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Date : 20050405

Dossier : T-1225-03

Référence : 2005 CF 447

Saskatoon (Saskatchewan), le 5 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGEHENEGHAN                         

ENTRE :

                                                             RUNO CAIRENIUS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                    LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

                                                                             et

                                          L'ÉTABLISSEMENT DE WARKWORTH

                             REPRÉSENTÉ PAR LE DIRECTEUR YVAN THIBAULT

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION


[1]                M. Runo Cairenius (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par Cheryl Fraser pour le compte du Service correctionnel du Canada (SCC) vers le 11 juin 2003. Dans cette décision, le grief au troisième palier du demandeur déposé en application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) et du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement) a été rejeté.

CONTEXTE

[2]                Le demandeur est un détenu de l'établissement de Warkworth, situé en Ontario. Vers le 22 mai 2002, la cellule du demandeur a fait l'objet d'une inspection courante par le personnel du SCC. Un certain nombre d'articles ont été découverts, dont de nombreuses pièces électroniques et des gadgets, des manuels et des revues. D'après l'affidavit d'Andrea Hale, chef d'unité de l'établissement de Warkworth, le membre du personnel du SCC qui a effectué l'inspection a remarqué qu'un livre ou un manuel sur l'électronique a été découvert dans la cellule du demandeur, ouvert à une page qui portait sur la construction de ce que le défendeur a présumé être des « dispositifs incendiaires » .

[3]                D'après l'affidavit de Mme Hale, le sous-directeur Arbuckle a donné une directive en date du 24 mai 2002 enjoignant « de retirer des parties du contenu de la cellule de M. Cairenius » . Le demandeur a été placé en isolement préventif le 23 mai 2002 et y est demeuré jusqu'au 4 juin 2002.


[4]                Au dire de Mme Hale, le contenu de la cellule du demandeur a été retiré, le 24 mai 2002, par deux surveillants correctionnels du SCC et a été placé dans une pièce verrouillée pour être trié et vérifié. Selon l'affidavit de Mme Hale, le personnel du SCC a rempli plusieurs « formulaires de retrait d'effets personnels de la cellule » énumérant tous les articles ayant été retirés de la cellule. Au cours d'une période de plusieurs jours, les articles ont été examinés par du personnel du SCC et classés dans l'une des quatre catégories suivantes : a) articles autorisés; b) articles interdits; c) articles non autorisés; d) ordures.

[5]                D'après l'affidavit du demandeur déposé dans la présente demande, il a obtenu l'autorisation d'observer ce processus de tri en plusieurs occasions à compter du 24 mai 2002. À ce moment-là, plusieurs articles lui ont été remis. Selon l'affidavit de Mme Hale, le demandeur a assisté à la fin de l'examen et a été informé des catégories dans lesquelles ses effets avaient été classés. Mme Hale a également témoigné du fait qu'au moment de sa libération de l'isolement le 4 juin 2002, des articles autorisés ont été remis au demandeur, des articles interdits ont été saisis, des ordures ont été jetées et des articles non autorisés ont été remis au service d'admission et d'élargissement pour être acheminés à un parent. Il semble qu'aucune adresse d'acheminement n'a été fournie.


[6]                Le demandeur a par la suite allégué qu'un certain nombre d'articles qui se trouvaient dans sa cellule le 22 mai 2002 n'avaient pas été inventoriés. Les articles, au nombre total de 103, ont été évalués par le demandeur à une somme de 1 032,52 $ et font l'objet de la procédure de règlement des griefs et de la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a déposé une Présentation d'un grief par un détenu (premier palier) (grief au premier palier) conformément à la procédure de règlement des griefs des délinquants décrite dans la Directive du commissaire 081, intituléePlaintes et griefs des délinquants (DC 081). Le demandeur allègue que le SCC a omis de lui remettre ces articles et, pour ce motif, demande d'être dédommagé.

[7]                Le 21 janvier 2003, le directeur Thibault a rejeté ce grief au premier palier, en s'appuyant notamment sur un rapport dressé le 10 janvier 2003 par le surveillant correctionnel Jack Deen. M. Deen conclut qu'il y avait un certain nombre de lacunes dans la demande présentée par le demandeur et recommandait que la demande soit totalement rejetée.

[8]                Dans sa décision, le directeur a indiqué qu'aucune preuve ne lui permettait de conclure que le SCC a fait preuve de négligence dans la manipulation des effets personnels du demandeur. Il a affirmé que pour prendre sa décision, il a tenu compte des formulaires de retrait d'effets personnels de la cellule remplis par le personnel du SCC, des autres griefs déposés par le demandeur relativement à l'enquête du SCC et des réponses à ces demandes qui sont pertinentes.


[9]                Le 10 février 2003, le demandeur a déposé une Présentation d'un grief par un détenu (deuxième palier) (grief au deuxième palier) à titre d'appel de la décision du directeur. Ce grief au deuxième palier a été rejeté le 6 mars 2003 par le sous-commissaire régional sur la foi d'une enquête menée par Larry Kirby, représentant régional de l'administration régionale (Ontario). Cette enquête comportait un examen du matériel contenu dans le dossier du grief au premier palier, d'autres documents justificatifs et des entrevues réalisées par téléphone ou en personne avec les membres du personnel concernés et d'autres personnes. Dans sa décision, le sous-commissaire régional a tiré les conclusions suivantes :

[traduction] Vous aviez de nombreux articles non autorisés dans votre cellule. Il a été disposé de certains d'entre eux avec votre autorisation. D'autres ont été emballés dans des boîtes pour être entreposés au service d'admission et d'élargissement jusqu'à ce que vous fournissiez une adresse pour les y envoyer. À ce jour, vous n'avez pas fourni d'adresse pour l'envoi de ces articles. Certains éléments de preuve révèlent que vous avez présenté des demandes touchant certains articles détruits ou dont il a été disposé, et certains articles qui ont excédé leur durée de vie utile, ce qui indique qu'ils n'ont plus de valeur pécuniaire. Certains éléments de preuve établissent que vous avez modifié la configuration de certains articles, en faisant des articles non autorisés.

[10]            Le demandeur a présenté un grief au troisième niveau le 12 mai 2003. Ce grief a été rejeté le 11 juin 2003 par Cheryl Fraser, commissaire adjointe. Elle a fondé sa décision sur une analyse effectuée par Michael Comeau, qui a conclu que le demandeur ne pouvait pas réclamer les articles énumérés dans son grief parce qu'aucun de ceux-ci n'était énuméré dans les feuilles sur les effets personnels du détenu (retrait de la cellule). Dans sa décision, Mme Fraser a affirmé ce qui suit :

[traduction] Aucun élément de preuve ne laisse croire que le personnel correctionnel chargé de retirer et de trier vos effets a enfreint les dispositions de la loi et de la politique dans l'exercice de ses fonctions. Pour ce motif, contrairement à ce qui est dit dans votre grief, vous ne pouvez pas demander de dédommagement pour des articles qui n'étaient pas énumérés dans les feuilles sur les effets personnels du détenu (retrait de la cellule).


EXPOSÉ ET DISPOSITIF

[11]            La seule question en litige qui découle de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si le défendeur, le SCC, a commis une erreur susceptible de révision en rejetant le grief au troisième palier du demandeur.

[12]            L'article 90 de la Loi, qui porte sur la procédure de règlement des griefs des détenus, prévoit ce qui suit :


Est établie, conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

There shall be a procedure for fairly and expeditiously resolving offenders' grievances on matters within the jurisdiction of the Commissioner, and the procedure shall operate in accordance with the regulations made under paragraph 96(u).


Le Règlement pris en application de l'alinéa 96u) prévoit une procédure officielle de présentation de griefs en quatre paliers. La DC 081 décrit cette procédure.

[13]            Premièrement, un grief est déposé sous forme de plainte, ce qui donne lieu à une réponse. Si cette démarche est insatisfaisante, il peut s'ensuivre un grief au premier palier, considéré comme le palier institutionnel. Si un grief au deuxième palier est présenté, il est traité à l'échelon régional. Si la réponse obtenue demeure insatisfaisante, il est possible d'avoir recours à un grief au troisième palier à l'échelon national. La décision définitive prise au troisième palier peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.


[14]            Dans l'arrêt Tehrankari c. Service correctionnel du Canada (2000), 188 F.T.R. 206 (C.F. 1re inst.) à la page 218, le juge Lemieux a traité des normes d'examen applicables à diverses décisions administratives rendues dans le contexte carcéral. Pour que les décisions reposant sur des constatations de fait, la norme adéquate est celle de la décision manifestement déraisonnable :

Pour conclure sur ce point, je suis d'avis qu'il faut appliquer la norme de la décision correcte si la question porte sur la bonne interprétation de l'article 24 de la Loi, mais la norme de la décision raisonnable simpliciter si la question porte soit sur l'application des principes juridiques appropriés aux faits soit sur le bien-fondé de la décision de refus de corriger les renseignements dans le dossier du délinquant. La norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique aux pures questions de fait (paragraphe 18.2(4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7.)

[15]            En l'espèce, le décideur au troisième palier a fait la constatation de fait suivante :

[traduction] Aucun élément de preuve ne laisse croire que le personnel correctionnel chargé de retirer et de trier vos effets a enfreint les dispositions de la loi et de la politique dans l'exercice de ses fonctions. Pour ce motif, contrairement à ce qui est dit dans votre grief, vous ne pouvez pas demander de dédommagement pour des articles qui n'étaient pas énumérés dans les feuilles sur les effets personnels du détenu (retrait de la cellule).

En outre, le seul fait qu'un article figure sur votre permis d'art et d'artisanat ne constitue pas une preuve qu'il se trouvait dans votre cellule lorsque vos effets ont été retirés. Comme il a été mentionné précédemment, il n'est possible d'attester la présence que des articles énumérés sur vos feuilles sur les effets personnels du détenu (retrait de la cellule) au titre des articles présents quand les agents ont fait l'inventaire de vos effets.

Suivant ce principe, vous n'avez pas fourni de preuve établissant la négligence du Service. Par conséquent, votre grief est rejeté.


[16]            Cette explication du rejet du grief au troisième palier du demandeur laisse croire qu'il était en partie responsable des articles se trouvant dans sa cellule, ce qu'appuie la Directive du commissaire 090, intitulée Effets personnels des détenus. L'article 9 de ce document prévoit ce qui suit :

9. Chaque détenu doit accepter, par écrit, la responsabilité de la bonne garde et de l'utilisation raisonnable de ses effets personnels conservés dans sa cellule. De plus, chaque détenu doit s'assurer que les relevés de ses effets personnels sont à jour en signalant tout changement à l'agent compétent, y compris les objets d'art et d'artisanat achevés qu'il conserve pour son usage personnel.

[17]            Le demandeur a déposé un volumineux dossier, y compris des documents dont la pertinence est douteuse. Toutefois, il n'a pas déposé de copies claires des formulaires sur le contenu de sa cellule. Dans ces circonstances, je suis convaincue que la décision de l'arbitre s'appuie sur une preuve raisonnable. L'intervention judiciaire ne se justifie pas et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                        ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je n'adjugerai aucuns dépens.

« E. Heneghan »

__________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-1225-03

INTITULÉ :                                         RUNO CAIRENIUS

demandeur

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

et ÉTABLISSEMENT DE WARKWORTH représenté par le directeur Yvan Thibault

défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 6 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 avril 2005          

COMPARUTIONS :

Runo Cairenius

POUR LE DEMANDEUR

Roslyn Mounsey

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Runo Cairenius

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

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