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Date : 20041230

Dossier : IMM-3784-03

Référence : 2004 CF 1782

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 30 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                 KISS SANDOR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant le paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), de la décision rendue le 23 avril 2003 par la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle elle a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur demande à la Cour de déclarer qu'il est un réfugié au sens de la Convention ou, subsidiairement, d'émettre un bref de certiorari afin d'annuler la décision du tribunal et de lui renvoyer l'affaire pour réexamen. Le demandeur demande aussi les dépens de sa demande.

Contexte

[3]                Le demandeur, Kiss Sandor (le demandeur), est citoyen hongrois, et il allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance à l'ethnie rom.

[4]                Subsidiairement, le demandeur allègue être une personne à protéger et que, s'il devait être renvoyé en Hongrie, il serait personnellement exposé au risque d'être torturé, d'être tué, ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités.

[5]                Dans un amendement à la partie narrative de son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur a allegué que, en octobre 1994, il a été battu jusqu'à perdre conscience par des videurs dans une boîte de nuit en raison de son appartenance à l'ethnie rom. Le demandeur a déclaré que l'agent de police qui s'est rendu sur les lieux n'a pas fait de rapport au sujet de l'incident. Après son rétablissement, le demandeur a signalé cet incident au poste de police local qui a fait enquête, et a inculpé et obtenu une déclaration de culpabilité des agresseurs, qui ont été condamnés à six ans d'emprisonnement.


[6]                Le demandeur a allégué qu'il avait reçu des menaces par téléphone et par courrier de la part des agresseurs et de leurs complices. Le demandeur a aussi allegué que lui, son frère et son père avaient tous été battus parce qu'ils étaient Roms. Le demandeur a aussi déclaré qu'il était harcelé au travail et ensuite congédié en raison de son appartenance ethique.

[7]                Le demandeur a narré un incident où il a été attaqué et battu alors qu'il rentrait chez lui, mais il a réussi à s'enfuir. Il a trouvé un agent de police, qui a refusé de l'aider et qui l'a averti que, en tant que Rom, il devait être plus prudent.

[8]                Enfin, le demandeur a allégué que la mort de son frère en novembre 2000 dans un accident de voiture a été causée par les mêmes agresseurs et leurs complices qui s'en étaient pris à lui en 1994. Le demandeur a signalé ses soupçons à la police, qui a dit qu'elle ne pouvait pas faire quoi que ce soit sans preuve. En outre, elle a informé le demandeur que les personnes qui l'avaient agressé seraient libérées de prison en janvier 2002.

[9]                Le demandeur a décidé de quitter la Hongrie. Il est arrivé au Canada le 2 novembre 2001 et il a revendiqué le statut de réfugié le 8 novembre 2001.

[10]            Le 25 février 2003, la Commission a tenu une audience afin de statuer sur sa demande d'asile.


Motifs du tribunal

[11]            Dans sa décision du 23 avril 2003, la Commission a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens de la LIPR.

[12]            Pour rejeter la demande, la Commission s'est fondée sur le fait que, en ce qui concerne la Hongrie, le demandeur n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle l'État assure une protection adéquate. Comme il s'agit d'un élément nécessaire de la définition soit de réfugié au sens de la Convention soit de personne à protéger, la Commission a rejeté la revendication du demandeur.

[13]            Lorsque la Commission a examiné les éléments de preuve concernant la protection offerte par l'État hongrois aux Roms, elle a signalé que les personnes qui avaient agressé le demandeur en 1994 ont été arrêtées par la police, poursuivies et déclarées coupables. Le demandeur a déclaré que, à plusieurs reprises, il n'avait pas demandé l'aide de la police, de l'Organisation d'autonomie gouvernementale rom, ou du Bureau juridique de défence des minorités nationales et ethniques ( « NEKI » ). En outre, le demandeur a déclaré n'avoir jamais entendu parler du Bureau de l'ombudsman ou du Bureau du procureur.

[14]            La Commission a aussi conclu que les autorités hongroises faisaient de sérieux efforts pour protéger les citoyens roms et elle a signalé la norme énoncée dans la décision Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [1993] C.S.C.R. no 76 (QL), selon laquelle les États ne sont pas tenus d'offrir une protection parfaite à leurs citoyens en tout temps.

[15]            La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas prouvé de manière claire et convainquante que, même si la police était incapable de le protéger, il ne pouvait pas demander la protection et l'assistance d'un réseau d'organismes gouvernementaux et para-gouvernementaux d'aide aux Roms exerçant leurs activités partout en Hongrie, notamment :

1.          du Bureau de l'ombudsman (le commissaire parlementaire pour les droits des minorités nationales et ethniques), qui existe depuis 1995 et mène des enquêtes au sujet des allégations de mauvais traitements et fait des recommandations aux autorités. L'ombudsman est devenu une institution puissante et il a droit à une grande attention de la part de la presse et du grand public.

2.          d'organismes de défense des droits de l'homme, comme le « European Roma Rights Center » ( « ERRC » ) (le Centre des droits des Roms européens).

3.          des vingt-neuf organismes de protection juridique civile qui défendent souvent les intérêts et les droits des Roms.


4.          d'organismes non gouvernementaux financés par les fonds publics, comme la Fondation des droits civils des Roms, le NEKI, le ERRC, le Comité hongrois de Helsinki et le Parlement rom.

[16]            La Commission a aussi signalé que, dans la décision Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 370 (QL), 2002 CFPI 281, la Cour avait confirmé une décision dans laquelle la Commission avait conclu que le demandeur d'asile aurait dû demander la protection de l'ombudsman ou du Bureau du procureur, qui étaient des groupes sans liens avec les forces de l'ordre et capables de protéger les citoyens roms. Outre les éléments de preuve documentaires plus récents qui donnent à penser que les autorités et les organismes financés par l'État prennent des mesures efficaces pour lutter contre la persécution des Roms, la Commission s'est appuyée sur la décision Nagy, précitée. La Commission a énuméré les exemples suivants :

1.          Des modifications du Code pénal de la Hongrie et l'alourdissement des peines sanctionnant les crimes de haine fondés sur l'appartenance ethnique, raciale, ou nationale, facilitent la répression des infractions;

2.          Un certain nombre d'exemples récents de crimes de haine dont les auteurs ont été poursuivis et condamnés;

3.          La première décision par laquelle un tribunal a accordé une indemnisation a été rendue au profit d'un demandeur qui avait allégué avoir été victime de racisme en raison de son appartenance à l'ethnie rom;


4.          Des agents de police se sont fait infliger des amendes ou se sont fait congédier en raison de leur participation à des incidents de mauvais traitements infligés à des Roms.

[17]            La Commission a aussi examiné des éléments de preuve documentaire donnant à penser que la police continue à maltraiter les Roms et qu'il est toujours difficile à ceux-ci d'obtenir justice; par exemple :

1.          La déclaration d'un avocat de la défense selon qui il y a chaque semaine cinq ou six cas signalés de Roms battus par la police et que le gouvernement ne fait aucun effort sérieux pour prévenir les abus de pouvoir ou pour lutter contre le racisme systématique dans les rangs de la police;

2.          Il est très rare que des accusations soient portées contre la police, et les tribunaux tendent à être fort indulgents envers les personnes déclarées coupables;

3.          Des rapports concernant les conditions régnant dans le pays, selon lesquels la police s'abstient d'intervenir pour prévenir les actes de violence visant les Roms;

4.          Les ressources limitées dont disposent les organismes financés par l'État censés aider les Roms.

[18]            La Commission a ensuite fait une distinction d'avec la décision Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339, 2002 CFPI 1081, au motif que, dans cette décision, les auteurs des actes de persécution allégués étaient des agents de police, tandis que, en l'espèce, le demandeur n'avait pas fait ce genre d'allégation.


[19]            La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas prouvé de manière claire et convainquante que l'État hongrois était incapable de le protéger. La Commission a été d'avis que le demandeur n'avait pas pleinement exercé les voies de recours dont il disposait en Hongrie. Même en tenant compte des ressources financières limitées et du racisme possible des différents organismes financés par l'État, la Commission a conclu que l'État offrait une protection adéquate au demandeur.

[20]            Pour ces motifs, la Commission a rejeté les prétentions du demandeur, qui a saisi la Cour d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Les observations du demandeur

[21]            Le demandeur a soutenu que le principe de droit applicable est bien fixé : le demandeur d'asile n'a pas besoin d'établir qu'il y a eu persécution par le passé afin d'établir qu'il craint avec raison d'être persécuté pour un motif énoncé dans la Convention.


[22]            Le demandeur, s'appuyant sur les arrêts Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.), [1990] A.C.F. no 454 (QL), et Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, prétend que l'on peut avoir recours à des éléments de preuve relatifs à des personnes vivant des situations semblables pour établir un fondement objectif d'une crainte de persécution. Le demandeur est d'avis que la Commission a fait erreur en refusant de reconnaître, à partir soit du témoignage du demandeur même, soit de la preuve documentaire produite devant elle concernant les mauvais traitements que subissent les Roms en Hongrie, qu'il craignait avec raison d'être persécuté.

[23]            Le demandeur prétend aussi que la Commission a fait erreur en ne tenant aucun compte de son témoignage selon lequel, à cause d'un groupe de skinheads racistes, sa vie était en péril et il était exposé à des traitements cruels et inusités.

[24]            Le demandeur s'est appuyé sur la décision Molnar, précitée, selon laquelle le revendicateur n'est pas tenu de s'être adressé aux organismes de défense des droits de l'homme ou à d'autres associations lorsque la police n'est pas disposée à offrir sa protection. Le demandeur a soutenu que la Commission a fait erreur en concluant que la protection qui lui était offerte par l'État était adéquate, en se fondant sur l'existence d'associations de ce genre.

[25]            Le demandeur a soutenu que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve indiquant que la police elle-même persécute les Roms et que, en Hongrie, le mouvement skinhead est lié à la police et au système judiciaire. Selon lui, l'intensification du racisme policier, à elle seule, établit le bien-fondé de sa prétention, car la police est censée être l'organisme qui protège les citoyens.

[26]            Le demandeur a soutenu que la Commission a fait erreur en dénaturant les éléments de preuve, en ne tenant pas compte d'éléments de preuve pertinents et en évaluant l'ensemble de la preuve de manière déraisonnable. Le demandeur a aussi soutenu que la preuve documentaire corroborait son témoignage, selon lequel des Hongrois racistes l'avaient attaqué et menacé, à l'occasion avec l'acquiescement de la police.

[27]            Le demandeur a soutenu que la Commission a fait erreur en ne tenant pas compte, ou en ne tenant pas suffisamment compte du fait que l'espérance de vie des Roms, qui est inférieure de dix ans à la moyenne nationale, et leurs conditions sociales médiocres en Hongrie, notamment sur le plan du logement, sont assimilables à une forme de persécution. La Commission a ainsi dénaturé la définition du terme « réfugié au sens de la Convention » , comme l'a soutenu le demandeur, en ne se demandant pas si ces éléments appuyaient le bien-fondé de sa revendication.

Les observations du défendeur

[28]            Le défendeur a soutenu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, et il a invoqué la décision Zambo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 539 (QL), 2002 CFPI 414, dans laquelle des Roms de Hongrie avaient revendiqué le statut de réfugié et la question principale était celle de la protection offerte par l'État.

[29]            Le défendeur a pris bonne note de l'argument du demandeur selon lequel la Commission a fait erreur en ne tenant pas compte des preuves documentaires donnant à penser que la police persécute les Roms et que le mouvement skinhead est lié à la police et au système judiciaire. Sur cette question, le défendeur a soutenu, premièrement, que le demandeur n'a pas indiqué à la Cour où elle pouvait trouver ces éléments de preuve dans le dossier; deuxièment, des éléments de preuve avaient été produits devant la Commission selon lesquels le demandeur avait réussi à obtenir l'assistance de la police et que, dans d'autres cas, il n'avait pas tenté d'obtenir l'aide de la police. En outre, la Commission a conclu que, en l'espèce, la police n'avait pas été l'auteur d'actes de persécution et elle a pris bonne note des preuves documentaires produites devant elle indiquant qu'il y avait des agents de police corrompus, mais qu'ils faisaient l'objet de poursuites. Eu égard à cette analyse, le défendeur a soutenu que la Commission a étudié de manière approfondie cette question et les éléments de preuve relatifs à la protection offerte par l'État. Il soutient que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

[30]            Le défendeur a soutenu que la prétention du demandeur, selon laquelle la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve établissant que les citoyens roms sont soumis à des conditions sociales médiocres, notamment sur le plan du logement, et que leur espérance de vie est inférieure de dix ans à celle de l'ensemble de la population hongroise, n'est corroborée par aucun élément de preuve.

[31]            Le défendeur a demandé le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.


Les questions en litige

[32]       La présente cause soulève les questions suivantes :

1.          Y a-t-il eu violation des principes de justice naturelle?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger?

Textes législatifs pertinents

[33]       L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR définissent les expressions « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » de la manière suivante :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

. . .

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Analyse et décision

[34]       Question 1

Y a-t-il eu violation des principes de justice naturelle?


Le demandeur a été représenté par un consultant en immigration à l'audience devant la Commission. Le demandeur a retenu les services d'un avocat pour la présente audience, qui a soulevé une question nouvelle dès son ouverture : l'interrogatoire du demandeur par le commissaire et la décision du tribunal de permettre à l'agent de protection des réfugiés (APR) d'interroger le demandeur avant que l'interrogatoire principal du demandeur ait été terminé ont-ils constitué une violation des principes de justice naturelle? Le défendeur s'est opposé à la saisine de la Cour de cette question, mais cela a été réglé en permettant au demandeur de faire des observations sur cette question à l'audience, et au défendeur de présenter ensuite des observations écrites après la conclusion de l'audience, et au demandeur d'y répondre.

[35]            J'ai examiné le procès-verbal de l'audience tenue devant la Commission, et je constate que le demandeur a fait l'objet d'un interrogatoire poussé de la part du commissaire. Par exemple, l'interrogatoire du demandeur par le commissaire figure aux pages 345 à 349 du dossier du tribunal. On trouve un autre exemple de questions posées par le commissaire aux pages 350 à 354 du procès-verbal :

AVOCAT :                                              Non. Quand êtes-vous allé à la police pour la première fois?

DEMANDEUR D'ASILE :    Vers décembre 1994. C'était après l'accident.

AVOCAT :                                              Combien de temps après?

DEMANDEUR D'ASILE :    C'était environ deux mois à la suite de l'accident. J'ai dû attendre d'être rétabli pour pouvoir me rendre à la police, lorsque j'ai commencé à marcher.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Quel accident, Monsieur ?

DEMANDEUR D'ASILE :    Le gros accident, lorsque j'ai été battu.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          C'était un accident?

DEMANDEUR D'ASILE :    Ce n'était pas un accident, on m'a battu.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Pourquoi dites-vous donc que c'était un accident?

DEMANDEUR D'ASILE :    C'était un lapsus. Je m'en excuse.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Je ne suis pas sûr de bien comprendre. C'était un accident ou c'était une agression?

DEMANDEUR D'ASILE :    C'était une agression.


PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Et si vous avez parlé d'un accident, c'était un lapsus?

DEMANDEUR D'ASILE :    Oui, c'était un lapsus, car j'ai aussi soudainement pensé en même temps à l'accident de mon frère, et c'est ce terme qui m'est venu à l'esprit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Maître?

AVOCAT :                                              Donc, quand est arrivée cette agression?

REVENDICATEUR :                             C'était au cours de l'automne 1994, en octobre.

AVOCAT :                                              Vous avez été hospitalisé?

REVENDICATEUR :                             Oui.

AVOCAT :                                              Pendant combien de temps?

REVENDICATEUR :                             J'ai été... on m'a gardé aux soins intensifs pendant une semaine, et j'ai ensuite été traité comme patient ambulatoire et j'ai dû y retourner le reste du temps.

AVOCAT :                                              Lorsque cet incident s'est produit, l'agression s'est produite, la police est-elle venue vous voir?

REVENDICATEUR :                             Oui, le policier du lieu est venu. Il y a eu un policier qui était présent.

AVOCAT :                                              Il a recueilli quelques dépositions de témoins qui ont abouti à un rapport?

REVENDICATEUR :                             Il était censé... il a rédigé un rapport mais, selon ses fonctions, il était censé faire un rapport sur les agresseurs, ce qu'il n'a pas fait. Voilà pourquoi j'ai dû faire un suivi à ce sujet et retourner au poste de police après mon rétablissement.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Monsieur, sauf erreur de ma part, vous étiez inconscient après cela, n'est-ce pas, après l'agression?

REVENDICATEUR :                             Oui, en effet.


PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Donc, vous ne savez pas vraiment ce qui s'est passé avec le policier, ce qu'il a fait et ce qu'il n'a pas fait.

REVENDICATEUR :                             Ma source d'informations a été l'infirmière qui est venue avec l'ambulance pour me prendre et, plus tard, à l'hôpital, elle m'a informé que ni l'ambulance ni le paramédic ni le policier n'ont produit de rapports contre qui que ce soit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Monsieur, l'infirmière vous a-t-elle raccompagné à l'hôpital?

REVENDICATEUR :                             Oui, elle était avec le paramédic.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          D'accord. Mais ne pensez-vous pas qu'elle avait surtout porté son attention sur votre personne et sur votre santé et sur la nécessité de vous conduire à l'hôpital?

REVENDICATEUR :                             Non. Je pense que, en raison de ses obligations professionnelles, elle a pensé que... elle a prêté le serment d'infirmière. Cette obligation professionnelle comprenait les informations, le devoir de me donner des informations sur ce qui se passait, c'était une des raisons. L'autre était que, lorsque je suis allé au poste de police pour voir où en était l'affaire, personne n'était au courant de mon histoire.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          D'accord, mais, dans cette affaire, le mot de la fin est que l'un de vos agresseurs a été condamné, poursuivi et qu'il a passé six ans en prison, c'est exact?

REVENDICATEUR :                             Deux personnes ont été condamnées. En ce qui concerne l'agression dont j'ai été vicime, ils se sont fait infliger une peine d'un an d'emprisonnement. La raison pour laquelle ils ont passé six ans en tout en prison est qu'ils avaient été déclarés coupables d'autres crimes.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          D'accord, mais voici où je veux en venir, Monsieur : en l'espèce, les agresseurs ont été inculpés, déclarés coupables, et condamnés à une peine d'emprisonnement, n'est-ce pas? Qu'il réponde à la question, Maître.

AVOCAT :                                              Je voudrais faire une précision.


PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Non, je veux qu'il réponde à ma question, Maître.

REVENDICATEUR :                             Dans la condamnation, le juge n'a pas précisé que la raison pour laquelle j'avais été agressé était... ils m'ont agressé parce que je suis d'origine rom, même si je le lui avais demandé...

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Monsieur, arrêtez. Monsieur, je vous pose une question. Je veux que vous m'écoutiez et je veux que vous répondiez à ma question.

Dans votre affaire, les personnes qui vous auraient agressés ont-elles été poursuivies, déclarées coupables et condamnées à une peine d'emprisonnement? Oui ou non?

REVENDICATEUR :                             Elles ont été inculpées, elles ont été condamnées à une peine d'emprisonnement, elles ont purgé leur peine, mais pas pour le motif pour lequel elles auraient dû être condamnées.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Que voulez-vous dire?

REVENDICATEUR :                             Ils n'ont été condamnés que pour l'agression proprement dite, mais pas pour la manière dont ils m'ont traité au cours de l'agression, ils m'ont traité comme un chien parce que je suis d'origine rom. La Commission n'en a pas tenu compte dans la détermination de la peine. Ils n'ont été condamnés que parce qu'ils m'ont brutalisé à l'extrême; j'ai failli mourir, j'ai à peine survécu, et ils se sont fait infliger une peine d'emprisonnement d'un an seulement.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          Voulez-vous dire, Monsieur, qu'il n'ont pas été condamnés à une peine plus lourde pour les remarques insultantes qu'ils vous avaient adressées?

REVENDICATEUR :                             Non. Je veux dire que lorsque quelqu'un bat une personne et qu'il la tue presque, et qu'il se fait infliger une peine d'un an d'emprisonnement, cela ne reflète pas la gravité de son crime, si on pense par exemple, que l'on se fait ingliger un an d'emprisonnement pour un vol de voiture. C'est ce que je veux dire.


PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :          D'accord, vous n'êtes peut-être pas satisfait de la peine, mais le fait demeure qu'ils ont été condamnés à une peine d'emprisonnement, accusés et déclarés coupables.

REVENDICATEUR :                             Oui, c'est exact.

[36]            Je suis d'avis que l'interrogatoire du demandeur par le commissaire, d'après les extraits ci-dessus et les autres parties du procès-verbal de l'audience, ainsi que le fait que l'APR a été autorisé à contre-interroger le revendicateur avant la fin de son interrogatoire principal, ont entraîné une violation du droit du demandeur à une audition équitable. Par conséquent, la décision de la Commission doit être annulée et la cause renvoyée à une autre formation pour réexamen.

[37]            Au regard de ma conclusion relative à la question 1, il n'est pas nécessaire de statuer sur l'autre question.

[38]            Nulle partie ne m'a saisi d'une question grave de portée générale susceptible d'être certifiée.

                                                     


ORDONNANCE

[39]            LA COUR ORDONNE que la décision du tribunal soit annulée et que la cause soit renvoyée à une autre formation pour réexamen.

                                                                            _ John A. O'Keefe _                    

                                                                                                     Juge                                  

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Le 30 décembre 2004

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-3784-03

INTITULÉ :                            KISS SANDOR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 30 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :          LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :           LE 30 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

George J. Kubes                                               POUR LE DEMANDEUR

Aviva Basman                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

George J. Kubes                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Toronto)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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