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Date : 20001201

Dossier : T-154-97

ENTRE :

                                       THOMAS WATT

                                                                                          demandeur

                                                  - et -

              SA MAJESTÉ LA REINE (Transports Canada)

                                       et NAV CANADA

                                                                                    défenderesses

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                    (Exposés à l'audience à Ottawa (Ontario)

                                    le 29 novembre 2000)

LE JUGE HUGESSEN

[1]    Il s'agit d'une requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse la Couronne. Cette requête invoque deux motifs : premièrement, l'absence de compétence en raison de l'existence d'une convention collective prévoyant une procédure de grief obligatoire et, deuxièmement, la prescription de l'action.

[2]    Le demandeur est contrôleur aérien. Il a travaillé pendant un certain temps à la tour de contrôle de Calgary. Il a demandé à être muté à la tour de Vancouver et, comme l'affaire traînait, il a pris l'initiative de démissionner. Il a ensuite déménagé à Vancouver, où il a présenté une nouvelle demande d'emploi. Il a de fait été embauché de nouveau environ cinq mois plus tard en février 1988, non pas à Vancouver, mais à Prince George et à un salaire inférieur à celui qu'il avait touché à Calgary.


[3]    Il a présenté un grief conformément à la convention collective, mais celui-ci a été rejeté à la première étape sans qu'apparemment il n'y soit donné suite. Il a également présenté une plainte de harcèlement auprès de la Commission de la fonction publique et il ne semble pas non plus avoir eu gain de cause.

[4]    La présente action a été intentée en janvier 1997, soit environ neuf ans après le déroulement des événements que je viens d'exposer. Deux causes d'action sont alléguées. La première est la déclaration inexacte que la défenderesse a faite avec négligence en disant au demandeur qu'il pourrait renégocier le niveau de sa rémunération après son embauchage mais en lui disant par la suite qu'il ne le pouvait pas. La seconde est l'abus de pouvoir du fait que les représentants de la défenderesse auraient agi avec malveillance dans le but de causer un préjudice au demandeur.

[5]    Lors de la présentation de la requête en jugement sommaire, l'avocat de la défenderesse a tenté d'abord de me convaincre que la Cour n'avait pas compétence en raison de l'existence du processus de grief prévu dans la convention collective. Toutefois, lors d'une requête en radiation que la défenderesse a présentée antérieurement dans la même affaire, la Cour d'appel, en confirmant à cet égard la décision du juge des requêtes, a conclu que ces deux causes d'action n'étaient pas sujettes à la procédure de grief. Selon monsieur le juge Marceau, qui se prononçait au nom de la Cour :

Il est clair que certains extraits des motifs de l'ordonnance prononcés par le juge à l'appui de sa conclusion peuvent susciter des critiques, à tout le moins pour leur manque de clarté. Néanmoins, nous sommes d'avis que le juge n'a pas commis d'erreur dans son analyse des causes d'action qui sous-tendent la déclaration et dans sa conclusion portant qu'aucune d'elles, à première vue, n'est clairement régie par les dispositions exclusives de la convention collective touchant les griefs et l'arbitrage. Les présumées déclarations inexactes faites par négligence et le supposé abus d'une charge publique dont le demandeur prétend avoir été victime seraient survenus avant la création d'un rapport d'emploi. Cela suffit, à notre avis, pour justifier notre refus de reconnaître que les dispositions de la convention collective rendraient nécessairement l'action irrecevable.[1]

[6]    Je suis d'accord. Les faits visés par la plainte sont presque tous survenus durant la période allant de la démission du demandeur de son poste à Calgary jusqu'à son réembauchage à un poste à Prince George. Puisqu'il en est ainsi, à cette époque il n'existait pas de relations employeur-employé entre les parties. Le fait que le demandeur ait effectivement présenté un grief n'a rien à voir à cet égard. Si ses plaintes ne relevaient pas de la convention collective, et c'était bien le cas, elles ne pouvaient pas faire l'objet d'un grief et la Cour ne perd pas sa compétence.


[7]                Le second moyen invoqué à l'appui de la requête en jugement sommaire est beaucoup plus sérieux. Il n'est pas contesté que le délai de prescription applicable en vertu de la loi de la Colombie-Britannique est de six ans. La seule justification fournie par le demandeur pour avoir intenté son action aussi tardivement se fonde sur son allégation selon laquelle premièrement il n'a appris qu'en 1994 que la défenderesse avait, d'après lui, agi délibérément, selon ses propres termes, pour le punir et deuxièmement ce fut à la même occasion qu'il a appris que la défenderesse avait de fait permis à d'autres contrôleurs, qui, comme le demandeur, avaient démissionné et été réembauchés, de reprendre leur emploi au même niveau de rémunération. Selon son allégation, c'est en 1994 que le demandeur a appris d'un de ses anciens supérieurs, d'abord au cours d'une conversation et ensuite dans une lettre de ce dernier, ce qui suit :

[traduction] Le 15 mars 1994

Monsieur Watt,

La présente confirme la discussion que nous avons eue ce jour même au sujet des faits dont je me souviens en ce qui concerne votre déménagement de Calgary en Colombie-Britannique à la fin des années 1980.

1. Aux alentours de 1987, j'ai eu des conversations avec vous, à plus d'une occasion, au sujet de votre insatisfaction quant à vos rapports avec la direction à Calgary et à vos nombreuses demandes de mutation. J'ai demandé au directeur régional du contrôle de la circulation aérienne d'examiner la question de votre mutation et j'ai été informé que la pénurie de personnel à Calgary ne permettrait pas de procéder à une mutation. Vous avez été informé de la situation. Par la suite, j'ai appris que vous aviez démissionné et déménagé en Colombie-Britannique.

2. Quelques mois plus tard, vous m'avez contacté et nous avons discuté de votre réembauchage par Transports Canada à la tour de Prince George. J'ai cru comprendre que vous étiez réembauché au niveau de rémunération le plus bas. Par la suite, j'ai discuté du lieu de votre embauchage et de votre rémunération avec Archie Novakowski, directeur du contrôle de la circulation aérienne pour la région du Pacifique, et avec Pierre Proulx, directeur du contrôle de la circulation aérienne à l'administration centrale à Ottawa. Voici en résumé ce dont je me souviens de cette conversation : l'employé qui démissionne pour effectuer un déménagement à ses dépens devrait travailler quelques mois à un salaire moins élevé et à un endroit moins avantageux - par exemple votre nomination à l'échelon salarial le plus bas et votre affectation à la tour de Prince George constituaient un exemple de la position du ministère. Cela viserait à dissuader les autres de penser que c'était un moyen facile d'être muté et vous montrerait que la direction n'était pas contente de la méthode que vous aviez utilisée pour réaliser une mutation. De plus, j'en ai discuté avec Archie Novakowski et j'étais sous l'impression que vous seriez envoyé à la tour de Vancouver, l'endroit de votre choix, quelques mois plus tard. Ce fut la dernière fois que j'ai entendu parler de votre cas jusqu'à notre conversation du 15 mars.

J'espère que ces faits dont je me souviens feront votre affaire. Si vous avez besoin de quelque chose d'autre, n'hésitez pas à me téléphoner.

(Signature de Ronald G. Bell, ancien directeur des Services de navigation aérienne de la région de l'Ouest).


[8]                À mon avis, c'est loin de suffire pour écarter l'obligation du demandeur de prouver que l'écoulement du temps a été renvoyé à plus tard ou interromptu.

[9]                Premièrement, à supposer que la lettre révèle des faits nouveaux plutôt que de simplement constituer une nouvelle preuve de faits connus, cela ne montre pas que le demandeur ait exercé une diligence raisonnable, ou en effet quelque diligence que ce soit, en faisant enquête sur la nature ou l'existence des droits qu'il réclamait. Durant toute la période allant de 1988 à 1994, il travaillait à titre de contrôleur aérien à la tour de Vancouver, poste auquel il avait été muté de Prince George au cours de l'été 1988. Il aurait pu et aurait dû être en mesure de faire enquête et de découvrir ces faits « nouveaux » bien avant 1994. Rien n'indique que, de fait, il ait effectué une telle recherche après avoir déménagé à Vancouver et rien ne vient expliquer pourquoi il ne l'a pas fait.


[10]            Deuxièmement, la preuve qui est exposée dans cette lettre est loin de suffire pour établir l'existence d'un abus de pouvoir ou d'une déclaration inexacte entachée de négligence. Le fait que la tour de Vancouver ait pu engager d'autres contrôleurs aériens qui avaient déjà démissionné à leurs anciennes échelles de rémunération (fait prétendument révélé par M. Bell durant leur conversation,) ne crée pas chez le demandeur le droit pour lui-même d'être engagé ou d'être engagé à des conditions particulières soit à un endroit particulier soit à un salaire particulier. De fait, il est admis qu'il n'avait aucun droit d'être réembauché. De plus, la décision, si tel était vraiment le cas, de le faire travailler à Prince George plutôt qu'à Vancouver est une décision purement administrative. Nous ne savons pas si d'autres considérations que celle alléguée dans la lettre ont pu motiver cette décision, mais même si celle-ci était motivée uniquement par le désir de décourager d'autres employés de recourir, pour ainsi dire, à la loi pour forcer l'employeur à leur accorder une mutation que sinon ce dernier n'était pas disposé à leur accorder, c'est à mon sens une considération tout à fait pertinente. L'objectif qui, selon la lettre, était visé par la direction est légitime. Donc, la lettre, à mon avis, est loin de constituer une preuve d'une intention malicieuse de causer une perte, qui est l'élément essentiel du délit d'abus de pouvoir, et les faits révélés n'ont pas eu pour effet de faire redémarrer l'écoulement du temps.

[11]            Je conclus, par conséquent, que l'action doit inévitablement être rejetée parce qu'elle est prescrite en vertu de la loi et je propose donc d'agir ainsi.


[12]            J'en viens maintenant à la question des dépens et, à mon avis, il ne s'agit pas d'un cas où je devrais accorder à la défenderesse les frais de la présente journée ou de la présente requête. J'ai le regret de dire que la plupart des arguments de la défenderesse relativement à la requête étaient hors de propos; de plus, une bonne partie des représentations par écrit traitaient d'une requête en radiation, ce qu'elle n'est pas, et n'ont pas établi de distinction entre la requête en radiation et une requête en jugement sommaire. Cela ne vise pas à être une critique des avocats qui ont plaidé l'affaire en première instance, mais la Cour s'attend à ce que, lorsque des avocats déposent des mémoires de faits et de droit par écrit, ils établissent de façon juste et entière les positions qu'ils adopteront effectivement au cours des plaidoiries et non pas des positions qui seront intenables et ensuite abandonnées sans explication. Ainsi l'action sera-t-elle rejetée avec dépens, mais il ne sera pas accordé de dépens relativement à la présente requête ou pour l'audience d'aujourd'hui.

                                                                                 « J.K. Hugessen »                         

                                                                                                     Juge                                  

Montréal (Québec)

Le 1er décembre 2000

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE GREFFE :                                T-154-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Thomas Watt

c.

Sa Majesté la Reine (Transports Canada)

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 29 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN EXPOSÉS À L'AUDIENCE

ONT COMPARU :

Dougald Brown                                                 POUR LE DEMANDEUR

Henry Brown

Mary Rose Ebos                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan Power                                      POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson LL.P.

Ottawa (Ontario)                                               POUR LA DÉFENDERESSE



[1]            Sa Majesté la Reine c. Thomas Watt, (21 janvier 1998) no de greffe : A-448-97(C.A.F.) [arrêt non publié].


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