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Date : 20040206

Dossier : DES-2-03

Référence : 2004 CF 198

Ottawa (Ontario), le 6 février 2004

En présence de Monsieur le juge Blais

AFFAIRE CONCERNANT un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 77(1) ainsi qu'aux articles 78 et 80 de la Loi;

ET ERNST ZÜNDEL

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans le contexte de l'examen du certificat prévu au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, M. Zündel a demandé l'ajournement de l'instance en attendant qu'une décision soit rendue au sujet de l'appel qu'il avait interjeté devant la Cour d'appel fédérale contre la décision rendue par la présente cour au sujet d'une requête en communication.

[2]                L'argument sous-tendant la requête est que la divulgation est essentielle pour permettre à M. Zündel de contester le certificat de sécurité et que la présente cour a commis une erreur en ne fournissant pas de motifs suffisants pour refuser la divulgation.

[3]                Dans le cadre de ses arguments oraux, M. Peter Lindsay, qui est l'avocat de M. Zündel, a également mentionné comme motif d'ajournement le fait qu'un appel était déjà en instance devant la Cour d'appel de l'Ontario à l'égard d'une décision par laquelle la juge Benotto, de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, avait suspendu une demande en vue de l'obtention d'un bref d'habeas corpus et en vue de la contestation, sur le plan constitutionnel, de la LIPR, pour le motif que cette loi violerait les articles 7, 9, 10 et 11 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). La juge Benotto a statué qu'elle n'avait pas compétence pour entendre l'affaire étant donné que la Cour fédérale en avait déjà été saisie conformément aux articles 77 à 80 de la LIPR.

[4]                M. Zündel soutient qu'étant donné que le certificat de sécurité, une fois qu'il a été jugé raisonnable par la présente cour, devient une mesure de renvoi sans possibilité d'appel ou de contrôle judiciaire, une décision rendue au sujet du certificat avant que l'une ou l'autre cour d'appel statue sur l'affaire le prive effectivement de ses droits constitutionnels.

[5]                Selon M. Lindsay, les règles d'équité et de justice naturelle devraient contraindre la Cour à attendre qu'un autre tribunal ait statué sur les droits de M. Zündel. Monsieur Lindsay a énoncé huit raisons justifiant l'ajournement de l'audience :

1)         Si aucun ajournement n'est accordé, la chose causera à M. Zündel un préjudice et, de fait, un préjudice irréparable. La nature de la preuve invoquée à l'encontre de M. Zündel est une question faisant partie de la contestation fondée sur la Charte dont la Cour d'appel de l'Ontario a été saisie. Le caractère secret de l'information a pour effet de dénier à M. Zündel le droit de se défendre pleinement. Si l'audience se poursuit, M. Zündel ne sera pas en mesure de porter la contestation fondée sur la Charte jusqu'à la Cour suprême du Canada, comme il devrait avoir le droit de le faire.

2)         La décision relative au certificat pourrait être rendue avant même que M. Zündel ait le temps d'exercer les droits prévus par la loi concernant un appel interlocutoire contre la décision rendue par la Cour au sujet de la requête en communication. En outre, la Cour d'appel fédérale a été saisie d'une requête en suspension.

3)         L'ajournement ne causera aucun préjudice à la Couronne. Monsieur Zündel continuera à être sous garde.

4)         Monsieur Zündel est prêt à demeurer sous garde pour qu'une décision soit rendue au sujet de la contestation fondée sur la Charte et de ses droits d'appel devant la Cour fédérale.

5)         Selon l'alinéa 78c) de la LIPR, la procédure expéditive doit être subordonnée à l'équité et à la justice naturelle. Pourtant, la Couronne ne coopère pas lorsqu'il s'agit d'assurer l'équité et la justice naturelle, parce qu'elle ne consentira pas à un appel accéléré devant la Cour d'appel de l'Ontario.

6)         La décision relative à la détention, laquelle a été rendue la veille même de l'audition de la requête, est un autre facteur qui doit être pris en considération. Monsieur Zündel et son avocat ont besoin d'un certain temps pour examiner minutieusement les motifs de la décision, étant donné que la décision relative à la détention et la décision qui sera rendue au sujet du certificat sont liées l'une à l'autre.


7)         On propose l'ajournement de l'audience pour un mois ou deux, en vue de permettre aux parties de régler les questions en litige. Il sera plus facile de poursuivre l'affaire par la suite, étant donné que l'on aura une meilleure idée de l'état de l'appel et, espérons-le, qu'il y aura une meilleure coopération entre les parties.

8)         Je citerai ici directement la transcription parce que je ne sais pas exactement comment énoncer autrement ce dernier argument :

[TRADUCTION] M. LINDSAY : Le dernier des huit points porterait sur la durée du retard, d'un mois ou deux, pour essayer de voir où nous en sommes. (Transcription, page 2204)

[6]                Un peu plus loin (à la page 2213), M. Lindsay précise que l'on ne demande pas un ajournement qui durerait plusieurs années, mais plutôt quelques mois, étant donné que le retard devant la Cour d'appel serait d'environ trois mois dans le cas d'un appel accéléré.

[7]                Les ministres ont soutenu en premier lieu qu'il faut tenir compte du libellé de l'alinéa 78c) :


c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

c) the judge shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit;


[8]                L'équité et la justice naturelle ne veulent pas dire, selon les ministres, que le juge ne devrait pas tenir compte de l'obligation qui lui incombe en vertu de la loi d'agir avec célérité et d'attendre que la Cour suprême du Canada se prononce sur les questions de preuve. Cela irait tout à fait à l'encontre de l'esprit de la LIPR.

[9]                Les ministres soutiennent en outre que, quelle que soit la décision de la Cour d'appel de l'Ontario, cette décision ne lie pas la présente cour; il n'y a donc pas lieu d'attendre une décision de la Cour d'appel pour poursuivre l'examen. En outre, la Cour d'appel de l'Ontario n'a pas été saisie de la façon appropriée de l'appel de nature constitutionnelle puisque la juge Benotto ne s'est pas prononcée sur la question en première instance. Jusqu'ici, la seule question que la Cour d'appel a reconnue, selon l'ordonnance du juge Moldaver, est de savoir si la juge Benotto a commis une erreur en refusant d'exercer sa compétence.

[10]            De plus, les ministres soutiennent qu'aucun appel ne peut être interjeté devant la Cour d'appel fédérale à l'encontre de la décision rendue par la présente cour au sujet de la requête en communication. Ils fondent leur argument sur deux facteurs : en premier lieu, même si le paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale permet l'appel d'une décision interlocutoire, l'alinéa 72(2)e) de la LIPR l'interdit expressément. En second lieu, le paragraphe 80(3) prévoit que la décision rendue par le juge au sujet du certificat est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.

[11]            En réponse à ces arguments, M. Lindsay affirme que l'alinéa 72(2)e) figure dans la partie de la Loi qui porte sur le contrôle judiciaire, alors que l'examen du certificat n'est pas un contrôle judiciaire. Quant au paragraphe 80(3), M. Lindsay déclare qu'il s'applique à la détermination du caractère raisonnable du certificat plutôt qu'aux décisions rendues dans le cadre de l'examen.


[12]            Lors de l'argumentation orale, on a graduellement constaté que M. Lindsay ne demandait pas que l'affaire soit suspendue tant qu'une décision n'était pas rendue par la Cour d'appel fédérale ou par la Cour d'appel de l'Ontario, mais plutôt qu'elle soit suspendue pendant environ deux mois afin d'aider les parties à en arriver à une meilleure coopération et de voir comment évoluerait l'appel devant les deux cours.

POINT LITIGIEUX

[13]            Il s'agit uniquement de savoir si, eu égard aux circonstances, l'ajournement devrait être accordé.

ANALYSE

[14]            Je n'ai identifié qu'une seule question à trancher dans le contexte de la présente requête; toutefois, cette question soulève une question accessoire fort importante que j'examinerai directement.

[15]            Monsieur Lindsay a affirmé que si je refusais l'ajournement, je devrais expliquer pourquoi M. Zündel n'est pas autorisé à présenter une contestation fondée sur la Charte. La LIPR prévoit clairement, à l'alinéa 3(3)b), qu'elle doit être interprétée conformément à la Charte. Même en l'absence de cette disposition, il est certain que toute décision de la Cour doit être rendue conformément à la loi suprême du pays.


[16]            En rejetant la présente requête visant l'ajournement, je ne crois pas priver M. Zündel des droits qui lui sont reconnus par la Charte. Il vaut peut-être la peine de donner un bref aperçu de l'examen relatif à la détention et au certificat qui a jusqu'ici été effectué.

[17]            Le 1er mai 2003, M. Zündel a été détenu en vertu de l'article 82 de la LIPR. Moins de 48 heures plus tard, et de fait le lendemain, soit le 2 mai, j'ai tenu une conférence téléphonique avec les avocats des deux parties. Au cours de cette conférence, j'ai informé les parties que j'avais entrepris l'examen de la détention et des documents fournis par les ministres. J'ai également informé les parties que j'étais disponible pour entendre les parties au cours des deux semaines suivantes. Malheureusement, l'avocat de M. Zündel n'était disponible que pendant deux jours au cours de cette période. La première audience a eu lieu le 9 mai; M. Christie, qui agissait comme avocat de M. Zündel, m'a alors informé qu'il voulait contester, sur le plan constitutionnel, les dispositions de la Loi qui étaient en cause, à savoir les articles 77 à 83 de la LIPR.


[18]            À cause principalement de l'horaire de M. Christie, les audiences ne se sont pas déroulées d'une façon continue comme je l'aurais voulu et comme je l'avais offert. Les audiences ont plutôt eu lieu les 9 et 16 mai, 28, 29 et 30 juillet, 23 et 24 septembre, 6 et 7 novembre ainsi que les 10 et 11 décembre 2003. L'audience relative aux questions constitutionnelles devait avoir lieu les 6 et 7 novembre 2003; les deux parties avaient remis leur dossier quelques jours auparavant. Juste avant l'audience du 6 novembre, M. Christie a retiré la contestation d'ordre constitutionnel dont la présente cour était saisie.

[19]            Les 18 et 19 novembre, la juge Benotto, de la Cour supérieure de justice de l'Ontario, a entendu une requête présentée par M. Zündel visant l'obtention d'un bref d'habeas corpus et une contestation de la validité, sur le plan constitutionnel, des articles 77, 78, 80, 81, 82 et 83 de la LIPR. La juge Benotto a refusé d'exercer sa compétence et a dit, dans des remarques incidentes, que si elle s'était prononcée sur la contestation d'ordre constitutionnel, elle l'aurait jugée non fondée, compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

[20]            Il faut ici mettre l'accent sur plusieurs faits. Premièrement, la Cour n'était pas responsable du temps qu'il fallait pour se prononcer sur la détention de M. Zündel, sur laquelle était fondée la demande visant l'obtention d'un bref d'habeas corpus. L'audience a traîné pour un certain nombre de raisons, notamment parce que l'avocat de M. Zündel n'était bien souvent pas disponible à ce moment-là.


[21]            Deuxièmement, l'avocat de M. Zündel a décidé de retirer la question constitutionnelle dont j'étais saisi et d'en saisir un juge de la Cour supérieure de l'Ontario, ajoutant ainsi un retard inévitable étant donné que la juge a statué qu'elle n'avait pas compétence pour entendre une affaire dont la Cour fédérale était déjà saisie, conformément à la jurisprudence et à la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. 43.

[22]            Troisièmement, il n'y avait aucune raison valable de retirer la contestation d'ordre constitutionnel dont j'avais été saisi de la façon appropriée jusqu'au mois de novembre 2003. Il est vrai que les ministres se demandaient si un juge désigné pouvait entendre une contestation d'ordre constitutionnel, mais cela n'était pas suffisant pour que je n'entende pas la contestation ou pour qu'un autre juge de la Cour fédérale n'entende la contestation. Au cours de la même période, le juge Simon Noël, de la présente cour, a entendu une contestation d'ordre constitutionnel portant sur les mêmes dispositions dans l'affaire Charkaoui et a rendu une décision quelques mois plus tard (Re Charkaoui, 2003 CF 1419).

[23]            Une ordonnance a maintenant été rendue au sujet de la question de la détention, de sorte que la seule question qui peut encore faire l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de l'Ontario se rapporte à la suspension ordonnée par la juge Benotto uniquement à l'égard de la contestation fondée sur la Charte. Si la Cour d'appel de l'Ontario annulait la décision de la juge Benotto, l'affaire serait renvoyée étant donné qu'aucun juge de première instance ne s'est encore prononcé. La décision ferait probablement l'objet d'un appel, et la Cour suprême en serait finalement saisie, si l'autorisation était accordée. De toute évidence, attendre une réponse exigerait un ajournement fort long ou la suspension de l'affaire dont je suis saisi.

[24]            Le problème est que toute cette attente est inutile. Monsieur Zündel, par l'entremise de ses avocats, a décidé de retirer la contestation d'ordre constitutionnel dont je suis saisi en vue de demander une réparation devant les tribunaux judiciaires de l'Ontario. Le bref d'habeas corpus a été demandé parce que l'examen relatif à la détention prenait trop de temps, mais encore une fois la chose était attribuable à un certain nombre de facteurs, notamment le fait que le propre avocat de M. Zündel n'était pas disponible. Or, il semble que je devrais attendre parce que l'on s'adresse à un autre tribunal en ce qui concerne la contestation d'ordre constitutionnel, alors que nous étions prêts à poursuivre l'affaire au mois de novembre. Je ne puis comprendre qu'en refusant l'ajournement, je suis celui qui prive M. Zündel des droits qui lui sont reconnus par la Charte.

[25]            J'examinerai maintenant la question de savoir si la requête en ajournement doit être accordée. La disposition pertinente se trouve dans les Règles de la Cour fédérale (1998), à l'article 36 :


36. (1) La Cour peut ajourner une audience selon les modalités qu'elle juge équitables. [...]

36. (1) A hearing may be adjourned by the Court from time to time on such terms as the Court considers just. . . .



[26]            Je traiterai la requête comme s'il s'agissait d'une requête visant une suspension. Cette solution me réconforte à cause de la décision rendue par le juge Rothstein, siégeant à titre de président du Tribunal de la concurrence, qui a dit ce qui suit dans le contexte d'une requête en ajournement en attendant le résultat de l'appel d'une ordonnance interlocutoire rejetant également une requête visant la communication (la décision du juge Rothstein figure à l'annexe de l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. D & B Companies of Canada Ltd., [1994] A.C.F. no 1504 (C.A.F.)) :

[TRADUCTION] La question préliminaire se rapporte au critère que le Tribunal doit employer lorsqu'il se demande s'il doit accorder un ajournement de l'instance en attendant le résultat d'un appel d'une ordonnance interlocutoire qu'il a rendue. [...] Les demandes d'ajournement ne sont pas toutes tranchées au moyen de l'application des principes régissant une suspension d'instance, mais à coup sûr, un ajournement accordé en attendant un appel a exactement le même résultat qu'une suspension accordée en attendant un appel. L'avocat de la défenderesse a concédé qu'il lui était également possible de demander une suspension à la Cour d'appel fédérale. Je ne comprends pas pourquoi le Tribunal, en examinant la présente demande d'ajournement, doit appliquer des principes différents de ceux que la Cour d'appel fédérale applique dans une demande de suspension lorsque la même instance est en cause. Je suis d'avis que les principes applicables aux suspensions d'instance, qui sont eux-mêmes identiques aux principes applicables aux injonctions interlocutoires, [RJR-MacDonald Inc. c. Procureur général du Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, page 334] doivent s'appliquer dans le cas d'une demande d'ajournement qui est faite en attendant un appel.

[27]            Le critère énoncé dans l'arrêt RJR-MacDonald auquel se reporte le juge Rothstein avait été appliqué par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, en tant que critère à appliquer à la suspension d'une instance :

L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. (RJR-MacDonald, page 334).

L'existence d'une question sérieuse à trancher


[28]            Les décisions relatives aux ajournements et aux suspensions sont généralement rendues dans le contexte d'autres possibilités d'appel une fois que la question litigieuse principale est tranchée (voir Canada c. Ladouceur, [1976] A.C.F. 415; Beloit Canada Ltée/Ltd. c. Valmet Oy, [1987] A.C.F. no 406). Un ajournement ne sera généralement pas accordé dans le cadre d'une décision interlocutoire lorsque la question peut être soulevée au moment de l'appel, si la décision interlocutoire a des répercussions sur la décision principale. En l'espèce, et tel est l'argument principal de M. Zündel, il n'y aura pas d'autre appel une fois que la question principale, à savoir le caractère raisonnable du certificat, aura été tranchée. Selon M. Zündel, si l'audience relative au certificat va de l'avant, il n'y aura pas d'autre possibilité de corriger une erreur commise dans la décision par laquelle la communication additionnelle de la preuve est refusée.


[29]            Compte tenu du régime de la Loi, accueillir un appel d'une affaire interlocutoire lorsque la question principale ne peut pas être portée en appel semble contradictoire; les affaires traîneraient pendant plusieurs mois et plusieurs années, alors que le législateur voulait clairement un règlement définitif rapide. Tel est le raisonnement que la Cour d'appel a fait dans l'arrêt Charkaoui c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et Solliciteur général du Canada, 2003 CAF 407 (dossier A-349-03) (C.A.F.), au sujet de la question de la détention dans le cadre de la procédure relative au certificat, la Cour d'appel ayant décidé qu'il serait insensé d'accueillir un appel sur une question accessoire lorsque la question principale n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire. Pareil raisonnement semblerait s'appliquer encore davantage lorsque la décision porte sur la preuve, étant donné les pouvoirs exceptionnels que le législateur confère au juge qui procède à un examen fondé sur l'article 78. En conférant ces pouvoirs, le législateur ne peut pas avoir voulu que la procédure demeure indéfiniment en suspens par suite d'appels portant sur des décisions relatives à la preuve.

[30]            La possibilité de l'appel lui-même est douteuse; de plus, j'ai des doutes au sujet du fondement de l'appel. Monsieur Zündel dit, dans sa requête visant l'appel, que la Cour a commis une erreur en ne lui accordant pas ce qui avait été accordé à d'autres dans les décisions Jaballah, [2001] A.C.F. no 1748 et Harkat, [2003] A.C.F. no 1184. Selon le libellé de l'article 78, le juge décide des renseignements qui lui sont communiqués qui peuvent être divulgués, tout en tenant compte du fait que la divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Dans tous les cas, le juge doit se prononcer en se fondant sur la preuve qu'il a vue et sur les circonstances particulières de l'affaire. Il ne peut pas y avoir de règle générale ou de précédent établi parce que dans un cas, le juge décide qu'une mesure donnée est appropriée.


[31]            Étant donné que l'exigence préliminaire relative à la question sérieuse est peu rigoureuse, je supposerai, sans toutefois me prononcer, qu'il existe une question sérieuse. Toutefois, je dois ajouter que je ne sais pas trop si un ajournement d'un mois ou deux aura pour effet d'entraîner une meilleure coopération entre les parties, comme M. Lindsay l'a soutenu. Au cours des huit mois pendant lesquels l'instance a jusqu'ici duré, je n'ai pas vraiment pu constater une coopération entre les parties et je ne vois pas comment, si l'on attendait, la situation s'améliorerait. Étant donné la nature de l'instance, qui est régie par des règles exceptionnelles fort spéciales, je ne m'attends pas à ce que la Couronne soit davantage prête à coopérer pour ce qui est de la preuve, ou à ce que M. Zündel renonce aux moyens dont il dispose pour contester le certificat. Je ne crois certes pas qu'un ajournement faciliterait le processus.

L'existence d'un préjudice irréparable

[32]            Monsieur Zündel soutient que si l'on n'attend pas qu'une décision soit rendue au sujet de la preuve et des questions constitutionnelles, il subira un préjudice irréparable. J'ai déjà répondu en partie à cet argument. Dans une large mesure, M. Zündel a orchestré sa stratégie de façon à contraindre la Cour à attendre une réponse, en invoquant le préjudice qui lui sera causé si les droits qui lui sont reconnus par la Charte ne sont pas protégés de la façon appropriée. Monsieur Zündel est dans une large mesure l'artisan de son propre malheur. Un préjudice irréparable ne peut pas être un préjudice causé par la personne concernée; la Cour ne peut rien faire pour empêcher la chose. Les réponses constitutionnelles auraient pu être demandées dans le cadre de la même instance.


[33]            Monsieur Zündel fait face à un processus qui, malheureusement, restreint en soi ses droits. Il n'y aura pas d'appel de l'examen relatif au certificat. Monsieur Zündel n'aura pas accès à toute la preuve qui peut lui être opposée lorsqu'il s'agira de déterminer si le certificat est raisonnable. Monsieur Zündel me demande en fait d'attendre que la Cour suprême du Canada se prononce sur la constitutionnalité de ces restrictions. Mis à part l'argument selon lequel ces questions ont déjà été tranchées par la Cour suprême du Canada, je ne puis sanctionner la façon dont M. Zündel a décidé d'agir. La présente cour était le tribunal compétent pour entendre les contestations d'ordre constitutionnel. Monsieur Zündel a décidé de s'adresser à un autre tribunal; la présente cour n'a pas d'obligations en ce qui concerne cette décision. Je suis loin d'être convaincu que M. Zündel subirait un préjudice irréparable si un ajournement n'était pas accordé.

La prépondérance des inconvénients

[34]            En établissant la procédure d'examen prévue aux articles 77 à 83 de la LIPR, le législateur voulait qu'une procédure simplifiée souple s'applique aux procédures d'interdiction de territoire. Monsieur Zündel a présenté la question comme se rapportant à la prépondérance des inconvénients entre lui-même d'une part et la Couronne d'autre part, mais je crois que dans une affaire comme celle-ci l'intérêt public est également en jeu lorsqu'il s'agit d'assurer que l'affaire soit réglée d'une façon efficace. Monsieur Zündel soutient que la procédure expéditive ne doit pas l'emporter sur la justice naturelle et sur l'équité. Je suis d'accord. Les tactiques visant à retarder l'affaire ne devraient pas non plus nuire au déroulement de l'audience. La prépondérance des inconvénients favorise clairement les ministres.

[35]            L'octroi d'un ajournement est discrétionnaire. J'ai prononcé de longs motifs pour une décision qui est souvent rendue à l'audience. Comme je l'ai déjà dit, et je tiens à le répéter, je comprends jusqu'à quel point l'examen relatif au certificat peut être décourageant pour M. Zündel et ses avocats. Ceci dit, je conclus qu'il n'a pas été satisfait au critère applicable à l'octroi d'un ajournement.

                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-          La requête en ajournement est rejetée;

-          Les ministres ont droit à un seul mémoire de frais.

                                                                                                 _ Pierre Blais _                     

                                                                                                                 Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                           COUR FÉDÉRALE

                            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       DES-2-03

INTITULÉ :                      AFFAIRE CONCERNANT un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 77(1) ainsi qu'aux articles 78 et 80 de la Loi;

ET ERNST ZÜNDEL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  les 6 et 7 novembre, le 10 décembre 2003, les 22, 23, 26 et 27 janvier 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE : le juge Blais

DATE DES MOTIFS :     le 6 février 2004

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh et Pamela Larmondin            POUR LE MINISTRE

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Murray Rodych et Toby Hoffman                   POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

Service canadien du renseignement

de sécurité

Contentieux

Ottawa (Ontario)

Doug Christie                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Avocat

Victoria (C.-B.)

Peter Lindsay et Chi-Kun Shi

Avocats

Toronto (Ontario)


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