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Date : 20201006


Dossier : T­1292­19

Référence : 2020 CF 953

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

FLORENCE BLOIS

demanderesse

et

LA NATION CRIE D’ONION LAKE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle le chef et le conseil de la Nation crie d’Onion Lake (la NCOL) ont dissous un tribunal d’appel. Le tribunal d’appel a été dissous avant d’avoir pu terminer son examen et d’avoir pu trancher un appel portant sur l’élection tenue par la NCOL le 18 juin 2018 [l’élection]. L’appel en cause a été interjeté par la demanderesse en l’espèce, Florence Blois.

Contexte

[2]  En août 2011, les membres de la NCOL ont adopté la convention de la Nation crie d’Onion Lake [la convention] par référendum communautaire. La convention traite de la gouvernance de la NCOL et elle crée l’onikaniwak, soit le chef et le conseil, qui sont élus par les membres de la NCOL. Entre autres choses, la convention habilite le chef et le conseil à constituer les conseils, les commissions et les comités nécessaires au maintien de la paix, de l’ordre et de la bonne gouvernance (art. 4.2) et à adopter des lois, des règlements et des codes (art. 4.3). Les membres de la NCOL ont par la suite adopté la loi électorale d’Onion Lake [la loi électorale], qui est entrée en vigueur le 17 juillet 2017.

[3]  Le 21 novembre 2017, le chef et le conseil ont adopté le règlement sur les appels de la Nation crie d’Onion Lake [le règlement sur les appels] conformément à l’article 18.9 de la loi électorale. Conformément à la loi électorale, un tribunal d’appel doit être constitué au même moment où le président d’élection, le président du scrutin et les fonctionnaires électoraux sont nommés (art. 18.1). Le tribunal d’appel est constitué par le président d’élection et l’administrateur de la bande, et la décision est confirmée par une motion du chef et du conseil (règlement sur les appels, art. 5). Le 27 avril 2018, un tribunal d’appel [le tribunal d’appel] a été constitué en vue de l’élection à venir.

[4]  La demanderesse était conseillère, mais elle n’a pas été réélue à l’élection. Après l’élection, la demanderesse a envoyé au président d’élection un courriel dans lequel elle demandait un second dépouillement des votes. Le président d’élection lui a répondu le 26 juin 2018 que la loi électorale ne contenait aucune disposition relative au second dépouillement. Le président d’élection a toutefois informé la demanderesse qu’elle pouvait interjeter appel du dépouillement du scrutin pour les postes de conseillers. La demanderesse devrait alors présenter son appel au président du tribunal d’appel. Le ou vers le 28 juin 2018, la demanderesse a transmis au tribunal d’appel un courriel dans lequel elle formulait diverses allégations.

[5]  Le 28 juin 2018, le tribunal d’appel a écrit à la demanderesse et à un autre appelant pour leur demander le nom des personnes dont l’élection faisait l’objet d’un appel ainsi que des documents justificatifs. Le tribunal d’appel a également demandé à la demanderesse d’être plus précise dans ses allégations. Le tribunal d’appel a demandé que les frais d’appel de 500 $ soient payés, comme l’exige l’art. 8.1d) de la loi électorale, et que la demanderesse présente une lettre d’appel à jour au plus tard le 6 juillet 2018 à minuit. Le 5 juillet 2018, la demanderesse a présenté une lettre d’appel et elle a énoncé six motifs d’appel. Le 6 juillet 2018 ou après cette date, les frais d’appel ont été payés au tribunal d’appel.

[6]  Le tribunal d’appel a siégé le 9 juillet 2018, et il a décidé d’accueillir l’appel de la demanderesse. Selon les notes d’une séance tenue le 18 août 2018, le tribunal d’appel était d’avis que la demanderesse devait fournir des preuves de ses allégations, y compris une déclaration écrite sous serment. Le même jour, le tribunal d’appel a envoyé une lettre à la demanderesse pour l’informer que son appel était accepté et pour l’aviser que le tribunal communiquerait avec elle lorsqu’il aurait terminé son enquête.

[7]  Le 22 septembre 2018, le tribunal d’appel a siégé pour entendre l’appel. Selon les notes de la séance, la demanderesse souhaitait appeler un avocat, et l’audience a été ajournée.

[8]  En octobre 2018, le déroulement de l’appel semblait soulever des préoccupations. Le 1er octobre 2018, les membres du tribunal d’appel ont rencontré le conseil des aînés à l’occasion d’une réunion de ce dernier, et l’appel a été discuté. Le 10 octobre 2018, le conseil des aînés a rencontré le président d’élection pour discuter de diverses questions relatives au règlement sur les appels. Les préoccupations relatives à l’appel de la demanderesse ont également été discutées, y compris le fait que l’appel a été reçu le 5 juillet 2018 sous forme de lettre plutôt que d’affidavit, et qu’il soulevait d’autres en question en plus de demander la tenue d’un second dépouillement. Selon le procès­verbal de la réunion, comme le tribunal d’appel ne pouvait pas prendre de décision en se fondant sur le contenu de la lettre de la demanderesse, le tribunal a décidé de tenir une audience.

[9]  Le 23 octobre 2018, le conseiller juridique de Delores Chief, l’une des conseillères dont l’élection était contestée par la demanderesse, a présenté des observations au tribunal d’appel sur une question préliminaire, à savoir si l’appel de la demanderesse avait été déposé correctement. Dans ses observations, le conseiller juridique a souligné que l’appel avait été déposé tardivement et qu’il n’était pas accompagné d’un affidavit, contrairement aux exigences du règlement sur les appels. Le 31 octobre 2018, le tribunal d’appel a rejeté la demande préliminaire. Le 3 novembre 2018, le tribunal d’appel a siégé pour entendre l’appel. Bien que des observations aient été reçues sur un certain nombre de questions relatives au processus d’appel et à la loi électorale, le tribunal d’appel n’a pas terminé l’audition de l’appel.

[10]  Le 14 décembre 2018, la demanderesse a souscrit un affidavit dans lequel elle faisait valoir les motifs d’appel suivants :

  • a) Que Darryl Whitstone et Delores Chief soient déclarés inaptes à être candidats;

  • b) Que Darryl Whitstone a enfreint la loi électorale et le règlement sur les appels en raison de sa conduite durant l’élection, laquelle a eu une incidence sur les résultats de l’élection;

  • c) Que des manœuvres frauduleuses ont été commises à l’occasion de l’élection en ce qui a trait au vote par procuration, aux boîtes de scrutin non sécurisées et au processus de mise en candidature.

[11]  Le 15 décembre 2018, le tribunal d’appel a siégé de nouveau. Selon les notes de cette séance, il semble que la demanderesse a présenté un témoignage, des pièces justificatives et une liste de témoins, et qu’il y a eu un contre­interrogatoire. L’audience n’a toutefois pas été enregistrée. Les notes de la séance n’indiquent pas si l’audience était terminée.

[12]  Le 14 janvier 2019, le processus d’appel a fait l’objet d’une discussion lors d’une réunion du chef et du conseil. Selon le procès­verbal de la réunion, les trois conseillers qui étaient visés par l’appel de la demanderesse se sont retirés de la réunion pendant la discussion.

[13]  Le 24 janvier 2019, le chef Henry Lewis de la NCOL a écrit au tribunal d’appel pour dissoudre ce dernier et, par conséquent, mettre fin à l’appel de la demanderesse qui était en cours.

[14]  Dans un courriel daté du 1er février 2019, l’avocat du tribunal d’appel a informé les diverses parties que la dernière journée d’audition de l’appel, prévue pour le jour suivant, était annulée et qu’une nouvelle date serait fixée une fois que le tribunal d’appel aurait déterminé la suite des choses.

La décision faisant l’objet du contrôle

[15]  La décision faisant l’objet du contrôle est la lettre du 24 janvier 2019 que le chef Henry Lewis a envoyée au tribunal d’appel pour mettre fin au mandat de ce dernier et à l’appel de la demanderesse. Voici le texte de la lettre :

[traduction]

Nous avons consulté le conseil des aînés et avons confirmé qu’il nous incombe d’adopter les lois locales et d’en surveiller l’application, jusqu’à ce que la commission judiciaire soit mise en place en vertu de la convention de la NCOL.

Selon la loi électorale, l’appelante doit présenter sa plainte dans un certain délai après l’élection, et elle devait également présenter un affidavit sous serment exposant ses préoccupations. Nous croyons comprendre que l’appelante a présenté sa lettre le 5 juillet 2018 et qu’elle n’a pas fourni les renseignements dans un affidavit sous serment.

Les deux aspects de la loi n’ont pas été respectés. De plus, nous croyons comprendre que le tribunal d’appel a commencé une audience au cours de laquelle il y a eu un second dépouillement des votes. Ce second dépouillement a permis de confirmer les résultats et de confirmer l’élection de tous les membres du conseil.

Le chef et le conseil sont d’avis que nous ne devons pas manquer de respect à l’égard de nos lois et discréditer ces dernières en suivant des processus différents. Le conseil des aînés est également de cet avis.

Votre rôle est donc terminé à compter de maintenant.

Le cadre législatif

[16]  Les dispositions les plus pertinentes de la convention, de la loi électorale et du règlement sur les appels sont présentées ci­après.

Convention de la Nation crie d’Onion Lake

[traduction]

2.  Interprétation

2.1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi :

b) « gouvernement » ou « onikaniwak » L’okimaw et le nikaniwak de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan.

d) « nehiyawiyasiwewin mamawinitowin » La présente convention de la Nation crie de Wicelaskosiw Sakahikan.

e) « okimaw » Le dirigeant élu de la Nation crie de Wicelaskosiw Sakahikan.

f) « onikaniw » Personne élue à titre d’onikaniw de la Nation crie du Wicekaskosiw Sakahikan.

g) « onikaniwak » L’organe directeur de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan, composé de l’okimaw et de huit onikaniwak, également appelés « les dirigeants ».

3.  Objet et principes

3.1  Les droits et les devoirs fondamentaux de l’onikaniwak de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan sont guidés par la présente neheyawiyasiwewin mamawinitowin.

[...]

4.  Organes

4.1  Sont créés les principaux organes suivants de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan :

a) le gouvernement, l’onikaniwak, qui est composé de l’okimaw et de huit onikaniwak subordonnés, qui sont choisis et élus par les citoyens de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan;

b) un conseil des aînés, qui assure un leadership spirituel;

c) une commission judiciaire.

4.2  Sont également constitués les autres conseils, commissions et comités que l’onikaniwak juge nécessaires au maintien de la paix, de l’ordre et de la bonne gouvernance de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan. Les modalités des pouvoirs de ces conseils, commissions et comités seront définies par l’onikaniwak.

4.3  L’onikaniwak a le pouvoir d’adopter des lois, des ordonnances, des règlements et des codes. L’onikaniwak exerce les prérogatives suivantes :

[…]

a) créer et superviser des organismes chargés de mettre en œuvre ses pouvoirs;

b) créer des conseils, des comités et des commissions chargés de surveiller les politiques et les activités de tout organisme relevant de l’onikaniwak de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan. Les pouvoirs et les fonctions des conseils, des comités et des commissions doivent être clairement énoncés dans les textes législatifs ayant créé l’organisme;

g) formuler des recommandations sur toute question, et exécuter, appliquer ou mettre en œuvre des décisions et des politiques dans le champ d’application de la neheyawiyasiwewin mamawinitowin [convention].

Loi électorale d’Onion Lake

12.  Calendrier électoral

12.1  Au moins soixante jours avant la date de l’élection, l’okimaw et l’onikaniwak doivent, par résolution de l’onikaniwak :

a) nommer le président d’élection, le président du scrutin et les fonctionnaires électoraux, y compris constituer le comité d’appel;

[…]

e) nommer les membres du tribunal d’appel.

18.  Tribunal d’appel

18.1  Le tribunal d’appel est constitué au même moment où le président d’élection, le président du scrutin et les fonctionnaires électoraux sont nommés.

18.2  Le tribunal d’appel est composé de deux aînés, de deux citoyens adultes de Wicekaskosiw Sakahikanihk et d’un avocat autochtone. De plus, un représentant des jeunes agit à titre d’observateur.

18.3  Le tribunal d’appel se réunit dans les quatorze jours suivant la date de l’avis d’appel.

18.4  Le tribunal d’appel a le pouvoir d’obliger des personnes, y compris le président d’élection, le président du scrutin et les fonctionnaires électoraux, à comparaître devant lui pour qu’elles témoignent et présentent des éléments de preuve. De plus, le tribunal d’appel peut examiner tous les documents liés au processus électoral.

18.5  Le tribunal d’appel peut décider, selon le cas :

a) de confirmer l’élection;

b) d’annuler l’élection du candidat ou des candidats qui font l’objet de l’appel et ordonner que l’autre candidat ou les autres candidats ayant obtenu le plus de votes soient les candidats élus;

c) d’ordonner la tenue d’une élection partielle pour le poste en cause.

18.6  Tout citoyen qui comparaît devant le tribunal d’appel accompagné d’un conseiller juridique doit assumer les honoraires du conseiller, et ce dernier doit respecter les dispositions de la présente loi.

18.7  Si le candidat n’est pas satisfait de la décision du tribunal d’appel et est en désaccord avec celle‑ci, il peut demander un appel de dernier recours et la tenue d’une audience d’appel tenue dans le cadre d’une réunion de citoyens. 18.8  Si la décision du tribunal d’appel ne peut pas faire l’objet d’un consensus, une élection partielle est alors tenue pour le poste en question.

18.9  L’onikaniwak peut prendre des règlements concernant les politiques et les procédures relatives au processus d’appel, mais ces règlements ne s’appliquent pas aux cas alors en appel pour toute élection tenue dans les quatre­vingt­dix jours précédant la date de la promulgation des règlements.

Règlement sur les appels de la Nation crie d’Onion Lake

4.  Définitions

Les termes et les expressions qui suivent ont le sens qui leur est donné ci­après :

c) « tribunal d’appel » Les personnes nommées par le chef et le conseil pour former un conseil indépendant qui entendra les appels interjetés en vertu de la loi et du règlement;

5.  Composition du tribunal d’appel

5.5  Le mandat du tribunal d’appel commence le jour de la constitution du tribunal et se termine à la fin de la période d’appel ou lorsque l’appel d’une élection est tranché, selon la dernière éventualité. Les personnes nommées au tribunal d’appel peuvent être nommées à nouveau pour des élections ultérieures.

5.6  Le tribunal d’appel est chargé d’instruire, d’entendre et de trancher tout appel d’une élection conformément à la loi [loi électorale de la Nation crie d’Onion Lake] et au règlement [règlement sur les appels de la Nation crie d’Onion Lake].

6.  Délai

6.1  Un candidat peut, dans les quatorze (14) jours suivant la date de l’élection, interjeter appel devant le tribunal d’appel.

7.  Motifs d’appel

7.1 Dans l’appel, l’appelant doit décrire suffisamment un ou plusieurs des éléments suivants :

a) la personne déclarée élue était inapte à être candidate;

b) une violation de la loi et du règlement dans le déroulement de l’élection a pu avoir une incidence sur les résultats de l’élection;

c) une manœuvre frauduleuse a été observée relativement à l’élection.

8.  Dépôt de l’appel

8.1  L’appel présenté au tribunal d’appel doit :

a) être déposé par écrit et, dans un affidavit fait sous serment devant un notaire public ou un commissaire à l’assermentation dûment nommé, exposer les faits étayant les motifs de l’appel et être accompagné de documents à l’appui;

b) être signifié en personne ou par courrier recommandé au tribunal d’appel;

c) contenir la signature de la personne qui interjette appel;

d) être accompagné des frais non remboursables de cinq cents dollars (500 $).

9.  Modalités

9.1  Sur réception d’un appel, le tribunal d’appel doit :

a) lorsque l’appel est présenté conformément à la loi et au règlement, transmettre aux défendeurs par courrier recommandé une copie de l’appel ainsi que les documents à l’appui;

b) lorsque l’appel n’est pas présenté conformément à la loi et au règlement, informer le candidat par écrit que l’appel ne fera pas l’objet d’un examen plus poussé.

12.  Décision

12.1  Le tribunal d’appel rend sa décision dans les vingt et un (21) jours suivant l’audience ou dans les vingt et un (21) jours suivant la date limite de réception des observations écrites.

12.2  Toutes les décisions sont définitives et lient toutes les parties, conformément à la Wicekaskosiw Sakahican Wiyaskonitowin Wiyasiwewin [loi électorale].

12.3  Après examen de tous les éléments de preuve reçus, le tribunal d’appel conclut :

a) soit que les éléments de preuve présentés ne permettent pas d’établir l’un des éléments suivants :

i. une violation de la loi ou du règlement s’est produite et a pu avoir une incidence sur les résultats de l’élection;

ii. la personne déclarée élue était inapte à être candidate;

iii. une manœuvre frauduleuse a été observée relativement à l’élection et elle a pu avoir une incidence sur les résultats,

et il rejette l’appel;

a) soit que l’ensemble des éléments de preuve et des renseignements recueillis permettent de tirer raisonnablement l’une des conclusions suivantes :

i. une violation de la loi ou du règlement s’est produite et a pu avoir une incidence sur les résultats de l’élection;

ii. la personne déclarée élue était inapte à être candidate;

iii. une manœuvre frauduleuse a été observée relativement à l’élection et elle a pu avoir une incidence sur les résultats,

et il accueille l’appel et annule l’élection d’un ou de plusieurs membres du conseil.

12.4  La décision du tribunal d’appel rendue en vertu du règlement sur les appels est :

a) publiée dans le journal ou le bulletin de la collectivité;

b) affichée à au moins [sic] endroit bien en vue dans la réserve.

12.5  La décision du comité d’appel est définitive et non susceptible d’appel, conformément à la Wicekaskosiw Sakahican Wiyaskonitowin Wiyasiwewin [loi électorale].

La question en litige et norme de contrôle applicable

[17]  La demanderesse soutient que la NCOL n’avait ni la compétence ni le pouvoir de mettre fin à son appel et que les décisions prises en l’absence de pouvoir sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, car il s’agit de questions d’équité procédurale. La demanderesse invoque la décision Hamelin c Sturgeon Lake Cree Nation, 2017 CF 163 [Hamelin] (conf. par Sturgeon Lake Cree Nation c Hamelin, 2018 CAF 131 [Hamelin CAF]), pour appuyer son point de vue.

[18]  La défenderesse soutient que la question à trancher est la suivante : la décision du chef et du conseil de la NCOL de mettre fin à l’appel de la demanderesse était­elle raisonnable? Elle soutient également que la question n’est pas de savoir si le chef et le conseil avaient le pouvoir de prendre la décision de dissoudre le tribunal d’appel, mais plutôt s’ils ont exercé ce pouvoir de façon raisonnable. La question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[19]  À mon avis, pour les raisons énoncées ci­après, les questions à trancher doivent être formulées en ces termes :

  1. Le chef et le conseil avaient­ils le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel pendant que l’appel de la demanderesse était entendu et jugé?

  2. Dans l’affirmative, le chef et le conseil ont­ils manqué à l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse en prenant une telle décision?

  3. La décision était­elle raisonnable?

[20]  Pour ce qui est de la norme de contrôle, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov, a conclu que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative (Vavilov, aux para 16, 23, 25). Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations. La première situation est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle ou a prévu un mécanisme d’appel, indiquant ainsi son intention que les normes applicables en appel devraient s’appliquer (Vavilov, aux para 17, 33). La deuxième est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour certaines catégories de questions : les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux para 17, 53).

[21]  À mon avis, la question de savoir si le chef et le conseil avaient la compétence ou le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel et, par conséquent, de mettre fin à l’appel de la demanderesse, ne fait pas partie des situations énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov comme exigeant l’application de la norme de la décision correcte. Ainsi, comme la présomption n’a pas été réfutée, la norme de la décision raisonnable s’applique.

[22]  Bien que la demanderesse soutienne qu’il s’agit purement d’une question de compétence, la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Vavilov que les questions de compétence ne constituent plus une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, au para 65). Dans son analyse qui sous­tend cette conclusion, la Cour suprême a souligné que, en théorie, toute contestation d’une décision administrative peut être qualifiée de question qui touche à la compétence, en ce sens qu’elle sème un doute à savoir si le décideur était habilité à agir comme il l’a fait. La norme de la décision raisonnable ne permet toutefois pas aux décideurs administratifs d’interpréter leur loi habilitante à leur gré et ne les autorise donc pas à élargir la portée de leurs pouvoirs au­delà de ce que souhaitait le législateur. « Elle vient plutôt confirmer que le régime législatif applicable servira toujours à circonscrire les actes ainsi que les pouvoirs des décideurs administratifs » (Vavilov, aux para 66, 68).

[23]  La demanderesse soutient également qu’il ne s’agit pas d’une question d’interprétation législative. Cependant, je souligne que, pour prendre la décision contestée, le chef et le conseil devaient se fonder sur un pouvoir les habilitant à prendre les mesures qu’ils ont prises. Si la décision de dissoudre le tribunal d’appel n’est pas fondée sur la convention, la loi électorale ou le règlement sur les appels, ou sur une autre source, elle n’est pas acceptable ou justifiable au regard du droit, et elle est déraisonnable (Orr c Première nation de Fort McKay, 2012 CAF 269, aux para 12, 24; Johnson c Tait, 2015 CAF 247, au para 28 [Johnson]). Par conséquent, afin d’établir si la décision était raisonnable, la Cour est tenue de déterminer, le cas échéant, la source du pouvoir du chef et du conseil de dissoudre le tribunal d’appel. À cet égard, je souligne également que, dans les décisions rendues après l’arrêt Vavilov, la Cour a continué d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable aux décisions des conseils de bande des Premières Nations lorsqu’il était question de leur pouvoir ou de leur compétence de prendre les mesures contestées; voir par exemple Tourangeau c Première Nation de Smith’s Landing, 2020 CF 184 [Tourangeau], aux para 20 et 25. Même si, en l’espèce, le chef et le conseil ont dissous le tribunal d’appel en envoyant une lettre qui n’était pas appuyée par une résolution du conseil de bande, le concept est le même.

[24]  Enfin, je ne suis pas d’accord avec la demanderesse pour dire que, à la lumière de la décision Hamelin, le pouvoir du chef et du conseil est qualifié à juste titre de question d’équité procédurale, qui commande donc l’application de la norme de la décision correcte. Premièrement, la décision Hamelin est antérieure à l’arrêt Vavilov. De plus, dans l’arrêt Hamelin, la Cour d’appel fédérale a souligné qu’elle avait déjà jugé que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à l’interprétation par une Première Nation de son règlement électoral, mais que la juge de la Cour fédérale semblait avoir appliqué la norme de la décision correcte. La Cour d’appel fédérale a finalement conclu qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir si la juge de la Cour fédérale avait choisi la norme de contrôle appropriée, parce qu’il n’existait qu’une seule interprétation raisonnable du règlement électoral en question, celle adoptée par la juge de la Cour fédérale. À mon avis, Hamelin n’est d’aucun secours pour la demanderesse.

[25]  En somme, la première et la troisième question en l’espèce doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, qui exige que la Cour établisse si la décision est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle­ci (Vavilov, au para 99).

[26]  Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43; Canada c Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175, au para 19; Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, au para 19, conf. par 2017 CAF 203; Morin c Nation crie d’Enoch, 2020 CF 696, au para 21; Tourangeau, au para 26). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, aucune déférence n’est due au décideur, et la cour de révision établit s’il y a eu un manquement à l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la partie demanderesse (Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27, au para 31; Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, au para 57).

Question en litige no 1 : Le chef et le conseil avaient­ils le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel pendant que l’appel de la demanderesse était entendu?

La position de la demanderesse

[27]  La demanderesse soutient que le chef et le conseil n’avaient pas le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel et que leur décision de dissoudre le tribunal et de mettre fin à l’appel de la demanderesse était contraire à la procédure d’appel prévue par la loi électorale et le règlement sur les appels.

La position de la défenderesse

[28]  La défenderesse soutient que les faits sont clairs et non contestés, à savoir que la demanderesse n’a pas présenté sa demande d’appel dans les 14 jours ayant suivi la date de l’élection, comme l’exigeait l’article 6.1 du règlement sur les appels. De plus, l’appel présenté par la demanderesse n’était pas appuyé par un affidavit, signifié ou signé de la manière prescrite, et n’était pas accompagné des frais de 500 $, ce qui est contraire aux exigences de l’article 8.1 du règlement sur les appels. Selon l’article 9.1 du règlement sur les appels, lorsque l’appel n’est pas présenté conformément à la loi et au règlement, le tribunal d’appel « doit » informer le candidat que l’appel ne fera pas l’objet d’un examen plus poussé; par conséquent, la défenderesse soutient que le tribunal d’appel n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou d’examiner l’appel de la demanderesse. Sa décision de le faire était donc déraisonnable, ce qui a justifié la décision du chef et du conseil de dissoudre le tribunal d’appel avant qu’il ne rende sa décision définitive.

[29]  La défenderesse soutient que, conformément aux lois autochtones inhérentes, le chef et le conseil ont la responsabilité et le pouvoir de veiller à ce que les lois de la PNOL soient respectées, et elle soutient que ce pouvoir est inscrit dans la convention. Elle soutient également que le pouvoir d’adopter des lois doit nécessairement inclure des pouvoirs permettant d’assurer le respect de ces lois. La défenderesse fait également valoir que la présente affaire est semblable à Perry c Premières Nations de Cold Lake, 2016 CF 1320 [Perry]; conf. par 2018 CAF 73 [Perry CAF], et que le cadre d’analyse suivi par la Cour dans Perry devrait également être suivi en l’espèce. Dans Perry, la Cour a conclu que rien ne reposait sur le fait que la loi électorale ou une autre loi n’habilitait pas expressément le chef et le conseil à rejeter la décision du tribunal d’appel.

[30]  La défenderesse affirme que la décision de dissoudre le tribunal d’appel découlait de l’exercice d’une fonction politique ou législative conforme au pouvoir et à la responsabilité de gouvernance du chef et du conseil de veiller au respect de la loi électorale et du règlement sur les appels de la NCOL. Par conséquent, aucune obligation d’équité procédurale ne s’applique dans le contexte de la décision [Perry, aux para 25­28].

Analyse

[31]  Au moyen de la convention, les membres de la NCOL ont choisi de codifier par écrit les règles régissant la création, l’habilitation et la réglementation de leurs organismes gouvernementaux. La NCOL a constitué une direction gouvernementale, ou exécutive : le chef et le conseil élus, le conseil des aînés, qui assure une orientation spirituelle, et une commission judiciaire, bien que ce troisième organe gouvernemental n’ait pas encore été créé (convention, art. 4.1).

[32]  Le chef et le conseil peuvent constituer les conseils, les commissions et les comités qu’ils jugent nécessaires au maintien de la paix, de l’ordre et de la bonne gouvernance. Le chef et le conseil définissent, dans le mandat, les pouvoirs de ces conseils, commissions et comités (convention, art. 4.2).

[33]  Le chef et le conseil ont également le pouvoir d’adopter des lois, des ordonnances, des règlements et des codes. Le chef et le conseil exercent les prérogatives énumérées, notamment :

  • a) créer et superviser des organismes chargés de mettre en œuvre ses pouvoirs;

  • b) créer des conseils, des comités et des commissions chargés de surveiller les politiques et les activités de tout organisme relevant de l’onikaniwak de la Nation crie de Wicekaskosiw Sakahikan [chef et conseil]. Les pouvoirs et les fonctions des conseils, des comités et des commissions doivent être clairement énoncés dans les textes législatifs ayant créé l’organisme;

  • c) formuler des recommandations sur toute question, et exécuter, appliquer ou mettre en œuvre des décisions et des politiques conformes à la neheyawiyasiwewin mamawinitowin [convention].

[34]  Le chef et le conseil, à titre de gouvernement de la NCOL, sont responsables de la direction générale et de l’administration de la NCOL, y compris de la rédaction des lois, et ils sont collectivement et individuellement responsables et redevables envers les citoyens de la NCOL (convention, art. 6.1).

[35]  Ce qui est important pour le présent contrôle judiciaire, c’est qu’aucune disposition de la convention ne traite de la constitution ou de la dissolution de tribunaux d’appel.

[36]  Selon la loi électorale, au plus tard 60 jours avant la date de l’élection, le chef et le conseil doivent, par résolution, nommer le président d’élection, le président du scrutin et les fonctionnaires électoraux, y compris constituer le comité d’appel (art. 12.2a)) et nommer les membres du Tribunal d’appel (art. 12.1e)). L’article 18 de la loi électorale définit le rôle et les fonctions du tribunal d’appel. Aucune disposition de la loi électorale n’autorise le chef et le conseil à dissoudre un tribunal d’appel constitué lorsqu’il examine un appel, ou à un autre moment.

[37]  Le règlement sur les appels traite notamment de la composition du tribunal d’appel et de la façon dont les membres du tribunal sont choisis. Il précise que, 60 jours avant l’élection, les ressources humaines, en consultation avec le chef et le conseil ainsi qu’avec le conseil des aînés, dressent une liste de huit candidats admissibles. À partir de cette liste, le président d’élection et l’administrateur de la bande nomment cinq personnes qui siégeront au tribunal d’appel, et ces nominations seront confirmées par le chef et le conseil au moyen d’une motion (règlement sur les appels, art. 5.1­5.4).

[38]  Fait important pour les besoins de la présente affaire, le règlement sur les appels précise également le mandat et les responsabilités du tribunal d’appel :

[traduction]

5.5  Le mandat du tribunal d’appel commence le jour de la constitution du tribunal et se termine à la fin de la période d’appel ou lorsque l’appel d’une élection est tranché, selon la dernière éventualité. Les personnes nommées au tribunal d’appel peuvent être nommées à nouveau pour des élections ultérieures.

5.6  Le tribunal d’appel est chargé d’instruire, d’entendre et de trancher tout appel d’une élection conformément à la loi [loi électorale de la Nation crie d’Onion Lake] et au règlement [règlement sur les appels de la Nation crie d’Onion Lake].

[Non souligné dans l’original.]

[39]  Aucune disposition du règlement sur les appels ne traite de la dissolution du tribunal d’appel avant la fin de son mandat. Autrement dit, rien dans le règlement sur les appels n’habilite le chef et le conseil à intervenir dans un appel et à dissoudre le tribunal d’appel avant que ce dernier n’ait rendu une décision dans un appel dont il est saisi. Selon le règlement sur les appels, toutes les décisions du tribunal d’appel sont définitives et lient toutes les parties, conformément à la loi électorale (règlement sur les appels, art. 12.2), et la décision d’appel du tribunal d’appel est définitive et non susceptible d’appel, conformément à la loi électorale (règlement sur les appels, art. 12.5).

[40]  En l’espèce, il n’est pas contesté que, par la lettre du 24 janvier 2019 du chef Lewis, qui représente la décision qui fait actuellement l’objet d’un contrôle, le tribunal d’appel a été dissous avant la fin de l’audience sur l’appel de la demanderesse et avant qu’il n’ait rendu une décision à cet égard. La justification de la décision du 24 janvier 2019, telle qu’elle est énoncée dans la lettre, est que la demanderesse n’avait pas présenté son appel dans le délai prescrit et ne l’avait pas appuyé par un affidavit. Le chef et le conseil étaient d’avis que les dispositions du règlement sur les appels régissant l’introduction d’un appel n’avaient pas été respectées et que, en poursuivant l’audition de l’appel, le tribunal d’appel ne respectait pas les lois de la NCOL et discréditait ces dernières.

  i.  Cadre d’analyse – Perry

[41]  Comme il a été mentionné précédemment, la demanderesse est fermement d’avis que la principale question en litige est de savoir si le chef et le conseil avaient le pouvoir et la compétence d’intervenir dans l’appel que la demanderesse avait interjeté devant le tribunal d’appel et qui était en cours, et de mettre fin à cet appel. À l’inverse, la défenderesse soutient que le chef et le conseil avaient le pouvoir inhérent ou implicite de dissoudre le tribunal d’appel et, par conséquent, de mettre fin à l’appel de la demanderesse. De plus, la décision préliminaire du tribunal d’appel, par laquelle ce dernier a permis l’audition de l’appel malgré le dépôt tardif et d’autres irrégularités, était manifestement erronée et, par conséquent, déraisonnable. Par conséquent, la décision du chef et du conseil de dissoudre le tribunal d’appel était justifiée et raisonnable.

[42]  La formulation nettement différente des questions en litige est pertinente pour déterminer l’approche analytique que doit adopter la Cour. La défenderesse soutient que la Cour devrait suivre le cadre d’analyse établi dans la décision Perry. Ce cadre repose sur une approche en deux étapes selon laquelle la Cour devrait d’abord établir si la décision préliminaire du tribunal d’appel, soit celle autorisant l’instruction de l’appel, était raisonnable. Deuxièmement, si la décision n’était pas raisonnable, la Cour devrait alors établir si la décision du chef et du conseil de dissoudre le tribunal d’appel était raisonnable. Je souligne que ce cadre qui est proposé élude clairement la question du pouvoir du chef et du conseil d’intervenir et de dissoudre le tribunal d’appel avant qu’il ait terminé son travail. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’affaire Perry est nettement distincte de la présente et que le cadre utilisé dans Perry et proposé en l’espèce par la défenderesse convient mal et ne s’applique pas aux circonstances factuelles de la présente affaire.

[43]  Dans Perry, le demandeur s’était porté candidat au conseil et n’avait pas été élu. Il a interjeté appel de l’élection au motif que son nom avait été retiré de la liste des candidats d’une façon inappropriée en raison de son lieu de résidence. Le comité d’appel des Premières Nations de Cold Lake [PNCL] a confirmé l’appel même s’il a conclu qu’il n’y avait pas eu d’irrégularités dans la conduite de l’élection en question. Il a plutôt conclu que la loi électorale des PNCL était insuffisante dans la mesure où elle excluait certains candidats et électeurs en raison de leur lieu de résidence, leurs ascendants et leur âge. Comme la loi électorale n’était pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, le comité d’appel a ordonné au fonctionnaire électoral de tenir une nouvelle élection. Le chef et le conseil ont ensuite adopté une résolution du conseil de bande par laquelle ils ont rejeté la directive du comité d’appel à l’endroit du fonctionnaire électoral. Selon la résolution du conseil de bande, le comité d’appel a outrepassé sa compétence et a agi sans autorisation lorsqu’il avait examiné des appels qui ne relevaient pas du mandat qui lui avait été attribué par la loi électorale des PNCL, plus précisément lorsqu’il avait prétendu annuler les exigences en matière de lieu de résidence et d’autres exigences, et lorsqu’il avait effectivement modifié cette loi en agissant ainsi et en ordonnant la tenue d’une élection accélérée.

[44]  Dans l’affaire Perry, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la résolution par laquelle le conseil de bande avait rejeté la directive du comité d’appel. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge Fothergill a conclu que le comité d’appel des PNCL avait outrepassé sa compétence en déclarant que la loi électorale des PNCL contrevenait à la Charte, en déclarant modifier la loi électorale et en ordonnant la tenue d’une nouvelle élection. La résolution du conseil de bande était donc raisonnable, et la demande de contrôle judiciaire a été rejetée.

[45]  Le juge Fothergill a conclu que le comité d’appel des PNCL n’avait pas la compétence pour prendre des décisions sur des questions relatives à la Charte et octroyer des réparations prévues par la Charte. Il s’est appuyé sur l’affaire Grandbois c Cold Lake First Nation, 2013 CF 1039 [Grandbois], dans laquelle le comité d’appel des PNCL, comme dans l’affaire dont était saisi le juge Fothergill, avait déclaré inconstitutionnelle la loi électorale des PNCL. Dans Grandbois, la juge Heneghan a conclu que la demande dont elle était saisie supposait un examen de la portée du pouvoir décisionnel du comité d’appel des PNCL et de l’effet de la décision qu’il avait rendue. Les pouvoirs du comité d’appel lui étaient conférés par la loi électorale des PNCL, qui autorisait seulement le comité d’appel à s’occuper des appels dans le cadre d’une assemblée publique et n’autorisait pas le comité à rendre une décision. Le comité d’appel doit respecter et appliquer la loi électorale des PNCL, mais aucun recours précis devant être mis en œuvre après un appel n’est prévu.

[46]  Le juge Fothergill a souscrit à l’analyse de la décision Grandbois (Perry, aux para 9­10) et il a conclu que la loi électorale des PNCL ne conférait pas au comité d’appel la compétence de trancher des questions de droit. Son mandat se limitait à « respecter et appliquer la loi électorale des Premières Nations [de] Cold Lake ». En outre, les réparations fondées sur la Charte que le comité d’appel avait accordées en déclarant que la loi électorale des PNCL était inconstitutionnelle et en tentant de modifier la loi, ne pouvaient être conciliées avec le régime législatif applicable. La loi électorale des PNCL elle-même offrait un mécanisme pour modifier la loi électorale, et exigeait un référendum pour confirmer l’approbation de 70 % des électeurs.

[47]  Je tiens d’abord à souligner que, dans l’affaire Perry, le comité d’appel des PNCL avait en réalité terminé le processus et avait pris une décision, ce qui n’est pas le cas ici. En l’espèce, le chef et le conseil ont dissous le tribunal d’appel pendant que l’audition de l’appel de la demanderesse était en cours.

[48]  De plus, dans la présente affaire, contrairement à l’affaire Perry, la loi électorale confère clairement au tribunal d’appel le pouvoir de rendre une décision. Selon l’article 18.5 de la loi électorale, le tribunal d’appel peut décider, selon le cas : de confirmer l’élection; d’annuler l’élection du candidat ou des candidats qui font l’objet de l’appel et ordonner que l’autre candidat ou les autres candidats ayant obtenu le plus de votes soient les candidats élus; d’ordonner la tenue d’une élection partielle pour le poste en cause (voir aussi l’art. 12 du règlement sur les appels).

[49]  Par conséquent, contrairement à Perry, la question en litige dans la présente affaire n’est pas de savoir si le tribunal d’appel a outrepassé ses pouvoirs en prenant une décision qu’il n’avait pas le pouvoir de prendre et en accordant une réparation qui n’était pas permise par les règlements applicables. En l’espèce, le tribunal d’appel avait le pouvoir de prendre les décisions visées par le règlement sur les appels. Le tribunal d’appel n’a toutefois pas pu exercer ce pouvoir en raison de la décision du chef et du conseil de dissoudre le tribunal d’appel avant qu’il n’ait statué sur l’appel de la demanderesse. Que la décision préliminaire du 31 octobre 2018 du tribunal d’appel d’accueillir l’appel de la demanderesse en dépit des vices de forme allégués soit raisonnable ou non, la compétence du tribunal d’appel pour prendre cette décision préliminaire n’est pas en cause dans l’affaire dont je suis saisi.

[50]  La défenderesse n’est tout simplement pas d’accord avec l’issue de la décision préliminaire. Elle affirme d’ailleurs dans ses observations que les faits n’appuient pas la décision préliminaire du tribunal d’appel, ce qui la rend déraisonnable. La défenderesse conteste ainsi l’interprétation et l’application du règlement sur les appels par le tribunal d’appel ainsi que le bien­fondé de la décision préliminaire. Il est important de souligner que, dans l’arrêt Perry, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, parce que la résolution du conseil de bande des PNCL reposait sur l’absence de compétence du comité pour rendre la décision qu’il a rendue, « et non sur le bien­fondé de la décision du comité en soi », la Cour fédérale n’avait pas commis d’erreur en n’abordant pas la question de savoir si une disposition de la loi électorale des PNCL était constitutionnellement valide. La décision du chef et du conseil en l’espèce reposait par contre sur le bien­fondé de la décision préliminaire rendue par le tribunal d’appel.

[51]  De plus, la décision préliminaire du tribunal d’appel n’est pas l’objet du présent contrôle judiciaire. La défenderesse n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision préliminaire du tribunal d’appel ou, subsidiairement, elle n’a pas laissé le processus d’appel suivre son cours, puis demandé le contrôle judiciaire de l’ensemble de la décision. Essentiellement, la défenderesse ne tient pas compte de cela et elle cherche à justifier la décision qui fait l’objet du contrôle – la dissolution du tribunal d’appel – au motif que le chef et le conseil ont raisonnablement conclu que la décision préliminaire du tribunal d’appel était erronée.

[52]  La défenderesse tente de réinterpréter Perry. Dans cette affaire, le comité d’appel n’a pas rendu de décision sur le bien­fondé de l’appel dont il était saisi et il a outrepassé sa compétence en concluant que la loi sous­jacente était inconstitutionnelle, en modifiant effectivement la loi et en accordant une réparation qu’il n’avait pas le pouvoir d’accorder. Comme le comité d’appel a outrepassé sa compétence, le juge Fothergill a conclu que sa décision était déraisonnable et que, par conséquent, la résolution par laquelle le conseil de bande a refusé de permettre que la réparation soit accordée était raisonnable. En l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si le tribunal d’appel a compétence pour rendre des décisions d’appel, mais si le chef et le conseil ont agi sans pouvoir, ou ont outrepassé leur compétence, en décidant de dissoudre le tribunal d’appel avant qu’il n’ait terminé l’audition de l’appel de la demanderesse et qu’il n’ait rendu une décision définitive sur le fond de l’appel. La défenderesse tente de justifier cette décision au motif que le chef et le conseil étaient d’avis que la décision préliminaire du tribunal d’appel était erronée et déraisonnable. Toutefois, à moins qu’ils n’aient eu le pouvoir d’examiner la décision du tribunal d’appel sur le fond, le chef et le conseil auraient agi sans pouvoir, et leur décision serait donc déraisonnable — tout comme la décision du comité d’appel des PNCL dans Perry était déraisonnable parce que le comité d’appel avait outrepassé ses pouvoirs.

[53]  Le cadre d’analyse suivi dans Perry et proposé par la défenderesse n’est donc pas approprié dans les circonstances de la présente affaire. La première question qu’il faut trancher est la suivante : le chef et le conseil avaient­ils le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel?

  ii.  Le pouvoir du chef et du conseil

[54]  Je ne suis pas convaincue que le chef et le conseil avaient le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel avant qu’il n’ait mené à terme son mandat et qu’il n’ait rendu sa décision dans l’appel de la demanderesse.

[55]  Selon le préambule de la loi conventionnelle, les règles relatives à la création, à l’habilitation et à la réglementation des organismes du gouvernement de la NCOL doivent être rédigées afin que la vie des membres de la NCOL soit mieux réglementée. Par l’adoption de la convention et de la loi électorale, les membres de la NCOL ont décidé de codifier leur droit coutumier. Rien dans la convention, la loi électorale ou le règlement sur les appels n’autorise le chef et le conseil à dissoudre un tribunal d’appel.

[56]  En réalité, le régime législatif laisse supposer que, si le chef et le conseil avaient le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel avant l’expiration de son mandat, pour quelque raison que ce soit, et de rendre plutôt leur propre décision, ce pouvoir aurait alors été clairement énoncé. C’est ce que démontre le fait que la loi électorale et le règlement sur les appels traitent de façon exhaustive des appels relatifs aux élections de la NCOL.

[57]  De plus, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale donne à penser qu’il faut un pouvoir législatif clair pour destituer les membres d’un comité d’appel ou d’un conseil. Par exemple, dans l’affaire Johnson, le conseil de bande de la bande indienne de Lax Kw’alaams s’est réuni et a adopté trois résolutions : la première destituant les trois membres du comité d’appel de leurs fonctions, la deuxième nommant cinq nouveaux membres au comité d’appel et la troisième suspendant le maire de ses fonctions. En ce qui concerne le pouvoir du conseil de bande de destituer les membres du comité d’appel, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[29]  En appliquant la norme de la décision raisonnable ainsi définie à l’interprétation implicite du Règlement électoral que le conseil de bande a faite en l’espèce, je serais portée à conclure que cette interprétation est déraisonnable, mais pour des raisons différentes de celles retenues par le juge saisi de la demande.

[30]  À la différence du juge saisi de la demande, je ne vois aucune raison d’ajouter implicitement dans le Règlement électoral une disposition qui permet la destitution des trois membres du comité d’appel précédent en l’espèce, même s’ils ont été amplement prévenus et s’ils ont eu la possibilité de s’exprimer devant le conseil de bande avant leur destitution.

[31]  Les dispositions de la partie 14 du Règlement électoral, prévoyant que les membres du comité d’appel doivent être nommés bien à l’avance d’élections et ce pour un mandat de quatre ans, nous amènent à comprendre que le comité d’appel est censé être un organe stable qui, dans toute la mesure possible, est protégé des différends sur lesquels il peut être amené à se prononcer. Il s’ensuit que le conseil de bande ne peut pas destituer de leurs fonctions les membres du comité d’appel lors d’un conflit où une partie au différend a le pouvoir de choisir les membres d’un nouveau comité d’appel. Par conséquent, l’absence d’une disposition dans le Règlement électoral prévoyant la possibilité d’une destitution des membres du comité d’appel doit être considérée comme délibérée.

[…]

[33]  Par conséquent, je serais portée à conclure que la décision du conseil de bande de destituer les trois membres du comité d’appel précédent était déraisonnable, car le Règlement électoral ne conférait pas au conseil de bande le pouvoir de révoquer les trois membres du comité d’appel dans un tel cas.

[58]  En l’espèce, selon l’alinéa 12.1e) de la loi électorale, les membres du tribunal d’appel doivent être nommés par résolution du chef et du conseil au moins 60 jours avant la date de l’élection. L’article 5.3 du règlement sur les appels traite également de la nomination des membres du tribunal d’appel, et il prévoit que le président d’élection et l’administrateur de la bande nomment les membres et que la nomination est ensuite confirmée par une résolution du chef et du conseil. Selon l’article 5.5 du règlement sur les appels, le mandat du tribunal d’appel commence le jour de la constitution du tribunal [traduction« et se termine à la fin de la période d’appel ou lorsque l’appel d’une élection est tranché, selon la dernière éventualité ». Selon l’article 5.6, le tribunal d’appel est chargé d’instruire, d’entendre et de trancher tout appel d’une élection conformément à la loi électorale et au règlement sur les appels. Les articles 12.2 et 12.5 précisent que les décisions du tribunal d’appel sont définitives. De plus, élément significatif, l’alinéa 4.1c) définit le tribunal d’appel comme étant les personnes nommées par le chef et le conseil [traduction« pour former un conseil indépendant qui entendra les appels » interjetés en vertu de la loi électorale et du règlement sur les appels.

[59]  Par conséquent, il est clair que le tribunal d’appel, en tant qu’organisme indépendant, joue un rôle discret et exclusif dans la conduite des appels relatifs aux élections, et le règlement sur les appels mentionne explicitement que le mandat commence le jour de la constitution du tribunal et ne se termine qu’une fois l’appel tranché. À mon avis, comme dans l’affaire Johnson, l’absence d’une disposition législative permettant au chef et au conseil de dissoudre le tribunal d’appel pendant qu’un appel est en cours doit être considérée comme délibérée et destinée à empêcher le chef et le conseil de s’ingérer dans la prise de décisions d’appel.

[60]  De même, dans Angus c Première nation des Chipewyans des Prairies, 2008 CF 932 [Angus], le conseil de bande de la Première nation, par voie de résolution, a démis de ses fonctions un président d’élection dûment nommé. La Cour a conclu que c’est du Code électoral de la Première nation des Chipewyans des Prairies ou des principes généraux du droit électoral intégrés dans ce code que devait découler tout pouvoir du conseil de bande de démettre de ses fonctions le président d’élection. La Cour a rejeté l’argument du conseil de bande selon lequel ce pouvoir découlait de la disposition du Code électoral énonçant que « le chef et le conseil peuvent approuver les règlements et formulaires jugés nécessaires à l’application du code électoral fondé sur la coutume de notre bande indienne ». La Cour a conclu que le conseil de bande ne pouvait pas s’appuyer sur cette disposition générale pour adopter des résolutions lui permettant de faire obstacle au processus d’appel. La Cour a souligné que le président d’élection doit demeurer indépendant et libre d’agir dans les limites prescrites par le Code électoral, sans ingérence de la part de personnes ou de groupes qui pourraient avoir un intérêt personnel à vouloir contrecarrer le but manifeste visé par le processus d’appel sous le régime du Code électoral — en l’espèce, un conseil de bande nouvellement élu dont l’élection avait été contestée. La Cour a conclu ce qui suit :

[77]  Les demandeurs ont raison de dire que le Code électoral prescrit une procédure d’appel et que le conseil de bande était tenu de s’y conformer. Je conclus à cet égard qu’en adoptant la résolution du 11 juin 2007, le conseil de bande a tenté de contourner la procédure établie dans le Code électoral et a dénié le droit d’appel aux personnes qui ont déposé des avis d’appel en application de ce code. À mon avis, en prenant une telle décision, le conseil de bande a outrepassé sa compétence. Le conseil de bande ne peut décider, par une simple résolution qu’il adopte, qu’on peut faire abstraction du Code électoral et qu’un appel n’aura pas lieu. Le conseil de bande ne peut non plus par voie de résolution, sans tenir compte de la notion d’application régulière de la loi et des principes d’équité procédurale, destituer tout simplement un président d’élection qui, en vertu du Code électoral, a l’obligation de superviser le processus d’appel et qui, en fait, est responsable devant les électeurs de la PNCP. En l’espèce, la façon d’agir du conseil de bande n’était pas conforme à la notion d’application régulière de la loi, non plus qu’aux principes établis de justice naturelle et d’équité procédurale. Le conseil de bande n’a fait valoir devant la Cour aucun précédent ni aucun principe qui justifierait ou rendrait acceptable son comportement à ce jour dans la présente affaire. Les contre­interrogatoires du chef Vern Janvier et du conseiller Stuart Janvier ne donnent pas à croire qu’on a affaire à un conseil de bande ayant connaissance des obligations que lui imposent tant le Code électoral que les règles de l’équité procédurale. Le conseil de bande a en fait empêché les membres de la PNCP de prendre des décisions qu’il leur revient de prendre, suivant le Code électoral.

[61]  Je souligne qu’en l’espèce, contrairement à l’affaire Angus, les notes de la réunion du 14 janvier 2019 du chef et du conseil indiquent que les trois conseillers dont l’élection avait été portée en appel par la demanderesse ont quitté la réunion lorsque la décision de dissoudre le tribunal d’appel a été discutée. Quoi qu’il en soit, en vertu de la décision, un chef et un conseil nouvellement élus ont mis fin au processus d’appel prévu par la loi par lequel la demanderesse cherchait à contester l’élection. Peu importe si l’ingérence visait ou non à contrecarrer le processus et, par conséquent, la volonté des membres de la NCOL, elle a eu cet effet. À mon avis, cela ne pouvait être l’intention du régime législatif et, en l’absence d’une disposition explicite permettant au chef et au conseil d’intervenir dans le processus d’appel et de dissoudre le tribunal d’appel, la décision a été prise sans habilitation. (Bien que les faits soient différents, voir aussi Première Nation Peguis c Bear, 2017 CF 179, aux para 81­82, 88, et Alexander c Conseil coutumier de la Première nation Anishinabe de Roseau River, 2019 CF 124, pour la proposition générale selon laquelle le chef et le conseil ne peuvent pas avoir préséance sur les lois relatives à la gouvernance de la bande et/ou dissoudre des entités de gouvernance indépendantes au moyen de résolutions du conseil de bande.)

[62]  Dans la mesure où la défenderesse affirme que le chef et le conseil étaient habilités à dissoudre le tribunal d’appel selon les lois inhérentes ou le droit naturel, je souligne que la défenderesse a fait valoir à ce sujet que, [traduction« conformément aux lois autochtones inhérentes, parfois décrites comme le “droit naturel”, l’onikaniwak (chef et conseil) a la responsabilité et le pouvoir de veiller au respect des lois de la Nation. Ce pouvoir est envisagé dans la convention. » Cela semble constituer une reconnaissance de la décision des membres de la NCOL de codifier leur droit coutumier au moyen de la convention. La défenderesse ne mentionne aucune autre source inhérente applicable l’habilitant à dissoudre le tribunal d’appel. La défenderesse n’affirme pas non plus qu’il existe un droit coutumier en dehors du droit codifié qui fournirait une telle source d’habilitation.

[63]  Je ne suis pas non plus convaincue qu’un tel pouvoir découle de la prérogative du chef et du conseil de [traduction« superviser des organismes » en vertu de l’alinéa 4.3d) de la convention, comme le fait valoir la défenderesse. Rappelons que la constitution du tribunal d’appel est autorisée par la loi électorale et que le mandat du tribunal d’appel et le processus d’appel sont établis par le règlement sur les appels, qui prévoit également que les décisions du tribunal d’appel sont définitives. Or, même si le tribunal d’appel est un « organisme » sur lequel le chef et le conseil ont un pouvoir de supervision, ce que j’estime très improbable, mais la question n’a pas à être tranchée, à mon avis, la dissolution du tribunal d’appel pendant qu’il examine un appel va bien au­delà de la « supervision ». En l’espèce, le chef et le conseil ont essentiellement usurpé le pouvoir et le rôle du tribunal d’appel et ils les ont remplacés par leurs propres conclusions. En réalité, le chef et le conseil ont annulé la décision préliminaire du tribunal d’appel.

[64]  Je ne suis pas non plus convaincue que l’alinéa 4.3g) de la convention soit d’une quelconque utilité pour le chef et le conseil, comme le prétend la défenderesse. L’alinéa donne au chef et au conseil la prérogative suivante : [traduction« formuler des recommandations sur toute question, et exécuter, appliquer ou mettre en œuvre des décisions et des politiques dans le champ d’application de » la convention. Comme il a été mentionné précédemment, rien dans la convention n’autorise le chef et le conseil à prendre une décision concernant l’examen d’un appel. Ainsi, la décision de dissoudre le tribunal d’appel pendant qu’il était saisi d’un appel et de remplacer en réalité l’examen du tribunal par la décision du chef et du conseil ne relève pas du « champ d’application » de la convention et du pouvoir de mise en œuvre de décisions que la loi confère au chef et au conseil.

[65]  La défenderesse soutient également que la décision découlait [traduction« de l’exercice d’une fonction politique ou législative conforme au pouvoir et à la responsabilité de gouvernance du chef et du conseil de veiller au respect de » la loi électorale et du règlement sur les appels. Encore une fois, le régime législatif prévoit que c’est le tribunal d’appel, et non le chef et le conseil, qui examine et tranche les appels relatifs à une élection. Pour ce qui est de l’application, que le pouvoir soit formulé comme une décision de politique ou autre, cette caractérisation ne tient tout simplement pas compte du fait que le chef et le conseil n’ont pas pour rôle de « faire respecter » le règlement sur les appels par le tribunal d’appel. Le chef et le conseil ne sont tout simplement pas d’accord avec la façon dont le tribunal d’appel applique le règlement sur les appels aux faits de l’appel de la demanderesse dans une décision préliminaire. Même si l’évaluation du tribunal d’appel est déraisonnable, l’intervention du chef et du conseil pour dissoudre le tribunal d’appel et substituer leur propre décision à la décision préliminaire du tribunal d’appel n’est pas une mesure d’application ou de conformité réglementaire. Le chef et le conseil ont pris cette décision parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec le bien­fondé de la décision préliminaire. De plus, en mettant fin au mandat du tribunal d’appel avant que le tribunal n’ait tranché l’appel de la demanderesse, le chef et le conseil ont effectivement modifié l’article 5.5 du règlement sur les appels. Une telle modification ne respectait pas la procédure de modification énoncée à l’article 15 ni l’exigence prévue à l’article 18.9 de la loi électorale, selon laquelle toute modification au règlement sur les appels ne s’applique pas à un appel en cours.

[66]  Pour les motifs exposés précédemment, je conclus que le chef et le conseil n’avaient pas le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel et, par conséquent, de mettre fin à l’appel de la demanderesse. Par conséquent, cette décision était déraisonnable. La Cour ne peut accepter la tentative de la défenderesse de justifier la décision du chef et du conseil par le fait que le chef et le conseil ont raisonnablement conclu que le tribunal d’appel avait commis une erreur sur le fond quant à la décision préliminaire. Une telle approche signifierait que, au lieu de contester le caractère raisonnable de la décision finalement rendue par le tribunal d’appel, le chef et le conseil pourraient simplement dissoudre le tribunal d’appel et substituer leur propre décision à l’examen du tribunal lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec l’évaluation réalisée par le tribunal d’appel quant aux faits ou à la preuve, ou avec l’application d’une disposition du règlement sur les appels. À mon avis, une telle dissolution n’est pas permise en vertu du régime législatif décrit précédemment, que ce soit explicitement ou implicitement. Elle n’est pas non plus permise au titre de l’exercice d’une fonction politique ou législative, de l’application de la loi électorale ou du règlement sur les appels.

Question en litige no 2 : Dans l’affirmative, le chef et le conseil ont­ils manqué à l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse en prenant une telle décision?

[67]  Ayant conclu que le chef et le conseil n’avaient pas le pouvoir de dissoudre le tribunal d’appel avant la fin de son mandat et avant qu’il n’ait tranché l’appel de la demanderesse, je n’ai pas à aborder cette question.

[68]  Toutefois, j’examinerai la question de savoir si le chef et le conseil ont manqué à une obligation d’équité procédurale, dans l’éventualité où j’aurais fait fausse route et que le chef et le conseil avaient ce pouvoir. La défenderesse invoque la décision Perry pour justifier son point de vue selon lequel la décision constituait l’exercice par le chef et le conseil d’une fonction politique ou législative visant à faire respecter la loi électorale et le règlement sur les appels, et le chef et le conseil n’avaient par conséquent aucune obligation d’équité procédurale.

[69]  En général, il n’y a pas d’obligation d’équité procédurale pour les décisions « législatives et générales », tandis qu’il y a une obligation d’équité procédurale pour les décisions administratives. Les décisions législatives sont des décisions d’orientation générales. À l’inverse, les décisions administratives sont de nature particulière et ont une incidence sur les droits et les intérêts d’une personne (Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653 [Knight], à la p. 670; Wells c Terre‑Neuve, [1999] 3 RCS 199 (CSC), au para 61; Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651, aux para 425‑429). L’existence d’une obligation d’équité procédurale dans une affaire donnée dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment la nature de la décision prise, la relation entre l’organisme décisionnel et la personne touchée, et l’effet de la décision sur les droits de la personne (Knight, à la p. 669).

[70]  À mon avis, en l’espèce, la décision prise par le chef et le conseil n’était pas de nature législative et ne touchait pas, par exemple, l’ensemble du processus ou de la structure des appels. La décision portait plutôt précisément sur le tribunal d’appel qui avait été constitué relativement à l’élection et qui examinait l’appel interjeté par la demanderesse. La raison invoquée pour la dissolution du comité d’appel était que, de la façon dont ils comprenaient les faits sous­jacents à l’appel de la demanderesse, le chef et le conseil estimaient que le tribunal d’appel n’avait pas correctement interprété et appliqué le règlement sur les appels. À mon avis, il s’agissait d’une décision administrative. De plus, la dissolution du tribunal d’appel avant qu’il n’ait terminé son processus et rendu une décision relativement à l’appel de la demanderesse a eu pour effet de priver cette dernière de son droit individuel d’interjeter un appel.

[71]  Dans la décision Perry, comme l’adoption de la résolution du conseil de bande a eu pour effet d’annuler une nouvelle élection qui avait été ordonnée par un comité d’appel qui n’en avait pas le pouvoir, la Cour a jugé que la résolution du conseil de bande découlait de l’exercice de la fonction politique ou législative du conseil. Par conséquent, aucune obligation d’équité procédurale n’était due au demandeur, qui n’était pas personnellement touché par la décision du conseil de bande (voir Perry, aux para 25­28). Dans la décision Perry, c’est donc le fait que le comité d’appel n’avait pas le pouvoir d’agir comme il l’a fait qui a entraîné l’exercice de la fonction politique ou législative du conseil de bande. Ce n’est pas le cas en l’espèce, car le tribunal d’appel avait le pouvoir de rendre des décisions d’appel. Le chef et le conseil n’étaient pas d’accord avec la décision préliminaire et ont dissous le tribunal d’appel avant qu’il ne puisse rendre sa décision définitive.

[72]  Pour ce qui est de la teneur de l’obligation d’équité procédurale envers la demanderesse, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Vavilov :

[77]  Il est de jurisprudence constante que l’équité procédurale n’exige pas que toutes les décisions administratives soient motivées. L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte : Knight c. Indian Head School Division No 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 22­23; Moreau­Bérubé, par. 74‑75; Dunsmuir, par. 79. Dans le cas d’un contexte décisionnel administratif qui donne lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances : (Baker, par. 21. Dans l’arrêt Baker, la Cour a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui servent à définir le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, notamment la nécessité de fournir des motifs écrits. Parmi ces facteurs, mentionnons : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif; (3) l’importance de la décision pour l’individu ou les individus visés; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et (5) les choix de procédure faits par le décideur administratif lui‑même : Baker, par. 23­27; voir également Congrégation des témoins de Jéhovah de St­Jérôme­Lafontaine c. Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 R.C.S. 650, par. 5. Parmi les cas où des motifs écrits sont généralement nécessaires, on compte les situations où le processus décisionnel accorde aux parties le droit de participer, où une décision défavorable aurait une incidence considérable sur l’intéressé, ou encore celles où il existe un droit d’appel : Baker, par. D. J. M. Brown et l’honorable J. M. Evans, avec l’aide de D. Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), vol. 3, p. 12­54.

[73]  À mon avis, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse approfondie quant à la teneur de l’obligation d’équité procédurale à laquelle étaient astreints le chef et le conseil, parce que, même lorsque les droits en matière procédurale sont minimes, ces droits comprennent le droit à un préavis et la possibilité de faire des observations (voir, par exemple, Minde c Première Nation crie Ermineskin, 2006 CF 1311, au para 44; Tsetta c Conseil de bande de la Première Nation des Dénés Couteaux­Jaunes, 2014 CF 396, au para 39; Première nation Peguis c Bear, 2017 CF 179, au para 62).

[74]  Lorsqu’elle a comparu devant moi, la défenderesse a reconnu que la demanderesse n’avait pas été avisée de la tenue de la réunion au cours de laquelle le chef et le conseil avaient décidé de dissoudre le tribunal d’appel et, par conséquent, de mettre fin à l’appel relatif à l’élection. De plus, rien dans le dossier dont je dispose ne permet de conclure que la demanderesse a été informée de la raison pour laquelle le chef et le conseil avaient l’intention de dissoudre le tribunal d’appel avant qu’il n’ait terminé l’audition de l’appel de la demanderesse ou qu’il n’ait donné à cette dernière la possibilité de répondre. Par conséquent, à mon avis, le chef et le conseil ont manqué à leur obligation d’équité procédurale envers la demanderesse.

Question en litige no 3 : La décision était­elle raisonnable?

[75]  Comme le chef et le conseil n’avaient pas le pouvoir de prendre la décision et que, de toute façon, ils ont manqué à l’obligation d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse, je n’ai pas à trancher cette question.

Réparations

[76]  Bien que la demanderesse chercher à obtenir une réparation sous forme de mandamus pour obliger la NCOL à tenir une élection partielle pour les postes détenus par les conseillers Chief, Pahtayken et Whitstone, je conviens avec la défenderesse que la demanderesse n’a pas droit à cette réparation.

[77]  Selon le critère énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 [CAF], à la p. 19, il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public, l’obligation doit exister envers le demandeur et il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation. Ce critère ne peut être satisfait parce que, en l’absence de décision du tribunal d’appel concernant l’appel de la demanderesse, la NCOL n’a aucune obligation à caractère public d’ordonner une élection partielle. La Cour ne peut présumer que le tribunal d’appel aurait accueilli l’appel. De plus, en vertu des articles 18.7 et 18.8, si la demanderesse n’était pas satisfaite de la décision du tribunal d’appel, elle pouvait demander un appel de dernier recours qui serait entendu lors d’une réunion de citoyens. Si la décision ne pouvait faire l’objet d’un consensus lors de cette réunion, une élection partielle serait alors tenue. Encore une fois, il n’est pas certain qu’un consensus ne serait pas atteint et, par conséquent, qu’une élection partielle sera déclenchée. En l’espèce, il n’existe aucune obligation à l’égard de la demanderesse de tenir une élection partielle ni aucun droit clair à une élection partielle.

[78]  À mon avis, la réparation appropriée est d’annuler la décision du 24 janvier 2019 par laquelle le chef et le conseil ont dissous le comité d’appel et d’ordonner que le tribunal d’appel soit reconstitué et autorisé à terminer l’audition de l’appel de la demanderesse et à rendre une décision à cet égard.

Dépens

[79]  La demanderesse soutient que des dépens devraient lui être adjugés sur une base avocat­client, car sa demande sert l’intérêt public en empêchant des interventions futures du chef et du conseil lors de processus d’appel. Elle soutient également que le chef et le conseil n’ont pas tenu compte des lois de la NCOL. C’est ce qui l’a obligée à présenter la demande de contrôle judiciaire, ce qui n’aurait pas dû être nécessaire (Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River c Nelson, 2013 CF 180, aux para 61­71).

[80]  La défenderesse soutient que l’adjudication de dépens est à la discrétion de la Cour et que des dépens avocat­client ne devraient pas être adjugés en l’espèce. Des dépens avocat­client ne sont adjugés que dans les affaires d’intérêt public ayant une incidence généralisée sur la société (Carter c Canada (Procureur général) 2015 CSC 5, au para 140). Le fait que le contrôle judiciaire mette en cause des questions relatives à la gouvernance et aux lois de la NCOL ne permet pas de satisfaire ce critère (Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 1119, aux para 27 et 18).

[81]  Bien que l’intervention du chef et du conseil dans le processus d’appel était inappropriée et mal avisée, en plus d’avoir été faite sans autorisation, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de croire qu’elle visait à isoler les postes de conseillers que la demanderesse avait contestés en appel ainsi que la destitution possible des conseillers en question si l’appel était accueilli. Le chef et le conseil semblaient plutôt d’avis que la décision préliminaire d’accueillir l’appel était erronée et que le processus d’appel avait duré trop longtemps et devait être arrêté. Je fais également remarquer que, d’après le dossier dont je suis saisi, la décision préliminaire du tribunal d’appel de permettre la poursuite de l’appel malgré des vices de procédure aurait fort bien pu être contestée. Toutefois, comme il a été expliqué précédemment, la réponse appropriée n’était pas la dissolution du tribunal d’appel.

[82]  Après avoir examiné l’ensemble des circonstances de l’affaire, je ne suis pas convaincue que l’adjudication de dépens selon la base avocat­client est justifiée. J’exerce le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales DORS/98­106 pour accorder à la demanderesse la somme globale de 3 500 $ (tous frais inclus) à titre de dépens, lesquels devront être versés par la NCOL.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T­1292­19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du 24 janvier 2019 par laquelle le chef et le conseil de la Nation crie d’Onion Lake ont dissous le tribunal d’appel est annulée;

  3. Le tribunal d’appel doit, dans les 30 jours suivant la présente décision, être reconstitué, terminer l’audition de l’appel de la demanderesse et rendre une décision sur cet appel, tout cela conformément à la loi électorale et au règlement sur les appels;

  4. La Première nation d’Onion Lake doit payer les dépens de la demanderesse et verser à cette dernière un montant global de 3 500 $ (tous frais inclus).

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T­1292­19

 

INTITULÉ :

FLORENCE BLOIS c LA NATION CRIE D’ONION LAKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE AU MOYEN DE ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 OCTOBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Arman Chak

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Keltie L. Lambert

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nigro Manucci LLP

Avocats

Sherwood Park (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Witten LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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