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Date : 20200923


Dossier : IMM‑6601‑19

Référence : 2020 CF 924

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

et

JIN YUAN YE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le ministre sollicite, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’ordonner la mise en liberté du défendeur, M. Jin Yuan Ye.

[2]  M. Ye est un citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada en 2011. En 2018, sa demande d’asile a finalement été rejetée. M. Ye ne s’est pas présenté au moment prévu pour son renvoi du Canada. Le 6 août 2019, un mandat d’arrestation a été lancé contre lui en vertu de l’article 55 de la LIPR. M. Ye a été arrêté le 19 octobre 2019. Le commissaire de la SI [le commissaire] chargé de l’audience, prescrite par la LIPR, relative au contrôle dans les quarante‑huit heures des motifs justifiant le maintien en détention a conclu que M. Ye présentait un risque de fuite, mais a également conclu qu’il existait une solution de rechange viable à la détention. Le commissaire a ordonné la mise en liberté de M. Ye sur son propre engagement, sous réserve d’une série de conditions, notamment qu’il verse un cautionnement de 5 000 $, qu’il se rapporte à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] toutes les deux semaines et qu’il se présente pour son renvoi.

[3]  Le ministre soutient que la décision est déraisonnable, parce que le commissaire n’a pas apprécié l’efficacité du cautionnement de 5 000 $ pour réduire le risque de fuite. Dans ses observations écrites, le ministre a également fait valoir que le commissaire avait commis une erreur en émettant à tort des suppositions sur la durée de la période de détention à laquelle M. Ye devait faire face. Lors des plaidoiries, l’avocate a fait savoir qu’elle renonçait à cet argument, et je ne l’ai pas examiné.

[4]  M. Ye n’a pas déposé d’observations écrites en l’espèce, mais s’est présenté à l’audience accompagné d’un interprète.

II.  Analyse

A.  La norme de contrôle

[5]  Pour choisir la norme de contrôle, une cour de révision part de la présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). Bien que la présomption puisse être réfutée, il n’y a aucune raison de conclure qu’une norme de contrôle différente doit être appliquée en l’espèce (Vavilov aux para 34‑72). Dans le contexte postérieur à l’arrêt Vavilov, les décisions de la SI relatives à la détention demeurent susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Taino, 2020 CF 427 au para 35).

[6]  Le contrôle du caractère raisonnable porte à la fois sur les motifs de la décision et sur le résultat. Une décision sera raisonnable si elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée, intelligible et transparente pour l’individu qui en fait l’objet (Vavilov au para 95).

B.  La décision est raisonnable

[7]  Le paragraphe 55(1) de la LIPR permet à un agent de l’ASFC de lancer un mandat pour l’arrestation et la détention d’un étranger dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que l’étranger se soustraira vraisemblablement à une mesure de renvoi du Canada.

[8]  Après l’arrestation, l’ASFC conserve le pouvoir discrétionnaire de poursuivre la détention ou de mettre le détenu en liberté (LIPR, art 56). Lorsque l’ASFC ne met pas une personne en liberté, la SI doit, dans les 48 heures, examiner les motifs du maintien en détention. Un nouveau contrôle doit être effectué dans les sept jours suivant le premier contrôle, puis au moins tous les trente jours suivant le contrôle précédent (LIPR, art 57).

[9]  Dans le cadre du contrôle de la détention, la SI prononce la mise en liberté de la personne détenue, sauf si l’un des motifs prescrits pour le maintien en détention est démontré (LIPR, art 58). Les motifs prescrits comprennent la conclusion que l’individu se soustraira vraisemblablement à son renvoi. En fait, lorsque la SI est convaincue qu’une personne présente un risque de fuite, un motif de détention est établi.

[10]  Lorsque des motifs de détention existent, la SI doit prendre en compte une série de facteurs supplémentaires avant de prendre une décision quant à la détention ou à la mise en liberté (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art 248 [le RIPR]). Ces facteurs sont le motif de la détention, la durée de la détention, l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention, les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part de l’ASFC ou de l’intéressé, l’existence de solutions de rechange à la détention et l’intérêt supérieur d’un enfant qui est directement touché.

[11]  En l’espèce, le commissaire a conclu que M. Ye présentait un risque de fuite, mais que le versement d’un cautionnement de 5 000 $ et l’imposition d’une série de conditions normalisées, y compris l’obligation de se présenter régulièrement en personne à l’ASFC, constituaient une solution de rechange à la détention.

[12]  Le ministre s’appuie sur la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c B001, 2012 CF 523 [B001], pour faire valoir que le commissaire a omis de se livrer à un examen sérieux du plan de mise en liberté. Le ministre soutient que la jurisprudence reconnaît, comme principe général, qu’un décideur qui envisage un plan de mise en liberté doit tenir compte de la situation de la personne qui fournit un cautionnement ou une garantie, et de la manière dont cette situation favorisera l’observation des conditions (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zhang, 2001 CFPI 521 au para 22). Un plan de mise en liberté « devrait être structuré d’une manière qui lui permet d’être fructueux » (Radmand c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CanLII 22176 au para 29 (CA CISR)).

[13]  Le ministre soutient que le commissaire n’a pas entièrement tenu compte de la source et du montant du cautionnement, et qu’il n’était donc pas en mesure d’apprécier si les conditions permettaient raisonnablement de garantir que M. Ye se présenterait pour son renvoi s’il était tenu de le faire.

[14]  Je ne remets pas en cause les principes généraux ou la jurisprudence sur lesquels le ministre s’appuie. Toutefois, je ne suis pas convaincu que le commissaire a omis de tenir compte de la situation de M. Ye pour déterminer que le plan de mise en liberté était une solution de rechange valable.

[15]  En examinant la mise en liberté comme solution de rechange possible à la détention, le conseil du ministre a relevé une seule préoccupation dans les observations fournies au commissaire. M. Ye a déclaré que des économies d’environ 8 000 $ avaient été acquises dans le cadre de son travail au Canada, travail qu’il avait poursuivi sans autorisation après la prise de la mesure de renvoi. S’appuyant sur le paragraphe 47(3) du RIPR, le conseil du ministre a soutenu devant le commissaire que les fonds économisés par M. Ye avaient été obtenus illégalement et ne pouvaient être utilisés pour fournir le cautionnement de 5 000 $ proposé. Le conseil du ministre n’a pas fait valoir que le montant proposé ou la source du cautionnement ne favoriseraient pas la conformité.

[16]  Le commissaire s’est penché sur les observations du conseil du ministre et a souligné qu’il n’était pas convaincu que les économies de M. Ye avaient été obtenues illégalement. Le commissaire a en outre souligné que M. Ye avait accès à une carte de crédit qui, selon ce dernier, avait une limite d’environ 6 000 $ qui pouvait être utilisée pour verser le cautionnement de 5 000 $. M. Ye a en effet payé le cautionnement en utilisant une carte de crédit.

[17]  En examinant le plan selon lequel M. Ye serait mis en liberté sur son propre engagement avec un cautionnement de 5 000 $, le commissaire tient compte de la situation personnelle de ce dernier. Le commissaire constate que M. Ye est un propriétaire et qu’il a des enfants. En outre, le commissaire conclut que M. Ye n’est probablement pas prêt à perdre le cautionnement de 5 000 $ et affirme [traduction] qu’« […] il est très peu probable que vous vous leviez et preniez la fuite, alors que vous avez beaucoup investi dans l’immobilier ici ».

[18]  L’analyse et les conclusions du commissaire ont été établies dans le contexte de la preuve présentée et des observations formulées, et doivent être lues à la lumière de ces éléments (Vavilov au para 94). Selon la preuve non contestée de M. Ye, il était responsable du paiement de l’hypothèque sur sa maison, sa femme ne gagnait pas de revenus, ses économies s’élevaient à environ 8 000 $ et il avait accès à une carte de crédit avec une limite de 6 000 $ qu’il avait utilisée pour payer des impôts. À la lumière de ces éléments de preuve relatifs à ses moyens financiers et à ses responsabilités, il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de conclure qu’il était peu probable que M. Ye prenne la fuite et perde le cautionnement de 5 000 $.

[19]  Les motifs invoqués par le commissaire pour conclure que le plan de mise en liberté constituait une solution de rechange valable au maintien en détention auraient pu être plus détaillés et plus complets, et ils auraient pu l’être si les questions soulevées lors du contrôle judiciaire avaient été soulevées par le conseil du ministre à l’audience relative au contrôle de la détention. Néanmoins, les motifs limités reflètent une analyse sérieuse de la question soumise au commissaire, à savoir si le cautionnement de 5 000 $ constituait une incitation valable pour promouvoir le respect des conditions de mise en liberté. La décision est intrinsèquement cohérente, et fondée sur une analyse justifiée, intelligible et transparente pour l’individu qui en fait l’objet (Vavilov au para 95).

III.  Conclusion

[20]  La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6601‑19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6601‑19

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c JIN YUAN YE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence À Toronto (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MORIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2020

 

COMPARUTIONS :

Kareena Wilding

POUR LE DEMANDEUR

Jin Yuan Ye

POUR LE DÉFENDEUR

(NON REPRÉSENTÉ)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

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