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Date : 20040310

Dossier : IMM-1957-03

Référence : 2004 CF 363

OTTAWA (ONTARIO), LE 10e JOUR DE MARS 2004

PRÉSENT :     L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                                    GURPAL SINGH

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal) en date du 26 février 2003, à l'effet que le demandeur n'est pas un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la loi).

[2]                 Il n'existe aucune transcription de l'audience ayant eu lieu le 30 janvier 2003 devant le tribunal. Pour des raisons inconnues, les cassettes de l'audition sont complètement vierges. Le procureur du demandeur a requis, de façon préliminaire, que j'accueille la demande de contrôle et que je retourne l'affaire pour nouvelle audition. Ayant réservé ma décision à cet égard et ayant entendu les procureurs sur le mérite de l'affaire, j'en suis venu à la conclusion que cette demande préliminaire est bien fondée.

[3]                 D'une part, il a été établi à maintes reprises que le non-enregistrement des procédures, sauf s'il est prévu par la loi, ne donne pas ouverture à un recours pour violation des règles de justice naturelle (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (ville), [1997] 1 R.C.S. 793 aux paras. 79-87 (C.S.C.)). D'autre part, l'absence de transcription, sans être fatal, peut empêcher la Cour qui siège en révision, de vérifier notamment si la conclusion générale de non crédibilité du tribunal s'appuie sur la preuve au dossier et si celle-ci est raisonnable. En l'espèce, il n'existe aucune exigence dans la Loi relativement à l'enregistrement des propos tenus à l'audience. La Cour doit donc déterminer si le dossier dont elle dispose lui permet de statuer convenablement sur la présente demande de contrôle judiciaire (Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 739 (C.F. 1re inst.) (QL), (2000) 182 F.T.R. 312; et Hatami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 402 (C.F. 1re inst.) (QL)). Ayant notamment considéré la nature des questions qui se posaient devant le tribunal et les autres éléments ci-après mentionnés, le dossier ne me permet pas de statuer convenablement sur la présente demande.


[4]                 Le demandeur, Gurpal Singh, est âgé de 41 ans et est citoyen de l'Inde. Il revendique le statut de réfugié en raison d'opinions politiques imputées. Le demandeur aurait fait l'objet d'arrestations et de mauvais traitements par la police. Le demandeur affirme être un chauffeur de taxi. En juin 1999, il aurait été arrêté et battu par la police pour avoir transporté dans son taxi des membres du « Akali Dal Mann Party » . Deux mois plus tard, il aurait joint le « Khaira Action Committee » . En juin 2001, il aurait été arrêté à deux reprises à sa résidence familiale en raison du fait qu'il était soupçonné de collaboration avec des militants. En août 2001, il aurait été menacé dans son taxi par trois passagers munis d'armes à feu et qui l'auraient forcé d'éviter un poste de contrôle. Peu après, il aurait été arrêté sur la route par des policiers. Amené au poste de police, le demandeur aurait été torturé sous motif que celui-ci collaborait avec les terroristes. En septembre 2001, il aurait déménagé à New Delhi. Il aurait appris que sa mère avait été attaquée et que son beau-frère avait été arrêté par les policiers. Il est arrivé au Canada le 28 octobre 2001.


[5]                 Dans sa décision, le tribunal conclut que le demandeur n'est généralement pas crédible. Ce faisant, le tribunal écarte des éléments de preuve documentaire soumis par le demandeur, et qui viennent, de façon générale, corroborer son témoignage à l'effet que lui-même et d'autres membres de sa famille auraient été persécutés. Par conséquent, le tribunal juge que le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau d'établir qu'il est un « réfugié au sens de la Convention » . Le tribunal conclut également que le demandeur n'est pas une « personne à protéger » dans la mesure où son retour en Inde n'engendrerait aucune menace à sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités et qu'il n'existe aucun motif sérieux de croire que le demandeur serait soumis à la torture advenant son retour en Inde.


[6]                 Dans sa décision, le tribunal reproche notamment au demandeur d'avoir donné une version confuse des motifs pour lesquels il était recherché par la police et d'avoir également ajusté son témoignage en précisant subséquemment que la police le considérait comme un terroriste parce qu'il aurait quitté l'Inde sans permission. Or, les motifs des arrestations du demandeur et le fait que celui-ci serait chauffeur de taxi portent sur des aspects clés de son témoignage. À cet égard, le demandeur soutient que le tribunal a ignoré certaines parties de son témoignage ou qu'il a rejeté arbitrairement ses explications. Par ailleurs, selon le rapport médical déposé par le demandeur, celui-ci souffre apparemment de troubles de mémoire. Il s'agit donc de voir dans quelle mesure cela a pu affecter son témoignage (le tribunal ayant noté que cela n'était pas le cas). Le tribunal fait également état d'une omission dans le témoignage du demandeur qu'il qualifie d' « importante » . Le tribunal se réfère au fait qu'en août 2001, le demandeur aurait été arrêté à la maison par la police. À cette occasion, on lui aurait dit que les photographies qu'on avait prises de lui seraient envoyées dans toutes les stations de police du Punjab et en Inde. Or, ce dernier fait n'apparaît pas dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur. Néanmoins, lorsqu'on examine le FRP, on constate que l'arrestation du mois d'août n'est pas survenue à la maison du demandeur, mais a eu lieu sur la route alors que le demandeur était au volant de son véhicule. En l'espèce, le tribunal s'est-il trompé d'arrestation (l'arrestation à la maison familiale décrite par le demandeur dans son FRP a plutôt eu lieu en juin 2001), ou bien est-ce le demandeur qui s'est contredit dans son témoignage?

[7]                 Vu ce qui précède, en raison de l'absence de transcription, il est très difficile, voir impossible pour cette Cour de réviser la conclusion générale de non crédibilité du tribunal dont la validité est aujourd'hui contestée par le demandeur. Comme ont peut le constater à la lecture de la décision, il ne s'agit pas d'un cas où la conclusion du tribunal est fondée essentiellement sur la preuve documentaire. En l'absence de transcription, il est malheureusement impossible de déterminer si la conclusion du tribunal est fondée sur la preuve ou si celle-ci a été tirée d'une façon capricieuse et arbitraire. Par ailleurs, le demandeur a soumis, certains éléments de preuve documentaire qui corroborent sa version des faits, mais tel que susdit, ceux-ci ont été écartés parce que le tribunal a déterminé que le demandeur n'était généralement pas crédible. Considérant le fait que seul le demandeur a déposé des affidavits, considérant les allégués contenus à ces affidavits, vu l'impossibilité pour cette Cour d'examiner la conclusion portant sur la crédibilité en général (Ahmed,supra), considérant l'intérêt supérieur de la justice, j'estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit donc être accueillie. Les parties n'ont proposé aucune question pour certification et je suis d'avis qu'aucune question d'importance générale ne devrait être certifiée en l'espèce.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie. La décision du tribunal en date du 26 février 2003 est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience et détermination devant une formation différente. Aucune question d'importance générale ne sera certifiée.

                    « Luc Martineau »                   

                                                                                                                                                                 Juge                                   


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-1957-03

INTITULÉ :                                        GURPAL SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 3 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 MARS 2004

COMPARUTIONS:

ME MICHEL LE BRUN                                                        POUR LE DEMANDEUR

ME IAN DEMERS                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ME MICHEL LE BRUN                                                        POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

M. MORRIS ROSENBERG                                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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