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Date : 20200922


Dossier : IMM-2868-19

Référence : 2020 CF 918

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

CEDRICK KALALA MBUYAMBA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) rendue oralement le 21 mars 2019. La SPR a conclu que le demandeur, Cedrick Kalala Mbuyamba, n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger tel que défini aux articles 96 et 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a aussi conclu que sa demande d’asile est manifestement infondée au sens de l’article 107.1 de la LIPR.

[2]  Le demandeur prétend que les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité et quant au caractère manifestement infondé de sa demande sont déraisonnables. Il estime que la SPR n’a pas tenu compte du contexte prévalant en République démocratique du Congo dans l’évaluation de la preuve soumise au soutien de sa demande d’asile et qu’elle a mal compris les points clé de son témoignage.

[3]  Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

[4]  Le demandeur est citoyen de la République démocratique du Congo. Il craint un retour dans son pays en raison de son implication dans le groupe à vocation politique « Lutte pour le changement » également connu comme la « LUCHA ». Il allègue avoir été surpris par des agents armés de la garde républicaine alors qu’il installait des affiches avec deux collègues en prévision d’une manifestation prévue le 31 juillet 2017. La manifestation avait pour but de réclamer la tenue d’élections.

[5]  Le demandeur et l’un de ses collègues ont réussi à s’échapper, alors que leur autre collègue a été arrêté. Depuis, le demandeur n’aurait pas réussi à le contacter.

[6]  Après l’incident, le demandeur s’est caché chez un ami de son père par crainte d’être retrouvé. Le 10 août 2017, les autorités policières auraient remis à son frère un avis de convocation lui étant adressé. Également, son père aurait été enlevé le 17 août 2017; depuis, il est toujours porté disparu.

[7]  Après avoir obtenu un visa d’études, le demandeur a quitté la République démocratique du Congo le 28 décembre 2018 et a signé son formulaire « Fondement de la demande d’asile » (FDA) le 20 février 2018.

III.  La décision de la SPR

[8]  La SPR a déterminé que le récit du demandeur n’était pas crédible en raison des différences entre son témoignage et la documentation au dossier. D’abord, la SPR a noté une contradiction importante en ce qui a trait à l’implication du demandeur dans l’organisation la LUCHA. Dans un formulaire, le demandeur a déclaré être « militant » pour la LUCHA depuis juin 2017, mais il a aussi produit une carte de membre de l’organisation datée du 2 mai 2016. La SPR a noté:

Prié, alors, d’expliquer la différence entre une [sic] « membre » et un « militant », le demandeur a fourni une réponse confuse et vague, affirmant que quand il est devenu « militant » il mentionne avoir été impliqué et il sortait pour des marches. Or, quelques minutes plus tôt, le demandeur avait aussi mentionné qu’il sortait pour des marches pacifiques quand il est devenu « membre » en 2016. En conséquence, le demandeur n’a pas démontré la différence entre être un « militant » et un « membre ». Il en découle que l’explication concernant la contradiction entre les dates n’est pas raisonnable. Considérant que la participation du demandeur dans l’organisation LUCHA est le [sic] catalyse de ses problèmes, le tribunal considère que cette contradiction est importante. En conséquence, le tribunal tire une inférence négative importante de cette contradiction, ce qui mine la crédibilité du demandeur.

[9]  De plus, la SPR a trouvé le témoignage du demandeur concernant ses activités au sein de la LUCHA vague en ce sens qu’il n’était pas en mesure de donner plus que des exemples généraux des activités de l’organisation. La SPR a tiré une inférence négative de cette incapacité, se disant d’avis qu’un « militant » actif depuis 2016 aurait pu offrir plus d’exemples concrets d’activités effectuées par l’organisation dans laquelle il était engagé.

[10]  La SPR a également soulevé d’autres contradictions émanant du récit du demandeur. En effet, le demandeur prétend avoir quitté son domicile pour se cacher car il craignait d’être appréhendé par les autorités policières. Il serait resté chez l’ami de son père pendant trois ou quatre mois; toutefois, il n’a pas inscrit cette adresse dans son formulaire FDA. De plus, à l’audience, le demandeur a témoigné qu’un avis de convocation a été envoyé à son domicile le 10 août 2017; par contre, dans son formulaire FDA il a répondu « non » à la question de savoir s’il a déjà été recherché, arrêté ou détenu par la police. Il a expliqué qu’il a oublié ce détail lorsqu’il a rempli le formulaire. La SPR a conclu que la première contradiction a miné sa crédibilité, tandis que la deuxième l’a « grandement » affecté (Motifs de la SPR, Dossier certifié du tribunal (DCT), p 3).

[11]  Finalement, bien que le demandeur ait déposé une carte de membre de la LUCHA, la SPR a conclu « ne lui accorde[r] aucune valeur probante, car il existe une contradiction significative eu égard la date de confection de cette carte » (Motifs de la SPR, DCT, p 4). La SPR a aussi noté que le demandeur avait tenté de déposer un article de journal frauduleux au soutien de sa demande d’asile. L’article rapporte la disparition du demandeur dans son pays, après les évènements justifiant sa demande d’asile. En effet, elle a noté une différence importante entre la version qui a été déposée avant l’audience et celle que le demandeur a déposé lors de l’audience. La version envoyée avant l’audience comprend une erreur dans le titre – le mot « mouvement » est écrit « mauvement ». L’erreur a été corrigée dans la version du même article que le demandeur a déposé à l’audience. La SPR a indiqué :

Confronté à ces deux versions du même article, le demandeur a mentionné qu’il avait reçu la première version sur WhatsApp, et que cette version était peut-être tirée de l’internet. Tandis que la version originale, déposée à l’audience, provenait directement du Congo. Or, le demandeur n’a pu diriger le tribunal vers la version internet, ou en ligne, de cette article de journal, et même les efforts du tribunal pour retrouver ont été infructueuses [sic]. De plus, sans être expert dans l’analyse du document, le tribunal voit par sa face-même que la version envoyée avant l’audience a été numérisée d’un original et qu’il ne s’agit pas d’une version en ligne. Le tribunal rejette alors l’explication du demandeur. En conséquence, le tribunal croit que cet article de journal qui mentionne la disparition du demandeur est un faux document et déposé au tribunal pour tenter de l’induire en erreur. Ceci mine grandement la crédibilité du demandeur.

[12]  La SPR a donc rejeté la demande d’asile du demandeur et a conclu que sa demande est manifestement infondée en vertu de l’article 107.1 de la LIPR.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[13]  Les questions en litige sont :

  1. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du demandeur sont-elles raisonnables?
  2. La conclusion de la SPR selon laquelle la demande est manifestement infondée est-elle raisonnable?

[14]  La jurisprudence a établi que la conclusion selon laquelle une demande d’asile est manifestement infondée, de même que les conclusions de la SPR concernant crédibilité et l’appréciation de la preuve, doivent être révisées selon la norme de la décision raisonnable (Nweke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 242 au para 18). La jurisprudence est claire que la norme de la décision raisonnable s’applique à la question de savoir si une demande d’asile est manifestement infondée. Je suis d’accord avec cette proposition (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2 au para 17 [He]).

[15]  La décision récente de la Cour suprême dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne change pas cette conclusion. Dans les circonstances particulières de l’affaire en l’espèce, et considérant le paragraphe 144 de cette décision, il n’est pas nécessaire de demander aux parties de présenter leurs observations sur la norme de contrôle applicable ou sur l’application de celle-ci. Comme c’était le cas dans l’arrêt de la Cour suprême Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 24 [Société canadienne des postes], l’application du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov en l’espèce ne « résulte [en] aucune injustice, car la norme de contrôle applicable et le résultat auraient été les mêmes selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir ».

[16]  Dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme déférente de la décision raisonnable, il s’agit notamment de déterminer si le processus et la décision indiquent que le décideur a réellement « analysé » la preuve, en appliquant le critère juridique approprié, et que l’analyse effectuée par le décideur « est fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique » (Vavilov au para 102).

[17]  Dans Société canadienne des postes, la Cour suprême du Canada a aussi noté :

[31]  La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[…]

[33]  Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). […]

V.  Analyse

A.  Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du demandeur sont-elles raisonnables?

[18]  Le demandeur soutient que les conclusions tirées par la SPR quant à sa crédibilité sont déraisonnables, en ce sens qu’elles sont fondées sur des contradictions mineures. Il plaide également que la SPR n’a pas fourni de motifs clairs et non équivoques pour justifier ses conclusions (Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 166 FTR 158, 1999 CanLII 7827 (CF) au para 3, et qu’elle est tenue de considérer l’ensemble de la preuve, incluant la preuve tendant à démontrer la situation prévalant en Réplique démocratique du Congo. À cet égard, le demandeur s’appuie sur l’affaire Manickan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1525 [Manickan], qui énonce au paragraphe 3 « qu’une conclusion d’absence de crédibilité n’empêche pas qu’une personne soit admise comme réfugiée si d’autre preuves satisfont à la fois à la composante subjective et à la composante objective du critère applicable à la reconnaissance du statut de réfugié ». Étant donné que la SPR ne l’a pas fait, il affirme que c’est, en soit, suffisant pour renverser la décision.

[19]  Il soutient également que la SPR ne peut tirer des conclusions de crédibilité qui ne reposent sur aucun élément de preuve et qui sont fondées sur des conjectures ou qui donnent lieu à des inférences injustifiées (Afonso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 51 au para 26).

[20]  Le demandeur soutient que la SPR a erré en tirant ses conclusions relatives à son rôle au sein de la LUCHA, au fait qu’il n’a pas inclus l’adresse où il se cachait dans son formulaire, à l’oubli de l’envoi de l’avis de convocation et à la force probante accordé au carte de membre.

[21]  En ce qui concerne le rôle du demandeur dans la LUCHA, il prétend qu’il n’y a pas de contradiction dans la preuve. Le demandeur a expliqué pourquoi il a indiqué être militant à partir de juin 2017 sur son formulaire FDA, plutôt qu’à partir du 2 mai 2016, la date sur sa carte de membre de la LUCHA. Il était membre plus tôt, participant aux manifestations, mais a seulement commencé à militer sur le terrain, avec une présence soutenue aux réunions de l’organisation et à ses campagnes, dont en posant des affiches, à partir de juin 2017. Selon le demandeur, la SPR a mal compris ses explications. Il ajoute que, contrairement à ce que prétend la SPR, les détails qu’il a fournis concernant ses activités dans la LUCHA étaient suffisants, considérant son poste et la durée de son implication. Il a expliqué avoir contacté des gens en faisant du bouche à oreille, avoir posé des affiches et avoir parlé discrètement aux gens.

[22]  Concernant le fait qu’il ait omis d’indiquer l’adresse de l’endroit où il s’est caché sur son formulaire FDA, le demandeur ne le nie pas. Par contre, il plaide qu’il a fourni l’explication à la SPR selon laquelle l’Annexe A avait été soumise au même moment que son formulaire FDA qui lui fait mention du fait qu’il se soit réfugié chez un ami de son père. Il soutient ainsi qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure que cette omission mine sa crédibilité, étant donné qu’il croyait devoir indiquer uniquement ses adresses permanentes à l’Annexe A.

[23]  Le demandeur soutient que l’envoi d’un avis de convocation chez ses parents n’équivaut pas à être arrêté ou recherché pour une infraction. L’avis indiquait seulement qu’il devait se présenter à la police. Ce n’était donc pas une contradiction de répondre par la négative à la question de savoir s’il avait été arrêté par la police à l’Annexe 12. Il ajoute que sa réponse constitue une indication de son interprétation de la question, qui se reflète d’ailleurs dans le titre de cette question même : « Arrestations et infractions criminelles ».

[24]  De plus, le demandeur constate que c’était une erreur de ne pas accorder de force probante à sa carte de membre. Bien que la SPR soit d’avis qu’il y a une contradiction en ce qui a trait à la date indiquée sur la carte, il affirme qu’il est bien membre de la LUCHA depuis le 2 mai 2016, mais qu’il n’était pas un militant actif.

[25]  Le demandeur prétend également que la SPR se fonde sur des contradictions mineures ou qui n’existent pas du tout. Il affirme que son témoignage est cohérent et les conclusions d’invraisemblance tirées par la SPR l’ont été de manière arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait (Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937 au para 14 [Santos]).

[26]  Finalement, le demandeur affirme que la SPR n’a pas tenu compte de la situation prévalant en République démocratique du Congo. Des actes qui semblent peu plausibles peuvent l’être lorsqu’ils sont considérés en fonction du milieu d’où provient le revendicateur (Elezi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 210 aux paras 5, 7 et 8 [Elezi]).

[27]  Je ne suis pas persuadé.

[28]  Le point de départ de mon analyse est le fait que le Parlement a confié la tâche d’évaluer la preuve, incluant la crédibilité des demandeurs d’asile, à la SPR ainsi qu’à la Section d’appel des réfugiés (SAR), lorsqu’elle est saisie d’un dossier. La jurisprudence de cette Cour confirme que la crédibilité est une question de fait au cœur de l’expertise de la SPR (Kahumba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 551 aux paras 31‑32 [Kahumba]), et que les conclusions de crédibilité formulées par la SPR attirent une déférence considérable (Lunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 704 au para 36), particulièrement puisqu’elle a l’occasion d’entendre témoignage et d’observer le comportement des témoins (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 aux paras 42‑43).

[29]  En l’instance, les conclusions tirées par la SPR sont raisonnables, fondées sur la preuve, et expliquées d’une manière cohérente.

[30]  D’abord, je suis d’avis que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du demandeur en lien avec la distinction entre le fait d’être membre et militant ainsi que la description qu’il a offerte des activités auxquelles il participait au sein de la LUCHA sont raisonnables. Il est logique qu’une personne puisse avoir une carte de membre avant de devenir plus impliquée au sein d’un mouvement. Cependant, en l’espèce, la SPR a expliqué son raisonnement, indiquant que le demandeur a fourni « une réponse confuse et vague ». Lors de son témoignage, le demandeur a expliqué que la différence entre son rôle en 2016 et celui de 2017 au sein de l’organisation était une présence accrue sur le terrain en tant que militant, notamment en participant à des marches. Toutefois, il venait tout juste d’expliquer avoir également participé à des marches dès 2016, à titre de membre. Le demandeur indique avoir donné des tracts, posé des affiches, et discuté avec des personnes. Ceci semble plutôt faire référence à ce que le demandeur faisait quand son collègue a été arrêté et qu’il a pu s’enfuir (Motifs de la SPR, DCT, pp 2‑3).

[31]  La SPR lui a également donné l’occasion d’expliquer la preuve sur son implication au sein de l’organisation, mais il n’a pas réussi à convaincre le décideur. De plus, par rapport aux activités de la LUCHA, la SPR indique que le demandeur pouvait seulement donner des exemples généraux d’activités effectuées par l’organisation comme « réclamer plus de droits aux citoyens, participer à des marches » et « plusieurs affaires ». Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SPR de déterminer que ses explications n’étaient pas suffisantes et avaient pour effet de miner sa crédibilité.

[32]  Par rapport à la contradiction relative à l’avis de convocation, le demandeur a, devant cette Cour, donné une explication relative à son interprétation de la question posée à l’Annexe 12. Toutefois, cet argument n’a pas été présenté devant la SPR. Dans sa décision, la SPR a noté la contradiction entre le formulaire et le témoignage du demandeur. Le demandeur a indiqué avoir oublié l’avis de convocation en remplissant le formulaire, mais il a inclus ce détail dans son exposé circonscrit. Il faut noter que la question dans le formulaire sur laquelle la SPR a fondé cette conclusion déclare : « Avez-vous déjà été recherché, arrêté ou détenu par la police, l’armée ou toute autre autorité d’un pays, y compris le Canada? » Selon moi, il était raisonnable pour la SPR de noter que le demandeur a répondu « non » à cette question, tandis qu’il a témoigné que l’avis de convocation a été envoyé chez lui. L’explication du demandeur n’a pas satisfait la SPR. C’est une conclusion fondée sur l’évaluation de la preuve, qui mérite une grande retenue de la part de la Cour. On ne peut d’ailleurs pas critiquer la SPR de ne pas avoir tenu compte d’un argument qui ne lui a pas été présenté.

[33]  Au soutien de son argument, le demandeur a cité les décisions Santos et Elezi. Toutefois, selon moi, ces décisions traitent des conclusions liées à un manque de vraisemblance ou à un caractère plausible ou à un manque de compréhension de la part du décideur. En l’instance, la SPR a tiré des conclusions liées à des contradictions ou omissions dans la preuve, concernant des points essentiels de la demande d’asile du demandeur. La carte de membre, l’implication du demandeur au sein de la LUCHA, et le dépôt de deux versions d’un article dans un journal qui fait référence au demandeur ont un lien direct avec le demande d’asile faite par le demandeur fondé sur sa crainte en tant que membre de la LUCHA.

[34]  Je suis d’accord avec le demandeur sur deux points. Par rapport à l’adresse de résidence, le demandeur a raison de soutenir avoir indiqué dans son exposé attaché à son formulaire FDA, qu’il s’était caché suite aux événements. Lors de l’audience devant la SPR, il a expliqué la raison pour laquelle il a inclus seulement son adresse permanente au formulaire. Compte tenu de la totalité de la preuve sur ce point, et en l’absence d’une analyse de l’ensemble par la SPR, je conclus qu’il était déraisonnable de conclure que l’absence de mention dans le formulaire de l’adresse de son refuge mine la crédibilité du demandeur.

[35]  En ce qui concerne la carte de membre de la LUCHA, la SPR « ne lui accorde aucune valeur probante, car il existe une contradiction significative eu égard la date de confection de cette carte, ce qi en affecte grandement la crédibilité ». Le problème est que la SPR n’a pas fait une analyse de la carte séparément pour dire qu’elle n’était pas authentique. Une preuve corroborant doit être examinée indépendamment des préoccupations entourant la crédibilité du demandeur avant d’être rejetée; sinon la preuve n’est pas crue, car on ne croit pas le demandeur d’asile (He au para 25).

[36]  Malgré le fait que je ne suis pas d’accord avec ces deux conclusions de la SPR relatives à la crédibilité du demandeur, je suis d’avis que ces erreurs ne sont pas suffisantes, en soi, pour justifier d’accueillir la demande de contrôle judiciaire.

[37]  À la lumière de l’accumulation des omissions et des contradictions, il était raisonnable pour la SPR de conclure que le récit du demandeur n’était pas crédible (Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 150 aux paras 35‑42).

[38]  En l’espèce, je n’accepte pas l’argument voulant que la SPR doive, malgré ses conclusions quant à la crédibilité, tenir compte des conditions au pays tel qu’énoncé dans l’affaire Manickan. Par contre, je suis d’accord avec le défendeur que la proposition énoncée au paragraphe 6 de cette décision trouve application : « La preuve documentaire n’a pas besoin d’être examinée lorsque la seule preuve qui établit un lien entre un demandeur et les documents est le témoignage discrédité du demandeur. »

[39]  En effet, la SPR n’a pas remis en question le fait que des militants et des membres de la LUCHA ont été impliqués dans une grande manifestation, et que quelques-uns ont été arrêtés. L’analyse de la SPR est plutôt liée au fait qu’elle n’accepte pas que le demandeur a établi être membre de cette organisation. Il s’agit d’une conclusion raisonnable compte tenu de la preuve devant la SPR (Kahumba aux paras 31‑32;Toma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 121 aux paras 21‑22).

B.  La conclusion de la SPR selon laquelle la demande est manifestement infondée est-elle raisonnable?

[40]  L’article 107.1 de la LIPR permet à un décideur de déclarer qu’une demande d’asile est manifestement infondée si celui-ci est convaincu que « l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie » (Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 au para 31 [Warsame]; voir aussi He au para 21). En raison des effets de cette disposition sur le demandeur – notamment le fait qu’il lui soit impossible de porter la décision en appel devant la SAR aux termes de l’alinéa 110(2)c) de la LIPR – le décideur doit énoncer explicitement cette conclusion et présenter la preuve au soutien. Il est possible d’y arriver en déterminer qu’un seul élément est frauduleux, ou par cumul (Warsame au para 24).

[41]  En l’espèce, demandeur a déposé un article de journal en preuve dans lequel il était fait état de sa disparation. En révisant les documents, la SPR a noté une erreur manifeste dans le titre (« mauvement » au lieu de « mouvement »). À l’audience, le demandeur a déposé la version originale qui n’avait pas cette faute. La SPR a questionné le demandeur. Il a indiqué avoir reçu la première version via WhatsApp et qu’elle provenait probablement de l’Internet, alors que l’autre avait été directement envoyée de la République démocratique du Congo. Il est raisonnable que la SPR trouve la différence entre les deux documents problématique. La SPR a donné l’occasion au demandeur d’expliquer la situation, mais ceci a créé plus de questions, notamment en raison du fait qu’il ait indiqué que la première version aurait été tirée d’Internet, alors qu’elle semblait être une copie numérisée. De plus, malgré ses recherches, la SPR n’a pu trouver l’article sur l’Internet et le demandeur n’a pu lui fournir le lien vers l’article. La conclusion était raisonnable (Kahumba au para 39).

[42]  Le demandeur cite l’affaire Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 58 au para 16 [Liang] pour suggérer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments permettant de l’authenticité du document. Dans Liang, la SPR a conclu qu’une assignation délivré par un tribunal de la Chine était frauduleuse en raison de la mauvaise position d’un caractère chinois dans le document, alors que le reste de l’assignation semblait être conforme. La Cour a conclu que SPR n’avait pas fait une appréciation raisonnable du document, car elle a centré son examen de ce document uniquement sur ce caractère (Liang, aux paras 19‑20). Au soutien de sa conclusion dans Liang, la juge Ann Marie McDonald cite l’affaire Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 163, un cas où la Cour a déterminé que le fait de trouver des différences de forme, plutôt que de substance, en comparant des modèles d’assignation avait été une erreur, en ce sens qu’il n’était pas évident de la preuve que des changements de forme n’ont pas été apportés au modèle entre 2013 et la date de la décision (aux paras 22‑23).

[43]  En l’espèce, la situation est différente, car la SPR n’a pas comparé l’article de journal à d’autres articles de journaux, ou même à d’autres articles de journaux du même journal à d’autres moments, mais a comparé deux versions du même article.

[44]  Comme disait le juge Yvan Roy dans Warsame au paragraphe 31, une demande sera « clairement frauduleuse » selon l’article 107.1 de la LIPR si « le décideur [a] la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande sera ou non accueillie ».

[45]  C’est exactement l’analyse effectuée par la SPR en l’espèce. La conclusion de la SPR sur ce point est raisonnable, et son raisonnement est bien expliqué et cohérent.

VI.  Conclusion

[46]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La plupart des conclusions de la SPR sur la crédibilité du demandeur sont raisonnables, et sa conclusion selon laquelle la demande d’asile est manifestement infondée est raisonnable. De plus, l’analyse de la SPR sur ces deux points est claire, fondée sur la preuve, et les conclusions sont bien expliquées.

[47]  Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-2868-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2868-19

INTITULÉ :

CEDRICK KALALA MBUYAMBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Me François Kasenda Kabemba

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Adrian Johnston

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet François K Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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