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Date : 20040924

Dossier : IMM-7015-03

Référence : 2004 CF 1310

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

ENTRE :

FIKRET UYSAL

demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 14 août 2003, dans laquelle elle a décidé qu'il y avait eu désistement de la demande d'asile du demandeur et que celle-ci ne serait pas rouverte.


[2]                Le demandeur est un homme de 36 ans, citoyen de la Turquie. Le 9 avril 2003, le demandeur a déclaré à Citoyenneté et Immigration Canada qu'il avait l'intention de formuler une demande d'asile et il a été décidé que sa demande pouvait se poursuivre. La demande d'asile du demandeur a été renvoyée à la Commission le 9 avril 2003.

[3]                Voici la suite des événements pertinents :

·            le 9 avril 2003, un formulaire de renseignements personnels (FRP) en blanc a été fourni au demandeur;

·            le 18 avril 2003, le demandeur a fourni à la Commission un avis de représentation par un conseil et un avis de coordonnées;

·            le 22 avril 2003, le conseil du demandeur a fait une demande afin d'obtenir les notes du PDE;

·            le 7 mai 2003, le délai de production du FRP rempli avait expiré;

·            le 28 mai 2003, le demandeur a déposé auprès de la Commission un FRP rempli;

·            le 12 juin 2003, la Commission a tenu une audience relative au désistement;

·            le 12 juin 2003, le demandeur a comparu avec une lettre de son conseil expliquant le dépôt tardif du FRP ainsi que son absence à l'audience. La Commission n'a pas ajourné, a poursuivi l'audience et a déclaré qu'il y avait désistement de la demande;

·            le 4 juillet 2003, le conseil du demandeur a déposé une demande pour rouvrir la demande d'asile;

·            le 14 août 2003, la Commission a rejeté la demande en réouverture.

[13]            La lettre du conseil du demandeur, qui a été fournie à la Commission le 12 juin 2003, donnait les raisons suivantes relativement au retard à soumettre son FRP et à l'incapacité du conseil à comparaître :


[traduction]

Je vous écris concernant l'audience relative au désistement de M. Uysal. Le 12 juin, j'ai déjà un engagement pour une audience d'une journée complète aux bureaux de la Commission et, par conséquent, je regrette de ne pas pouvoir être disponible pour comparaître lors de l'audience susmentionnée.

Je demande à la Commission de permettre que la demande d'asile du demandeur se poursuive et de ne pas déclarer qu'il y a désistement, pour les motifs suivants :

*               Le demandeur s'excuse pour le dépôt tardif de son FRP. Il vit à Hamilton alors que son interprète vit à Toronto, cela créant des problèmes de logistique lors de la fixation des heures de rendez-vous. Il a eu besoin d'un interprète pour tous les rendez-vous. Il a dû voyager trois fois à Toronto pour préparer son FRP. Une fois, il s'est trompé d'endroit et il a manqué son rendez-vous avec moi.

*               À cause d'un virus, j'ai été malade durant la semaine du 15 au 22 mai. J'ai dû annuler une audience de même que mes rendez-vous pour deux jours. Par conséquent, je n'ai pas pu rencontrer le demandeur pour préparer son FRP.

*               J'ai dû rattraper tous les rendez-vous que j'avais manqués en raison de ma maladie; cela a également retardé la rédaction définitive du FRP.

*               Je soutiens que le demandeur ne devrait pas être pénalisé du fait de ma maladie et de mon incapacité à le rencontrer.

*               Le demandeur a demandé et obtenu l'aide juridique, ce qui constitue une autre indication de ses efforts pour poursuivre sa demande d'asile.

Je soutiens que le demandeur a démontré son intention de poursuivre sa demande d'asile et de ne pas s'en désister.

Je vous remercie d'avance pour votre collaboration.

[14]            La Commission n'a pas ajourné l'affaire (puisque la lettre ne demandait pas d'ajournement) mais, après avoir entendu le demandeur, a déclaré qu'il y avait désistement de la demande. Le président a déclaré verbalement ce qui suit :


[traduction]

Selon l'ensemble des éléments de preuve que vous m'avez présentés jusqu'ici, monsieur, il y a beaucoup de problèmes de vraisemblance dans votre témoignage. J'ai attiré votre attention sur ces cas et je vous ai donné la possibilité d'y répondre. J'estime que vos explications ne sont pas raisonnables ni convaincantes.

Votre témoignage indique essentiellement que vos études ont la priorité sur la poursuite de votre demande.

En me basant sur les éléments de preuve dont je dispose et sur la lettre qui a été fournie par votre conseil qui explique que vous avez eu des problèmes à trouver l'endroit, qu'elle a été malade, qu'elle a pris du retard dans sa pratique et que vous avez demandé l'aide juridique, j'estime maintenant que vous avez demandé l'aide juridique après l'expiration du délai du FRP, qui était le 7 mai.

Je conclus que vous n'avez pas démontré que vous poursuiviez votre demande de façon sérieuse et diligente. Je vais déclarer qu'il y a désistement de celle-ci. Le retard de 21 jours est excessif. O.K. Votre conseil vous informera des options qui s'offrent à vous en ce qui a trait à la présentation d'une demande en réouverture.

[15]            La Commission a également prononcé des motifs officiels ex post facto le 16 octobre 2003. Toutefois, comme ils ont été produits postérieurement à la demande de contrôle judiciaire, je traiterai l'extrait susmentionné de la transcription comme étant les motifs de la décision de déclarer qu'il y avait désistement de la demande.

[16]            La demande en réouverture a été rejetée sans motif. Toutefois, la note écrite sur le dossier se lit comme suit :

[traduction]


On a donné au demandeur la possibilité de faire valoir des motifs lors de l'audience du 12 juin 2003 relative au désistement. Le président de l'audience a conclu que ses explications pour le retard de 21 jours pour déposer son FRP n'étaient pas raisonnables ni convaincantes. Le commissaire a tenu compte du témoignage du demandeur et de la lettre du conseil que le demandeur avait apportée à l'audience. Dans la lettre, le conseil a mentionné qu'elle n'était pas disponible pour comparaître à l'audience relative au désistement du demandeur. Aucune demande n'a été faite de modifier le jour et l'heure de l'audience. Même si le conseil se trouvait dans les locaux de la CISR à ce moment-là, le fait de s'attendre à ce que la Commission aille chercher le conseil pour une audience pour laquelle elle a affirmé ne pas être disponible n'est pas raisonnable. J'estime que le fait de déclarer qu'il y a eu désistement de la demande du demandeur ne viole pas les principes de justice naturelle.

[17]            Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision de ne pas rouvrir, le demandeur fait valoir qu'il a été victime d'un déni de justice naturelle. Il soumet essentiellement deux arguments :

a.          on l'a privé d'un conseil lors de l'audience relative au désistement;

b.          on ne lui a jamais donné la chance d'expliquer la raison du dépôt tardif de son FRP.

[18]            Étant donné que son conseil n'a jamais demandé d'ajournement, j'estime qu'il est difficile de convenir que le demandeur a été privé d'un conseil. Il n'avait malheureusement pas un conseil très compétent mais cela ne constitue pas un déni de justice naturelle.

[19]            Le deuxième argument est toutefois plus valable. Bien que la Commission lui ait demandé pourquoi il n'avait pas présenté son FRP dans le délai de 28 jours, il n'a pas vraiment eu la possibilité de donner son explication. En fait, lorsque le demandeur a tenté de fournir une explication, la Commission a interrompu sa réponse en lui posant cette question : [traduction] « Quelle est votre profession? »


[20]            Le reste de l'audience est mieux décrit comme étant un « contre-interrogatoire rigoureux » de la part de la Commission. Il est arrivé à plusieurs reprise que le demandeur ne comprenne pas une question et qu'il demande à la Commission de la lui expliquer. Celle-ci n'a pas fourni d'explication à ses questions, préférant plutôt poser une question différente en réponse.

[21]            Les Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles de la Commission)[1] énoncent la procédure à suivre lors des audiences relatives au désistement. Plus particulièrement :

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

Possibilité de s'expliquer

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

Éléments à considérer

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.


Poursuite de l'affaire

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l'affaire sans délai.

[Non souligné dans l'original.]

[22]            Il est évident que le 12 juin 2003, la Commission n'a pas suivi ses propres règles au cours de l'audience relative au désistement. Il ressort très clairement de la lecture de la transcription que les actions de la Commission lors de l'audience équivalent à refuser au demandeur la possibilité de présenter son point de vue. Le fait de refuser à une partie la possibilité de présenter son point de vue représente une violation des principes fondamentaux de justice naturelle, laquelle constitue une erreur donnant lieu à réformation. Un agent observateur, étudiant la transcription au moment d'examiner la demande en réouverture, ne pouvait pas ne pas comprendre à quel point le « contre-interrogatoire rigoureux » fait par la Commission avait déséquilibré le demandeur et l'avait empêché de présenter son point de vue. Par conséquent, la demande sera accueillie.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision de ne pas rouvrir, datée du 14 avril 2003, soit annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen à la lumière des motifs mentionnés précédemment.

« K. von Finckenstein »

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-7015-03

INTITULÉ :                                           FIKRET UYSAL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Russ Makepeace                                     POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Russ Makepeace                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

         Date : 20040924

     Dossier : IMM-7015-03

ENTRE :

FIKRET UYSAL

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                       



[1]Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228.


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