Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200924


Dossier : IMM‑5415‑19

Référence : 2020 CF 929

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

XITANG ZHAO (ALIAS XI TANG ZHAO)

YUEQUN ZHAO (ALIAS YUE QUN ZHAO)

YONGHONG ZHAO (ALIAS YONG HONG ZHAO) JIAWEN ZHAO (ALIAS JIA WEN ZHAO)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 21 août 2019 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rejetait les demandes d’asile présentées par les demandeurs au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Comme je l’explique de façon très détaillée plus bas, la demande est accueillie, car je conclus que la SPR n’a pas procédé à une évaluation raisonnable de la demande d’asile sur place liée à une crainte de persécution religieuse.

II.  Contexte

[3]  Les demandeurs sont une famille de citoyens chinois : un époux [le demandeur principal], une épouse et leurs deux enfants adultes. Ils ont fui la Chine en 2012 et ont demandé l’asile au Canada en invoquant leur crainte fondée d’être persécutés en raison de leurs opinions politiques. Leurs allégations sont présentées ci‑après.

[4]  Les demandeurs exploitaient une ferme de crevettes à Jiangmen, dans la province du Guangdong, en Chine. Le 19 septembre 2011, les responsables de l’administration locale ont avisé le demandeur principal que la ferme faisait l’objet d’une expropriation. L’administration locale a offert une indemnité d’expropriation, mais il a jugé qu’elle était bien en deçà de la valeur marchande.

[5]  Les gens du village des demandeurs se sont plaints à l’administration locale. Celle‑ci a enjoint aux habitants du village d’accepter l’offre originale d’indemnisation et leur a dit qu’ils recevraient une indemnisation additionnelle dans l’avenir.

[6]  Se méfiant de cette promesse d’indemnisation future, le demandeur principal, son épouse et un groupe d’environ cent autres habitants du village se sont présentés au bureau de l’administration de district pour protester contre l’indemnisation le 12 décembre 2011. Des agents du Bureau de sécurité publique [Public Security Bureau – PSB] sont arrivés et ont agressé les habitants du village. Le demandeur principal et son épouse se sont échappés et sont allés se cacher chez un parent.

[7]  Ce jour‑là, le PSB s’est rendu au domicile du demandeur principal et a laissé au père du demandeur principal une citation à comparaître, laquelle enjoignait au demandeur principal et à son épouse de se présenter au PSB. Le PSB a arrêté 16 habitants du village dans le bureau de l’administration de district. Au total, dix de ces derniers ont été libérés, mais six ont été condamnés à purger une peine d’incarcération de trois ans. Les enfants du demandeur principal ont par la suite été suspendus de l’école en raison des activités de leurs parents.

[8]  Les demandeurs ont fui la Chine avec l’aide d’un passeur. Ils se sont rendus aux États‑Unis à l’aide de leur propre passeport, en passant par Hong Kong, munis d’un visa frauduleux. Les demandeurs sont arrivés aux États‑Unis le 25 février 2012, puis ils sont entrés au Canada le 3 mars 2012. Ils ont présenté une demande d’asile le 9 mars 2012.

[9]  La demande d’asile des demandeurs a initialement été rejetée par la SPR dans une décision datée du 11 mars 2014. Les demandeurs ont contesté cette décision, et le 15 avril 2015, la juge Simpson a accueilli leur demande de contrôle judiciaire et a renvoyé l’affaire à un tribunal de la SPR différemment constitué pour un nouvel examen (Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 471). La juge Simpson a soutenu : a) que la SPR avait tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité en raison d’erreurs de fait; et b) que la SPR avait effectué une évaluation déraisonnable de la question de la persécution par rapport aux poursuites, parce qu’elle avait seulement examiné la possibilité que les demandeurs soient condamnés à payer une amende et qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle des habitants du village avaient été condamnés à une peine d’incarcération de trois ans pour avoir participé à la manifestation du 12 décembre 2011.

[10]  Les demandeurs ont présenté un addenda de leur demande d’asile en 2019, affirmant que l’épouse et les enfants du demandeur principal ont adopté la foi chrétienne pendant qu’ils étaient au Canada, et que, par conséquent, ils ont une crainte fondée d’être persécutés pour des motifs religieux s’ils retournent en Chine.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  À la suite d’un nouvel examen de l’affaire, la SPR a de nouveau rejeté la demande d’asile du demandeur dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. La SPR a affirmé que les questions déterminantes étaient celles de la crédibilité, de la persécution par opposition aux poursuites, de l’identification en tant que chrétien et du bien‑fondé de demandes d’asile en ce qui a trait à la question du christianisme.

[12]  Pour commencer son analyse, la SPR a tenu compte de la crédibilité des éléments de preuve produits par les demandeurs. Elle a relevé de nombreuses contradictions et incohérences dans le témoignage des demandeurs et a fini par conclure qu’ils n’étaient pas recherchés par le PSB pour avoir manifesté contre le gouvernement.

[13]  Subsidiairement, la SPR a conclu que, si les allégations des demandeurs portant que le PSB était à leur trousse étaient crédibles, ces derniers n’avaient pas établi qu’ils seraient persécutés pour l’un des motifs prévus par la Convention. La SPR a jugé que le demandeur principal serait visé par des poursuites, parce qu’il avait enfreint une loi d’application générale en posant des gestes contre des représentants du gouvernement qui exécutaient leurs tâches. Ce qui préoccupait le demandeur principal, c’était l’absence de ce qu’il considérait être une indemnisation raisonnable pour l’expropriation. La SPR désapprouvait l’observation de son conseil selon laquelle cela se traduirait à tout le moins par des opinions politiques présumées.

[14]  La SPR a reconnu que des sanctions légitimes ne peuvent pas être infligées au mépris des normes internationales acceptées, mais elle a conclu que la peine d’incarcération de trois ans à laquelle le demandeur principal pourrait faire face en Chine ne porterait pas atteinte à de telles normes. La SPR a aussi reconnu que les conditions dans de nombreux pénitenciers chinois sont rudes et dégradantes, mais elle a jugé que, de manière générale, les établissements tiennent compte des besoins et des droits fondamentaux des détenus. La SPR a relevé des éléments de preuve sur la situation dans le pays qui documentent des cas de mauvais traitements envers des personnes ayant manifesté contre l’expropriation foncière, mais elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve qui indiquent que les demandeurs eux‑mêmes seraient exposés à un traitement assimilable à de la persécution.

[15]  La SPR a donc conclu que, à son retour en Chine, le demandeur principal ne serait pas exposé à la persécution visée à l’article 96 et que le paragraphe 97(1) de la LIPR (qui offre une protection contre une menace à la vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture) ne s’appliquait pas.

[16]  Ensuite, la SPR s’est penchée sur la question de savoir si l’épouse et les enfants du demandeur principal sont devenus des chrétiens pendant qu’ils vivaient au Canada. Elle a admis qu’ils avaient été baptisés, mais elle a conclu que cela n’était pas suffisant pour établir leur confession.

[17]  La SPR a examiné le témoignage de l’épouse du demandeur principal et a conclu, en raison des hésitations de cette dernière et du manque de réponses étoffées aux questions qui lui étaient posées, que son affirmation de foi chrétienne n’était pas crédible.

[18]  De l’avis de la SPR, les enfants ont répondu plus directement aux questions concernant leurs croyances religieuses. Ils ont parlé du fait de diffuser l’Évangile aux autres et des effets positifs que le christianisme avait sur leur vie. Néanmoins, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour la convaincre que les demandeurs sont des chrétiens authentiques.

[19]  La SPR a ensuite examiné la question de savoir si, en supposant que l’épouse et les enfants du demandeur principal étaient des chrétiens authentiques, ces derniers auraient une crainte fondée de persécution religieuse en Chine. Elle s’est d’abord attachée à examiner la capacité des chrétiens en Chine de pratiquer leur religion dans des églises non inscrites. En fin de compte, elle a conclu que les éléments de preuve sur la situation dans le pays ne montraient pas une tendance constante de persécution, de préjudice grave ou d’atteinte aux droits de la personne fondamentaux à l’encontre des églises non inscrites ou de leurs fidèles. La SPR a conclu que, en général, les millions de chrétiens qui pratiquent leur religion dans les églises non inscrites en Chine peuvent se réunir et exprimer leur foi comme ils le souhaitent.

[20]  La SPR a aussi examiné les éléments de preuve concernant les églises inscrites en Chine, signalant que les demandeurs ont fréquenté une église protestante au Canada et que la Chine compte 50 000 églises protestantes inscrites. Elle a fait observer que, même si des renseignements révèlent que des maisons‑églises non officielles ne sont pas régies par l’État, il ne semble pas que ce soit le cas pour les églises approuvées par l’État.

[21]  Par conséquent, la SPR a conclu que, même si l’épouse et les enfants du demandeur principal étaient des chrétiens authentiques, les éléments de preuve n’appuyaient pas leur crainte de persécution religieuse. Selon la prépondérance des probabilités, la SPR a conclu qu’ils pourraient pratiquer le christianisme à leur retour en Chine.

[22]  À la lumière de l’analyse précédente, la SPR a conclu que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

IV.  Les questions en litige et norme de contrôle

[23]  Le mémoire des faits et du droit des demandeurs soumet à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

  1. La SPR a‑t‑elle effectué une évaluation déraisonnable de la foi religieuse des codemandeurs et de leur capacité de pratiquer librement le christianisme en Chine?

  2. En outre et subsidiairement, la SPR a‑t‑elle tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité en ce qui concerne l’expropriation foncière?

  3. La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs seraient exposés à des poursuites, mais non pas à de la persécution, était‑elle raisonnable?

[24]  Les parties conviennent que les questions doivent être évaluées selon la norme de la décision raisonnable, et je suis du même avis.

V.  Analyse

A.  La demande d’asile fondée sur des croyances religieuses

[25]  Les demandeurs soulignent que la SPR a conclu que l’épouse du demandeur principal n’était pas une chrétienne authentique, parce qu’elle n’avait pas de connaissances au sujet de la religion et qu’elle avait présenté un témoignage conflictuel par rapport au fait de savoir quand ses enfants ont fréquenté pour la première fois l’église au Canada. Je ne comprends pas pourquoi les demandeurs contestent cette conclusion. Toutefois, les demandeurs désapprouvent l’évaluation qu’a faite la SPR des demandes d’asile sur place des enfants, parce qu’elle semble avoir analysé leurs éléments de preuve de manière favorable, et a pourtant conclu qu’ils n’étaient pas eux non plus des chrétiens authentiques.

[26]  Comparativement à ce qu’elle a conclu pour leur mère, la SPR a conclu que les enfants avaient répondu plus directement, mentionnant leur intérêt à diffuser l’Évangile et, par rapport au fils, elle a affirmé qu’il avait fourni ces renseignements de manière très précise. La SPR a fait allusion au témoignage de la fille, à savoir que, depuis qu’elle fréquente l’église, elle est plus gentille et moins irritable, et sa vie va mieux. De même, son frère a témoigné qu’il voit les choses de manière plus positive.

[27]  Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la décision de la SPR est inintelligible, à voir comment elle passe de ces appréciations apparemment favorables des témoignages des enfants à sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles attestant qu’ils sont des chrétiens authentiques.

[28]  J’ai tenu compte de l’argument du défendeur selon lequel la décision devrait être comprise comme reposant sur l’ensemble des conclusions défavorables en matière de crédibilité que la SPR a tirées concernant le témoignage des demandeurs. Toutefois, pour l’essentiel, ces conclusions défavorables ont trait aux éléments de preuve touchant le fait que le PSB était à leur trousse à la suite de l’expropriation foncière. Fait encore plus important, ces conclusions concernent les témoignages de la mère et du père, et non pas ceux des enfants. Comme je l’ai mentionné plus haut, même si la SPR a également conclu que la mère n’était pas crédible quand elle a dit être une chrétienne authentique, il est difficile de comprendre que cette conclusion puisse influencer son appréciation des témoignages des enfants, étant donné les commentaires favorables de la SPR à leur sujet. Je signale que les enfants avaient 28 et 30 ans lorsqu’ils ont témoigné.

[29]  Le défendeur fait ressortir que la mère a déclaré que les enfants ont commencé à fréquenter l’église en juillet, alors que, dans la lettre de leur prêtre, il est indiqué que c’est plutôt en mai. Toutefois, la SPR a conclu que ce témoignage minait la crédibilité de la mère, s’abstenant de conclure que cet élément de preuve avait miné la crédibilité des enfants.

[30]  Le défendeur s’appuie aussi sur la décision que j’ai rendue dans l’affaire Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139 [Gao], en faisant valoir que l’analyse de la SPR dans le cas qui nous occupe rappelle celle qui a été jugée raisonnable aux paragraphes 26 et 27 de cette décision :

26  Selon mon interprétation de la jurisprudence, il n’est pas inapproprié pour la Commission de poser des questions sur la religion lorsqu’elle tente d’évaluer l’authenticité des croyances d’un demandeur d’asile, mais ces questions et l’analyse qui en a résulté doivent de fait porter sur l’authenticité de ces croyances et non sur leur exactitude théologique. Il peut s’agir d’une tâche difficile pour la Commission, car la Commission a le droit de déterminer si le demandeur d’asile a atteint un niveau de connaissance religieuse correspondant à ce à quoi il serait possible de s’attendre d’une personne se trouvant dans la situation du demandeur d’asile, mais ne doit pas tirer de conclusion défavorable fondée sur de menus détails ou sur une norme déraisonnablement élevée de connaissances religieuses.

27  J’estime que la Commission a effectué cette tâche de façon défendable. La Commission n’a pas posé de questions futiles au demandeur au sujet de sa religion ni n’a tiré ses conclusions en se fondant sur une évaluation de la justesse théologique de ses réponses. La Commission a plutôt posé des questions relativement élémentaires et a conclu à l’absence de croyance sincère en se fondant, en bonne partie, non pas sur l’évaluation de la justesse des réponses du demandeur, mais plutôt sur le fait que le demandeur n’avait pas été en mesure de donner des réponses ou des détails. La Commission a reconnu que le demandeur avait répondu correctement à certaines questions. Toutefois, sa conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas un véritable chrétien, fondée sur le manque de connaissance générale de la religion chrétienne du demandeur, est raisonnable et conforme à la jurisprudence.

[Le défendeur souligne.]

[31]  À mon avis, ce précédent n’appuie pas la thèse du défendeur. Même s’il y a des similitudes entre l’analyse expliquée dans la décision Gao et l’appréciation par la SPR du témoignage de la mère en l’espèce, cela ne permet pas de comprendre la décision de la SPR relativement à l’authenticité des croyances religieuses des enfants.

[32]  Par conséquent, j’estime que cet aspect de la décision est déraisonnable. Toutefois, cela correspond à une erreur susceptible de contrôle de la part de la SPR, justifiant l’annulation de la décision, seulement si elle a également commis une erreur dans sa conclusion subsidiaire que, même si les enfants étaient d’authentiques chrétiens pratiquants, leur crainte de persécution en Chine pour ce motif n’était pas fondée.

[33]  La SPR est parvenue à cette conclusion en se fondant sur son évaluation des éléments de preuve sur la situation dans le pays. Comme le souligne le défendeur à juste titre, il convient de faire preuve de déférence envers la SPR quant à son appréciation de la preuve (voir p. ex. Rossy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 15, au para. 3). Toutefois, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle, en ce sens qu’elle a fondé ses conclusions sur des éléments de preuve dépassés et qu’elle n’a pas consulté les éléments de preuve récents qui démontraient un changement défavorable important concernant le traitement réservé aux chrétiens en Chine.

[34]  Les demandeurs renvoient aux éléments de preuve sur la situation dans le pays selon lesquels le gouvernement chinois a resserré son contrôle sur les activités religieuses au cours des dernières années; il a publié une mise à jour d’un règlement pertinent en 2017, qui est entré en vigueur en février 2018. Même si leurs observations désignent plusieurs éléments de preuve documentaire à cet égard, les demandeurs se concentrent particulièrement sur les éléments de preuve contenus dans une Réponse à une demande d’information datée du 27 septembre 2018 [la RDI de 2018], qui, selon eux, est le seul élément de preuve mentionné par la SPR qui est postérieur à ces changements.

[35]  La RDI de 2018 décrit les effets de ce changement, notamment le renforcement des pouvoirs du gouvernement en matière de surveillance, de contrôle et de sanction, le cas échéant, des pratiques religieuses, en citant des sources de la RDI de 2018 qui caractérisent la situation comme une recrudescence de la répression contre les chrétiens de partout en Chine, ce qui représente une persécution de plus en plus grave.

[36]  En évoquant la RDI de 2018, la SPR cite un passage mentionnant que les provinces du Guangdong (d’où les demandeurs viennent) et du Fujian étaient beaucoup plus libérales dans les années 2000. Par conséquent, il n’y a pas lieu de dire que la SPR a fait fi de l’existence de la RDI de 2018. En effet, le passage qu’elle cite correspond à la teneur globale du document, à savoir que le traitement des chrétiens en Chine s’est aggravé suivant l’entrée en vigueur du nouveau règlement. Toutefois, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que le point délicat avec la décision, c’est qu’elle se fonde principalement sur des éléments de preuve anciens, que la SPR se plaît à croire, au vu de ces éléments de preuve, que les demandeurs pourraient pratiquer le christianisme s’ils retournaient en Chine sans attirer l’attention des autorités et que la décision ne renferme aucune analyse quant à la manière avec laquelle changement défavorable des conditions dans le pays influence cette conclusion. À mon avis, cet aspect de la décision est inintelligible.

[37]  J’ai pris en considération les arguments du défendeur, à savoir que les éléments de preuve au changement réglementaire en Chine ne contredisent pas les éléments de preuve sur la situation dans le pays antérieurs sur lesquels la SPR se fonde ou montrent une hausse de la persécution à un niveau tel qu’il sape la décision. Le défendeur fait remarquer que les sources mentionnées dans la RDI de 2018 révèlent que les chrétiens continuent de pratiquer le prosélytisme en Chine. Ce passage renvoie au fait que de telles activités sont pratiquées, mais pas ouvertement ni publiquement, et seulement en dépit des efforts de l’État pour les interdire. Le défendeur attire aussi l’attention sur une déclaration selon laquelle il n’y a aucune conséquence pour les personnes qui se livrent au prosélytisme dans le respect des limites imposées par le règlement de l’État [non souligné dans l’original]. J’estime que ces passages ne contribuent guère à soutenir l’argument du défendeur portant que les changements réglementaires apportés en 2018 en Chine n’étaient pas importants.

[38]  Par conséquent, j’estime que cet aspect de la décision est déraisonnable.

B.  La demande d’asile fondée sur des opinions politiques

[39]  Les demandes d’asile des demandeurs liées à leurs opinions politiques et présentées au titre des articles 96 et 97 de la LIPR portent sur la question de l’expropriation d’une terre qui les concernait en Chine et l’allégation selon laquelle le PSB est à leur trousse. La SPR a rejeté ces demandes d’asile en raison de ses deux conclusions défavorables relatives à la crédibilité et de sa conclusion subsidiaire selon laquelle, même si les allégations des demandeurs avaient été crédibles, ils seraient exposés à des poursuites, et non à la persécution, à leur retour en Chine, ce qui ne constituerait pas un traitement portant atteinte aux normes internationales en matière de droits de la personne.

[40]  Tout d’abord, en ce qui concerne la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs seraient visés par une loi d’application générale ne constituant pas de la persécution concernant l’expropriation foncière, les demandeurs font valoir que la SPR a commis une erreur en ne reconnaissant pas que le gouvernement chinois considérait les demandeurs comme des dissidents politiques en raison des gestes qu’ils avaient posés en opposition aux projets d’expropriation du gouvernement. Les demandeurs se fondent sur les éléments de preuve sur la situation dans le pays, soit que l’agitation et le mécontentement liés à l’augmentation des expropriations foncières sont en hausse et que la police réprime les manifestants, lesquels sont victimes de diverses formes de mauvais traitements. Les demandeurs avancent donc que la SPR n’avait aucun motif raisonnable de conclure que leur demande d’asile n’a pas de lien avec le motif des opinions politiques prévu par la Convention.

[41]  Sur cette question, je conviens avec le défendeur que les arguments des demandeurs ne soulèvent pas une erreur susceptible de contrôle de la part de la SPR. La SPR a examiné, mais a rejeté, l’argument des demandeurs, à savoir que la préoccupation du demandeur principal au sujet d’une indemnisation raisonnable pour l’expropriation de sa ferme se traduirait à tout le moins par des opinions politiques présumées. Elle s’est fondée sur la décision Ni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 948, où la juge Walker a conclu qu’une décision assez semblable de la SPR, dans des circonstances supposant une manifestation pour demander une juste indemnisation pour une expropriation foncière, était raisonnable (aux paras. 25 à 27). La juge Walker a cité d’autres précédents, qui avaient, dans la même veine, confirmé ces conclusions selon lesquelles des personnes, qui étaient recherchées pour leur participation à des manifestations afin de demander une juste indemnisation, n’ont pas été recherchées pour un motif prévu à la Convention (voir Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 486; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 790).

[42]  La SPR a aussi pris en considération les éléments de preuve sur la situation dans le pays invoqués par les demandeurs, documentant certains cas de mauvais traitements infligés à des personnes ayant manifesté contre l’expropriation d’une terre, y compris l’internement dans de soi‑disant camps d’éducation, ainsi que les éléments de preuve documentaire sur les conditions défavorables dans les établissements pénitentiaires chinois. Elle a jugé que ces éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que les personnes qui s’opposent à une expropriation foncière font systématiquement l’objet d’un traitement assimilable à de la persécution ou que les demandeurs eux‑mêmes seraient exposés à de la persécution ou à un risque de préjudice. Par conséquent, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi le bien‑fondé de leur demande d’asile à cet égard, que ce soit au titre de l’article 96 ou de l’article 97 de la LIPR. Rien ne permet de conclure que la SPR a fait fi des éléments de preuve sur lesquels les arguments des demandeurs sont fondés. Les conclusions de la SPR font partie des issues possibles qui pouvaient être raisonnablement être obtenues à partir de ces éléments de preuve.

[43]  Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments des demandeurs pour contester les conclusions défavorables concernant la crédibilité tirées par la SPR au sujet de leurs allégations selon lesquelles le PSB est à leur trousse. Même si ces conclusions devaient être annulées, cela n’aurait aucune incidence sur l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire, en raison des conclusions de la SPR selon lesquelles les allégations des demandeurs ne font pas intervenir les articles 96 ou 97.

VI.  Conclusion

[44]  Même si j’ai conclu que la décision est raisonnable dans son traitement des demandes d’asile des demandeurs en ce qui a trait aux opinions politiques, j’ai jugé qu’elle est déraisonnable pour ce qui est de son traitement des demandes d’asile fondées sur la persécution religieuse. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour nouvelle décision. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT DANS L’AFFAIRE IMM‑5415‑19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour un nouvel examen. Aucune question n’est énoncée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5415‑19

INTITULÉ :

XITANG ZHAO (ALIAS XI TANG ZHAO)

YUEQUN ZHAO (ALIAS YUE QUN ZHAO) YONGHONG ZHAO (ALIAS YONG HONG ZHAO) JIAWEN ZHAO (ALIAS JIA WEN ZHAO) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence à Toronto, EN Ontario

DATE DE L’AUDIENCE :

14 SEPTEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

lE 24 SEPTEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR Les demandeurs

Christopher Araujo

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR Les demandeurs

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.