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Date : 20040720

Dossier : IMM-273-03

Référence : 2004 CF 993

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                        SHARAI MASANGANISE

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                                                             

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                      MOTIFS MODIFIÉS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Sharai Masanganise est une citoyenne du Zimbabwe qui est entrée au Canada en août 1998. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d'asile l'année suivante. Mme Masanganise a alors demandé, sur le fondement de circonstances d'ordre humanitaire (demande CH), d'être dispensée de l'obligation de présenter une demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada. Cette demande a été rejetée étant donné qu'un agent d'immigration a conclu que Mme Masanganise ne serait pas exposée à des difficultés excessives si elle était tenue de présenter une demande d'établissement à partir de l'étranger.

[2]                Mme Masanganise conteste maintenant cette décision en prétendant que l'agent d'immigration a commis une erreur lorsqu'il a omis de tenir compte des risques évidents auxquels elle serait exposée si elle devait retourner au Zimbabwe et lorsqu'il a omis de demander que soit effectué un examen des risques. Elle prétend en outre que l'agent d'immigration a appliqué une norme de preuve trop élevée à l'égard de sa demande. Finalement, Mme Masanganise prétend que l'agent d'immigration a commis une erreur lorsqu'il a considéré ses expériences de travail comme des possibilités d'emploi à l'étranger plutôt que comme preuve de son établissement au Canada.

La norme de contrôle

[3]                La norme de contrôle générale qui s'applique aux décisions rendues par des agents d'immigration à l'égard des demandes CH est celle de la décision raisonnable simpliciter : arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, c'est-à-dire que la décision doit pouvoir résister à « un examen assez poussé » : arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.                    


[4]                Cependant, la question de la norme de preuve appropriée à appliquer aux examens des risques est une question de droit. À mon avis, la norme de contrôle à appliquer aux questions de droit dans le contexte d'une demande CH est la norme de la décision correcte. Toutefois, ma conclusion dans la présente affaire sera la même que j'applique la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable.

Première question en litige : L'agent d'immigration a-t-il correctement traité de la question des risques?

[5]                La demande CH initiale présentée par Mme Masanganise a été déposée le 20 septembre 2001. Elle a mentionné dans sa demande que la situation au Zimbabwe s'était détériorée depuis que sa demande d'asile avait été tranchée et qu'elle craignait toujours d'être persécutée dans son pays.

[6]                Une lettre de l'avocat qui représentait alors Mme Masanganise était jointe à sa demande. La lettre énonçait que depuis que la demande d'asile de Mme Masanganise avait été refusée :

[TRADUCTION]

[L]e gouvernement du Zimbabwe est devenu plus répressif; il s'agit d'un fait qui est maintenant mondialement reconnu. Il existe également maintenant beaucoup d'éléments de preuve démontrant que des demandeurs d'asile zimbabwéens franchissent en masse les frontières des pays occidentaux. Les demandeurs zimbabwéens ont en outre un taux élevé d'acceptation de leurs demandes. Si la demande de Mme Masanganise était entendue maintenant, elle aurait plus de chances d'être accueillie. Elle craint toujours d'être persécutée au Zimbabwe, en particulier maintenant que le gouvernement est au courant qu'elle a présenté une demande d'asile.        


[7]                Mme Masanganise n'a pas entendu parler de sa demande pendant environ quatorze mois. En décembre 2002, elle a reçu une lettre de l'agent d'immigration. Parmi d'autres choses, l'agent d'immigration demandait à Mme Masanganise de lui fournir des détails quant aux raisons pour lesquelles elle ne pouvait pas présenter une demande de résidence permanente de l'extérieur du Canada et quant aux difficultés qu'elle subirait si elle le faisait.

[8]                Mme Masanganise a répondu à cette requête en fournissant des renseignements additionnels au soutien de sa demande. À l'égard de la question des risques, Mme Masanganise a fourni une deuxième lettre de son avocat datée cette fois du 14 décembre 2002. Cette lettre énonce en partie ce qui suit :

[TRADUCTION]

Après que sa demande a été rejetée, le monde entier a pris conscience que le Zimbabwe est un pays très répressif et près de 100 % des demandes d'asile au Canada ont été accueillies. Au cours des deux dernières années, les demandes de tous mes clients du Zimbabwe ont été accueillies. La Grande-Bretagne a cessé en janvier 2002 de renvoyer des demandeurs d'asile déboutés qui provenaient du Zimbabwe. Il est connu que des demandeurs d'asile renvoyés ont été arrêtés et détenus à leur arrivée au Zimbabwe. Il est connu que certains ont été torturés, ont été détenus pour une période indéfinie ou ont simplement disparu. Si la demande de Mme Masanganise était entendue maintenant, elle serait accueillie.

Il existe des rapports dignes de foi à l'égard de violations des droits de la personne dans toutes les publications importantes et fiables provenant de toutes sources à l'égard du Zimbabwe. Je vous renvoie en particulier au US Department of State Country Reports on Human Rights (2002 pour l'année 2001). Les craintes de Mme Masanganise sont bien fondées et le système canadien actuel à l'égard des réfugiés a reconnu cette situation tout comme l'ont fait tous les pays occidentaux. [Non souligné dans l'original.]                                          

[9]                Quelques jours plus tard, l'agent d'immigration a envoyé une lettre à Mme Masanganise qui l'informait que sa demande de dispense ne serait pas accordée. La partie pertinente des notes de l'agent d'immigration consignées au SSOBL énonce ce qui suit :


[TRADUCTION]

DEMANDERESSE AU CDA DEPUIS 08/1998. DEMANDE D'ASILE REFUSÉE. AVOCAT A AFFIRMÉ QUE SI ELLE PRÉSENTAIT SA DEMANDE D'ASILE MAINTENANT, ELLE SERAIT PRESQUE ASSURÉMENT ACCUEILLIE ET QUE LES DEMANDES DES DEMANDEURS DU ZIMBABWE SONT ACCUEILLIES À PRÈS DE 100 %. IL AFFIRME EN OUTRE QU'IL EST CONNU QUE CERTAINS ZIMBABWÉENS ONT ÉTÉ TORTURÉS ET ONT ÉTÉ DÉTENUS POUR UNE PÉRIODE INDÉFINIE À LEUR RETOUR AU PAYS. IL N'Y AVAIT PAS SUFFISAMMENT DE PREUVE POUVANT APPUYER LA NOTION SELON LAQUELLE LA DEMANDERESSE SERA EXPOSÉE DIRECTEMENT OU PERSONNELLEMENT À DES RISQUES SI ELLE DOIT RETOURNER DANS SON PAYS D'ORIGINE.

[10]            Le défendeur soutient que Mme Masanganise n'a pas prétendu qu'elle serait exposée personnellement à des risques si elle était renvoyée au Zimbabwe. Selon le défendeur, Mme Masanganise a fait des observations générales sur le mauvais dossier du gouvernement actuel du Zimbabwe à l'égard des droits de la personne, mais elle a omis de faire des liens entre ces observations et sa propre situation. Par conséquent, un examen des risques n'était pas requis dans la présente affaire.

[11]            Au soutien de cette prétention, le défendeur s'appuie sur la décision de M. le juge Gibson dans Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1778. Dans la décision Khan, l'ensemble de la preuve du demandeur à l'égard de sa crainte alléguée de persécution était la déclaration suivante : « [TRADUCTION] Je crains d'être persécuté au Pakistan. Ne peux pas retourner au Pakistan et maintenant suis marié. Je ne veux pas rester loin de ma femme » .

[12]            L'agente d'immigration a rejeté la demande de dispense fondée sur des considérations humanitaires présentée par M. Khan en mentionnant qu'elle « [TRADUCTION] [...] ne [pensait] pas qu'il [le demandeur] subirait un préjudice inhabituel, immérité ou disproportionné, s'il était tenu de présenter une demande dans un bureau des visas à l'extérieur du Canada [...] » .

[13]            Le juge Gibson a conclu que la preuve très mince fournie par M. Khan à l'égard de sa crainte alléguée de retourner au Pakistan, lorsqu'elle était associée à des décisions défavorables rendues antérieurement par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, signifiait que le bref commentaire de l'agente d'immigration était suffisant et qu'aucune autre analyse n'était requise.

[14]            Bien que j'aie examiné en détail les observations du défendeur, je suis convaincue que la décision Khan est différente de la présente affaire quant aux faits. Tout d'abord, Mme Masanganise a prétendu qu'il y avait eu une détérioration importante de la situation au Zimbabwe depuis que sa demande d'asile a été tranchée. Par conséquent, la décision défavorable de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié serait peu pertinente environ trois ans plus tard dans le contexte de sa demande CH.


[15]            Je partage effectivement l'opinion du défendeur selon laquelle les prétentions initiales de Mme Masanganise consistaient à juste un peu plus que la sorte de déclaration générale qu'on retrouve dans la décision Khan et celle selon laquelle si l'agent d'immigration ne disposait de rien d'autre, aucune autre analyse de sa part n'aurait été requise. Ce n'est simplement pas suffisant de s'appuyer sur le mauvais dossier qu'avait le pays d'origine d'un demandeur en matière de droits de la personne à titre de preuve que la demanderesse elle-même subirait de la persécution si elle était renvoyée dans ce pays.

[16]            Dans la présente affaire, cependant, il y a plus. La lettre de l'avocat datée du 14 décembre 2002 mentionne clairement les risques précis auxquels Mme Masanganise prétend être personnellement exposée si elle est renvoyée au Zimbabwe en tant que demanderesse d'asile déboutée.

[17]            Il n'est pas nécessaire de procéder à un ERAR dans tous les cas de demande CH dans lesquels des risques personnels sont allégués; voir la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 186 F.T.R. 155, et la décision Nacsa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 91. Compte tenu du peu de renseignements dont disposait l'agent d'immigration à l'égard de la prétention de Mme Masanganise selon laquelle elle serait exposée à des risques, l'agent pouvait certainement apprécier les éléments de preuve et décider qu'ils n'étaient simplement pas suffisants pour justifier que l'affaire soit renvoyée à un agent d'ERAR pour qu'il effectue un examen complet des risques. Cependant, il ne m'apparaît pas clairement à la suite de mon examen des notes consignées par l'agent d'immigration au SSOBL qu'il a traité de quelque façon de la question des risques allégués qui résultaient de l'appartenance de Mme Masanganise à la catégorie des demandeurs d'asile déboutés. Dans cette mesure, je suis convaincue que l'agent d'immigration a commis une erreur.


[18]            Je n'ai pas à déterminer si cette erreur, en elle-même, serait suffisante pour justifier que la décision de l'agent d'immigration soit annulée. Comme il sera établi ci-après, l'erreur était aggravée par le fait qu'une norme de preuve indûment élevée a été imposée à Mme Masanganise.

Deuxième question en litige : L'agent d'immigration a-t-il appliqué la mauvaise norme de preuve?

[19]            L'agent d'immigration a conclu qu'il n'y avait [TRADUCTION] « pas suffisamment de preuve démontrant que la demanderesse sera exposée directement et personnellement à des risques si elle est renvoyée au Zimbabwe » [non souligné dans l'original]. Mme Masanganise prétend que cette conclusion démontre que l'agent d'immigration a omis d'examiner correctement la probabilité des risques par opposition à leur certitude et, par conséquent, qu'il a commis une erreur de droit. Selon l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Adjei c. Canada, [1989] 2 C.F. 680, 57 D.L.R. (4th) 153, le critère devant être utilisé est celui de savoir s'il existe une « possibilité raisonnable » qu'il y ait de la persécution. Une demanderesse n'a pas à démontrer qu'elle a subi de la persécution dans le passé ou qu'elle en subira à l'avenir; elle doit seulement démontrer qu'elle a des motifs valables de craindre d'être persécutée. Mme Masanganise prétend qu'elle a satisfait à ce critère.


[20]            Le défendeur soutient que la prétention de Mme Masanganise tient pour acquis qu'un examen des risques a été effectué en prenant en compte la définition de réfugié au sens de la Convention. Elle tient en outre pour acquis que les mots [TRADUCTION] « cette demanderesse sera exposée » ont une connotation de certitude. Le défendeur prétend que, au contraire, les observations de l'agent d'immigration indiquent simplement que Mme Masanganise n'a pas réussi à satisfaire à l'exigence liminaire requise pour déclencher un examen des risques.

[21]            Je ne partage pas cette opinion.

[22]            Les motifs de l'agent d'immigration énoncent qu'il n'était pas convaincu que Mme Masanganise [TRADUCTION] « sera exposée directement et personnellement à des risques si elle est renvoyée au Zimbabwe » . À mon avis, cela indique clairement que l'agent d'immigration a appliqué une norme indûment élevée lorsqu'il a évalué la demande de Mme Masanganise.

[23]            Dans le contexte des demandes d'asile, l'état actuel du droit est qu'une demande fondée sur l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est évaluée selon la norme établie dans l'arrêt Adjei. Dans les cas où les demandeurs soutiennent qu'ils ont la qualité de personne à protéger suivant l'article 97 de la Loi, la demande est évaluée selon la norme de la prépondérance des probabilités : voir la décision Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1514. Rien dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés n'indique que l'élément des risques lors de l'analyse d'une demande CH devrait être évalué selon une norme différente.


[24]            Par conséquent, je suis convaincue que l'agent d'immigration a appliqué une norme erronée lors de son évaluation de l'aspect des risques de la demande CH présentée par Mme Masanganise.

Conclusion

[25]            Compte tenu des deux erreurs relevées dans l'analyse effectuée par l'agent d'immigration, je suis d'avis que la décision rendue à l'égard de la demande CH doit être annulée et que l'affaire doit être renvoyée à un autre agent d'immigration afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire. Il n'est pas nécessaire de traiter des autres questions soulevées par Mme Masanganise.

Certification

[26]            Le défendeur propose la question suivante aux fins de la certification :

[TRADUCTION]

Lorsqu'une allégation de risques est faite devant un agent qui traite une demande CH sans que ces risques soient expliqués ou appuyés par la preuve, cette allégation doit-elle être transmise à un agent d'examen des risques aux fins d'un examen?

[27]            L'avocat de Mme Masanganise a prétendu que la question proposée ne soulève pas une question grave de portée générale et, qu'à ce titre, elle ne devrait pas être certifiée.          


[28]            Dans le contexte de la décision faisant l'objet du contrôle dans la présente affaire, je ne suis pas convaincue que la question proposée est une question de portée générale. La réponse à cette question sera sans doute limitée aux faits qui seraient soumis à la Cour d'appel et ne serait pas d'application générale. Par conséquent, je refuse de certifier la question.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-273-03

INTITULÉ :                                        SHARAI MASANGANISE

demanderesse

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 13 JUILLET 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo                                           POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)                                        POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                                    

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040720

                      Dossier : IMM-273-03

ENTRE :

SHARAI MASANGANISE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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