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Date : 20200831


Dossier : T‑1136‑19

Référence : 2020 CF 870

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ZIAD ANANI ET ANDREA ANANI

demandeurs

et

LA BANQUE ROYALE DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs, Ziad Anani et Andrea Anani, sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 12 juin 2019 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) a rejeté leur plainte contre la défenderesse, la Banque Royale du Canada (RBC). Les demandeurs demandent également à la défenderesse des dommages‑intérêts d’un million de dollars. Les demandeurs demandent en outre 45 $, plus les intérêts, à titre de remboursement des frais d’insuffisance de provision qui leur ont été imposés à tort, selon eux.

[2]  Les demandeurs, qui se représentent eux‑mêmes, affirment que la défenderesse a fait preuve de discrimination à leur égard en les privant de services pour des motifs religieux, en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (LCDP).

[3]  La Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle était frivole, au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

II.  Plainte des demandeurs

[5]  Le 28 novembre 2018, les demandeurs ont déposé une plainte auprès de la Commission, alléguant que la défenderesse avait porté atteinte à leurs droits à cinq occasions différentes entre 2010 et 2018.

[6]  Premièrement, les demandeurs prétendent qu’en novembre 2017, la défenderesse a refusé un chèque [traduction] « sous le prétexte de l’insuffisance de provision » et a imposé à tort aux demandeurs des frais de 45 $.

[7]  Deuxièmement, les demandeurs affirment qu’en août 2014, ils ont été [traduction] « forcés de déclarer faillite aux États‑Unis en raison du traitement discriminatoire des Anani par les banques [sic] ».

[8]  Troisièmement, les demandeurs soutiennent qu’en 2013, la défenderesse [traduction] « a illégalement maintenu le compte douteux CENTURA aux bureaux de crédit », ce qui a eu une incidence négative sur la cote de crédit du demandeur. Les demandeurs affirment qu’en agissant ainsi, la défenderesse a harcelé les demandeurs, a fait preuve de discrimination à leur égard et a commis une fraude.

[9]  Quatrièmement, les demandeurs affirment que la défenderesse leur a imposé deux taux d’intérêt différents et leur a fourni des explications différentes à cet égard.

[10]  Cinquièmement, les demandeurs soutiennent qu’en 2010, ils ont effectué des paiements de carte de crédit avant la date d’échéance, mais que la défenderesse n’a pas accepté les paiements à temps, ce qui a eu une incidence sur la cote de crédit des demandeurs.

III.  Rapport

[11]  Le 22 février 2019, un agent des droits de la personne (agent) à la Commission a recommandé que la Commission ne statue pas sur la plainte parce qu’il était évident et manifeste que la plainte était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP (rapport).

[12]  Dans le rapport, l’agent a énoncé la position des demandeurs, à savoir que la défenderesse leur avait réservé un traitement défavorable en raison de leur appartenance à la religion musulmane.

[13]  Selon l’agent, la question à trancher consistait à savoir si la plainte était frivole, soit parce que le comportement ne constituait pas un acte discriminatoire décrit aux articles 5 à 14.1 de la LCDP, soit parce que le comportement n’est pas lié à un motif de distinction illicite.

[14]  Dans son examen de la question, l’agent a pris note de la position des demandeurs et il a fait référence aux allégations formulées par les demandeurs pour l’appuyer.

[15]  L’agent a constaté que, selon les renseignements fournis par les demandeurs :

  • 1) la plainte n’a pas établi l’existence d’un lien avec un motif illicite;

  • 2) il était évident et manifeste que la plainte était vouée à l’échec;

  • 3) les allégations ne pouvaient pas établir l’existence d’un acte discriminatoire prévu aux articles 5 à 14.1 de la LCDP;

  • 4) il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire que la conduite de la défenderesse était discriminatoire au sens de la LCDP.

[16]  Dans la section de son rapport portant sur l’analyse et la recommandation, l’agent a relevé certains principes jurisprudentiels à l’appui de sa recommandation de ne pas statuer sur la plainte :

  1. Ce n’est que dans les cas les évidents et manifestes que la Commission devrait décider de ne pas statuer sur une plainte.

  2. Pour déterminer si une plainte est frivole, il faut se demande s’il est évident et manifeste qu’elle est vouée à l’échec.

  3. Il incombe au plaignant de présenter suffisamment de renseignements ou d’éléments de preuve pour convaincre la Commission qu’il existe un lien entre les actes reprochés et un motif illicite de discrimination.

  4. Le plaignant doit relater certains faits qui établissent un lien entre les actes reprochés et un motif illicite de discrimination.

[17]  Les principes, combinés aux éléments à prendre en considération, ont mené à la recommandation selon laquelle, en tenant pour avérées les allégations formulées dans la plainte, il était évident et manifeste que la plainte était frivole.

IV.  Observations sur le rapport

[18]  Le 25 février 2019, l’agent a envoyé le rapport aux parties par la poste. Dans sa lettre, la Commission a informé les parties qu’elle croyait que l’alinéa 41(1)d) de la LCDP pouvait s’appliquer parce que les demandeurs n’avaient pas établi de lien avec un motif de distinction illicite. La Commission a informé les parties qu’elles pouvaient présenter des observations sur le rapport, d’une longueur maximale de 10 pages, y compris les pièces jointes, et elle les a averties qu’elle [traduction] « ne lirait que les dix premières pages ».

[19]  La lettre informait les parties que la Commission n’examinerait pas le bien‑fondé de la plainte à ce moment‑là et qu’elles ne devraient pas inclure de preuve liée aux allégations de discrimination.

[20]  La défenderesse n’a présenté aucune observation sur le rapport.

[21]  Le 20 mars 2019, les demandeurs ont présenté 4 pages d’observations écrites et 40 pages de documents.

[22]  Les observations écrites présentées à la Commission par les demandeurs étaient divisées en quatre parties.

[23]  La première partie ne portait pas de titre. Elle résumait trois allégations de partialité formulées contre l’agent par les demandeurs et présentait une déclaration sur la qualité de leur preuve :

[traduction]

  • a) l’enquêteur a fait preuve de partialité en concluant que la plainte était frivole après avoir cru la RBC « sur parole », sans preuve, et en rejetant la preuve des demandeurs;

  • b) il était « évident et manifeste, au vu de la preuve, [qu’ils] aurai[ent] gain de cause » et que leur « preuve d’un lien entre les actes reprochés et un motif illicites [sic] de discrimination est ACCABLANTE » [soulignement dans l’original];

  • c) l’enquêteur a fait preuve de partialité en imposant une longueur maximale de 10 pages aux observations, puisque rien dans la LCDP n’appuie une telle limite;

  • d) l’enquêteur a fait preuve de partialité en interdisant aux demandeurs d’inclure des éléments de preuve dans leurs observations de 10 pages.

[24]  Les demandeurs ont ensuite présenté, à la partie intitulée [traduction] « Les faits », un bref résumé qui indiquait que la discrimination avait commencé en 2010, alors que les demandeurs se trouvaient en Floride. Les demandeurs ont affirmé avoir été forcés de déclarer faillite en 2015. Ils ont déclaré que le dernier acte discriminatoire s’est produit à Windsor, en Ontario, lorsque la RBC [traduction] « a frauduleusement prétendu qu’un chèque était sans provision, malgré le fait que le compte contenait plus de fonds que le montant du chèque ».

[25]  Les détails des cinq plaintes ont été présentés conjointement et étaient accompagnés de références aux pièces justificatives qui, selon les demandeurs, témoignaient de la discrimination liée à chacune des plaintes. Les documents joints comprenaient une transcription d’une page d’une audience devant la Cour des petites créances, la correspondance avec la défenderesse, des rapports de crédit, des relevés de compte bancaire et de carte de crédit Visa, une copie du chèque sans provision, la libération de faillite des demandeurs, des notes de médecins, la plainte originale des demandeurs et la correspondance avec la Commission.

[26]  Les pièces dont il est question ci‑dessus ne figurent pas dans le dossier certifié du tribunal. Il en sera question plus loin dans les présents motifs, lorsque j’examinerai la question de savoir si le processus était inéquitable sur le plan de la procédure.

[27]  Dans la troisième partie de leurs observations, intitulée [traduction] « Arguments », les demandeurs ont donné des précisions sur la question du paiement du compte de carte de crédit Visa et des frais d’intérêt doubles encourus sur leur compte Visa. Ils ont également donné des détails sur le chèque de 1 000 $ sans provision et ont déclaré que [traduction] « la RBC a fait preuve de discrimination sur le fondement de noms non chrétiens, en ciblant les musulmans et les non‑musulmans qui n’ont pas des noms chrétiens, en contravention de l’alinéa 14(1)a) de la Loi sur les droits de la personne ».

[28]  Les demandeurs ont conclu la section sur les arguments en déclarant qu’ils avaient été [traduction] « malicieusement diffamés, humiliés et soumis à un traitement inhumain de la part de la Banque » et qu’ils avaient été [traduction] « tourmentés » et avaient [traduction] « souffert d’une douleur indescriptible ».

[29]  Dans la dernière partie de leurs observations, intitulée [traduction] « Réparation demandée », les demandeurs ont demandé des [TRADUCTION] « dommages‑intérêts punitifs d’un million de dollars ».

V.  Décision contestée

[30]  La décision contestée contient une lettre et le rapport. Dans un examen préalable, conformément aux articles 40 et 41, lorsque la Commission « adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts », le rapport est réputé faire partie des motifs de la Commission. Cela s’explique par le fait que l’enquêteur établit son rapport à l’intention de la Commission et, par conséquent, « il mène l’enquête en tant que prolongement de la Commission » : Sketchley c. Canada (Procureur général) (CAF), [2006] 3 RCF 392, 2005 CAF 404 [Sketchley] au paragraphe 37.

[31]  La Commission a confirmé qu’elle avait examiné le rapport et toutes les observations reçues en réponse à celui‑ci. Après avoir examiné les renseignements, la Commission a décidé qu’elle ne statuerait pas sur la plainte parce que, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, la plainte était frivole au sens de la LCDP.

VI.  Question préliminaire – Demande de dommages‑intérêts

[32]  L’avis de demande dans la présente affaire indique que les demandeurs sollicitent une ordonnance leur accordant [traduction] « un million de dollars pour diffamation, harcèlement, souffrance et dommages‑intérêts punitifs ». Pour les motifs suivants, l’octroi de dommages‑intérêts n’est pas possible dans le cadre de la présente demande.

[33]  Les pouvoirs de la Cour en matière de contrôle judiciaire sont énoncés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LC 2002, c 8 :

Pouvoirs de la Cour fédérale

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

Powers of Federal Court

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[34]  En se fondant sur la loi, la Cour suprême du Canada a affirmé que la Cour n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages‑intérêts dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62 au paragraphe 26.

[35]  Par conséquent, la Cour ne statuera pas sur la demande de dommages‑intérêts punitifs des demandeurs.

VII.  Questions en litige

[36]  Les arguments des demandeurs soulèvent deux questions :

  1. La Commission a‑t‑elle violé le droit à l’équité procédurale des demandeurs ou fait preuve de partialité à leur égard en imposant une limite de 10 pages aux observations et en refusant d’accepter des éléments de preuve liés aux allégations de discrimination?

  2. La décision de ne pas statuer sur la plainte, prise en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, est‑elle raisonnable?

VIII.  Norme de contrôle

A.  Examen du caractère raisonnable

[37]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit applicable au contrôle judiciaire de décisions administratives. Elle a confirmé que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives est présumée être celle de la décision raisonnable. Cette présomption est assujettie à certaines exceptions qui, au vu des faits en l’espèce, ne s’appliquent pas au contrôle sur le fond de la décision contestée : Vavilov au paragraphe 23.

[38]  Citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême a également confirmé, dans l’arrêt Vavilov, qu’une décision raisonnable est une décision justifiée, transparente et intelligible, et la cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qui a été rendue, notamment sur la justification : Vavilov au paragraphe 15.

[39]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Par conséquent, lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se fonde sur le principe de la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs : arrêt Vavilov, au paragraphe 13.

B.  Examen de la question de l’équité procédurale

[40]  La Cour d’appel fédérale a établi qu’il n’y avait pas de norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale. Ce qui doit être considéré comme conforme à l’équité dans une situation donnée est très variable et tributaire du contexte. Pour déterminer si le processus suivi était équitable, aucune retenue ne s’impose à l’égard du tribunal, sauf en ce qui concerne le choix qu’il a fait en matière de procédure. La cour de révision utilise l’expression « décision correcte » non pas tant comme une norme de contrôle, mais bien pour évaluer si l’obligation d’équité procédurale a été respectée : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paragraphes 40 et 49.

[41]  Il a été établi que « la négation du droit à une audition équitable “doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l’audition aurait vraisemblablement amené une décision différente” ». Une exception restreinte peut s’appliquer lorsque le résultat quant au fond est inévitable compte tenu des faits : Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2012 CF 445 aux paragraphes 201 et 203; confirmé par 2013 CAF 75.

IX.  Analyse

A.  Les principes juridiques

[42]  Un certain nombre de principes juridiques bien établis s’appliquent au contrôle judiciaire des conclusions tirées par la Commission et au processus qu’elle a utilisé pour arriver à ces conclusions.

(1)  Le rôle de la Commission

[43]  La Commission joue un important rôle d’examen préalable. Elle effectue une évaluation limitée du bien-fondé, mais ne rend aucune décision définitive au sujet des plaintes déposées sous le régime de la LCDP. La Commission doit seulement vérifier la suffisance de la preuve qu’elle a reçue. Elle doit déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante : Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 au paragraphe 53.

[44]  La fonction d’examen préalable est établie à l’alinéa 44(3)b) de la LCDP, qui prévoit que, sur réception d’un rapport d’enquête, la Commission rejette la plainte en question si elle est convaincue (1) soit que l’examen de la plainte n’est pas justifié, (2) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(2)  Le sens du mot « frivole »

[45]  Dans le contexte de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, le sens juridique du mot « frivole » n’est pas le même que son sens ordinaire ou familier. Il a plutôt été établi qu’il signifiait [traduction] « dénué de fondement juridique ». Par conséquent, le décideur doit évaluer s’il existe à première vue une certaine probabilité que la plainte soit accueillie, ce que la Commission a fait en l’espèce en tenant pour avérées les allégations : Hagos c Canada (Procureur général), 2014 CF 231 au paragraphe 60.

[46]  Dans ce contexte, la signification du mot « frivole » a également été décrite comme « le fait d’être vouée à l’échec » : Zulkoskey c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CAF 268 au paragraphe 24.

(3)  Démontrer la discrimination

[47]  Dans l’arrêt Moore c Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 [Moore] au paragraphe 33, la Cour suprême du Canada a établi le critère permettant de déterminer s’il y a eu discrimination dans le contexte des droits de la personne :

[33] […] pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[Non souligné dans l’original.]

(4)  Il incombe au plaignant d’établir un lien

[48]  Le plaignant doit donner à la Commission une version des faits susceptible de la convaincre qu’il existe un lien entre les actes reprochés et un motif de distinction illicite : Hartjes c Canada (Procureur général), 2008 CF 830 au paragraphe 23 [Hartjes].

(5)  Il faut accorder une grande marge de manœuvre à la Commission dans son évaluation

[49]  Il faut accorder à la Commission, dans l’exercice de sa fonction d’examen préalable, « une grande marge de manœuvre dans l’exercice de son jugement et dans l’appréciation des facteurs pertinents lorsqu’elle doit se prononcer sur l’application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP » : Bergeron c Canada (Procureur général), 2013 CF 301 au paragraphe 39. Cela signifie que, lorsque la Cour examine la décision de la Commission, elle doit faire preuve de beaucoup de déférence : Sketchley au paragraphe 38.

[50]  Étant donné que, aux premiers stades d’une plainte, le rôle de la Commission est de déterminer si la plainte devrait être renvoyée au Tribunal pour complément d’enquête, ce qui est un processus tributaire des faits et de considérations d’ordre public, il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard de la Commission : Ritchie c Canada (Procureur général), 2017 CAF 114 au paragraphe 38.

[51]  Ayant énoncé ces principes de base, je me tourne maintenant vers l’analyse des questions en litige.

B.  Le refus d’accepter des éléments de preuve n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure ni une preuve de partialité.

[52]  Une des principales préoccupations exprimées par les demandeurs est que le dossier certifié du tribunal (DCT) ne contient pas tous les renseignements qu’ils ont présentés à l’agent. L’agent a présenté à la Commission les quatre pages contenant les observations des demandeurs et, comme l’ont déclaré les demandeurs, [traduction] « a omis les trente‑neuf (39) pages d’éléments de preuve à l’appui du mémoire des demandeurs ».

[53]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a fait preuve de partialité à leur égard et a violé leur droit à l’équité procédurale en n’acceptant pas leurs éléments de preuve et en limitant leurs observations à dix pages.

[54]  L’attestation préparée par la Commission au titre de l’alinéa 318(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/2004‑283, art 2 [les Règles], atteste que les documents qui y sont joints sont tous ceux dont la Commission disposait lorsqu’elle a rendu sa décision sur la plainte des demandeurs. Les documents joints étaient la plainte, un résumé de la plainte, le rapport établi au titre de l’article 41 et les quatre pages d’observations des demandeurs sur le rapport établi au titre de l’article 41.

[55]  Dans l’ensemble, le DCT compte 21 pages. Les 11 dernières pages sont les documents dont la Commission disposait.

[56]  Pour le reste, il s’agit d’une lettre de quatre pages de l’avocat de la Commission à l’administrateur de la Cour, dans laquelle il s’oppose à l’étendue de la demande présentée par les demandeurs dans leur avis de demande de contrôle judiciaire, des lettres de décision de deux pages envoyées aux demandeurs et à la défenderesse, et de l’attestation de deux pages prévue à l’alinéa 318(1)a) des Règles.

[57]  Les demandeurs n’ont pas présenté de requête contestant la position de la Commission, même si cette option leur était offerte au titre de l’article 318 des Règles.

[58]  La lettre qui informait les demandeurs de la possibilité de présenter des observations leur précisait qu’ils pouvaient déposer jusqu’à dix pages d’observations. Ils ont choisi de déposer quatre pages. Les demandeurs ont été informés de ne pas déposer d’éléments de preuve, mais ils ont choisi de déposer 40 pages d’éléments de preuve.

[59]  Mon collègue, le juge Southcott, a récemment abordé cette question dans l’affaire Wisdom c Air Canada, 2017 CF 440 [Wisdom], qui portait sur le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de rejeter, en vertu de l’alinéa 41(1)d), une plainte déposée par Mme Wisdom contre son employeur, Air Canada. Dans le cadre du contrôle judiciaire, Mme Wisdom a soutenu que la Commission n’avait pas examiné les éléments de preuve qu’elle avait présentés.

[60]  Après avoir noté que les éléments de preuve n’avaient pas été déposés auprès de la Commission parce que l’affaire en était au stade de l’examen préalable, le juge Southcott a conclu que le processus suivi par la Commission – c’est-à-dire ne pas recevoir ni examiner des éléments de preuve pertinents pour déterminer si la plainte était établie – était conforme à la jurisprudence. La Commission n’a pas commis d’erreur en suivant ce processus : Wisdom au paragraphe 28.

[61]  Le processus utilisé par la Commission à l’égard de la preuve que les demandeurs ont tenté de déposer dans cette affaire est le même que dans l’affaire Wisdom. Pour les mêmes raisons, la procédure était équitable pour les demandeurs sur le plan de la procédure.

C.  La limite de pages pour les observations n’était pas une preuve de partialité et n’était pas inéquitable sur le plan de la procédure

[62]  Le critère pour déterminer s’il y a eu partialité de la part de la Commission n’est pas le même que le critère habituel de partialité dans les affaires administratives. Le critère de partialité dans la présente affaire a été énoncé dans la décision Abi‑Mansour c Canada (Agence du revenu), 2015 CF 883, au paragraphe 51 :

[51]  Le fardeau de démontrer l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité incombe à la partie qui allègue la partialité. Étant donné qu’une allégation de partialité est une allégation très grave parce qu’elle met en doute l’intégrité du décideur dont la décision est attaquée, le fardeau de preuve est lourd. Un simple soupçon de partialité n’est donc pas suffisant pour établir une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité. (R c RDS, [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 112). En outre, étant donné que sa fonction d’examen préalable n’est pas une fonction de nature décisionnelle, la Commission n’est pas tenue à la même norme d’impartialité que les tribunaux judiciaires. Le critère applicable tient donc non pas à la question de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de l’enquêteur, mais plutôt à celle de savoir si l’enquêteur « a abordé l’affaire avec un “esprit fermé” » (Sanderson c Canada (Procureur général), 2006 CF 447, 290 FTR 83, au paragraphe 75; Gerrard c Canada (Procureur général), 2010 CF 1152, au paragraphe 53; Gosal c Canada (Procureur général), 2011 CF 570, au paragraphe 51).

[Non souligné dans l’original.]

[63]  Les demandeurs n’ont pas démontré, par des éléments de preuve ou des arguments, que l’agent avait l’esprit fermé. Ils affirment simplement que la limite de pages montre que l’agent a fait preuve de partialité. Ce n’est pas suffisant pour satisfaire au lourd fardeau de la preuve qui leur incombe.

[64]  En ce qui concerne l’équité procédurale, la Commission est maître de sa propre procédure. La limite de dix pages pour les observations ne constitue pas une preuve d’iniquité procédurale : Gandhi c Canada (Procureur général), 2017 CAF 26 [Gandhi] au paragraphe 15.

[65]  Je remarque également que l’agent a clairement mentionné dans le rapport que la plainte était jugée frivole au sens de l’alinéa 41(1)d). La lettre invitant à soumettre des observations sur le rapport était tout aussi claire, sinon plus. Elle précisait que l’alinéa 41(1)d) était en cause [traduction] « parce que la plainte ne permet peut-être pas d’établir un lien avec un motif de distinction illicite prévu par la Loi ».

[66]  Les demandeurs étaient au courant de la preuve qu’ils devaient présenter, car elle était expressément énoncée dans la lettre. Les demandeurs ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue et ils s’en sont prévalus. Fait important, la limite de dix pages pour les observations ne constitue pas une preuve d’iniquité procédurale : Gandhi au paragraphe 15.

[67]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que l’agent a fait preuve de partialité ou qu’il a violé leurs droits à l’équité procédurale établis dans les principes énoncés ci‑dessus.

D.  La décision est raisonnable

[68]  Comme il a été mentionné précédemment, au stade de l’examen préalable, la Commission décide si les demandeurs ont présenté une version des faits susceptible d’établir – même à première vue – un lien entre leur traitement par la défenderesse et un motif de distinction illicite : Moore au paragraphe 33; Hartjes au paragraphe 30.

[69]  La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi un tel lien et a donc fermé le dossier. Il ressort clairement de l’examen du dossier que, dans leurs observations, les demandeurs n’ont pas précisé comment les événements qu’ils ont décrits étaient liés de quelque façon que ce soit aux actes reprochés de discrimination fondés sur la religion ou sur l’origine ethnique ou nationale, ou que ces événements découlaient de ces actes.

[70]  Les observations des demandeurs étaient de simples allégations de discrimination fondées uniquement sur le fait que leur nom de famille n’est pas chrétien et qu’ils ont reçu, selon eux, de mauvais services de la part de la défenderesse. En se fondant sur cette constatation, ils ont demandé à la Commission, et maintenant à la Cour, de conclure qu’ils étaient victimes de discrimination de la part de la défenderesse. Les simples affirmations ne permettent pas à elles seules d’établir un lien entre le comportement reproché et le motif de discrimination invoqué.

[71]  Les demandeurs n’ont pas démontré de lien entre les actes discriminatoires reprochés à la défenderesse et leur religion, leur origine ethnique ou leur pays d’origine. Puisqu’ils ne l’ont pas fait, ils ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir un lien avec un motif de distinction illicite.

X.  Conclusion

[72]  En l’espèce, tant les faits que le droit appuient la décision contestée. En l’absence d’un lien entre la religion musulmane des demandeurs et les actes discriminatoires reprochés à la défenderesse, la Commission ne pouvait que conclure qu’elle ne devrait pas statuer sur la plainte, en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.

[73]  Cette décision était raisonnable, fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov aux paragraphes 15 et 85.

[74]  J’ajouterais que je reconnais que les demandeurs ont l’impression qu’une injustice s’est produite dans leurs rapports avec la défenderesse. Au mieux, ils ont fait valoir qu’une erreur commerciale les a personnellement touchés. Je tiens à préciser que je ne suis pas en mesure de tirer une telle conclusion et je ne me prononce pas non plus sur la question de savoir si une telle erreur s’est produite ou non.

[75]  Une erreur commerciale, si une telle erreur s’est bien produite, ne suffirait pas à établir l’existence de discrimination. En l’espèce, il faudrait qu’il y ait un fondement raisonnable pour conclure que l’action ou la conduite sous‑jacente à l’erreur commerciale était liée au fait que les demandeurs sont musulmans.

[76]  Étant donné que la Commission a droit à une certaine déférence et que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la décision n’était pas raisonnable ou était inéquitable sur le plan de la procédure, la présente demande est rejetée.

XI.  Dépens

[77]  Les deux parties ont demandé des dépens si elles obtenaient gain de cause. Comme la défenderesse a obtenu gain de cause, elle a droit aux dépens.

[78]  Les documents écrits de la défenderesse demandent que les dépens soient adjugés sur une base d’indemnisation substantielle. La défenderesse invoque la décision du juge Stratas dans l’affaire Exeter c Canada (Procureur général), 2014 CAF 119 [Exeter], à l’appui du principe selon lequel il est approprié d’ordonner des dépens avocat‑client lorsqu’une partie formule des allégations de fraude qui ne sont pas corroborées par le dossier.

[79]  Dans l’arrêt Exeter, la Cour d’appel a refusé de modifier l’ordonnance de dépens rendue par une protonotaire, mais a déclaré que la protonotaire aurait pu ordonner des dépens avocat‑client contre l’appelante qui se représentait elle‑même parce que l’affaire n’était pas fondée, que l’appelante avait fait des allégations non fondées de partialité contre la protonotaire et qu’elle avait accusé les représentants du gouvernement de parjure sans aucune preuve à l’appui.

[80]  Comme dans l’affaire Exeter, les demandeurs en l’espèce ont accusé la défenderesse et les représentants du gouvernement à la Commission de conduite répréhensible. Les accusations comprennent des allégations de partialité, de discrimination, de malveillance contre les musulmans, de falsification, de fraude, de diffamation, de [traduction] « malveillance criminelle » et de collaboration avec un agent immobilier qu’ils ont appelé à plusieurs reprises un [traduction] « suprémaciste blanc » et un [traduction] « gangster ».

[81]  Toutes ces allégations ont été faites, souvent plus d’une fois, sans aucun fondement probatoire.

[82]  À la lumière de ces allégations non fondées, j’ai examiné les facteurs dont il faut tenir compte dans l’adjudication des dépens, qui sont énoncés au paragraphe 400(3) des Règles. Plus particulièrement, bien que la défenderesse ait eu gain de cause, l’affaire n’était pas complexe, comme en témoigne le fait qu’elle n’a présenté aucune observation sur le rapport. La quantité de travail requise de la part des avocats aurait donc dû être moins élevée qu’à l’habitude.

[83]  Le facteur le plus pertinent est les allégations personnelles très virulentes et non corroborées faites par les demandeurs contre de multiples personnes et entités commerciales. Les demandeurs ne pouvaient pas ignorer la gravité des allégations très personnelles éparpillées dans l’ensemble de leurs documents.

[84]  À mon avis, compte tenu de ce qui précède, les dépens en faveur de la défenderesse devraient être évalués conformément à la colonne IV du tarif B, plutôt qu’à la colonne III ou à une indemnisation substantielle.


JUGEMENT dans le dossier T‑1136‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Les dépens sont adjugés à la défenderesse et seront calculés selon la colonne IV du tarif B.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1136‑19

 

INTITULÉ :

ZIAD ANANI ET ANDREA ANANI c LA BANQUE ROYALE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 MARS 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 AOÛT 2020

 

COMPARUTIONS :

ZIAD ANANI

 

Pour les demandeurs

(EN SON PROPRE NOM)

 

DENYSE BOULET

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

 

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