Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20201016


Dossier : IMM‑1028‑17

Référence : 2020 CF 972

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MOHADESE MIRZAEE

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Mohadese Mirzaee, est une citoyenne de l’Afghanistan maintenant âgée de 22 ans. Mme Mirzaee a présenté une demande d’asile lors de son arrivée au Canada en août 2016, à l’âge de 18 ans. À l’époque, elle a dit qu’elle craignait d’être persécutée par les talibans en raison de son sexe et de ses opinions politiques présumées attribuables à ses liens avec des associations occidentales, ainsi que de l’emploi de sa mère auprès d’une organisation de défense des droits de la personne. De plus, Mme Mirzaee disait craindre un mariage forcé avec son cousin. En février 2017, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile de Mme Mirzaee en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], pour des motifs liés au manque de crédibilité [Décision]. Depuis lors, Mme Mirzaee est volontairement retournée dans son pays d’origine, l’Afghanistan, en mars 2018.

[2]  Mme Mirzaee demande le contrôle judiciaire de la Décision de la SPR au motif que les conclusions défavorables en matière de crédibilité de la SPR étaient déraisonnablement fondées sur un examen à la loupe. Elle affirme en outre que la SPR a adopté un point de vue indûment critique à l’égard des témoignages fournis par sa mère et elle, et que la SPR a fait abstraction d’éléments de preuve cruciaux pour sa demande d’asile. Le Ministre répond que la demande de contrôle judiciaire de Mme Mirzaee est maintenant théorique, compte tenu de son retour volontaire en Afghanistan.

[3]  Dans sa demande, Mme Mirzaee soulève deux questions : 1) l’affaire est‑elle théorique, étant donné qu’elle a quitté le pays et qu’elle se trouve actuellement en Afghanistan?; 2) si l’affaire n’est pas théorique, les conclusions en matière de crédibilité de la SPR étaient‑elles raisonnables?

[4]  Après examen de la preuve dont disposait la SPR et du droit applicable, je ne vois aucune raison d’annuler la Décision. Je suis d’accord avec le Ministre pour dire que, compte tenu du retour volontaire de Mme Mirzaee en Afghanistan, sa demande satisfait au premier volet du critère du caractère théorique. Toutefois, vu les circonstances particulières de l’espèce, il s’agit d’une situation où la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour examiner malgré tout le fond de l’affaire. À la suite de mon examen, je suis convaincu que la Décision est justifiée et intelligible, et que la SPR a tenu compte dans sa Décision de l’ensemble des éléments de preuve pertinents avant de conclure que Mme Mirzaee n’était pas crédible. La Décision repose sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la SPR est assujettie. Par conséquent, rien ne justifie une intervention de la Cour. Étant donné que la question du caractère théorique n’est pas déterminante en l’espèce, il n’y a aucune raison de certifier la question proposée par le Ministre.

II.  Contexte

A.  Le contexte factuel

[5]  Mme Mirzaee est née à Kaboul, en Afghanistan, en août 1998. En raison de son excellent dossier scolaire et de ses activités parascolaires, elle s’est vue offrir la possibilité de participer à un programme de consolidation de la paix de deux semaines aux États‑Unis. En juillet 2016, après avoir obtenu un visa de visiteur pour les États‑Unis, elle a quitté l’Afghanistan afin de suivre ce programme et de passer du temps avec des membres de sa famille qui vivent aux États‑Unis.

[6]  En août 2016, Mme Mirzaee est arrivée au Canada et a présenté une demande d’asile dans laquelle elle faisait valoir trois motifs pour expliquer sa fuite de l’Afghanistan : 1) les tentatives répétées de son cousin aîné en vue de la forcer à l’épouser; 2) les menaces des talibans et d’autres groupes extrémistes en raison du travail de sa mère comme directrice générale adjointe auprès d’une organisation de défense des droits de la personne appelée [traduction« Organisation pour la primauté du droit Hamida Barmaki » [l’organisation Hamida Barmaki]; et 3) les menaces qu’elle pourrait recevoir de la part des talibans à son retour en Afghanistan parce qu’elle a participé à une conférence de consolidation de la paix aux États‑Unis, qui est perçue comme une forme de soutien aux États‑Unis et à l’Occident.

[7]  La SPR a rejeté sa demande d’asile à cause de son manque de crédibilité.

[8]  En mars 2017, Mme Mirzaee a présenté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la Décision de la SPR. La Cour a accordé une autorisation en juin 2017, fixant l’audition du contrôle judiciaire au mois de septembre de cette année‑là. Cependant, avant l’audience prévue, les parties ont convenu que la demande devrait être mise en suspens, car Mme Mirzaee avait saisi la Cour d’une autre affaire concernant la compétence de la Section d’appel des réfugiés pour examiner son appel. Cette affaire s’apparentait à une autre affaire qui a été récemment rejetée par la Cour suprême du Canada, Kreishan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 223 [Kreishan], autorisation interjeter appel à la CSC refusée, 38864 (5 mars 2020). Comme l’affaire Kreishan suivait son cours dans le processus d’appel, la Cour a en fait ordonné que tous les dossiers qui soulevaient des questions semblables soient mis en suspens en attente du règlement final de l’affaire Kreishan.

[9]  Même si elle n’avait pas l’obligation de quitter le Canada et que sa demande de contrôle judiciaire était en suspens, Mme Mirzaee a volontairement quitté le pays pour se rendre en Afghanistan à la fin mars 2018, soit cinq mois avant l’expiration de l’autorisation du permis de travail qu’elle s’était vu accorder par les autorités canadiennes de l’immigration. Avant son départ, elle a signé une déclaration solennelle dans laquelle elle reconnaissait qu’elle n’était pas obligée de quitter le Canada à ce moment‑là, que le Canada ne renvoyait pas des gens en Afghanistan à ce moment‑là, et que le fait de partir pourrait mettre en péril sa capacité de demander la protection auxiliaire du Canada dans l’avenir.

[10]  Mme Mirzaee vit maintenant en Afghanistan. Elle explique dans son affidavit de juin 2020 qu’elle est retournée en Afghanistan en mars 2018 afin de trouver d’autres moyens de poursuivre ses études, car elle ne pouvait pas payer les droits de scolarité pour les étudiants étrangers dans les universités canadiennes. Elle rêvait de devenir pilote, et elle a effectivement reçu une bourse payée par Kam Air, une compagnie aérienne afghane, afin de poursuivre des études en aviation aux Philippines. Elle a commencé le programme aux Philippines en septembre 2018 et, après avoir achevé son programme et obtenu sa licence de pilote professionnelle, elle est retournée en Afghanistan en février 2020. Elle a suivi d’autres formations de vol en Bulgarie en mars 2020 et elle est retournée en Afghanistan le mois suivant. Elle n’a pas demandé l’asile aux Philippines ni en Bulgarie pendant qu’elle se trouvait dans ces pays.

[11]  Mme Mirzaee prétend maintenant qu’elle est toujours en danger dans son pays d’origine, et que la situation dans laquelle elle se trouve est exacerbée par son statut de première pilote commerciale civile en Afghanistan. Elle craint que les talibans et d’autres groupes extrémistes la prennent pour cible en raison du fait qu’elle est une femme pilote.

B.  La décision de la Section de la protection des réfugiés

[12]  Dans sa Décision rendue en février 2017, la SPR a jugé que Mme Mirzaee n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. La SPR a signalé qu’elle avait tenu compte des Directives du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe ainsi que des directives Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [ensemble, les Directives], et qu’elle a examiné les éléments pertinents de la preuve à la lumière de ces Directives.

[13]  La Décision reposait essentiellement sur des préoccupations en matière de crédibilité touchant le témoignage de Mme Mirzaee et celui de sa mère. La SPR a estimé qu’il y avait des « incohérences importantes », un « caractère vague » et des « embellissements » dans la preuve présentée par Mme Mirzaee, ce qui a miné les trois motifs qu’elle avait invoqués pour demander l’asile (à savoir le mariage forcé, les activités politiques de sa mère et la perception selon laquelle elle était « occidentalisée »).

[14]  En ce qui concerne l’allégation relative au mariage forcé, la SPR a jugé que Mme Mirzaee n’était pas crédible pour ce qui est des menaces auxquelles elle disait être exposée de la part de son cousin ni en ce qui a trait à la persécution dont elle ferait l’objet en contractant ce mariage en raison de son sexe. En particulier, la SPR a mis en doute la chronologie des événements pertinents présentée par Mme Mirzaee. La SPR a jugé qu’au vu de cette chronologie, le plus tôt que Mme Mirzaee aurait pu présenter une demande au titre du programme de consolidation de la paix était le 24 avril 2016. Or, la lettre d’acceptation du programme était datée du 18 avril 2016. Mme Mirzaee a fourni un certain nombre de raisons pour expliquer cette contradiction : sa vie était mouvementée à ce moment‑là; par conséquent, elle n’était pas certaine des dates exactes; elle avait déjà présenté une demande au titre du programme avant que la réunion des anciens n’ait lieu; et elle avait reçu l’acceptation en moins d’une semaine parce que sa mère connaissait l’organisateur du programme. La SPR a jugé que ses explications étaient « confus[es] et incompréhensibles », en plus d’être « improvisé[es] ».

[15]  La SPR n’a pas été convaincue par les arguments de l’avocat de Mme Mirzaee, qui a attiré l’attention sur les Directives pour expliquer la divergence et fait valoir qu’il conviendrait d’envisager la possibilité que des gens vulnérables comme Mme Mirzaee aient des souvenirs imprécis de certains événements en raison de traumatismes qu’ils ont vécus. La SPR a plutôt jugé que Mme Mirzaee était une femme forte et intelligente qui s’exprimait bien et qu’elle n’était « pas une demandeure d’asile qui avait besoin de bénéficier des Directives ». La SPR a en outre souligné que, même si le « défaut de la demandeure d’asile de se souvenir d’événements ou de détails » peut être excusable d’après les Directives, Mme Mirzaee n’avait pas oublié des événements. La SPR a plutôt conclu que Mme Mirzaee avait été « très claire à la base » au sujet de la chronologie, mais que sa chronologie avait été minée par la preuve documentaire, même si des imprécisions avaient été tolérées.

[16]  La SPR a aussi mis en doute la preuve présentée concernant la réunion des anciens, estimant que le témoignage de Mme Mirzaee était vague, dans la mesure où elle ne savait pas qui étaient les anciens ni s’ils étaient des parents ou non. La mère de Mme Mirzaee a témoigné par téléconférence depuis l’Afghanistan pour dire que les anciens étaient tous des parents et qu’il s’agissait essentiellement des mêmes personnes qui avaient tenté d’imposer le mariage en premier lieu. La mère de Mme Mirzaee a néanmoins déclaré qu’elle n’avait pas communiqué cette information à Mme Mirzaee. Qui plus est, elle a ajouté qu’elle n’avait eu d’autre choix que de soumettre la question aux anciens. La SPR a estimé qu’il n’était pas crédible que la mère de Mme Mirzaee n’ait eu d’autre choix que de soumettre la question aux anciens, compte tenu de leur identité. La SPR a jugé que cette réunion des anciens n’était qu’une « mascarade ». Par ailleurs, la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible que la mère de Mme Mirzaee n’informe pas sa fille de l’identité des anciens, étant donné qu’elles « tentaient stratégiquement, ensemble, de refuser [le mariage avec le cousin] ».

[17]  La SPR a également relevé des incohérences et des divergences supplémentaires dans les témoignages de Mme Mirzaee et de sa mère. Premièrement, Mme Mirzaee a déclaré que la mère de son cousin lui avait rendu visite à de nombreuses occasions afin de plaider en faveur du mariage proposé, tandis que sa mère a affirmé qu’il n’y avait eu qu’une ou deux visites. Deuxièmement, Mme Mirzaee a déclaré qu’elle n’avait aucun souvenir de son père et qu’il avait passé peu de temps avec elle. Cependant, sa mère a affirmé que le père de Mme Mirzaee était à la maison la plupart des soirées. D’après la SPR, cette contradiction était importante, étant donné que Mme Mirzaee avait insisté pour dire qu’elle était une femme non accompagnée et que, partant, elle était exposée à un risque. Troisièmement, en racontant une bagarre survenue entre son cousin et sa sœur, Mme Mirzaee a déclaré que son cousin avait lancé un verre d’eau contre le mur. La mère de Mme Mirzaee, qui s’est fait raconter cette bagarre uniquement après coup, ne s’en souvenait pas, alors que la SPR avait conclu qu’elle avait par ailleurs une bonne connaissance de l’incident.

[18]  En ce qui concerne le rôle de la mère de Mme Mirzaee auprès de l’organisation Hamida Barmaki, la SPR a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, elle n’était pas employée par cette organisation. Par conséquent, la SPR a conclu que le risque auquel Mme Mirzaee serait exposée en raison de l’emploi de sa mère auprès de cette organisation n’était pas crédible. La SPR a pris note du témoignage de la mère selon lequel elle travaillait comme directrice générale adjointe de l’organisation Hamida Barmaki. La SPR a toutefois constaté que son nom ne figurait pas sur le site Web de l’organisation et qu’une autre personne était désignée à ce poste. La mère de Mme Mirzaee a expliqué que le site Web n’était pas à jour, mais la SPR a fait remarquer qu’il avait été mis à jour entre les deuxième et troisième audiences de la SPR et que son nom n’y figurait toujours pas. La mère de Mme Mirzaee a en outre expliqué que l’organisation ne publiait plus en ligne le nom de ses employés pour des raisons de sécurité. La SPR a rejeté cette explication parce que trois noms d’employés demeuraient inscrits. La SPR a aussi exprimé une préoccupation semblable quant au témoignage de la mère concernant l’adresse publiée sur le site Web de l’organisation. La SPR a jugé préoccupant le manque de clarté concernant l’adresse de l’organisation Hamida Barmaki. Elle a également conclu que Mme Mirzaee avait exagéré les menaces auxquelles était exposée l’organisation. Même si Mme Mirzaee a déclaré que [traduction] « les talibans ne menacent jamais directement une personne, ils menacent un organisme, pas une personne », elle n’a pu signaler aucune menace précise à l’endroit de l’organisation Hamida Barmaki ou de ses membres, et la mère de Mme Mirzaee n’a pas pu non plus en mentionner.

[19]  Quoi qu’il en soit, la SPR a jugé que, même si l’emploi de la mère de Mme Mirzaee était réel, la menace à laquelle elle était exposée constituait un « risque généralisé auquel toutes les ONG en Afghanistan sont exposées », et la SPR a estimé que ce risque était insuffisant. La SPR a reconnu que les employés des ONG sont exposés à un risque accru de persécution, mais a conclu que Mme Mirzaee n’avait pas fourni d’éléments de preuve convaincants pour établir que sa mère ou elle étaient réellement ciblées. Par conséquent, la SPR a conclu qu’elles « ne correspond[ent] pas au profil de risque [des] personne[s] visée[s] en raison de [leur] association à une ONG ».

[20]  Selon la SPR, les préoccupations susmentionnées en matière de crédibilité étaient graves et déterminantes. De plus, elle a jugé que les préoccupations étaient « aggravées » par le fait que Mme Mirzaee n’avait pas d’abord demandé l’asile aux États‑Unis lors de son séjour dans ce pays et que cela démontrait un manque de crainte subjective. La SPR a tenu compte de l’explication de Mme Mirzaee pour son omission de demander l’asile aux États‑Unis, à savoir qu’elle croyait qu’elle aurait une meilleure chance de réussite au Canada. Toutefois, la SPR a jugé que les actions de Mme Mirzaee ne correspondaient pas à celles d’une véritable réfugiée; ils démontraient plutôt qu’elle avait magasiné le meilleur pays d’asile. De plus, selon la SPR, Mme Mirzaee n’avait pas de liens avec le Canada, tandis qu’elle en avait quelques‑uns avec les États‑Unis.

[21]  Enfin, la SPR n’a pas jugé crédible que Mme Mirzaee dise craindre de retourner en Afghanistan en raison de son association avec l’« Occident ». Même si elle a reconnu que les personnes qui reviennent de l’Occident peuvent être prises pour cibles en Afghanistan parce qu’elles ont des valeurs occidentales, la SPR a fait observer que ce risque est accru lorsqu’une personne s’inscrit dans d’autres profils de risque, dont aucun ne correspond à la situation de Mme Mirzaee. La SPR a en outre jugé qu’il existe « au mieux » un « faible » risque que les talibans découvrent que Mme Mirzaee est allée en Occident. Enfin, la « quête du meilleur pays d’asile » de Mme Mirzaee a incité la SPR à penser qu’elle ne craignait pas vraiment de retourner en Afghanistan simplement parce qu’elle avait été à l’étranger.

C.  La norme de contrôle

[22]  Les parties conviennent qu’il existe une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable à l’évaluation du fond de la Décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25). Aucune des circonstances justifiant de déroger à cette présomption ne s’applique en l’espèce (Lunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 704 aux para 13‑16).

[23]  Lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour doit chercher à comprendre le raisonnement qui a mené à la décision afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Pour parvenir à une conclusion à cet égard, la cour de révision qui procède au contrôle cherche à savoir si la décision possède les attributs de la raisonnabilité — justification, transparence et intelligibilité — et si elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 25). Lorsque la norme applicable est celle de la décision raisonnable, la cour de révision qui procède au contrôle doit s’intéresser à « la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et aux résultats de la décision », afin d’établir si la décision « est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, aux para 83, 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], aux para 2, 31). Selon le cadre d’analyse de la décision raisonnable établi dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision adopte une approche qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » (Société canadienne des postes, au para 26). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle à la lumière de l’ensemble du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif dans le cadre duquel ils sont fournis (Vavilov, aux para 91‑94, 97). Toutefois, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable […] le décideur doit également […] justifier sa décision » (Vavilov, au para 86).

III.  Analyse

A.  La question du caractère théorique

[24]  Le Ministre fait valoir que, puisque Mme Mirzaee est volontairement retournée en Afghanistan en mars 2018 et qu’elle s’y est réinstallée en 2020, sa demande de contrôle judiciaire est maintenant théorique. Mme Mirzaee conteste cette prétention et soutient que la doctrine du caractère théorique ne s’applique pas à sa situation compte tenu des critères établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski]. Elle soutient que sa demande soulève plus qu’une question hypothétique ou abstraite, car, à moins que la Décision de la SPR ne soit annulée par la Cour, il ne lui est plus loisible de présenter une autre demande d’asile à la SPR aux termes de l’alinéa 101(1)b) de la LIPR. S’appuyant sur un précédent où étaient en cause les exigences en matière de résidence permanente, elle affirme en outre que la question n’est pas de savoir si elle se trouve actuellement dans son pays d’origine, mais bien si elle sera hors de son pays d’origine lorsque l’affaire sera tranchée à nouveau par la SPR. Elle soutient que si la Cour estime que l’affaire est théorique, cette dernière devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’affaire, puisqu’il existe des questions en litige non tranchées opposant les parties et que ces questions sont suffisamment importantes pour justifier l’utilisation des ressources judiciaires (Borowski, au para 15).

[25]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le Ministre pour dire que la demande de Mme Mirzaee est maintenant théorique. Cependant, vu les circonstances inhabituelles de l’espèce, j’estime qu’il y a des motifs suffisants justifiant que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour examiner malgré tout le fond de la demande de Mme Mirzaee.

[26]  Une procédure revêt un caractère théorique lorsqu’une décision de la Cour n’aurait pas pour effet de régler un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Il n’est pas contesté que le texte faisant autorité sur la question du caractère théorique est l’arrêt de la Cour suprême du Canada Borowski (Yuris c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CAF 173, aux para 7‑9). Dans cet arrêt, la Cour suprême établit le critère en deux volets suivant pour déterminer si une cour devrait refuser d’entendre une affaire en raison de son caractère théorique. La Cour doit d’abord déterminer si les questions en litige sont devenues théoriques et, dans l’affirmative, décider dans un deuxième temps si elle exerce néanmoins son pouvoir discrétionnaire et entend l’affaire dans l’intérêt de la justice. Dans ce dernier cas, au nombre des facteurs pertinents, mentionnons l’existence d’un contexte contradictoire, la nécessité d’économiser les ressources judiciaires et la conscience que doivent avoir les tribunaux de leur fonction juridictionnelle dans la structure politique du Canada.

[27]  En ce qui concerne le premier volet du critère, je crois comme le Ministre qu’une décision sur la présente demande de contrôle judiciaire n’aura pas d’effet pratique sur les droits des parties parce que Mme Mirzaee a volontairement décidé de retourner s’établir en Afghanistan. Ce faisant, Mme Mirzaee ne satisfait plus à la définition de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la LIPR, car elle ne se trouve pas hors du pays dont elle a la nationalité ni au Canada au moment de l’audition de sa demande. Autrement dit, en retournant s’établir volontairement en Afghanistan, où elle vit maintenant et travaille en tant que pilote commerciale, Mme Mirzaee a résolu le différend à l’origine du litige présenté en mars 2017.

[28]  Comme l’a fait remarquer à juste titre le Ministre, la LIPR exprime clairement aux articles 96 et 97 que le législateur avait l’intention que la SPR détermine si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger pendant qu’il se trouve hors du pays dont il a la nationalité ou dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ou au Canada, respectivement. Or, ce n’est plus le cas pour Mme Mirzaee. En fait, en retournant volontairement en Afghanistan en 2018 et en s’y réinstallant en 2020 après avoir effectué deux programmes de formation dans deux autres pays (c.‑à‑d. les Philippines et la Bulgarie), Mme Mirzaee a démontré qu’elle n’est pas une personne à protéger au Canada et qu’elle n’a pas besoin que la Cour contrôle le refus de cette protection décidé par la SPR. En l’espèce, le fait que Mme Mirzaee ait fait le choix de vivre et de travailler dans le pays où elle dit être exposée à un risque de persécution suffit pour rendre sa demande actuelle théorique. La LIPR n’envisage pas la possibilité d’offrir l’asile à des demandeurs d’asile qui ont eux-mêmes choisi de se placer dans la situation dans laquelle se trouve maintenant Mme Mirzaee.

[29]  Il est vrai que, dans de nombreuses autres affaires, la Cour a refusé de reconnaître le caractère théorique et a estimé que, dans l’intérêt de la justice, les demandes devaient être instruites lorsque le demandeur d’asile avait quitté le Canada involontairement avant que sa demande de contrôle judiciaire ne puisse être examinée par la Cour (Kleib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1238 au para 3; Mrda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 49 au para 31; Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 345 aux para 38, 43; Rosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1234 [Rosa] au para 36; Freitas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 432 au para 26, citant Ramoutar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 CF 370 au para 15). Je dois toutefois souligner que, dans toutes ces affaires, le demandeur d’asile avait été involontairement renvoyé ou expulsé, contre son gré et par contrainte. Dans ces précédents, la nature involontaire du renvoi constitue un élément crucial sur lequel reposent les décisions de la Cour. Je ne connais aucun précédent, et Mme Mirzaee n’en a cité aucun, où la question du caractère théorique a été soulevée dans un contexte où, comme en l’espèce, le demandeur d’asile a quitté le Canada volontairement. Qui plus est, Mme Mirzaee a quitté le Canada pour l’Afghanistan à un moment où le Canada avait mis en place des mesures interdisant les renvois forcés vers ce pays.

[30]  Je reconnais que les tribunaux n’ont encore jamais statué qu’un départ volontaire du Canada rend théorique une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la SPR. Toutefois, toutes les affaires exprimant le contraire concernaient des départs involontaires du Canada. En l’espèce, je suis d’accord avec le Ministre pour dire que le départ volontaire de Mme Mirzaee change fondamentalement la donne. Le Ministre n’a pas renvoyé Mme Mirzaee et il n’avait pas l’intention de le faire lorsqu’elle est partie volontairement. En fait, la suspension temporaire du Canada des renvois vers Afghanistan demeure toujours en vigueur aujourd’hui.

[31]  Mme Mirzaee prétend que la question n’est pas de savoir si elle se trouve actuellement dans le pays dont elle a la nationalité, mais bien si elle sera hors du pays dont elle a la nationalité lorsque l’affaire sera tranchée de nouveau par la SPR. À mon avis, cet argument n’est pas fondé. D’abord, l’affirmation de Mme Mirzaee donne à penser qu’elle sera en mesure de rentrer au Canada si la Cour accueille sa demande de contrôle judiciaire. Cela est purement hypothétique. Ensuite, aucun des précédents invoqués par Mme Mirzaee à l’appui de sa position ne s’applique à sa situation, car ils concernent des demandes de résidence permanente dans le cadre desquelles certaines conditions préalables ont été imposées par erreur.

[32]  Vu le libellé clair de la LIPR, la préoccupation, dans la jurisprudence relative aux affaires théoriques, quant au caractère involontaire et l’incapacité de Mme Mirzaee de soulever tout argument contraire convaincant, je conviens avec le Ministre que le premier volet du critère exposé dans l’arrêt Borowski est respecté et que la présente affaire est devenue théorique. Autrement dit, la demande de contrôle judiciaire d’une demande d’asile refusée devient théorique en raison du départ volontaire du demandeur d’asile du Canada et de sa réinstallation dans le pays dont il a la nationalité.

[33]  Cela dit, je dois toujours évaluer si le deuxième volet de l’analyse exposée dans l’arrêt Borowski est respecté en l’espèce. Comme l’a souligné la Cour suprême, même si une affaire est théorique, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire qui lui est présentée lorsque les circonstances et l’intérêt de la justice le justifient. Cela suppose la prise en considération de trois principes : 1) la présence d’un contexte contradictoire; 2) la nécessité de favoriser l’économie des ressources judiciaires; 3) la nécessité que la Cour reste sensible à sa fonction juridictionnelle au sein de notre structure politique (Borowski, aux para 31, 34, 40). La Cour d’appel fédérale s’est prononcée sur les principes susmentionnés dans l’arrêt Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195, au paragraphe 14 :

[14] Le premier facteur peut appuyer l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas où, malgré l’absence d’un différend concret, les parties ayant un intérêt dans l’issue de l’affaire débattront pleinement des questions en litige. S’agissant du deuxième facteur, peuvent notamment être d’intérêt les questions de nature répétitive qui sont de courte durée ou qui échapperaient autrement au contrôle judiciaire. Le troisième facteur s’intéresse au rôle fondamental des tribunaux dans le contexte de la séparation des pouvoirs prévue par la Constitution, soit de résoudre de véritables litiges. Notre Cour a fait les observations suivantes à ce sujet : « Bien que l’arrêt Borowski et les décisions qui s’en inspirent n’interdisent pas aux tribunaux de trancher une affaire après que le différend en tant que tel eut cessé d’exister, ce raisonnement sous-jacent nous rappelle que le pouvoir discrétionnaire d’agir de la sorte doit être exercé avec prudence » : Canada (Revenu national) c. McNally, 2015 CAF 248, par. 5.

[34]  En l’espèce, je suis convaincu qu’il subsiste un contexte contradictoire bien réel compte tenu de la participation active des deux parties dans la demande de contrôle judiciaire et du mémoire des faits et du droit présenté par le Ministre dans lequel ce dernier conteste le bien‑fondé de la demande de Mme Mirzaee. Les deux parties souhaitent toujours défendre leur thèse respective concernant le caractère raisonnable de la Décision de la SPR, et elles ont réussi à le faire dans leurs observations écrites et dans les arguments oraux qu’elles ont présentés à la Cour. Le rapport contradictoire nécessaire entre les parties continue d’exister malgré le caractère théorique de la demande. Par conséquent, ce facteur milite en faveur de Mme Mirzaee.

[35]  S’agissant du deuxième facteur, la préoccupation concernant l’économie des ressources judiciaires, on pourrait soutenir que l’intérêt pour l’économie des ressources judiciaires favorise le rejet de la demande de contrôle judiciaire parce que l’issue de la demande n’aurait aucune conséquence pratique pour Mme Mirzaee, car elle a volontairement quitté le Canada et elle est retournée en Afghanistan, le pays où elle prétend subir de la persécution. Par conséquent, il serait peu utile pour les parties que la Cour parvienne à une décision à l’égard des questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas non plus d’une situation où est en litige une question de droit qui, si elle était réglée, aiderait les parties dans la poursuite de leur relation. Le litige entre les parties porte sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit qui sont fortement tributaires des faits.

[36]  Toutefois, je constate que, dans la mesure où la Cour devrait prendre garde à ne pas gaspiller de rares ressources judiciaires en instruisant des affaires qui sont par ailleurs théoriques, ces ressources ont déjà été utilisées par les parties pour la préparation des documents écrits et l’instruction de la présente affaire. Vu les circonstances inhabituelles de l’espèce et les retards créés par la mise en suspens de l’affaire en raison de l’arrêt Kreishan, la question du caractère théorique n’est survenue que tard durant le processus. L’économie des ressources judiciaires n’est donc pas vraiment un facteur qui milite contre l’examen de la demande de Mme Mirzaee.

[37]  Le troisième facteur mentionné dans l’arrêt Borowski est l’obligation pour la Cour d’être consciente de sa fonction juridictionnelle, et il s’applique habituellement lorsque la Cour est appelée à trancher une question de portée générale. Étant donné la nature factuelle du différend dans la demande de contrôle judiciaire de Mme Mirzaee, j’estime que ce facteur n’est guère favorable à Mme Mirzaee. Les questions à trancher dans le cadre de sa demande ne doivent pas absolument être examinées par la Cour. Le Ministre affirme en outre que Mme Mirzaee demande en fait à la Cour de reconnaître une nouvelle catégorie de personnes à protéger nonobstant l’alinéa 108(1)d) de la LIPR, qui prévoit que les demandeurs n’ont pas qualité de personne à protéger s’ils retournent volontairement s’établir dans leur pays d’origine. Sur ce point, le Ministre signale que la Cour a fait une mise en garde par rapport à l’établissement d’une nouvelle catégorie de personnes à protéger (Mekuria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 304 aux para 13‑14).

[38]  À la lumière de ce qui précède, la prise en considération des trois principes mentionnés dans l’arrêt Borowski ne débouche pas sur une orientation claire relativement à l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. En fin de compte, abordant la question avec prudence et précaution, je suis convaincu que l’analyse exposée dans l’arrêt Borowski et l’intérêt de la justice militent légèrement en faveur de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire pour que j’examine le fond de la demande de Mme Mirzaee, même si l’affaire est maintenant théorique (Harvan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1026 au para 7). J’utiliserai donc mon pouvoir discrétionnaire pour examiner le fond de la demande de Mme Mirzaee.

B.  Le caractère raisonnable de la Décision

[39]  En ce qui a trait au fond de la Décision de la SPR, Mme Mirzaee soutient qu’elle est déraisonnable pour plusieurs raisons. D’abord, Mme Mirzaee prétend que la SPR a commis une erreur en procédant à une analyse à la loupe de la preuve pour tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité. En d’autres termes, elle avance que la SPR s’est concentrée sur des détails mineurs et peu pertinents, ce qui rend la Décision déraisonnable (Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1515 au para 6; Shaheen c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 670 au para 14). Elle isole différents extraits de la transcription de l’audience de la SPR et soutient que les questions de la SPR au sujet du mariage forcé, du fait qu’elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis et de l’emploi de sa mère concernaient des détails insignifiants.

[40]  En outre, Mme Mirzaee affirme que la preuve qu’elle a présentée a été déraisonnablement interprétée du point de vue d’un pays industrialisé, sans prise en considération du contexte culturel afghan. Par exemple, elle note que sa mère n’aurait pas pu protester contre la tenue de la réunion des anciens, vu l’importance de telles réunions dans la culture afghane. Qui plus est, Mme Mirzaee affirme que la SPR aurait dû prendre en considération les pratiques traditionnelles préjudiciables des mariages forcés en Afghanistan, comme en témoigne la preuve documentaire. Elle souligne également que la Décision a fait fi du rapport de police qu’elle a déposé contre son cousin, rapport qui corrobore son témoignage. Par conséquent, elle est d’avis que les conclusions de la SPR étaient conjecturales et ne contenaient aucun fondement probatoire.

[41]  Mme Mirzaee insiste aussi pour dire que la SPR s’est montrée déraisonnable en concluant que Mme Mirzaee n’avait pas besoin de se prévaloir des Directives parce qu’elle était une « femme et non […] une enfant » qui s’exprimait bien. Mme Mirzaee soutient que la SPR a fermé les yeux sur le fait qu’elle était une demandeure d’asile non accompagnée âgée de 18 ans, et que la SPR n’a donc pas [traduction« démontr[é] une connaissance spéciale de la persécution fondée sur le sexe et [n’a pas] appliqu[é] cette connaissance avec compréhension et sensibilité » (Keleta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 56 au para 14).

[42]  Enfin, Mme Mirzaee fait valoir que la SPR a commis une erreur en évaluant son profil de risque. Elle affirme que, contrairement aux conclusions de la SPR, le fait qu’elle soit allée en Occident est en soi un profil de risque, car elle serait perçue comme étant « occidentalisée ». Dans le même ordre d’idées, elle soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de faire abstraction du fait que son identité en tant que jeune femme ayant des opinions politiques exacerbait son risque de persécution. Mme Mirzaee accuse aussi la SPR d’avoir signalé son défaut de demander l’asile aux États‑Unis. Selon elle, ce faisant, elle tentait simplement d’obtenir la meilleure protection possible.

[43]  Je ne souscris pas à l’évaluation de Mme Mirzaee et je ne suis convaincu par aucun de ses arguments. Je conclus plutôt que la SPR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et que la Décision est raisonnable.

[44]  Dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], j’ai résumé les principes régissant la manière dont un tribunal administratif comme la SPR doit évaluer la crédibilité des demandeurs d’asile (Lawani, aux para 20–26). Appliquant ces principes, je conclus que la Décision de la SPR est raisonnable à tous les égards. Dans le cas de Mme Mirzaee, l’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments de preuve cruciaux de sa demande d’asile appuie amplement les conclusions de manque de crédibilité tirées par la SPR (Lawani, au para 21). J’ajoute que les conclusions défavorables en matière de crédibilité ne découlent pas de contradictions mineures qui étaient secondaires ou accessoires à la demande d’asile, mais de contradictions qui touchaient plutôt le cœur même du récit sous‑jacent de Mme Mirzaee, c’est‑à‑dire les menaces de persécution découlant de son mariage forcé allégué, de l’emploi qu’aurait sa mère et de son occidentalisation perçue.

[45]  Contrairement aux prétentions de Mme Mirzaee, les conclusions relatives à la crédibilité étaient au cœur de tous les aspects des allégations et déterminantes quant à ceux-ci. Elles avaient notamment trait à des incohérences dans les témoignages fournis par Mme Mirzaee et sa mère sur la réunion des anciens, le nombre de fois que la mère de son cousin leur avait rendu visite, leur relation avec le père de Mme Mirzaee, la violence dont aurait fait preuve son cousin et l’emploi de sa mère. Je n’accepte pas qu’on puisse reprocher à la SPR d’avoir procédé à une analyse inappropriée et à la loupe de la preuve. On ne peut pas dire qu’une analyse est faite à la loupe simplement parce que cette analyse s’avère détaillée et exhaustive. Ce n’est que lorsque des conclusions défavorables en matière de crédibilité se fondent sur un examen à la loupe de questions sans pertinence ou périphériques eu égard à la demande d’asile qu’elles peuvent justifier l’intervention de la Cour (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) au para 9; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 au para 4). En l’espèce, les conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient loin d’être liées à des questions périphériques ou sans pertinence.

[46]  Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comprendre une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable de la décision, la cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse » et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov, au para 84). La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13). Il est bien établi que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation que fait la SPR de la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF) au para 4). Les conclusions de la SPR sur la crédibilité exigent un degré élevé de retenue de la part des cours lors du contrôle judiciaire, compte tenu du rôle de juge des faits attribué au tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59, 89; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 au para 9).

[47]  Au bout du compte, les arguments avancés par Mme Mirzaee expriment simplement son désaccord quant à l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et invitent en fait la Cour à préférer son opinion et son redécoupage de la preuve à l’analyse faite par la SPR. Or, ce n’est pas le rôle d’une cour de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[48]  Depuis l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs ont revêtu une importance accrue et se sont désormais affichés comme le point de départ de l’analyse. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov, au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite » et à se prémunir contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov, au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision. Dans le cas de Mme Mirzaee, je suis convaincu que les motifs de la décision de la SPR justifient amplement ses conclusions de manière transparente et intelligible et me permettent de comprendre pourquoi la SPR a conclu au manque de crédibilité (Société canadienne des postes, aux para 28‑29; Vavilov, aux para 81, 136). Ils démontrent que la SPR a suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique dans son analyse et que la Décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur la SPR (Société canadienne des postes, au para 30, citant Vavilov, aux para 105‑107). En fin de compte, rien dans les erreurs alléguées par Mme Mirzaee ne m’amène « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (Vavilov, au para 123).

[49]  Je suis aussi conscient qu’il faut faire preuve de prudence en ce qui concerne les conclusions défavorables en matière de crédibilité dans les affaires de réfugiés (Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776 au para 9). La SPR devrait notamment faire preuve de sensibilité à l’égard des différences culturelles lorsqu’elle tire de telles conclusions, et elle doit toujours fournir des motifs suffisants à l’appui de telles conclusions (Alhaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 98 au para 14; Kiyarath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1269 au para 22). Autrement, ces conclusions pourraient être jugées arbitraires et déraisonnables. Dans le cas qui nous occupe, je ne suis pas convaincu que la SPR ait fait abstraction de la culture afghane. Au contraire, les appréciations de la SPR ont été faites en termes clairs et sans équivoque, et elles comportaient des explications détaillées quant à savoir pourquoi, du point de vue du tribunal, le témoignage de Mme Mirzaee comportait des lacunes et se situait en marge de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre.

[50]  De même, bien que la SPR ait reconnu que les gens qui retournent en Afghanistan peuvent être ciblés en tant qu’espions occidentaux ou en tant que personnes ayant adopté des valeurs occidentales, le tribunal a signalé que le risque est exacerbé lorsqu’une personne présente certains profils de risque — comme les travailleurs humanitaires et les travailleurs chargés du développement, ainsi que les femmes dans la sphère publique. La SPR a expressément conclu que le témoignage de Mme Mirzaee selon lequel elle s’inscrivait dans ces catégories n’était pas crédible. Dans ces circonstances, il était loisible à la SPR de conclure que la crainte de persécution invoquée par Mme Mirzaee, qui serait attribuable au fait qu’elle serait perçue comme étant « occidentalisée », n’était pas étayée et qu’il était au mieux peu probable que les talibans découvrent qu’elle avait fait un voyage aux États‑Unis.

[51]  En ce qui a trait à la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Mirzaee n’a pas de crainte subjective parce qu’elle a demandé l’asile au Canada, alors qu’elle avait préalablement obtenu le droit d’établissement aux États‑Unis, je ne vois pas comment cela pourrait être jugé déraisonnable dans les circonstances. Mme Mirzaee n’a fourni aucune explication raisonnable quant à la raison pour laquelle elle n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis. Au contraire, la preuve montre qu’il s’agissait d’un calcul bien dosé de sa part, puisqu’elle a en fait soupesé les avantages et les inconvénients des diverses options possibles avant de décider de demander l’asile au Canada. Son comportement recèle toutes les caractéristiques de celui d’une personne à la recherche du meilleur pays d’asile. Par conséquent, il était entièrement raisonnable que la SPR conclue que, dans les circonstances, son comportement ne concordait pas avec une crainte subjective de persécution. Il est bien reconnu que le défaut de demander l’asile à la première occasion et le retour dans le pays de persécution sont des facteurs qui minent la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs d’asile.

[52]  En ce qui concerne les Directives, je suis convaincu que la SPR a tenu compte de la situation personnelle de Mme Mirzaee. Contrairement à ce que cette dernière soutient, la SPR n’a pas omis de tenir compte dans sa Décision des Directives ni ne les a écartées. La SPR en a au contraire expressément fait mention au début de son analyse. De plus, les Directives ne sont pas conçues pour compenser toutes les omissions ou les lacunes que comporte une demande d’asile ou la preuve soumise à son appui (Mavangou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 177 au para 48; Ismail c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 446 au para 26). Elles n’exigent pas non plus que tous les documents et toutes les allégations soient acceptés d’emblée, mais elles sont plutôt conçues pour assurer la tenue d’une audience équitable (Odurukwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 613 au para 40). Comme la juge Gagné l’a affirmé dans la décision Duversin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 466 [Duversin], les Directives ne peuvent pas en soi améliorer ou rehausser la preuve de persécution fondée sur le sexe. Elles ne font que dicter l’attitude que la SPR doit adopter et l’ouverture d’esprit dont elle doit faire preuve lorsqu’elle est confrontée à de telles allégations de persécution (Duversin, au para 30). Les Directives ont été adoptées pour que les décideurs administratifs considèrent tous les enjeux avec empathie. Pour que la SPR tienne dûment compte des Directives, elle doit apprécier le témoignage de la demandeure d’asile tout en étant attentive et sensible à son sexe, aux normes sociales, culturelles, économiques et religieuses de sa communauté et aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution (Odia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 663 [Odia] au para 9). Dans la décision Boluka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 37 [Boluka], la Cour a rappelé que la « demanderesse doit démontrer que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion pour convaincre la Cour que les Directives n’ont pas été appliquées » (Boluka, au para 16).

[53]  En l’espèce, Mme Mirzaee ne m’a pas convaincu que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion dans l’évaluation de son témoignage. Je conviens qu’il n’est pas suffisant que la SPR dise que les Directives ont été prises en considération ou appliquées pour conclure qu’elles ont bel et bien été suivies. La décision doit aussi montrer qu’elles ont été appliquées de façon satisfaisante (Odia, au para 18). À mon avis, les motifs de la SPR illustrent la compassion et la sensibilité dont a fait preuve la SPR à l’endroit de Mme Mirzaee, ainsi que la reconnaissance par la SPR de sa situation particulière, de ses antécédents et de son éducation. Même si, ultimement, la SPR a conclu que Mme Mirzaee manquait de crédibilité, je suis convaincu qu’elle a entièrement respecté la lettre et l’esprit des Directives dans son analyse.

[54]  Avant de pouvoir annuler une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la Cour qui procède au contrôle doit être convaincue qu’« elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives (Vavilov, aux para 12‑13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct et de l’expertise spécialisée des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 13, 75, 93). En d’autres termes, la cour de révision doit faire preuve de déférence, tout particulièrement à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne s’immiscera pas dans les conclusions factuelles du décideur administratif (Vavilov, aux para 125‑126). Je suis d’avis qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle en l’espèce.

C.  La question certifiée

[55]  À l’audience devant la Cour, le Ministre a proposé la question suivante à certifier : [traduction« Est‑ce qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SPR devient théorique si la personne qui est visée par la décision retourne volontairement dans le pays dont elle a la nationalité, et, le cas échéant, est‑ce que la Cour devrait en principe refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’affaire ? » Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime que la question proposée ne satisfait pas aux exigences strictes de certification élaborées par la Cour d’appel fédérale.

[56]  Selon l’alinéa 74d) de la LIPR, une question peut être certifiée par la Cour si « l’affaire soulève une question grave de portée générale ». Pour être certifiée, la question doit être grave et 1) être déterminante quant à l’issue de l’appel; 2) transcender les intérêts des parties au litige; 3) porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au para 36; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 [Mudrak] aux para 15‑16). Corollairement, la question doit avoir été examinée par la Cour et doit découler de l’affaire (Mudrak, au para 16; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145 au para 29).

[57]  Je refuse de certifier la question proposée par le Ministre parce qu’elle ne sera pas déterminante quant à l’issue de l’appel. Comme je l’ai mentionné précédemment, peu importe si la demande de contrôle judiciaire de Mme Mirzaee est théorique ou non, rien ne justifie que la Cour intervienne et annule la Décision de la SPR puisque celle-ci n’est pas déraisonnable. Étant donné ma conclusion selon laquelle la Décision est raisonnable, le résultat est le même que l’affaire soit théorique ou non. Comme je l’ai fait remarquer à l’audience, si le Ministre n’avait pas contesté les allégations de Mme Mirzaee selon lesquelles la Décision est déraisonnable et s’était fondé uniquement sur le caractère théorique de sa demande de contrôle judiciaire, ou si j’avais conclu que la Décision était déraisonnable, la question du caractère théorique aurait été déterminante quant à l’issue de l’appel. Toutefois, en l’espèce, le Ministre n’a pas reconnu que la Décision était déraisonnable, et il a en fait soutenu qu’elle ne l’était pas.

[58]  Il convient de distinguer la présente affaire de Celestin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 97 [Celestin], où la Cour a conclu que la question à certifier était déterminante parce qu’elle avait jugé que la décision sous‑jacente du décideur était déraisonnable (Celestin, au para 140). Dans cette affaire, étant donné la conclusion au sujet du caractère déraisonnable, la décision sur l’interprétation du régime réglementaire était déterminante quant à la nécessité d’une intervention judiciaire. Comme la Cour l’a affirmé dans la décision Rosa au paragraphe 47, dans un cas comme celui-ci, une requête en rejet de la demande de contrôle judiciaire constituerait une façon plus efficace de saisir la Cour d’appel fédérale de la question du caractère théorique au moyen d’une question certifiée, après le prononcé d’une décision initiale par la Cour.

IV.  Conclusion

[59]  Pour les motifs énoncés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je suis convaincu que la SPR a raisonnablement tenu compte des éléments de preuve à sa disposition et qu’elle a adéquatement expliqué pourquoi elle a conclu que la demande d’asile de Mme Mirzaee devrait être rejetée. La norme de la décision raisonnable exige uniquement que les motifs détaillés qui accompagnent la Décision montrent que la conclusion est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. C’est le cas en l’espèce. Qui plus est, la demande de contrôle judiciaire de Mme Mirzaee est maintenant théorique, car cette dernière est volontairement retournée dans le pays dont elle a la citoyenneté, l’Afghanistan, et qu’elle s’y est réinstallée. Par conséquent, l’intervention de la Cour n’est aucunement justifiée.

[60]  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1028‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1028‑17

 

INTITULÉ :

MOHADESE MIRZAEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 JUILLET 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

POUR La demanderesse

 

Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.