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Date : 20050215

Dossier : IMM-9333-03

Référence : 2005 CF 244

Toronto (Ontario), le 15 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                               YOGARAJAH KRISHNAPILLAI et

                                                     SIVAPATHAM THAMBIAH

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         M. Yogarajah Krishnapillai est un Tamoul de 31 ans originaire du Sri Lanka. Il vit comme réfugié à Chennai, en Inde, depuis janvier 1998. Son père, Sivapatham Thambiah, ainsi que ses proches, qui résident au Canada, souhaitent le parrainer pour qu'il obtienne le droit d'établissement. Une agente des visas du haut-commissariat à New Delhi a refusé en juin 2003 sa demande de visa de résident permanent à titre de réfugié au sens de la Convention présentée à l'étranger. M. Krishnapillai prétend que l'agente a commis une erreur dans l'application du critère relatif au statut de réfugié et dans l'évaluation de son témoignage. Je suis aussi d'avis que l'agente a commis une erreur et c'est pourquoi je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

LA DÉCISION DE L'AGENTE DES VISAS

[2]         La lettre de refus de l'agente des visas en date du 26 juin 2003 mentionnait en partie ce qui suit :

[TRADUCTION]

Après avoir soigneusement examiné tous les facteurs ayant trait à votre demande, je ne suis pas convaincue que vous faites partie de l'une des catégories prescrites à l'égard desquelles votre demande a été examinée, parce que j'estime que les motifs que vous avez fournis pour ne pas vouloir retourner dans votre pays d'origine ne satisfont pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » ou de « catégorie des demandeurs d'asile » . Plus particulièrement, je ne suis pas convaincue que le traitement auquel vous seriez exposé si vous deviez retourner au Sri Lanka équivaudrait à de la persécution pour l'un des motifs énumérés dans la définition de « réfugié au sens de la Convention » ou que vous avez été et que vous continuez d'être sérieusement et personnellement touché par une guerre civile, un conflit armé, ou une violation importante des droits de la personne dans votre pays d'origine. [Non souligné dans l'original.]

Pour parvenir à cette conclusion, j'ai tenu particulièrement compte des incohérences et des contradictions relevées dans votre entrevue. J'ai noté ces incohérences et contradictions, en particulier, dans le récit de vos contacts avec les LTTE, la police et l'armée du Sri Lanka de même que de votre participation à leurs activités.

[3]         Les notes de l'agente au SITCI renferment une transcription approximative d'une entrevue qui s'est déroulée avec M. Krishnapillai le 16 juin 2003. Elles mentionnent également ce qui suit sous la rubrique « SOMMAIRE DU CAS/CONCLUSIONS » :


[TRADUCTION]

Après avoir examiné le dossier du demandeur et l'avoir interrogé, je ne suis pas convaincue qu'il répond ni à la définition de réfugié au sens de la Convention ni à celle de demandeur d'asile. Le demandeur n'était pas crédible et s'est contredit pendant toute l'entrevue au sujet de ses contacts avec les LTTE, l'armée et la police du Sri Lanka, de même qu'au sujet de sa participation à leurs activités.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]         1.          Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.          L'agente des visas a-t-elle appliqué le mauvais critère à la définition de réfugié au sens de la Convention?

3.          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en ignorant certains éléments de preuve ou en leur donnant une mauvaise interprétation?

La norme de contrôle


[5]         Les parties s'entendent pour dire que la norme de contrôle applicable à la décision de l'agente des visas est celle de la décision raisonnable simpliciter, mais elles en arrivent à cette conclusion en suivant des raisonnements différents. Le défendeur soutient que les décisions discrétionnaires des agents des visas doivent être jugées selon la norme de la décision raisonnable : To c. Canada, [1996] A.C.F. no 696; Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada et al, [1982] 2 R.C.S. 2; Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 29 F.T.R. 277, conf. (1991), 121 N.R. 241. Le demandeur prétend que la décision portant sur la question de savoir s'il est visé par la définition de réfugié au sens de la Convention n'est pas discrétionnaire, mais qu'il s'agit plutôt d'une question mixte de fait et de droit qui exige une interprétation de la loi.

[6]         Je souscris à l'opinion du demandeur selon laquelle la décision en question n'est pas discrétionnaire, comme c'est le cas des décisions que les agents des visas prennent habituellement au sujet des demandes de visa. Il s'agit plutôt de déterminer si le demandeur répond à la définition de réfugié au sens de la Convention ou s'il fait partie de la catégorie des demandeurs d'asile, qui sont toutes deux des questions mixtes de fait et de droit.

[7]         La jurisprudence citée par le défendeur porte entièrement sur des cas où des agents des visas ont pris des décisions au sujet des demandes de résidence permanente et des demandes de visas de visiteur, sans traiter de l'élément supplémentaire d'interprétation de la loi qui existe en l'espèce. Bien que le décideur reste le même, la nature de la décision est tout à fait différente, étant donné qu'elle s'appuie davantage sur le droit. L'expérience des agents des visas qui doivent prendre des décisions au sujet du statut de réfugié n'est pas aussi étendue que celle, par exemple, des membres de la Section de la protection des réfugiés (SPR). Néanmoins, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable puisque la demande de statut de réfugié sera évaluée sur son bien-fondé : Bonilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 12 Imm. L.R. (3d) 83; Chow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 211 F.T.R 90.


[8]         Toutefois, étant donné que les conclusions de fait et de crédibilité sont des décisions que les agents des visas doivent prendre sur une base quotidienne dans l'exercice de leurs fonctions habituelles, j'appliquerais la norme de la décision manifestement déraisonnable aux conclusions d'un agent des visas fondées sur les faits : Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 24 Imm. L.R. (3d) 244; Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 121 N.R. 241 (C.A.F.); Siriwardena c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 604; Skobrev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 485; Seepersaud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 CFPI 948; Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 1057.

Le critère applicable au statut de réfugié au sens de la Convention

[9]         M. Krishnapillai soutient que l'agente des visas a appliqué le mauvais critère au statut de réfugié au sens de la Convention quand elle a conclu ceci : [traduction] « Je ne suis pas convaincue que le traitement auquel vous seriez exposé si vous deviez retourner au Sri Lanka équivaudrait à de la persécution pour l'un des motifs énumérés dans la définition de '' réfugié au sens de la Convention '' » [Non souligné dans l'original].


[10]       Le critère approprié est l'existence d'un risque raisonnable ou de motifs probables que le demandeur sera persécuté, et non pas le critère de la prépondérance des probabilités : Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1981), 40 NR. 436 (C.A.F.), parag. 2; Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.); Lai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.); Fernandez c. Government of Singapore et al, [1971] 2 All E.R. 691 (Chambre des lords).

[11]       Le défendeur a déposé un affidavit signé par l'agente des visas qui a été fait sous serment en décembre 2004, soit quelque 17 mois après que la décision eut été prise, dans lequel elle atteste que, par suite de sa formation, elle était [traduction] « très au fait que le demandeur devait démontrer qu'il y avait un " risque raisonnable " qu'il soit soumis à la persécution » . Le défendeur concède que s'il s'agissait du contrôle d'une décision de la Section de la protection des réfugiés, l'argument selon lequel le décideur a commis une erreur de droit serait bien fondé. Toutefois, le défendeur soutient que l'agente des visas a cité les dispositions législatives appropriées et que l'affidavit indique qu'elle connaissait bien la norme de preuve appropriée.

[12]       Le demandeur soutient que l'agente était functus officio quand elle a fait l'affidavit et qu'elle ne peut s'appuyer sur cet affidavit pour corriger une erreur dans le raisonnement qu'elle a suivi pour en arriver à sa décision. Je suis d'accord pour dire que, au mieux, l'affidavit peut être utilisé pour expliquer ou préciser la décision, mais non pas pour compléter ou modifier les motifs qui ont été fournis antérieurement. À la lecture de la lettre énonçant la décision, on constate que l'agente n'a pas appliqué la norme appropriée et je ne suis pas convaincu qu'elle avait en tête cette norme appropriée quand elle est parvenue à sa décision.


Les éléments de preuve ignorés ou mal interprétés

[13]       Les motifs invoqués par le demandeur avaient trait à la guerre civile, à un conflit armé et à la violation des droits de la personne au Sri Lanka. Il est clair que l'agente des visas a rejeté son récit portant sur la persécution. L'avocat du demandeur a concédé à l'audience que ses réponses au cours de l'entrevue manquaient de cohésion. Cela peut être attribuable en partie à des difficultés de traduction, étant donné que l'interprète dont les services avaient été retenus parlait indien et non pas le tamoul du Sri Lanka.

[14]       Toutefois, l'agente des visas n'a pas précisé ce qu'elle ne trouvait pas crédible. Il ressort clairement de ses questions qu'elle se demandait combien de fois M. Krishnapillai avait été détenu par les militaires et combien de fois il avait été approché par les LTTE, mais cela ne ressort pas clairement de sa lettre de décision ni du sommaire du cas/conclusions. Il n'y a pas non plus d'analyse quant à savoir comment ses doutes au sujet de la crédibilité étaient liés au bien-fondé de la revendication.

[15]       M. Krishnapillai soutient que le fondement des conclusions négatives de l'agente des visas au sujet de la crédibilité et la décision qui en a suivi n'est pas clair. Une telle conclusion doit être énoncée en termes clairs : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Yaliniz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 7 Imm. L.R. (2d) 163 (C.F. 1re inst.).


[16]       Le défendeur soutient que le demandeur cherche à imposer aux motifs donnés par les agents des visas une condition qui serait comparable à celle qui s'applique aux motifs donnés par la SPR. Le demandeur nie que ce soit le cas, mais il affirme que l'équité exige qu'une explication adéquate soit fournie quant à la façon dont on est parvenu à la décision : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[17]       Même si les doutes au sujet de la crédibilité étaient valides, le demandeur soutient que l'agente des visas n'a pas examiné expressément d'autres facteurs pertinents, tel le fait que M. Krishnapillai a obtenu une protection temporaire de l'Inde, qu'il est un jeune homme tamoul originaire de l'est du Sri Lanka, et que son récit est conforme à celui d'autres jeunes hommes originaires de cette région, que son frère a été tué dans le conflit et que son père s'est enfui et a obtenu le statut de réfugié au Canada.


[18]       L'agente a elle-même souligné dans son affidavit que, sur papier, la demande semblait extrêmement bien fondée. Elle affirme que ce sont les incohérences et les contradictions dans le récit du demandeur qui l'ont menée à une conclusion contraire. L'absence de toute référence dans sa lettre de décision ou dans ses notes au STIDI quant à la nature spécifique des problèmes qu'elle a décelés ou quant aux facteurs importants qui auraient pu jouer en faveur du demandeur est troublante. Je ne veux pas laisser entendre que les agents des visas qui examinent des demandes de résidence permanente doivent toujours donner des motifs détaillés pour appuyer leur décision. Je crois qu'en l'espèce les raisons n'étaient pas adéquates, mais je n'ai pas à décider si cela suffit pour infirmer la décision de l'agente.

[19]       Dans l'ensemble, je suis convaincu que la décision est déraisonnable et qu'elle ne peut être maintenue. Par conséquent, la présente demande sera accueillie et l'affaire sera renvoyée pour nouvel examen par un agent des visas différent. Les parties n'ont proposé aucune question aux fins de la certification.

                                        ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la demande de visa de résident permanent soit renvoyée pour nouvel examen par un autre agent des visas. Aucune question n'est certifiée.

                                                                          « Richard G. Mosley »          

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-9333-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :                               YOGARAJAH KRISHNAPILLAI

SIVAPATHAM THAMBIAH

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 14 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                         LE 15 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                                     POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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