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Date : 20201015


Dossier : T-467-20

Citation : 2020 CF 973

Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

PIERRE BARBE

Demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

JUGEMENT

VU la requête du Procureur général du Canada (le défendeur) déposée le 24 juillet 2020, conformément à la Règle 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], qui vise à obtenir un jugement en radiation dans la demande en l’instance;

CONSIDÉRANT la preuve indiquant que la demande a été signifiée au demandeur le 24 juillet 2020;

CONSIDÉRANT que le demandeur n’a pas déposé une réponse à la requête et que le délai pour le faire est passé;

LECTURE FAITE des représentations écrites du défendeur;

CONSIDÉRANT que :

[1]  Le contexte de l’affaire en l’instance est :

  • Le demandeur travaillait pour Latulippe & associés consultants inc. (Latulippe) pour la période entre le 24 avril 2017 et 8 février 2018;
  • Le demandeur a demandé une décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) afin de déterminer s’il effectuait son travail auprès Latulippe dans le cadre d’un emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, ch 23. Le 8 mai 2018, la division des décisions de l’ARC a déterminé que le demandeur rendait des services à titre d’employé auprès de Latulippe;
  • Le Ministre du Revenu national (Ministre) a confirmé cette décision par une décision datée le 21 août 2018. Latulippe a porté appel de cette décision à la Cour canadienne de l’impôt, mais s’est désisté le 16 octobre 2019, confirmant ainsi le statut d’employé assurable du demandeur;
  • Le 5 décembre 2018 et le 16 mai 2019, une agente de l’ARC a émis des relevés T4 pour les années d’imposition 2017 et 2018 qui indiquent le montant des revenus d’emploi gagné par le demandeur, et qui n’indiquent aucun montant d’impôt retenu à la source;
  • Le 9 mai 2019 et le 25 juillet 2019, le Ministre a émis des avis de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2017 et 2018, compte tenu du fait que ces revenus d’emploi n’avaient pas été déclarés par le demandeur;
  • Le demandeur a soumis un avis d’opposition, mais le 16 mars 2020 une agente des appels à l’ARC l’a refusé, puisque le demandeur ne contestait pas les montants de revenus, mais par contre il conteste les montants d’impôt retenus à la source ainsi que les cotisations d’employé au Régime des rentes du Québec;
  • Le 14 avril 2020, le demandeur a déposé un avis de demande en contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision de l’agente des appels;
  • Le 27 avril 2020, le demandeur a déposé une requête afin de proroger le délai prévu pour le dépôt de son avis de demande en contrôle judiciaire. Le 12 août 2020, la Cour a rejeté sa demande, compte tenu du fait que le demandeur a en fait déposé sa demande à l’intérieur du délai;
  • Le 24 juillet 2020, le défendeur a déposé une requête qui vise à obtenir un jugement en radiation de la demande en l’instance; le demandeur n’a pas déposé une réponse à cette requête.

[2]  La question devant moi est de savoir si l’avis de demande de contrôle judiciaire est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 FC 588 (FCA) à la p 10 [David Bull Laboratories]), considérant que la radiation d’une demande de contrôle judiciaire « doi[t] demeurer très [exceptionnel] et ne peu[t] inclure des situations […] où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête » (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux paras 47-48 [JP Morgan], citant David Bull Laboratories à la p 10).

[3]  Dans l’analyse d’une telle question, la Cour « doit faire une ‘appréciation réaliste’ de la ‘nature essentielle’ de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » [JP Morgan au para 50]. Dans JP Morgan au paragraphe 66, la Cour d’appel fédérale a précisé que l’un des éléments suivants constitue un vice fondamental et manifeste qui appelle la radiation de l’avis de demande :

(1)  l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui peut être introduite devant la Cour fédérale;

(2)  l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7 ou quelque autre principe juridique interdit à la Cour fédérale de se prononcer sur le recours en droit administratif;

(3)  la Cour fédérale ne peut accorder la mesure demandée.

[4]  Pour les motifs suivants, la demande de radiation est accordée.

[5]  Dans son avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur a indiqué l’objet de sa demande:

L’Objet de la présente demande est que l’honorable Cour Fédérale ordonne :

1.  Au Bureau des services fiscaux de l’Ouest-du-Québec, Laval, QC de l’Agence du Revenu du Canada d’exiger à l’employeur LATULIPPE & ASSOCIÉS CONSULTANTS INC de produire les relevés T4 2017 et 2018 selon son statut d’employé salarié assurable avec tous ses droits et privilèges s’y rapportant (la cotisation d’employé à la Régime de Rentes du Québec et les impôts);

2.  Que les montants d’impôts et les cotisations pour la Régie [sic] des Rentes du Québec (RRQ) soient recouverts auprès de l’employeur;

3.  D’annuler le recouvrement émis par le Centre Nationale de Vérification et de Recouvrement (CNVR) de Shawinigan envers le demandeur;

[6]  Le défendeur soumet que l’avis de demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif, parce que le demandeur « recherche indirectement à faire payer par Latulippe les montants d’impôt et les cotisations impayées dont il est actuellement redevable ». Le défendeur affirme que le demandeur ne conteste pas les montants des revenus d’emploi qui ont été ajoutés à ses revenus. Par contre, sa demande est axée sur les impôts qui n’ont pas été déduits à la source, ainsi que les cotisations pour la Régime des rentes du Québec.

[7]  L’origine du problème pour le demandeur est que Latulippe lui considérait comme un travailleur autonome et que l’employeur n’avait pas l’obligation de retenir des sommes à la source sur les montants versés à un travailleur autonome. Il apparaît que le demandeur a reçu les montants sans déduction, et que les nouvelles cotisations ont été émises à la suite de la détermination qu’il était un employé du Latulippe et lui exigeait de payer les impôts pour les revenus d’emploi qui n’avaient pas été déclarés.

[8]  Je suis persuadé que les conclusions demandées en l’instance ne peuvent pas être accordées par voie de contrôle judiciaire. L’avis de demande déposé par le demandeur est à l’encontre de la décision de l’agente des appels de l’ARC, mais le demandeur ne demande pas que cette décision soit annulée.

[9]  En ce qui concerne la première demande à l’avis de demande (voir ci-haut), le défendeur prétend que le demandeur cherche à obliger Latulippe à produire son T4 d’employé. Ce n’est pas possible dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’une agente des appels de l’ARC.

[10]  Quant à la deuxième demande, sur les montants d’impôt et les cotisations pour la Régime des rentes du Québec, ce n’est pas une demande dirigée à l’encontre d’un office fédéral. Les cotisations du Régime de rentes du Québec sont de compétence provinciale, et les cotisations doivent être versées à l’Agence du Revenu du Québec. Le procureur général du Canada n’a pas compétence pour recouvrer ces sommes.

[11]  Concernant la troisième demande, d’annuler le recouvrement émit par le Centre Nationale de Vérification et de Recouvrement de Shawinigan, ce n’est pas appuyé par la preuve au dossier. La décision de l’agente des appels de l’ARC sur laquelle la demande de contrôle judiciaire est axée ne vise pas du recouvrement des sommes en soi. S’il y en a des efforts de recouvrement par l’ARC à l’encontre du demandeur, il peut déterminer comment il va réagir à ce moment.

[12]  Pour tous ces motifs, je suis persuadé que la requête en radiation est justifiée, parce que l’avis de demande de contrôle judiciaire est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » (David Bull Laboratories à la p 10). Compte tenu des problèmes identifiés ci-haut, il n’y a pas lieu d’accorder au demandeur la possibilité de modifier son avis de demande.

[13]  Compte tenu de toutes les circonstances, et considérant la discrétion accordée par l’article 400 des Règles, il n’y a pas lieu d’ordonner le demandeur à payer les dépens du défendeur. Chaque partie assumera ses propres dépens.


LA COUR STATUE que :

  1. La requête en radiation de l’avis de demande de contrôle judiciaire est accordée sans autorisation de modification.

  2. Le tout sans dépens.

« William F. Pentney »

Juge

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