Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20051004

Dossier : IMM-1269-05

Référence : 2005 CF 1357

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

SHIN KI KIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), porte sur une décision d'un gestionnaire de l'immigration, datée du 21 janvier 2005. Cette décision rejetait la demande de Shin Ki Kim (le demandeur), qui cherchait à obtenir un certificat de résident temporaire pour des motifs d'ordre humanitaire.

LES FAITS

[2]                Le demandeur est citoyen de la Corée du Sud. Il est venu au Canada en 1991 avec son épouse et ses deux enfants. L'un de ses enfants souffre d'un retard de développement. Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés, mais cette demande a été rejetée puisqu'il a été jugé non admissible au vu de l'invalidité de son fils.

[3]                Le demandeur a alors présenté une demande CH, suite à quoi il s'est présenté à une entrevue avec une agente d'immigration (l'agente) le 22 avril 2004. À cette entrevue, le demandeur n'a pas présenté grand-chose à l'appui de sa demande. L'agente a donc pris l'initiative de se renseigner auprès de tierces personnes au sujet des services disponibles pour l'enfant handicapé du demandeur. Après avoir obtenu les renseignements, l'agente a recommandé à son gestionnaire de rejeter la demande. Le gestionnaire soutient qu'il n'a pas tenu compte des renseignements obtenus de tierces parties, déclarant que, au vu de la preuve qui lui était présentée, il n'y avait pas suffisamment de facteurs d'ordre humanitaire pour accueillir la demande.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]                1. Le gestionnaire a-t-il commis une erreur en tenant compte des renseignements obtenus de tiers, hors de la connaissance du demandeur?

2. Le gestionnaire a-t-il tenu compte de façon appropriée de l'intérêt supérieur des deux enfants du demandeur?

3. L'agente a-t-elle fait défaut de respecter l'équité procédurale due au demandeur de quelque façon que ce soit au cours de l'entrevue?

ANALYSE

[5]                Il semble en l'espèce que les arguments du demandeur constituent une tentative pour étayer le maigre dossier présenté à l'agente le 22 avril 2004 à l'appui de sa demande CH. Le contrôle judiciaire n'est pas le forum approprié pour introduire un supplément d'information à l'appui d'une demande rejetée :

Il est bien établi en droit que le contrôle judiciaire d'une décision que rend un office, une commission ou un autre tribunal d'instance fédérale doit être fondé sur les éléments de preuve dont le décisionnaire était saisi.

(Lemiecha (Tuteur d'instance de) c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992) 72 F.T.R. 49, au paragraphe 4)

[6]                En mettant de côté la nouvelle preuve présentée par le demandeur, je vais néanmoins examiner les autres arguments pour évaluer si l'agente a commis une erreur en rejetant la demande CH.

1.       Le gestionnaire a-t-il commis une erreur en tenant compte de renseignements obtenus de tiers, hors de la connaissance du demandeur?

[7]                Le demandeur prétend que le gestionnaire a commis une erreur en s'appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques non portés à son attention. Le défendeur soutient que même si l'agente a fait une recherche pour obtenir ces renseignements, ceux-ci n'ont pas été pris en compte dans la décision finale.

[8]                Toutes les parties ont le droit fondamental d'obtenir communication de la preuve sur laquelle on s'appuie, ce qui leur donne l'occasion de réagir et de présenter leur propre preuve à l'effet contraire :

Par conséquent, il y a atteinte aux principes de justice naturelle lorsque l'agent fonde sa décision sur la preuve extrinsèque non portée à l'attention du requérant.

(Haouari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 925, au paragraphe 10)

[9]                En l'espèce, l'agente a obtenu des renseignements de tiers et elle a conclu comme suit :

[traduction]

Il [le demandeur] ne pouvait discuter des choix disponibles quant aux soins et quant au soutien à son fils dans son pays d'origine. J'ai par la suite obtenu des renseignements de notre bureau de Séoul. Au vu des renseignements qui m'ont été fournis, il ressort que l'enfant recevrait à peu près les mêmes traitements que ceux qui sont disponibles au Canada.

(Voir le dossier du tribunal, p. 6 - notes au STIDI de l'agente d'immigration Moira Escott.)

[10]            L'agente arrive en suite à la conclusion qu'elle n'était pas convaincue qu'il existait des motifs d'ordre humanitaire suffisants pour justifier qu'elle accueille la demande. Toutefois, sa conclusion n'était qu'une recommandation puisque l'affaire a ensuite été examinée au vu de la preuve par le gestionnaire.

[11]            Même si le gestionnaire prétend ne pas avoir tenu compte de la preuve en cause, je conclus qu'il y a eu manquement à l'équité procédurale due au demandeur. L'agente n'a pas obtenu les renseignements par hasard, elle a fait une recherche organisée et elle a consulté les résultats. Ayant procédé à cette consultation, elle a formulé sa recommandation sur ce fondement. Même si elle n'avait pas le pouvoir ultime de décision, étant donné qu'elle a consulté ces renseignements et les a intégrés dans sa recommandation, le gestionnaire ne pouvait faire autre chose qu'accepter implicitement les conclusions du rapport des tiers.

[12]            Il ne suffit pas que le gestionnaire déclare qu'il n'a jamais consulté l'information obtenue des tiers. Bien que cela serait absurde, le gestionnaire aurait dû également déclarer sous serment qu'il n'avait pas parlé à l'agente de sa recommandation et qu'il n'avait pas lu ses notes au STIDI. Toutefois, son propre affidavit indique qu'il a en fait consulté tous les renseignements figurant au dossier, sauf les documents que l'agente avait obtenus :

[traduction]

L'agente qui a procédé à l'entrevue du demandeur est Mme Moira Escott. Ses initiales dans le système STIDI sont MLE. Les notes au STIDI de Mme Escott au sujet de l'entrevue indiquent que le demandeur a fourni très peu de renseignements à l'appui de sa demande CH. Après l'entrevue, Mme Escott s'est renseignée de sa propre initiative, pour savoir quels étaient les services disponibles en Corée du Sud pour les handicapés. Ces renseignements n'ont pas été transmis au demandeur. Je le sais, parce que Mme Escott m'a indiqué de vive voix que telle était la situation. Je ne me suis pas appuyé sur ces renseignements, par conséquent, en évaluant les considérations d'ordre humanitaire du dossier du demandeur. J'ai toutefois tenu compte de tous les autres éléments qui m'étaient soumis, y compris ceux qui m'ont été transmis par le demandeur et son consultant.

(Voir l'affidavit du gestionnaire, Philip Lupul, daté du 16 mai 2005, à la p. 3)

[13]            Dans l'affaire Ardiles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2003) 227 F.T.R. 187, on trouve ceci :

Il s'agit là manifestement d'un cas limite. Même si l'agente d'immigration a dit qu'elle ne considérait pas l'information comme « extrinsèque » , en ajoutant que, en tout état de cause, elle ne s'en est pas servie, la non-divulgation de cette information pertinente donne l'impression qu'il y a eu injustice et manquement. Il m'est d'ailleurs impossible de conclure que le manquement aux principes de justice naturelle a été négligeable et n'a pu d'une manière appréciable influer sur la décision finale. [Non souligné dans l'original.]

[14]            À mon avis, la présente espèce est encore moins un cas limite que celui d'Ardiles c. Canada, précité. Je peux comprendre les difficultés auxquelles les agents ou les gestionnaires seraient confrontés s'ils devaient faire état de chaque élément de preuve qu'ils reçoivent sans les demander, même lorsqu'ils ne s'appuient pas sur eux. Toutefois, en l'espèce, la situation dans laquelle l'agente s'est placée est qu'elle a fait une recherche active pour obtenir les renseignements et a fondé sa recommandation sur ce fondement.

[15]            Il n'est donc pas nécessaire que j'examine les deux autres questions, puisque la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.       La demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.       Le dossier soit renvoyé pour nouvel examen par un agent d'immigration différent, au vu des présents motifs;

3.       Aucune question ne soit certifiée, car aucun des avocats n'a présenté de question à certifier.

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

« Pierre Blais »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1269-05

INTITULÉ :                                        SHIN KI KIM

                                                            c.

                                                            MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       LE 4 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Mary Lam                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Ma                                                                                           

Brad Gotkin                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mary Lam                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

                                                                                               

                                                                              John H. Sims, c.r.    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.