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Date : 20201021

Dossier : IMM-6122-19

Référence : 2020 CF 990

Montréal (Québec), le 21 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

KOKO KIAMUANGANA LUBAMBA PAULO

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

  1. Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Koko Kiamuangana Lubamba Paulo, est citoyen de l’Angola. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 17 septembre 2019 [Décision]. La SAR avait alors confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile de M. Paulo et lui refusant le statut de réfugié ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], au motif que sa demande n’était pas crédible.

[2]  M. Paulo sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la Décision de la SAR. M. Paulo allègue que la SAR a erré en rejetant sa demande d’asile et soumet que la Décision est déraisonnable pour trois principales raisons : 1) la SAR aurait déraisonnablement analysé le rapport médical soumis au soutien de la demande d’asile, en raison notamment d’une erreur de traduction déterminante qui aurait entraîné une violation des règles de justice naturelle; 2) la SAR aurait tiré des conclusions déraisonnables sur l’existence et la gravité des contradictions qui lui sont reprochées; et 3) la SAR aurait erronément conclu à une absence de crainte de persécution en  raison de son retour en Angola. M. Paulo demande à la Cour d’annuler la Décision et de renvoyer l’affaire devant la SAR, afin que sa demande puisse être examinée à nouveau par un tribunal différemment constitué.

[3]  Pour les motifs exposés ci‑après, je vais rejeter la demande de M. Paulo. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SAR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucun motif d’infirmer la Décision. D’une part, je ne suis pas convaincu que l’erreur de traduction identifiée par M. Paulo suite à la Décision de la SAR constitue, dans les circonstances, une erreur grave et importante portant atteinte aux règles de l’équité procédurale. D’autre part, la preuve au dossier et les nombreuses contradictions dans le témoignage de M. Paulo soutiennent raisonnablement les conclusions défavorables de la SAR quant à sa crédibilité et à son absence de crainte de persécution, et les motifs de la SAR possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

  1. Contexte

A.  Les faits

[4]  M. Paulo est citoyen angolais. Jusqu’en décembre 2016, M. Paulo était employé de la société Sonangol [Sonangol] dont la présidente, Madame Isabel Dos Santos, est la fille du président de l’époque en Angola, M. José Eduardo Dos Santos.

[5]  M. Paulo allègue que, suite aux critiques publiques qu’il a formulées à l’égard de décisions prises par Sonangol en novembre 2016, il aurait essuyé des menaces et des humiliations de la part de ses superviseurs et collègues, lesquelles auraient mené à son enlèvement du 29 novembre au 3 décembre 2016. Pendant cet enlèvement, il aurait subi de graves sévices physiques et psychologiques avant d’être libéré. Ayant un voyage d’affaires déjà prévu au Portugal, M. Paulo s’y serait enfui pour près de deux semaines au début du mois de décembre 2016, espérant que la tension résultant de l’enlèvement retombe. À son retour en Angola le 21 décembre 2016, des policiers se seraient présentés chez ses parents pour l’arrêter, mais il aurait réussi à se cacher alors que son père aurait été battu. M. Paulo aurait alors fait l’objet d’un mandat d’arrestation émis par les autorités angolaises en raison, dit-il, de son opposition et de ses critiques des décisions de la fille du président angolais.

[6]  Le 26 décembre 2016, M. Paulo a quitté l’Angola pour demander l’asile aux États-Unis. Il y a déposé une demande d’asile. Toutefois, craignant les politiques anti-migratoires alors en place aux États-Unis, M. Paulo s’est finalement rendu au Canada, où il a demandé l’asile le 11 avril 2017.

B.  Les décisions de la SPR et de la SAR

[7]  Tant la SPR que la SAR ont conclu à l’absence de crédibilité de M. Paulo en raison d’une multitude de contradictions entre le narratif de sa demande d’asile et son témoignage devant les autorités canadiennes d’immigration.

[8]  Dans sa décision, la SPR relève d’abord des contradictions dans la description que M. Paulo a dressée de son enlèvement allégué du 29 novembre 2016, notamment en ce qui a trait à l’heure de l’enlèvement, au nombre de personnes ayant permis qu’il puisse prendre la fuite le 3 décembre suivant, ainsi qu’à la motivation de ses ravisseurs pour le laisser partir. Ainsi, la version rapportée aux autorités américaines parlait d’un enlèvement qui se serait produit à « 11 pm », alors que le Fondement de la demande d’asile [FDA] indique « 1 pm » et le témoignage de M. Paulo « 1 am ». Malgré qu’il puisse s’agir d’une simple erreur de frappe et qu’un « 1 » soit manquant du FDA, la SPR considère qu’il y a là une contradiction entre l’heure présentée à l’écrit (23 heures) et l’heure présentée à l’oral (1 heure du matin). La SPR note également une contradiction au niveau des motivations des ravisseurs de M. Paulo, qui l’auraient libéré tantôt par compassion, tantôt pour des motifs de corruption après avoir trouvé de l’argent sur lui.

[9]  Par la suite, la SPR relève des discordances au niveau de la visite médicale qui a suivi l’enlèvement de M. Paulo. Dans deux courts paragraphes, elle identifie des contradictions dans la mesure où M. Paulo n’a jamais mentionné avoir été hospitalisé dans son FDA ou dans son récit aux autorités américaines, n’a pas été en mesure de nommer à l’audience l’établissement de santé qu’il a visité, et a témoigné avoir été blessé à l’oreille gauche alors que le rapport médical déposé en preuve fait état d’atteintes à l’oreille droite. Dans ses motifs, la SPR ne fait toutefois aucune référence à ce qui s’est avéré être une erreur de traduction au sujet du témoignage de M. Paulo sur la nature des blessures subies à son pied droit.

[10]  Par ailleurs, la SPR note également une contradiction et une omission importantes au cœur d’un évènement central du récit de M. Paulo, soit la date de la descente policière intervenue à son retour en Angola et la remise d’un mandat de capture lors de cette descente. Dans son FDA, M. Paulo a relaté être retourné du Portugal en Angola le 20 décembre 2016 et que « le lendemain à l’aube du 21 décembre, la police est venue chez moi pour frapper à la porte de mon annexe ». Cependant, son FDA ne s’accorde pas avec la présence d’un tampon figurant dans son passeport et attestant qu’il est revenu en Angola le 21 décembre 2016. Qui plus est, la description orale que M. Paulo a faite de cet évènement allégué inclut la remise d’un mandat de capture. Or, l’existence d’un tel document est complètement omise dans le FDA. À cet effet, la SPR remet aussi en question l’authenticité du mandat de capture déposé par M. Paulo étant donné une contradiction entre le nom du service de police apparaissant dans l’en-tête et ceux répertoriés dans la preuve objective, ainsi qu’une différence entre le nom du signataire du mandat et le nom présenté comme étant celui de la personne qui a approuvé le mandat.

[11]  Enfin, la SPR observe que M. Paulo a eu un comportement incompatible avec la crainte subjective de persécution qu’il allègue, en raison de son défaut de demander l’asile en Europe alors qu’il s’y trouvait en décembre 2016 et de sa décision de retourner en Angola, le pays où il aurait été enlevé et torturé peu de temps auparavant. La SPR n’accepte pas l’explication avancée par M. Paulo à l’effet qu’il n’y avait alors pas de mandat émis contre lui et qu’il croyait pouvoir reprendre une vie normale en Angola, tout en y gardant un profil effacé.

[12]  Devant la SAR, M. Paulo a soulevé trois principaux motifs d’appel : le fait que la SPR ait procédé à un examen « microscopique » de sa crédibilité; le fait de n’avoir donné aucune force probante à son rapport médical; et l’appréciation de sa crainte subjective suite à son retour en Angola. Au moment de loger son appel devant la SAR, M. Paulo n’a formulé aucune allégation au niveau d’une quelconque erreur de traduction devant la SPR. J’observe par ailleurs que M. Paulo n’avait soumis aucune nouvelle preuve ni fait de demande d’audience devant la SAR.

[13]  Dans la Décision, la SAR passe la preuve en revue, analyse la transcription de l’audience devant la SPR et retient une foule de contradictions et d’incohérences dans le témoignage de M. Paulo, qu’elle regroupe sous six différents chefs. La SAR procède ainsi à un examen détaillé des éléments suivants : 1) les faits relatifs à l’heure de l’enlèvement allégué du 29 novembre 2016; 2) les motifs de compassion et de nature pécuniaire des geôliers de M. Paulo pour le libérer; 3) les circonstances entourant l’hospitalisation et le rapport médical de M. Paulo; 4) la date de son retour en Angola en décembre 2016; 5) le mandat de capture émis contre M. Paulo; et 6) son défaut de demander l’asile en Europe en décembre 2016 pour plutôt opter de rentrer en Angola. Plus particulièrement, dans son analyse du rapport médical de M. Paulo, la SAR souligne entre autres une contradiction entre le témoignage de M. Paulo quant à la nature de sa blessure au pied droit (une brûlure) et ce que le rapport médical décrit (une perforation). Cinq paragraphes sont consacrés aux blessures et à la preuve médicale de M. Paulo et, aux termes de son analyse, la SAR conclut que la décision de la SPR était « correcte » en ce qui concerne les problèmes de santé de M. Paulo.

[14]  Au final, la SAR confirme l’ensemble de l’analyse de la SPR, et détermine que cette dernière a rendu la décision qui s’imposait en regard de la preuve au dossier.

C.  La norme de contrôle

[15]  Depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative repose dorénavant sur une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (Vavilov au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel de la décision administrative devant une cour de justice; la seconde est celle où la question faisant l’objet du contrôle tombe dans l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov aux para 10, 17; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 27). C’est le cas pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov aux para 17, 53). Aucune de ces situations justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce. La Décision de la SAR est donc, sur le fond, assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[16]  Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes aux para 2, 31). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 47, 74).

[17]  Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). J’observe que cette façon de voir s’inscrit dans la foulée de la directive de l’arrêt Dunsmuir voulant que le contrôle judiciaire porte à la fois sur le résultat et sur le processus (Dunsmuir aux para 27, 47-49). Cela dit, la cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle la cour serait elle-même parvenue si elle s’était trouvée dans les souliers du décideur.

[18]  L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse du fond des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur administratif pour arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). Il importe de rappeler que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et doit encore témoigner d’un respect envers le rôle distinct conféré aux décideurs administratifs (Vavilov aux para 13, 75). La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable s’appuie sur le « respect du choix d’organisation institutionnelle de la part du législateur qui a préféré confier le pouvoir décisionnel à un décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice » (Vavilov au para 46).

[19]  Ceci étant dit, M. Paulo soumet aussi qu’une erreur de traduction a mené la SAR à ses conclusions erronées, et qu’une telle erreur commise par l’interprète constitue un manquement à la justice naturelle et à l’obligation d’équité procédurale. En ce qui concerne de telles questions d’équité procédurale, l’arrêt Vavilov n’a eu aucune incidence sur la démarche à adopter par les cours de révision (Vavilov au para 23).

[20]  Les cours ont généralement décrété que la norme de la décision correcte devait s’appliquer au contrôle de la question de savoir si un organisme administratif a respecté l’obligation d’équité procédurale et les principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Toutefois, la Cour d’appel fédérale a récemment affirmé que les questions d’équité procédurale ne se tranchent pas vraiment selon une norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question juridique qui se pose à la cour de révision: celle-ci doit être convaincue que l’équité procédurale a été respectée. Ainsi, lorsque l’obligation d’un décideur administratif d’agir équitablement est en cause ou qu’une violation des principes de justice fondamentale est invoquée, la cour de révision doit vérifier si la procédure était équitable au vu de l’ensemble des circonstances en jeu (Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union v International Association of Machinists and Aerospace Workers, 2019 FCA 263 aux para 24-25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CFCP] au para 54). Cet examen doit notamment tenir compte des cinq facteurs contextuels composant la liste non exhaustive tirée de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Vavilov au para 77).

[21]  Les questions d’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement, je le rappelle, ne concernent pas le bien-fondé ou le contenu d’une décision rendue, mais se rapportent plutôt au processus suivi. L’équité procédurale comporte deux volets : le droit d’être entendu et la possibilité de répondre à la preuve qu’une partie doit réfuter; et le droit à une audition juste et impartiale devant un tribunal indépendant (Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Il est aussi bien établi que les exigences de l’obligation d’équité procédurale sont « éminemment variables », intrinsèquement souples et tributaires du contexte (Vavilov au para 77; Dunsmuir au para 79), et qu’elles « ne réside[nt] pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20 au para 53). La nature et la portée de l’obligation varieront en fonction de la situation factuelle dont sera saisi l’organisme administratif et de la nature des litiges qu’il sera appelé à résoudre (Baker aux para 23-27; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au para 115). Comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt CFCP« [p]eu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre » (CFCP au para 56).

[22]  Somme toute, lorsque l’équité procédurale est en jeu et que des atteintes à la justice fondamentale sont alléguées dans une demande de contrôle judiciaire, la véritable question est de savoir si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances en cause, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et s’il a accordé aux parties touchées le droit d’être entendues et la possibilité de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51-54).

  1. Analyse

A.  L’erreur de traduction

[23]  M. Paulo prétend d’abord que la SAR aurait déraisonnablement analysé le rapport médical soumis au soutien de sa demande d’asile, en raison notamment d’une erreur de traduction et d’interprétation déterminante qui, selon lui, aurait entraîné une violation des règles de justice naturelle. C’est sur cet argument que M. Paulo a concentré ses représentations à l’audience devant la Cour et sur lequel il table davantage pour justifier l’intervention de la Cour.

[24]  Au soutien de son argument, M. Paulo s’appuie sur l’avis linguistique de M. Normand Raymond, membre de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, qu’il a déposé en preuve. Cet avis linguistique établit qu’à l’audience devant la SPR, l’interprète a commis une erreur dans son interprétation et sa traduction du témoignage de M. Paulo au sujet de son rapport médical. En effet, l’interprète a affirmé que M. Paulo aurait déclaré devant la SPR qu’« ils ont mis le fer chaud sur mon pied droit », alors que les propos de M. Paulo en portugais, soit « Eles me picaram ferro no pé, no pé direito », auraient dû se traduire par « Ils m’ont piqué avec un fer sur le pied, sur le pied droit ». Le Ministre ne conteste pas l’erreur de traduction.

[25]  Cette erreur, dit M. Paulo, est matérielle et déterminante car elle aurait teinté les inférences négatives de crédibilité faites par la SAR à son égard dans la Décision. M. Paulo soutient que ces erreurs constituent un déni de justice naturelle et un manquement à l’obligation d’équité procédurale obligeant la Cour à intervenir.

  • [26] Je ne suis pas persuadé par les arguments de M. Paulo.

(1)  Le cadre juridique

[27]  Parlons d’abord du cadre juridique applicable aux erreurs de traduction et d’interprétation qui peuvent survenir devant un décideur administratif saisi d’une demande d’asile. S’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Mohammadian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CAF 191 [Mohammadian], M. Paulo a raison de dire qu’une personne qui fait une demande d’asile a droit à une traduction et à un interprète qui satisfont « à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance » (Mohammadian au para 4). Je précise d’entrée de jeu que le droit d’un demandeur d’asile à une traduction fidèle pendant une audience devant la SPR est protégé par l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11. Ce n’est donc pas quelque chose que les cours de révision prennent à la légère.

[28]  La norme de traduction et d’interprétation est stricte, mais il n’est toutefois pas nécessaire que la traduction soit sans faille. M. Paulo ne conteste d’ailleurs pas que les traductions n’ont pas à être parfaites et que, pour atteindre le seuil d’une atteinte à l’équité procédurale, les erreurs identifiées doivent être suffisamment sérieuses, réelles et importantes (Tsigehana v Canada (Citizenship and Immigration), 2020 FC 426 [Tsigehana] au para 18; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028 [Siddiqui] aux para 68-72; Bidgoli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 235 [Bidgoli] au para 12; Mah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 853 [Mah] au para 26).

[29]  Au sujet du caractère important des erreurs, la norme requiert que les erreurs de traduction ou d’interprétation influencent « le cœur de la décision de la SPR », « donnent lieu à une ou des conclusion(s) déterminante(s) » et touchent « un aspect central des conclusions de la SPR » pour qu’elles puissent pousser la Cour à conclure qu’une traduction déficiente constitue un manquement à l’équité procédurale (Thsunza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1150 au para 41). Ainsi, selon plusieurs décisions de la Cour, l’erreur de traduction doit « avoir joué un rôle important dans les conclusions que [le décideur] a tirées quant à la crédibilité » (Batres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 981 au para 12; X.Y. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 39 [X.Y.] aux paras 32-33; Gebremedhin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 497 [Gebremedhin] au para 14). Pour d’autres, il ne s’agit pas nécessairement de démontrer que l’erreur d’interprétation a joué un rôle important dans l’analyse du décideur, mais simplement d’établir que l’erreur elle-même est réelle et importante (Akkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1162 au para 22). Toutefois, « lorsque le demandeur établit qu’il y a eu une erreur réelle et importante de traduction, il n’a pas aussi à prouver qu’une conclusion essentielle dans la décision de la SPR était fondée sur l’erreur de traduction pour que la décision soit annulée » [soulignements ajoutés] (Mah au para 26; Bidgoli au para 13). En somme, il ne doit pas s’agir d’une erreur de traduction qui soit insignifiante, qui ne soit pas importante ou qui soit sans conséquence.

[30]  J’ajoute qu’advenant que la traduction ne respecte pas ces critères, les demandeurs d’asile n’ont pas à démontrer qu’ils en ont subi un préjudice réel (Mohammadian au para 4; Casilimas Murcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1182 [Casilimas Murcia] au para 56; Batres au para 12).

[31]  Même si la perfection n’est pas la norme, la traduction doit tout de même toujours satisfaire à la norme de la continuité, de la fidélité, de la compétence, de l’impartialité et de la concomitance (Mohammadian aux para 4-6, 16; Gebremedhin au para 13). Le principe important est celui de la « compréhension linguistique » (R c Tran, [1994] 2 RCS 951 à la p 977; Mohammadian aux para 6, 16). Autrement dit, la question est de savoir si le ou la demandeur(e) d’asile concerné(e) a eu la possibilité de relater son histoire, de comprendre le processus et d’être compris(e) du décideur administratif (X.Y. aux paras 32-33; Batres aux para 10-13). Ainsi, pour constituer une entorse aux règles de l’équité procédurale, les erreurs de traduction doivent revêtir un certain degré de gravité et être de nature telles qu’elles ont nui à la capacité des demandeurs d’asile de répondre aux questions et de présenter leur dossier au décideur.

[32]  Par conséquent, même si M. Paulo n’a pas à prouver l’existence d’un préjudice réel, il doit néanmoins démontrer que l’erreur de traduction alléguée était grave et non négligeable, qu’elle a nui à sa capacité de faire connaître ses prétentions et de répondre aux questions, et qu’elle a joué un rôle important dans les conclusions de la SAR. Toute norme moins exigeante obligerait en fait à la perfection de la traduction et de l’interprétation, ce qui n’est pas le test applicable (Gebremedhin au para 14). Je souligne enfin que c’est à M. Paulo qu’incombe le fardeau de démontrer que l’erreur alléguée était grave et a joué un rôle important dans les conclusions de la SAR (Kidane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 167 au para 23).


(2)  Absence d’atteinte à l’équité procédurale

[33]  Dans la présente demande, je suis d’avis que les allégations d’atteinte à l’équité procédurale de M. Paulo doivent échouer car l’erreur de traduction invoquée ne constituait pas une erreur grave ou non négligeable ayant une incidence importante sur les conclusions tirées par la SAR quant à la crédibilité de M. Paulo. Ces conclusions reposaient plutôt sur une foule d’éléments, dont l’erreur alléguée n’était qu’un ingrédient parmi plusieurs autres. D’autre part, dans les circonstances particulières de M. Paulo, l’erreur de traduction invoquée n’a eu aucun impact sur son audience devant la SPR, sur la décision rendue par la SPR et sur le droit de M. Paulo d’être entendu et de communiquer ses allégations.

a)  L’erreur alléguée est mineure

[34]  M. Paulo ne m’a pas convaincu que l’erreur de traduction identifiée dans l’avis linguistique de M. Raymond peut être considérée comme sérieuse, grave et importante dans les conclusions de la SAR. À mon avis, cette erreur n’est pas suffisante pour vicier la Décision de la SAR ou ses conclusions sur l’absence de crédibilité de M. Paulo, que ce soit au niveau de ses problèmes de santé ou de façon plus globale. Lorsqu’on analyse la Décision dans son ensemble, en épousant l’approche holistique prescrite par l’arrêt Vavilov, il est manifeste que l’erreur de traduction mise en exergue par M. Paulo n’était pas signifiante dans les conclusions de la SAR. Bien au contraire, l’analyse de la SAR reposait sur une série d’éléments qui allaient bien au-delà de l’erreur de traduction identifiée et qui lui ont permis de maintenir les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de M. Paulo. En d’autres mots, l’erreur invoquée est loin d’atteindre le seuil d’une atteinte à l’équité procédurale. Puisque l’erreur n’était pas « importante » et ne passait donc pas ce premier seuil de l’analyse, je n’ai pas à me demander s’il s’agissait d’une « conclusion essentielle » à la Décision de la SAR.

[35]  Je parle d’erreur de traduction au singulier car c’est bien de cela dont il s’agit dans le cas présent. L’avis linguistique de M. Raymond, il importe de le souligner, avait ici une portée extrêmement limitée. Loin de traiter de l’ensemble de l’audience devant la SPR et de contenir une analyse complète de la transcription de l’audience ou de la traduction faite par l’interprète, l’avis ne portait que sur une courte séquence d’environ huit (8) secondes, strictement circonscrite à l’extrait mentionné au sujet du fer posé sur le pied droit de M. Paulo. Je rappelle que M. Paulo n’a pas fourni de traduction en parallèle de toute l’audience devant la SPR. Par conséquent, la Cour peut uniquement se baser sur le très court extrait traduit dans l’avis linguistique (soit quelques secondes d’audience) afin de déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale (Nebret c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 769 [Nebret] au para 12).

[36]  Après avoir soigneusement examiné le dossier et considéré les arguments soulevés par M. Paulo, je conclus que l’erreur invoquée est manifestement d’importance minime. C’est le cas d’abord au niveau de l’analyse des problèmes de santé de M. Paulo et ce l’est encore bien davantage lorsqu’on considère l’ensemble des six éléments examinés par la SAR pour aboutir à sa Décision affirmant les conclusions de la SPR. J’ajoute que rien dans la preuve ne démontre ou même ne suggère que cette erreur ait pu nuire à la capacité de M. Paulo de faire connaître ses prétentions, de répondre aux questions ou de présenter sa demande d’asile devant la SAR ou la SPR (Siddiqui au para 71).

[37]  Dans sa Décision, la SAR a consacré cinq paragraphes aux problèmes de santé invoqués par M. Paulo suite à l’enlèvement allégué du 29 novembre 2016. Au niveau des contradictions qui, selon la SAR, plombaient la crédibilité du récit de M. Paulo, le tribunal a relevé ce qui suit: le fait que l’hospitalisation et la consultation médicale ne soient pas mentionnées dans son FDA; la confusion au niveau de l’endroit où s’est déroulée la consultation (i.e., hôpital ou bureau médical); le caractère détaillé et approfondi de l’examen subi par M. Paulo (incluant des consultations en médecine et en odontologie) alors que sa visite aurait été de courte durée; et la contradiction au niveau de la blessure qu’il invoque à son oreille gauche alors que le rapport médical parle de la droite. La question de la perforation à son pied droit par opposition à une brûlure au fer chaud – laquelle découle de l’erreur de traduction – ne figurait donc que comme un de plusieurs facteurs qui, aux dires de la SAR, ont jeté un discrédit sur l’état de santé de M. Paulo. Je ne suis pas persuadé que, dans les circonstances, cette erreur puisse être qualifiée de sérieuse et importante. D’ailleurs, la SPR n’avait fait aucune allusion à la lésion au pied droit de M. Paulo. En voulant mousser la place de cette erreur de traduction et la hisser au rang d’atteinte à l’équité procédurale, M. Paulo tombe hélas dans le piège de cette approche fragmentaire et du type « chasse au trésor » que les cours de révision doivent se garder d’adopter lors du contrôle judicaire de la décision d’un décideur administratif (Vavilov au para 102).

[38]  Qui plus est, l’analyse des problèmes de santé conduite par la SAR s’insère dans une panoplie d’autres sources de contradiction que la SAR a minutieusement examinées dans sa Décision avant de conclure que la SPR avait rendu la décision qui s’imposait en regard de la preuve au dossier. Je les mentionne à nouveau. Outre l’hospitalisation et les sévices physiques de M. Paulo, la SAR a identifié des incohérences dans : 1) les faits relatifs à l’heure de l’enlèvement allégué du 29 novembre 2016; 2) les motifs de compassion et de nature pécuniaire des geôliers de M. Paulo pour le libérer; 3) la date de son retour en Angola en décembre 2016; 4) le mandat de capture émis contre M. Paulo; et 5) son défaut de demander l’asile en Europe en décembre 2016 pour plutôt décider de rentrer en Angola. Tous et chacun de ces éléments ont été retenus par la SAR pour appuyer ses conclusions quant au manque de crédibilité de M. Paulo et sa Décision de maintenir celle de la SPR. Les circonstances entourant l’hospitalisation et le rapport médical de M. Paulo – d’où a émergé l’erreur de traduction – n’étaient donc qu’un parmi plusieurs composantes étoffant la Décision de la SAR.

[39]  Je dois donc constater que l’extrait sur lequel M. Paulo insiste pour faire invalider la Décision de la SAR est exploité hors contexte et sans les nuances nécessaires, illustrant encore davantage les risques de cette approche « chasse au trésor » que décourage la Cour suprême. Replacées, comme il se doit, dans le contexte plus global de la Décision lue dans son ensemble, les quelques secondes de traduction erronées perdent assurément le panache dont M. Paulo voudrait les coiffer.

[40]  Je rappelle à nouveau qu’il n’y a aucune preuve d’autres erreurs de traduction qui toucheraient quelque autre conclusion de la SAR ou de la SPR. Avec la preuve dont la Cour dispose, il est donc difficile de voir de quelle façon l’erreur de traduction invoquée pouvait être en soi grave et non négligeable et comment elle aurait pu influencer de façon signifiante le résultat de l’analyse de la SAR. De plus, M. Paulo n’a pas démontré en quoi cette courte erreur de traduction aurait nui à sa capacité de présenter son dossier et de répondre aux questions ou aurait joué un rôle important dans les conclusions de la SAR. Autrement dit, l’erreur invoquée ne suffit pas pour m’amener à conclure que M. Paulo n’aurait pas bénéficié d’un service d’interprétation continu, précis et impartial lors de l’audience devant la SPR (Mohammadian au para 4).

[41]  Je ne souscris pas à l’opinion de M. Paulo qui semble suggérer que, selon la décision Bidgoli, il serait permis de conclure à un manquement à l’équité procédurale même en présence de problèmes de traduction anodins ou sans gravité. M. Paulo n’est peut‑être pas tenu de démontrer que l’erreur de traduction lui a causé un préjudice réel, ou qu’une conclusion « essentielle » dans la décision de la SAR ait été fondée sur cette erreur de traduction, mais cette dispense ne s’étend pas aux erreurs de traduction qui sont mineures et qui ne nuisent pas à sa capacité de faire connaître ses prétentions et de répondre aux questions. Selon ce qu’exige la jurisprudence, pour pouvoir conclure à un manquement à l’équité procédurale, il faut que la traduction présente des problèmes graves et non négligeables. Une norme moins exigeante obligerait à la perfection, et il suffirait d’une seule petite erreur pour justifier la tenue d’une nouvelle audience. Or, ce n’est pas à cette enseigne que logent les principes énoncés par l’arrêt Mohammadian et par l’ensemble des décisions émises dans son sillon.

b)  L’erreur alléguée est au niveau de la SAR

[42]  Un autre élément important éloigne l’erreur de traduction invoquée par M. Paulo d’une atteinte à l’équité procédurale. Il s’agit du contexte inusité dans lequel s’insère l’allégation de M. Paulo au sujet de cette erreur de traduction, un contexte que je considère particulièrement révélateur.

[43]  Contrairement à ce qui est généralement le cas lorsque sont invoquées des erreurs de traduction dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SPR ou de la SAR, le recours de M. Paulo à l’encontre de la Décision de la SAR en est un où la question de l’erreur de traduction n’avait été soulevée ni devant la SPR, ni devant la SAR. Ce n’est qu’à la lecture de la Décision de la SAR que M. Paulo a repéré une erreur de traduction dans les transcriptions d’audience sur lesquelles la SAR s’est appuyée dans sa Décision. Je note d’ailleurs que M. Paulo avait déposé devant la SAR la transcription de l’audience à la SPR sans pour autant y pointer quelque erreur de traduction que ce soit. La situation de M. Paulo est donc profondément différente des précédents comme Mah, Siddiqui ou Bidgoli sur lesquels il s’appuie lourdement dans ses soumissions.

[44]  Il ne fait aucun doute que l’erreur de traduction aujourd’hui invoquée par M. Paulo n’a joué strictement aucun rôle dans la décision de la SPR sur la crédibilité de M. Paulo car, dans ses motifs, la SPR n’a fait aucunement référence au passage aujourd’hui incriminé.

[45]  Comme l’a fait valoir le Ministre lors de l’audience, il est important de mettre le tout dans la perspective du rôle dévolu à la SAR dans le cadre d’appels de décisions de la SPR (Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 [Kreishan] aux para 41-44). La SAR sert somme toute de « filet de sécurité » pour rattraper les erreurs de droit ou de fait qui ont pu être commises par la SPR (Kreishan au para 41, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 88, 98). Dans l’exercice de son rôle de tribunal d’appel, la SAR procède à une analyse indépendante, et elle doit examiner les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte (Kreishan au para 43). La norme de la décision correcte permet aux appelants d’espérer qu’une deuxième audience aboutira à une issue différente devant la SAR, même avec le même dossier et sans témoignage verbal (Kreishan au para 45). Mais, ici, la SAR n’a repêché aucune erreur de la SPR qui aurait impliqué la traduction en cause.

[46]  M. Paulo n’a pu identifier aucun précédent similaire à la situation dont je suis saisi aujourd’hui, soit un cas où l’erreur de traduction n’a jamais été soulevée devant la SPR ou la SAR, où l’erreur de traduction n’a clairement eu aucune incidence sur la décision de la SPR, et où l’erreur de traduction n’émerge qu’au terme de la décision rendue par la SAR. La Cour a pu dénombrer une dizaine de décisions où une question de traduction et les principes des décisions Mohammadian et Mah ont été considérés dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SAR (Tsigehana; Dalirani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 258; X.Y.; Casilimas Murcia; Defaite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 620; Nebret; Gebremedhin; Abegaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 306; Siddiqui). Aucune d’entre elles n’impliquait une situation comme celle dans laquelle se retrouve M. Paulo. Dans tous les cas, la question de l’erreur de traduction avait effectivement été soulevée au préalable, soit devant la SPR soit devant la SAR, et portait sur une erreur de traduction qui avait eu un impact quelconque (mais pas toujours « important ») sur la décision rendue par la SPR à l’origine. Toutes soulevaient des situations d’erreurs de traduction survenues pendant la première audience devant la SPR et qui pouvaient être de nature à violer le droit des demandeurs d’être entendus et de pouvoir présenter leur dossier.

[47]  Même si, lors de l’audience devant la Cour, M. Paulo et son avocat ont habilement tenté de brandir l’étendard des principes d’équité procédurale et de justice naturelle pour qualifier l’erreur de traduction en cause, je suis d’avis que ce n’est pas du tout ce dont il s’agit dans le présent cas. On ne peut pas faire automatiquement rimer erreur de traduction avec atteinte à l’équité procédurale. Bien au contraire, la jurisprudence de la Cour (que j’ai discutée plus tôt) enseigne que les erreurs de traduction doivent satisfaire certaines exigences avant de pouvoir être qualifiées d’atteinte à l’équité procédurale. Notamment celle d’être suffisamment grave et importante. Or, dans le cas de M. Paulo, l’erreur de traduction alléguée est loin d’être suffisamment importante et déterminante pour constituer une violation de justice naturelle.

[48]  L’équité procédurale, je le souligne encore, vise à assurer, en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, que le processus suivi par le décideur administratif soit équitable et donne aux parties le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre. Dans le cas de M. Paulo, je ne décèle rien qui pourrait me permettre de conclure que l’erreur de traduction invoquée dans la décision de la SAR ait enfreint son « droit d’être entendu » ou la possibilité pleine et équitable de faire valoir ses droits eu égard à sa demande d’asile.

[49]  J’ajoute la remarque suivante. Il y a certes un courant jurisprudentiel suivant lequel une atteinte aux principes d’équité procédurale, et en particulier au droit d’être entendu, doit normalement se traduire « par une mise à l’écart de la décision fautive, sans égard aux conséquences qu’a pu avoir la violation sur la décision » (Girouard c Canada (Procureur général), 2020 CAF 129 au para 95; Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 au para 23). Cependant, comme l’a rappelé la Cour suprême dans Vavilov, cet énoncé n’est pas absolu et une exception doit être faite lorsque l’erreur commise par l’organisme administratif n’est pas déterminante et que le résultat aurait inéluctablement été le même en l’absence de la violation (Vavilov aux para 140-142; Mobil Oil Canada Ltd. c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 [Mobil Oil] aux pp 228‑230; Entertainment Software Assoc. v Society Composers, 2020 FCA 100 [Society Composers] aux para 99-100; Robbins c Canada (Procureur général), 2017 CAF 24 aux para 16-22). La discrétion des cours de révision d’accorder ou de ne pas accorder de réparation existe tant dans le contexte d’erreurs procédurales qu’en présence d’erreurs substantives (Society Composers au para 99).

[50]  Dans le même esprit que ce que j’ai indiqué dans Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 [Dugarte de Lopez] CF 306 au sujet d’une décision « déraisonnable » sur le fond, je suis d’avis que la discrétion des cours de révision de ne pas retourner au décideur administratif une décision qui serait entachée d’une atteinte à l’équité procédurale déraisonnable doit s’exercer soigneusement, avec prudence et parcimonie, et se limiter aux rares cas où le contexte ne peut qu’inéluctablement mener à un seul résultat et où l’issue ne laisse aucun doute. Or, même si j’avais conclu à l’existence d’une atteinte à l’équité procédurale en raison de l’erreur de traduction alléguée par M. Paulo, j’estime que nous nous serions retrouvés dans l’une de ces situations d’exception visées par Mobil Oil. En d’autres mots, avec ou sans l’erreur de traduction, la conclusion de la SAR confirmant la décision de la SPR et rejetant la demande d’asile de M. Paulo aurait été inéluctable.  

B.  Les contradictions de M. Paulo et la crédibilité

[51]  M. Paulo soumet par ailleurs que la SAR aurait tiré des conclusions déraisonnables sur l’existence et la gravité des contradictions qui lui sont reprochées, et qu’il s’agit d’un autre motif pour exiger l’intervention de la Cour, cette fois sur le fond de la Décision de la SAR. À cet effet, M. Paulo recense une série de contradictions identifiées par la SAR qu’il considère comme étant le reflet d’une analyse « microscopique » des faits. Or, dit-il, ce ne sont pas toutes les incohérences et contradictions qui peuvent autoriser la SAR à tirer une inférence négative sur la crédibilité générale d’un demandeur d’asile (Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 772 [Mohacsi] au para 20).

[52]  Ainsi, au sujet de l’explication contradictoire quant à la libération par ses ravisseurs, M. Paulo ne considère pas qu’une contradiction existe entre le fait que les ravisseurs l’aient libéré par compassion, et le fait que ceux-ci aient reçu de l’argent de sa part pour le laisser partir. De plus, selon M. Paulo, la SAR n’aurait pas dû lui tenir rigueur de s’être trompé sur la date de la visite des policiers, lorsqu’il a témoigné que ceux-ci étaient venus chez lui le 20 décembre alors qu’il est retourné en Angola le 21. M. Paulo soutient que cette erreur s’expliquerait par son long trajet de retour en Angola impliquant trois escales à travers deux fuseaux horaires. En tout état de cause, M. Paulo soutient qu’il a toujours été constant quant au moment de la visite des policiers, c’est-à-dire le jour même de son retour en Angola. Enfin, M. Paulo prétend que la SAR aurait déraisonnablement conclu à l’existence d’une divergence sur l’heure de son enlèvement entre la version fournie aux autorités américaines et celle apparaissant dans son FDA. M. Paulo soutient que le programme de traduction utilisé aurait causé cette coquille. En tout état de cause, il maintient qu’il n’y a pas une divergence importante entre ces deux histoires, les deux situant l’enlèvement en début de nuit. M. Paulo soumet qu’il a offert une explication tout à fait raisonnable dans son mémoire d’appel pour justifier ces incohérences mineures.

[53]  Au sujet de son hospitalisation et de ses blessures suite à l’enlèvement, M. Paulo considère que la SAR a analysé son rapport médical de manière déraisonnable en identifiant des contradictions qui n’en seraient pas. Ainsi, M. Paulo soumet que, dans ses motifs, la SAR aurait soulevé une contradiction erronée quant au fait qu’il aurait témoigné avoir cherché des soins dans un hôpital alors que le certificat médical indique une clinique médicale, soit le bureau médical de Jadelle (lequel fait partie de l’hôpital). Il critique aussi la SAR pour avoir vu une contradiction entre l’examen médical approfondi qu’il dit avoir subi et son témoignage à l’effet qu’il ne soit resté qu’une heure ou deux à l’hôpital. Enfin, il maintient que la SAR aurait erronément retenu que le rapport médical indique clairement que M. Paulo s’est présenté aux services de médecine et d’ontologie alors qu’il ne mentionne pas lui-même avoir consulté deux médecins. 

[54]  Je ne suis pas d’accord avec les prétentions de M. Paulo, et je ne partage pas sa lecture de la Décision.

[55]  Dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], j’ai résumé les principes régissant la façon dont un décideur administratif comme la SPR ou la SAR doit apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile (Lawani aux para 20-26). En appliquant ces principes, je conclus qu’à tous égards, la Décision de la SAR est raisonnable. Dans le cas de M. Paulo, les lacunes dans la preuve soumise et l’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments cruciaux de sa demande d’asile appuient amplement la conclusion défavorable tirée par la SAR au sujet de son manque de crédibilité (Lawani au para 21). J’ajoute que les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne découlaient pas de contradictions mineures qui étaient secondaires ou périphériques à la demande d’asile de M. Paulo; les incohérences touchaient plutôt au cœur même du récit avancé par ce dernier, soit les circonstances qui ont entouré son enlèvement allégué, les blessures qui en ont résulté, sa libération et son retour en Angola.

[56]  Je ne conteste pas que ce ne sont pas toutes les incohérences et invraisemblances qui peuvent justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité. En effet, un décideur administratif ne doit pas effectuer une analyse trop zélée de la preuve et examiner à la loupe des éléments qui ne sont pas pertinents ou s’avèrent accessoires à la revendication d’un demandeur d’asile. Une conclusion défavorable quant à la crédibilité ne devrait pas se fonder sur un examen dit « microscopique » de questions secondaires ou périphériques à une demande d’asile (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) [Attakora] au para 9; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 [Cooper] au para 4; Lubana c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 116 [Lubana] au para 11). Cependant, même si elles peuvent être insuffisantes lorsqu’elles sont examinées une à une ou isolément, l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions concernant des éléments cruciaux d’une demande d’asile peut appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur (Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 178 au para 19; Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262 au para 1).

[57]  À la lecture du rapport médical et de la preuve au dossier, je ne suis pas persuadé que les contradictions soulevées par la SAR étaient déraisonnables. Il est inexact de dire que le rapport médical soumis par M. Paulo concordait parfaitement avec son témoignage. Par exemple, M. Paulo occulte notamment complètement la question de sa blessure à l’oreille, pour laquelle la référence à l’oreille droite contenue au rapport médical contredit directement son témoignage sur des séquelles à son oreille gauche. Aussi, je suis d’avis qu’il était loisible pour la SAR de voir dans certains éléments du rapport médical (comme la dénomination « bureau médical », la référence aux deux départements de médecine et d’odontologie et la mention de la blessure à l’oreille droite) des contradictions entre ce rapport et le témoignage de M. Paulo sur ces sujets, et de conclure que les différences identifiées jetaient du discrédit sur son état de santé suite à son enlèvement. L’enlèvement de M. Paulo, je le rappelle, constituait le nerf de sa demande d’asile et de sa crainte de persécution, et il méritait assurément un examen rigoureux et serré de la part de la SAR.

[58]  Je souligne que la question dont je suis saisi n’est pas de savoir si les interprétations proposées par M. Paulo pourraient elles-mêmes s’avérer défendables, acceptables ou raisonnables. C’est plutôt en regard de l’interprétation retenue par la SAR que je dois me poser cette question. Le fait qu’il puisse y avoir d’autres interprétations raisonnables des faits ne signifie pas en soi que l’interprétation retenue par la SAR était déraisonnable. Ce serait appliqué indirectement la norme de la décision correcte, ce que l’arrêt Vavilov a expressément rappelé aux cours de révision de ne pas faire.

[59]  Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que l’analyse de la SAR puisse être qualifiée de « microscopique ». Je m’arrête un instant sur cet argument de l’approche « microscopique », qui revient comme un refrain dans les soumissions de Paulo et sur lequel celui-ci se fonde abondamment pour faire invalider la Décision de la SAR. Avec égards, je suis d’avis que M. Paulo se méprend sur la signification des précédents invoqués et sur les situations dans lesquelles une approche dite « microscopique » peut donner ouverture à une intervention de la Cour. En fait, M. Paulo évacue complètement une dimension essentielle des autorités qu’il cite sur cette question de l’approche « microscopique ». Comme l’a clairement exprimé la cour dans les décisions Attakora, Lubana ou Mohacsi, l’approche d’un décideur administratif ne peut se voir taxée d’être « microscopique » (et appeler l’intervention d’une cour de révision) que lorsqu’elle s’accroche à des éléments qui sont sans pertinence, périphériques ou accessoires à la revendication des demandeurs d’asile.

[60]  Une analyse ne devient pas « microscopique » ou trop zélée parce qu’elle est exhaustive. Ce n’est pas le caractère fouillé, détaillé ou minutieux de l’analyse ou de l’examen opéré par un décideur administratif qui lui confère un caractère « microscopique ». Bien au contraire, une telle approche traduit plutôt la rigueur à laquelle on est en droit de s’attendre d’une analyse d’un décideur administratif. En fait, je dirais même que cette rigueur est maintenant de mise pour satisfaire l’exigence d’une décision « justifiée » établie par l’arrêt Vavilov. L’analyse d’un décideur administratif ne bascule dans le « microscopique » que lorsqu’elle dérive vers des éléments secondaires et périphériques et qu’elle sombre alors dans un examen de contradictions anodines, peu pertinentes on non pertinentes à l’objet de la demande d’asile. C’est là que l’intervention de la Cour peut être requise.

[61]  En l’espèce, l’examen conduit par la SAR ne visait aucunement des contradictions ou des incohérences sans pertinence, anodines ou périphériques aux allégations de persécution de M. Paulo. Bien au contraire, les facteurs et éléments qui émaillent les motifs de la SAR portaient sur des incidents précis qui se situaient au cœur même du récit avancé par M. Paulo pour justifier sa demande de protection. En somme, la Décision de la SAR ne mérite en rien le qualificatif réprobateur de « microscopique » que M. Paulo cherche à lui faire porter.

[62]  J’ajoute par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire que les motifs d’une décision soient parfaits ou même exhaustifs. Il suffit qu’ils soient compréhensibles et justifiés. La norme de contrôle de la décision raisonnable ne porte pas sur le degré de perfection de la décision, mais plutôt sur son caractère raisonnable (Vavilov au para 91; Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000 au para 29). Cette norme exige que la cour de révision commence par la décision et la reconnaissance du fait que le décideur administratif a la responsabilité première d’effectuer les déterminations factuelles. De telles conclusions commandent la déférence. La cour de révision examine les motifs, le dossier et le résultat et, s’il existe une explication logique et cohérente justifiant le résultat obtenu, elle s’abstient d’intervenir.

[63]  Suite à l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance et s’affichent comme le point de départ de l’analyse. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite » et à se prémunir contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision. Or, dans le cas de M. Paulo, je suis satisfait que les motifs de la Décision de la SAR justifient la décision de manière transparente et intelligible (Vavilov aux paras 81, 136; Société canadienne des postes aux para 28-29; Dunsmuir au para 48). Ils démontrent que la SAR a suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique dans son analyse et que la Décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur la SAR et sur la question en litige (Société canadienne des postes au para 30, citant Vavilov aux paras 105-107). En bout de piste, les erreurs alléguées par M. Paulo ne m’amènent pas « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (Vavilov au para 123).

[64]  En l’espèce, je suis satisfait que l’on peut suivre le raisonnement de la SAR sans buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique, et que les motifs contiennent un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement amener la SAR, en regard de la preuve et des contraintes juridiques et factuelles pertinentes, à conclure comme elle l’a fait (Vavilov au para 102 ; Société canadienne des postes au para 31). La Décision ne souffre d’une lacune grave qui viendrait brider l’analyse et qui serait susceptible de porter atteinte aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Au final, les arguments avancés par M. Paulo sur les contradictions et les incohérences expriment d’abord et avant tout son désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SAR. M. Paulo invite en fait la Cour à préférer son opinion et son redécoupage de la preuve à l’analyse faite par la SAR. Or, ce n’est pas là le rôle d’une cour de révision en matière de contrôle judiciaire.

C.  Le retour en Angola

[65]  M. Paulo fait enfin valoir que la SAR aurait déraisonnablement conclu que son retour en Angola suite à son séjour en Europe établissait une absence de crainte de persécution et entachait une fois de plus sa crédibilité. Il avance avoir clairement expliqué qu’à cette date, il n’était pas encore recherché par la police et qu’il était rentré au pays pour voir si la tension et les risques à sa vie s’étaient estompés, de manière à pouvoir demeurer en Angola. Selon M. Paulo, la SAR aurait erronément conclu que, malgré l’absence de mandat d’arrestation au moment de son départ pour l’Europe, une personne ayant une crainte légitime se trouvant dans la situation de M. Paulo y aurait demandé l’asile suivant son enlèvement, sans retourner en Angola.

[66]  Encore une fois, je suis en désaccord avec M. Paulo et suis d’opinion qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une telle conclusion.

[67]  M. Paulo a expliqué que ses ravisseurs ne savaient pas où il habitait. Conséquemment, il pensait raisonnablement qu’il pourrait demeurer en sécurité en restant à Luanda, la capitale de l’Angola. M. Paulo souhaitait retrouver une vie normale dans son pays, ce qui selon lui est une explication plausible. Mais là n’est pas la question. La question est de savoir si l’interprétation de la preuve par la SAR était raisonnable. Or, je ne vois rien de déraisonnable à conclure que le retour volontaire d’un demandeur d’asile dans le pays où il allègue avoir été enlevé et torturé et souffrir de persécution, à peine trois semaines après l’enlèvement qu’il dit être à la source de sa crainte de persécution, ne constitue pas un comportement compatible avec celui d’une personne ayant une crainte légitime de persécution. Peu importe qu’un mandat d’arrestation ait alors été émis contre lui ou non, la décision de M. Paulo de rentrer en Angola se conciliait plutôt mal avec la crainte de persécution qu’il prétendait avoir dans ce pays.

IV.  Conclusion

[68]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Paulo est rejetée. Je ne décèle rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SAR et dans ses conclusions sur le manque de crédibilité de M. Paulo. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SAR sur les contradictions et les incohérences de M. Paulo possède les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et que la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. Selon la norme du caractère raisonnable, il suffit que la Décision soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et soit justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. C’est le cas en l’espèce.

[69]  Au surplus, à tous égards, la SAR a respecté les règles de l’équité procédurale dans son traitement du dossier de M. Paulo et l’erreur de traduction identifiée par M. Paulo dans la Décision de la SAR ne possède pas les attributs de gravité et d’importance nécessaires pour constituer une atteinte à l’équité procédurale justifiant l’intervention de la Cour.

[70]  Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.

JUGEMENT au dossier IMM-6122-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-6122-19

 

INTITULÉ

KOKO KIAMUANGANA LUBAMBA PAULO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE:

AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 10 juin 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS:

LE 21 OCTOBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Guillaume Cliche-Rivard

 

Pour le demandeur

 

Me Mario Blanchard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cliche-Rivard, Avocats inc.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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