 et 16; Sound Contracting Ltd. c Regional District of Comox-Strathcona, 2005 BCCA 167 (le juge Smith), au para 11; Ring Contracting Ltd. c Aecon Construction Group Inc., 2006 BCCA 304 (la juge Kirkpatrick), aux para 10‑13 et 17. Il me semble que lorsqu’ils examinent les questions d’outrage liées au moment de l’exécution d’une ordonnance, les cours ont tendance à être sensibles aux circonstances particulières de l’affaire, en particulier aux conditions précises de l’ordonnance en cause et à la conduite à l’origine de l’outrage allégué.

[85]  Dans le présent appel, bon nombre des arguments des parties, en particulier ceux du demandeur, visaient le bien‑fondé de l’ordonnance de la protonotaire Ring à l’égard de la preuve, et constituaient en fait une nouvelle présentation d’arguments relatifs à la requête pour outrage. La question, cependant, est de savoir si l’ordonnance révèle une erreur manifeste et dominante. À mon avis, la protonotaire n’a pas commis une telle erreur.

[86]  Premièrement, la protonotaire n’a commis aucune erreur en interprétant le libellé explicite du paragraphe 1 de l’ordonnance du Tribunal dans la décision sur les mesures de redressement, à savoir l’expression « sous réserve de », qui exige une cote de sécurité avant que l’intégration à un poste ait lieu : aux para 51 à 63. L’ordonnance d’intégration à un poste du Tribunal ne précisait pas « ce qui [devait] […] être fait » (Carey, au para 33) pour amorcer le processus d’autorisation de la cote de sécurité et quelle partie avait l’obligation de le faire. Il n’y a pas d’erreur manifeste dans les conclusions factuelles de la protonotaire relatives au défaut d’obtenir la cote de sécurité, compte tenu des faits admis dans l’ECF et des éléments de preuve dont elle disposait. Compte tenu du libellé de l’ordonnance et de ce qui n’y figurait pas (y compris les exigences expresses quant à la date à laquelle devait avoir lieu l’intégration à un poste et qui devait faire quoi pour procéder à celle‑ci), et de la conclusion factuelle de la protonotaire selon laquelle M. Hughes n’avait pris aucune mesure pour satisfaire à l’exigence concernant la cote de sécurité, il était loisible à la protonotaire de conclure que M. Hughes n’avait pas justifié d’une apparence de droit suffisante que le défendeur avait commis un outrage au tribunal en n’ayant pas amorcé le processus d’intégration à un poste.

[87]  M. Hughes a mentionné plusieurs affaires déjà tranchées portant sur des questions d’outrage et d’intégration d’une personne à un poste, décisions qui, selon lui, auraient dû être suivies par la protonotaire. Le défendeur a essayé d’établir une distinction entre ces affaires et celle qui nous intéresse au regard de leurs faits, en attirant l’attention sur la mention « sous réserve de » figurant dans l’ordonnance d’intégration à un poste. J’examinerai expressément deux de ces affaires.

[88]  M. Hughes a soutenu que la décision de notre Cour Bremsak c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CF 213, conf 2012 CAF 147, [traduction« correspond » à la présente affaire. À mon avis, il faut faire une distinction entre l’affaire Bremsak et celle qui nous occupe. Dans cette affaire, l’ordonnance de la Commission des relations de travail dans la fonction publique visait à réintégrer sans délai Mme Bremsak aux postes auxquels elle avait été élue et nommée au sein de l’unité de négociation. Il n’y avait pas de conditions préalables ni la mention « sous réserve de » qui ont fait obstacle à l’exécution des mesures ou exigé la prise d’autres mesures avant la réintégration de Mme Bremsak dans ses fonctions. L’ordonnance indiquait que son exécution serait assujettie à l’application des statuts et des règlements administratifs du syndicat qui, dans cette affaire, prévoyaient l’expiration du mandat de la demanderesse. La Commission a ordonné la réintégration sans délai de Mme Bremsak pour éviter l’expiration de son mandat. Voir 2012 CF 213, aux para 12 et 73 (extraits de l’ordonnance en question) et les paragraphes 75, 76, 78, 80 et 85, ainsi que 2012 CAF 147, au para 29. Le fait que les circonstances soient différentes en l’espèce pose problème. Dans l’affaire qui nous occupe, comme l’a conclu la protonotaire, il y avait une condition préalable à l’intégration à un poste.

[89]  La décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta Amalgamated Transit Union, Local No 56 c Edmonton (City), 2015 ABQB 620, sur laquelle s’est également appuyé le demandeur, se distingue de la présente instance de la même manière. Dans cette affaire, le juge Renke a conclu que l’arbitre des relations de travail avait ordonné à la ville d’Edmonton de réintégrer M. Stuart dans ses fonctions d’opérateur de véhicule de transport en commun. Aucune condition n’était liée à cette réintégration : aux para 19 et 20. La Cour n’a également trouvé aucune indication de préoccupation concernant la clarté de la sentence arbitrale ou de problèmes d’exécution de l’ordonnance : aux para 49 et 54; voir également le para 22. La ville n’avait pas amorcé le processus de réintégration dans le poste, mais il n’y avait pas de conditions ou de problèmes qui devaient être résolus par les parties afin de réintégrer M. Stuart dans les fonctions qu’il exerçait auparavant. En revanche, en l’espèce, des conditions devaient être respectées ou des problèmes, résolus, notamment en ce qui concerne l’intégration à un poste.

[90]  Troisièmement, je souscris à la prétention du défendeur selon laquelle ce n’était pas une erreur manifeste et dominante de la part de la protonotaire d’examiner la preuve de la conduite des parties, jusqu’à la date de l’audience de justification, quant à la demande des formulaires de sécurité, l’envoi de ces formulaires et le renvoi de ceux-ci après qu’ils eurent été remplis. Bien que l’outrage allégué par M. Hughes concernait le défaut d’amorcer le processus d’intégration à un poste, ses accusations telles qu’elles sont rédigées (que la protonotaire a mentionnées au para 7 de ses motifs) ne faisaient état d’aucune date butoir précise. À cet égard et dans le contexte du libellé de l’ordonnance du Tribunal analysé ci-dessus, la protonotaire n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en tenant compte de la conduite et des événements postérieurs au 13 novembre 2018 (la date butoir invoquée par M. Hughes dans le cadre du présent appel) jusqu’à la date de l’audience. La protonotaire a jugé que le demandeur n’avait, en date du 10 décembre 2018, [traduction« ni demandé ni obtenu » la cote de sécurité (para 61) et, de façon plus générale, n’avait [traduction« pris aucune mesure » pour satisfaire à l’exigence d’obtenir une cote de sécurité (para 63). Il n’était pas non plus déraisonnable de la part de la protonotaire de conclure qu’il incombait au demandeur d’obtenir la cote de sécurité et, en particulier, de remplir les formulaires après qu’ils lui eurent été envoyés, afin que la condition préalable à l’intégration à un poste puisse être remplie. Compte tenu des orientations données par le juge Cromwell dans l’arrêt Carey, y compris les trois points mentionnés ci‑dessus au paragraphe 77, je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans les conclusions de la protonotaire.

[91]  Compte tenu des conditions de l’ordonnance du Tribunal et des éléments de preuve figurant dans l’ECF dont disposait la protonotaire, et vu la nature discrétionnaire du pouvoir en matière d’outrage et le fardeau ultime de la preuve incombant au demandeur en cas d’outrage, je ne modifierais pas la conclusion de la protonotaire selon laquelle aucune preuve à première vue de l’outrage n’avait été établie à l’égard de l’une ou l’autre des personnes accusées d’outrage au tribunal relativement à l’intégration à un poste. À mon avis, les motifs de la protonotaire ne contiennent pas d’erreur susceptible de contrôle.

[92]  Les ordonnances relatives à l’indemnité pécuniaire : outre sa conclusion générale relative à tous les présumés auteurs de l’outrage au tribunal au paragraphe 66, la protonotaire a tiré plusieurs conclusions qui appliquaient à la preuve les éléments énoncés dans l’arrêt Carey pour finalement conclure qu’aucune preuve à première vue de l’outrage n’avait été établie :

● au para 72, parce qu’aucun certificat de jugement n’avait été délivré contre la Couronne ou délivré au sous‑procureur général du Canada;

● aux para 73, 76 et 79, pour non-respect du troisième élément (intention) énoncé dans l’arrêt Carey, parce qu’elle était convaincue qu’aucun des auteurs de l’outrage au tribunal n’avait intentionnellement omis de se conformer à l’ordonnance pécuniaire en se dérobant à l’obligation de payer.

[93]  Aucun différend factuel quant à la question de savoir si un certificat de jugement avait été délivré contre la Couronne ou délivré au sous‑procureur général n’a été porté à la connaissance de la protonotaire; les parties ont convenu qu’il n’y en avait pas : ECF, au para 22. La protonotaire a signalé que, dans une autre décision rendue relativement à la présente instance, la juge Heneghan avait conclu qu’une personne dans une situation semblable à celle de M. Hughes était tenue de présenter une demande de certificat de jugement et qu’il ne s’était donc pas conformé à l’article 474 des Règles des Cours fédérales.

[94]  À mon avis, la protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en ce qui a trait à l’aspect pécuniaire du jugement. Il n’était pas erroné de suivre le raisonnement de la juge Heneghan dans une décision rendue dans la même instance dans laquelle il a été jugé qu’un certificat de jugement obtenu en vertu de l’article 474 des Règles était nécessaire pour obtenir un paiement selon l’art. 30 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif : voir Hughes c Canada, 2019 CF 53, aux para 37 à 39, 48, 50 et 63. M. Hughes n’a pas interjeté appel de cette décision.

[95]  En ce qui concerne les conclusions de la protonotaire sur la preuve relative au troisième élément du critère énoncé dans l’arrêt Carey, soit l’intention, je ne décèle encore une fois aucune erreur manifeste et dominante. L’ordonnance du Tribunal relative aux paiements pécuniaires ne précisait aucun montant global à payer, bien que (comme l’a fait valoir M. Hughes) certains montants aient été expressément chiffrés. D’autres devaient être établis. Le Tribunal n’a pas fixé de date ni de délai de paiement dans les conditions de son ordonnance relative aux paiements pécuniaires. Les conclusions de la protonotaire selon lesquelles les présumés auteurs de l’outrage au tribunal n’avaient pas l’intention de se soustraire au paiement tenaient compte de la décision de la juge Heneghan et de l’effet du recours perçu mais erroné de ces personnes à l’art. 30 de la LRCECA. À mon avis, la Cour n’a aucune raison de modifier ces conclusions.

[96]  Le demandeur a soutenu que la protonotaire avait commis une erreur en ne comprenant pas que la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 imposait au ministre Garneau l’obligation ou lui conférait le pouvoir de verser l’indemnité accordée, prélevée sur le Trésor. Je ne sais pas avec certitude si le demandeur a soulevé ce point devant la protonotaire. Quoi qu’il en soit, les conclusions de la protonotaire sur l’absence d’un certificat de jugement et l’absence de l’intention requise des auteurs de l’outrage au tribunal aux paragraphes 72 à 79 de ses motifs répondent à mon avis à ces prétentions en ce qui concerne les allégations d’outrage.

[97]  Pour finir, je remarque de façon générale que, dans l’arrêt Carey, la Cour suprême a statué que l’outrage au tribunal ne peut être réduit à un simple moyen de rendre exécutoires des décisions et doit être utilisé [traduction« avec prudence et avec une grande réserve », car il s’agit d’un pouvoir d’exécution de la loi de dernier recours : Carey, au para 36. Les conclusions de la protonotaire sont conformes à ces directives. Dans ce contexte, il convient également de noter que ni le demandeur ni le défendeur ne sont retournés devant le Tribunal dans les mois qui ont suivi le prononcé de sa décision sur les mesures de redressement pour lui demander son aide sur des questions de quantification ni sur l’exécution de son ordonnance. Le Tribunal a déclaré au paragraphe 408 de ses motifs qu’il conservait compétence pour aider à résoudre ces questions.

V.  Décision

[98]  Pour tous ces motifs, l’appel interjeté par le demandeur conformément à l’article 51 des Règles des Cours fédérales contre l’ordonnance de la protonotaire datée du 28 novembre 2019 est rejeté.

[99]  Comme le défendeur a obtenu gain de cause en l’espèce, il a droit aux dépens. Compte tenu des récentes déclarations du demandeur au sujet de son indigence mentionnées par la juge McVeigh dans ses motifs, je fixe ces dépens à une somme globale de 250 $.


 

ORDONNANCE dans l’instance T‑1315‑18

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  • 1) L’appel interjeté par le demandeur en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales contre l’ordonnance de la protonotaire datée du 28 novembre 2019 est rejeté.

  • 2) Le demandeur doit payer au défendeur une somme globale de 250 $ à titre de dépens.

« Andrew D. Little »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1315-18

 

INTITULÉ :

CHRIS HUGHES c COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et TRANSPORTS CANADA

 

LIEU DE RÉSIDENCE :

TORONTO (Ontario)

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À TORONTO (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES rÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 20 OCTOBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Chris Hughes

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Craig Cameron

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Chris Hughes

 

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Daniel Poulin

Craig Cameron

Procureur général du Canada

pour la COMMISSION

POUR LE DÉFENDEUR

 

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