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Date : 20200930


Dossier : T‑562‑19

Référence : 2020 CF 942

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

DANA ROBINSON

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Dana Robinson, est un pêcheur titulaire d’un permis de propriétaire‑exploitant qui l’autorise à pêcher le homard en Nouvelle‑Écosse. Il demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 mars 2019 par le sous‑ministre [SM] du ministère des Pêches et des Océans du Canada [MPO], qui a rejeté sa demande d’autorisation en vue de continuer à recourir à un exploitant substitut pour des raisons médicales [ESM] pour son permis de pêche au homard [la décision].

[2]  L’autorisation visant le recours à un ESM a pour but de permettre à une autre personne d’exercer les activités autorisées au titre d’un permis de pêche lorsque la maladie empêche le titulaire du permis d’exploiter personnellement un bateau de pêche. Dans la décision, le SM a rejeté la demande de M. Robinson, au motif que la période en question dépassait la limite de cinq ans pour recourir à un ESM, établie au paragraphe 11(11) de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada – 1996 [la Politique de 1996]. Le SM a conclu que les circonstances invoquées par M. Robinson pour appuyer sa demande d’exception à la politique en question ne constituaient pas des circonstances atténuantes justifiant une exception.

[3]  L’avis de demande de M. Robinson, qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire, visait à obtenir plusieurs réparations, notamment :

  1. une ordonnance annulant la décision, au motif qu’elle est incorrecte ou déraisonnable;

  2. une déclaration selon laquelle la décision est discriminatoire et contraire au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (RU), 1982, c 11 [la Loi constitutionnelle de 1982];

  3. une déclaration selon laquelle la décision est discriminatoire et contraire à la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées [la Convention];

  4. une déclaration selon laquelle la limite de cinq ans prévue au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte;

  5. une déclaration selon laquelle tout pouvoir discrétionnaire délégué par le ministre des Pêches et des Océans [le ministre] au SM en matière de délivrance de permis est assujetti au paragraphe 15(1) de la Charte.

[4]  La présente demande a été plaidée le 10 septembre 2020 par vidéoconférence à l’aide de la plateforme Zoom, en même temps qu’une demande liée au dossier de la Cour no T56319, une affaire dans laquelle une autre demanderesse, la succession de feu M. Lester Martell, soulevait essentiellement les mêmes arguments à l’égard de la décision du SM de rejeter la demande d’autorisation de M. Martell en vue de continuer à recourir à un ESM pour exploiter son propre permis de pêche au homard [la demande de M. Martell]. Les demandeurs dans les deux affaires sont représentés par le même avocat.

[5]  Comme je l’explique plus en détail cidessous, la présente demande sera accueillie, parce que j’ai conclu que, bien que la décision ait mis en cause les droits à l’égalité de M. Robinson en tant que personne ayant une déficience physique au titre du paragraphe 15(1) de la Charte, le SM n’a pas tenu compte de ces droits en rendant la décision. La décision sera donc annulée, et l’affaire sera renvoyée au décideur pour qu’il rende une nouvelle décision, conformément aux présents motifs. Je n’acquiescerai pas à la demande de M. Robinson visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que, aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, la limite de cinq ans prévue au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte et est inopérante. J’ai conclu que la Politique de 1996 n’était pas une loi ou une règle de droit, ce qui est requis pour en contester la constitutionnalité au titre de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

II.  Contexte

A.  Contexte factuel

[6]  M. Robinson est pêcheur et il l’a été pendant toute sa vie active. Il avait 58 ans lorsqu’il a déposé la présente demande. Le permis visé par la présente demande [le permis] l’autorise à pêcher le homard sur la côte sudouest de la NouvelleÉcosse, dans un secteur appelé la zone de pêche du homard 35 [la ZPH 35]. M. Robinson détient le permis depuis 2007; il l’a exploité personnellement et a pêché à temps plein jusqu’à ce qu’un problème de santé l’en empêche.

[7]  En 2009, M. Robinson a commencé à avoir des problèmes aux jambes. Selon les rapports médicaux, M. Robinson souffre d’insuffisance veineuse et éprouve des douleurs aux jambes lorsqu’il se tient debout. À cause de son état de santé, il lui est impossible de se tenir debout pendant plus de quelques heures sans souffrir d’enflure et de douleur pulsatile dans les jambes. Il a subi un traitement médical, mais son problème persiste. En raison de son état, il est incapable de satisfaire aux exigences physiques quotidiennes associées à l’exploitation à temps plein de son bateau de pêche.

[8]  Par conséquent, M. Robinson a demandé au MPO une autorisation de recourir à un ESM, autorisation qui lui a été accordée. Par la suite, le MPO a continué d’autoriser un tel recours jusqu’à ce que surviennent les faits (expliqués cidessous) qui ont donné lieu à la présente demande. La légitimité de l’état de santé de M. Robinson et l’incapacité qui en découle ne sont pas en cause dans la présente demande.

[9]  Dans son affidavit qui accompagne la présente demande, M. Robinson déclare avoir conservé le plein contrôle des activités réalisées sur son bateau, en plus de gérer l’exploitant substitut et ses autres employés et de prendre la plupart des décisions opérationnelles liées à son bateau de pêche, y compris la négociation du prix des prises au quai, l’organisation des achats d’appâts et de carburant ainsi que la gestion des affaires financières liées à l’exploitation de pêche. Il emploie trois membres d’équipage saisonniers à temps plein pour l’aider à pêcher, soit deux matelots de pont et un capitaine (c.‑à‑d. l’ESM) qui opère son bateau.

[10]  En octobre 2015, M. Robinson a reçu une lettre du MPO l’informant que sa dernière demande d’autorisation visant le recours à un ESM avait été approuvée jusqu’au 31 juillet 2016, mais que la durée de l’approbation s’étendait audelà de la période maximale de cinq ans prévue au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996. Cette lettre l’avisait que les demandes ultérieures visant le recours à un ESM ne seraient plus approuvées.

[11]  Je souligne que la saison de pêche au homard dans la ZPH 35 est une saison fractionnée qui couvre deux périodes, soit du 15 octobre au 31 décembre d’une année et du 1er mars au 31 juillet de l’année suivante. Les parties reconnaissent que la nomenclature applicable est telle que, par exemple, la « saison de pêche de 2021 » s’étend du 15 octobre au 31 décembre 2020 et du 1er mars au 31 juillet 2021.

[12]  En octobre 2016, M. Robinson a interjeté appel de la décision d’octobre 2015 devant le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis pour les Maritimes [le CRADP]. En mars 2017, il a reçu une lettre du CRADP l’informant que sa demande d’exemption à la politique et de recours à un ESM pour la saison en cours (c.‑à‑d. la saison se terminant le 31 juillet 2017) avait été approuvée. Toutefois, la lettre l’avisait du rejet de sa demande d’exemption de la politique au‑delà de la saison en cours.

[13]  M. Robinson a interjeté appel de la décision du CRADP auprès de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique [l’OAPPA] afin d’obtenir l’autorisation de continuer à recourir à un ESM, et ce, sans date de fin. Il a invoqué un certain nombre de motifs pour contester le refus du MPO, notamment le fait que la limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996 et la décision du CRADP rendue au titre de cette politique étaient arbitraires, injustes et inconstitutionnelles, car elles violaient son droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte.

[14]  Le 6 mars 2019, dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire et sur la recommandation de l’OAPPA et du MPO, le SM a rejeté l’appel de M. Robinson. Cette décision renvoie au paragraphe 23(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/9353 [le Règlement], pris sous le régime de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F14 [la Loi], et au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996. Dans la décision, le SM souligne que M. Robinson a soulevé des difficultés financières et mentionné son plan de relève, comme étant des circonstances justifiant une exception à la période maximale de cinq ans prévue dans la Politique de 1996, et conclut que de telles circonstances ne constituent pas des circonstances atténuantes justifiant une exception. La décision ne fait pas expressément référence aux arguments relatifs à la Charte soulevés par M. Robinson.

[15]  Je remarque que, tout au long de la procédure judiciaire qui a suivi, le MPO a continué d’autoriser M. Robinson à avoir recours à un ESM pour pêcher conformément à son permis, jusqu’à la saison de pêche se terminant le 31 juillet 2019. Le MPO n’a pas fourni une telle autorisation audelà de cette date, et M. Robinson a demandé à la Cour une mesure interlocutoire en attendant l’issue de sa demande de contrôle judiciaire. Le 28 juin 2019, le juge Gascon a prononcé une injonction exigeant que le MPO autorise M. Robinson à avoir recours à un ESM pour le reste de la période de pêche dans la ZPH 35 durant l’année civile 2019 (c.àd. du 15 octobre au 31 décembre 2019), à moins que la présente demande ne soit tranchée avant la fin de la période en question (voir Robinson c Canada (Procureur général), 2019 CF 876 [l’injonction de la décision Robinson]).

B.  La politique sur les propriétaires‑exploitants et la politique sur la séparation de la flottille du MPO

[16]  L’obligation pour M. Robinson d’obtenir une autorisation visant le recours à un ESM découle de ce que le MPO appelle sa politique sur les propriétaires‑exploitants et, de façon générale, sa politique sur la séparation de la flottille. Dans le cadre de la présente demande, le MPO a déposé un affidavit de Morley Knight, qui était sousministre adjoint, Politiques des pêches, du MPO avant sa retraite, en décembre 2017. M. Knight a expliqué les politiques en question et les raisons de leur élaboration.

[17]  En ce qui concerne la politique sur la séparation de la flottille, M. Knight a expliqué que, en raison de la participation accrue aux activités de pêche canadienne à la fin des années 1970, une préoccupation est apparue quant au risque que les entreprises de transformation du poisson prennent le contrôle du secteur de la capture côtière, ce qui risquait de réduire le nombre de titulaires de permis indépendants et de diminuer les retombées des ressources halieutiques dans les collectivités locales. Pour dissiper cette préoccupation, le MPO a adopté la politique de la séparation de la flottille, qui a séparé les intérêts du secteur de la capture de ceux du secteur de la transformation. Le MPO a cessé de délivrer de nouveaux permis de pêche de la flottille côtière à des sociétés de transformation afin de promouvoir le contrôle de ces permis de pêche aux résidents et aux exploitants des collectivités côtières locales. Ces éléments stratégiques sont intégrés dans la Politique de 1996.

[18]  La politique sur les propriétaires‑exploitants a été mise en œuvre pour atteindre des objectifs similaires. Dans l’injonction de la décision Robinson, le juge Gascon décrit l’historique et les principales caractéristiques de cette initiative stratégique. Comme je ne crois pas que le contexte de cette politique prête à controverse entre les parties, j’emprunte en grande partie de la décision du juge Gascon dans mon résumé de la politique sur les propriétaires‑exploitants cidessous.

[19]  La politique sur les propriétaires‑exploitants a été officiellement adoptée en 1989 dans l’ensemble de la flottille côtière de l’Est du Canada, et ses principaux éléments ont par la suite été intégrés dans la Politique de 1996. Comme il est déclaré dans l’affidavit de M. Knight, l’objectif de la politique est d’assurer la viabilité économique de la pêche côtière, en donnant le contrôle des permis aux propriétairesexploitants indépendants dans les petites collectivités côtières et en leur permettant de prendre des décisions à l’égard des permis qui leur sont délivrés. À cette fin, la politique sur les propriétaires‑exploitants exige que les titulaires de permis exploitent personnellement le permis délivré à leur nom, ce qui signifie que le titulaire du permis doit être à bord du bateau autorisé à pêcher aux termes du permis.

[20]  Le paragraphe 23(2) du Règlement établit une exception à cette exigence. Il prévoit que, lorsque le titulaire d’un permis ou l’exploitant sont dans l’impossibilité de se livrer à l’activité autorisée par le permis en raison de « circonstances indépendantes de leur volonté », un agent des pêches ou un employé du MPO chargé de délivrer des permis peut autoriser une autre personne (c.àd. un exploitant substitut) à pratiquer cette activité. Les « circonstances indépendantes de la volonté » du titulaire d’un permis ou de l’exploitant ne sont pas définies dans le Règlement.

[21]  Au fil du temps, le MPO a élaboré des lignes directrices concernant les situations qui peuvent être considérées comme des circonstances indépendantes de la volonté du titulaire d’un permis. Faisant écho au libellé du Règlement, le paragraphe 11(10) de la Politique de 1996 est ainsi libellé :

(10) Tel qu’énoncé dans le Règlement de pêche (dispositions générales), si, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, le titulaire d’un permis ou l’exploitant désigné dans le permis sont dans l’impossibilité de se livrer à l’activité autorisée par le permis ou d’utiliser le bateau indiqué sur le permis, un agent des pêches ou tout autre employé autorisé du Ministère peut, à la demande du titulaire ou de son mandataire, autoriser par écrit une autre personne à pratiquer cette activité en vertu du permis ou autoriser l’emploi d’un autre bateau.

(10) As provided under the Fishery (General Regulations, where, because of circumstances beyond his control, the holder of a licence or the operator named in a licence is unable to engage in the activity authorized by the licence or is unable to use the vessel specified in the licence, a fishery officer or other authorized employee of the Department may, on the request of the licence holder or his agent, authorize in writing another person to carry out the activity under the licence or authorize the use of another vessel under the licence.

[22]  Le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 fournit des directives supplémentaires dans les situations où le titulaire d’un permis invoque la maladie comme circonstance indépendante de sa volonté. Aux termes de cette disposition, la Politique de 1996 limite la désignation d’un exploitant substitut à une période totale de cinq ans lorsque les circonstances indépendantes de la volonté du titulaire d’un permis sont de nature médicale. Le paragraphe 11(11) est ainsi libellé :

(11) Si le titulaire d’un permis est affecté d’une maladie qui l’empêche d’exploiter son bateau de pêche, il peut être autorisé, sur demande et présentation de documents médicaux appropriés, à désigner un exploitant substitut pour la durée du permis. Cette désignation ne peut être supérieure à une période de cinq années.

(11) Where the holder of a licence is affected by an illness which prevents him from operating a fishing vessel, upon request and upon provision of acceptable medical documentation to support his request, he may be permitted to designate a substitute operator for the term of the licence. Such designation may not exceed a total period of five years.

[23]  En réaction au ralentissement économique mondial de 2008, le MPO a assoupli l’application de la limite de cinq ans prévue au paragraphe 11(11), dans l’espoir d’améliorer le soutien économique à l’industrie. En 2015, le MPO a recommencé à appliquer la limite de cinq ans, en réaction aux préoccupations soulevées par certains titulaires de permis ainsi que leurs représentants selon lesquelles des titulaires de permis abusaient de la désignation d’exploitant substitut offerte par le MPO, au détriment des objectifs de la politique sur les propriétaires‑exploitants et de la politique sur la séparation de la flottille. Les titulaires de permis qui avaient atteint ou dépassé la limite de cinq ans ont été avisés qu’ils avaient atteint la limite de temps prévue par la politique et que d’autres prolongations seraient uniquement accordées au cas par cas.

III.  Questions en litige

[24]  Le mémoire des faits et du droit du demandeur déposé dans le cadre de la présente demande formule ainsi les questions que la Cour doit trancher :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision étaitelle correcte ou raisonnable (selon la norme de contrôle choisie)?

  3. Le SM atil donné des motifs suffisants pour justifier la décision?

  4. La limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996 estelle discriminatoire et inopérante du fait qu’elle contrevient à la Charte?

  5. La décision et/ou la Politique de 1996 sont‑elles conformes à la Convention?

[25]  J’ajouterais à cette liste une question préliminaire soulevée par le défendeur, le procureur général du Canada, quant à savoir si la demande est théorique, parce que l’injonction prononcée par le juge Gascon a effectivement accordé à M. Robinson la réparation qu’il cherche à obtenir relativement à la décision.

IV.  Analyse

A.  La présente demande de contrôle judiciaire est‑elle théorique?

[26]  Le procureur général soutient que, puisque l’injonction de la décision Robinson a accordé à M. Robinson le droit d’avoir recours à un ESM jusqu’à la fin de 2019, il a déjà obtenu la réparation demandée dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision. Cette observation repose en grande partie sur la nature des permis de pêche et le régime législatif qui régit leur délivrance.

[27]  L’article 7 de la Loi accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire absolu de délivrer des permis de pêche. Aux termes de l’article 10 du Règlement, un « document » (ce qui inclut un permis) délivré pour une année civile ou un exercice donné expire à la fin de l’année ou de l’exercice en question. L’article 16 du Règlement porte qu’un permis appartient à la Couronne et est incessible et que la délivrance d’un permis à une personne ne confère aucun droit ou privilège futur quant à l’obtention d’un permis du même type.

[28]  Sous la rubrique « Conditions des permis », l’article 22 du Règlement autorise le ministre, pour assurer une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, à préciser les conditions des permis. Le paragraphe 23(2) du Règlement, qui confère le pouvoir réglementaire d’autoriser le recours à un ESM, tombe sous la même rubrique du Règlement. Je crois comprendre que le procureur général a fait valoir que l’autorisation visant le recours à un ESM constitue une condition rattachée à un permis, ce que j’accepte.

[29]  Cependant, à l’appui de sa position selon laquelle la demande de contrôle judiciaire de M. Robinson est maintenant théorique, le procureur général soutient également que, si la Cour rendait une décision concernant une période qui s’étend audelà du 31 décembre 2019 (c.àd. audelà de la durée de l’injonction de la décision Robinson), elle entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer ou non un permis (assorti de conditions) à M. Robinson pour une telle période.

[30]  Je ne souscris pas à cette position. Je n’accepte pas non plus la proposition selon laquelle : a) l’injonction de la décision Robinson a accordé à M. Robinson la réparation qu’il demande dans la présente demande, ou celle selon laquelle b) la Cour ne peut pas accorder à M. Robinson une telle réparation sans entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[31]  Comme il est expliqué dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, à la p 353, une procédure est théorique lorsqu’une décision de la cour n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Alors, sous réserve d’un pouvoir discrétionnaire résiduel, le tribunal refusera de juger l’affaire.

[32]  Dans la présente affaire, la position défendue par M. Robinson devant l’OAPPA (et donc devant le SM) incluait l’argument selon lequel la décision d’imposer une limite temporelle à son recours à un ESM était arbitraire et violait ses droits à l’égalité, au titre du paragraphe 15(1) de la Charte, en tant que personne ayant une déficience. Cet argument ne se limitait pas à une saison de pêche précise. Je ne peux pas conclure que l’injonction de la décision Robinson a accordé à M. Robinson la réparation qu’il a demandée et qu’il n’y a plus de litige entre les parties.

[33]  En tranchant ainsi, je suis conscient des points soulevés par le procureur général au sujet de la nature des permis de pêche et de leur durée limitée. En fait, le procureur général a soulevé ces points dans le cadre de l’injonction de la décision Robinson devant le juge Gascon, qui les a pris en considération au moment d’élaborer sa mesure injonctive précise (aux para 39‑46). Le juge Gascon a convenu avec le procureur général que la Cour ne pouvait pas imposer de réparation relativement à une autorisation visant le recours à un ESM, ce qui signifierait implicitement ou exigerait le renouvellement du permis de M. Robinson audelà de 2019. L’octroi d’une injonction interlocutoire, qui forcerait la délivrance d’une autorisation visant le recours à un ESM pour une période durant laquelle M. Robinson ne possède pas encore de permis, constituerait une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[34]  Cependant, le juge Gascon a également souligné que M. Robinson ne demandait pas à la Cour d’ordonner la délivrance ou le renouvellement de son permis audelà de l’année civile 2019, tout comme il ne cherchait pas à obtenir une décision à l’égard du permis en tant que tel. Les réparations demandées ne concernaient que l’autorisation visant le recours à un ESM associée au permis (au para 44). Par conséquent, le juge Gascon a ordonné au MPO d’accorder à M. Robinson une autorisation visant le recours à un ESM jusqu’à la fin de l’année civile 2019.

[35]  Les motifs du juge Gascon fournissent une analyse utile de l’application des principes soulevés par le procureur général à la réparation interlocutoire demandée à la Cour à ce moment‑là. Ces arguments sont potentiellement pertinents pour le fond de la demande et seront examinés plus en détail plus loin dans les présents motifs. Cependant, ces arguments n’appuient pas la conclusion selon laquelle il n’y a plus de litige actuel entre les parties, ce qui rendrait la demande de contrôle judiciaire théorique.

B.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[36]  Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle que la Cour doit appliquer pour le contrôle de la décision. Le procureur général estime que la norme de la décision raisonnable s’applique. À cet égard, il s’appuie sur l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré], dans lequel la Cour suprême du Canada a établi une distinction entre les situations où une cour de révision examine la décision d’un tribunal administratif quant à la constitutionnalité d’une loi, où la norme de contrôle est la décision correcte (au para 43), et les situations où la Cour doit déterminer si un tribunal a tenu compte suffisamment des valeurs consacrées par la Charte au moment de rendre une décision, auquel cas la norme de la décision raisonnable s’applique (aux para 43‑58).

[37]  Dans le deuxième type de situations, le décideur doit procéder à une analyse de la proportionnalité en tenant compte de la façon dont la valeur en jeu consacrée par la Charte sera le mieux protégée, compte tenu des objectifs de la loi, en mettant en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte et les objectifs de la loi. La cour de révision doit à son tour examiner le caractère raisonnable d’une telle mise en balance (aux para 56‑58).

[38]  Le procureur général fait valoir que la contestation de la décision par M. Robinson relève de la deuxième catégorie, ce qui exige un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il fait également remarquer que, dans le récent arrêt de principe sur la norme de contrôle, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a expressément déclaré qu’elle ne remplaçait pas la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Doré (Vavilov au para 57).

[39]  En revanche, M. Robinson soutient que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle de la décision par la Cour. Il s’appuie sur l’arrêt Canadian Broadcasting Corporation v Ferrier, 2019 ONCA 1025 [Ferrier], dans lequel la Cour d’appel de l’Ontario s’est appuyée sur les arrêts Doré et Vavilov pour conclure que, en cas de refus ou d’échec d’un décideur administratif de tenir compte d’un droit applicable au titre de la Charte, il faut appliquer la norme de la décision correcte (aux para 34‑38) :

[traduction]

34  Si le décideur administratif tient compte des droits garantis par la Charte, la norme de la décision raisonnable s’appliquera habituellement. Dans l’arrêt Doré, le Conseil de discipline du Barreau du Québec a examiné et rejeté l’argument selon lequel le Code de déontologie des avocats, qui exige que les avocats fassent preuve « d’objectivité, de modération et de dignité », portait atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte. De même, dans l’arrêt Episcopal Corporation of the Diocese of Alexandria‑Cornwall v Cornwall Public Inquiry, 2007 ONCA 20, 278 DLR (4th) 550, le commissaire d’enquête a examiné le critère de Dagenais/Mentuck et rejeté l’argument selon lequel il devait émettre une ordonnance de non‑publication concernant un auteur allégué d’acte répréhensible. Dans les deux cas, la norme de la décision raisonnable a été appliquée lorsque les décisions ont été contestées.

35  Par ailleurs, le refus ou le défaut de tenir compte d’un droit garanti par la Charte devrait, selon moi, faire intervenir la norme de la décision correcte. Comme la Cour suprême l’a expliqué dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 60, citant l’arrêt Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77 au para 62 : « dans le cas d’une question de droit générale “à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre” […] », des réponses « uniforme[s] et cohérente[s] » sont requises. Voir aussi l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c University of Calgary, 2016 CSC 53, [2016] 2 RCS 555, aux para 20‑21. Cette position est confirmée dans l’arrêt Vavilov, au para 17 : « [L]a présomption d’application de la norme de la décision raisonnable est réfutée [lorsque] la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs ».

36  Le droit à la liberté d’expression et à la liberté de la presse garanti par l’alinéa 2b) de la Charte sur lequel s’appuient les appelants est à la fois une question d’importance capitale pour le système juridique et une question constitutionnelle. Comme la Cour suprême l’a confirmé dans l’arrêt Vavilov, au para 53, l’application de la norme de la décision correcte aux « questions constitutionnelles, [aux] questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble […] s’accorde avec le rôle unique du pouvoir judiciaire dans l’interprétation de la Constitution, et fait en sorte que les cours de justice ont le dernier mot sur des questions à l’égard desquelles la primauté du droit exige une cohérence et une réponse décisive et définitive s’impose ».

37  La question dont était saisi le décideur était de savoir si le critère de Dagenais/Mentuck avait une incidence sur la décision discrétionnaire qu’il devait rendre. Ce n’est pas la même chose que la question soulevée dans les arrêts Doré et Episcopal quant à la façon dont le droit garanti par l’alinéa 2b) de la Charte a influé sur la décision discrétionnaire qu’il fallait rendre. Le décideur n’est pas arrivé au point où il devait tenir compte du critère de Dagenais/Mentuck dans sa décision discrétionnaire, parce qu’il a décidé que ce critère ne s’appliquait pas. La norme de la décision raisonnable suppose un éventail d’issues possibles qui sont toutes défendables en droit : voir l’arrêt Vavilov, au paragraphe 83. Cette norme n’est pas appropriée en l’espèce. Le critère de Dagenais/Mentuck s’appliquait ou ne s’appliquait pas.

38  Je renvoie ici à un passage de l’arrêt Episcopal qui, selon moi, a une incidence directe sur la présente question. Dans cette affaire, le commissaire d’enquête a appliqué le critère de Dagenais/Mentuck lorsqu’il a refusé d’ordonner une audience à huis clos. La Cour a conclu que sa décision était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, parce qu’elle tenait compte de l’incidence du droit garanti par la Charte sur la décision qu’il devait rendre. Cependant, nous avons souligné au para 36, que, dans l’affaire Dagenais, le juge qui a rendu la décision contestée n’avait pas connaissance du nouveau critère qui avait été établi lorsque l’affaire avait été portée devant la Cour suprême, ce qui signifie que son « défaut d’en arriver à un résultat qui pourrait être appuyé par le nouveau critère […] constitu[ait] une erreur de droit » susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. C’est la même chose en l’espèce. Comme je l’expliquerai, le décideur n’a pas bénéficié du jugement de la Cour dans l’arrêt Langenfeld v Toronto Police Services Board, 2019 ONCA 716, 437 DLR (4th) 614, un précédent qui a une incidence directe sur la décision discrétionnaire qu’on lui avait demandé de rendre.

[40]  Comme il est expliqué plus en détail ailleurs dans l’arrêt Ferrier (au para 15), le critère de Dagenais/Mentuck est un critère applicable aux décisions discrétionnaires qui limitent la liberté de presse dans le cadre de procédures judiciaires. La question dont la Cour d’appel de l’Ontario était saisie dans l’affaire Ferrier, un appel d’une décision de la Cour divisionnaire, était de savoir si la Commission des services policiers de Thunder Bay [la Commission] avait fait défaut de respecter le droit à la liberté d’expression, garanti par l’alinéa 2b) de la Charte, en omettant d’exiger une audience publique pour examiner une plainte d’inconduite policière. Examinant la question selon la norme de la décision correcte que, selon elle, elle devait appliquer, la Cour d’appel a conclu que le décideur n’avait pas commis d’erreur en jugeant que le critère de Dagenais/Mentuck ne s’appliquait pas à la décision de tenir ou non une audience publique (au para 52). Cependant, la Cour a tout de même accueilli l’appel et annulé la décision de la Commission, au motif que cette dernière n’avait pas tenu compte de la jurisprudence récente confirmant que l’alinéa 2b) de la Charte protégeait le droit du public d’assister aux réunions des commissions des services policiers (aux para 53‑59).

[41]  M. Robinson s’appuie sur l’analyse de la norme de contrôle dans l’arrêt Ferrier, parce qu’une de ses principales observations en contestant la décision tenait au fait que le SM avait complètement omis ou refusé de tenir compte de ses droits au titre du paragraphe 15(1) de la Charte. Il fait valoir que de telles circonstances justifient un contrôle selon le critère de la décision correcte. Le procureur général conteste cette caractérisation de la décision. Il fait valoir que les droits à l’égalité prévus au paragraphe 15(1) ne sont pas mis en jeu par la décision et, subsidiairement, il soutient que le dossier révèle que la décision tenait implicitement compte de ces droits et constituait une mise en balance proportionnée des droits en question et des objectifs de la loi, comme l’exige un contrôle selon la norme de la décision raisonnable aux termes de l’arrêt Doré.

[42]  Je reviendrai bientôt sur les façons différentes dont les parties caractérisent la décision et sur la question de savoir si la décision tenait implicitement compte des valeurs de la Charte. En ce qui concerne la norme de contrôle, j’accepte le fait que l’arrêt Ferrier appuie la position de M. Robinson selon laquelle la question de savoir si un droit garanti par la Charte a une incidence sur une décision administrative est régie par la norme de la décision correcte. Je souligne que ce principe représente sans doute une évolution par rapport à l’arrêt Doré. Cependant, je remarque également qu’à la suite de sa conclusion selon laquelle l’alinéa 2b) de la Charte s’appliquait à la question dont la Commission était saisie dans cette affaire, la Cour a ajouté ce qui suit au paragraphe 60 de l’arrêt Ferrier :

[traduction]

60  Bien que je tire cette conclusion selon la norme de la décision correcte, j’ajoute que, même si la norme de la décision raisonnable s’appliquait, je ne vois pas de quelle façon une décision qui découle d’un refus ou d’un défaut inexpliqué de tenir compte d’un droit applicable au titre de la Charte pourrait être considérée comme raisonnable. L’application par la Cour de l’alinéa 2b) dans l’arrêt Langenfeld signifie que, sans que ce soit la faute du décideur, la décision ordonnant une audience à huis clos n’a pas tenu compte d’un droit applicable protégé par la Charte. Cette décision ne peut résister à un contrôle selon le critère du caractère raisonnable établi dans l’arrêt Vavilov. La norme de la décision raisonnable exige « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [que la décision soit] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Une décision qui ne tient pas compte d’un droit garanti par la Charte ne peut satisfaire à cette norme ni au « principe suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public doit être justifié, intelligible et transparent » (Vavilov au para 95).

[43]  Selon ce raisonnement, auquel je souscris, la décision démontrera une erreur susceptible de contrôle si le SM a omis, sans explication, de tenir compte d’un droit applicable au titre de la Charte, et ce, peu importe la norme de contrôle applicable. Comme il a été mentionné précédemment, les parties ne s’entendent pas sur les questions de savoir a) si le paragraphe 15(1) de la Charte s’applique dans le contexte de la décision et b) si les droits garantis par le paragraphe 15(1) ont bel et bien été pris en considération. Je passe donc à l’examen de ces questions, au cours duquel je reviendrai sur l’application de la norme de contrôle.

C.  La décision était‑elle correcte ou raisonnable?

(1)  La jurisprudence applicable

[44]  Les parties s’entendent essentiellement sur les principes jurisprudentiels qui régissent l’application de la Charte aux décisions administratives. Faisant référence à l’arrêt Doré et aux jugements subséquents de la Cour suprême dans les arrêts École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 [Loyola], Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 [LSBC], et Trinity Western University c Barreau du Haut‑Canada, 2018 CSC 33, le procureur général admet qu’il faut exercer les pouvoirs délégués par la loi à l’aune des garanties constitutionnelles et des valeurs qu’elles comportent. Comme il a été mentionné dans l’arrêt LSBC, le cadre prescrit dans les arrêts Doré et Loyola pour l’examen d’un tel processus décisionnel vise à assurer que les protections conférées par la Charte sont respectées le plus possible, compte tenu des objectifs de la loi dans un contexte administratif particulier (au para 57).

[45]  Autrement dit, les protections conférées par la Charte doivent être touchées le moins possible, compte tenu des objectifs législatifs applicables. Ce principe ne signifie pas que le décideur administratif doit choisir la possibilité qui restreint le moins la protection conférée par la Charte; cependant, si le décideur rejette une possibilité ou une solution dont il disposait raisonnablement et qui était susceptible de réduire l’incidence sur le droit protégé, tout en lui permettant de favoriser suffisamment la réalisation des objectifs pertinents, la décision ne se situera pas à l’intérieur d’une gamme d’issues raisonnables du contrôle judiciaire (voir LSBC aux para 80‑81).

[46]  Cependant, le procureur général souligne que la mise en balance proportionnée exigée dans les arrêts Doré et Loyola n’entre en ligne de compte que si la Charte s’applique à la décision. Comme il est expliqué dans l’arrêt LSBC, il y a une question préliminaire qui se pose, soit de savoir si la décision administrative fait intervenir la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière (au para 58). M. Robinson soutient que la présente affaire fait intervenir la Charte. Pour établir l’application de la Charte, il s’appuie sur le critère de la violation à première vue du paragraphe 15(1), comme il est expliqué dans l’arrêt Québec (Procureur général) c Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17 [Alliance]. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de savoir si des dispositions législatives précises étaient inconstitutionnelles et a décrit le critère lié au paragraphe 15(1) comme comportant deux étapes : dans un premier temps, il faut déterminer si la loi contestée crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et, dans l’affirmative, si la loi impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (au para 25).

[47]  Je souligne que le procureur général a renvoyé la Cour à l’arrêt Law c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497, qui décrit une liste de facteurs contextuels dont une telle analyse doit tenir compte. Cependant, dans l’arrêt Alliance, il a été expliqué qu’il n’était ni nécessaire ni souhaitable d’appliquer un examen étape par étape de ces facteurs et que la jurisprudence récente avait refusé de le faire. L’accent est mis non pas sur la question de savoir s’il existe une attitude discriminatoire ou si une distinction perpétue une attitude négative à l’endroit d’un groupe défavorisé, mais plutôt sur l’effet discriminatoire de la distinction (au para 28).

[48]  Je conclus que le critère énoncé dans l’arrêt Alliance régit la question préliminaire de savoir si l’article 15 de la Charte s’applique à la décision. À la lumière de l’arrêt Ferrier, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à cette question.

(2)  La question de savoir si le paragraphe 15(1) de la Charte s’applique à la décision

[49]  M. Robinson soutient que la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Alliance est clairement établie. Il a une déficience physique découlant de son état de santé et il est limité par celleci. L’existence de son problème de santé n’est pas contestée. Il soutient que la décision, qui repose sur la limite de cinq ans aux autorisations visant le recours à un ESM énoncée dans la Politique de 1996, lui impose un traitement différentiel comparativement aux pêcheurs qui n’ont pas de déficience, ce qui crée une distinction fondée sur le motif énuméré de la déficience physique. M. Robinson fait valoir que les titulaires de permis qui ne souffrent pas d’un problème de santé, et qui peuvent donc mener personnellement les activités de pêche liées à leur permis, peuvent renouveler leur permis et mener les activités de pêche connexes indéfiniment tant qu’ils respectent les conditions du permis. Contrairement au traitement réservé à ce groupe, M. Robinson se voit retirer la capacité de pêcher, en raison de l’exigence d’obtenir une autorisation visant le recours à un ESM et de la décision de lui refuser une telle autorisation.

[50]  En ce qui concerne la deuxième étape du critère énoncé dans l’arrêt Alliance, M. Robinson soutient que la décision est discriminatoire, dans la mesure où elle le prive de sa capacité de gagner sa vie comme il l’entend. Il souligne qu’il est le propriétaire et l’exploitant de l’entreprise de pêche en cause, mais que, en raison de la décision, il est tenu de renoncer à son gagnepain, simplement parce qu’il est physiquement incapable de rester à bord de son bateau pendant les longues périodes comme il faut souvent le faire pour mener des activités de pêche. M. Robinson soutient que cette situation perpétue un grave désavantage pour les pêcheurs ayant une déficience physique.

[51]  En réponse, le procureur général s’appuie considérablement sur les principes qui ont déjà été examinés concernant la nature d’un permis de pêche. Il souligne que le paragraphe 15(1) de la Charte donne aux personnes le droit de bénéficier également de la loi indépendamment de toute discrimination et fait valoir que, comme M. Robinson ne cherche pas à obtenir un bénéfice de la loi, sa demande ne fait pas intervenir l’article 15. Il soutient que M. Robinson cherche à obtenir un bénéfice qui n’est accordé par la loi à personne d’autre, car aucun titulaire de permis n’a le droit légal de pêcher indéfiniment, de bénéficier d’un renouvellement de permis pour une période indéfinie ou d’obtenir une autorisation illimitée visant le recours à un ESM.

[52]  Pour appuyer sa position, le procureur général invoque l’arrêt Auton (Tutrice à l’instance de) c Colombie‑Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78 [Auton], dans lequel les requérants ont intenté une action contre la province de la ColombieBritannique, alléguant que le défaut de cette dernière de financer des traitements précis à leurs enfants autistes violait le paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour suprême a conclu que l’avantage recherché, c’estàdire le financement de tous les traitements médicalement nécessaires, n’était pas un avantage que la loi accordait à quiconque (au para 47). La Cour a conclu que le régime législatif contesté ne garantissait pas à tout Canadien un tel financement. Il prévoyait seulement le financement des services essentiels fournis par un médecin, celui des services non essentiels étant laissé à la discrétion des provinces (au para 35). Le régime législatif était un régime partiel de soins de santé. Ainsi, l’exclusion d’un service non essentiel précis ne saurait donc constituer à elle seule une distinction préjudiciable fondée sur un motif énuméré équivalant à de la discrimination (au para 43).

[53]  Au moment d’analyser ces arguments, j’ai examiné à la fois le régime législatif sous lequel la pêche canadienne est gérée et les pratiques utilisées par le MPO pour assurer une telle gestion. Le procureur général a raison de dire que le titulaire d’un permis de pêche n’a pas le droit légal d’obtenir un renouvellement de son permis à son expiration. Comme l’a expliqué la juge Strickland, au paragraphe 3 de la décision Elson c Canada (Procureur général), 2017 CF 459 [Elson CF] (conf par 2019 CAF 27 [Elson CAF]), au sujet de la Politique de 1996 :

3  Au fil des ans, le MPO a mis en œuvre diverses politiques pour encadrer la gestion des pêches. Parmi ces politiques, la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada – 1996 (« politique de 1996 »), a été révisée depuis son adoption, mais demeure en vigueur. La politique de 1996 décrit le permis de pêche comme un instrument par lequel le ministre accorde, conformément aux pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Loi sur les pêches, la permission à une personne, qui peut être une organisation autochtone, de récolter certaines espèces de poissons ou de plantes marines sous réserve des conditions du permis. Il ne s’agit absolument pas d’une permission permanente, car celle‑ci prend fin en même temps que le permis. Le titulaire du permis se voit accorder un privilège de pêche limitée et non un « droit de propriété » absolu ou permanent. De manière générale, tout permis de pêche doit être renouvelé, ou « remplacé » chaque année.

[54]  Cependant, M. Robinson fait référence à la pratique du MPO – en supposant que le titulaire de permis se conforme aux conditions établies – de délivrer de nouveau le permis au titulaire de permis chaque année, ou de délivrer un permis [traduction« de remplacement » à une autre personne admissible, à la demande du titulaire de permis. M. Knight a décrit cette pratique touchant le remplacement dans son affidavit. La pratique est également décrite dans la Politique de 1996.

[55]  À l’appui de la pratique consistant à délivrer de nouveau un permis, année après année, à un titulaire de permis donné, M. Robinson souligne l’explication de cette pratique dans le chapitre rédigé par David G Henley, « The Fishing Industry », dans Aldo Chricop et coll, éd, Canadian Maritime Law, 2e éd (Toronto : Irwin Law, 2016) 1024, aux p 10411042. Je ne crois pas que l’existence de cette pratique prête à controverse entre les parties. En effet, dans l’arrêt Saulnier c Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, la Cour suprême a reconnu que la stabilité du secteur de la pêche dépendait du renouvellement prévisible des permis par le ministre année après année (au para 14).

[56]  La question consiste à savoir si, dans un tel contexte, le traitement différentiel qui, selon M. Robinson, fait intervenir ses droits garantis par le paragraphe 15(1), comporte ce que l’on peut qualifier de négation du droit au même bénéfice de la loi. Selon moi, c’est la bonne façon de décrire la situation. M. Robinson n’a pas plus le droit de faire renouveler son permis chaque année que tout autre titulaire de permis. Bien qu’il existe une pratique établie à cet égard, le renouvellement (ou, plus précisément, la délivrance d’un nouveau permis) demeure assujetti au pouvoir discrétionnaire absolu du ministre en vertu de l’article 7 de la Loi. Cependant, si le ministre lui délivre un nouveau permis, la capacité de M. Robinson de se prévaloir des avantages découlant de cet acte légal diffère de celle des autres titulaires de permis qui n’ont pas de déficience physique découlant d’un problème de santé. M. Robinson ne peut pas pêcher sans bénéficier d’une condition de permis précise, c’est‑à‑dire l’autorisation visant le recours à un ESM. Par conséquent, la décision de refuser de lui accorder une telle autorisation fait nécessairement intervenir ses droits garantis par le paragraphe 15(1), en tant que personne ayant une déficience physique.

[57]  J’accepte les observations de M. Robinson concernant les deux étapes du critère établi dans l’arrêt Alliance. La situation est différente de celle dont il était question dans l’arrêt Auton, où les requérants demandaient un avantage que la loi n’offrait pas. La loi accorde des bénéfices aux pêcheurs, une fois qu’ils ont obtenu un permis, et la gestion des bénéfices qui découlent des permis doit être conforme aux valeurs de la Charte.

(3)  La question de savoir si, dans sa décision, le décideur a omis ou refusé de tenir compte des droits garantis par la Charte à M. Robinson

[58]  Je passe donc à l’argument du procureur général selon lequel, dans sa décision, le SM a effectivement tenu compte des droits de M. Robinson garantis par le paragraphe 15(1). Je ne crois pas que le procureur général soutienne que le SM, l’OAPPA ou le MPO, en formulant des recommandations au SM, ont expressément effectué une analyse fondée sur la Charte, soit relativement à la question préliminaire envisagée dans l’arrêt Alliance, soit relativement à la mise en balance proportionnée exigée dans l’arrêt Doré. Le procureur général s’appuie plutôt sur l’explication donnée dans l’arrêt LSBC, selon laquelle une décision administrative n’a pas à fournir de motifs écrits afin d’expliquer les raisons pour lesquelles elle constituait une mise en balance proportionnée des droits en cause garantis par la Charte et des objectifs de la loi, à condition qu’elle démontre que le décideur était conscient de l’équilibre qu’il fallait établir (au para 55). Dans l’arrêt LSBC, la Cour suprême a conclu, à la lumière du dossier, que le décideur était conscient de cette question et, par conséquent, a examiné la question de savoir si ce dernier avait raisonnablement réalisé la mise en balance requise (au para 56).

[59]  Par conséquent, pour répondre à l’argument du procureur général, la question que je dois maintenant examiner consiste à savoir si le dossier démontre que le sousministre était conscient du besoin de procéder à la mise en balance des droits garantis par l’article 15 de la Charte à M. Robinson et des objectifs de la loi pertinents. Comme cette analyse permettra à la Cour d’apprécier si le SM a omis ou non de tenir compte des droits garantis par la Charte à M. Robinson, il faut répondre à cette question selon la norme de la décision correcte (suivant l’arrêt Ferrier). Ce n’est que si je conclus que le SM était conscient de cette question que l’analyse cédera le pas à une appréciation de la mise en balance proportionnée, qui, elle, doit être réalisée selon la norme de la décision raisonnable (suivant l’arrêt Doré).

[60]  Bien que je n’apprécie pas le caractère raisonnable d’une mise en balance à cette étape de mes motifs, il est important d’établir ce que sous‑entend une telle mise en balance pour déterminer si la décision affiche les caractéristiques d’un tel exercice et démontre donc que le SM était conscient de la question liée à la Charte. Comme l’a souligné le procureur général dans ses observations écrites, à l’étape de la mise en balance proportionnée d’une analyse fondée sur la Charte, le décideur doit tenir compte des objectifs de la loi sous le régime de laquelle il agit, se demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte, compte tenu des objectifs du gouvernement, et procéder à une mise en balance de la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte et des objectifs que vise la loi (voir Doré aux para 55 et 56).

[61]  À l’appui de sa position selon laquelle la décision reflète l’analyse requise relativement à la Charte, le procureur général soutient que la disposition sur le recours à un ESM est ellemême une mesure d’adaptation ainsi qu’une exception à la politique du propriétaire‑exploitant, qui, autrement, exige que les titulaires de permis pêchent personnellement en leur nom. Il fait valoir qu’une autorisation de recourir à un ESM vise à tenir compte des différences de capacité, afin d’assurer une véritable et substantielle égalité. Par conséquent, il soutient que tout examen visant à déterminer si une personne peut avoir recours à un ESM – que ce soit dans une demande initiale ou afin d’obtenir une exception à la limite de cinq ans – tient nécessairement compte de la substance du droit à l’égalité au moment d’apprécier des considérations concurrentes.

[62]  Le procureur général fait en outre valoir que la limite de cinq ans imposée au recours à un ESM est un outil important pour promouvoir les objectifs des politiques du MPO. Notamment, elle vise à dissuader les titulaires de permis non admissibles à contourner les politiques et, plus particulièrement, l’exigence selon laquelle un titulaire de permis doit pêcher au titre de son permis, ce qui soutient les objectifs socioéconomiques visant à préserver l’indépendance des titulaires de permis côtiers et à offrir des avantages socioéconomiques dans leurs collectivités côtières. Le procureur général soutient qu’un recours illimité à un ESM minerait les politiques visant à atteindre ces objectifs. Il prétend que la limite de cinq ans porte minimalement atteinte aux droits garantis par la Charte des titulaires de permis et qu’elle est donc proportionnelle à ces objectifs. Il fait valoir que, en rendant la décision, le SM a implicitement prêté attention au besoin de limiter au minimum l’atteinte aux droits à l’égalité de M. Robinson.

[63]  En analysant ces arguments, je tiendrai compte à la fois de la décision même et du dossier présenté au SM, qui inclut les recommandations de l’OAPPA et du MPO. La décision a été transmise à M. Robinson sous la forme d’une lettre, signée par le SM, qui fait référence au paragraphe 23(2) du Règlement et au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996, y compris le fait que, dans certains cas, des circonstances atténuantes peuvent justifier une exception, et fournit l’analyse suivante :

[traduction]

Après avoir soigneusement examiné et pris en considération tous les renseignements pertinents relatifs à votre dossier de permis, y compris la décision régionale, les documents soumis à l’OAPPA et la recommandation de l’OAPPA, je suis d’avis que les circonstances soulevées devant l’OAPPA à l’appui de votre demande pour obtenir une autre exception à la politique, à savoir votre allégation de difficultés financières et votre plan de relève, ne constituent pas des circonstances atténuantes justifiant une exception à la politique.

[64]  La lettre se termine en mentionnant que le SM a décidé de rejeter la demande de M. Robinson visant à obtenir une autre exception à la politique et que, par conséquent, sa demande de recours à un ESM ne sera pas approuvée.

[65]  Comme il a été mentionné précédemment, la lettre ne mentionne aucunement les droits garantis par la Charte à M. Robinson ni les arguments connexes. De toute évidence, les motifs qui y sont énoncés sont très brefs. M. Robinson est d’avis que les recommandations de l’OAPPA et du MPO, qui faisaient partie de la documentation présentée au SM, ne font pas partie des motifs de la décision. Je ne suis pas d’accord avec lui. Dans les cas où le dossier présenté au décideur inclut des recommandations qui fournissent une analyse du cas et qui sont effectivement adoptées par le décideur, une telle documentation peut aider à comprendre le raisonnement du décideur (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [NLNU] au para 15; Elson CAF au para 54). Je suis donc prêt à examiner les recommandations de l’OAPPA et du MPO pour déterminer si, de pair avec la décision en tant que telle, elles appuient la position du procureur général selon laquelle la décision a tenu compte des droits garantis par la Charte à M. Robinson.

[66]  La recommandation de l’OAPPA se trouve dans un document intitulé [traduction« Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (région des Maritimes) — Résumé de cas et recommandation » [la recommandation de l’OAPPA]. Ce document ainsi que les observations écrites des avocats de M. Robinson à l’appui de l’appel montrent que M. Robinson a présenté ses arguments fondés sur la Charte relativement à la Politique de 1996 et à la décision même. Les sections de la recommandation de l’OAPPA intitulées [traduction« Délibérations » et [traduction« Recommandation et justification » démontrent que, en ce qui concerne l’allégation de M. Robinson selon laquelle la Politique de 1996 violait son droit à l’égalité garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte, l’OAPPA a conclu que l’examen de cette question ne relevait pas de son mandat et a donc choisi de ne pas formuler de recommandation à ce sujet.

[67]  Le procureur général soutient que cet aspect du dossier démontre que l’OAPPA a refusé de se pencher sur la question de la constitutionnalité de la Politique de 1996, mais ne reflète pas un manque d’attention aux droits garantis par la Charte à M. Robinson en lien avec la décision même. Comme les paragraphes pertinents de la recommandation de l’OAPPA font expressément référence à l’argument concernant la Politique de 1996, je suis prêt à accepter cette observation et à examiner la question de savoir si, par ailleurs, le document démontre une attention portée aux valeurs consacrées par la Charte.

[68]  Je remarque que la section [traduction« Délibérations » mentionne qu’un membre de l’OAPPA a souligné que la période de cinq ans était une période raisonnable pour prendre d’autres arrangements, ainsi que l’expression d’une préoccupation selon laquelle la capacité d’avoir recours à un ESM ne devrait pas être illimitée, sinon il pourrait y avoir des abus. La section [traduction« Recommandation et justification » mentionne également une constatation de l’OAPPA selon laquelle toute autre exception à la politique pour M. Robinson ne permettrait pas d’atteindre l’objectif stratégique d’appuyer la flottille des pêcheurs‑propriétaires indépendants, ainsi qu’une conclusion selon laquelle une période de cinq ans est un délai raisonnable pour qu’un titulaire du permis incapable de l’exploiter personnellement puisse prendre d’autres arrangements.

[69]  La recommandation du MPO au SM se trouve dans un document intitulé [traduction« Note de service à l’intention du sous‑ministre » [la recommandation du MPO]. Le document résume le contexte de la décision que le SM doit rendre, y compris les recommandations de l’OAPPA. Il souligne la conclusion de l’OAPPA portant qu’il n’était pas de son ressort de formuler une recommandation au sujet de l’allégation selon laquelle la Politique de 1996 violait les droits de M. Robinson garantis par le paragraphe 15(1). Sous la rubrique [traduction« Considérations stratégiques », la recommandation du MPO renvoie à son intention déclarée d’inscrire les politiques côtières dans la réglementation et les efforts concomitants pour renforcer l’application des dispositions relatives aux exploitants substituts dans toutes les régions. Partant de cela, le MPO affirme qu’il n’est pas recommandé d’assouplir l’application de la durée maximale de cinq ans pour recourir à des ESM. Le MPO clôt sa recommandation en se disant d’avis que les circonstances présentées par M. Robinson ne justifient pas l’octroi d’une autre exception à la Politique de 1996, qu’il faut suivre les recommandations de l’OAPPA et qu’il convient de rejeter la demande de M. Robinson de recourir à un ESM.

[70]  Ces documents de recommandation montrent que l’objectif stratégique de soutenir une flottille de propriétairesexploitants a été pris en considération et qu’il était craint qu’un accès plus généreux aux autorisations visant le recours à un ESM entraîne des abus qui iraient à l’encontre de cet objectif. Cela fait partie des considérations stratégiques dont l’analyse fondée sur la Charte requise devrait tenir compte. Cependant, ni les documents de recommandation ni la décision ne démontrent que l’incidence de ces considérations stratégiques sur les droits à l’égalité de M. Robinson a été prise en considération. La conclusion selon laquelle une période de cinq ans est un délai raisonnable pour qu’un titulaire de permis incapable de l’exploiter personnellement prenne d’autres arrangements (c.àd. quitter le secteur de la pêche) passe à côté de l’idée de l’argument de M. Robinson fondé sur la Charte, c’estàdire que, en tant que personne ayant une déficience, il ne devrait pas être obligé de renoncer au gagne‑pain de son choix. La gravité de ce résultat et les objectifs de la politique n’ont pas été mis en balance, tout comme la question de savoir si ces objectifs pourraient raisonnablement être atteints d’une manière qui réduirait l’incidence sur les droits à l’égalité de M. Robinson n’a pas été prise en considération. Par conséquent, je ne souscris pas à la prétention du défendeur selon laquelle la décision représente un effort implicite de mise en balance des droits garantis par la Charte et des objectifs de la loi. La décision ne démontre pas que le SM était conscient de l’exigence de procéder à une telle mise en balance.

[71]  Compte tenu du dossier à l’appui de la décision, j’accepte l’observation de M. Robinson selon laquelle la situation s’apparente à celle dont il est question dans l’arrêt Ferrier, où il y a eu un refus ou un défaut de prendre en considération un droit garanti par la Charte. Avec l’arrêt Ferrier pour me guider, j’ai conclu, en appliquant la norme de la décision correcte, que les droits à l’égalité prévus au paragraphe 15(1) s’appliquaient à la décision et que ces droits n’avaient pas été pris en considération. Avec l’emploi de l’analyse subsidiaire relative à la norme de contrôle exposée dans l’arrêt Ferrier, même si la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique, une décision découlant du défaut de tenir compte des droits garantis par la Charte à M. Robinson ne peut pas être considérée comme raisonnable.

D.  Le SM a‑t‑il donné des motifs suffisants pour justifier la décision?

[72]  M. Robinson n’a pas formulé d’observations précises à ce sujet. L’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif justifiant à lui seul un contrôle judiciaire (voir NLNU au para 14). Quoi qu’il en soit, après avoir conclu ci‑dessus, à la lumière de l’examen de la décision et du dossier à l’appui, que la décision était déraisonnable, il n’est pas nécessaire d’examiner plus à fond cette question.

E.  La limite de cinq ans prévue dans la Politique de 1996 est‑elle discriminatoire et inopérante du fait qu’elle contrevient à la Charte?

[73]  M. Robinson fait valoir que la limite de cinq ans imposée au paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 est discriminatoire au titre de l’article 15 de la Charte, qu’elle ne peut être justifiée par l’article premier de la Charte et qu’elle est donc inopérante aux termes de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[74]  La principale réponse du procureur général à cet argument est que la Politique de 1996 n’est pas une loi ou une règle de droit, ce qui est requis pour en contester la constitutionnalité au titre de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le procureur général fait plutôt valoir qu’il s’agit de lignes directrices stratégiques, à caractère non obligatoire, du genre de celles que, dans la décision Elson CF, la juge Strickland (s’appuyant sur l’arrêt Maple Lodge Farms c Canada, [1982] 2 RCS 2) a décrites comme pouvant seulement faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans des circonstances limitées. La juge Strickland a déterminé que ces circonstances étaient la mauvaise foi, le non‑respect des principes de justice naturelle dont l’application est exigée par la loi ainsi que la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi (au para 50).

[75]  Les avocats de M. Robinson ont confirmé à l’audience qu’il ne cherchait pas à contester la Politique de 1996 autrement qu’au titre de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. En réponse à l’argument du procureur général selon lequel la politique n’est pas une règle de droit ou un instrument juridique, M. Robinson s’appuie sur l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants – Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31 [Fédération canadienne des étudiantes et étudiants], où la juge Deschamps a écrit ce qui suit (au para 64) :

64  La politique qui n’est pas administrative par nature et qui satisfait à certaines exigences peut constituer une « règle de droit ». Pour qu’elle soit de nature législative, la politique doit établir une norme d’application générale adoptée par une entité gouvernementale en vertu de son pouvoir de réglementation. Un tel pouvoir existe lorsque le législateur fédéral ou provincial a délégué un pouvoir à l’entité gouvernementale aux fins précisément d’adopter des règles obligatoires d’application générale établissant les droits et les obligations des personnes qui y sont assujetties (D. C. Holland et J. P. McGowan, Delegated Legislation in Canada (1989), p. 103). Point n’est besoin, pour l’application de l’article premier de la Charte, que ces règles revêtent la forme de textes réglementaires. Dans la mesure où leurs lois habilitantes permettent aux entités d’adopter des règles obligatoires, où leurs politiques établissent des droits et des obligations d’application générale plutôt que particulière et où elles sont suffisamment accessibles et précises, alors ces politiques sont réputées constituer des « règles de droit » susceptibles de restreindre un droit garanti par la Charte.

[76]  M. Robinson soutient que la Politique de 1996 est contraignante, dans la mesure où elle vise à avoir une force normative et qu’elle s’applique généralement à tous les titulaires de permis, en l’absence d’un appel accueilli. Il souligne également que la jurisprudence n’exige pas qu’il n’y ait aucune exception possible à une règle pour que celle‑ci soit obligatoire. M. Robinson s’appuie en particulier sur la décision The Christian Medical and Dental Society of Canada v College of Physicians and Surgeons of Ontario, 2018 ONSC 579 [Christian Medical], dans laquelle les demandeurs ont contesté la validité constitutionnelle – y compris au titre de l’article 15 de la Charte de deux politiques adoptées par l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario concernant la conduite de ses membres. Il souligne que la Cour a observé que les politiques n’avaient pas créé de [traduction« règles juridiquement contraignantes » (au para 64), mais qu’elle a néanmoins conclu que leur pression morale était suffisante pour faire intervenir la Charte (au para 110).

[77]  Je ne considère pas que la décision Christian Medical s’écarte des principes énoncés dans l’arrêt Fédération canadienne des étudiantes et étudiants et, plus particulièrement, du principe selon lequel une politique doit être obligatoire pour être traitée comme une règle de droit et être susceptible d’invalidation au titre de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans un premier temps, je souligne que l’application de la Charte aux politiques à l’étude dans la décision Christian Medical et leur statut jugé suffisamment précis, accessible et obligatoire pour être considérées comme des règles de droit au sens de l’article 52 ne semblent pas avoir été en litige entre les parties dans cette affaire (voir les para 28 et 136). Bien que la Cour déclare que les politiques n’établissent pas de règles de conduite professionnelle juridiquement contraignantes, ce commentaire est formulé dans le contexte de politiques ne prévoyant pas de sanction en cas de nonconformité et de l’observation de la Cour selon laquelle les politiques établissent des attentes générales à l’égard du comportement des médecins et visent à avoir une force normative (au para 64). En effet, en concluant que les politiques constituent des règles de droit, la Cour s’appuie sur les exigences énoncées dans l’arrêt Fédération canadienne des étudiantes et étudiants selon lesquelles, pour qu’une politique gouvernementale soit de nature législative, elle doit être : [traduction« autorisée par la loi [et établir] une norme générale se voulant obligatoire » (Christian Medical au para 137).

[78]  Pour ce qui est de la Politique de 1996, je souligne que M. Robinson n’a pas cerné, dans la Loi ou le Règlement, un pouvoir législatif habilitant qui permet au ministre ou au MPO d’adopter la politique comme étant des règles contraignantes. De toute évidence, les articles 22 et 23 du Règlement autorisent le ministre à imposer des conditions liées aux permis, y compris autoriser une personne autre que le titulaire de permis à exercer l’activité au titre du permis, lorsque le titulaire est incapable de le faire en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Cependant, ces articles du Règlement n’autorisent pas le ministre à établir des règles stratégiques obligatoires régissant l’exercice d’un tel pouvoir.

[79]  Cela ne veut pas dire que le ministre n’a pas le pouvoir d’adopter des politiques comme la Politique de 1996. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Elson CAF, les énoncés de politique, utilisés pour guider la prise de décisions administratives, jouent un rôle utile et important (au para 41). La Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur sa décision antérieure dans l’affaire Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 [Stemijon], qui expliquait que de telles politiques encourageaient l’application de principes uniformes et permettaient aux personnes susceptibles de faire l’objet de décisions administratives de comprendre la façon dont les pouvoirs discrétionnaires pouvaient être exercés (au para 59). Cependant, de telles politiques ne sont pas des lois et ne peuvent pas être traitées comme telles par le décideur. Comme le mentionne l’arrêt Stemijon, au paragraphe 60 :

60  Cependant, comme cela a été expliqué aux paragraphes 20 à 25 ci‑dessus, les décideurs auxquels une loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire ne peuvent en entraver l’exercice en s’appuyant exclusivement sur une politique administrative (Thamotharem, précité, au paragraphe 59; Maple Lodge Farms, précité, à la page 6; Dunsmuir, précité (tel qu’expliqué au paragraphe 24)). Une politique administrative n’est pas une loi. Elle ne peut restreindre le pouvoir discrétionnaire que la loi confère à un décideur. Elle ne peut pas modifier la loi du législateur. Une politique peut aider ou guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu d’une loi, mais elle ne peut dicter de façon obligatoire comment ce pouvoir discrétionnaire s’exerce.

[80]  Selon moi, il est clair que le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 constitue une politique administrative de cette nature. Le paragraphe 11(11) prévoit que le MPO peut autoriser la désignation d’un ESM pour la durée du permis et qu’une telle désignation ne peut dépasser une période totale de cinq ans. Cependant, de toute évidence, la limite de cinq ans n’est pas censée être contraignante. Si elle l’était, elle entrerait en conflit avec l’article 23 du Règlement, qui ne prévoit aucune limite de ce genre, et constituerait une entrave illégale au pouvoir discrétionnaire du ministre. En outre, les faits de la présente affaire appuient une telle conclusion. Avant la décision faisant l’objet du contrôle, M. Robinson avait demandé et obtenu des autorisations de recourir à un ESM qui s’étendaient audelà de la période de cinq ans, et la décision même concernait une demande visant à obtenir une telle prolongation et un examen connexe.

[81]  Enfin, je souligne que cette question a déjà été examinée par la Cour suprême de la NouvelleÉcosse dans la décision Robinson v Canada (Attorney General), 2018 NSSC 37 [Robinson NSSC]. M. Robinson a déjà demandé à la Cour suprême de la NouvelleÉcosse de déclarer que le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 était inopérant au titre de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour sa part, le procureur général a présenté une requête en jugement sommaire et soutenu que la Cour supérieure provinciale n’avait pas compétence pour examiner cette demande de réparation, puisqu’il s’agissait d’une question relevant de la compétence exclusive de la Cour fédérale. En réponse à cette requête, M. Robinson a fait valoir que les cours supérieures provinciales avaient compétence pour traiter des contestations de lois fondées sur la Charte et qu’il fallait considérer que la Politique de 1996 s’apparentait à une loi.

[82]  En accueillant la requête du procureur général, la Cour a examiné, mais rejeté les arguments de M. Robinson fondés sur l’arrêt Fédération canadienne des étudiantes et étudiants. La juge Boudreau a souligné qu’on ne lui avait fourni aucun précédent où une cour supérieure provinciale avait décidé qu’elle avait le pouvoir d’examiner une politique du gouvernement fédéral, du fait qu’elle était contraignante et donc de nature législative (au para 29). Elle a également conclu que le fait que, en raison de sa situation particulière, M. Robinson avait déjà été exempté de la limite de cinq ans pour recourir à un ESM confirmait que la politique n’était pas contraignante (aux para 31‑32).

[83]  J’accepte les observations de M. Robinson relativement à la décision Robinson NSSC selon lesquelles la décision en question a été rendue dans le contexte d’une requête et peutêtre sans le dossier de preuve dont la Cour fédérale est saisie dans le cadre de la présente demande. La décision a également été prise dans le contexte d’une question de compétence. Je ne considère donc pas la décision Robinson NSSC comme déterminante quant à la question en litige. Cependant, je remarque que les motifs de la juge Boudreau sur cette question sont conformes aux miens.

[84]  Pour conclure sur cette question, je juge que le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 n’est pas de nature législative et ne peut donc pas faire l’objet d’une contestation au titre de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

F.  La décision et/ou la Politique de 1996 respectent‑elles la Convention?

[85]  M. Robinson soutient que la décision et la Politique de 1996 doivent respecter la Convention, dont l’article premier énonce son objet ainsi :

La présente Convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.

[86]  M. Robinson présente cette question comme étant la question de savoir si la décision et la Politique de 1996 sont incompatibles avec la Convention, mais ses brèves observations sur cette question portent principalement sur la Politique de 1996. Il fait référence à l’explication formulée dans l’arrêt R c Hape, 2007 CSC 26, du principe d’interprétation législative selon lequel les tribunaux s’efforceront d’éviter une interprétation du droit interne qui emporterait la contravention de l’État à ses obligations internationales, sauf lorsque le libellé de la loi commande clairement un tel résultat (au para 53). Cependant, comme je l’ai déjà conclu, la Politique de 1996 n’est pas de nature législative, et je n’ai donc pas besoin de me pencher davantage sur cette question.

[87]  M. Robinson soutient également que, si la Cour détermine qu’il convient d’annuler la décision, elle devrait renvoyer l’affaire au décideur avec des directives selon lesquelles il faut examiner l’affaire du point de vue de la Convention. Il renvoie la Cour à l’arrêt Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982 [Pushpanathan], dans lequel la Cour suprême a ordonné qu’une affaire de protection des réfugiés soit renvoyée à ce qu’on appelait alors la Section du statut de réfugié pour un nouvel examen à la lumière des motifs de la Cour (au para 77). Ces motifs ont tenu compte de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés au moment d’interpréter la législation canadienne en matière d’immigration.

[88]  Selon moi, ces arguments ne contribuent guère au traitement de la présente affaire. L’arrêt Pushpanathan concernait une situation dans laquelle une disposition de la convention internationale pertinente avait été expressément incorporée dans la législation canadienne en matière d’immigration, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. De plus, les observations minimales de M. Robinson sur cette question ne fournissent aucune précision sur la façon dont il proposerait que les dispositions de la Convention influent sur le nouvel examen de la décision dans un contexte faisant intervenir la Charte. J’ai conclu que la décision faisait intervenir les droits à l’égalité de M. Robinson garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte. La jurisprudence canadienne fournit une orientation quant au cadre qui s’applique à la prise de décisions administratives fondées sur la Charte, et les présents motifs fournissent une orientation, dans la mesure où cela est approprié, conformément à la fonction judiciaire, relativement à l’application de ce cadre à la présente affaire.

V.  Réparation

[89]  Dans son mémoire des faits et du droit, M. Robinson précise la réparation qu’il avait revendiquée dans son avis de demande, c’est‑à‑dire qu’il demande à la Cour d’annuler la décision du SM, de déclarer inconstitutionnel le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996, d’accorder toute autre réparation que la Cour juge juste et de lui adjuger les dépens. La question des dépens sera abordée cidessous. Par ailleurs, comme j’ai rejeté l’argument selon lequel le paragraphe 11(11) était inconstitutionnel, la mesure de réparation qui reste à la disposition de M. Robinson consiste à faire annuler la décision et à renvoyer l’affaire au décideur pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs. Dans l’espoir que cela aidera à encadrer cette nouvelle décision, voici un résumé des principes clés, qui ont été énoncés plus en détail cidessus dans les présents motifs, et dont le décideur devra tenir compte.

[90]  J’ai conclu que la décision faisait intervenir les droits à l’égalité de M. Robinson garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte, en tant que personne ayant une déficience physique. Une telle conclusion oblige le décideur à réaliser l’étape de la mise en balance proportionnée de l’analyse de la Charte, dans le cadre de laquelle il tiendra compte des objectifs pertinents du gouvernement et se demandera de quelle façon la valeur de la Charte en cause peut être le mieux protégée à la lumière de ces objectifs gouvernementaux. Le décideur doit réfléchir à la façon de mettre en balance la gravité de l’atteinte à la protection de la Charte (en l’espèce, le fait que M. Robinson est tenu de renoncer au gagnepain de son choix) et de tels objectifs.

[91]  Les protections garanties par la Charte doivent être touchées le moins possible, dans les limites raisonnables, à la lumière des objectifs législatifs applicables. Cela ne signifie pas que le décideur administratif doit choisir l’option qui limite le moins la protection prévue dans la Charte; cependant, si le décideur rejette une possibilité ou une solution dont il dispose raisonnablement et qui serait susceptible de réduire l’incidence sur le droit protégé tout en lui permettant de favoriser suffisamment la réalisation des objectifs législatifs pertinents, une telle décision ne représenterait pas la mise en balance proportionnée requise.

VI.  Dépens

[92]  À l’audition de la présente affaire, les parties ont convenu de se consulter et d’aviser par la suite la Cour, avant qu’une décision soit rendue, si elles ont pu s’entendre sur le montant des dépens payables par la partie déboutée. Le procureur général a proposé que les dépens de la demande soient établis à 7 800,00 $ (montant calculé en fonction du tarif B, colonne IV), plus les débours raisonnables et prouvables. M. Robinson a mentionné qu’il acceptait la proposition du procureur général.

[93]  J’adopte cette adjudication des dépens. Mon jugement le reflétera, y compris le fait que les parties s’efforceront de s’entendre sur le montant des débours, à défaut de quoi ce montant sera taxé.


JUGEMENT dans le dossier T‑562‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie, la décision du sousministre est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision, conformément aux motifs de la Cour.

  2. Le demandeur se voit adjuger les dépens de la présente demande, établis à 7 800,00 $, plus les débours raisonnables et prouvables. Les parties s’efforceront de s’entendre sur le montant des débours, à défaut de quoi le montant sera taxé.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T56219

INTITULÉ :

DANA ROBINSON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE VIA HALIFAX (NOUVELLEÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 30 SEPTEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Richard W. Norman

Michel P. Samson

Sian Laing

POUR LE DEMANDEUR

Catherine M.G. McIntyre

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Halifax (NouvelleÉcosse)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Halifax (NouvelleÉcosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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