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Date : 20050401

Dossier : IMM-3092-04

Référence : 2005 CF 428

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

GINA UANSERU

demanderesse

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Gina Uanseru sollicite le contrôle judiciaire d'une décision par laquelle une agente par intérim des opérations du Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain a confisqué un cautionnement en espèces de 5 000 $. Mme Uanseru affirme que l'agente a commis une erreur en concluant à l'inobservation d'une des conditions garanties par le cautionnement. À titre subsidiaire, pour le cas où il y aurait effectivement eu inobservation d'une des conditions en question, Mme Uanseru affirme que l'agente a commis une erreur en n'exerçant pas de façon régulière son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a ordonné la confiscation du cautionnement.


Genèse de l'instance

[2]         Mme Uanseru s'est portée caution pour Francis Asuekom Mark, un citoyen du Nigeria qui vit au Canada.

[3]         Le 23 décembre 2003, une ordonnance a été rendue en vue de la mise en liberté de M. Mark. Le lendemain, pour remplir une des conditions de la mise en liberté de M. Mark, Mme Uanseru a signé un cautionnement d'exécution de 5 000 $ et elle a versé un dépôt en espèces de 5 000 $. Parmi les autres conditions dont la mise en liberté de M. Mark était assortie, il y a lieu de mentionner l'obligation qui lui était faite de signaler tout changement d'adresse avant de déménager et de se présenter à toute entrevue à la demande du défendeur.

[4]         Après avoir recouvré sa liberté, M. Mark a habité avec Mme Uanseru, tout en passant quelques nuits chez sa conjointe de fait et leur enfant mineur. Comme l'ordonnance de mise en liberté ne précisait pas qu'il devait résider en tout temps à un seul endroit, le défendeur reconnaît que M. Mark avait le droit de passer à l'occasion une nuit chez sa femme.

[5]         Le 24 janvier 2004, M. Mark s'est présenté à une entrevue avec des représentants du défendeur. Lors de cette entrevue, M. Mark a rempli un formulaire d'avis de changement d'adresse sur lequel il a indiqué qu'il avait déménagé la veille chez sa femme.


[6]         Par lettre datée du 11 février 2004, l'agente a informé Mme Uanseru que M. Mark n'avait pas respecté la condition qui lui était imposée de signaler tout changement d'adresse avant de déménager. Par conséquent, Mme Uanseru a été sommée d'honorer le cautionnement d'exécution en remettant un chèque d'un montant de 5 000 $.

[7]         L'agente a également avisé Mme Uanseru qu'elle avait le droit de formuler des observations pour le cas où, pour une raison ou pour une autre, le cautionnement d'exécution et le dépôt en espèces ne devaient pas être confisqués. Mme Uanseru a également été informée que l'agente examinerait toute observation qu'elle souhaiterait formuler avant de décider quelle mesure devait être prise.

[8]         Par lettre datée du 8 mars 2004, Mme Uanseru a fourni des observations détaillées à l'appui de son argument que ni le cautionnement en espèces ni le cautionnement d'exécution ne devaient être confisqués. Mme Uanseru a notamment expliqué que M. Mark habitait toujours chez elle lors de l'entrevue du 24 janvier 2004. Elle a également expliqué qu'elle avait fait l'impossible pour s'assurer que M. Mark respecte les conditions de sa mise en liberté et que, comme elle avait fait preuve de toute la diligence raisonnable, ses cautionnements ne devaient pas être confisqués.

[9]         Voici le dispositif de la décision du 17 mars 2004 de l'agente :

[TRADUCTION] J'ai attentivement examiné les observations communiquées par le cabinet de votre avocat en réponse à la décision de confisquer les cautionnements. J'ai également examiné les faits de l'espèce. Je suis convaincue qu'il y a eu inobservation des conditions de la mise en liberté. Je décide donc de confisquer le cautionnement en espèces de 5 000 $. Aucune mesure ne sera prise au sujet du cautionnement d'exécution de 5 000 $.


[10]       Mme Uanseru sollicite le contrôle judiciaire de la partie de cette décision relative à la confiscation du cautionnement en espèces de 5 000 $.

Questions en litige

[11]       Mme Uanseru a soulevé en l'espèce plusieurs points litigieux qui peuvent commodément être regroupés sous les deux rubriques suivantes :

1.         M. Mark a-t-il effectivement contrevenu à l'une des conditions de sa mise en liberté?

2.         L'agente a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en confisquant le cautionnement en espèces?

M. Mark a-t-il effectivement contrevenu à l'une des conditions de sa mise en liberté?

[12]       Tout en concédant que la preuve sur ce point est quelque peu confuse, Mme Uanseru soutient que l'agente a commis une erreur en concluant que M. Mark avait contrevenu à une des conditions de sa mise en liberté. Selon Mme Uanseru, bien que M. Mark ait passé la nuit du 23 janvier 2004 chez sa femme, il n'a physiquement quitté le domicile de Mme Uanseru que le 24 janvier 2004. M. Mark a donc avisé le défendeur de son changement d'adresse avant de déménager, comme il était tenu de le faire selon les conditions de sa mise en liberté et aucune contravention n'a eu lieu.


[13]       C'est un euphémisme de dire que la preuve sur ce point est quelque peu confuse. À divers moments, M. Mark a lui-même semblé dire qu'il avait emménagé chez sa conjointe de fait immédiatement après sa mise en liberté en décembre 2003, le 23 janvier ou le 24 janvier.

[14]       Le dossier permet aussi de penser que la femme de M. Mark a déclaré que ce dernier avait emménagé chez elle la semaine précédant la date où il avait rempli le formulaire de changement d'adresse, bien qu'il semble qu'elle ait nié avoir tenu ces propos.

[15]       Mais l'élément qui est peut-être le plus important, c'est le fait que, dans le formulaire de changement d'adresse qu'il a lui-même rempli le 24 janvier 2004, M. Mark indique qu'il a déménagé la veille.

[16]       La conclusion que M. Mark a contrevenu à l'une des conditions de sa mise en liberté est une conclusion de fait. Je suis donc convaincue qu'il y a lieu de faire preuve d'un degré élevé de retenue envers une telle conclusion. Que j'adopte la norme de la décision manifestement déraisonnable proposée par le défendeur ou celle de la décision déraisonnable simpliciter préconisée par Mme Uanseru, je suis convaincue qu'il était loisible à l'agente de conclure que M. Mark avait contrevenu à l'une des conditions de sa mise en liberté et je suis persuadée qu'elle n'a pas commis d'erreur à cet égard.


[17]       Avant de passer à l'autre question en litige, je tiens à signaler que, même si les mesures prises par le défendeur en l'espèce semblent un peu dures, compte tenu du fait que la contravention par M. Mark d'une des conditions de sa mise en liberté semble plutôt anodine, l'argument de Mme Uanseru suivant lequel le défendeur a agi de mauvaise foi en l'espèce me paraît mal fondé.

L'agente a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en confisquant le cautionnement en espèces?

[18]       La raison d'être du recours aux cautionnements est de permettre la mise en liberté d'immigrants détenus en assortissant leur mise en liberté de conditions garantissant qu'ils se conformeront à la législation en matière d'immigration.

[19]       La seule affaire que connaissent les parties au sujet de la confiscation d'un cautionnement dans le contexte de l'immigration est la décision du juge Dawson dans Gayle c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] A.C.F. no 446. Cette décision portait sur un cautionnement confisqué en vertu des dispositions de l'ancienne Loi sur l'immigration. Il semble que le juge Nöel se soit également penché sur la confiscation d'un cautionnement dans l'affaire Bcherrawy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1825, une autre décision rendue sous le régime de la Loi sur l'immigration, dans laquelle le raisonnement suivi dans le jugement Gayle a été adopté.


[20]       Dans l'affaire Gayle, la seule raison invoquée pour justifier la confiscation du cautionnement était le défaut de respecter une des conditions de la mise en liberté. Le juge Dawson a expliqué que, bien que le défaut de se conformer à une condition de la mise en liberté constitue une condition préalable à l'exercice par l'agente de son pouvoir discrétionnaire, ce motif n'établit pas que l'agente se soit consacrée à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu'elle se soit arrêtée aux principes qui devraient guider l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Sa décision devait donc être annulée.

[21]       Depuis les événements à l'origine des décisions Gayle et Bcherrawy, la Loi sur l'immigration a été remplacée par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Le libellé des dispositions applicables du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés est quelque peu différent des dispositions comparables de son prédécesseur, de sorte que les décisions Gayle et Bcherrawy nous sont d'une utilité limitée.

[22]       Mme Uanseru fait valoir qu'en raison de la jurisprudence peu abondante qui existe en matière d'immigration, il y a lieu de se tourner vers la jurisprudence qui a été élaborée en droit pénal en ce qui concerne la confiscation des sommes d'argent données en garantie pour obtenir la mise en liberté des personnes accusées d'infractions criminelles.


[23]       À mon avis, il n'est pas nécessaire de déterminer si les règles de droit qui ont été élaborées dans le domaine pénal sont d'un secours quelconque en l'espèce, compte tenu du fait que le défendeur a admis que, malgré les modifications apportées à la législation depuis le prononcé des décisions Gayle et Bcherrawy, l'agent dispose toujours d'une certaine latitude pour décider s'il y a lieu à la confiscation dans un cas donné et que, pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, l'agent a le droit de tenir compte de l'ensemble des faits de l'affaire.

[24]       Cette façon de voir correspond aux directives consignées dans le Guide d'exécution de la loi de Citoyenneté et Immigration Canada. Il est précisé à l'article 7.5 du chapitre 8 du Guide que, lorsque les agents exercent le pouvoir que la Loi leur confère en matière de confiscation de cautionnements, chaque cas est un cas d'espèce. Le Guide précise que lorsque des mesures sont prises en vue de confisquer le cautionnement, la caution doit être informée par écrit des motifs de la confiscation.

[25]       Pour décider si l'agente a bien exercé son pouvoir discrétionnaire eu égard aux circonstances de l'espèce, je me guide sur les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Ainsi, le tribunal ne doit pas intervenir si le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi a été exercé de bonne foi et en conformité avec les principes de justice naturelle et que le décideur ne s'est pas fondé sur des considérations irrégulières ou étrangères à l'objet de la loi.


[26]       En l'espèce, on trouve au dossier une copie des observations de Mme Uanseru sur lesquelles l'agente a inscrit des notes marginales. Il ressort de ces notes que l'agente a tenu compte des observations de Mme Uanseru avant de décider de confisquer le cautionnement en espèces.

[27]       Voici le texte d'une de ces notes :

[TRADUCTION] Ayant reçu ces observations ainsi que les renseignements portant sur ce dossier, je suis d'avis que les conditions de la mise en liberté ont été violées. Le cautionnement en espèces sera donc confisqué. Aucune mesure ne sera prise au sujet de la garantie d'exécution (Souligné dans l'original.)

[28]       Mme Uanseru affirme qu'il ressort de cette note que le seul motif qu'a retenu l'agente pour décider de confisquer le cautionnement était le fait que M. Mark avait contrevenu à l'une des conditions de sa mise en liberté. Cette façon de voir est confirmée, selon elle, lorsqu'on examine la lettre de sa décision, dans laquelle l'agente conclut qu'une des conditions de la mise en liberté a été violée et poursuit en écrivant : [traduction] « Je décide donc de confisquer le cautionnement en espèces de 5000 $ » .

[29]       Je conviens avec le défendeur qu'il ressort du dossier que l'agente a examiné les observations formulées par Mme Uanseru avant d'en arriver à sa décision. De plus, le fait que l'agente a décidé de renoncer à la confiscation du cautionnement d'exécution démontre à l'évidence qu'elle était consciente du fait qu'elle avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas insister sur cette confiscation.


[30]       Il est toutefois impossible, à la lecture de ses motifs, de discerner la raison pour laquelle l'agente a décidé d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Uanseru pour ce qui est du cautionnement d'exécution ni de savoir pourquoi elle a refusé d'en faire autant dans le cas du cautionnement en espèces. Il n'y a donc aucune façon de déterminer si l'agente s'est fondée sur des considérations irrégulières ou étrangères à l'objet de la loi.

Dispositif

[31]       Par ces motifs, la demande est accueillie. Conformément à mes motifs, la conclusion de l'agente suivant laquelle M. Mark a contrevenu à l'une des conditions de sa mise en liberté est confirmée. Toutefois, la question de savoir si le cautionnement en espèces de Mme Uanseru devrait être confisqué sera renvoyée à un autre agent pour qu'il rende une nouvelle décision.

Certification

[32]       Mme Uanseru a proposé la certification d'une question se rapportant à l'application des principes de droit criminel aux confiscations dans le contexte du droit de l'immigration. Vu mon raisonnement, cette question ne permettrait pas de trancher la présente affaire et je refuse donc de la certifier.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour qu'il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

               « Anne Mactavish »

Juge             

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3092-04

INTITULÉ :                                       GINA UANSERU

                                                                             

et

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 22 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                   LE 1er AVRIL 2005

COMPARUTIONS:

Kristin Marshall      

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Kristin Marshall

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


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