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Date : 20200911


Dossier : T-1909-19

Référence : 2020 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

IBUKUNOLUWA DEBORAH BADMUS

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, qui agit pour son propre compte, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de la fonction publique [la CFP] a refusé de mener une enquête à la suite de la demande présentée à cette fin par la demanderesse, dont la candidature n’a pas été retenue dans le cadre d’un processus de nomination lancé par le ministère des Anciens combattants [MAC]. La demande de contrôle judiciaire est présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie.

I.  Faits

[2]  Les faits en l’espèce ne sont pas contestés. 

[3]  Mme Badmus, qui n’est pas fonctionnaire, a posé sa candidature au poste d’agente de prestations de programmes au MAC le 22 mai 2019. Le poste avait été affiché sur un site Web du gouvernement du Canada. Le processus de recrutement comportait une évaluation écrite ouverte à toute personne résidant au Canada et aux citoyens canadiens résidant à l’étranger. La demanderesse était qualifiée pour poser sa candidature, et la demande à cette fin devait être remplie en ligne pour ce poste.

[4]  L’affichage en ligne est très précis quant aux exigences à satisfaire :

[traduction]

Lorsque vous participez à ce processus, n’oubliez pas que les critères de mérite essentiels (études, expérience, certaines capacités et qualités personnelles) seront évalués en fonction des réponses que vous fournirez dans votre demande en ligne et que vos réponses pourront être validées par une référence professionnelle. Vos réponses doivent être aussi précises que possible.

IL NE SUFFIT PAS d’indiquer que vous possédez les qualifications requises ou de fournir une liste de vos responsabilités antérieures ou actuelles. Il faut plutôt démontrer COMMENT, QUAND et OÙ vous avez acquis ces qualifications en donnant des exemples. Les renseignements que vous fournissez sur vos compétences, votre expérience, etc., dans vos réponses aux questions de présélection doivent être confirmés dans votre curriculum vitæ. Si vous ne fournissez pas les renseignements ci‑dessus de la façon indiquée, votre candidature pourrait être rejetée. Nous ne communiquerons pas nécessairement avec les candidats pour obtenir des renseignements manquants ou pouvant avoir été omis.

Le curriculum vitæ pourrait être utilisé comme source de référence secondaire pour valider les études et l’expérience décrites dans les réponses aux questions de présélection.

Veuillez joindre deux références récentes * à votre curriculum vitæ.

*  c’est‑à‑dire datant de 2 à 5 années

INSTRUCTIONS

Au moment de consigner vos exemples, assurez‑vous de ce qui suit :

● Fournissez des exemples concrets et spécifiques de gestes qui sont en lien direct avec l’expérience attendue.

● Choisissez des exemples de situations ayant eu un degré de complexité et de difficulté suffisamment élevé et des répercussions suffisamment grandes pour vous permettre d’illustrer dans quelle mesure vous avez fait preuve des comportements attendus pour chaque qualification.

● Mettez l’accent sur ce que vous avez fait. Si vous parlez d’une expérience vécue au sein d’une équipe, séparez votre rôle de celui des autres.

● Décrivez les événements au passé. Cette condition vous aidera à ne pas faire de déclarations générales, et à plutôt présenter des exemples concrets (par exemple, au lieu de dire « je travaille bien en équipe », vous direz « j’ai travaillé efficacement au sein d’une équipe la fois où… »).

● Utilisez des verbes d’action quand vous décrivez votre expérience : diriger, gérer, organiser, planifier, préparer, informer, déterminer, etc.

● Fournissez tous vos exemples sous forme de phrase.

● Le lieu où les situations se sont déroulées doit être présenté, ainsi que le contexte qui existait alors, les mesures que vous avez prises, la stratégie que vous avez adoptée, le rôle que vous avez joué et le résultat obtenu.

(Dossier certifié du tribunal (DCT) aux pp 51-52)

[Non souligné dans l’original.]

De toute évidence, les réponses aux questions doivent être précises. Les candidats sont avertis qu’il ne suffira pas d’exprimer des généralités.

[5]  En l’espèce, la candidature de Mme Badmus a été jugée insatisfaisante au regard des trois qualifications essentielles ci‑dessous, marquées d’une astérisque, qui entrent dans la catégorie générale des « qualités personnelles ». Ces qualités personnelles, selon le formulaire, sont évaluées au moyen de la demande en ligne. Les quatre éléments des qualités personnelles sont les suivants :

·  QP 1 – Jugement*

·  QP 2 – Entregent

·  QP 3 – Sens du service à la clientèle*

·  QP 4 – Sens des responsabilités*

(DCT à la p 53)

[6]  D’autres qualifications essentielles figurent quand même dans la liste. Par exemple, des exigences ayant trait aux études et à l’expérience ainsi qu’à certaines capacités sont aussi énumérées dans le formulaire :

·  CA 1 – Capacité de communiquer efficacement par écrit*

·  CA 2 – Capacité de communiquer efficacement à l’oral

·  CA 3 – Capacité d’établir les priorités, d’organiser et de gérer une charge de travail

·  CA 4 – Capacité d’analyser et de résoudre des problèmes*

La capacité CA 4 est, dit‑on, « sera évaluée durant l’examen de votre candidature en ligne » (DCT à la p 53) et c’est la « capacité d’analyser et de résoudre des problèmes », en tant que qualification essentielle, qui a été jugée insuffisante.

[7]  L’évaluation de quatre des qualifications essentielles (CA 4, QP 1, QP 3, QP 4) a été défavorable en raison des réponses données à quatre questions, c’est‑à‑dire :

[traduction]

CA 4 – Capacité d’analyser et de résoudre des problèmes

Décrivez une situation où vous deviez analyser un problème et proposer une solution à votre superviseur. Quel était le problème? Qui était concerné? Quel a été le résultat?

Réponse de la candidate :

CABINET D’AVOCATS GALAN, Toronto 2012-2013

Stagiaire — lésions corporelles (6 mois)

Pendant mon stage au cabinet Galan, où j’ai rédigé plusieurs documents juridiques et préparé des avis juridiques, j’ai rédigé un important avis d’appel pour un client du cabinet (lésions corporelles). Mon document a été adopté par le cabinet et déposé en appel au nom du client.

QP 1 – Jugement

Une collègue, une bonne amie à vous, vous demande d’examiner le dossier de son cousin. Elle croit que son cousin, un vétéran de la guerre en Afghanistan, devrait recevoir plus d’argent et un meilleur appui financier du Ministère. Que faites-vous?

Réponse de la candidate :

J’invoquerais ici le conflit d’intérêts, parce que la collègue est une bonne amie à moi et que notre amitié pourrait influer sur mon examen et la décision que je prendrais dans le dossier de son cousin.

QP 3 – Sens du service à la clientèle

Décrivez un moment durant lequel vous étiez particulièrement fier du service que vous avez offert à un client qui a eu de bons résultats.

Réponse de la candidate :

Chez Fola Law Professional Corporation, où j’ai fait une partie de mon stage (détails omis pour des raisons de confidentialité et de privilège), j’ai participé à l’entrevue avec une cliente en droit de la famille concernant une demande de protection de l’enfance. J’ai collaboré à la préparation du dossier et accompagné l’avocat principal au tribunal. Nous avons gagné notre cause, et l’enfant a été retourné à la cliente par les Services de protection de l’enfance. J’ai été heureuse du résultat juste en voyant l’énorme soulagement de la cliente.

QP 4 – Sens des responsabilités :

Hier, votre superviseur vous a attribué un dossier urgent que vous n’avez pas pu terminer. Une décision doit être prise aujourd’hui, avant midi. Il est maintenant 7 h, et le bureau vient juste d’être fermé en raison d’une tempête de neige. La demande provient d’une cliente en difficultés financières qui risque de se faire expulser de son appartement à la fin de la journée. Que faites-vous?

Réponse de la candidate :

Je travaillerais plus longtemps pour aider la cliente, compte tenu de sa situation hors de l’ordinaire. Je procéderais à l’examen du dossier de la cliente en dehors des heures de bureau et je m’assurerais de procéder à une analyse diligente.

Le résultat de mon examen ne dépendrait pas, toutefois, de la situation de la cliente, mais bien des faits qui me sont présentés et de l’application des politiques, lignes directrices et règlements applicables au traitement de ce genre de dossier.

[Nos caractères gras.]

La demanderesse n’a pu obtenir la note minimale de 6/10 pour chacune des quatre qualifications.

[8]  Comme nous le verrons, la demanderesse n’était pas d’accord avec cette évaluation du MAC. Selon la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP, LC 2003, c 22, art 12 et 13), la Commission de la fonction publique [CFP] peut procéder à des enquêtes et à des vérifications relatives aux nominations de personnes appartenant ou non à la fonction publique (art. 11b)). Comme l’énonce le préambule de la LEFP, le pouvoir de faire des nominations est conféré à la CFP, qui peut le déléguer aux administrateurs généraux. L’article 66 de la LEFP précise que la CFP peut mener une enquête sur tout processus de nomination externe, à l’instar de celui qui nous occupe ici, « si elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée […] ».

[9]  Mme Badmus a contesté les conclusions tirées par le MAC, à savoir qu’elle ne possédait pas quatre des qualifications essentielles. C’est le refus de la CFP de mener une enquête à ce sujet qui est l’objet de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  Après son examen initial, la CFP a conclu qu’il n’était pas nécessaire de faire enquête. La lettre de décision est datée du 6 novembre 2019 et porte exclusivement sur le poste pour lequel la demanderesse a posé sa candidature au MAC, à Kirkland Lake (Ontario). La demanderesse affirme qu’elle a été [traduction« marginalisée » et qu’elle n’a pas eu [traduction« la possibilité de participer en toute équité au recrutement dans le cadre du processus précité ».

[11]  La lettre de décision précise également que la candidature de la demanderesse n’a pas été retenue parce qu’elle ne répondait pas à quatre qualifications essentielles qui sont énumérées. La CFP rappelle à la demanderesse qu’il est loisible au MAC, en vertu des articles 30 et 36 de la LEFP, de déterminer les qualifications essentielles d’un poste ainsi que les moyens d’évaluer les candidatures. La CFP convient que les outils d’évaluation utilisés par le MAC se rattachaient aux qualifications essentielles requises. Plus précisément, la CFP a constaté que les réponses données aux questions portant sur les qualifications essentielles [traduction« ne présentaient pas le degré de précision nécessaire selon les réponses attendues ». La lettre de décision conclut qu’une enquête n’est pas justifiée, car [traduction« l’information reçue ne soulève pas de problème dans l’application de la LEFP, des règlements ou lignes directrices connexes. »

[12]  L’« information reçue » s’entend des renseignements transis par le MAC. Une note datée du 4 novembre 2019 du Secteur de la surveillance et des enquêtes de la CFP explique pourquoi les réponses aux quatre questions ont été jugées insuffisantes :

[traduction]

INFORMATION REÇUE DU MAC

Selon le MAC, la candidature n’a pas été retenue parce que la personne n’a pas satisfait aux quatre qualifications suivantes :

  • Capacité d’analyser et de résoudre des problèmes : La candidate a écrit deux phrases qui ne répondaient pas à la question.

  • Jugement : La candidate a répondu en une seule phrase qui ne donnait pas suffisamment de détails.

  • Sens du service à la clientèle : La candidate a rédigé une courte réponse qui n’était pas suffisamment précise et qui constituait un très mauvais exemple du sens du service à la clientèle. Elle n’a donné aucun exemple où elle avait assuré directement et véritablement un service au client.

  • Sens des responsabilités : La candidate a donné une courte réponse qui n’était pas suffisamment précise et qui n’a pas abordé les éléments complexes présentés dans la question (p ex la fermeture du bureau).

Le MAC précise que les qualifications susmentionnées ont été évaluées au moyen de la partie écrite de l’évaluation, qui faisait partie du formulaire de candidature en ligne. Le Ministère mentionne aussi que la note de passage pour chaque qualification était fixée à 6/10 et que la candidate a obtenu une note de 5/10 à chacune de ces qualifications.

Comme je l’ai mentionné précédemment, la lettre de décision a été envoyée deux jours plus tard.

[13]  Le DCT confirme les renseignements transmis par le MAC figurant dans la note du Secteur de la surveillance et des enquêtes de la CFP. Ainsi, il est possible de voir des commentaires manuscrits vis‑à‑vis des réponses jugées insuffisantes (DCT aux pp 26-27) :

[traduction]

CA 4 – Capacité d’analyser et de résoudre des problèmes

« n’a pas répondu à la question »

QP 1 – Jugement

« information insuffisante »

QP 3 – Sens du service à la clientèle

« mauvais exemple »

QP 4 — Sens des responsabilités

« suivi? »

En fait, le MAC a donné des précisions au sujet de ces courtes annotations dans un échange de courriels (DCT aux pp 17-20). Les commentaires touchant la CA 4, la QP 1 et la QP 3 sont identiques à ceux qui sont formulés dans le rapport du 4 novembre 2019 du Secteur de la surveillance et des enquêtes de la CFP. Celui qui porte sur la CA 4 est étoffé, de la façon suivante :

[traduction]

QP 4 :  La candidate a donné une courte réponse qui n’était pas suffisamment précise et qui n’abordait les éléments complexes spécifiques présentés dans la question (p ex la fermeture du bureau). La candidate n’a pas expliqué comment elle s’assurerait que le traitement du dossier s’effectue à temps. Elle a répondu qu’elle travaillerait [traduction] « en dehors des heures de bureau », mais le bureau était fermé en raison d’une tempête de neige. La candidate a mentionné par ailleurs que le résultat de son examen [traduction] « ne dépendrait pas de la situation de la cliente », ce qui veut dire qu’elle n’avait pas saisi l’urgence, soit le risque pour la cliente de perdre son logement.

[14]  Les réponses aux questions servant à évaluer diverses qualifications essentielles ont été soupesées au regard des éléments attendus, qui sont énoncés aux pages 32, 33 et 34 du DCT :

[traduction]

CA 4 – Capacité d’analyser et de résoudre des problèmes — réponse attendue :

  • Décrit le problème et fait preuve d’un esprit analytique

  • Décrit l’approche adoptée pour régler le problème et explique pourquoi

  • Cela comprend s’assurer que les autres ont un besoin de savoir ou solliciter des commentaires

  • Utilise la pensée critique et/ou son bon sens

  • Communique les résultats de la solution

  • Met à profit son expérience passée et les leçons apprises s’il y a lieu

  • Autres réponses acceptables pour ce qui est d’analyser et de résoudre des problèmes

QP 1 – Jugement — réponse attendue :

  • Démontre qu’il ou elle utilise des messages appropriés

  • Reconnaît les renseignements pertinents, détermine et évalue les options, puis choisir la meilleure solution

  • Puise dans son vécu pour prendre des décisions opportunes et réfléchies

  • Reconnaît la nécessité d’assurer un suivi

  • Reconnaît la nécessité de faire participer les autres ou de communiquer avec les autres

  • Fait preuve de raisonnement critique

  • Trouve les meilleures solutions

  • Autres réponses acceptables pour le jugement

  • Reconnaît les situations qui soulèvent des conflits d’intérêts et/ou les cas où il est nécessaire de ne pas s’impliquer

QP 3 – Sens du service à la clientèle — réponse attendue :

  • Est à l’écoute des besoins du client

  • Fait preuve de respect

  • Est prêt à examiner la situation du point de vue du client

  • Fait preuve d’entrain et de politesse

  • Démontre une volonté d’aider

  • Autres réponses acceptables

QP 4 – Sens des responsabilités — réponse attendue :

  • Montre qu’il ou elle est une personne fiable et digne de confiance

  • Reconnaît les situations urgentes

  • A la réputation de prendre la meilleure décision

  • Est responsable

  • Nécessite peu ou pas de suivi ou de supervision

  • Prend des mesures concrètes

  • S’assure que le travail s’accomplit malgré des éléments complexes

  • Autres réponses acceptables

[15]  La CFP a publié ses « Lignes directrices en matière de motifs d’enquête par la CFP, en vertu de la nouvelle LEFP, au sujet des nominations externes, des nominations internes sans délégation de pouvoir et des nominations pouvant résulter de l’exercice d’une influence politique ou d’une fraude » [les Lignes directrices] (https://www.canada.ca/fr/commission‑fonction-publique/services/activites-surveillance/enquetes/lignes-directrice-enquete-influence-politique-fraude.html) (DCT aux pp 39-44). Ce document souligne la nature discrétionnaire de la décision de mener une enquête ou non; les décisions d’enquêter sont prises au cas par cas.

[16]  Si la CFP est compétente dans une affaire, elle déterminera :

  • si la question soulève la possibilité d’un problème lié à l’application de la LEFP qui a eu une incidence sur la sélection aux fins de nomination ou la possibilité d’une infraction à la LEFP, au Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (REFP), aux lignes directrices de la Commission ou aux conditions de délégation;

  • si les renseignements obtenus laissent croire à la possibilité d’irrégularités systématiques lors de l’application de la LEFP, du REFP, des lignes directrices de la Commission ou des conditions de délégation.

III.  La contestation visant les conclusions de la CFP

[17]  Mme Badmus conteste la décision de la CFP de ne pas mener d’enquête relativement à sa demande de nomination externe à la fonction publique.

[18]  La demanderesse prétend qu’elle possédait les qualifications essentielles : elle affirme qu’elle a été marginalisée de façon injuste, qu’elle a été victime de discrimination et que sa candidature a été injustement rejetée dans le cadre du processus de recrutement.

[19]  Premièrement, elle fait valoir que la CFP s’est fondée exclusivement sur l’information reçue du MAC. Elle s’inscrit en faux également contre l’énoncé, dans la lettre de décision du 6 novembre 2019, suivant lequel les articles 30 et 36 de la LEFP permettent aux organisations [traduction« de déterminer les qualifications essentielles exigées pour un poste ainsi que la méthodologie et les moyens à appliquer pour évaluer les candidats dans le cadre du processus de nomination ». Je reproduis ci‑après les dispositions pertinentes :

Principes

Appointment on basis of merit

30 (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

30 (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

Définition du mérite

Meaning of merit

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(2) An appointment is made on the basis of merit when

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

b) la Commission prend en compte :

(b) the Commission has regard to

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

Méthode d’évaluation

Assessment methods

36 La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

36 In making an appointment, the Commission may use any assessment method, such as a review of past performance and accomplishments, interviews and examinations, that it considers appropriate to determine whether a person meets the qualifications referred to in paragraph 30(2)(a) and subparagraph 30(2)(b)(i).

[20]  La demanderesse prétend que ces dispositions ne peuvent autoriser une organisation à évaluer subjectivement une candidate, donc d’une manière qui a pour effet de la marginaliser ou d’exercer une discrimination contre elle. La demanderesse soutient par ailleurs que, sous prétexte de déterminer des qualifications essentielles, une organisation ne peut marginaliser ni discriminer qui que ce soit. Toutefois, la demanderesse n’a pas expliqué en quoi les qualifications essentielles exigées du MAC s’avéraient discriminatoires. Aucune preuve ni aucune observation n’a été présentée en l’espèce afin d’établir que les questions dénotaient, par exemple, un préjugé culturel ou qu’elles favorisaient un groupe plutôt qu’un autre.

[21]  Deuxièmement, Mme Badmus se dit persuadée d’avoir subi un traitement discriminatoire parce que sa candidature n’a pas été retenue sur la base de « seulement » quatre éléments essentiels. Elle plaide qu’elle possède d’autres qualifications essentielles et de l’expérience pertinente pour l’emploi qui ont été laissées de côté. Elle semble affirmer que, si ces autres qualifications essentielles avaient été dûment évaluées, elles auraient pu en quelque sorte compléter ses réponses aux questions destinées à l’évaluation de qualifications essentielles précises. À son avis, sa candidature aurait dû être étudiée à la lumière des huit grandes qualifications essentielles et pas seulement des quatre où il a été jugé qu’elle n’a pas réussi.

[22]  Troisièmement, la demanderesse conteste le fait que ses quatre réponses jugées insatisfaisantes étaient insuffisamment précises. Elle avance essentiellement que le lecteur aurait dû extrapoler à partir de ses réponses aux questions visant à évaluer diverses qualifications essentielles. La Cour examinera soigneusement ces réponses dans le cadre de son analyse, puisque ce point réside probablement au cœur de l’affaire qui nous occupe ici.

[23]  En dernier lieu, la demanderesse a soulevé l’existence d’une note affichée sur son compte sur le site Web d’emplois du gouvernement du Canada qui est datée du 24 juin 2019. Cette note mentionnait le poste au MAC (pour lequel Mme Badmus a posé sa candidature le 22 mai 2019) et précisait ce qui suit : [traduction« Nous avons le regret de vous informer que votre candidature n’a pas été retenue dans le cadre du processus mentionné plus haut, car vous n’avez pas obtenu la note de passage pour au moins une des qualifications essentielles ». La demanderesse qualifie cette note de « discriminatoire » et juge qu’elle l’a empêchée de postuler pour un emploi différent pendant un certain temps. Il n’est pas clair quelle pertinence revêt cette note, qui indique le résultat d’un processus de nomination pour le poste au MAC, dans la présente demande de contrôle judiciaire visant justement ce processus. Elle fait simplement état de l’issue de la candidature. L’affidavit de Catherine Dumas, fonctionnaire à la CFP, explique parfaitement bien la nature de cette note. Elle permet d’informer la candidate de l’étape où se trouve le processus de nomination dans ce cas précis. En l’espèce, elle se limite à donner des renseignements sur l’état d’avancement de la candidature au poste offert par le MAC. Elle reflète simplement le résultat du processus.

[24]  La demanderesse semble considérer que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[25]  Le défendeur insiste sur la nature discrétionnaire du pouvoir d’enquête de la CFP. La demande d’enquête a été communiquée à celle‑ci le 8 octobre 2019; la demanderesse a été informée que l’examen suivrait les exigences des Lignes directrices et a reçu un lien la dirigeant vers ces lignes directrices.

[26]  La demanderesse a été présélectionnée en fonction de ses études et de son expérience essentielle de travail. Une fois engagée dans le processus, Mme Badmus n’p général, ces conclusions sont raisonnables et ne devraient donc pas être modifiées.

[27]  Le défendeur souligne qu’il convient de faire montre d’une grande retenue judiciaire envers les décisions de la CFP, en raison de l’expertise de l’organisation et de la portée de son pouvoir discrétionnaire dans l’exercice de ses fonctions. La cour de révision ne doit pas substituer sa décision dans l’affaire. La demande dont la Cour est saisie en l’espèce constitue une tentative de faire en sorte que la cour de révision soupèse à nouveau les éléments de preuve auxquels s’ajouteraient des commentaires de la demanderesse qui ne figuraient pas dans les réponses initiales considérées grandement insuffisantes. Selon le défendeur, [traduction« cette demande ne constitue pas une réévaluation de l’acceptabilité de la candidature de la demanderesse pour le poste au MAC » (mémoire des faits et du droit du défendeur au para 41).

[28]  De toute façon, la décision de la CFP est intrinsèquement cohérente et s’appuie sur une chaîne d’analyse rationnelle qui respecte les contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Les outils d’évaluation étaient rattachés aux qualifications exigées, les réponses de la candidate ont été comparées aux réponses attendues et la candidature n’a pas été retenue à la suite d’un processus qui n’était ni subjectif ni discriminatoire. Le dossier confirme amplement le bien‑fondé des conclusions de la CFP.

IV.  Analyse

[29]  Le point de départ de l’analyse consiste bien sûr à déterminer la norme de contrôle applicable et, tout aussi important, les conséquences de l’application de cette norme. Autrement dit, qu’est‑ce qu’un demandeur doit prouver pour que sa demande de contrôle judiciaire soit accueillie?

[30]  C’est l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], rendu par la Cour suprême du Canada, qui établit le cadre juridique applicable en l’espèce. Cet arrêt confirme qu’il existe en droit la présomption que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable (au para 25). Cette présomption peut évidemment être réfutée. Toutefois, ni la demanderesse ni le défendeur n’ont tenté de le faire. Je ne vois rien dans la loi qui dénoterait une intention différente du législateur qui permettrait de réfuter la présomption ou de croire que la primauté du droit commande l’application d’une autre norme (Vavilov au para 17).

[31]  Il s’ensuit qu’une certaine retenue doit être appliquée quand des décisions administratives sont soumises à un contrôle judiciaire. La cour de révision ne doit pas y substituer sa propre conclusion mais plutôt procéder à un examen rigoureux visant à « préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La décision est‑elle transparente, intelligible et justifiée? Cette notion est formulée au paragraphe 15 de l’arrêt Vavilov :

[15]  Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. Ce qui distingue le contrôle selon la norme de la décision raisonnable du contrôle selon la norme de la décision correcte tient au fait que la cour de justice effectuant le premier type de contrôle doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif.

[32]  La norme de la décision raisonnable impose certains critères quant au cadre que les cours de révision doivent appliquer. Premièrement, « le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct des décideurs administratifs » (Vavilov au para 75). La cour de révision ne doit pas chercher à savoir comment elle aurait résolu la question, mais bien si le demandeur a démontré que la décision était déraisonnable. De fait, une certaine retenue s’impose à l’endroit du décideur administratif pourvu que la décision soit raisonnable.

[33]  Certains estimeront qu’une décision n’est pas raisonnable si elle est contraire à leurs convictions; il ne s’agit toutefois pas du critère applicable. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême émet certaines directives :

[99]  La cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Dunsmuir, par. 47 et 74; Catalyst, par. 13.

Elle précise ensuite ce qui constitue une décision déraisonnable :

[101]  Qu’est‑ce qui rend une décision déraisonnable? Il nous semble utile ici, d’un point de vue conceptuel, de nous arrêter à deux catégories de lacunes fondamentales. La première est le manque de logique interne du raisonnement. La seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. Il n’est toutefois pas nécessaire que les cours de révision déterminent si les problèmes qui rendent la décision déraisonnable appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie. Ces désignations offrent plutôt un moyen pratique d’analyser les types de questions qui peuvent révéler qu’une décision est déraisonnable.

[34]  Il incombe au demandeur de montrer qu’une décision est déraisonnable, à savoir qu’elle n’est pas intrinsèquement cohérente ou n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision. Un demandeur ne peut s’appuyer sur une lacune quelconque qu’il peut chercher à découvrir. La cour de révision doit plutôt « être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100). Les lacunes ou insuffisances doivent être importantes pour rendre la décision déraisonnable, et c’est le demandeur qui doit en faire la preuve.

[35]  Fondamentalement, la demanderesse ici n’est pas d’accord avec l’évaluation relative aux quatre qualifications essentielles et, de toute manière, elle affirme que d’autres qualifications essentielles auraient dû être prises en considération. Cette position dénote sans doute une incompréhension de ce que sont les qualifications essentielles.

[36]  Il est clair que les qualifications essentielles sont considérées [traduction« 1 absolument nécessaires, indispensables et 2 primordiales, les plus importantes (principes essentiels) » (Oxford Canadian Dictionary, Oxford University Press, 2001). Peu importe que Mme Badmus possède d’autres qualifications essentielles, il reste que sa candidature ne respectait pas quatre des huit qualifications essentielles établies aux fins du processus de dotation. Le contrôle judiciaire doit donc chercher principalement à établir si la demanderesse a prouvé qu’il était déraisonnable pour le décideur de conclure que les réponses à quatre questions censées permettre d’évaluer la candidature au regard des qualifications essentielles ne respectaient pas le degré de précision exigé. Le fait que la candidate possède d’autres qualifications essentielles ne revêt aucune importance, parce que l’évaluation n’est pas globale, au sens où les qualifications essentielles appropriées seraient considérées comme un tout.

[37]  Selon la LEFP, une nomination « est fondée sur le mérite lorsque, selon la Commission, la personne nommée possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir […] » (art 30(2)a)). Par conséquent, l’administrateur général du MAC détermine les qualifications essentielles qui doivent être remplies. Si une personne n’obtient pas la note de passage, sa candidature n’est pas retenue.

[38]  La demanderesse plaide que la CFP aurait dû prendre en considération les autres qualifications essentielles pour prendre une décision valide dans son cas. En réalité, toutes les qualifications essentielles doivent être respectées. Le fait que la candidate réponde aux qualifications relatives aux études et à l’expérience ne peut compenser ses lacunes au regard d’autres qualifications essentielles. En l’espèce, le MAC a choisi d’établir comme qualifications essentielles la CA 4, la QP 1, la QP 3 et la QP 4, lesquelles devaient être évaluées au moyen de questions. L’affichage du poste insistait grandement sur le fait que les qualifications essentielles faisant partie des capacités et des qualités personnelles devaient être évaluées à la lumière des réponses des candidats à des questions. D’après l’affichage, les réponses devaient être aussi précises que possible. Il est mentionné ensuite qu’[traduction« IL NE SUFFIT PAS d’indiquer que vous possédez les qualifications requises ou de fournir une liste de vos responsabilités antérieures ou actuelles. Il faut plutôt démontrer COMMENT, QUAND et OÙ vous avez acquis ces qualifications en donnant des exemples. » L’affichage donne notamment les directives suivantes pour aider les candidats :

[TRADUCTION]

  • Vous devez choisir des exemples relativement complexes, qui ont eu un impact et un degré de difficulté suffisants pour illustrer dans quelle mesure et vous avez adopté les comportements attendus par rapport à chaque qualification.

  • Chaque exemple doit comprendre la date ou période à laquelle l’exemple a eu lieu, le contexte de chaque situation, ce que vous avez fait, comment vous l’avez fait, quel était votre rôle dans cette situation, et quel a été le résultat.

[39]  J’ai déjà reproduit au paragraphe 7 les questions et réponses qui sont l’objet du débat ici. Mme Badmus a mentionné dans son mémoire des faits et du droit, et elle l’a répété à l’audience, qu’elle contestait les conclusions du MAC. Or, ce n’est pas là le fardeau dont elle doit s’acquitter. Elle doit plutôt montrer que la décision de ne pas mener d’enquête n’était pas raisonnable. Dans l’arrêt Girouard c Canada (Procureur général), 2020 CAF 129, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un simple désaccord avec une décision ne rendait pas celle‑ci déraisonnable :

[43]  Les procureurs de l’appelant n’ont présenté aucun argument, que ce soit dans leur argumentation écrite ou leur plaidoirie orale, tendant à démontrer que la recommandation de révocation émise par le Conseil serait déraisonnable. Ce que l’appelant reproche plutôt à la Cour fédérale et au Conseil, somme toute, c’est de ne pas avoir accepté ses prétentions ni retenu ses explications. Cela ne suffit pas pour démontrer que la décision du Conseil est déraisonnable, ou que la Cour fédérale n’a pas correctement appliqué la norme de la décision raisonnable.

[44]  Plutôt que de tenter de démontrer en quoi le raisonnement suivi par le Conseil manque de justification, de transparence ou d’intelligibilité, ou comment sa recommandation s’écarte des issues possibles acceptables au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes, le juge Girouard a soutenu que ni le Conseil ni la Cour fédérale n’avaient tenu compte de ses observations ou répondu à ses arguments. Malgré l’énergie et la conviction qu’ont mises ses procureurs à nous en convaincre, je ne peux accepter cette prétention.

[40]  La CFP a été satisfaite de l’évaluation effectuée par le MAC (DCT aux pp 9-10). Il est difficile de voir comment elle n’était pas raisonnable selon l’interprétation de cette notion depuis les arrêts Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 et Vavilov. La question au sujet de la capacité d’analyser et de résoudre des problèmes exige une réponse qui va démontrer la capacité d’analyse de la candidate. Dans sa réponse, la demanderesse a illustré sa capacité d’analyse en mentionnant un avis d’appel qu’elle avait rédigé durant son stage. Une telle réponse ne permet pas d’évaluer la capacité d’analyser et de résoudre des problèmes. Le MAC et la CFP ont jugé que la candidate n’avait pas répondu à cette question.

[41]  La réponse au regard de la QP 1, relative au jugement, a aussi été jugée insuffisante, parce qu’elle ne comportait pas assez de détails. La candidate a simplement affirmé qu’il y avait conflit d’intérêts, sans analyser les diverses options, sans préciser la source du conflit, sans expliquer pourquoi l’issue proposée était appropriée et sans mentionner qui d’autre devrait participer ni quelle serait la façon de communiquer avec les tiers.

[42]  Pour ce qui est du sens du service à la clientèle, la QP 3, la candidate a répondu qu’elle avait assisté à l’entrevue avec une cliente, qu’elle avait travaillé à la préparation du dossier et accompagné l’avocat principal. Il ne fait pas de doute que la candidate en a tiré une satisfaction sur le plan professionnel, à juste titre. Par contre, elle a donné peu de détails (comment, quand et où), et son rôle (ce que la demanderesse a fait et comment) n’est pas décrit avec assez de détails pour permettre une évaluation au titre de la qualification personnelle. Comme l’énoncent les instructions données aux candidats, l’accent est mis sur la nécessité de donner des réponses complètes permettant une évaluation. Il en va de même pour l’exemple donné afin d’illustrer le sens des responsabilités (QP 4), qui a été jugé trop imprécis et qui omettait l’élément de la complexité. La qualification essentielle concernait le sens des responsabilités des candidats, et la réponse de la demanderesse comportait deux phrases : les heures supplémentaires à effectuer et l’examen à faire en dehors des heures de travail. L’article 66 de la LEFP dispose que la CFP peut mener une enquête, mais qu’elle doit être convaincue que la nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le processus d’une manière telle que des mesures correctives devraient être prises. L’absence de réponses adéquates à quatre questions destinées à évaluer les qualifications essentielles a suffi pour que la CFP refuse de mener une enquête. La demanderesse avait le fardeau de convaincre la Cour que cette décision était déraisonnable.

[43]  Le mémoire des faits et du droit de la demanderesse tente de compléter les réponses données en indiquant que certains éléments peuvent en être inférés. Encore une fois, cette démarche fait fi des instructions données aux candidats, soit que les réponses doivent être [TRADUCTION« aussi précises que possible », et la note affichée sur le compte de de la demanderesse énonce que [traduction« [la demanderesse n’a] pas obtenu la note de passage pour au moins une des qualifications essentielles », ce qui a entraîné le rejet de sa candidature.

[44]  Cette analyse a pour seul but d’expliquer pourquoi la demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie au motif que la décision ne serait pas raisonnable. La demanderesse doit convaincre la cour de révision que « la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (Vavilov au para 100). Un simple désaccord ne suffit pas. En fait, la cour de révision doit user de retenue et respecter le rôle distinct des décideurs administratifs. La CFP a conclu qu’une enquête n’était pas justifiée à la lumière du processus suivi par le MAC et de la réponse donnée aux quatre questions destinées à évaluer les qualifications essentielles. Il n’a pas été démontré que les réponses étaient adéquates et, par conséquent, que la Cour pourrait juger que le pouvoir discrétionnaire d’enquête n’avait pas été dûment exercé. Au contraire, aucune preuve n’a permis de conclure que les réponses étaient satisfaisantes. Il s’ensuit que la décision de la CFP n’était pas déraisonnable.

[45]  Mme Badmus a également invoqué un manquement à l’équité procédurale, même s’il n’était pas clair à première vue ce qu’elle considérait comme inéquitable dans le processus. L’avis de demande mentionne le non‑respect des principes de justice naturelle, des principes d’equity et de l’équité procédurale à cause de l’omission, par la CFP, d’obtenir la demande d’emploi. Comme deuxième motif de demande, la demanderesse conteste la note préjudiciable affichée sur son compte à la fonction publique fédérale relativement à sa candidature, note [traduction« qui n’a pas été demandée ni consultée par la Commission avant que celle‑ci décide, à tort, qu’il n’y avait pas lieu de mener une enquête dans ce dossier ». Troisièmement, la demanderesse affirme qu’il y a manquement en raison du caractère déraisonnable de la décision au vu des faits.

[46]  Le droit applicable reste inchangé, c’est‑à‑dire qu’un contrôle judiciaire portant sur l’équité procédurale doit reposer sur la norme de la décision correcte (Établissement Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502 au para 79). Le défendeur fait valoir que les exigences applicables pour respecter l’obligation d’équité procédurale se situent au bas du continuum. Depuis l’arrêt Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, il a été confirmé que « la notion d’équité procédurale est éminemment variable et [que] son contenu est tributaire du contexte particulier à chaque cas » (à la p 682). Dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême du Canada a énoncé les facteurs qui doivent être pris en considération quand il s’agit de déterminer quels droits en matière procédurale s’appliquent dans une situation donnée.

[47]  Notre Cour a statué, dans une affaire où la CFP avait décidé de ne pas donner suite à une plainte, que l’obligation d’équité se situait au bas du continuum. Dans l’arrêt Lakic c Canada (Procureur général), 2013 CF 1018, mon collègue le juge Zinn s’est exprimé ainsi :

[7]  Il a été statué que la Direction générale des enquêtes ne doit respecter qu’un niveau minimal d’équité procédurale : Baragar c Canada (Procureur général), 2008 CF 841 [Baragar]. En effet, dans la décision Baragar, le juge Barnes a finalement conclu que, selon les faits de cette affaire, l’obligation d’équité imposée à la Direction générale des enquêtes n’avait pas été violée, notamment parce que la demanderesse communiquait constamment avec la Direction générale des enquêtes et qu’elle avait à un certain moment « reformulé » ses préoccupations dans de longues observations écrites.

Plus loin dans ses motifs, mon collègue a résumé les exigences qui sont directement applicables à la présente affaire :

[10]  Par conséquent, je conclus que la Direction générale des enquêtes a satisfait à son obligation d’équité, au niveau requis, en remettant à la demanderesse une copie des lignes directrices et en l’informant que sa plainte serait traitée conformément aux conditions énoncées dans ce document. Si elle avait lu les lignes directrices, Mme Lakic aurait su que le délai était une question pertinente et personne ne l’a empêchée de formuler des observations pertinentes à ce sujet.

[48]  C’est ce qui s’est produit en l’espèce. La demanderesse a obtenu un lien vers les Lignes directrices. Le DCT montre un échange de courriels avec la demanderesse qui portent directement sur sa demande d’enquête.

[49]  Encore plus important sans doute, le DCT renferme la demande d’emploi présentée par Mme Badmus, accompagnée des questions et des réponses jugées insuffisantes ainsi que des commentaires manuscrits où sont motivées succinctement les notes accordées. Il a été allégué que la demande d’emploi n’avait pas été transmise à la CFP, ce qui est infirmé par la présence dans le dossier de la correspondance entre les fonctionnaires du MAC et la CFP, où les motifs sont également débattus. En outre, le rapport de l’agent de la CFP qui a examiné l’affaire démontre que la demande d’emploi a été examinée. Il est clair que la CFP avait en main cette demande et les motifs expliquant les notes accordées relativement aux quatre qualifications essentielles jugées insuffisantes.

[50]  Il est allégué dans l’avis de demande que la [traduction« note préjudiciable » n’aurait pas été sollicitée ni consultée par la Commission avant que cette dernière décide de ne pas mener d’enquête. La preuve ne permet pas d’affirmer une telle chose. En fait, elle démontre le contraire. Le DCT contient le « Formulaire de demande d’enquête visant un processus de nomination », qui mentionne la phrase à laquelle Mme Badmus s’oppose. Par souci de commodité, je la reproduis à nouveau :

[traduction]

Nous avons le regret de vous informer que votre candidature n’a pas été retenue dans le cadre du processus mentionné plus haut, car vous n’avez pas obtenu la note de passage pour au moins une des qualifications essentielles.

Il est tout à fait clair que la phrase en question annonce simplement des résultats qui sont affichés dans le Système de ressourcement de la fonction publique afin de tenir les candidats informés de l’état d’avancement de leur candidature.

[51]  La demanderesse, dans son mémoire des faits et du droit puis à l’audience, a fait valoir que [traduction« l’annonce affichée [m’a] causé un préjudice en [m’]empêchant de postuler pour l’emploi susmentionné le jour même à cause d’une note discriminatoire affichée sur [mon] compte sur le site Web d’emplois du gouvernement du Canada » (mémoire des faits et du droit au para 8). La mention « emploi susmentionné » s’entend un poste au ministère de l’Emploi et du Développement social. Je formulerai deux observations. Tout d’abord, l’affaire dont est saisie notre Cour concerne un poste différent au sein d’un autre ministère, le MAC. Si la demanderesse estime qu’elle a subi un préjudice l’empêchant de poser sa candidature, celle‑ci, en toute déférence, a trait à un autre emploi qui n’a rien à voir avec la question soumise à la Cour. Le simple fait que la demanderesse soit avisée qu’elle n’avait pas obtenu la note de passage pour être retenue par le MAC ne constitue que la conclusion du processus de recrutement pour ce poste. Si cette note a empêché la demanderesse de postuler pour un emploi différent, la Cour n’en a pas été saisie. Il s’agit d’un processus différent de celui qui nous occupe ici. Ensuite, la demanderesse n’a pas expliqué comment cette phrase rend la note « discriminatoire », même si de nombreuses questions lui ont été posées à ce sujet durant l’audience.

V.  Conclusion

[52]  La Cour conclut que la décision prise le 6 novembre 2019 était raisonnable. Malheureusement, la candidature de la demanderesse n’a pas été retenue parce que ses réponses aux questions visant à évaluer les qualifications essentielles ne répondaient pas aux critères. Malgré la sympathie que j’éprouve envers la demanderesse, qui exprime sa frustration de ne pas avoir été choisie pour un poste à la fonction publique après plusieurs tentatives, je ne peux considérer que la décision était déraisonnable du fait qu’elle n’était pas justifiée, transparente et intelligible ni qu’elle n’était pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. Compte tenu du dossier et du contexte administratif, il n’a pas été établi que la décision souffrait de lacunes graves à un point tel qu’on pourrait dire qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Autrement dit, la demanderesse ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

[53]  De même, aucun élément n’appuie l’argument suivant lequel la CFP n’a pas pris connaissance de la demande d’emploi et qu’elle n’a pas demandé de recevoir ni consulté la note ajoutée au dossier de la demanderesse avant de parvenir à sa décision. De fait, le dossier montre que ces documents avaient été transmis à la CFP, comme le confirme le DCT.

[54]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le défendeur a demandé l’adjudication des dépens. Dans les circonstances, des dépens de 500 $, y compris les débours et les taxes, me semblent adéquats.


JUGEMENT dans le dossier T-1909-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 500 $, débours et taxes compris, sont payables au défendeur.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1909-19

INTITULÉ :

IBUKUNOLUWA DEBORAH BADMUS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE ottawa (Ontario), OSHAWA (oNTARIO) ET TORONTO (oNTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 11 SEPTEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Ibukunoluwa Deborah Badmus

POUR LA DEMANDERESSE

(SE REPRÉSENTANT ELLE‑MÊME)

Marilyn Venney

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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