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Date : 20050627

Dossier : IMM-6374-04

Référence : 2005 CF 906

Toronto (Ontario), le 27 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                                                XIAO LONG LIN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l'égard de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 15 juin 2004, que Xiao Long Lin (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi.


LES FAITS

[2]         Le demandeur est un citoyen chinois âgé de 24 ans qui vient de la province de Fujian, en République populaire de Chine (la Chine). Il allègue craindre avec raison d'être persécuté par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) du fait de ses opinions politiques, un motif prévu par la Convention. Il affirme en outre qu'il sera exposé à des peines cruelles et inusitées et à la torture s'il est renvoyé en Chine.

[3]         Le demandeur, qui craignait d'être arrêté et emprisonné, a quitté la Chine et est arrivé au Canada le 7 septembre 2002 en passant par les Philippines.

LES POINTS LITIGIEUX

[4]         1.          La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant un critère inapproprié à l'analyse fondée sur l'article 97?


ANALYSE

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur manifestement déraisonnable dans son analyse de la crédibilité du demandeur?

[5]         Étant donné qu'en présentant ses principaux arguments, le demandeur tente de mettre en question la conclusion de manque de crédibilité, il faut faire preuve d'une très grande retenue envers la Commission, comme il a été dit dans la décision Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 141, [2005] A.C.F. no 162, au paragraphe 45 :

Pour ce qui concerne la question de crédibilité, il est évident que la Cour doit beaucoup hésiter à intervenir lorsqu'il s'agit d'une décision en matière de crédibilité rendue par la Commission, qui a eu l'avantage d'entendre les témoins. Plusieurs jugements le mentionnent, les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » , ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 (C.A.F.); Oyebade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), [2001] A.C.F. no 1113; Sivanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 662 (C.F.).

[6]         En ce qui concerne son premier argument, le demandeur affirme qu'il ne manque aucun renseignement important dans son FRP, en particulier en ce qui concerne la tentative que l'on a faite pour l'arrêter. Voici ce que la Commission a dit dans sa décision:

Le tribunal ne trouve pas l'histoire du demandeur d'asile crédible. Il estime qu'il manque, dans l'exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (FRP), une information importante relativement à sa présumée arrestation pour avoir entravé le travail des agents de planification familiale.

[...]


Quant à l'omission dans l'exposé circonstancié du FRP du demandeur d'asile, le tribunal considère qu'elle est importante, car elle est liée au fondement même de la demande d'asile, à savoir l'arrestation possible du demandeur d'asile pour avoir entravé le travail des agents de planification familiale.

(Décision de la Commission en date du 15 juin 2004, pages 2 et 4)

[7]         Toutefois, dans son témoignage oral, le demandeur a déclaré que ses deux soeurs ainsi que six ou sept voisins s'étaient tenus entre les agents de planification familiale et lui et avaient essayé de les empêcher de l'emmener, et que sa soeur cadette aurait alors crié : [TRADUCTION] « Cours, mon frère, cours. » Ce compte rendu des événements ne figure pas dans le FRP du demandeur et il ne figure pas non plus dans les notes prises au point d'entrée (le PE). Le demandeur a été interrogé au sujet de cette omission, mais il n'a pas donné de réponse adéquate :

[TRADUCTION]

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Merci, Messieurs. J'ai une question à poser au sujet de l'intervention de vos voisins. Y a-t-il une raison pour laquelle vous n'avez pas mentionné la chose dans votre formulaire de renseignements personnels?

L'INTÉRESSÉ : Oui, je n'en ai pas parlé, je ne l'ai pas écrit, je ne l'ai pas raconté dans mon FRP.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Pourquoi? Y a-t-il une réponse?

L'INTÉRESSÉ : Mon histoire est brève et je n'ai pas fait consigner la question de l'intervention de mes voisins.

(Transcription de l'audience du demandeur en date du 13 avril 2004, page 474)

[8]         En outre, le témoignage oral révèle qu'il y a, dans la preuve écrite, deux autres omissions importantes et qu'il n'existe à cet égard aucune justification :

[TRADUCTION]

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Qu'est-il arrivé d'autre à votre mère à ce moment-là?

L'INTÉRESSÉ : Ma mère a été arrêtée et a été emmenée par les agents de planification familiale.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Et cela s'est passé avant votre arrivée au Canada? Est-ce exact?


L'INTÉRESSÉ : Oui.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Pourquoi donc n'est-ce pas consigné dans votre formulaire de renseignements personnels et dans la déclaration que vous avez faite au point d'entrée?

L'INTÉRESSÉ : Parce que j'ai (inaudible) pour mon éducation. Je ne sais pas comment m'exprimer clairement.

[...]

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Qu'est-il arrivé à votre père à la suite de tous ces événements?

L'INTÉRESSÉ : Mon père a été arrêté par des représentants du bureau de la planification familiale et il a été envoyé à (inaudible) pour être éduqué par l'entremise d'un camp de travail.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Pourquoi cela n'est-il pas mentionné dans votre formulaire de renseignements personnels?

L'INTÉRESSÉ : Je croyais avoir mentionné mon père et ma mère.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Vous avez mentionné votre père et votre mère.

L'INTÉRESSÉ : Oui. Mon père et ma mère.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Ouais, eh bien, qu'avez-vous dit à leur sujet?

L'INTÉRESSÉ : Que mon père et ma mère ont été arrêtés.

LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : D'accord [...]

(Transcription de l'audience du demandeur en date du 13 avril 2004, pages 464 et 470)

[9]         Le demandeur affirme avoir mentionné l'arrestation de son père et de sa mère, mais dans son FRP, il n'y a absolument rien qui indique que ses parents aient été arrêtés. Comme le demandeur prétend craindre d'être arrêté et emprisonné par le BSP, il était tout à fait raisonnable pour la Commission de faire une inférence défavorable à partir du fait que le demandeur avait négligé de mentionner que son père et sa mère avaient tous deux été arrêtés par ce même groupe.

Il ne peut faire de doute que les demandeurs du statut de réfugié doivent relater tous les faits importants à l'appui de leur revendication. La question 37(a) du FRP stipule ce qui suit:

Relatez dans l'ordre chronologique tous les incidents importants qui vous ont amené (e) à chercher protection à l'extérieur de votre pays de nationalité ou de résidence habituelle antérieure. Veuillez aussi faire mention des mesures prises contre vous, des membres de votre famille ou d'autres personnes se trouvant dans une situation analogue.


Ainsi, il me paraît tout à fait raisonnable que la Section du Statut ait regardé d'un mauvais oeil le fait que le demandeur ait omis plusieurs faits importants. [Voir également Grinevich c. M.C.I., [1997] A.C.F. no 444 et Kutuk c. M.C.I., [1995] A.C.F. no 1754.] Dans Basseghi c. M.C.I., [1994] A.C.F. no 1867, le juge Teitelbaum s'exprimait comme suit :

Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.

(Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 536, paragraphes 8 et 9)

[10]       En outre, en ce qui concerne l'argument du demandeur se rapportant à la conclusion de la Commission selon laquelle il n'était pas raisonnable que les voisins n'aient pas été arrêtés par suite de leur intervention, je conclus qu'eu égard à la preuve dont elle disposait ainsi que la vraisemblance générale du témoignage du demandeur, la Commission avait bel et bien compétence pour faire les inférences auxquelles elle est arrivée. Comme il a été dit dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4:

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri d'un contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

                                                                                               [Non souligné dans l'original.]


[11]       Dans la mesure où les inférences que la Commission a faites ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour, les conclusions tirées par la Commission ne sont pas susceptibles de révision. En l'espèce, la Commission a énoncé ses conclusions et les a étayées en disant que l'article 43 du Règlement sur la planification familiale de Fujian permet au BSP de mettre au pas toute personne qui entrave son travail. Elle a également conclu qu'en aidant le demandeur à fuir, on a empêché le BSP de s'acquitter de sa tâche et qu'il était donc raisonnable de supposer que les voisins auraient tout au moins été réprimandés pour leurs actions. Toutefois, lorsqu'on lui a posé la question pendant l'audience, le demandeur a répondu qu'il n'était rien arrivé à ses voisins.

[12]       De plus, l'argument du demandeur selon lequel la Commission aurait dû le consulter avant de faire des inférences défavorables au sujet des omissions décelées dans son FRP et dans la déclaration qu'il avait faite au PE est selon moi dénué de fondement. Comme je l'ai ci-dessus fait remarquer, la Commission a de fait donné au demandeur la possibilité d'expliquer les omissions, même si, comme il a été dit au paragraphe 26 de la décision Guci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1033, [2004] A.C.F. no 1256, elle n'était pas tenue de mettre le demandeur en présence de ces incohérences évidentes :

Par ailleurs, j'écarte l'observation des demandeurs selon laquelle il incombait à la Commission de leur faire savoir qu'elle entretenait des doutes quant à leur crédibilité. La Commission n'est aucunement tenue à l'audience de mettre devant les yeux des demandeurs qui sont représentés par un avocat les incohérences et les contradictions évidentes de leurs récits; voir Ayodele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1833 (1re inst.) (Q.L.), distinction faite d'avec Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.).


2.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant un critère inapproprié à l'analyse fondée sur l'article 97?

[13]       Contrairement aux allégations du demandeur, je conclus également que la Commission a de fait appliqué les dispositions législatives chinoises concernant les sorties illégales à la demande fondée sur l'article 96 et non à la demande fondée sur l'article 97. En fait, le demandeur ne soumet aucun élément de preuve à l'appui de cette allégation; de plus, il appert, à la lecture des trois derniers paragraphes de la décision de la Commission, que chaque demande a été examinée séparément, mais que ni l'une ni l'autre n'a été accueillie :

Pour les raisons invoquées ci-dessus, le tribunal conclut que le demandeur d'asile n'a pas démontré le bien-fondé de sa crainte d'être persécuté du fait de ses opinions politiques ou de tout autre motif énoncé dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

Le tribunal estime de plus qu'il n'existe pas de preuve crédible lui permettant de conclure que le demandeur d'asile est exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque d'être soumis à la torture s'il retourne en Chine.

Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés détermine que Xiao Long Lin, le demandeur d'asile, n'a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle d'une personne à protéger.

(Décision de la Commission en date du 15 juin 2004, pages 6 et 7)

[14]       Enfin, le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte de la preuve dont elle disposait en évaluant la demande fondée sur l'article 97. Cet argument est non seulement dénué de fondement, mais il est aussi réfuté par la simple lecture de la décision, dans laquelle la Commission dit ce qui suit :


Le demandeur d'asile déclare qu'il sera accusé d'avoir quitté la Chine illégalement, s'il y retourne. Le tribunal estime toutefois qu'il n'existe aucune preuve convaincante selon laquelle le demandeur d'asile risque d'être persécuté à son retour, selon la prépondérance des probabilités. La preuve documentaire portant sur le traitement réservé aux immigrants illégaux à leur retour en Chine mentionne une vaste gamme de sanctions juridiques (Pièce R-1, Réponse aux Demandes d'information CHN34770.E et CHN32869EX, 9 août 2000.) Les sanctions vont des simples reproches à des avis d'amendes, voire à des peines de prison de durées variées. Les détenus sont parfois battus ou victimes de mauvais traitements. De plus, il ressort de la preuve documentaire (ibidem) que les sanctions les plus lourdes sont habituellement réservées aux récidivistes et aux organisateurs d'activités liées à l'immigration clandestine. Un chercheur souligne toutefois qu'en pratique, les personnes qui reviennent au pays, comme le demandeur d'asile, sont rarement emprisonnées, tandis qu'une autre source déclare que la plupart des gens réussissent à payer les amendes imposées, lesquelles sont négociables.

(Décision de la Commission en date du 15 juin 2004, pages 5 et 6)

[15]       Compte tenu de l'analyse qui précède, je conclus donc que la Commission n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable en rejetant la demande pour le motif que le demandeur n'était pas crédible, et qu'elle n'a pas non plus commis d'erreur dans son application de la loi en ce qui concerne les articles 96 et 97.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

                            Pierre Blais                                                                                                                                      Juge

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                            

David Aubry, LL.B.                 


                                                                                                       

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               IMM-6374-04

INTITULÉ :                                                                XIAO LONG LIN

c.                                 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 27 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS                                                

ET DE L'ORDONNANCE :                                      LE 27 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Shelley Levine                                                               POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shelley Levine                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocats                                                                        

Toronto (Ontario)                                                         

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                         

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