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Date : 20200911


Dossier : T-813-17

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T-1245-18

Référence : 2020 CF 893

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2020

En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SOCIÉTÉ DE FIDUCIE BLUE BRIDGE INC.

demanderesse

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Ce litige remonte plusieurs années en arrière, alors qu’en vertu de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [LIR], le ministre du Revenu national [le ministre] a envoyé des demandes péremptoires de renseignements et de documents [DPR] aux soins de Alain E. Roch et Jules Brossard, alors fiduciaires de Jonction Trust et de Chaudière Trust, concernant deux résidents français qui étaient sous vérification par l'administration fiscale, dans le but de recueillir des renseignements fiscaux réclamés par la République française [la France], et ce, en vertu d’une obligation prévue à l’article 26 de la Convention entre le Canada et la France tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune [la Convention].

[2]  Bien qu’ils aient exprimé des réserves, MM. Roch et Brossard [les fiduciaires] ont initialement accepté de fournir au ministre certains renseignements. S’en est suivi l’exercice par les fiduciaires d’une série de demandes de jugement déclaratoire et de contrôle judiciaire, premièrement devant la Cour supérieure du Québec, et par la suite devant cette Cour, à l’encontre de DPR que Jonction Trust et Chaudière Trust, ainsi que douze autres fiducies visées par le présent jugement [les Fiducies], ont reçues du ministre.

[3]  Cette Cour est également saisie de plusieurs demandes sommaires présentées par le ministre en vertu du paragraphe 231.7(1) de la LIR visant à ordonner aux fiduciaires à se conformer aux DPR et de produire les renseignements demandés par la France.

[4]  Il importe de souligner que M. Brossard n’est plus fiduciaire d’aucune des Fiducies. En outre, la Société de Fiducie Blue Bridge [Blue Bridge] a récemment assumé l’ensemble des fonctions et obligations dévolues à M. Roch à titre de fiduciaire des Fiducies. M. Roch est président et administrateur de cette société et premier actionnaire de la société « Gestion de patrimoine Blue Bridge Inc. », laquelle est première actionnaire de Blue Bridge. L'intitulé de la cause a été modifié en conséquence par la substitution du nom de M. Roch au profit de Blue Bridge.

[5]  En tant que partie demanderesse, Blue Bridge demande à la Cour de déclarer qu’elle n’est pas assujettie aux lois fiscales de la France. Elle attaque aussi la légalité des dispositions en cause de la législation française. En tant que partie défenderesse, Blue Bridge conteste chacune des demandes formulées par le ministre en vertu de l’article 231.7 de la LIR.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’appartient pas à cette Cour, du moins à ce stade-ci, de se prononcer sur les déclarations recherchées par Blue Bridge ou de trancher les questions soulevées en contrôle judiciaire.

[7]  Le rôle de cette Cour se limite plutôt à déterminer si les conditions de l’article 26 de la Convention, visant à favoriser l’échange de renseignements fiscaux entre les États, et celles énoncées à l’article 231.7 de la LIR, visant à ordonner aux Fiducies de fournir les renseignements et les documents requis par le ministre, ont été satisfaites.

I.  Le contexte

[8]  Les dossiers ont été constitués sur la base d’une preuve commune, laquelle comprend les affidavits de M. Roch et M. Brossard, les affidavits de M. Patrick Massicotte et Mme Nancy Tremblay au nom du ministre, les documents fournis en réponse aux assignations à comparaître, les notes sténographiques des contre-interrogatoires sur affidavits, les réponses aux engagements et les notes sténographiques des ré-interrogatoires sur engagements. Le dossier conjoint est regroupé en 40 volumes comprenant 7735 pages au total.

[9]  Le contexte factuel général et les faits ayant mené aux présentes instances se chevauchent et sont décrits en détail dans les mémoires des parties. Pour les besoins du présent jugement, il suffit de les résumer comme suit.

A.  Conventions fiscales et échanges internationaux de renseignements fiscaux

[10]  Le Canada est un pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] et est partie à de nombreux accords internationaux prévoyant l’échange de renseignements fiscaux avec plusieurs pays, dont la Convention.

[11]  Le Canada, tout comme la France, est aussi membre du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales (Forum fiscal) lequel est un cadre multilatéral au sein duquel sont menés des travaux sur la transparence fiscale et l’échange de renseignements par plus de 130 pays et territoires participants.

[12]  En 2016, le Canada était partie à 121 conventions fiscales ou accords d'échanges de renseignements fiscaux (AERF) bilatéraux, de même qu'à la Convention concernant l'assistance administrative en matière fiscale, une convention multilatérale à laquelle participent 112 juridictions.

[13]  Les conventions et autres accords fiscaux internationaux auxquels le Canada est partie prévoient que les fonctions visant l’application de ces ententes sont assumées par « l'autorité compétente » de chaque pays signataire.

[14]  Au Canada, le ministre ou son représentant autorisé sont désignés à titre « d’autorité compétente ». Au plan opérationnel, les diverses fonctions de l'autorité compétente sont exercées par des fonctionnaires de l’Agence du Revenu du Canada [ARC].

[15]  Pour sa part, l’échange de renseignements basé sur les ententes fiscales internationales bilatérales constitue une fonction spécifique au sein de l’autorité compétente de l’ARC, laquelle est exercée par les services d’échanges de renseignements (SER).

[16]  À ce titre, les SER sont en charge des échanges de renseignements dits « sur demande », « spontanés » ou « automatiques ». Ils traitent annuellement plus de 1200 échanges de renseignements et un seul échange peut comporter des renseignements au sujet de plusieurs personnes.

[17]  Le Canada et la France sont parties à la Convention signée le 2 mai 1975. L’article 26 de la Convention, intitulé « Échange de renseignements » se lit comme suit :

1. Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des États contractants dans la mesure où l’imposition qu’elles prévoient n’est pas contraire à la Convention. L'échange de renseignements n'est pas restreint par les articles 1 et 2.

2. Les renseignements reçus en vertu du paragraphe 1 par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet État et ne sont communiqués qu'aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l'établissement ou le recouvrement des impôts, par les procédures ou poursuites concernant les impôts, par les décisions sur les recours relatifs aux impôts, ou par le contrôle de ce qui précède. Ces personnes ou autorités n'utilisent ces renseignements qu'à ces fins.  Elles peuvent faire état de ces renseignements au cours d'audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements.

3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l'obligation :

a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l'autre État contractant ;

b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l'autre État contractant ;

c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public.

4. Si des renseignements sont demandés par un État contractant conformément à cet article, l'autre État contractant utilise les pouvoirs dont il dispose pour obtenir les renseignements demandés, même s‘il n’en a pas besoin à ses propres fins fiscales. L’obligation qui figure dans la phrase précédente est soumise aux limitations prévues au paragraphe 3 sauf si ces limitations sont susceptibles d’empêcher un État contractant de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci ne présentent pas d’intérêt pour lui dans le cadre national.

5. En aucun cas, les dispositions du paragraphe 3 ne peuvent être interprétées comme permettant à un État contractant de refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent aux droits de propriété dans une personne.

1. The competent authorities of the Contracting States shall exchange such information as is foreseeably relevant for carrying out the provisions of this Convention or to the administration or enforcement of the domestic laws concerning taxes of every kind and description imposed on behalf of the Contracting States, insofar as the taxation thereunder is not contrary to the Convention. The exchange of information is not restricted by Articles 1 and 2.

2. Any information received under paragraph 1 by a Contracting State shall be treated as secret in the same manner as information obtained under the domestic laws of that State and shall be disclosed only to persons or authorities (including courts and administrative bodies) concerned with the assessment or collection of, the enforcement or the prosecution in respect of, the determination of appeals in relation to taxes, or the oversight of the above. Such persons or authorities shall use the information only for such purposes. They may disclose the information in public court proceedings or in judicial decisions.

3. In no case shall the provisions of paragraphs 1 and 2 be construed so as to impose on a Contracting State the obligation:

a) to carry out administrative measures at variance with the laws and the administrative practice of that or of the other Contracting State;

b) to supply information that is not obtainable under the laws or in the normal course of the administration of that or of the other Contracting State; or

c) to supply information that would disclose any trade, business, industrial, commercial or professional secret or trade process, or information, the disclosure of which would be contrary to public policy (ordre public).

4. If information is requested by a Contracting State in accordance with this Article, the other Contracting State shall use its information gathering measures to obtain the requested information, even though the other State may not need such information for its own tax purposes. The obligation contained in the preceding sentence is subject to the limitations of paragraph 3 but in no case shall such limitations be construed to permit a Contracting State to decline to supply information solely because it has no domestic interest in such information.

5. In no case shall the provisions of paragraph 3 be construed to permit a Contracting State to decline to supply information solely because the information is held by a bank, other financial institution, nominee or person acting in an agency or fiduciary capacity or because the information relates to ownership interests in a person.

[18]  Dans l’affaire Crown Forest Industries Ltd c Canada [1995] 2 RCS 802 [Crown Forest], la Cour suprême du Canada a établi que l’interprétation d’une convention fiscale est différente de l'interprétation d'une loi. L’interprétation d'une telle convention vise tout d'abord à trouver le sens des termes concernés. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l'intention des parties. Au paragraphe 22 de la décision, la Cour suprême précise qu’une telle convention « doit être interprétée de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties. »

[19]  La Cour suprême du Canada énonce également au paragraphe 44 de Crown Forest : « que pour dégager les objectifs et les intentions des parties, un tribunal peut recourir à des documents extrinsèques qui font partie du contexte juridique, notamment les conventions modèles acceptées et les commentaires officiels portant sur celles-ci, sans qu'il soit nécessaire d'avoir préalablement décelé une ambiguïté. »

[20]  À cet égard, la Convention Modèle de l’OCDE et les Commentaires de l’OCDE sur celle-ci occupent une place prépondérante pour l’interprétation de la Convention. Les dispositions de l'article 26 de la Convention doivent être lues à la lumière de l’objectif premier de l’article 26, qui est de ne pas restreindre la portée de l’échange de renseignements, mais de le favoriser dans la mesure la plus large possible.

B.  Faits ayant mené aux instances visant les fiducies Jonction Trust et Chaudière Trust

[21]  À compter de 2012, sur la base de l'article 26 de la Convention, la France transmet au ministre diverses DPR aux fins de vérifications fiscales de résidents français dont la France avait des motifs de croire qu'ils avaient des liens avec des fiducies canadiennes. Le ministre y répond en fournissant les renseignements et les documents qu’il a pu obtenir. 

[22]  En 2014 et en 2015, le ministre transmet des DPR à MM. Roch et Brossard, en leur qualité de fiduciaires de Jonction Trust et de Chaudière Trust, concernant deux résidents français qui étaient sous vérification par l’administration fiscale française. Le ministre demande notamment à ce que les documents suivants lui soient envoyés relativement aux années d’imposition 2007 à 2012 inclusivement :

  • 1) Les états financiers de Chaudière Trust et de Jonction Trust;

  • 2) Une liste détaillée des actifs de Chaudière Trust et de Jonction Trust;

  • 3) Une liste détaillée des distributions aux bénéficiaires de Chaudière Trust et de Jonction Trust en 2010 et en 2011;

  • 4) Les instruments confirmant les transferts d’actifs de Chaudière Trust et de Jonction Trust depuis leur création; et

  • 5) Une réconciliation du capital de Jonction Trust depuis sa création jusqu’en 2012.

[23]  Le 20 octobre 2015, le ministre transmet également une DPR à Jonction Trust en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR, par laquelle il exige que les documents suivants lui soient communiqués dans un délai de trente jours de la réception de ladite DPR, et ce, relativement aux années d’imposition 2010 à 2014 inclusivement:

  • 1) Une copie de ses déclarations T3 Déclaration de renseignements et de revenus pour les années 2013 et 2014;

  • 2) Une copie de ses états financiers pour les années 2011 à 2014;

  • 3) Une copie de sa balance de vérification au 31 décembre 2011, 2012, 2013 et 2014;

  • 4) Les documents juridiques indiquant la personne apportant des biens à la fiducie, en plus de mentionner toutes les personnes ayant apporté des biens à la fiducie depuis sa création;

  • 5) La liste des biens qu’elle détient, ainsi que la juste valeur marchande de chacun des biens au 31 décembre des années 2012, 2013 et 2014 ;

  • 6) Le détail du compte de capital et du compte de revenus pour les années 2012 à 2014 inclusivement.

[24]  Les fiduciaires fournissent au ministre les renseignements demandés, à l’exception de ceux visant les détails du compte de capital.

[25]  Le 29 janvier 2016, les avocats des fiduciaires envoient une lettre à un représentant du ministre pour lui exposer leurs préoccupations découlant de la réception des diverses demandes d’informations et de l’utilisation de ces informations par les autorités fiscales françaises. Ils disent craindre que les demandes des autorités françaises n’aient pour objectif d’imposer des actifs des fiducies canadiennes et d’éventuellement imposer l’impôt sur la fortune en vertu de la loi française et que ces visées vont à l’encontre de la Convention, créant une double pénalité.

[26]  Une entente survient alors entre les parties, et le ministre convient de suspendre l’exécution de la DPR du 20 octobre 2015, et de toutes autres DPR à l’endroit des fiduciaires, afin que le ministre puisse entamer des procédures à l’amiable avec la France, conformément à l’article 25 de la Convention.

[27]  Le 3 mars 2016, en dépit des mesures prises par le ministre, les fiduciaires instituent un recours devant la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir un jugement déclaratoire déclarant que les actes constitutifs de Jonction Trust et Chaudière Trust n’autorisent pas les fiduciaires à transmettre les fiches nominatives sur les bénéficiaires à des autorités étrangères.

[28]  Les fiduciaires n’avaient pas mis le ministre en cause et ne l'avaient pas autrement informé de ce recours. Le 22 mars 2016, l’honorable juge Pierre Nollet, conclu que les fiduciaires « font fausse route en s'adressant à la Cour supérieure pour court-circuiter la demande péremptoire » de l’Agence du Revenu du Canada [ARC] : Roch c Chaudière Trust, 2016 QCCS 1718 [Roch], para 12. Il ordonne que l’ARC soit appelée à l'instance, soulevant par ailleurs qu'il était selon lui « probable que ce soit la Cour fédérale qui ait compétence dans un tel cas. »

[29]  Peu après l’intervention du ministre et son préavis aux fiduciaires de contester la juridiction de la Cour supérieure du Québec, l’instance est suspendue. Elle est subséquemment discontinuée.

[30]  Dans l'intervalle, le ministre donne suite à la demande de procédure amiable faite par les fiduciaires et il entreprend sur la base de leurs représentations des communications avec la France.

[31]  En mai 2017, le ministre informe les fiduciaires qu'il ne peut prévoir l’échéance des discussions alors en cours avec la France, suite à quoi les fiduciaires avisent le ministre qu'ils retirent leur demande de procédure amiable.

[32]  Le 7 juin 2017, les fiduciaires instituent envers le ministre la première demande en jugement déclaratoire et contrôle judiciaire portant le numéro de dossier T-813-17 dont la Cour est saisie en la présente affaire. Celle-ci demande, à titre de réparation :

  • 1) Une ordonnance, conformément à l’alinéa 18(1)(a) de la Loi sur les Cours fédérales, déclarant qu’en leur qualité de fiduciaire, ils ne sont pas assujettis aux lois fiscales de la France et n’ont donc pas à se conformer à des demandes formulées en vertu des lois fiscales de la France, directement ou indirectement et de quelque manière que ce soit, pas plus que les Fiducies elles-mêmes;

  • 2) Une ordonnance, conformément à l’alinéa 18.1(3)(b) de la Loi sur les Cours fédérales, par laquelle la Cour prohibera le ministre d’envoyer une DPR aux demandeurs leur enjoignant de lui transmettre le montant du capital, l’identité des bénéficiaires et les états financiers de Jonction Trust, de Chaudière Trust, ou de toutes autres fiducies ou trusts résidant au Canada et dont ils sont fiduciaires;

  • 3) Une ordonnance, conformément à l’alinéa 18.1(3)(b) de la Loi sur les Cours fédérales, par laquelle la Cour prohibera le ministre de transmettre aux autorités fiscales de la France le montant du capital, l’identité des bénéficiaires et les états financiers de Jonction Trust, de Chaudière Trust ou de tout autre fiducie ou trust résidant au Canada et dont ils sont fiduciaires.

[33]  Par lettre datée du 18 mai 2017, le ministre informe les fiduciaires qu’il annule la DPR datée du 20 octobre 2015 au motif que « sa formulation [pouvait] entraîner confusion sur l’identité des parties y étant visées ou la teneur exacte de certains renseignements et documents qui y sont décrits ». Le ministre se réserve toutefois le droit d’exiger, à nouveau, les renseignements et documents visés par la DPR.

[34]  Autour du 13 juin 2017, les autorités fiscales françaises avisent le ministre qu’elles maintiennent les demandes de renseignements qu’elle lui avait adressées en 2015, lesquelles étaient à l’origine de l’envoi de la DPR que Jonction Trust avait reçue.

[35]  Selon M. Massicotte, les demandes de la France ont été analysées en examinant les facteurs applicables dans la perspective où :

  • a) Le ministre et/ou les fonctionnaires des SER de l’ARC n’ont pas une connaissance approfondie de la législation interne de chacun des partenaires de conventions fiscales et d’AERF, ni de la situation factuelle spécifique à chaque contribuable visé par une demande, pour chaque année fiscale en cause;

  • b) Ils n’ont pas non plus le mandat ou l’expertise pour effectuer une analyse ou une interprétation approfondie de la législation interne des pays requérants, en lien avec chaque demande de renseignements qui leur est soumise.

[36]  Après son examen des demandes de la France, le ministre conclut que les conditions prévues à l'article 26 de la Convention étaient satisfaites. Chacune de ces demandes contient notamment les renseignements suivants :

  • a) Le nom du contribuable, la date et le lieu de sa naissance en France;

  • b) Son adresse civique en France au moment de la demande;

  • c) Le contexte de la vérification de ce contribuable entreprise par les autorités fiscales françaises et son lien avec les fiducies en cause;

  • d) Les années fiscales sous vérification;

  • e) La nature des impôts en cause, de même que les revenus et actifs que les contribuables sont tenus de déclarer à l’administration fiscale française;

  • f) Une description du cadre législatif français sur la base duquel la vérification est effectuée et pour laquelle les renseignements et les documents sont requis.

  • g) Le nom et les coordonnées connus des personnes, sociétés ou entités situées au Canada qui sont susceptibles de détenir les renseignements et les documents demandés.

[37]  Le 20 juillet 2017, le ministre envoie à M. Roch deux DPR fondées sur le paragraphe 231.2(1) de la LIR et sur l’article 26 de la Convention, exigeant que les documents suivants lui soient communiqués dans un délai de trente jours de la date des DPR :

  • 1) Le nom de toute personne ayant apporté des biens (avoirs, actifs, etc.) aux fiducies Jonction Trust et Chaudière Trust, incluant toute pièce justificative;

  • 2) L’historique de constitution des fiducies Jonction Trust et de Chaudière Trust, incluant les noms et les coordonnées des fiducies qui les aurait précédées et une copie des documents constitutifs de ces structures;

  • 3) La nature précise et le montant total des avoirs des fiducies Jonction Trust et Chaudière Trust pour les années 2011, 2012, 2013 et 2014;

  • 4) La copie des bilans de Jonction Trust et Chaudière Trust et des déclarations T3, incluant les annexes produites à l’Agence du revenu du Canada pour les années 2011, 2012, 2013 et 2014.

[38]  En plus des éléments énumérés ci-dessus, la demande péremptoire concernant Chaudière Trust exige la communication des documents suivants :

  • 1) Le montant des revenus versés par la Fiducie entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013 à la personne nommément mentionnée dans la lettre, incluant toutes pièces justificatives démontrant les versements;

  • 2) Les liens existants entre les fiducies Cornwall Trust et Montpellier Trust avec la Fiducie et la personne nommément mentionnées dans la lettre, incluant tout document pertinent à ce sujet;

  • 3) Les adresses civiques désignées pour les Fiducies Cornwall Trust et Montpellier Trust, incluant tout document pertinent à ce sujet.

[39]  Le 3 août 2017, M. Roch informe le ministre de son refus de se conformer aux DRP du 20 juillet 2017.

[40]  Le 7 août 2017, le ministre intente à son tour deux recours contre les fiduciaires portant les numéros de dossier T-1222-17 et T-1223-17 afin de forcer l’exécution des DPR datées du 20 juillet 2017, et ce, en vertu de l’article 231.7 de la LIR.

[41]  La preuve soumise au soutien de ces recours est principalement fondée sur les affidavits et les pièces produites par M. Roch et Patrick Massicotte. Ce dernier occupait alors la fonction de Conseiller technique principal, auprès de la Section de la Procédure amiable - Dossiers techniques de la Division des services de l'autorité compétente, Direction du secteur international et des grandes entreprises de l’ARC.

C.  Faits ayant mené aux instances visant les douze autres fiducies

[42]  Le ministre avait suspendu le traitement de DPR supplémentaires requises par la France en vertu de la Convention vu l’entente avec MM. Roch et Brossard pour entamer des procédures à l’amiable en 2016. Toutefois, en décembre 2017, la France transmet au ministre de nouvelles demandes de renseignements fondées sur l’article 26 de la Convention visant d’autres résidents français et d’autres fiducies visées par le présent jugement.

[43]  De ce fait, le 28 mai et le 31 mai 2018, le ministre envoie à M. Roch, en sa qualité de fiduciaire de chacune des Fiducies suivantes, Arkadi Trust, Kerpouic Trust, Elk River Trust, Morpho Trust, Saint-Laurans Trust, Vermillon Trust, Wildberry Trust, Cranberry Trust, Jasper Trust, Jurby Trust, Violet Trust et Warwick Trust, des DPR fondées sur le paragraphe 231.2(1) de la LIR et sur l’article 26 de la Convention.

[44]  Le 27 juin 2018, M. Roch dépose douze demandes de jugement déclaratoire et de contrôle judiciaire à l’encontre des DPR portant les numéros de dossier T-1233-18, T-1234-18, T-1235-18, T-1236-18, T-1237-18, T-1238-18, T-1240-18, T-1241-18, T-1242-18, T-1243-18, T-1244-18 et T-1245-18. 

[45]  Le 28 septembre 2018, conformément à l’ordonnance d’instruction commune du 21 septembre, le ministre a entrepris, par avis de demande déposé dans les mêmes instances, un recours pour ordonnances d'exécution fondé sur le paragraphe 231.7 de la LIR à l’égard de chacune des DPR envoyées à M. Roch les 28 et 31 mai 2018.

[46]  La preuve soumise au soutien de ces recours est principalement fondée sur les affidavits et les pièces produites par Nancy Tremblay. Celle-ci occupait alors la fonction de Gestionnaire à la Section des services d’échanges de renseignements de l’autorité compétente, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes de l'ARC.

II.  Les recours en contrôle judiciaire et en jugement déclaratoire présentés par Blue Bridge

A.  Questions en litige

[47]  Blue Bridge pose les questions suivantes dans ses demandes de jugement déclaratoire et de contrôle judiciaire :

  • 1) Blue Bridge, en sa qualité de fiduciaire des Fiducies, est-elle assujettie aux lois fiscales de la France?

  • 2) La France peut-elle prélever un impôt français sur un capital canadien en contravention de l’autonomie patrimoniale des fiducies et du caractère discrétionnaire des bénéficiaires?

  • 3) La Convention permet-elle :

  • a) De prélever un impôt français sur un capital canadien n’ayant pas de nexus avec la France?

  • b) D’exiger des documents qui permettent ou facilitent le prélèvement d’un impôt français sur un capital canadien sans nexus avec la France?

  • c) D’exiger des documents qui permettent ou facilitent la double imposition?

[48]  Selon Blue Bridge, ces questions se répondent par la négative.

[49]  Les observations de Blue Bridge sont nombreuses et longues. Je les résume brièvement.

(a)  Assujettissement aux lois fiscales de la France

[50]  Blue Bridge prétend qu’elle n’est pas tenue de se conformer aux différentes DPR ayant été soumises par la France en vertu de ses lois fiscales.

[51]  Elle soutient que la République française ne peut pas prélever un impôt français sur des actifs détenus à titre de capital par des fiducies résidant au Canada sans contrevenir à l’autonomie patrimoniale des fiduciaires et à leur caractère discrétionnaire. La République française ne peut pas non plus se fonder sur la Convention pour prélever un impôt français sur un capital canadien sans nexus avec la France, pour exiger des documents qui permettent ou facilitent le prélèvement d’un tel impôt, ou pour exiger des documents qui permettent ou facilitent la double imposition.

[52]  Au soutien de ces arguments, Blue Bridge invoque le principe fondamental du droit international qui découle de l’arrêt United States of America v Harden, [1963] RCS 366 [Harden]. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a cité la règle énoncée par le juge Tomlin dans Queen of Holland v Drukker. In re Visser, [1928] Ch. 877, à la page 884:

[traduction] [. . .] il est une règle bien établie, appliquée depuis au moins 200 ans environ, qui porte que nos tribunaux ne percevront pas les impôts d'États étrangers pour l'avantage des souverains de ces États étrangers.

[53]  Blue Bridge ajoute que d’appliquer une loi fiscale étrangère n’ayant pas reçu l’assentiment d’une majorité élue au Canada irait à l’encontre du principe de la souveraineté parlementaire : Government of India, Ministry of Finance (Revenue Division) v Taylor, [1955] AC 491 à la p. 510.

[54]  De plus, Blue Bridge soumet qu’en vertu des articles 3155 (6) et 3162 du Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991 [CCQ], les règles de droit international privé interdisent expressément la sanction d’obligations découlant de lois fiscales étrangères, à moins de l’existence d’un mécanisme de réciprocité entre le Québec et l’état étranger.

(b)  Prélèvement d’un impôt français sur un capital canadien

[55]  Blue Bridge prétend que le principe de l’autonomie patrimoniale des fiducies ne permet pas à la France de prélever un impôt sur le capital des Fiducies, étant des capitaux canadiens. À cet effet, elle rappelle que les biens qui composent les actifs d’une fiducie en common law ne font pas partie du patrimoine des bénéficiaires de cette même fiducie. Pour sa part, le droit civil québécois reconnaît également que la fiducie est un patrimoine autonome et distinct de celui qui la constitue, du fiduciaire et du bénéficiaire. Ainsi, aucun d’entre eux ne détient de droit réel sur le patrimoine d’une fiducie. De ce fait, à titre d’entité distincte, une fiducie possède ses propres revenus. Blue Bridge maintient que seul le revenu d’une fiducie qui est devenu payable au bénéficiaire au cours de l’année d’imposition de la fiducie, conformément à l’acte de fiducie, est à inclure par le bénéficiaire dans ses revenus.

[56]  Blue Bridge déclare qu’elle ne peut donner suite aux DPR effectuées par la France puisque les Fiducies sont discrétionnaires, ce qui implique que ce sont les fiduciaires qui détiennent le pouvoir de verser des sommes aux bénéficiaires, ces derniers, au surplus, n’ayant aucun droit exécutoire de recevoir les biens qui s’y trouvent : SA c Metro Vancouver Housing Corp., 2019 SCC 4, [Metro Vancouver], para 4.

[57]  Blue Bridge signale aussi que l’ARC a admis que dans le cas d’une fiducie discrétionnaire, une personne est considérée comme bénéficiaire uniquement lorsqu’elle reçoit directement ou indirectement une distribution discrétionnaire de la fiducie.

[58]  Une décision de la Cour administrative d’appel de Paris aurait également reconnu la séparation entre le patrimoine du trust anglo-saxon et celui du bénéficiaire, en plus d’avoir confirmé que le fiduciaire est celui qui possède la propriété des actifs de la fiducie : Cour administrative d’appel, no 16PA01660, Paris, 12 octobre 2017. Ainsi, les bénéficiaires n’ayant aucun droit sur les biens de la fiducie, le caractère discrétionnaire empêche la France de requérir la divulgation de l’identité de ces derniers ainsi que celles des constituants des Fiducies, de la valeur du capital des Fiducies ainsi que de toutes les modifications et amendements qui y sont survenus.

[59]  Quoique Blue Bridge ne nie pas l’applicabilité de la Convention au Canada, elle affirme qu’en l’absence d’un nexus entre les Fiducies et la France, cette dernière ne peut imposer l’ensemble des biens contenus aux patrimoines des Fiducies en vertu de la Convention. Afin que la Convention puisse s’appliquer aux Fiducies, le constituant devrait être domicilié en France, les biens de celles-ci être situés en France, ou encore, que les Fiducies soient résidentes de la France au sens de la Convention, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

(c)  Nexus avec la France

[60]  Blue Bridge fait valoir que l’étendue des pouvoirs prévus à l’article 26 de la Convention est tempérée par deux principes. Premièrement, l’interprétation ne peut contrevenir aux limitations ou exclusions expressément prévues par les parties à la Convention : Pacific Network Services Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), [2003] 1 CTC 333 [Pacific Network]. De plus, la Convention ne peut donner plus de pouvoirs à un État qu’il en aurait en vertu de son droit interne. Or, Blue Bridge souligne que l’article 26(1) de la Convention prévoit que les renseignements que les autorités compétentes des États contractants peuvent échanger doivent servir à appliquer les dispositions de la Convention fiscale Canada-France, dans la mesure où l’imposition prévue n’est pas contraire à celle-ci.

[61]  Selon, Blue Bridge, la France cherche à imposer des bénéficiaires potentiels et discrétionnaires sur un capital canadien provenant des Fiducies. N’ayant aucun nexus avec la France, les actifs de ces Fiducies ne sont pas imposables en vertu de la Convention, et donc, les documents et les informations requis par la France visent clairement un impôt illégal. Pour les mêmes raisons, Blue Bridge soutient que les DPR soumises par le ministre ne sont pas pertinentes pour l’application de la Convention puisqu’elles entraîneraient une imposition contraire à celle-ci.

[62]  Ainsi, Blue Bridge est d’avis que la Convention n’autorise pas la France à demander au ministre d’avoir recours aux pouvoirs que lui confère la LIR pour exiger des documents et des renseignements aux fiduciaires.

[63]  Blue Bridge ajoute que l’intention de la France est d’imposer les bénéficiaires potentiels sur un capital canadien alors que les conventions fiscales ont pour objectif de réduire ou d’éliminer la double imposition : Crown Forest, para 46. Dans ce cas, le Canada a l’obligation de prévenir la double imposition, tel qu’il est prévu dans le préambule de la Convention, et doit protéger les contribuables canadiens contre celle-ci (Allchin c Canada, 2004 CAF 206, para 12; Crown Forest, para 12).

[64]  Pour sa part, le ministre répond simplement que cette Cour n'a pas compétence pour déclarer que Blue Bridge et les Fiducies ne sont pas assujettis à la législation fiscale française concernée, ni pour statuer sur la légalité de ces dispositions. Subsidiairement, le ministre plaide que les conditions prescrites ne sont pas satisfaites pour que la Cour rende une telle ordonnance, qui ne pourrait avoir qu'un effet théorique.

[65]  Le ministre ajoute également qu’il n'apparaît pas avec certitude que les renseignements et les documents demandés par la France entraîneront une imposition contraire à la Convention.

[66]  Enfin, selon le ministre, la remise des renseignements et des documents demandés par la France ne prive les contribuables français d'aucun droit de s'opposer à toute cotisation éventuelle de la France devant les instances compétentes de juridiction française, ni à ce que ceux-ci ou Blue Bridge formulent alors une demande d'assistance auprès des autorités compétentes en vertu de l'article 25 de la Convention.

B.  Analyse

[67]  Tout d’abord, je doute que cette Cour puisse accorder un jugement déclaratoire général au profit de Blue Bridge, des Fiducies et des bénéficiaires des Fiducies tel que sollicité, mais il n’est pas nécessaire que je traite expressément de cette question.

[68]  Je souscris aux prétentions du ministre à l’effet que cette Cour n’a pas la compétence requise pour disposer des questions soulevées dans les recours de Blue Bridge. Elles sont irrecevables car ils demandent à cette Cour de se prononcer sur le fond d’un litige qui oppose Blue Bridge et la France, et non le ministre, et ce, sans que le ministre ou la Cour soient saisis de l'ensemble des faits pertinents.

[69]  De toute façon, tenant pour acquis, uniquement pour les fins de ce jugement, que cette Cour a compétence pour entendre les demandes, Blue Bridge n’a pas démontré que les conditions prescrites ont été satisfaites pour les accueillir.

[70]  Comme l’a exprimé la Cour suprême du Canada dans Metro Vancouver, un tribunal qui possède la compétence pour entendre un litige peut, à son gré, prononcer un jugement déclaratoire lorsque : (a) la question en cause est réelle et non pas simplement théorique, (b) lorsque la partie qui soulève la question a véritablement intérêt à ce qu’elle soit résolue et (c) lorsque l’intimé a intérêt à s’opposer au jugement déclaratoire sollicité.

[71]  Rien dans la preuve ne permet de soutenir qu'aux termes des vérifications les autorités françaises envisagent de cotiser toute autre personne que ses propres résidents. Au contraire, la preuve non-contredite au dossier révèle que les renseignements et les documents en litige sont requis par la France aux fins de vérifications qu’elle a entreprises uniquement envers des contribuables résidents français.

[72]  Les vérifications des autorités françaises ne sont pas terminées et n'ont à ce stade donné lieu à aucune cotisation envers ces contribuables français. Qui sait la façon dont les autorités françaises trancheront l’affaire? Par ailleurs, elle n'a exprimé aucune position arrêtée sur toute cotisation qui pourrait être établie envers l’un ou l’autre des contribuables français sous vérification. Ainsi, le débat que Blue Bridge veut tenir devant cette Cour est théorique.

[73]  En outre, puisque l'objectif ultime de Blue Bridge est d'éviter d'avoir à communiquer certaines informations aux autorités fiscales françaises, lesquelles se prévalent de la Convention pour obtenir l'assistance de l’ARC afin d’obtenir ces informations, il va de soi que la France aurait dû être partie aux procédures. Il importe de souligner que le ministre n'en est pas le représentant et n’est engagé en cette affaire qu’au titre d’autorité compétente canadienne pour l'obtention de renseignements et de documents demandés par la France en vertu de la Convention.

[74]  La France a évidemment un intérêt réel et valable à s’opposer aux demandes de Blue Bridge puisque l’ordonnance déclaratoire recherchée irait à l’encontre d’une décision d’un tribunal français ayant compétence en la matière.

[75]  Il n’appartient pas à Blue Bridge de juger de l’opportunité des choix législatifs fiscaux de la France, et de priver son administration fiscale des renseignements utiles à exercer ses fonctions de vérification. Elle ne peut pas non plus contraindre, par coup de semonce, le ministre à décider à l’avance de la validité d’éventuelles cotisations envers des contribuables français en lieu et place des instances appropriées, sur la base de faits incomplets et une connaissance superficielle des lois fiscales de la France.

[76]  Les représentations de Blue Bridge sont pour l’essentiel fondées sur des faits que le ministre n'a pas vérifié, notamment le statut des Fiducies et leur administration, la provenance et le situs de leurs actifs, l’identité des personnes les ayant apporté ou y ayant contribué, les distributions en capital ou en revenu faites le cas échéant aux contribuables sous vérification. Ce sont pourtant les faits qui sont précisément visés par les demandes de la France.

[77]  En somme, comme souligné par le ministre, il serait déraisonnable d’exiger de cette Cour une détermination qui pourrait à toutes fins pratiques empêcher toute possibilité pour l’administration fiscale française d’appliquer sa législation fiscale nationale et court-circuiter la compétence des tribunaux français.

[78]  Par conséquent, les demandes de Blue Ridge sont rejetées.

[79]  Blue Bridge n’est toutefois pas sans recours. Comme l’a exprimé le juge Nollet dans Roch, au paragraphe 20: « En contestant le bien-fondé de la demande péremptoire directement, les demandeurs obtiendraient le résultat qu’ils recherchent, s’ils ont raison sur l’existence du devoir de confidentialité qu’ils allèguent », ou pour autres motifs valables.

III.  Les demandes sommaires présentées par le ministre en vertu de l’article 231.7 de la LIR

[80]  La véritable question qui se pose pour l’ensemble des demandes devant cette Cour est celle de savoir si le ministre peut utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 231.2(1) de la LIR pour requérir la divulgation de renseignements et de documents destinés à la France aux fins de l’administration de la loi fiscale française.

[81]  En plus de l’article 26 de la Convention, ce sont les paragraphes 231.2(1) et 231.7(1) de la LIR qui délimitent les droits et obligations des parties en l’espèce.

Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

[…]

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

[…]

Compliance Order

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor-client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

A.  Analyse

[82]  Il ressort des paragraphes 231.2(1) et 231.7(1) de la LIR que trois conditions doivent être remplies pour qu’un juge de cette Cour puisse exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 231.7 d’ordonner à une personne de fournir les renseignements ou les documents demandés par le ministre.

[83]  D’abord, la Cour doit être convaincue que la personne, à qui la demande péremptoire visée au paragraphe 231.2(1) a été signifiée, est tenue de fournir les renseignements ou les documents demandés par le ministre. Le paragraphe 231.2(1) établit que la personne qui reçoit la demande devra se conformer à la demande s’il s’avère que le ministre a agi à des fins liées à l’administration ou à l’exécution de la LIR, d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, et qu’un délai raisonnable lui a été consenti pour fournir les renseignements ou les documents demandés.

[84]  Deuxièmement, il doit être démontré à la Cour que, bien que la personne soit tenue de fournir les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir, elle ne l’a pas fait. Cette exigence est établie à l’alinéa 231.7(1)a) de la LIR.

[85]  Troisièmement, la Cour doit être convaincue que les renseignements ou documents ne sont pas protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[86]  Seulement les deux premières conditions sont pertinentes en l’espèce étant donné que le secret professionnel de l’avocat n'a pas été revendiqué à l’égard des renseignements et documents en question.

[87]  Comme il a été énoncé ci-dessus, les DPR faisant l’objet du présent litige ont été transmises suivant des demandes de renseignements faites par la France fondées sur l’article 26 de la Convention.

[88]  Blue Bridge prétend qu’après avoir effectué l’analyse des demandes d'assistance de la France au moment de réception, le ministre aurait dû en faire une nouvelle analyse dans le cadre des présentes instances, sur la base de la preuve qui a été administrée, vraisemblablement avec une connaissance détaillée de tous les faits portant sur chacun des résidents français visés par les demandes d’assistance et des lois fiscales de la France. Selon Blue Bridge, dans l’hypothèse où le ministre aurait conduit une telle analyse, il aurait refusé de donner suite aux demandes de la France et qu’il revient donc à cette Cour de prendre cette décision.

[89]  Je conviens avec le ministre que cette interprétation des devoirs du ministre est déraisonnable et aurait pour effet d'entraver le fonctionnement adéquat et efficace des dispositions de la Convention. Il n’appartient pas non plus à cette Cour, en matière de contrôle de légalité d’une demande d’assistance basée sur l’article 26 de la Convention, de procéder à une analyse minutieuse des faits et du droit de l’État requérant, ou de se substituer au ministre.

[90]  C’est la conclusion même de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Berlioz Investment Fund SA c Directeur de l’administration des contributions directes (C-628115) (16 mai 2017) aux paragraphes 77, 85, 86 :

[…] l’autorité requise doit en principe faire confiance à l'autorité requérante et présumer que la demande d’information qui lui est soumise est à la fois conforme au droit national de l'autorité requérante et nécessaire aux besoins de son enquête. L’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l'État requérant et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance (...) En tout état de cause, l'autorité requise ne saurait substituer sa propre appréciation de l'utilité éventuelle des informations demandées à celle de l'autorité requérante.

[…] il y a lieu de considérer que les limites applicables au contrôle de l'autorité requise s'imposent de la même manière au contrôle du juge.

Partant, le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable, eu égard d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

[91]  Accepter l’interprétation de Blue Bridge irait à l’encontre de l’objectif premier de l’article 26 de la Convention, qui, répétons-le, est de favoriser dans la mesure la plus large possible la portée de l’échange de renseignements. L’article 26 précise que les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements « vraisemblablement pertinents » pour appliquer les dispositions de la Convention.

[92]  Dans ces circonstances, il était tout à fait indiqué que l'analyse du ministre porte sur la pertinence vraisemblable des renseignements requis par la France, tel que prévu au paragraphe 1 de l’article 26 de la Convention et en accord avec les principes issus des travaux de l'OCDE ainsi que du Forum mondial.

[93]  Le ministre a conclu que les demandes de la France ne sont pas faites de manière aléatoire, ne constituent pas une partie de pêche et satisfont la norme de pertinence vraisemblable, la France ayant informé le ministre des faits suivants :

  • a) Les particuliers désignés dans les demandes sont ou étaient en temps pertinents des résidents français;

  • b) Ces résidents font l’objet d’une vérification par les services fiscaux français;

  • c) Pour les années fiscales visées par ces vérifications, la nature des impôts et le cadre législatif fiscal français visés sont clairement indiqués et décrits.

[94]  Compte tenu des faits dont le ministre était saisi au moment où les DPR ont été émises, et à la lumière de l’ensemble de la preuve déposée par les parties, je suis persuadé que les conclusions précitées sont bien fondées.

[95]  Comme je l’ai mentionné plus haut, les fiduciaires ont refusé de se conformer aux DPR. Selon Blue Bridge, accueillir la demande d’ordonnance formulée par le ministre en vertu de l’article 231.7 impliquerait, entre autres :

  • a) De mettre en défaut Blue Bridge, en sa qualité de fiduciaire des quatorze (14) fiducies visées par les demandes péremptoires, par rapport à ses obligations de loyauté, de diligence et de confidentialité envers les bénéficiaires;

  • b) La divulgation de renseignements à propos de tiers non désignés nommément, ce que le paragraphe 231.2(1) ne permet pas;

  • c) La divulgation de renseignements à propos de particuliers, de documents et de périodes, basée sur des faits et des prémisses erronées;

  • d) Que Blue Bridge ait à fournir une opinion juridique ou fiscale à la République française sur la nature des sommes versées aux bénéficiaires potentiels et discrétionnaires, le cas échéant.

[96]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les objections formulées par Blue sont dénuées de tout fondement.

(a)  Obligations de loyauté, de diligence et de confidentialité d’un fiduciaire

[97]  Blue Bridge affirme que les fiduciaires sont tenus à des obligations de loyauté, de diligence et de confidentialité en vertu des lois fédérales et provinciales en vigueur au Canada, lesquelles prohibent toute divulgation d’information à des fins non spécifiquement permises, ce qui inclut la divulgation, directement ou indirectement de quelque manière que ce soit, aux autorités fiscales de la République française.

[98]  Au Québec, les articles 37 à 41 du CCQ, les articles 13 et 17 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ c P-39-1 et la Loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne, RLRQ c S-29.01 imposent plusieurs obligations de confidentialité à un fiduciaire. En matière fédérale, la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21 s’applique au Québec. Dans les provinces de common law, les mêmes obligations s’imposent. Blue Bridge affirme que les obligations de loyauté, de diligence et de confidentialité du fiduciaire ont préséance sur la loi française, la LIR et la Convention, sans toutefois préciser pourquoi.

[99]  Je ne puis souscrire à ces observations.

[100]  Premièrement, l’article 3 de la Loi de mise en œuvre des conventions conclues entre le Canada et la France, entre le Canada et la Belgique et entre le Canada et Israël, tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu, S.C. 1974-75-76, c 104 prévoit que celle-ci a force de loi au Canada et que ses dispositions ont préséance sur toute autre loi interne incompatible.

[101]  Deuxièmement, le paragraphe 26(5) de la Convention prévoit qu’un État ne peut refuser de communiquer des renseignements uniquement parce qu’ils sont détenus par une banque, un établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire. Quoique Blue Bridge affirme carrément que ce paragraphe n’est pas applicable en l’espèce, le paragraphe 26(5) ne saurait être plus explicite.

[102]  Je suis d’accord avec le ministre lorsqu’il plaide que l’obligation de loyauté d’un fiduciaire ne saurait faire échec à l’application de lois fiscales, dont la LIR d’où émanent les demandes péremptoires laquelle est une loi d’ordre public poursuivant un objectif urgent et réel : Montreal Aluminium Processing Inc. et al. c. Ministre du Revenu national et al., (1992), 46 FTR. 177; Pacific Network Services Ltd. c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CFPI 1158, para 21.

(b)  Les DPR visent-elles des tiers non désignés nommément

[103]  Selon Blue Bridge, les DPR envoyées par le ministre visent des tiers non désignés nommément au sens des paragraphes 231.2(2) et (3) de la LIR. À cet effet, elle soutient qu’une telle DPR doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire préalable (Canada (Revenu national) v Hydro-Québec, 2018 CF 622, para 1). Ainsi, puisque le ministre n’a pas suivi la procédure qui requiert une autorisation judiciaire préalable, chacune des DPR envoyées par le ministre aux fiduciaires est illégale et cette Cour ne peut y donner suite.

[104]  De plus, elle prétend qu’en vertu de l’alinéa 231.2(3)(b) de la LIR, cette Cour peut uniquement autoriser une DPR si l’information recherchée permet de s’assurer que les dispositions de la LIR sont respectées. Or, elle soutient que des personnes non désignées nommément (bénéficiaires, fiduciaires, constituants ou autres) ne peuvent être visées par une vérification fiscale canadienne en vertu de la LIR. De plus, Blue Bridge prétend que l’alinéa 231.2(3)(b) de la LIR ne s’applique pas à la Convention ou au droit étranger, et que ces motifs à eux seuls justifient le rejet des 14 demandes présentées par le ministre. Je ne suis pas d’accord.

[105]  Une autorisation judiciaire préalable n’est aucunement requise en la présente affaire.  Lorsqu’un contribuable est connu, le ministre peut demander à une personne de fournir des renseignements ou de produire des documents la concernant ou concernant un tiers, peu importe leur relation, que les renseignements ou les documents en question se rapportent ou non à des personnes connues ou inconnues.

[106]  Dans l'arrêt Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, la Cour suprême du Canada a ainsi statué, au paragraphe 46 :

[22]  La restriction énoncée au par. 231.2(2) ne devrait pas s’appliquer aux situations où les renseignements demandés sont nécessaires pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi.  Qu’il existe ou non une possibilité ou une probabilité que la vérification donne lieu à une enquête concernant d’autres contribuables non désignés nommément, l’ARC devrait pouvoir obtenir les renseignements dont elle pourrait autrement prendre connaissance dans le cadre d’une vérification…

[107]  Les contribuables en l’espèce sont les résidents français visés par les demandes de la France. Il s’agit là selon moi d’une réponse complète à l’argument de Blue Bridge.

(c)  Les DPR sont-elles fondées sur des informations erronées

[108]  Blue Bridge prétend que les 14 demandes péremptoires sont fondées sur des informations erronées ou visent des documents qui n’existent pas. Selon elle, les éléments de preuve, étayés aux paragraphes 167 à 174 de son mémoire daté le 29 mars 2019, qu’elle qualifie de preuve non contestée et non contredite, démontrent que certaines DPR ou certaines parties des DPR sont basées sur des prémisses qui se révèlent fausses ou encore sur de l’information erronée et incomplète provenant de la France, sans aucune vérification de la part du ministre.

[109]  Blue Bridge soutient que dans le cadre de l’envoi d’une DPR, des « renseignements erronés pourraient nuire injustement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge » (Canada (Revenu national) c Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, para 30). Ainsi, Blue Bridge souligne que dans le cas où cette Cour conclut que les DPR sont fondées, ces dernières devraient être modifiées pour tenir compte du paragraphe 231.7(3) de la LIR.

[110]  Cette défense de Blue Bridge aux demandes d’ordonnances d’exécution du ministre faites en vertu de l’article 231 est mal fondée et doit être rejetée pour les raisons suivantes.

[111]  Tel que rappelé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre du Revenu National) c Lee, 2016 CAF 53, au paragraphe 5 :

L’article 231.2 de la Loi confère au ministre le pouvoir étendu et général d’exiger de quiconque la fourniture de renseignements ou de documents à toutes fins afférentes à l’application ou à l’exécution de la Loi.

[112]  L’appréciation de la pertinence vraisemblable des informations demandées relève en premier lieu de la France étant l’État requérant, laquelle est présumée de bonne foi (Convention de Vienne sur le droit des traités, signée le 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1155, à la page 331, art. 31 (entrée en vigueur le 27 janvier 1980); Coblenz c Canada [1997] 1 CF 368, paras 10 et 11).

[113]  L’administration fiscale française a indiqué au ministre que les biens placés dans une fiducie étrangère peuvent être assujettis à l’impôt français en vertu de ses lois. L’identité réelle de toutes les personnes ayant apporté des biens aux Fiducies est donc nécessaire afin de déterminer si les sommes placées durant les années fiscales visées sont assujetties à l’impôt français. De plus, les demandes présentées par la France démontrent des liens entre les résidents français sous vérification et lesdites Fiducies visées par le présent jugement. Le ministre n’était aucunement tenu de vérifier les renseignements fournis par la France.

[114]  Après avoir étudié les demandes de l’autorité Françaises en lien avec les résidents français sous enquête, le ministre a analysé la pertinence vraisemblable des renseignements requis, et ce, en vertu de l’article 26(1) de la Convention. Tout au plus le ministre a pris acte des informations que lui ont fourni les fiduciaires, sans pouvoir ni les confirmer, ou les contredire.

[115]  Le ministre, à bon droit, a conclu que les demandes présentées par la France n’étaient pas aléatoires, ne constituaient pas une « partie de pêche » et satisfaisaient à la norme de la pertinence vraisemblable puisque les particuliers visés dans ces demandes sont ou étaient, en temps pertinents, des résidents français faisant l’objet d’une vérification fiscale par la France. De plus, la nature des impôts et le cadre législatif fiscal français applicable étaient clairement indiqués et décrits au soutien de leur demande.

(d)  Nature des sommes versées aux bénéficiaires

[116]  Blue Bridge allègue que certaines DPR qu’elle conteste concernent la qualification à titre de capital ou de revenu de distributions effectuées par l’une des Fiducies. À cet effet, elle soumet qu’en vertu des articles 128 et 141 de la Loi sur le barreau, RLRQ c B-1 (Québec), de l’article 26,1 de la Loi sur le barreau, LRO 1990, c L.8 (Ontario) et de l’article 4 de la Loi sur les comptables professionnels agréés, RLRQ c C-48.1, les fiduciaires ne peuvent formuler des opinions juridiques ou fiscales sur la nature des sommes versées aux bénéficiaires, n’étant ni avocat ni comptable professionnel agréé.

[117]  Par ailleurs, Blue Bridge allègue que l’opinion requise en l’espèce ne peut se qualifier de « renseignement », car il ne s’agit ni d’un fait ni de chiffres.  Elle ajoute que les vérificateurs de l’ARC qui agissent en vertu du paragraphe 231.1(1) de la LIR ne peuvent eux-mêmes contraindre les contribuables à révéler leurs « points faibles », ceux-ci étant définis comme étant de la nature d’une opinion, mais n’étant pas de l’information visée par les articles 231.1, 231.2 ou 231.7 de la LIR (BP Canada Energy Company c Canada (Revenue national), 2017 CAF 61, para 82).

[118]  Enfin, Blue Bridge soutient qu’une personne n’est pas obligée de fournir de l’information qu’elle n’a jamais eue en sa possession ou de créer des renseignements ou des documents qui n’existent pas (Canada (Revenu national) c Amdocs Canadian Managed Services Inc, 2015 CF 1234, para 75).

[119]  Tout d’abord, la question de savoir si un montant a été déboursé à titre de capital ou de revenu est une question de fait et non pas d’opinion. Le rôle de fiduciaire prend souvent la forme de conseils financiers, de transactions et de décisions en matière d’investissement. Rien n’indique que des conseils juridiques aient été sollicités ou fournis relativement à ces types de décisions. Il importe de noter également qu’il s’agit de renseignements que les fiduciaires ont pu fournir au ministre sans objection dans le passé.

[120]  D’autre part, même si la LIR ne prévoit pas la création de documents qui n’existent pas, le paragraphe 231.5(2) oblige Blue Bridge à faire ce qu’elle est tenue de faire « par le paragraphe (1) ou les articles 231.1 à 231.4 […] sauf impossibilité ». À partir de la preuve dont je dispose, Blue Bridge devrait être en mesure de fournir les documents et/ou renseignements exigés par le ministre dans les demandes en question.

IV.  Conclusion

[121]  Essentiellement, je souscris au raisonnement général et aux arguments juridiques formulés dans les observations écrites du ministre et réitérés par ses procureurs à l’audience.

[122]  Blue Bridge est une personne qui était tenue en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR et l’article 26 de la Convention de fournir les renseignements et les documents demandés par le ministre. En outre, le ministre a demandé les renseignements et les documents à des fins liées à l’application ou l’exécution d’un traité fiscal conclu avec la France.

[123]  Nul ne conteste qu’en l’espèce, les DPR ont été signifiées à MM. Roch et Brossard, qu’ils avaient connaissance des renseignements et des documents demandés et que ceux‑ci étaient sous leur contrôle. Par conséquent, la première condition a été remplie en l’espèce.

[124]  Les fiduciaires ont clairement fait défaut de fournir les renseignements et les documents demandés par le ministre dans le délai prescrit et Blue Bridge refuse toujours de fournir les renseignements et les documents demandés par le ministre. Par conséquent, la deuxième condition a été remplie en l’espèce.

[125]  Blue Bridge n’a établi aucun motif qui justifierait de refuser la réparation sollicitée par le ministre. Par conséquent, je suis d’avis d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’ordonner à Blue Bridge de fournir les renseignements et les documents demandés par le ministre.

[126]  Finalement, à la suite de l’audience, les parties ont convenu que le montant total des dépens, incluant les déboursés et les honoraires judiciaires, soit fixé à 15 000 $, à être payé à la partie qui aura gain de cause.

 


JUGEMENT dans les dossiers T-813-17, T-1222-17,

T-1223-17, T-1233-18, T-1234-18, T-1235-18, T-1236-18,

T-1237-18, T-1238-18, T-1240-18,T-1241-18, T-1242-18,

T-1243-18, T-1244-18, T-1245-18

LA COUR STATUE que :

  1. Dans un délai de trente (30) jours ouvrables de la date de ce jugement, soit le 13 octobre 2020, la Société de fiducie Blue Bridge Inc. (ci-après désignée « Blue Bridge ››), en sa qualité de fiduciaire des fiducies Chaudière Trust, Jonction Trust, Jurby Trust, Jasper Trust, Arkadi Trust, Kerpouic Trust, Elk River Trust, Morpho Trust, Saint-Laurans Trust, Vermillon Trust, Wildberry Trust, Cranberry Trust, Violet Trust et Warwick Trust, devra se conformer aux demandes péremptoires de production de documents et fourniture de renseignements fondées sur le paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et en vertu de l'article 26 de la Convention entre le Canada et la France tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu sur la fortune (demandes péremptoires) datées du 20 juillet 2017, du 28 et du 31 mai 2018.

  2. Blue Bridge se conformera aux demandes péremptoires susdites en fournissant au ministre les renseignements et les documents décrits dans lesdites demandes en sa possession ou sous son contrôle et notamment :

  • a) Les renseignements relatifs à l’identification des constituants des fiducies porteront sur toutes les personnes qui y ont apporté des biens, des droits ou autres actifs;

  • b) Relativement aux bilans, fournir les renseignements et les documents sous la forme disponible comprenant les informations relatives à la composition des éléments d'actifs et de passifs aux dates mentionnées sur les demandes péremptoires;

c)  Relativement aux inventaires, fournir les renseignements et les documents sous la forme disponible comprenant les informations relatives à l’inventaire aux dates mentionnées sur les demandes péremptoires.

  1. Les renseignements et les documents devront être envoyés à M. Michel Godbout, du Service d'échange de renseignements, Direction des services de l'autorité compétente, Direction du secteur international et des grandes entreprises, Direction générale des programmes d'observation de l'Agence du Revenu du Canada, au 344, rue Slater, 8eétage, à Ottawa, province de l'Ontario, K1A 0L5.

  2. Les demandes de Blue Bridge sont rejetées.

  3. Le tout avec dépens en faveur du ministre du Revenu du Canada au montant de 15,000 $.

« Roger R. Lafreniѐre »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-813-17, T-1222-17, T-1223-17, T-1233-18, T-1234-18, T-1235-18, T-1236-18, T-1237-18, T-1238-18, T-1240-18, T-1241-18, T-1242-18, T-1243-18, T-1244-18,

T-1245-18

 

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ DE FIDUCIE BLUE BRIDGE INC c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUIN 2019

LE 6 JUIN 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 septembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Catherine Dubé

Me  Dominic C. Belley

Me Jonathan Lafrance

 

Pour la demanderesse

 

Me Pierre Lamothe

Me Janie Payette

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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