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 Date : 20201002


Dossier : IMM-2885-19

Référence : 2020 CF 950

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

ALI CANSEL AKCAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Ali Cansel Akcay, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) rejetant sa demande d’asile. Il soutient que la décision est déraisonnable parce que la SAR a commis de nombreuses erreurs dans son traitement des éléments de preuve et son application du droit. De plus, il prétend qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu la possibilité de réfuter diverses préoccupations soulevées par la SAR concernant ses éléments de preuve.

[2]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande, parce que je conclus que la SAR a omis d’expliquer comment elle avait examiné un élément central de la demande d’asile du demandeur, soit le fait qu’il avait cessé d’assister aux cérémonies religieuses alévies étant donné qu’il craignait d’être persécuté par les autorités. Je ne suis pas convaincu que les autres arguments qu’a fait valoir le demandeur rendent la décision déraisonnable.

I.  Contexte

[3]  Le demandeur est un ressortissant turc d’origine alévie qui craint de retourner en Turquie en raison de la discrimination systémique dont sont victimes les alévis dans ce pays. Il allègue qu’il n’a pas pu faire d’études et trouver du travail et qu’il a subi des mauvais traitements pendant son service militaire parce qu’il est alévi. De plus, il prétend qu’il a cessé de pratiquer sa religion parce qu’il craignait d’être persécuté.

[4]  Le demandeur allègue qu’il a abandonné ses études à l’Université Cumhuriyet en 2004 à cause de la discrimination que lui ont fait subir des professeurs et des étudiants et après qu’un autre étudiant l’eut dénoncé à la police. Il prétend que des remarques désobligeantes ont été faites à son sujet à cause de ses origines alévies et qu’il ne croyait pas qu’il serait traité équitablement s’il poursuivait ses études. Il a par la suite étudié à d’autres universités en Turquie avant de déménager en Ukraine en 2006, où il a obtenu un baccalauréat suivi d’une maîtrise.

[5]  Lorsque le demandeur est rentré en Turquie en 2013, il a effectué son service militaire obligatoire. Il prétend qu’il a fait l’objet de mesures disciplinaires pour des infractions mineures, mais que ses collègues non alévis n’étaient pas punis quand ils commettaient des infractions aux règles de même nature. Après son service militaire, il a commencé à chercher du travail, mais il allègue que les employeurs ne l’embauchaient pas dès qu’ils entendaient son accent, lequel, soutient-il, trahit ses origines alévies. En juin 2014, il a été embauché par l’entreprise Detay Laboratory Services, où il prétend qu’il était en butte à des moqueries et qu’il devait être disponible pour travailler en tout temps, contrairement à ses collègues non alévis. En avril 2015, il a été congédié et a été remplacé par un non-alévi.

[6]  Pendant cette période, le demandeur prétend qu’il a aussi cessé de prendre part à des activités religieuses et culturelles alévies parce qu’il craignait d’être pris pour cible par la police étant donné que celle-ci menait souvent des enquêtes visant à identifier les alévis résidant dans sa ville. Il a affirmé que la tolérance dont bénéficiaient les alévis en Turquie a pris fin au moment de l’élection à la tête du pays du président Erdogan, dont la déclaration selon laquelle [traduction] « ces alévis n’existent pas » constituait un message clair indiquant que la secte alévie ne serait plus considérée comme légitime et que [traduction] « [nos] activités religieuses et culturelles ne seraient plus tolérées » (DCT à la p. 38).

[7]  Le demandeur a continué d’avoir des difficultés à trouver un nouveau travail, et il a fini par trouver un emploi en Arabie saoudite, où il a travaillé de décembre 2015 à février 2016. À son retour en Turquie, il n’a pas pu trouver de travail, de sorte qu’il a obtenu un visa d’étudiant pour venir au Canada en mai 2016. Craignant de devoir retourner en Turquie quand son visa expirerait, il a demandé l’asile en avril 2017.

[8]  La SPR a conclu que la discrimination que le demandeur avait subie en Turquie n’équivalait pas à de la persécution, et qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’il soit exposé à un risque à son retour en Turquie. La SAR a confirmé cette conclusion.

[9]  La SAR a convenu avec le demandeur que la SPR avait commis une erreur en n’examinant pas l’aspect religieux dans sa demande d’asile. Après avoir examiné les éléments de preuve, la SAR a conclu que, même si les alévis sont bel et bien victimes de discrimination et que des restrictions sont imposées quant à leurs pratiques religieuses, cela n’équivalait pas à de la persécution. Elle a aussi conclu que ses allégations de discrimination dans l’emploi n’étaient pas crédibles sur la foi de contradictions entre son témoignage et le dossier documentaire. La SAR a reconnu que le demandeur avait subi de la discrimination à l’université, mais elle a conclu que cela n’équivalait pas à de la persécution. De même, elle a rejeté ses allégations de mauvais traitements pendant son service militaire parce que son récit était trop vague, et qu’il avait reconnu avoir été puni pour avoir enfreint des règles militaires.

[10]  Dans l’ensemble, la SAR a conclu que, même si le demandeur pouvait être exposé à de la discrimination s’il retournait en Turquie, cela n’équivaudrait pas à de la persécution parce qu’il pourrait pratiquer sa religion et que ses origines alévies ne l’empêcheraient pas de trouver un emploi ou d’avoir accès aux services publics. La SAR a aussi conclu que la preuve documentaire n’étayait pas une conclusion de risque prospectif de persécution. Elle a par conséquent maintenu la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[11]  Le demandeur demande l’annulation de la décision de la SAR.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Le demandeur et le défendeur ont soulevé un certain nombre de questions, qui peuvent être regroupées ainsi  :

  1. La décision de la SAR était-elle déraisonnable en raison de ses conclusions quant aux allégations de persécution fondées sur la religion du demandeur ou de sa conclusion selon laquelle la discrimination qu’il a subie n’équivalait pas à de la persécution?
  2. Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale parce que la SAR a tiré des conclusions quant à la crédibilité sans donner au demandeur la possibilité de dissiper ses préoccupations?

[13]  Les parties affirment toutes les deux que la norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable, et c’est aussi mon avis. C’était l’état du droit selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, et cela n’a pas changé suivant le cadre analytique révisé énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[14]  Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99). L’analyse de la décision doit être intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au para 85).

[15]  Selon ce cadre d’analyse, la décision sera vraisemblablement jugée déraisonnable si les motifs, lus en corrélation avec le dossier, ne permettent pas à la Cour de comprendre le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, au para 103). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable, et la cour de révision doit être convaincue que les lacunes ou les déficiences invoquées par la partie contestant la décision sont suffisamment capitales ou importantes pour rendre cette dernière déraisonnable (Vavilov au para 100).

[16]  Le cadre d’analyse établi par l’arrêt Vavilov souligne « la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif », en adoptant une méthode quant à la norme de contrôle qui est à la fois respectueuse et rigoureuse (Vavilov, aux para 2, 12 et 13).

[17]  Pour ce qui est de la seconde question, les arguments relatifs à l’équité procédurale nécessitent une approche reflétée dans la norme de la décision correcte qui demande « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51 à 54). Comme il est souligné dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique au paragraphe 56, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ».

III.  Analyse

A.  La décision de la SAR était-elle déraisonnable?

[18]  Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable en raison de sa conclusion selon laquelle la discrimination qu’il a subie en Turquie n’équivalait pas à de la persécution.

[19]  En ce qui concerne la question de la discrimination religieuse, le demandeur prétend que les conclusions de la SAR sont intrinsèquement contradictoires et que celle-ci a omis de prendre en compte ses éléments de preuve selon lesquels il avait cessé de pratiquer sa religion parce qu’il craignait d’être persécuté par les autorités. Il affirme aussi que la SAR a également commis une erreur en omettant de prendre en compte le fait que les discours haineux contre les alévis en Turquie représentent une forme de persécution.

[20]  Je ne suis pas convaincu par un bon nombre des arguments du demandeur, mais je conviens avec lui que l’omission de la SAR de prendre en compte ses éléments de preuve quant aux raisons pour lesquelles il avait cessé de pratiquer sa religion est déraisonnable. De plus, j’estime que cet élément est un aspect essentiel de sa demande d’asile et que, par conséquent, cette erreur est suffisamment grave pour justifier l’annulation de la décision.

1)  La persécution religieuse des alévis en Turquie

[21]  Le demandeur soulève trois grandes préoccupations concernant la façon dont la SAR a traité la question de la persécution religieuse des alévis en Turquie. En premier lieu, il soutient que l’appréciation effectuée par la SAR est intrinsèquement contradictoire par rapport à son appréciation de la situation générale des alévis en Turquie. En second lieu, il prétend que la SAR a omis de prendre en compte ses éléments de preuve quant aux raisons pour lesquelles il avait cessé de participer à des cérémonies religieuses et culturelles. En troisième lieu, il affirme que la SAR a commis une erreur en concluant que la discrimination religieuse n’équivalait pas à de la persécution.

a)  Cohérence interne et discrimination religieuse en général

[22]  Le demandeur prétend que la décision est intrinsèquement contradictoire parce que la SAR a conclu que la constitution turque garantit la liberté de religion et que le demandeur peut « pratiquer librement sa religion alévie » en dépit du fait qu’elle a souligné que les alévis sont victimes de discrimination et font l’objet de nombreuses restrictions en ce qui concerne leurs pratiques religieuses et leurs lieux de culte qui ne visent pas les autres religions (décision de la SAR aux para 24, 25 et 27). Le demandeur affirme que cette conclusion est contredite par les éléments de preuve objectifs sur la situation dans le pays, selon lesquels les alévis ne sont pas reconnus comme un groupe religieux distinct, leurs lieux de culte ne sont pas admissibles aux avantages juridiques et financiers, et il y a de plus en plus de préjugés et d’actes de violence envers les alévis.

[23]  Je ne suis pas d’avis que la décision de la SAR est intrinsèquement contradictoire en ce qui a trait à son analyse de la persécution religieuse en général en Turquie. Dès le début de l’analyse, la SAR cite correctement le droit quant à la question de savoir si des incidents de discrimination équivalent à de la persécution aux fins du droit relatif aux réfugiés. La SAR a souligné que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination peut être difficile à tracer, que la persécution est définie comme une violation systémique des droits fondamentaux de la personne et que le fait d’infliger de façon successive ou sans relâche des traitements cruels, un préjudice ou des ennuis peut constituer de la persécution. Elle a renvoyé au Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide), selon lequel les mesures discriminatoires peuvent équivaloir à de la persécution lorsqu’elles ont des conséquences gravement préjudiciables, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous. Le Guide prévoit aussi que la persécution comprend une situation qui engendre un sentiment d’appréhension et d’insécurité quant à son propre sort dans l’esprit du demandeur d’asile, et qu’il faut tenir compte de la nature cumulative de cette conduite (décision de la SAR aux para 11 et 12).

[24]  La SAR a ensuite appliqué ce cadre juridique aux éléments de preuve dont elle disposait. Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’analyse de la SAR ne contient pas de contradiction. Les éléments de preuve montraient l’existence d’une discrimination contre les alévis en Turquie, mais, à la lumière des éléments de preuve figurant dans le dossier et après avoir appliqué le critère juridique pour apprécier la question de savoir si la discrimination équivalait à de la persécution, la SAR a conclu que ce n’était pas le cas.

[25]  Le demandeur s’oppose aussi à la déclaration de la SAR selon laquelle il peut « pratiquer librement sa religion alévie en Turquie » (décision de la SAR au para 27), et au fait que celle-ci s’appuie sur le fait que la constitution turque protège la liberté de religion. Aucun de ces éléments ne permet d’annuler la décision. L’analyse doit être lue dans son ensemble, ce qui, en l’espèce, montre que la SAR était sensible à la nature comme à l’ampleur de la discrimination à l’endroit des alévis en Turquie, ainsi qu’au cadre juridique qu’il faut appliquer à l’appréciation de la question de savoir si la discrimination équivalait à de la persécution.

b)  L’omission de la SAR d’analyser les raisons pour lesquelles le demandeur a cessé de pratiquer sa religion

[26]  Le deuxième argument du demandeur sur la question engendre une préoccupation plus grave à l’égard de la décision. Le demandeur affirme que la décision de la SAR est déraisonnable parce qu’elle a omis de prendre en compte ses éléments de preuve selon lesquels il avait cessé de pratiquer sa religion étant donné qu’il craignait d’être persécuté par la police. Dans l’exposé circonstancié qui accompagnait son formulaire Fondement de la demande d’asile, le demandeur énonce ses raisons de manière assez détaillée :

[traduction]

Le gouvernement tolérait auparavant les activités culturelles et religieuses alévies, et j’ai souvent assisté à de telles activités à Samandağ quand j’étais plus jeune. Toutefois, après que Recep Tayyip Erdoğan eut accédé à la présidence en 2014, il a annoncé que ces alévis n’existaient pas. Cette déclaration était un message clair que la secte alévie ne serait plus considérée comme légitime et que nos activités religieuses et culturelles ne seraient plus tolérées.

Même si des alévis ont continué de se réunir en secret pour pratiquer des rites culturels et religieux, j’ai cessé d’assister aux activités parce que la communauté alévie faisait l’objet d’une surveillance constante, et que j’avais peur d’être pris pour cible si j’y participais. Après 2014, la police turque, qui est très majoritairement sunnite, a souvent mené des enquêtes à Samandağ pour trouver des personnes qui, d’après elle, participaient à des rassemblements alévis afin de les amener au poste pour les interroger et exiger qu’elles cessent de prendre part à des rassemblements alévis.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  La SAR a pris note de cette déclaration, mais a conclu que la seule interaction que le demandeur avait eue avec la police s’était produite dans le contexte de ses études universitaires. Le demandeur affirme qu’un étudiant sunnite, qui avait des liens étroits avec les autorités, avait fait une déposition à la police à la suite d’un échange acrimonieux entre eux. Il prétend que la police l’a contacté et lui a demandé de se présenter au poste, mais que, sur les conseils d’un autre étudiant alévi qui avait affirmé avoir été maltraité par la police pendant un interrogatoire, il a changé la carte SIM de son téléphone et ne s’est pas présenté. La SAR a pris en compte cet incident et a conclu, de manière plus générale, que le demandeur n’avait pas été persécuté par la police.

[28]  Le problème en ce qui concerne l’analyse de la SAR à cet égard tient au fait qu’elle confond deux allégations de persécution ou de crainte de persécution distinctes et sans lien l’une avec l’autre formulées par le demandeur. L’interaction avec la police dans la foulée de la plainte déposée par l’étudiant se rapportait à l’argument du demandeur selon lequel il avait été persécuté pendant ses études. Par ailleurs, les éléments de preuve fournis par le demandeur de façon plus générale concernant la surveillance exercée par la police à l’égard des alévis et la détention de certains d’entre eux dans la ville où il résidait se rapportaient à son affirmation selon laquelle il craignait d’être persécuté à cause de ses origines alévies.

[29]  Ces éléments de preuve étaient directement liés à un élément essentiel de sa demande d’asile. Le demandeur a affirmé qu’il pratiquait sa religion, mais qu’il avait cessé parce que la communauté alévie à Samandağ [traduction] « faisait l’objet d’une surveillance constante » et qu’il avait [traduction] « peur » d’être [traduction] « pris pour cible ». Il a étayé son allégation en signalant que la police surveillait les rassemblements religieux et culturels alévis et avait effectué des enquêtes pour trouver des personnes qui, d’après elle, participaient à ces rassemblements pour les amener au poste en vue de les interroger et exiger qu’elles ne participent plus aux rassemblements religieux alévis.

[30]  La SAR a convenu avec le demandeur que la SPR avait commis une erreur en n’analysant pas son allégation de persécution en fonction de sa religion. Toutefois, lorsqu’elle a analysé cet aspect de la demande d’asile du demandeur, la SAR n’a pas examiné ses éléments de preuve quant aux raisons pour lesquelles il avait cessé d’assister aux services religieux. Il convient de noter que la SAR n’a pas conclu que le demandeur n’était pas crédible, et qu’elle n’a pas non plus analysé en quoi ses éléments de preuve quant aux raisons pour lesquelles il craignait d’être persécuté correspondaient (ou ne correspondaient pas) aux éléments de preuve sur la situation dans le pays.

[31]  Si l’on y ajoute foi, la conduite des autorités pourrait suffire pour démontrer le type de persécution religieuse qui a été jugé comme constituant le fondement d’une demande d’asile valide. La jurisprudence confirme que la persécution peut prendre diverses formes. De plus, même si une religion n’est pas expressément interdite dans un pays, le fait de forcer ses adhérents à entrer dans la clandestinité pour cacher la pratique de leur religion peut équivaloir à de la persécution (voir Gur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 992; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1198 aux para 19 et 20; et, plus récemment, Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 907).

[32]  À la lumière de ce qui précède, il est difficile de savoir ce que la SAR voulait dire quand elle a affirmé : « [c]ela dit, rien n’empêche l’appelant de pratiquer sa religion » (décision de la SAR au para 25). Si la SAR a conclu que les éléments de preuve du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il craignait d’être persécuté n’étaient pas crédibles, elle devait l’affirmer et expliquer pourquoi elle en était arrivée à cette conclusion. Si, en revanche, la SAR voulait dire que la conduite, en soi, ne pouvait pas équivaloir à de la persécution, c’est tout simplement faux. Plus tôt dans cette partie de son analyse, la SAR affirme : « [l]a preuve documentaire au dossier n’établit pas que l’appelant, en raison de sa foi alévie, doit abandonner ou cacher ses croyances profondes ou y renoncer, ou cesser d’exercer ses droits fondamentaux pour éviter la persécution en Turquie » (décision de la SAR au para 23). Ce renvoi aux éléments de preuve documentaire peut être comparé avec l’absence de renvoi aux éléments de preuve précis du demandeur sur cet aspect. Rien n’indique dans la décision que la SAR a pondéré l’exposé circonstancié du demandeur dans l’analyse.

[33]  J’estime que l’omission de la SAR d’aborder cet aspect précis de la demande d’asile du demandeur est suffisamment grave pour rendre la décision déraisonnable, selon les indications données dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 100. La demande d’asile du demandeur a pour unique fondement une crainte de persécution parce qu’il appartient à la minorité alévie. La pratique de sa religion représente un élément essentiel de l’identité du demandeur, et le fait qu’il n’ait pas été arrêté ou interrogé par la police n’élimine pas la possibilité qu’il puisse raisonnablement avoir craint d’être persécuté pour cette raison. De plus, le fait que le demandeur était pratiquant, mais qu’un bon nombre d’alévis en Turquie ne le sont pas n’est pas pertinent. Le demandeur a affirmé clairement qu’il avait cessé de pratiquer sa religion, et il a expliqué pourquoi il craignait d’être persécuté sur la foi de la conduite de la police dans la ville où il résidait. La SAR devait aborder cette allégation précise, et des renvois de nature générale quant à la situation des alévis ne peuvent pas remplacer cette analyse.

[34]  J’estime que l’omission équivaut à une erreur susceptible de contrôle. À la lumière du fait que la présente affaire sera renvoyée à un autre décideur, j’examinerai les autres observations formulées par le demandeur afin d’expliquer pourquoi je ne crois pas qu’elles rendent la décision de la SAR déraisonnable.

c)  L’analyse de la SAR sur la question de savoir si la discrimination religieuse équivaut à de la persécution

[35]  À ce sujet, le demandeur prétend que la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve sur la situation dans le pays qu’il a présentés, a omis de prendre en considération le fait que les discours haineux contre les alévis peuvent constituer de la persécution et a accordé trop de poids au rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni.

[36]  La pondération des éléments de preuve et la prise en compte des documents relatifs à la situation dans le pays sont au cœur du rôle et de l’expertise de la SAR, et le demandeur n’a pas démontré que cet aspect de la décision de la SAR était déraisonnable. La décision de la SAR reflète une appréciation équilibrée des éléments de preuve, même si elle ne fait pas mention de chaque document précis figurant dans le dossier. Ce n’est pas une situation où la décision de la SAR traduit une vision à sens unique des éléments de preuve documentaire, non plus que celle-ci a laissé de côté d’importants éléments de preuve contradictoires sur la situation dans le pays à l’époque pertinente.

[37]  Le demandeur soutient que la SAR a aussi commis une erreur en omettant de prendre en compte les discours haineux tenus contre les alévis en Turquie en tant que forme de persécution. Il affirme que le droit a reconnu que les discours haineux sont une forme de persécution (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 aux para 147 et 148) et que les éléments de preuve font ressortir des cas clairs de discours haineux contre les alévis en Turquie. Je ne suis pas convaincu par cet argument. Bien qu’il y ait des éléments de preuve de commentaires négatifs formulés contre les alévis, le demandeur n’a pas démontré que ces commentaires étaient si graves ou précis et si étendus dans le temps qu’ils correspondent au type de conduite qui serait considérée comme constituant de la persécution. La décision de la SAR n’est pas déraisonnable sur cet aspect.

[38]  Je ne suis pas non plus convaincu que la SAR a commis une erreur en se fondant sur le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni. La SAR a renvoyé à ce rapport dans l’extrait suivant au paragraphe 40 de sa décision :

Même si les documents sur les conditions dans le pays qui figurent au dossier font état d’incidents de violence isolés contre des alévis, dans l’ensemble, les éléments de preuve à cet égard sont bien résumés dans le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni sur les alévis en Turquie, selon lequel de tels incidents [traduction] « sont rares et la plupart des alévis cohabitent avec les autres communautés sans trop de problèmes au quotidien » et, [traduction] « même lorsqu’ils sont pris cumulativement, les traitements que subissent les alévis n’équivalent généralement pas à de la persécution ou à un préjudice grave dont ils seraient victimes de la part d’acteurs non étatiques ou des autorités ».

[Renvois omis.]

[39]  Le demandeur soutient que la SAR a commis deux erreurs. Il affirme que la SAR a fait plus que simplement se fonder sur le résumé des éléments de preuve dans le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni parce qu’elle a fait siennes ses conclusions juridiques quant à la question de savoir si la discrimination équivalait à de la persécution. Il prétend qu’il s’agit d’une erreur parce que le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni reflète une norme juridique différente de celle qui s’applique en droit canadien. De plus, le demandeur prétend que la SAR n’a pas tenu compte des documents sur la situation dans le pays qu’il a présentés et qui montrent que les alévis sont persécutés en Turquie et qu’il est exposé à davantage qu’une simple possibilité d’être persécuté en tant qu’alévi.

[40]  La SAR a renvoyé au rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni tôt dans son analyse de la question de savoir si le demandeur était exposé à un risque prospectif de persécution en tant qu’alévi en Turquie. Après avoir cité le rapport, la SAR a examiné d’autres éléments de preuve documentaire, y compris des renseignements plus récents sur la situation changeante en Turquie et les éléments de preuve selon lesquels certains dirigeants et activistes alévis avaient été pris pour cible. Elle a ensuite conclu au paragraphe 43 :

À la lumière des incidents mentionnés précédemment et du témoignage de l’appelant, je conclus que les actes, considérés cumulativement, n’établissent pas que l’appelant a été victime de persécution ni qu’il risque sérieusement d’être persécuté en Turquie à l’avenir en raison de sa religion, de son origine ethnique ou de ses opinions politiques présumées. Il ne s’agissait pas d’actes persistants et répétés qui lui ont causé de graves préjudices physiques ou psychologiques, ou qui l’ont privé de ses droits fondamentaux. […] À mon avis, l’appelant peut vivre sa vie en Turquie, particulièrement dans la ville d’où il vient, en grande partie libre de toute contrainte quotidienne, même s’il est à l’occasion victime de traitements discriminatoires et de harcèlement. Considérés ensemble, les actes ne sont pas d’une gravité telle que le statut de réfugié devrait être accordé à l’appelant.

[41]  Cette analyse montre que la SAR a pris en compte tous les éléments de preuve figurant dans le dossier, et non pas simplement le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni. Elle montre aussi que la SAR n’a pas tiré ses conclusions en fonction de l’analyse dans le rapport, mais plutôt qu’elle a appliqué le bon critère juridique aux éléments de preuve dont elle disposait. C’est ce qu’elle devait faire selon la norme de la décision raisonnable, et je ne relève aucune erreur à cet égard dans la décision de la SAR.

2)  Autres allégations de discrimination

[42]  De plus, le demandeur prétend que l’analyse effectuée par la SAR à l’égard de ses allégations de mauvais traitement à l’université, dans l’armée et à son lieu de travail est déraisonnable. La SAR a conclu que la violence verbale dont le demandeur avait été victime à l’université était inacceptable et discriminatoire, mais que celui-ci avait pu avoir accès à des établissements d’enseignement qui sont normalement accessibles aux citoyens turcs, et que les commentaires n’équivalaient pas à de la persécution. Parallèlement, la SAR a conclu que le demandeur avait reconnu avoir enfreint une règle militaire et qu’il n’avait pas établi qu’il avait été traité différemment des autres soldats pour cette raison. Elle a conclu que « [l]’explication de l’appelant sur l’inégalité de traitement à son endroit [était] trop vague pour être fiable; de plus, étant donné qu’il reconnaît avoir enfreint une règle militaire, sa punition n’était pas sévère » (décision de la SAR au para 21).

[43]  L’argument du demandeur se rapportant aux conclusions tirées par la SAR quant à son emploi se rapporte essentiellement à la question de l’équité procédurale et est analysé plus en détail ci-après. En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision, je conclus que l’analyse de la SAR aborde les éléments de preuve présentés par le demandeur et explique pourquoi elle ne les trouve pas convaincants. La SAR a conclu que la preuve du demandeur au sujet de ses antécédents de travail et ses allégations de mauvais traitements à son lieu de travail n’étaient pas crédibles. Cette conclusion repose sur son appréciation des documents présentés par le demandeur (qui sont examinés plus en détail ci-après) et son examen de son témoignage. La SAR a reconnu que le demandeur a peut‑être été victime de violence verbale et d’une différence de traitement à son lieu de travail, mais que cela n’équivalait pas à de la persécution. À la lumière des éléments de preuve selon lesquels il avait trouvé un emploi en Turquie et que d’autres membres de sa famille avaient un travail ou exploitaient des entreprises florissantes, la SAR a conclu que son identité alévie n’empêcherait pas le demandeur de travailler en Turquie. Cette conclusion est appuyée par les éléments de preuve.

[44]  Enfin, l’analyse de la SAR sur l’effet cumulatif de la discrimination qu’a subie le demandeur dans les domaines de l’éducation et de l’emploi en Turquie est assez succincte, mais n’en indique pas moins que la SAR a examiné la question et qu’à la lumière de ses conclusions antérieures sur les allégations précises formulées par le demandeur, il n’était pas nécessaire qu’elle s’y attarde.

[45]  Conformément à l’arrêt Vavilov, pour qu’une décision soit raisonnable, le décideur doit appliquer le droit aux faits de l’espèce, à la lumière des éléments de preuve présentés ou des allégations précises formulées par la personne visée; il doit aussi expliquer son raisonnement au regard des principaux éléments de preuve, à la lumière des questions que soulève l’affaire. C’est ce que la SAR a fait en l’espèce, et je ne trouve pas matière à conclure que sa décision est déraisonnable.

B.  Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[46]  Le demandeur soutient qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale parce que la SAR a tiré des conclusions supplémentaires quant à la crédibilité sans lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations particulières. Cet argument se rapporte à deux conclusions de la SAR en ce qui concerne les antécédents d’études et de travail du demandeur.

[47]  En premier lieu, le demandeur souligne la conclusion de la SAR selon laquelle son affirmation voulant qu’il eût abandonné ses études à l’Université Cumhuriyet n’était pas crédible parce qu’elle ne concorde pas avec les renseignements que le demandeur a inscrits sur sa demande de visa. La SAR a souligné qu’il était inscrit sur la demande de visa que le demandeur avait fréquenté l’Université Cumhuriyet de juin 2004 à mai 2006. Elle a conclu qu’il était peu probable que le demandeur ait eu quelque raison que ce soit de mentir au sujet de ces détails parce qu’il avait un parcours scolaire important en raison des études qu’il avait menées en Ukraine, et qu’« [i]l [était] peu probable que les chances d’obtenir un visa d’étudiant au Canada dépendaient des études incomplètes à l’Université Cumhuriyet » (décision de la SAR au para 15). Suivant cette contradiction, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas abandonné ses études à l’Université Cumhuriyet ainsi qu’il l’avait allégué.

[48]  Le demandeur prétend que la SPR n’a pas tiré une telle conclusion et qu’il n’avait aucune raison de croire que ce fait serait contesté. Il affirme que la SAR a manqué à l’équité procédurale parce qu’elle ne lui a pas donné la possibilité d’expliquer qu’il craignait d’être enrôlé dans les Forces armées turques s’il perdait son statut d’étudiant, de sorte qu’il l’avait conservé en dépit du fait qu’il avait en fait quitté l’Université Cumhuriyet ainsi qu’il l’avait déclaré dans son formulaire Fondement de la demande d’asile.

[49]  En second lieu, le demandeur soutient que les conclusions de la SAR au sujet de ses antécédents de travail fondées sur une prétendue contradiction entre ses formulaires Annexe A « Antécédents / Déclaration » qu’il avait produits pour sa demande de visa et présentés à la SAR étaient injustes parce qu’il n’a jamais su qu’il y avait la moindre préoccupation quant aux différences relevées sur les formulaires.

[50]  La préoccupation a trait à la prétendue difficulté du demandeur à trouver du travail. Le demandeur affirme que la SPR a minimisé les obstacles qu’il a rencontrés en interprétant incorrectement ses éléments de preuve. Il avait allégué qu’il était sans emploi de février à juin 2014, en renvoyant à son formulaire Annexe A, sur lequel est inscrit [traduction] « S/O » là où il était censé énumérer ses employeurs pour indiquer qu’il était sans travail pendant cette période. La SPR a conclu que le demandeur travaillait chez Detay Laboratories pendant cette période, et le demandeur a soutenu devant la SAR que « [l]’erreur de la SPR donne l’impression que [j’ai] occupé des emplois consécutifs en Turquie plutôt qu’un seul emploi, dans lequel [j’ai] été soumis à des conditions de travail abusives » (décision de la SAR au para 31).

[51]  La SAR a rejeté l’argument du demandeur et a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation des éléments de preuve parce que la preuve du demandeur n’était pas crédible. Elle a examiné le formulaire Annexe A figurant dans le Dossier certifié du tribunal, a conclu qu’il était conforme aux conclusions de la SPR et a plus particulièrement conclu que [traduction] « S/O » n’était pas inscrit à l’endroit prévu pour la liste des employeurs sur le formulaire Annexe A. La SAR a affirmé que « [l]a version du formulaire Annexe A qui figure dans le dossier de l’appelant n’est pas celle qui se trouve dans le dossier de la SPR. […] La version à laquelle renvoie l’appelant, qui figure dans son dossier d’appel, n’est pas le formulaire Annexe A officiel versé au dossier » (décision de la SAR au para 33).

[52]  Le demandeur soutient que la SAR a manqué à l’équité procédurale en omettant de l’informer de sa préoccupation particulière, ce qui équivaut à lui refuser la possibilité de fournir une explication. Il soutient qu’il n’y a pas de différence importante entre les deux formulaires Annexe A. Il affirme qu’un agent d’immigration lui a donné instruction d’écrire une traduction du nom Detay Laboratories dans la case sous celui-ci, ce qu’il a fait, et que la SAR a mal interprété cet élément comme étant une différence importante entre les deux formulaires.

[53]  Je ne suis pas convaincu qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale à cet égard. Comme il a déjà été mentionné, à ce sujet, la Cour doit examiner les circonstances dans leur ensemble et déterminer « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique au para 54). Cela comprend la question de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il avait eu une possibilité complète et équitable d’y répondre.

[54]  Le demandeur fait judicieusement remarquer que la Cour a déjà statué que la SAR ne peut pas tirer des conclusions indépendantes quant à la crédibilité et à la vraisemblance à l’endroit d’un demandeur à l’égard de nouvelles questions de fond sans les exposer au demandeur et sans lui donner la possibilité de formuler des observations à leur sujet (Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 aux para 21 à 24 [Kwakwa]; Xu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 639 aux para 33 et 46 [Xu]). Il importe toutefois de prêter attention aux limites qui ont été établies à cet égard. Au paragraphe 24 de la décision Kwakwa, le juge Denis Gascon a résumé la jurisprudence en ces termes :

[L]a SAR est habilitée à tirer de façon indépendante des conclusions défavorables sur la crédibilité d’un demandeur, sans les lui exposer et sans lui donner la possibilité de formuler des observations, mais cela vaut seulement pour les situations où la SAR n’a pas ignoré les éléments de preuve contradictoires déposés au dossier ou tiré des conclusions supplémentaires au sujet d’éléments que le demandeur ignorait.

[55]  Au paragraphe 33 de la décision Xu, le juge John Norris a confirmé que la question clé était celle de savoir si la SAR avait tranché l’appel pour « un motif qui ne peut raisonnablement être considéré comme découlant des questions en litige formulées par les parties ». Si la SAR se contente de confirmer les conclusions de la SPR en fonction de l’information que le demandeur connaissait dans le dossier, mais que la SPR n’avait pas expressément traitée, il n’y aura pas de manquement à l’équité procédurale (Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 au para 31; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 868 aux para 23 à 27).

[56]  En l’espèce, le demandeur savait que ses antécédents de travail étaient contestés parce que la SPR les avait expressément traités. La SPR a aussi cité expressément le formulaire Annexe A du demandeur en tirant ses conclusions. Les observations écrites formulées par le demandeur à la SAR aux fins de l’appel abordent aussi la question des versions différentes du formulaire Annexe A. Étant donné que le demandeur connaissait les deux formulaires et savait que les annotations manuscrites dans la version figurant dans le dossier soulèveraient manifestement des doutes potentiels, il faut conclure que le demandeur connaissait bel et bien la préoccupation et avait eu la possibilité de l’aborder. Par conséquent, je ne relève aucun manquement à l’équité procédurale se rapportant aux antécédents de travail du demandeur.

[57]  De la même façon, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité se rapportant à l’allégation du demandeur voulant qu’il ait été forcé d’abandonner ses études à l’Université Cumhuriyet. Elle a aussi conclu que, même si elle acceptait les raisons qu’il avait données pour avoir quitté l’université, la discrimination qu’il prétend avoir subie n’équivalait pas à de la persécution (décision de la SPR aux para 10 et 11). Le demandeur, par conséquent, savait que la crédibilité de ses allégations quant à l’abandon de ses études universitaires et ses expériences dans l’armée constituaient un élément important de son appel. Le demandeur a aussi abordé ces conclusions dans les observations écrites qu’il a présentées à la SAR.

[58]  Je conclus que la SAR n’est pas à blâmer pour avoir comparé les documents que le demandeur a produits en ce qui concerne son parcours éducationnel, y compris sa demande de visa. Il s’agissait d’information présentée par le demandeur, et elle se rapportait à une question qu’il savait que la SAR examinerait. Comme dans la décision Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300 au para 15, je conclus que « [l]e fait, donc, d’avoir relevé un élément de preuve qui figurait au dossier, mais qui semble avoir échappé à la SPR, et d’en avoir tiré une inférence négative sur le plan de la crédibilité du demandeur sans donner à ce dernier l’occasion de s’expliquer, ne saurait être reproché à la SAR dans l’état actuel de la jurisprudence de la Cour puisque la crédibilité du demandeur se présentait comme la question centrale de l’appel logé par le demandeur ».

[59]  Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que la SAR a privé le demandeur du droit à l’équité procédurale. À la lumière du dossier, et des questions qui ont été soulevées dans le cadre de l’appel devant la SAR, je conclus que le demandeur connaissait la preuve à réfuter et qu’il a eu la possibilité d’y répondre.

IV.  Conclusion

[60]  Pour tous les motifs énoncés précédemment, j’accueille la présente demande parce que la SAR a omis d’examiner des éléments de preuve se rapportant à un aspect essentiel de sa demande d’asile. L’omission par la SAR d’expliquer comment elle avait examiné les éléments de preuve du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il avait cessé de pratiquer sa religion constitue une erreur suffisamment grave pour justifier l’annulation de la décision.

[61]  Comme je l’ai affirmé précédemment, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR est déraisonnable sur la foi des autres arguments avancés par le demandeur.

[62]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAR est annulée. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvel examen conformément aux présents motifs.

[63]  Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et je conviens qu’aucune n’est soulevée au vu des faits de l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2885-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2885-19

INTITULÉ :

ALI CANSEL AKCAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 décembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 2 octobre 2020

COMPARUTIONS :

Jared Will

POUR LE DEMANDEUR

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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