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Date : 20000312

Dossier : IMM-2407-00

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

AVTAR SINGH THAMBER

                                                                                                                               demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

La demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le ministre est invité à procéder à un nouvel examen de l'affaire en conformité avec les présents motifs.

« W.P. McKeown »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


Date : 20010312

Dossier : IMM-2407-00

Référence neutre : 2001 CFPI 177

ENTRE :

AVTAR SINGH THAMBER

                                                                                                                               demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                Le demandeur a présenté, conformément à l'alinéa 19(1)(c.1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), une demande de contrôle judiciaire contre la décision de rejet prise par le ministre le 13 avril 2000 à l'égard de la demande de réadaptation présentée par le requérant.


[2]                Les questions en litige sont les suivantes : (1) Quelle est la norme de contrôle applicable? (2) L'agent d'immigration est-il tenu de fournir au demandeur les motifs de sa décision? (3) Les notes de l'agent d'immigration constituent-elles des motifs? (4) La décision selon laquelle le demandeur n'est pas réadapté est-elle déraisonnable compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve?

LES FAITS

[3]                Au début de l'année 1990, le demandeur a été condamné par le Tribunal régional des affaires pénales de Vienne, en Autriche, à huit mois d'emprisonnement pour une infraction de trafic de stupéfiants commise en 1988. Le demandeur a été détenu pendant quatre mois et a ensuite été mis en liberté conditionnelle le 17 avril 1989 et déporté vers l'Inde.

[4]                L'agent d'immigration était en possession d'un rapport préparé par l'Interpol de Vienne qui se lisait en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Condamné le 2.3.90 par le Tribunal régional des affaires pénales de Vienne, dossier 6e Vr. 1031/89, à huit mois de prison pour violation de la loi relative aux stupéfiants. La condamnation est définitive. Il a été mis en liberté sous condition le 17.4.89 avec trois ans de probation. SINGH Avtar n'est pas recherché mais fait l'objet d'un mandat d'expulsion en Autriche.

...

... Selon le droit autrichien, le casier judiciaire est en général détruit lorsqu'il s'est écoulé une période de cinq ans depuis la dernière condamnation et il ne doit pas être pris en considération par la suite.


[5]                Le demandeur est arrivé au Canada en 1991 et l'année suivante, il a été jugé être un réfugié au sens de la Convention. Il a présenté une demande de résidence permanente mais sa demande n'a pas encore été traitée. Le demandeur a présenté une demande d'approbation de sa réadaptation en mai 1997.

[6]                À l'époque, selon l'affidavit qui se trouve aux pages 13 à 16 du dossier de la demande, le demandeur pensait qu'il avait été condamné pendant qu'il se trouvait en Autriche. Cependant, le 18 juillet 1997, le demandeur a reçu un certificat émanant de la Direction de la police fédérale de Vienne, Service du casier judiciaire, selon lequel [TRADUCTION] « [a]ucune inscription ne figure dans les casiers judiciaires de la Direction de la police fédérale de Vienne. » Après avoir reçu ce renseignement des autorités autrichiennes, il a présenté une autre déclaration solennelle (qui se trouve aux pages 16 à 18 du dossier de la demande) qui mentionne uniquement le fait qu'il a été accusé de l'infraction en question.

[7]                Le 7 août 1998, l'agent d'immigration a informé le demandeur par lettre qu'il n'était pas préparé à présenter sa demande de réadaptation au ministre. Le 22 avril 1999, l'agent a souscrit un affidavit dans lequel il déclare au paragraphe 10 :

[TRADUCTION]


Compte tenu du fait que a) le demandeur n'a jamais vraiment reconnu qu'il avait été condamné pour l'infraction au sujet de laquelle il a présenté une demande de réadaptation et qu'il n'a pas manifesté de remords et b) il n'a pas fourni les documents exigés, le certificat de déclaration de culpabilité pour l'infraction ou à défaut des explications, j'en suis arrivé à la conclusion que la demande d'approbation de la réadaptation présentée par le demandeur ne mérite pas d'être recommandée au ministre.

[8]                Le 21 juin 1999, Monique Landry, la nouvelle agente d'immigration à qui ce dossier a été confié, a rédigé une recommandation au ministre qui se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Le 26 mai 1999, nous avons reçu les observations écrites de son avocat, Me Lorne Waldman ... Me Lorne Waldman mentionne dans sa lettre que pendant que M. Thamber vivait en Autriche en 1988, il a été condamné pour possession de stupéfiants et qu'il a purgé une peine de quatre mois de prison pour cette condamnation.

Par conséquent, depuis le début, M. Thamber a fait des déclarations contradictoires. Il n'a jamais vraiment reconnu avoir été déclaré coupable de possession de stupéfiants aux fins d'en faire le trafic. Nous lui avons demandé de produire des certificats de déclaration de culpabilité et des attestations d'absence de casier judiciaire pour toutes ses condamnations. Il n'a pas donné suite à cette demande. Sa demande de réadaptation est datée du 13 mai 1997, et le 29 janvier 1998 il déclarait encore par écrit qu'il n'était pas coupable des accusations de possession de stupéfiants et qu'il n'avait jamais été condamné à une peine de prison ou à une amende pour l'accusation ci-dessus. ...

M. Thamber a épousé Jaspal Kaur BOLA le 14 octobre 1996. Mme Bola s'est vu refuser le statut de réfugié le 19 décembre 1997 mais elle est visée par la demande de résidence permanente présentée par M. Thamber. Une fille est née le 9 avril 1998. Le 6 juillet 1998, il a mis sur pied une entreprise de transport au Canada avec deux membres de sa famille. J'estime que ces facteurs ne sont pas des facteurs pouvant sensiblement influencer l'octroi d'un certificat de réadaptation.

M. Thamber n'a pas fourni les documents requis, bien que ceux-ci lui aient été demandés. J'estime que M. Thamber n'a pas vraiment reconnu sa responsabilité à l'égard de l'infraction pour laquelle il présente sa demande de certificat de réadaptation et il n'a pas non plus manifesté de remords. Ses déclarations sont très contradictoires et j'estime qu'il est peu crédible.

Pour toutes ces raisons, JE NE RECOMMANDE PAS QUE LE CERTIFICAT DE RÉADAPTATION SOIT DÉLIVRÉ À M. THAMBER.


ANALYSE

[9]                À la lumière de la décision qu'a prononcée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. M.C.I., [1999] 2 R.C.S. 817 (C.S.C), je suis convaincu que la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent d'immigration en matière de réadaptation est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le processus décisionnel contesté est semblable à celui des demandes fondées sur des motifs humanitaires présentées aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi. Dans la présente affaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire, conformément à l'alinéa 19(1)(c.1) de la Loi, de déclarer admissible une personne qui ferait autrement partie d'une catégorie de personnes non admissibles parce qu'elles ont été condamnées à l'extérieur du Canada pour une infraction pénale, s'il estime que cette personne est réhabilitée. Le demandeur était un réfugié au sens de la Convention, qui a demandé la résidence permanente aux termes de l'article 46.04 de la Loi, mais compte tenu du fait qu'il n'était pas admissible parce qu'il avait commis une infraction pénale à l'extérieur du pays, le demandeur était tenu de démontrer qu'il s'était amendé. Aux termes de l'alinéa 19(1)(c.1) de la Loi, ces personnes ont le droit de présenter au ministre une demande en vue de faire constater leur réhabilitation. Le demandeur peut être expulsé si le ministre ne délivre pas un certificat de réadaptation.


[10]            J'estime que les décisions de cette nature doivent être motivées, comme l'indique la Cour suprême dans l'arrêt Baker c. M.C.I., précité. J'estime que les « motifs de la recommandation » préparés par l'agente d'immigration Landry le 21 juin 1999 constituent les motifs de la décision prise à ce sujet.

[11]            J'estime que le ministre a commis une erreur en ne tenant pas compte d'éléments pertinents et en en arrivant à une conclusion déraisonnable, compte tenu de l'ensemble des éléments établissant la réadaptation du demandeur. Le demandeur est arrivé au Canada en 1991 et n'a fait l'objet d'aucune accusation ou condamnation pénale pendant cette période. En outre, il n'existe aucun élément indiquant qu'il ait fait l'objet d'accusations ou de condamnations pénales dans les deux années qui ont suivi l'accusation de 1989 et la condamnation à laquelle elle a donné lieu en Autriche.

[12]            Compte tenu des documents qui lui ont été transmis par les autorités autrichiennes, il n'est pas surprenant que le demandeur n'ait pas très bien su s'il avait véritablement été déclaré coupable d'une infraction reliée aux drogues. Comme cela a été mentionné, les autorités autrichiennes ont remis au demandeur une attestation d'absence de casier judiciaire indiquant qu'elles ne possédaient dans les casiers judiciaires aucune inscription indiquant qu'il ait été condamné à quoi que ce soit. Je note également que l'agente d'immigration avait en sa possession le document mentionné ci-dessus émanant de l'Interpol de Vienne qui décrivait l'infraction commise en 1988 par le demandeur et mentionnait ceci au bas de la page :


... Selon le droit autrichien, le casier judiciaire est en général détruit lorsqu'il s'est écoulé une période de cinq ans depuis la dernière condamnation et il ne doit pas être pris en considération par la suite.

[13]            Les renseignements ci-dessus s'appliquent également à la conclusion de l'agente d'immigration selon lequel le demandeur n'a pas joint à sa demande un des documents exigés, à savoir un certificat de déclaration de culpabilité. Le défendeur a été déclaré coupable en 1989 et sa peine a été fixée en 1990. Ainsi, son casier judiciaire autrichien était effacé en mai 1997, lorsqu'il a présenté au Canada sa demande de réadaptation d'un criminel. L'agente d'immigration aurait donc dû savoir qu'il était impossible que le demandeur obtienne un certificat de déclaration de culpabilité. Les lignes directrices contenues dans le Manuel d'immigration envisagent le cas où les clients ne peuvent obtenir des certificats de déclaration de culpabilité, et lorsqu'il est produit une déclaration solennelle expliquant ce fait, celle-ci peut remplacer le certificat exigé. Il est incontestable que le demandeur a tenté d'obtenir un certificat de déclaration de culpabilité et n'a pu l'obtenir malgré ses efforts.

[14]            Pour ce qui est du caractère raisonnable de la décision de l'agente, j'estime qu'il était effectivement raisonnable que Mme Landry mette en doute la crédibilité du demandeur, puisqu'il avait donné deux versions différentes des événements survenus en 1988 (l'infraction et l'arrestation). Je trouve toutefois très inquiétant que l'agente Landry semble n'avoir tenu aucun compte du fait que le demandeur n'a commis aucune infraction depuis dix ans, soit depuis 1989.


[15]            Sur ce point, il est très important d'examiner les lignes directrices du ministre, qui figurent dans le chapitre IP-11, intitulé « Réadaptation des criminels » du « Manuel de l'immigration » . La section 3.7 décrit les « documents obligatoires » qui comprennent une attestation d'absence de casier judiciaire obtenue des autorités compétentes dans les régions où le requérant a habité au cours des dix dernières années. Le demandeur a fourni cette attestation. Sont également exigés des certificats de déclaration de culpabilité relatifs à toutes les infractions commises; le demandeur n'a toutefois pas été en mesure d'obtenir ces documents parce qu'en Autriche, les dossiers dans lesquels sont enregistrés les condamnations sont habituellement détruits cinq ans après la déclaration de culpabilité.

[16]            La partie la plus importante des lignes directrices contenues dans le « Manuel de l'immigration » concerne la section 6, intitulée « Recommandation de la réadaptation » qui énonce à la page 9 :

Par réadaptation, on entend simplement que le risque de récidive est jugé minimal. Les requérants peuvent être considérés comme réadaptés lorsqu'ils font la preuve qu'ils mènent une vie stable, sans autre forme de participation à des activités criminelles.

Suit ensuite dans le Manuel la section 7, intitulée « Détermination de la réadaptation » , à la page 11 :

Un certain nombre de facteurs doivent être pris en considération au moment de déterminer si une personne a été réadaptée.


Le temps écoulé et les activités de la personne ainsi que son mode de vie depuis que l'infraction a été commise peuvent faire la preuve qu'une réadaptation a eu lieu. La réadaptation signifie non pas que la personne ne risque plus de se livrer à des activités criminelles, mais tout simplement que le risque est considéré comme minimal. Les motifs qui font qu'une personne souhaite venir au Canada ne sont pas pris en considération en ce qui a trait à la réadaptation; ils constituent cependant un facteur important lorsqu'il s'agit de faciliter le traitement de la demande.

La section 7.2 traite des « considérations touchant la réadaptation et l'évaluation du risque » et en voici certains passages :

Les considérations touchant la réadaptation sont celles qu'il faut évaluer pour prouver que le requérant ne commettra plus d'infraction. Elles comprennent notamment :

               -               l'acceptation de la responsabilité de l'infraction;

               -               la preuve que le requérant se repent du mal qu'il a fait;

En l'espèce, il est raisonnable de conclure que le demandeur ne s'est pas conformé à ces deux éléments. Il existe cependant d'autres considérations, notamment :

-              preuve de stabilité sur les plans de l'emploi et de la vie familiale...

Le défendeur exploite une entreprise; il a une femme et maintenant un enfant. L'agente Landry a écarté ces éléments parce qu'ils constituent des facteurs qui « ne peuvent sensiblement influencer l'octroi d'un certificat de réadaptation » . Je ne puis souscrire à l'affirmation selon laquelle il ne s'agit pas là d'un facteur important, mais je conviens toutefois que ces facteurs ne sont pas déterminants. La section 7.4 se termine par des commentaires concernant la « Recommandation » :

Les requérants doivent prouver qu'ils ont surmonté toutes les difficultés qu'ils ont eues antérieurement avec la loi. L'importance du danger que suppose la présence du requérant au Canada peut être évaluée à la lumière des facteurs décrits à la partie 7.3.

Après mûre réflexion, les agents devraient se poser la question suivante : Pourquoi cette personne devrait-elle être autorisée à entrer au Canada? Quelles sont ses chances de pouvoir s'établir avec succès sans commettre de nouvelles infractions? Y a-t-il des risques de récidive?


[17]            Dans mon esprit, cette section fait ressortir toute l'importance du fait qu'au moment où l'agente d'immigration a rédigé la recommandation, le demandeur n'avait pas récidivé depuis dix ans (de 1989 à 1999). L'agente mentionne d'autres facteurs dont elle pouvait parfaitement tenir compte mais le fait qu'elle ait omis le facteur qui est peut-être le plus important dans ce genre de décisions constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[18]            Dans l'affaire Dee c. M.C.I., [2000] 3 C.F. 345 (1re inst.), une affaire très semblable à la présente espèce, le demandeur n'avait exercé aucune activité criminelle depuis dix-sept ans et avait près de 60 ans. Dans la présente affaire, le demandeur est un peu plus jeune et n'a pas récidivé depuis dix ans. Cependant, les principes en jeu dans ces affaires sont identiques. Compte tenu des faits de l'affaire Dee, la question a été renvoyée au ministre pour nouvel examen. Je vais également délivrer une ordonnance faisant droit à la présente demande et invitant le ministre à réexaminer l'affaire en conformité avec les présents motifs.

« W.P. McKeown »

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

le 12 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                    IMM-2407-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                  AVTAR SINGH THAMBER

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                       Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     le mercredi 14 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :               MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

DATE DES MOTIFS :                                            le 12 mars 2001

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                                                          POUR LE DEMANDEUR

David Tyndale                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman, Jackman & Associates                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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