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Date : 20200910

Dossier : T-1627-16

Référence : 2020 CF 816

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2020

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL

CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

et

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

ET ENTRE :

No du dossier de la Cour : T-1631-16 (T-1639-16)

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

- et -

TEVA CANADA LIMITED

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

ET ENTRE :

 No du dossier de la Cour : T-1623-16 (T‑1624-16)

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

- et –

 

PHARMASCIENCE INC. ET LABORATOIRE RIVA INC.

défenderesses/demanderesses reconventionnelles

ET ENTRE :

No du dossier de la Cour : T-1632-16

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL CARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

- et -

APOTEX INC.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

(La version confidentielle du jugement et des motifs a été rendue le 6 août 2020)

 


 


TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction  5

II. Historique procédural  5

III. Les actes de procédure et les résultats  7

IV. Tadalafil  12

V. Le régime législatif encadrant l’instruction de l’affaire  14

VI. Décision sur la requête visant à mettre à jour les réponses données pendant l’interrogatoire préalable  15

VII. Préclusion découlant d’une question déjà tranchée et courtoisie judiciaire  16

A. Introduction  16

B. La décision sur l’AC du brevet 684  17

C. Décision concernant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la courtoisie judiciaire  21

I. Fardeau de preuve  23

II. Témoins factuels de Lilly  23

A. M. Karl Donn  23

B. M. Kenneth Ferguson  24

C. Dr William Ernest Pullman  25

III. Témoins experts  26

A. Témoins experts de la défenderesse  26

(1) Mme Sharon Baughman  26

(2) M. Peter Ellis  28

(3) Dr Wayne Hellstrom  29

B. Témoins experts de Lilly  30

(1) M. Hartmut Derendorf  30

(2) Dr Gerald Brock  31

IV. Le brevet 684  35

A. Aperçu  35

B. La divulgation  36

C. Les revendications  43

V. Il ne s’agit pas d’un brevet de sélection  43

VI. Interprétation des revendications  52

A. Date pertinente aux fins de l’interprétation des revendications  52

B. Droit régissant l’interprétation des revendications  53

(1) Introduction  53

(2) Une seule et même interprétation à toutes les fins  54

(3) Interprétation téléologique : éléments essentiels et non essentiels  56

(4) Interprétation téléologique : les mots du breveté  60

(5) Différenciation des revendications  63

C. Personne versée dans l’art  64

D. Art antérieur  65

(1) Sildénafil  66

(2) Le brevet 377  67

(3) La demande 784  68

E. Connaissances générales courantes  69

F. Revendications ayant besoin d’interprétation  76

(1) Introduction  76

(2) Interprétation de la revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, qui elle-même dépend des revendications 3 à 6)  76

(3) Interprétation des revendications 13 à 16  82

VII. Les demandes reconventionnelles introduites par le demanderesses sur le fondement de l’invalidité  85

A. Introduction  85

B. Antériorité  86

(1) Les allégations d’antériorité  86

(2) Le cadre d’analyse de l’antériorité  91

(a) Article 28.2 de la Loi sur les brevets et critère de l’arrêt Sanofi  91

(b) L’exigence de divulgation  92

(c) L’exigence relative au caractère réalisable  95

(3) Conclusion sur l’antériorité  98

C. Évidence  98

(1) Les allégations d’évidence  98

(2) Le cadre régissant l’évidence  100

(a) Article 28.3 de la Loi sur les brevets  100

(b) Critère issu de l’arrêt Sanofi sur l’évidence  100

(c) Première étape : Identifier la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes de cette personne  102

(d) Deuxième étape : Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation  102

(i) Questions à trancher  102

(ii) 1986 : le cadre de l’arrêt Beloit  103

(iii) Article 28.3 de la Loi sur les brevets  104

(iv) Arrêt Sanofi en 2008  106

(v) Période postérieure à l’arrêt Sanofi  106

(vi) Le sens du terme « idée originale »  113

(vii) L’objet que définit la revendication du brevet 684  115

(e) Troisième étape : Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation  117

(f) Quatrième étape : Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?  118

(3) Conclusion sur l’évidence  124

D. Conclusion sur les demandes reconventionnelles faisant valoir l’invalidité  124

VIII. Action en contrefaçon de Lilly  125

A. Principes  125

B. Conclusion relative à l’action en contrefaçon  127

IX. Choix entre des dommages‑intérêts et une remise des profits  127

X. Ordonnance déclaratoire  128

XI. Ordonnance de mise sous scellés  128

XII. Dépens  128

 

I.  Introduction

[1]  La présente décision concerne les actions en contrefaçon du brevet canadien no 2,371,684 [le brevet 684] que les demanderesses (collectivement, Lilly) ont intentées contre chacune des quatre défenderesses, Mylan Pharmaceuticals ULC, Apotex Inc., Teva Canada Limited et Pharmascience Inc.-Laboratoire Riva Inc., ainsi que les demandes reconventionnelles intentées sur le fondement de l’invalidité par chacune de ces dernières.

[2]  Les motifs produits en l’espèce seront versés dans chacun des trois dossiers connexes. D’autres motifs, se rapportant au litige opposant Lilly et Apotex Inc. à l’égard du brevet canadien no 2,492,540 [le brevet 540] sont exposés dans la décision Eli Lilly Canada Inc. et als. c Apotex Inc., 2020 CF 814. Dans ces motifs relatifs au brevet 540, je reprends certains éléments et sections des présents motifs de manière à ce qu’ils puissent être lus isolément.

II.  Historique procédural

[3]  Lilly a d’abord intenté contre chacune des quatre défenderesses une action en contrefaçon de brevets liée au tadalafil. Chaque défenderesse a nié avoir contrefait lesdits brevets et riposté par une demande reconventionnelle visant à obtenir un jugement les déclarant invalides. Dans le cadre de ces procédures, Lilly a opposé quatre brevets aux défenderesses : (1) le brevet 684, qui a expiré le 26 avril 2020, concerne l’utilisation d’une forme posologique du tadalafil; (2) le brevet 2,379,948, qui a expiré le 26 avril 2020, concerne une formulation comprenant du tadalafil; (3) le brevet 540, qui expirera le 14 juillet 2023, concerne un procédé de fabrication du tadalafil; et (4) le brevet 2,226,784 [le brevet 784], qui a expiré le 11 juillet 2016, concerne l’utilisation du tadalafil pour traiter la dysfonction érectile [DE].

[4]  Le 8 septembre 2017, à la demande des parties, la protonotaire Tabib a scindé les actions en deux étapes : la responsabilité et la quantification des dommages-intérêts. Suivant son ordonnance, le volet « responsabilité » porte sur les questions suivantes : (i) les brevets ont‑ils été contrefaits par les défenderesses? (ii) les brevets sont‑ils valides? (iii) exception faite des paragraphes 9, 28–36, 37–42 et 175 de la défense modifiée et demande reconventionnelle d’Apotex dont il sera question à l’étape de la quantification, Lilly a‑t‑elle droit à un jugement déclaratoire, à une injonction et à une restitution? et (iv) le droit de Lilly, le cas échéant, de choisir entre des dommages‑intérêts et une remise des profits (sauf en ce qui concerne les paragraphes 28–36 de la défense).

[5]  Le 3 juillet 2019, la protonotaire Tabib a accordé à Lilly l’autorisation de modifier ses demandes introductives d’instance, ce qui fait que seules les allégations de contrefaçon du brevet 684 visant les défenderesses, et les allégations de contrefaçon du brevet 540 visant Teva (lesquelles ont ensuite été retirées) et Apotex, ont été maintenues.

[6]  La protonotaire Tabib a également autorisé Lilly à ajouter, à l’encontre de toutes les défenderesses, une allégation de contrefaçon du brevet 784 fondée sur la fabrication, l’importation et le stockage de tadalafil pour la DE, avant l’expiration dudit brevet, et à réclamer des dommages-intérêts pour contrefaçon découlant de l’entrée hâtive sur le marché. Les modifications ont été autorisées à la condition que, en ce qui concerne le brevet 784, toutes les questions de validité, de contrefaçon et de quantification des dommages‑intérêts soient scindées et instruites uniquement après qu’auront été tranchées les questions relatives à la responsabilité liées aux brevets 684 et 540.

[7]  Bien que les actions n’aient pas été réunies, elles ont fait l’objet d’une gestion conjointe d’instances et, pour ce qui est du volet « responsabilité », elles ont été instruites ensemble. L’audience s’est déroulée du 5 décembre 2019 au 16 février 2020. Même si les actions concernant les deux brevets en cause n’ont pas été scindées, les parties ont accepté que le procès soit divisé en deux étapes distinctes. La première a porté sur le volet « responsabilité » du brevet 684, et les quatre défenderesses y ont présenté une preuve commune, tandis que la seconde a porté sur le volet « responsabilité » du brevet 540, où Apotex était la seule défenderesse.

[8]  Les parties ne contestent pas que le droit applicable soit le même dans les deux étapes du procès, quoiqu’étonnamment, et comme je le soulignerai dans l’analyse sur l’antériorité, Lilly a présenté à chaque étape des versions différentes du principe qui s’applique à l’exigence de divulgation dans l’analyse relative à l’antériorité.

III.  Les actes de procédure et les résultats

[9]  Les demanderesses en l’espèce sont Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly Canada), Eli Lilly and Company, Lilly Del Caribe, Inc., Lilly, S.A. et ICOS Corporation Inc.

[10]  Le principal lieu d’affaires d’Eli Lilly Canada est à Toronto (Ontario). Le principal lieu d’affaires d’Eli Lilly and Company est à Indianapolis (Indiana). Quant à Lilly Del Caribe, Inc., une société constituée aux îles Caïmans, son principal lieu d’affaires se trouve à Caroline (Porto Rico). Lilly, S.A. a son principal lieu d’affaires à Madrid (Espagne), et celui d’ICOS Corporation Inc. se trouve à Indianapolis (Indiana).

[11]  Eli Lilly Canada commercialise des comprimés de tadalafil à la concentration de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg au Canada sous la marque nominative CIALIS, pour traiter la a) dysfonction érectile (DE) chez les hommes; b) les signes et les symptômes de l’hyperplasie bénigne de la prostate (HBP); et c) la dysfonction érectile et les signes et symptômes de l’hyperplasie bénigne de la prostate. Eli Lilly Canada vend aussi des comprimés de tadalafil de 20 mg sous la marque nominative ADCIRCA pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire idiopathique (HAP) dans les conditions précisées.

[12]  Les défenderesses fabriquent des médicaments génériques. Mylan Pharmaceuticals ULC a son principal lieu d’affaires à Etobicoke (Ontario). Apotex Inc. a son principal lieu d’affaires à Toronto (Ontario). Le principal lieu d’affaires de Teva Canada Limited est à Toronto (Ontario). Actavis Pharma Company a fusionné avec Teva Canada Limited le 1er janvier 2017, et cette dernière assume toutes les dettes qu’elle avait avant la fusion. Pharmascience Inc. a son siège à Montréal (Québec) tandis que celui de Laboratoire Riva Inc. est à Blainville (Québec).

[13]  En juillet 2016, chacune des défenderesses a reçu un avis de conformité (AC) pour sa version du tadalafil, celui contenu dans CIALIS étant le produit de référence canadien : Mylan‑Tadalafil, Apo‑Tadalafil, Teva‑Tadalafil/Act‑Tadalafil et PMS‑Tadalafil/Riva‑Tadalafil. En 2016, après l’expiration du brevet 784, les défenderesses sont entrées sur le marché en vendant ou en proposant à la vente leur version générique du tadalafil en comprimés de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg, à l’exception de Riva qui a proposé à la vente et vendu au Canada des comprimés de 5 mg et 20 mg.

[14]  En 2015, Apotex a reçu un AC pour Apo‑Tadalafil PAH sous forme de comprimés à 20 mg, le tadalafil contenu dans ADCIRCA étant le produit de référence canadien.

[15]  Lilly affirme que les défenderesses ont fabriqué, importé, exploité, vendu ou proposé à la vente des comprimés contenant des doses unitaires brevetées et qu’elles ont contrefait la revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, laquelle dépend à son tour des revendications 3‑6) ainsi que les revendications 13–16 du brevet 684 [les revendications invoquées], ou ont incité à leur contrefaçon. Lilly sollicite un jugement déclarant que les défenderesses contrefont et incitent à contrefaire les revendications invoquées du brevet 684, qu’elles les ont contrefaites ou ont incité à leur contrefaçon; elle demande aussi un jugement déclarant que le brevet 684 est valide et le sera jusqu’à son expiration, et l’autorisant à choisir entre l’octroi de dommages‑intérêts, une remise des profits, un jugement déclaratoire, une injonction et une remise ainsi que les dépens.

[16]  Les défenderesses affirment chacune qu’elles n’ont contrefait aucune des revendications invoquées du brevet 684. Elles ont d’abord soulevé le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette (Free World Trust c Electro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust]) et soutenu qu’elles faisaient simplement ce que leur enseignait le brevet 784 expiré, ajoutant qu’il ne pouvait y avoir de contrefaçon étant donné que le brevet était invalide. Elles ont présenté une demande reconventionnelle visant à obtenir un jugement déclarant que le brevet 684 ou les revendications invoquées sont invalides, ainsi que les dépens.

[17]  Le 26 novembre 2019, les parties ont conjointement formulé comme suit les questions à trancher :

  • a) Les parties ont‑elles qualité pour agir et pour intenter la présente action?

  • b) Les demanderesses sont-elles précluses de remettre en cause les conclusions tirées dans la décision Eli Lilly Canada inc c Mylan Pharmaceuticals ULC 2015 CF 125 pour cause de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de préclusion accessoire, de courtoisie judiciaire ou d’abus de procédure?

  • c) Comment interpréter la revendication 10, qui dépend de la revendication 9, laquelle dépend à son tour des revendications 3 à 6, et des revendications 13 à 16 du brevet 684?

  • d) L’une des revendications invoquées a-t-elle été contrefaite?

  • e) Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est‑il applicable?

  • f) Les revendications invoquées sont-elles invalides pour l’une des raisons suivantes :

  1. Portée excessive : la portée des revendications invoquées est‑elle plus large que l’invention réalisée par les inventeurs désignés du brevet 684 ou que l’invention divulguée dans le mémoire descriptif du brevet 684?

  2. Double brevet : les revendications invoquées sont‑elles invalides en raison d’une invention identique ou d’un double brevet relatif à une évidence compte tenu de l’objet des revendications 1à 28 du brevet canadien no 2,307,101?

  3. Antériorité : la demande de brevet canadien no 2,226,784 ou la demande PCT no Wo 97/03675 antériorisent‑elles l’objet des revendications invoquées?

  4. Évidence : l’objet défini par les revendications invoquées serait‑il évident, à la date de la revendication, pour la personne versée dans l’art?

  5. Objet non brevetable : l’objet défini par les revendications invoquées est‑il un objet non brevetable (c.‑à‑d., une simple découverte et/ou une méthode thérapeutique)?

  6. Absence de prédiction valable/aucune démonstration de l’utilité : les exigences relatives à la démonstration de l’utilité ou à la prédiction valable, à la date du dépôt du brevet 684, ont‑elles été remplies?

  7. Inutilité/inutilisabilité : l’objet défini par les revendications invoquées présente‑t‑il dans les faits une utilité?

  8. Insuffisance : le brevet 684 remplit‑il les exigences du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, LRC, 1985, c P‑ 4 [la Loi sur les brevets]?

  • g) Les demanderesses peuvent‑elles choisir entre des dommages‑intérêts ou une remise des profits?

  • h) Les demanderesses ont-elles droit à une ordonnance déclaratoire, à une injonction ou à une remise?

[18]  Au début du procès, les défenderesses ont abandonné la question de la qualité d’agir. S’agissant de la contrefaçon, seule la preuve d’expert de Lilly a été produite, et les défenderesses n’ont pas fait valoir le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette dans leurs conclusions finales. Il semble donc clair que, si les revendications invoquées du brevet 684 sont valides, toutes les défenderesses auraient commis une contrefaçon.

[19]  Les défenderesses ont indiqué dans leur déclaration d’ouverture que les motifs d’invalidité pour cause de portée excessive, d’absence de prédiction valable ou de démonstration et d’inutilité/inutilisabilité n’étaient soulevés que dans l’éventualité où les revendications invoquées étaient interprétées de manière à inclure les avantages liés aux effets indésirables (transcription du 5 décembre 2019, à la p 20). Elles ont aussi indiqué que l’allégation d’objet non brevetable ne valait que dans la mesure où la Cour interprétait les revendications invoquées du brevet 684 comme comprenant tacitement une dose maximale quotidienne (transcription du 3 février 2020, aux p 207–208).

[20]  Dans leur mémoire des conclusions finales, les défenderesses n’ont pas parlé de leurs allégations d’invalidité pour cause de portée excessive, de double brevet, d’absence de prédiction valable/absence de démonstration, d’inutilité/d’inutilisabilité et d’insuffisance.

[21]  Dans son mémoire de conclusions finales, Lilly a réfuté les allégations de portée excessive et d’inutilité/inutilisabilité avancées par les défenderesses. Enfin, dans son plaidoyer final, elle n’a pas demandé d’injonction ni la remise des médicaments contrefaits.

[22]  En bref et pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection et que les revendications invoquées sont antériorisées et évidentes et qu’elles sont donc invalides.

[23]  Cependant, si j’ai tort et que les revendications invoquées sont valides, toutes les défenderesses auront alors contrefait les revendications invoquées du brevet 684 ou incité à leur contrefaçon.

IV.  Tadalafil

[24]  La substance médicamenteuse au cœur de la présente instance est le tadalafil. Il s’agit d’un inhibiteur de la phosphodiestérase (PDE) de type 5. Le premier inhibiteur de la PDE5 homologué était le sildénafil, commercialisé par Pfizer sous la marque nominative Viagra, et homologué au Canada le 9 mars 1999. Le tadalafil est le deuxième produit pharmaceutique de la classe des inhibiteurs de la PDE5.

[25]  En résumé, le tadalafil favorise la relaxation du muscle lisse du pénis, qui favorise l’érection du pénis, ce qui peut sembler quelque peu contre‑intuitif du point de vue d’un non‑spécialiste. Brièvement, le muscle lisse du pénis, appelé corps caverneux, est contracté lorsqu’il est à l’état de repos, et ce faisant, comprime les artères acheminant l’afflux sanguin dans le pénis. Lors d’une érection, le muscle lisse se détend, et ne comprime plus l’afflux sanguin dans les artères, ce qui cause la tumescence du pénis. La relaxation du muscle lisse induit une cascade de réactions biochimiques dans l’organisme. Habituellement, la stimulation sexuelle provoque la libération de monoxyde d’azote, qui stimule une augmentation de la production d’une molécule appelée guanosine-3-5 monophosphate cyclique (GMPc). Cette molécule de GMPc régule l’activité d’autres protéines intracellulaires et sa libération entraîne la relaxation du muscle lisse. La hausse de la concentration de GMPc favorise la relaxation du muscle lisse et par le fait même, l’érection du pénis. La dégradation intracellulaire du GMPc est régulée par une classe d’enzymes appelée « PDE des nucléotides cycliques », et, dans le pénis, la classe la plus courante est la famille des PDE5. L’inhibition des PDE5 ralentit la dégradation du GMPc, qui s’accumule alors et favorise la relaxation du muscle lisse, qui, à son tour, permet l’érection du pénis.

[26]  Le tadalafil a été revendiqué pour la première fois dans le brevet GB no 9401090.7 (dont l’équivalent canadien est le brevet 2,181,377 (brevet 377)), déposé le 21 janvier 1994 au Royaume-Uni par les Laboratoires Glaxo. Plusieurs autres brevets associés au tadalafil ont aussi été délivrés, et appartiennent maintenant à Lilly à la suite de transactions commerciales consécutives.

[27]  Le brevet 684 a trait à des doses unitaires de tadalafil et quelques notions scientifiques non contestées sont utiles pour comprendre les présents motifs.

·  Le processus de mise au point d’un médicament comprend principalement des études précliniques et trois étapes d’essais cliniques, qui ont lieu avant l’homologation du médicament par les organismes de réglementation. Après sa découverte, le médicament potentiel subit d’abord des essais in vitro et in vivo chez les animaux, pour évaluer dans un premier temps son efficacité (pharmacologie chez les animaux) ainsi que son innocuité et sa tolérabilité (toxicologie), et d’autres évaluations sont par la suite réalisées si le profil du composé est satisfaisant. Si le médicament est sûr et bien toléré chez les modèles animaux et est associé à un profil satisfaisant, il pourrait être choisi pour des essais de phase I qui sont menés chez des sujets humains en bonne santé à des doses croissantes pour évaluer l’innocuité et la tolérabilité. Dans la phase II, des études sur l’efficacité à l’aide de courbes dose-effet sont effectuées avec des patients pour déterminer la dose et l’efficacité du composé. Enfin, des études de phase III, menées sur une grande échelle, sont généralement réalisées avec des patients avant la commercialisation du médicament. Au cours des études précliniques et de chacune des phases, de nouvelles données, dont des données de pharmacocinétique et de pharmacodynamique, sont recueillies sur le médicament.

·  La pharmacocinétique (PK) désigne l’ensemble des paramètres utilisés pour décrire la concentration d’un médicament au fil du temps dans l’organisme (effets de l’organisme sur le médicament).

·  La pharmacodynamique (PD) fait référence à l’ensemble de paramètres utilisés pour décrire les effets du médicament au site d’action après son administration (effets du médicament sur l’organisme).

·  La CI50 (mesure de l’activité) représente la concentration nécessaire pour inhiber 50 % du composé cible.

·  La CE50 représente la concentration efficace d’un médicament qui permet d’obtenir la moitié de l’effet maximal.

·  La demi‑vie d’un médicament dans l’organisme humain est le temps requis par l’organisme pour éliminer la moitié du médicament ou pour réduire de moitié la concentration du médicament.

V.  Le régime législatif encadrant l’instruction de l’affaire

[28]  Les parties conviennent que le droit des brevets est entièrement issu de la loi. La Cour suprême du Canada (CSC) l’a de nouveau confirmé en 2008, dans l’un des arrêts phares que j’analyserai plus tard, Apotex c Sanofi‑Synthelabo Canada 2008 CSC 61[Sanofi]. La CSC citait le juge Judson qui a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Commissionner of Patents c Farbwerke Hoechest Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] RCS 49, à la p 57 : [traduction] « Il n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur obtient son brevet conformément à la Loi sur les brevets. Un point c’est tout » (Sanofi, au para 12). La CSC a également cité les propos de lord Walker dans l’arrêt Synthon B.V. c SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, aux para 57–58 :

[traduction]

57. L’origine du droit des brevets est purement législative et étonnamment ancienne. […] Eu égard à l’interprétation et à l’application des dispositions législatives sur les brevets, la doctrine jurisprudentielle a largement contribué au fil des ans à clarifier les notions abstraites des lois et en assurer l’application uniforme.

58. Il est tout de même salutaire de se faire rappeler de temps à autre que les concepts généraux auxquels se réfèrent les avocats spécialisés en droit des brevets prennent appui sur un texte législatif et ne sauraient avoir aucun autre véritable fondement (Sanofi, au para 12).

[29]  Comme le brevet en cause a été déposé après le 1er octobre 1989, les dispositions actuelles de la Loi sur les brevets trouvent à s’appliquer. Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’annexe II pour faciliter la consultation.

VI.  Décision sur la requête visant à mettre à jour les réponses données pendant l’interrogatoire préalable

[30]  Le matin du 10 décembre 2019, Lilly a déposé une requête visant à obtenir, en vertu de l’article 245 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, l’autorisation de mettre à jour quatre réponses données pendant l’interrogatoire préalable. Ces réponses concernaient les éléments 421 Q 1030, 433 Q 1052, 441 Q 1107 et 722A Q 2969.

[31]  La requête a été débattue le 13 décembre 2019, et le 16 décembre suivant, j’ai demandé que l’on me présente des observations additionnelles sur le préjudice que les défenderesses prétendaient qu’elles subiraient si la requête pour mise à jour des réponses données pendant l’interrogatoire préalable était accueillie (transcription du 16 décembre 2019, à la p 1). J’ai fait droit à la requête de Lilly en précisant que de brefs motifs suivraient. Les voici.

[32]  J’ai fait droit à la requête au motif qu’il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de la justice de refuser que ces réponses soient mises à jour et parce qu’aucune preuve convaincante ne permet de croire que Lilly a manqué de diligence lorsqu’elle a répondu aux questions de l’interrogatoire préalable. Plus important encore, les défenderesses n’ont pas établi qu’elles subiraient un préjudice (Apotex c Astrazeneca, 2012 CF 559, aux para 22–23, conf. par 2013 CAF 77). Bien qu’elles aient eu l’opportunité de le faire, les défenderesses n’ont pas précisé quels témoins elles auraient à réinterroger aux fins de l’interrogatoire préalable, en quoi les dépositions de leurs experts auraient été différentes ou quels seraient les effets sur le procès.

VII.  Préclusion découlant d’une question déjà tranchée et courtoisie judiciaire

A.  Introduction

[33]  Selon l’énoncé des questions à trancher, la Cour doit déterminer si Lilly est inadmissible à remettre en cause les conclusions tirées par le juge de Montigny dans la décision Eli Lilly Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125 [la décision sur l’AC du brevet 684] pour cause de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de préclusion accessoire, de courtoisie judiciaire ou d’abus de procédure. Dans leur mémoire de conclusions finales, les défenderesses soutiennent qu’aucune raison légale ne justifie de s’écarter des conclusions du juge de Montigny eu égard aux principes juridiques de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de la courtoisie judiciaire.

B.  La décision sur l’AC du brevet 684

[34]  La décision sur l’AC du brevet 684 faisait suite à la demande présentée par Eli Lilly Canada en vue d’obtenir une ordonnance interdisant de délivrer à Mylan un AC pour une version générique du tadalafil, jusqu’à l’expiration du brevet 684 (paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS 93‑133).

[35]  Mylan, la seule défenderesse, avait alors soutenu que, si le brevet 684 était interprété comme un brevet de sélection du brevet 784, l’utilité promise n’était ni démontrée ni prédite valablement à la date de dépôt, principalement à cause du problème constant et sérieux de l’interaction des dérivés nitrés. Elle a ajouté que s’il n’était pas considéré comme un brevet de sélection, le brevet 684 serait invalide pour cause d’évidence et d’antériorité du brevet 784, car les gammes posologiques du brevet 684 se situaient tous dans celles que divulgue le brevet 784, et qu’il aurait été évident de mettre à l’essai de faibles doses.

[36]  Le juge de Montigny a refusé de délivrer l’ordonnance réclamée par Eli Lilly Canada, et conclu que les allégations d’invalidité étaient justifiées, en ce que le brevet 684 n’avait pas d’utilité, qu’il était évident et antériorisé par le brevet 784.

[37]  S’agissant de la personne versée dans l’art, le juge de Montigny a conclu que le brevet s’adressait à une personne ou à une équipe travaillant à la mise au point de médicaments et qui a, d’une part, une expertise dans des domaines liés au dosage des médicaments, comme la pharmacologie ou la pharmacocinétique, la physiologie, l’établissement de l’intervalle posologique et l’évaluation de l’innocuité de nouveaux traitements et, d’autre part, une expérience du traitement de la DE. Cette équipe pourrait être formée de médecins, de cliniciens, de chercheurs scientifiques, de pharmacologues, de toxicologues et de statisticiens, possédant au moins quelques années d’expérience professionnelle dans la mise au point de médicaments, dans le milieu universitaire ou dans l’industrie pharmaceutique.

[38]  Le juge de Montigny a analysé l’utilité du brevet en reprenant la doctrine de la promesse, depuis abolie par la CSC dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36 [AstraZeneca CSC]. Il a estimé que le profil d’effets indésirables réduits ne faisait pas partie de l’invention revendiquée, mais n’en était qu’un résultat (au para 148).

[39]  Le juge de Montigny a reconnu que le seul moyen dont disposait Eli Lilly Canada pour éviter que l’on tire une conclusion d’antériorité était que l’on considère le brevet 684 comme un brevet de sélection, à condition que l’amélioration du tadalafil par rapport au sildénafil soit propre à la gamme posologique revendiquée. Il a examiné les trois conditions énoncées dans l’arrêt In re Farbenindustrie AG’s Patents (1930), 47 RPC 289 (ChD) [IG Farbenindustrie], et adoptées par la CSC dans l’arrêt Sanofi, avant de conclure que la troisième n’était pas remplie (aux para 104–105). Le juge de Montigny a conclu que le brevet 684 ne pouvait être un brevet de sélection du brevet 784, puisque « rien dans le mémoire descriptif (et à plus forte raison dans les revendications elles‑mêmes) ne dénote que l’avantage promis est propre à cette gamme posologique particulière, à l’exclusion de toute autre dose unitaire », et que la brevetée « n’affirme pas qu’un nombre plus important de doses non sélectionnées ne possède pas le même avantage », ce qui est une caractéristique essentielle des brevets de sélection.

[40]  Pour ce qui est de l’administration concomitante du tadalafil et de dérivés nitrés, le juge de Montigny a conclu qu’Eli Lilly Canada n’avait pas démontré que les doses de 1 à 20 mg de tadalafil présentaient une quelconque amélioration par rapport au sildénafil, que l’on pouvait valablement prédire qu’une dose unitaire de 1 à 20 mg (au para 140) de tadalafil serait associée à une amélioration de l’interaction avec les dérivés nitrés, comparativement au sildénafil, ni qu’une telle amélioration avait été constatée au moment de la décision.

[41]  Le juge de Montigny a conclu que le brevet 684 était bel et bien antériorisé par le brevet 784. Citant à ce propos l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, il a souligné qu’un brevet est invalide si les éléments essentiels des revendications ont été divulgués de telle manière qu’ils sont devenus accessibles au public plus d’un an avant la date de dépôt, et s’ils sont réalisables aux yeux d’une personne versée dans l’art (Eli Lilly Canada c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, aux para 43–45 [Novopharm CAF]). Citant la CSC dans l’arrêt Sanofi, aux para 32 et 37 et le juge Hughes dans Abbott Laboratoties c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359, au para 75, le juge de Montigny a finalement conclu que tous les éléments essentiels du brevet 684 étaient divulgués par le brevet 784, et que celui‑ci procurait à la personne versée dans l’art suffisamment d’informations pour réaliser sans trop de difficultés l’invention revendiquée dans le brevet 684.

[42]  Le juge de Montigny a déterminé qu’une dose quotidienne maximale de 20 mg n’était pas un élément essentiel des revendications du brevet 684. Il a basé cette conclusion à la fois sur une lecture des revendications et de la divulgation, ainsi que sur l’historique des poursuites canadiennes (dossier de la demande) se rapportant au brevet 684 et d’après lequel la demanderesse avait, à la suite d’une objection fondée sur le caractère non brevetable de l’objet de l’invention, supprimé la référence à la dose quotidienne maximale pour que son brevet soit approuvé.

[43]  S’agissant de l’évidence, le juge de Montigny a défini la question comme étant celle de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’une forme posologique unitaire de 2 à 20 mg du tadalafil, ou plus précisément les doses de de 2,5 à 5 mg revendiquées, traiterait efficacement la DE. Il a conclu qu’il allait plus ou moins de soi que les doses plus restreintes et à concentration plus faible de tadalafil dont il est question dans le brevet 684 seraient efficaces pour traiter la DE chez l’humain et donneraient lieu à un profil d’effets indésirables réduits, et que le brevet 684 était évident.

[44]  Le juge de Montigny a également conclu ce qui suit : (1) il ne fait aucun doute que le sildénafil, en tant que seul médicament oral approuvé contre la DE, aurait orienté la recherche portant sur de futurs médicaments contre la DE agissant par inhibition de la PDE5; (2) il serait exagéré de prétendre qu’il existait un nombre infini de solutions prévisibles, ou qu’il s’agissait d’un processus long et ardu comportant la conception et l’exécution d’études cliniques complexes et l’analyse d’énormes quantités de données découlant de ces études, et ce pour un certain nombre de raisons qu’il a soulignées; (3) la personne versée dans l’art aurait probablement commencé les études avec des doses d’environ 5 mg qu’elle aurait augmentées jusqu’à 50 mg; et (4) la démarche concrète qui a été suivie n’a pas établi le contraire.

C.  Décision concernant la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la courtoisie judiciaire

[45]  Les défenderesses soutiennent que la règle de la préclusion d’une question déjà tranchée s’applique à un certain nombre de questions distinctes à l’égard desquelles Lilly n’a pas présenté « de nouveaux éléments de preuve importants ou […] de nouveaux arguments importants » (Apotex c Pfizer Ireland, 2011 CAF 77, au para 25). Elles ajoutent que la courtoisie judiciaire empêche notre Cour de statuer sur les mêmes questions de droit déjà tranchées par le juge de Montigny, car il n’a pas été démontré que sa décision était « manifestement erronée ».

[46]  Lilly fait valoir qu’elle n’est pas précluse de remettre en cause les conclusions tirées dans la décision sur l’AC du brevet 684 pour cause de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de préclusion accessoire, de courtoisie judiciaire ou d’abus de procédure. D’après elle, l’argument des défenderesses doit être rejeté, car les demandes présentées sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) sont des procédures sommaires et non des actions, qu’elles visent uniquement à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité, plutôt qu’à obtenir une conclusion in rem de contrefaçon ou d’invalidité. Lilly fait valoir que le critère relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est pas rempli en l’espèce, que les actions en contrefaçon ne constituent pas des abus de procédure même si les demandes ont été tranchées à l’égard de ces brevets au titre de l’ancien règlement AC, et que le principe de la courtoisie ne s’applique pas entre une procédure d’avis de conformité et une action subséquente en contrefaçon et en invalidation de brevet.

[47]  Je souligne que la preuve produite devant le juge de Montigny et celle soumise devant notre Cour sont différentes, et que ledit juge n’a entendu aucun témoignage de vive voix (Sanofi‑Aventis Canada c Apotex Inc, 2009 CF 676, conf. par 2011 CAF 300). Je souligne aussi que les revendications invoquées devant le juge de Montigny étaient légèrement différentes, et que Mylan soutenait que le brevet 784 était un brevet de sélection alors qu’Eli Lilly Canada ne s’était pas prononcée à cet égard. Lilly affirme à présent devant notre Cour que le brevet 684 est un brevet de sélection, alors que les défenderesses soutiennent maintenant que ce n’est pas le cas. Enfin, deux principes juridiques ont changé depuis la décision du juge de Montigny, la doctrine de la promesse ayant été abolie par la CSC et l’article 53.1 de la Loi sur les brevets adopté.

[48]  S’agissant de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, je conviens avec Lilly que les allégations des défenderesses à ce sujet sont inapplicables compte tenu des circonstances présentes. Cependant, il n’est de toute façon pas nécessaire que je considère cette question davantage étant donné que je souscris aux conclusions tirées par le juge de Montigny sur les questions communes à nos causes. Aussi, comme je souscris à son analyse des questions de droit communes et pertinentes, je n’ai pas à considérer la retenue dont j’aurais pu faire preuve à l’égard de son analyse (Biovail Corporation c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2006 CF 784, au para 8).

I.  Fardeau de preuve

[49]  Il incombe à Lilly de prouver, selon la prépondérance des probabilités, la contrefaçon des revendications invoquées du brevet 684, tandis que les défenderesses ont la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, leur invalidité.

II.  Témoins factuels de Lilly

A.  M. Karl Donn

[50]  M. Donn travaille chez Glaxo depuis 1987. Il est l’ancien chef du développement des produits, a dirigé un groupe chargé de la mise au point de tous les premiers essais sur les humains des composés élaborés par Glaxo US Discovery, et à son départ à la retraite, il était le vice-président au niveau mondial de la gestion des projets et du portefeuille. Il est titulaire de diplômes de premier cycle en chimie et en pharmacie et d’une maîtrise et d’un doctorat en pharmacie.

[51]  En 1991, Glaxo et ICOS ont signé un accord de recherche; M. Donn a commencé à se consacrer au projet portant sur le tadalafil en 1995, et a continué jusqu’au début de l’année 1997. Le composé était connu sous le nom de GF 196960X chez Glaxo, et sous celui de IC351 chez ICOS. M. Donn a dirigé l’équipe d’experts pluridisciplinaires et rendait compte au comité qui supervisait la mise au point de tous les composés en phase initiale de développement chez Glaxo. Son rôle consistait à intégrer tous les travaux effectués dans le cadre du projet et à les faire progresser aussi rapidement que possible.

[52]  M. Donn a essentiellement parlé durant son témoignage du processus habituel de mise au point du médicament, de l’objectif de ce processus, de la forme pharmaceutique, des études précliniques et des problèmes de toxicité rencontrés, de l’étude réalisée sur les hommes jeunes et âgés en bonne santé, de l’interruption du programme Glaxo, de l’essai sur les cobayes, et des connaissances qu’avait l’équipe sur le sildénafil.

[53]  M. Donn était globalement un témoin crédible. Cependant, son témoignage contenait de légères disparités et lacunes, probablement attribuables au passage du temps.

[54]  Plus précisément, M. Donn n’a pas réussi à expliquer pourquoi, dès le début de la mise au point du tadalafil, le document GF 196960X, qui est le résumé d’une réunion exploratoire sur la mise au point tenue le 19 août 1996 (pièce 22), indique que [TRADUCTION] « par conséquent, chez l’humain, il a été établi que la dose de 10 mg plutôt que de 100 mg est celle qui entraîne un dépassement de la CE50 estimée à 12 h et 25 mg après 24 h », et que [TRADUCTION] « 25 mg semble donc être la dose thérapeutique la plus probable chez l’humain, au moins pour les indications cardiovasculaires pour lesquelles une période de 24 heures serait nécessaire ». Il s’agit d’une restriction dans l’historique de l’invention de Lilly.

B.  M. Kenneth Ferguson

[55]  M. Ferguson travaille pour ICOS depuis 1990. Lorsque cette société a signé un accord de recherche avec Glaxo, il a été invité à diriger l’équipe de développement de produits chez ICOS et à agir en tant que correspondant principal auprès de Glaxo. M. Ferguson a pris la tête de l’équipe chargée de la mise au point de ce qui sera ensuite appelé le tadalafil et a dirigé les travaux concernant un inhibiteur de la PDE5. Il est titulaire d’un baccalauréat et d’un doctorat en pharmacologie, et a mené à bien des travaux de recherche postdoctorale.

[56]  Son témoignage a principalement porté sur son expérience de travail antérieure à la mise au point du tadalafil, sur les choix de posologies, sur la résiliation de l’accord de recherche entre ICOS et Glaxo qui a pris effet en janvier 1997, sur la notice de l’expert clinique présentée à la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, sur le brevet américain 2003/0144296, qui fait état des études DSD04 et DSD06, et sur les faibles doses de 2 mg. M. Ferguson est l’auteur d’un article de revue versé en pièce 44, dans lequel il indique que les faibles doses de 2 mg administrées dans le cadre de l’étude DSD06 n’ont eu aucun effet. M. Ferguson a rappelé que c’est une équipe qui a déterminé la dose utilisée dans le cadre des études DSD04 et DSD06, sans fournir plus de détails.

[57]  M. Ferguson était un témoin crédible.

C.  Dr William Ernest Pullman

[58]  Le Dr Pullman est l’un des inventeurs nommés au brevet 684. Médecin spécialisé en médecine interne et gastro-entérologie, il est titulaire d’un baccalauréat en sciences médicales et a suivi une formation doctorale à l’Australian National University et à l’Imperial Cancer Research Institute de Londres.

[59]  En 1995, il est entré au service de Lilly en tant que médecin régional. En 1998, il a intégré l’équipe de la diligence raisonnable pour la mise au point du tadalafil dans le cadre d’une entreprise commune menée par Lilly et ICOS à Indianapolis. Il a été le directeur des affaires médicales de Lilly ICOS jusqu’en juin 2001.

[60]  Le témoignage du DPullman a porté principalement sur son expérience antérieure, sur les formes pharmaceutiques, sur les interactions avec les dérivés nitrés, sur les rougeurs, sur ses activités concernant le sildénafil, sur l’arrêt des essais cliniques décidé par la FDA, sur sa contribution aux études DSD06 et DSD04 et sur la dysfonction sexuelle chez les femmes.

Le Dr Pullman s’est montré un témoin crédible, mais il ne s’est pas souvenu de certains détails ou n’en avait pas connaissance, notamment en ce qui concerne la détermination de la dose utilisée dans le cadre de l’étude DSD04. Par conséquent, l’historique de l’invention présenté par Lilly comportait encore des lacunes, comme l’avait estimé le juge de Montigny dans la décision sur l’AC du brevet 684, au paragraphe 171.

III.  Témoins experts

A.  Témoins experts de la défenderesse

(1)  Mme Sharon Baughman

[61]  Mme Baughman est une experte dans le domaine de la pharmacologie préclinique et clinique, notamment en matière de pharmacocinétique, de pharmacodynamique et de métabolisme des petites entités moléculaires, de conception, de réalisation, d’analyse et de compte rendu d’études non cliniques et cliniques, ainsi que de modélisation PK/PD et de détermination des doses. Elle est titulaire d’un baccalauréat en chimie et d’un doctorat en chimie organique physique.

[62]  Mme Baughman a été présentée comme une témoin experte dans le domaine de la pharmacologie préclinique et clinique, notamment en matière de pharmacocinétique, de pharmacodynamique et de métabolisme des protéines et des petites entités moléculaires, de conception, de réalisation, d’analyse et de compte rendu d’études non cliniques et cliniques, ainsi que de modélisation PK/PD et de détermination des doses. Elle a produit un rapport daté du 29 août 2019 (versé en pièce 69), dans lequel elle explique comment elle a procédé à la détermination des doses, les essais et les résultats de recherche étant présentés dans les documents de Glaxo, ICOS et Lilly fournis par les avocats.

[63]  Lilly s’est opposée à l’admissibilité de sa déposition d’expert au motif qu’elle n’avait aucune expérience dans la mise au point de médicaments constitués de petites molécules. Je rejette cette objection, car de toute façon, Mme Baughman a confirmé qu’elle avait déjà travaillé avec des protéines pharmaceutiques, et par la suite avec de petites molécules pharmaceutiques.

[64]  J’ai examiné les commentaires de Lilly, selon lesquels Mme Baughman n’était pas vraiment au courant de l’invention et je suis convaincue qu’elle a décrit avec exactitude les circonstances entourant son avis.

[65]  J’ai trouvé que Mme Baughman était directe, franche et intéressante. Elle m’a semblé être une personne indépendante, honnête et minutieuse. J’accorde beaucoup de poids à son opinion.

(2)  M. Peter Ellis

[66]  M. Ellis est un pharmacologue et un expert ayant plus de 35 ans d’expérience dans le domaine de la mise au point de médicaments. Il est titulaire d’un baccalauréat et d’un doctorat en pharmacologie. Entre 1981 et 2009, il a fait partie du groupe central de recherches de Pfizer qui a découvert et mis au point la molécule de sildénafil. À partir de 2009, il était directeur de Pentropy Consulting Limited, une société qui fournit des conseils en matière de mise au point de médicaments dans le secteur pharmaceutique.

[67]  M. Ellis a été présenté comme témoin expert dans les domaines de la découverte et de la mise au point de médicaments, ce qui comprend : les médicaments destinés au traitement des affections urologiques, tels que les inhibiteurs de la PDE5 utilisés pour traiter la dysfonction érectile masculine (DEM), la pharmacologie préclinique et clinique et la détermination des doses, ainsi que l’élaboration, la conception, la réalisation, l’analyse et le compte rendu des études de pharmacologie et de posologie précliniques et cliniques.

[68]  Il a présenté un rapport d’expert principal, un rapport en réponse et un rapport en réplique, datés respectivement du 28 août 2019, du 30 octobre 2019 et du 25 novembre 2019 (pièces 71 à 73).

[69]  Lilly a contesté la déposition d’expert de M. Ellis au motif qu’il était un témoin porté à la contradiction, incapable de répondre à des questions simples sans plaider en faveur des défendeurs. Lilly a également fait valoir que celui-ci avait placé le seuil de connaissances de la personne versée dans l’art à un niveau excessivement élevé, et que son témoignage manquait de crédibilité. Dans l’ensemble, j’ai estimé que M. Ellis était un témoin crédible et nuancé.

(3)  Dr Wayne Hellstrom

[70]  Le DHellstrom est titulaire d’un baccalauréat en physiologie, d’un doctorat en médecine et d’une maîtrise en chirurgie de l’Université McGill. Il a été résident en chirurgie générale à l’Hôpital général de Montréal et à l’Hôpital Royal Victoria avant de devenir médecin résident et médecin résident en chef en urologie à l’Université de Californie à San Francisco. Il a également été boursier en andrologie à l’Université de Californie à Davis. Il enseigne à l’Université de Tulane depuis 1988 et, en plus de ses fonctions universitaires, s’adonne à la pratique clinique et à la recherche et il publie des travaux. Il est titulaire d’un certificat de spécialiste en urologie.

[71]  Il a été présenté comme un expert dans le domaine de l’urologie et de la dysfonction sexuelle masculine, ce qui comprend la physiologie du pénis et le mécanisme d’action de l’érection pénienne, la physiologie, le diagnostic et le traitement des troubles érectiles, ainsi que la conception, la réalisation, l’analyse et le compte rendu d’études cliniques dans le domaine des troubles érectiles.

[72]  Il a fourni un rapport d’expert daté du 29 août 2019 (pièce 75). Pour résumer dans les grandes lignes, il a été engagé pour donner son opinion sur l’efficacité et la tolérabilité du tadalafil par rapport au sildénafil ainsi que sur l’utilité du brevet 684 si les revendications étaient interprétées comme établissant un seuil plus élevé d’utilité.

[73]  J’estime que le Dr Hellstrom est un témoin nuancé, minutieux et crédible.

B.  Témoins experts de Lilly

(1)  M. Hartmut Derendorf

[74]  M. Derendorf est un expert dans le domaine de la pharmacocinétique et de la mise au point de schémas posologiques des médicaments. M. Derendorf a déclaré qu’il est actuellement professeur émérite de pharmacologie à l’Université de Floride. Il a été précédemment titulaire de la chaire de pharmacologie de cette université. Il détient un baccalauréat en pharmacologie et un doctorat en pharmacochimie. Ses travaux ont porté sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamie et il a également enseigné ces matières. Il est membre de diverses sociétés et collabore encore à de nombreuses publications, notamment en tant que rédacteur en chef adjoint du Journal of Clinical Pharmacology.

[75]  Il a été présenté comme témoin expert dans les études pharmacodynamiques et pharmacocinétiques précliniques et cliniques, ainsi que dans la conception des schémas posologiques.

[76]  M. Derendorf a présenté à la Cour un rapport faisant réponse, daté du 12 novembre 2019 (pièce 86), par lequel il répondait aux dépositions de M. Ellis et de Mme Baughman.

[77]  Les défenderesses contestent le caractère convaincant de plusieurs parties du témoignage et du rapport de M. Derendorf. Le rapport en réponse de M. Derendorf fait mention du brevet américain et des institutions de ce pays.

[78]  M. Derendorf a reconnu qu’il ignorait que le Bureau des brevets avait exigé le retrait de la dose quotidienne parce qu’elle empiétait sur les compétences et le jugement des médecins (transcription du 17 décembre 2019, à la p 193). Il a également été mis en présence des ressemblances entre son rapport canadien de réponse et ses rapports américains, qui portaient sur l’équivalent américain du brevet 684. L’expression « daily dosing (posologie quotidienne) » figure dans le brevet américain, mais pas dans le canadien; M. Derendorf a pourtant conservé en grande partie les mêmes passages dans son rapport canadien. De nombreuses fautes de frappe et erreurs relatives au libellé du brevet américain ont été reproduites dans le rapport canadien. M. Derendorf a ensuite réitéré que les inhibiteurs de la PDE5 devaient seulement être pris à la dose maximale d’un comprimé par jour, sans plus.

[79]  Ces circonstances jettent une ombre sur le rapport et les opinions de M. Derendorf pour ce qui est du brevet canadien 684. Je ne suis pas convaincue qu’il a vraiment réfléchi aux questions et aux concepts en jeu dans le présent litige, et j’accorde donc moins de poids à son opinion.

(2)  Dr Gerald Brock

[80]  Le Dr Gerald Brock est médecin, urologue et professeur à la Schulich School of Medicine & Dentistry de la University of Western Ontario. Il est professeur au département de chirurgie, division d’urologie, et au département d’obstétrique et de gynécologie-urogynécologie. Il a présenté trois rapports à la Cour : un rapport concernant la contrefaçon daté du 30 septembre 2019 (pièce 90), un rapport sur la validité déposé en réponse et daté du 20 novembre 2019 (pièce 91) et un rapport sur la contrefaçon déposé en réplique et daté du 22 novembre 2019 (pièce 92).

[81]  Il a été présenté comme expert dans la médecine sexuelle, la physiologie de la PDE5, le diagnostic et les traitements médicamenteux de la DEM. Il avait par ailleurs des connaissances spécialisées dans l’utilisation de modèles animaux et le développement clinique dans la conduite d’essais cliniques portant sur une large gamme d’agents thérapeutiques dans le domaine de l’urologie, et plus particulièrement la DE et les inhibiteurs de la PDE5.

[82]  Les défenderesses ne se sont pas opposées à la déposition d’expert du Dr Brock, mais elles attaquent sa preuve au motif qu’il était partial à un point tel qu’il n’a pas pu s’acquitter de son obligation la plus élémentaire d’aider la Cour en fournissant une déposition d’expert impartiale et indépendante. Elles font valoir que la preuve devrait être exclue ou se voir accorder peu de poids, voire aucun. À l’appui de leur assertion, elles soulignent que (1) le Dr Brock a lui‑même participé à la mise au point du tadalafil, et qu’il était notamment présent lors de la conférence de presse organisée par Lilly lors du lancement officiel de ce médicament; (2) il a publié des articles avec les inventeurs mentionnés au brevet 684, les Drs Pullman et Whitaker; (3) il a reçu des sommes substantielles pour ses services de conseil et pour avoir témoigné et organisé des travaux de formation pour Lilly; (4) il possédait également des actions de Lilly durant la procédure d’avis de conformité, ce qu’il avait alors nié; et (5) lorsque le Dr Brock a été mis en présence de contradictions flagrantes et irréconciliables entre sa preuve actuelle et passée, il a simplement renié la seconde. Les défenderesses ont également plusieurs fois attaqué le caractère convaincant des opinions du Dr Brock.

[83]  Lilly soutient qu’il est normal que l’opinion du Dr Brock diffère d’une affaire à l’autre étant donné qu’il a reçu des instructions légales différentes et que l’avocat des défenderesses sautait d’une transcription à l’autre sans lui donner suffisamment de contexte durant le contre‑interrogatoire.

[84]  Lilly soutient également que l’opinion du Dr Brock ne peut se voir accorder peu de poids. Elle cite l’arrêt Bombardier Recreational Products Inc c Arctic Cat Inc, 2018 CAF 172, aux para 25–27 [Bombardier Recreational Products] à l’appui de la proposition voulant que les experts ne puissent témoigner que dans leurs domaines de spécialisation, mais que le Dr Brock est le seul urologue qui exprime des opinions sur l’interprétation, l’antériorité et l’évidence. Elle précise que, d’après le Dr Hellstrom, il est essentiel qu’un urologue fasse partie de l’équipe de personnes versées dans l’art sans quoi les résultats cliniques ne peuvent être interprétés.

[85]  Dans l’arrêt White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 [White Burgess], la CSC a souligné que le critère décisif concernant l’impartialité et l’indépendance d’un expert consiste à se demander si « l’opinion de l’expert ne changerait pas, peu importe la partie qui aurait retenu ses services » (au para 32). Elle a par ailleurs cité en les approuvant des décisions britanniques suivant lesquelles l’exclusion n’est justifiée que si « l’expert ne peut ou ne veut pas s’acquitter de sa principale obligation envers la cour » de fournir un témoignage d’expert indépendant et impartial (au para 42). Cependant, le simple fait « d’avoir un intérêt ou un rapport ne rend pas quelqu’un inhabile à témoigner, sauf dans certaines circonstances, selon la nature et l’importance de l’intérêt ou du rapport » (au para 42). Elle a enfin déclaré que « le manque d’indépendance et d’impartialité d’un expert joue au regard tant de l’admissibilité de son témoignage que de la valeur du témoignage, s’il est admis » (au para 45).

[86]  Je suis d’accord avec le juge de Montigny qui déclarait dans la décision sur l’AC du brevet 684 que « la plupart des experts dans le domaine sont consultés et rémunérés par l’industrie et, en soi, cela n’empêche pas de les reconnaître comme des experts » (au para 46).

[87]  Cependant, en l’espèce, le problème de la partialité est différent et a une portée plus large; il est troublant que le Dr Brock ait reconnu avoir changé d’opinion, notamment pour appuyer le sildénafil, dans les litiges liés aux brevets 377 et 784. Ses contradictions portaient sur différentes questions et avaient grandement rapport avec des sujets utiles à Lilly, essentiellement les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en matière de biodisponibilité, de sélectivité, d’innocuité générale et de tolérabilité (article Boolell de 1996), ainsi que la dose efficace prévisible du sildénafil, allant de 15 à 100 mg, et la dysfonction sexuelle féminine.

[88]  Les explications qu’il a fournies demeurent peu convaincantes, et j’accorderai donc très peu de poids à son opinion.

[89]  Le fait qu’il soit le seul urologue à exprimer des opinions sur l’interprétation des revendications, l’antériorité et l’évidence n’a pas d’incidence sur ma décision. Il est établi en droit que l’opinion d’un expert doit assister la Cour (White Burgess, au para 2), et que la Cour n’est pas liée par une telle opinion; l’arrêt Bombardier Recreational Products n’a rien dit d’autre. L’erreur du juge de première instance dans cette affaire avait été de retenir l’avis d’un expert qui n’avait pas l’expérience reconnue à la personne versée dans l’art, selon la définition adoptée par ce juge (Bombardier Recreational Products, au para 30). Tous les experts qui se sont présentés devant la Cour dans la présente affaire du tadalafil ont tous une grande expérience qui les rend dignes de figurer dans l’équipe de personnes versées dans l’art, comme le déterminera la Cour. Même si les urologues jouent un rôle important dans cette équipe parce qu’ils comprennent les manifestations cliniques de la DE, qu’ils sont essentiels à la conception des essais cliniques prévoyant des paramètres d’évaluation adéquats et qu’ils savent comment interpréter les résultats cliniques, la preuve scientifique ne présentera aucune lacune si la preuve du Dr Brock se voit accorder peu de poids étant donné que le Dr Hellstrom a présenté des avis approfondis sur ces questions lors de l’analyse sur l’utilité.

IV.  Le brevet 684

A.  Aperçu

[90]  Le brevet 684, qui concerne la posologie du tadalafil, est intitulé « Compositions comprenant des inhibiteurs de phosphodiestérase pour traiter des dysfonctions sexuelles ». Il appartient à Lilly ICOS LLC US et William Ernest Pullman et John Steven Whitaker y sont désignés comme inventeurs.

[91]  La demande de brevet a été déposée le 26 avril 2000 et revendiquait la priorité sur le brevet américain 60/132,036 déposé le 30 avril 1999. Elle a été publiée au Canada le 9 novembre 2000 et le brevet a été délivré le 23 octobre 2007.

[92]  Le mémoire descriptif du brevet commence avec la divulgation et se termine par les revendications.

B.  La divulgation

[93]  La divulgation est divisée en 5 grandes sections 1) Domaine de l’invention; 2) Contexte de l’invention; 3) Résumé de l’invention; 4) Description détaillée; et 5) Préparations.

[94]  La section sur le domaine de l’invention indique que l’invention porte sur un inhibiteur très sélectif des enzymes PDE, sur son utilisation dans une forme posologique unitaire pharmaceutique et sur une PDE5 utile dans le traitement de la dysfonction sexuelle. Elle mentionne aussi que la dose unitaire se caractérise par une inhibition sélective de la PDE5, accompagnée d’une élimination des effets indésirables ou d’effets indésirables minimes résultant de l’inhibition d’autres PDE.

[95]  Le contexte de l’invention renvoie à l’article de Taher et al. (1993) dans Journal of Urology, et de Murray (1993) dans DN&P pour appuyer les propositions selon lesquelles la PDE5 est la principale enzyme hydrolysant la GMPc dans les muscles lisses vasculaires et le corps caverneux du pénis et que la PDE5 est une cible attrayante dans le traitement de la dysfonction sexuelle. On y traite aussi du sildénafil, un produit pharmaceutique vendu sous la marque de commerce Viagra, à des doses de 25, 50 et 100 mg, et à sa notice d’accompagnement. Il énonce que la CI50 du sildénafil inhibant la PDE5 a été déclarée comme étant 3 nM dans Drugs of the future en 1997 et comme étant 3,9 nM dans International Journal of Impotence en 1997 par Boolell. On décrit le sildénafil comme étant plus sélectif envers la PDE5 que la PDE1, la PDE2 ou la PDE4, mais on a émis l’hypothèse que son manque de sélectivité envers la PDE5, contrairement à la PDE6, expliquerait les anomalies observées dans la vision des couleurs.

[96]  La section indique que le sildénafil est associé à des effets indésirables graves, dont des rougeurs au visage dans 10 % des cas, et que son utilisation est limitée chez les patients ayant des anomalies visuelles, atteints d’hypertension, et plus important encore, chez les personnes qui consomment des dérivés nitrés organiques, et cite un article de Welds et coll. (1999) dans American Journal of Cardiology. On y apprend aussi que l’étiquette du sildénafil comporte de strictes contre-indications quant à son utilisation en combinaison avec des dérivés nitrés organiques, et fait référence à un article de C.R. Conti et coll. (1999) publié dans American Journal of Cardiology.

[97]  Le contexte de l’invention renvoie aussi au brevet américain Daugan 5,859, 006, (équivalent du brevet canadien 377, qui n’est pas cité dans la divulgation), qui divulgue certains dérivés tétracycliques qui sont des inhibiteurs puissants de la PDE dégradant spécifiquement la GMPc, ou PDE5. La CI50 divulguée dans ce brevet américain se situe dans l’intervalle de 1 nM à 10 μM, et la dose de ces composés à administrer par voie orale est de 0,58 mg par jour pour un adulte de 70 kg. Par conséquent, les formes posologiques unitaires contiennent de 0,2 à 400 mg de composé actif. Les effets indésirables graves du composé d’intérêt de l’invention n’ont pas été divulgués dans le brevet Daugan. Les demanderesses indiquent avoir découvert que l’un des dérivés tétracycliques pouvant être administré dans une forme unitaire offre un traitement efficace sans certains des effets indésirables associés au sildénafil actuellement commercialisé.

[98]  Dans la section, il est mentionné que les études cliniques des demanderesses ont révélé une tendance réduite à causer des rougeurs, et des effets indésirables cliniquement négligeables associés aux effets combinés d’un inhibiteur de la PDE5 et d’un dérivé nitré organique. C’est pourquoi la contre-indication présumée inévitable liée aux produits contenant un inhibiteur de la PDE5 n’a plus lieu d’être lorsque le tadalafil est administré à une dose unitaire d’environ 1 à environ 20 mg.

[99]  D’après la section du résumé de l’invention, l’invention fournit une forme posologique pharmaceutique destinée à un usage pharmaceutique chez l’humain, contenant environ 1 à environ 20 mg du composé dans une forme posologique unitaire adaptée à l’administration par voie orale. On y lit aussi que l’invention comprend l’administration par voie orale à un patient qui en a besoin, une forme posologique contenant environ 1 à 20 mg d’un inhibiteur sélectif de PDE5, au besoin, au maximum une dose totale de 20 mg par jour, pour traiter la dysfonction sexuelle.

[100]  La section sur la description détaillée définit plusieurs termes dont anomalie visuelle et rougeur. Elle décrit aussi un certain nombre d’éléments de la notice d’accompagnement, notamment comment administrer un produit pharmaceutique, et dans ce cas, précise que le composé I est utile dans le traitement d’affections pour lesquelles on souhaite inhiber la PDE5. La notice d’accompagnement offre aussi des instructions sur l’administration d’une ou de plusieurs formes posologiques unitaires d’environ 1 à environ 20 mg au besoin, jusqu’à une dose totale maximale de 20 mg par jour. De préférence, la dose administrée est d’environ 5 à 20 mg/jour, et mieux encore d’environ 5 à environ 15 mg/jour. Idéalement, une forme posologique de 10 mg est administrée une fois par jour.

[101]  La section indique qu’il est préférable que la notice d’accompagnement ne comporte pas de contre‑indications associées à ces affections, et en particulier, l’administration de la forme posologique accompagnée d’un dérivé nitré organique, et qu’il est (…) préférable que la notice ne comporte aucune mise en garde liée à une maladie de la rétine, en particulier la rétinite pigmentaire ou visant des personnes enclines à développer des anomalies visuelles.

[102]  La description détaillée mentionne que l’invention repose sur des expériences et des essais cliniques détaillés, et sur une observation inattendue, observation selon laquelle les effets indésirables présumés être indicateurs d’une inhibition de la PDE5 peuvent être atténués jusqu’à un degré cliniquement négligeable par le choix d’un composé et d’une dose unitaire donnés. Ces effets indésirables sont les suivants : rougeurs au visage, anomalies visuelles et diminution considérable de la tension artérielle lorsque le composé 1 est administré seul ou en association avec un dérivé nitré organique. Plus précisément, on compare la substance avec le sildénafil pour ce qui est de l’administration concomitante avec un dérivé nitré organique.

[103]  La section sur les préparations décrit quatre préparations, et le calcul de la CI50, c’est‑à‑dire de l’activité, puis présente sept exemples pour illustrer davantage la préparation de l’invention revendiquée. On y affirme que la portée de l’invention ne doit pas se résumer à ces sept exemples.

[104]  Les exemples 1 à 4 portent sur la formulation des préparations, et les exemples 5, 6 et 7 traitent des études cliniques.

[105]  L’exemple 5 présente une étude clinique croisée sur les interactions médicamenteuses, à répartition aléatoire, menée à double insu, contrôlée par placebo (connue à l’interne comme étant l’étude LVAB de la pièce 35, menée par ICOS entre janvier et février 1999, dans le cadre d’un essai clinique de phase 1) qui a évalué les effets hémodynamiques de l’administration concomitante d’un inhibiteur sélectif de la PDE5 et de dérivés nitrés à action brève sur des hommes volontaires en bonne santé. Les sujets ont reçu le composé 1 à la dose de 10 mg ou un placebo une fois par jour durant sept jours et, au sixième ou au septième jour, ont reçu de la nitroglycérine par voie sublinguale, en position couchée sur une table inclinable. Dans une première analyse de cette étude, le composé 1 a été bien toléré et on n’a constaté aucun événement indésirable grave.

[106]  L’exemple 6 porte sur deux études contrôlées par placebo, à répartition aléatoire et menées à double insu (connues à l’interne comme étant l’étude DSD04 dans la pièce 31 et l’étude DSD06 dans la pièce 32, effectuées par ICOS respectivement du 8 mai au 7 octobre 1998, et du 4 septembre au 7 décembre 1998 dans le cadre d’un essai clinique de phase 2), dans lesquelles le composé 1 a été administré à des patients qui en ont besoin. Les doses de 5 à 20 mg étaient efficaces et associées à moins de 1 % de rougeurs, et on n’a recensé aucune anomalie visuelle. La dose de 10 mg de composé 1 était totalement efficace et était associée à des effets indésirables minimes.

[107]  L’exemple 7 décrit une étude à répartition aléatoire, réalisée à double insu et contrôlée par placebo (connue à l’interne comme étant les études LVAC et DSD08 dans la pièce 34 et effectuées par ICOS du 22 avril au 6 août 1999) menée avec le composé 1 administré sur demande aux patients ayant une dysfonction érectile, soit 212 hommes d’au moins 18 ans. Le composé 1 a été administré à la concentration de 2 mg, 5 mg, 10 mg ou 25 mg sur demande et au plus, une fois toutes les 24 heures. L’administration concomitante avec des dérivés nitrés était interdite. L’efficacité était évaluée à l’aide de l’index international de la fonction érectile (IIFE), et dans l’ensemble, l’étude montrait que les quatre doses du composé 1, soit 2 mg, 5 mg, 10 mg et 25 mg administrées sur demande se sont soldées par une amélioration considérable. Les effets indésirables les plus fréquemment signalés étaient les suivants : céphalées, dyspepsie et lombalgie. La fréquence des événements indésirables apparaissant à la suite du traitement semblait liée à la dose.

[108]  La divulgation se termine avec une section faisant état des résultats combinés des études cliniques présentés dans deux tableaux.

[109]  Dans le premier tableau, les résultats combinés des études cliniques indiquaient que l’administration du composé (1), c’est‑à‑dire le tadalafil, à une dose variant entre le placebo à 100 mg permettait de traiter efficacement la dysfonction érectile chez l’homme. Le tableau est intitulé Domaine de la fonction érectile de l’IIEF (variation par rapport au niveau de référence).

[110]  Le deuxième tableau illustre ce qui a été observé dans l’ensemble des études cliniques, c’est‑à‑dire que le pourcentage des événements indésirables liés au traitement augmentait avec une dose unitaire croissante du composé (1). Le tableau est intitulé Événements indésirables liés au traitement (%). Il dresse la liste de neuf événements sur l’axe vertical, et de sept doses unitaires du composé (1) en mg sur l’axe horizontal, c’est‑à‑dire le placebo, 2 mg, 5 mg, 10 mg, 25 mg, 50 mg et 100 mg. Il fournit aussi le pourcentage d’effets indésirables associé à chaque événement, pour chaque dose.

[111]  Pour ce qui est des rougeurs, le placebo et la dose de 2 mg et de 5 mg chacune, sont associés à 0 % de rougeurs; la dose de 10 mg est associée à moins de 1 %; la dose de 25 mg, 0 %, la dose de 50 mg, 3 % et la dose de 100 mg, 7 % d’événements indésirables.

[112]  Sous ce deuxième tableau, le breveté reconnaît que, même si une efficacité a été observée dans l’intervalle de 25 mg à 100 mg, les événements indésirables observés dans cet intervalle doivent être pris en compte.

[113]  Dans l’avant-dernier paragraphe de la divulgation, on lit que [traduction] « Conformément à la présente invention, une dose unitaire d’environ 1 à environ 20 mg, de préférence une dose d’environ 2 à environ 20 mg, mieux encore une dose d’environ 5 à environ 20 mg et idéalement une dose d’environ 5 à environ 15 mg du composé (I) [tadalafil], jusqu’à concurrence d’une dose maximale de 20 mg par période de 24 heures, traite efficacement la dysfonction érectile et réduit au minimum, voire élimine l’apparition d’effets indésirables. Détail important, aucune anomalie visuelle n’a été signalée et les rougeurs ont essentiellement disparu ».

[114]  Dans le dernier paragraphe, le lecteur apprend que [traduction] « les variations et les changements pourraient être faits par les personnes versées dans l’art sans que l’esprit de l’invention ne soit compromis ».

C.  Les revendications

[115]  Le mémoire descriptif du brevet 684 s’achève avec 18 revendications; Lilly invoque la revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, laquelle dépend à son tour des revendications 3‑6) ainsi que les revendications 13‑16. Le libellé des revendications est reproduit en annexe I.

V.  Il ne s’agit pas d’un brevet de sélection

[116]  La position de Lilly, à savoir si le brevet 684 est un brevet de sélection du brevet 784 était changeante, même pendant la présentation orale des conclusions finales. Dans son exposé introductif, Lilly a confirmé sa position, à savoir que le brevet 684 (intervalle posologique invoqué, soit de 2 à 20 mg) est un brevet de sélection du brevet 784 (intervalle posologique de 0,2 à 400 mg). Lilly affirme que le brevet 684 est un brevet de sélection et que [traduction] « (…) essentiellement, cette invention se trouve dans la divulgation et porte sur l’obtention d’une efficacité accompagnée d’effets indésirables minimaux. Vous obtenez des effets indésirables réduits. Les effets indésirables sont moindres qu’avec le sildénafil (...) mais les plus importants sont les rougeurs au visage, les effets indésirables liés à la vision et ceux associés aux effets combinés d’un inhibiteur de la PDE5 et d’un dérivé nitré organique » (transcription du 5 décembre 2019, à la p 56, lignes 2 à 10). Lilly a aussi affirmé que le bienfait était l’efficacité étonnante à faible dose, accompagnée d’un profil amélioré d’effets indésirables qui empire avec des doses supérieures à 20 mg (transcription du 5 décembre 2019, page 86, lignes 12 à 14 et 20 à 28).

[117]  Dans son mémoire écrit de conclusions finales, Lilly décrit les principes qui sous-tendent la sélection sans donner de détails sur la façon dont le brevet 684 satisfait effectivement aux conditions requises pour être une sélection du brevet 784. Toutefois, dans son argument relatif à la nouveauté, Lilly a fait valoir que [traduction] « le tadalafil est un sous‑groupe des composés divulgués dans le brevet 784 et les doses, et les intervalles posologiques revendiqués dans les revendications invoquées dans le brevet 684 sont des sous-groupes des intervalles posologiques mentionnés dans le brevet 784. Par conséquent, l’objet des revendications invoquées est un sous-groupe de ce qui a été divulgué dans le brevet 784. Cela signifie que le brevet 684 est un brevet de sélection » (mémoire de conclusions finales de Lilly, au para 120). Lilly a présenté les avantages particuliers du brevet 684 comme étant [traduction] « l’efficacité étonnante aux faibles doses accompagnée d’un profil amélioré des effets indésirables, notamment les données claires indiquant une réduction des rougeurs dans les intervalles posologiques invoqués, comme il est décrit dans le brevet 684 » (mémoire de conclusions finales de Lilly, au para 122). Dans la section sur l’inventivité de son mémoire de conclusions finales, Lilly explique le lien qui existe entre les avantages de la sélection et l’examen de l’inventivité (voir par exemple au para 147 et 154). Lilly décrit l’idée originale des revendications du brevet 684 comme étant l’efficacité étonnante [traduction] « accompagnée d’une réduction des effets indésirables par rapport au sildénafil de VIAGRA » (mémoire de conclusions finales de Lilly, au para 168). D’après Lilly, pour ce qui est doses de 2,5 mg et de 5 mg, il existait un avantage supplémentaire par rapport au brevet 784, à savoir que ces doses permettent une posologie quotidienne (mémoire de conclusions finales de Lilly, au para 170, rapport sur la validité du Dr Brock, aux para 156 et 157).

[118]  Finalement, Lilly a tenté de confirmer sa position finale au cours de sa plaidoirie finale. Lilly a fait valoir que l’avantage inattendu du sous‑groupe par rapport au genre est le suivant [traduction] « ce que le brevet divulgue, éliminer essentiellement les rougeurs » (transcription du 4 février 2020, page 61, lignes 27 et 28). Selon Lilly, [traduction] « dans le cas qui nous intéresse, ce qui était étonnant, c’était l’efficacité aux faibles doses, et aussi principalement l’élimination des rougeurs » (transcription du 4 février 2020, page 62, lignes 15 à 17). Essentiellement, dans sa plaidoirie finale, Lilly a donc éliminé la comparaison des effets indésirables avec le sildénafil, et limité le meilleur profil des effets indésirables aux rougeurs.

[119]  Il subsiste toutefois des incertitudes. Lorsqu’elle a parlé de l’idée originale, Lilly a cité ses experts pour faire valoir que l’idée originale que représente le sous-groupe posologique du brevet 684 était que, de façon inattendue, les faibles doses de tadalafil, comme il a été revendiqué, sont efficaces pour traiter la dysfonction érectile, entraînent des effets indésirables minimes par rapport au sildénafil de Viagra, et ont permis de réduire le nombre d’effets indésirables à un seul, soit les rougeurs (transcription du 4 février 2020, page 115, lignes 17 à 27).

[120]  Par conséquent, pour éviter tout malentendu, je vais examiner chacun des deux sous‑groupes que Lilly a présentés en dernier pour étayer son allégation selon laquelle le brevet 684 est un brevet de sélection. Le premier est le sous‑groupe posologique du brevet 684 associé au meilleur profil, à savoir la réduction des rougeurs par rapport au grand intervalle du brevet 784 lorsqu’on effectue une comparaison avec le sildénafil, et le deuxième sous‑groupe du brevet 684 est le meilleur profil à savoir la réduction des rougeurs uniquement par rapport au grand intervalle du brevet 784.

[121]  S’agissant de l’exigence de divulgation dans les brevets de sélection, Lilly reconnaît que l’on doit être en mesure de définir le genre dans le prétendu brevet de sélection. Elle fait valoir que le brevet 784 est divulgué à juste titre comme le genre dans le brevet 684, quoiqu’il ne soit pas nommé, car le brevet 684 porte sur les intervalles. Lilly soutient que le breveté ne pouvait désigner le brevet 784 comme le genre dans le brevet 684, étant donné que le premier n’avait pas encore été délivré. Elle affirme que de toute façon, les intervalles du brevet 784 ont été divulgués dans le brevet 684, malgré une erreur typographique (transcription du 4 février 2020 à la p 72).

[122]  Les défenderesses soutiennent qu’aucun des deux arguments de Lilly n’établit que le brevet 684 est un brevet de sélection du brevet 784. Premièrement, la réduction, dans le brevet 684, des effets indésirables liés aux rougeurs par rapport au sildénafil n’est pas un avantage important découlant des doses particulières comparativement au brevet 784, car même à une dose de 100 mg, le tadalafil est encore supérieur au sildénafil. Elles soutiennent que cet argument échoue à l’égard de chacune des trois conditions du critère, car (1) il ne divulgue pas une espèce d’intervalle posologique offrant d’importants avantages; (2) il ne revendique pas un intervalle à l’intérieur duquel toutes les posologies indépendantes offrent un avantage important; et (3) le brevet 684 ne comporte aucune déclaration portant que les posologies n’appartenant pas à la catégorie des posologies revendiquées n’offriraient pas les mêmes avantages que les posologies relevant de cet intervalle (mémoire de conclusions finales des défenderesses, à la p 3). Quant au second sous‑groupe, les rougeurs comparées à celles associées à d’autres doses de tadalafil, les défenderesses affirment que cela n’est tout simplement pas le sujet du brevet 684.

[123]  Les défenderesses citent le paragraphe 114 de l’arrêt Sanofi de la CSC et soulignent que le mémoire descriptif doit définir en termes clairs la nature des caractéristiques dont le breveté allègue qu’elles sont visées par la sélection à l’égard de laquelle il revendique un monopole. Les défenderesses ajoutent que le défaut de divulguer le genre à partir duquel la sélection est effectuée, combiné aux avantages ou à l’évitement des désavantages, équivaut à une violation des exigences liées à la suffisance. Elles soulignent que le brevet 684 mentionne le brevet 377, mais pas du tout la demande 784, qui a été publiée en 1997, plus de deux ans avant le dépôt de la demande 684.

[124]  Comme le fait remarquer Lilly, un brevet de sélection est par définition évalué à l’aune d’un brevet de genre antérieur. L’objet d’un brevet de sélection s’entend généralement d’un composé faisant partie d’une catégorie plus grande visée par un brevet antérieur (Sanofi, au para 1). Un brevet de sélection revendique un sous‑groupe du brevet de genre qui présente un avantage inattendu par rapport audit brevet. Il peut consister en une sélection à partir d’une catégorie comportant des milliers d’éléments ou en une sélection d’un élément sur deux.

[125]  En termes simples, le brevet d’origine (ou de genre) vise habituellement, dans les grandes lignes, un groupe de produits ou de procédés à partir desquels un ou des résultats particuliers peuvent être obtenus ou prédits. Si une propriété, une qualité ou une utilisation liée à au moins l’un des éléments du genre est subséquemment découverte, cette découverte peut être une invention donnant lieu à un brevet de sélection valide. Comme cela est expliqué dans les arrêts Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214 et Sanofi, les brevets de sélection visent à encourager les chercheurs à continuer d’exercer leur génie inventif de façon à découvrir de nouveaux avantages à des composés appartenant à la catégorie connue (Novopharm CAF, au para 20). Dans le cas d’un brevet de sélection, l’inventeur « ne sélectionne qu’un élément de l’objet du brevet de genre d’origine parce qu’il obtient ainsi quelque chose de mieux par rapport à ce qui est revendiqué dans le brevet initial » (Novopharm CAF, au para 66).

[126]  Le fait qu’un brevet de sélection soit irrégulier ne justifie pas en soi de l’invalider, mais la décision de savoir si un brevet est ou non un brevet de sélection orientera l’analyse de chacun des motifs de l’invalidité alléguée. La notion de sélection est omniprésente dans toute l’analyse se rapportant aux différents motifs de l’invalidité alléguée (Novopharm CAF, au para 32).

[127]  Dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a estimé que l’arrêt I. G. Farbenindustrie offrait un bon point de départ pour analyser la question de savoir si un brevet est un brevet de sélection (Sanofi, au para 11). Avant de se lancer dans une analyse de la nouveauté, de l’évidence, de la suffisance et de l’utilité, il faut connaître la nature du brevet que l’on doit examiner (Novopharm CAF, au para 28).

[128]  Comme le font remarquer les défenderesses, la conclusion portant qu’un brevet n’est pas un brevet de sélection a des conséquences, puisque les avantages invoqués par le breveté, s’ils ne le sont pas dans les revendications, pourraient ne pas être considérés dans l’évaluation de la nouveauté et du caractère inventif, examinés ultérieurement.

[129]  Les conditions à remplir pour conclure à l’existence d’un brevet de sélection sont exposées dans l’arrêt Sanofi, au para 10, lequel renvoie à celles énoncées dans l’arrêt IG Farbenindustrie, aux pages 322‑323 :

1.  L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

2.  Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

 3.  La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

[130]  Comme le fait également remarquer Lilly, la Cour dans l’arrêt IG Farbeindustrie a donné des précisions quant au troisième facteur (mémoire de conclusions finales de Lilly, au para 104) :

[traduction]

La troisième proposition appelle une explication succincte. Si le groupe comporte 5 000 éléments possibles, et qu’une centaine d’entre eux ont été sélectionnés parce qu’ils possèdent un certain avantage précis et nouveau, cela ne veut pas dire qu’un tel brevet de sélection ne serait pas valable si des recherches plus poussées établissaient qu’il existe une autre centaine d’éléments possédant le même avantage. S’il est établi par contre que mille éléments non sélectionnés possèdent le même avantage, je doute grandement que le brevet puisse être maintenu. La qualité doit être spéciale. Il ne doit pas s’agir d’une qualité que les personnes versées dans l’art s’attendraient à trouver dans un grand nombre d’éléments. Il serait imprudent de tenter une définition plus précise; car la question en est finalement une d’appréciation. Pour revenir à la même métaphore démodée, je dirais que la citadelle doit être défendue et qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

[131]  Compte tenu du droit régissant les brevets de sélection, Lilly ne m’a pas convaincue que le brevet 684 remplit les conditions et qu’il peut être considéré comme un brevet de sélection. Je signale tout d’abord que ce brevet, déposé en 2000, ne fait aucune mention de la demande 784, publiée en 1997.

[132]  Plus important encore, s’agissant de l’argument de Lilly selon lequel l’avantage important du brevet 684 tient à l’amélioration des effets indésirables liés aux rougeurs causées par le sildénafil à une dose de 2 à 20 mg, je conclus que rien dans le mémoire descriptif, ni dans les revendications elles‑mêmes, n’établit que l’avantage est propre à cette posologie particulière à l’exclusion de toute autre dose unitaire; il n’est pas non plus avancé qu’un plus grand nombre de doses non sélectionnées ne possèdent pas le même avantage, ce qui est une caractéristique essentielle d’un brevet de sélection. Ma conclusion est semblable à celle tirée par le juge de Montigny dans la décision relative à l’avis de conformité du brevet 684.

[133]  Le tableau du brevet 684 affiche le pourcentage de personnes traitées souffrant de rougeurs, à des doses allant jusqu’à 100 mg. À 100 mg, le pourcentage obtenu avec le tadalafil est encore inférieur au taux de 10 % reconnu qui est associé au sildénafil. Lilly n’a produit aucune preuve sur les taux de rougeurs au visage associés à des doses supérieures à 100 mg. Il n’y a aucune indication quant au nombre ou aux intervalles de doses du brevet 784 qui n’offrent pas d’avantage pour ce qui concerne les rougeurs du visage. Je suis consciente de la clarification apportée par l’arrêt IG Farbenindustrie et citée par Lilly à l’égard du troisième facteur. Cependant, aucune preuve n’a été produite pour démontrer qu’il n’existait qu’un petit nombre (dans IG Farbenindustrie, le juge mentionne [traduction] « une autre centaine sur 5 000 ») de doses possibles dans le brevet 784 possédant le même avantage que la posologie revendiquée par le brevet 684. Au minimum, nous savons que l’intervalle de doses qui commence à plus de 20 mg, et qui va jusqu’à 100 mg présente encore l’avantage à l’égard des rougeurs. Il s’agit là d’une proportion déjà plus importante que celle proposée par le juge dans l’arrêt IG Farbenindustrie.

[134]  Compte tenu de la preuve produite devant moi, je tire la même conclusion que le juge de Montigny selon laquelle la troisième condition énoncée dans l’arrêt IG Farbenindustrie n’a pas été remplie.

[135]  S’agissant de l’argument de Lilly portant que l’avantage important du brevet 684 tient à l’amélioration ou à l’élimination des effets indésirables liés aux rougeurs à des doses allant de 2 à 20 mg, je conviens avec les défenderesses que ce n’est pas là l’objet du brevet, de l’invention revendiquée, ni de l’invention spécifiquement décrite dans la divulgation du brevet 684. La comparaison avec le sildénafil fait partie du brevet 684, et même les experts de Lilly ont expliqué que le caractère inventif de ce brevet tenait à son efficacité à faibles doses combinée à un meilleur profil d’effets indésirables que le sildénafil (Rapport en réponse du Dr Brock sur la validité, au para 228). Quoi qu’il en soit, rien n’indique que cet avantage soit propre à l’intervalle allant de 2 à 20 mg.

[136]  En conclusion, je conclus que Lilly ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que le brevet 684 est un brevet de sélection du brevet 784. Les allégations d’invalidité seront conséquemment examinées en partant du principe que le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection.

VI.  Interprétation des revendications

A.  Date pertinente aux fins de l’interprétation des revendications

[137]  La date pertinente aux fins de l’interprétation des revendications du brevet 684 est celle de la publication, c’est‑à‑dire le 9 novembre 2000.

B.  Droit régissant l’interprétation des revendications

(1)  Introduction

[138]  Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. La première partie est une divulgation dans laquelle le breveté doit « décrire d’une façon […] complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur », « exposer clairement les diverses phases d’un procédé […] dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner […] l’invention », et dans le cas d’un procédé, « expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions ». Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Whirlpool Corp. c Camco Inc. 2000 CSC 67, au para 42 [Whirlpool], la divulgation est ce que l’inventeur fournit en échange d’un monopole, de maintenant 20 ans, sur l’exploitation de l’invention.

[139]  On peut faire respecter le monopole, de sorte qu’il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » (Loi sur les brevets, paragraphe 27(4)).

[140]  L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation (Whirlpool, au para 42; Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34, aux para 122–123). L’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même (Free World Trust, au para 51).

[141]  Les revendications ne doivent pas être interprétées à l’aide d’une preuve extrinsèque, sauf pour ce qui est des connaissances générales que la personne versée dans l’art à qui il s’adresse possède déjà. En décembre 2018, une autre exception a été introduite avec l’ajout de l’article 53.1 à la Loi sur les brevets. Cette disposition prévoit une exception limitée selon laquelle, dans toute action relative à un brevet, toute partie des communications échangées entre le titulaire du brevet et le Bureau des brevets peut être admise en preuve, mais seulement pour réfuter une déclaration faite par le titulaire du brevet dans le cadre de l’action (Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2019 CF 1233, au para 68 [Canmar]).

(2)  Une seule et même interprétation à toutes les fins

[142]  Dans une poursuite relative à un brevet, la première étape consiste à interpréter les revendications. Cette interprétation précède l’examen des questions liées à la validité et à la contrefaçon et elle demeure la même à toutes les fins (Free World Trust, aux para 33‑50; Whirlpool, aux para 42‑43; AstraZeneca, CSC, au para 31).

[143]  Cela a été clairement établi dans l’arrêt Whirlpool, où les appelantes avaient soutenu que les deux examens ‑ celui de la validité et celui de la contrefaçon ‑ étaient distincts, et que si les principes d’« interprétation téléologique » découlant de l’arrêt Catnic Components Ltd c Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183 (UKHL) [Catnic] devaient être adoptés, leur application devait à juste titre être limitée aux questions de contrefaçon. Le principe « d’interprétation téléologique », faisaient‑elles valoir, n’avait aucun rôle à jouer dans la détermination de la validité. La CSC a rejeté cet argument, car l’accepter aurait pu faire en sorte que l’interprétation des revendications lorsqu’il est question de validité soit différente de celle donnée lorsqu’il est question de contrefaçon, contrairement à la règle fondamentale d’interprétation des revendications voulant que les revendications reçoivent une seule et même interprétation à toutes les fins (Whirlpool, au para 49).

[144]  Une revendication ne peut être interprétée en fonction du mécanisme que l’on prétend contrefait lorsqu’il est question de contrefaçon, ou en fonction de l’art antérieur lorsqu’il est question de validité afin d’en éviter les effets (Dableh c Ontario Hydro, [1996] 3 CF 751 (CAF)).

[145]  L’interprétation des revendications est une question de droit pour le juge. Le rôle de l’expert n’est pas d’interpréter les revendications du brevet, mais de permettre au juge de le faire de manière éclairée; la preuve d’expert au sujet de l’interprétation d’une revendication de brevet est admise, mais elle n’est pas obligatoire (Whirlpool, au para 61; Purdue Pharma c Canada (Procureur général) 2011 CAF 132, au para 16). Les revendications doivent être interprétées par la personne versée dans l’art, en date de la publication, sur la base de ses connaissances générales courantes.

[146]  Enfin, les règles fondamentales du droit en matière d’interprétation des revendications ont été énoncées par la CSC dans les arrêts Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, aux p. 520–525, Free World Trust et Whirlpool. Bien qu’ils portent sur des brevets régis par une version antérieure de la Loi sur les brevets, ces arrêts trouvent à s’appliquer (voir par exemple Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc, 2015 CAF 116 [Cobalt]).

(3)  Interprétation téléologique : éléments essentiels et non essentiels

[147]  Dans les arrêts Whirlpool et Free World Trust, la CSC a retenu la méthode de l’interprétation téléologique. Ce faisant, elle a rejeté la méthode d’interprétation des brevets dite en « deux volets », où les tribunaux commençaient par se demander si, suivant une interprétation littérale, le mécanisme soi-disant contrefaisant incorporait l’invention brevetée et, si tel n’était pas le cas, examinaient ensuite si l’appareil incorporait l’« essentiel » ou la « substance » de l’invention (Canamould Extrusions ltd c Driangle inc 2004 CAF 63, au para 20 [Canamould Extrusions]).

[148]  L’approche en une seule étape, ou téléologique, a été privilégiée, car « plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher 'l’esprit de l’invention' au‑delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes » (Free World Trust, au para 50). Cette approche, tel que l’a énoncée lord Diplock dans l’arrêt Catnic, nécessite une « interprétation fondée sur l’objet » du brevet. Elle a été appliquée par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Eli Lilly & Co c O’Hara Manufacturing Ltd (1989), 26 CPR (3 d) 1 (CAF).

[149]  Dans l’arrêt Whirlpool, la CSC a déclaré que l’interprétation téléologique consiste à bon droit à interpréter les mots des revendications de façon éclairée et en fonction de l’ensemble du mémoire descriptif; cette interprétation favorise l’atteinte de l’objectif d’une interprétation des revendications du brevet qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. La CSC a précisé que l’interprétation téléologique repose sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention (aux para 49, 45).

[150]  En fait, les éléments d’une revendication sont censés être essentiels, et il incombe à la partie qui prétend le contraire d’en établir le caractère non essentiel (Mediatube Corp c Bell Canada, 2017 CF 6, au para 33 [Mediatube]).

[151]  Dans l’arrêt Free World Trust, la CSC a fourni d’autres indications sur la façon de distinguer les éléments essentiels des éléments non essentiels des revendications. Je remarque que ces indications ont surtout été données alors que la cour examinait les questions de contrefaçon, et seulement après qu’elle a interprété les revendications, aux paragraphes 20–23. L’on comprend que la CSC donne ainsi des indications à la fois sur la façon de distinguer les éléments essentiels des éléments non essentiels, dans le contexte de l’interprétation des revendications, et sur l’incidence que cette distinction a sur l’analyse relative à la contrefaçon. Ces deux aspects semblent entremêlés et, au paragraphe 55, la CSC confirme que les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon). Ainsi, si un élément est jugé essentiel, sa substitution aura pour effet de placer le défendeur à l’extérieur du champ du monopole et il n’y aura pas de contrefaçon.

[152]  Comme la Cour doit interpréter les revendications sans se préoccuper des questions de contrefaçon ou de validité, je me contenterai donc pour l’instant de préciser les facteurs de l’arrêt Free World Trust qui orienteront cette interprétation. Il est important de mentionner que le libellé des revendications montrera, suivant une interprétation téléologique, que certains éléments de l’invention revendiquée sont essentiels alors que d’autres ne le sont pas. Suivant le paragraphe 31 de l’arrêt Free World Trust, les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

  i.  en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève le brevet;

  ii.  à la date à laquelle le brevet est publié;

  iii.  selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

  iv.  conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

  v.  mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

[153]  La CSC a examiné chacun de ces cinq facteurs aux paragraphes 51 à 67 de sa décision.

[154]  Ayant examiné les facteurs iii et iv, la CSC a confirmé que, pour qu’un élément soit jugé non essentiel, il faut établir que (i) suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii) à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c’est‑à‑dire que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative (Free World Trust, au para 55).

[155]  La CSC a renvoyé à la décision Improver Corp c Remington Consumer Products Ltd, [1990] FSR 181 (Pat Ct), et cité le juge Hoffmann, qui lui‑même citait l’arrêt Catnic, et ses trois questions, maintenant appelées les questions de l’arrêt Improver :

  i.  La variante influence‑t‑elle de manière appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :

  ii.  Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait‑il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative :

  iii.  L’expert du domaine conclurait‑il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

[156]  Il semble que ces questions aient été formulées d’abord et avant tout pour aider la Cour à déterminer les éléments essentiels et les éléments non essentiels des revendications. Dans l’arrêt Canamould Extrusions, la CAF a relevé le commentaire du juge Hoffmann formulé à la page 190 de l’arrêt Improver, où il indiquait essentiellement que les deux premières questions ne portent pas principalement sur l’interprétation, qu’elles apportent un contexte factuel, que les réponses qu’on y donne ne sont pas décisives et que c’est la troisième question, sur l’intention du breveté, qui soulève la question de l’interprétation.

[157]  Le juge Scott dans la décision Hollick Solar Systems Ltd c Matrix Energy Inc, 2011 CF 1213, aux para 54‑82, et le juge Locke dans la décision Mediatube, aux para 33–34 et 52, ont tous deux appliqué l’arrêt Improver dans leur interprétation des revendications pour dégager les éléments essentiels et les éléments non essentiels de celles‑ci.

[158]  S’agissant de l’intention de l’inventeur, la CSC a indiqué que « [l]es tribunaux reconnaissent que la langue comporte des pièges et ils font ce qu’ils peuvent pour accorder à l’inventeur [TRADUCTION] ‘l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi’ (Western Electric, précité, à la p. 574), mais jusqu’à un certain point ». Citant la CAF, la CSC a ajouté que le tribunal doit interpréter les revendications; il ne peut les réécrire. Lorsqu’un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu’il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu’il se trompait (Free World Trust, aux para 58–59).

(4)  Interprétation téléologique : les mots du breveté

[159]  Les mots choisis par l’inventeur sont interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Encore une fois, les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon ce qu’entend une personne versée dans l’art, à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes.

[160]  Les tribunaux ont traditionnellement protégé les brevetés contre les effets d’un littéralisme excessif. Il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif (Whirlpool, au para 52). Pour interpréter les revendications de manière téléologique, la cour doit examiner le mémoire descriptif du brevet pour trouver le sens d’un mot avant de consulter les dictionnaires. Le breveté doit être son propre lexicographe (Kramer c Lawn Furniture Inc (1974), 13 CPR (2 d) 231, à la p 237 (CFPI); Pfizer Canada c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au para 19; Minerals Separation North American Corp c Noranda Mines Ltd (1952), 15 CPR (1st) 133, aux p 144–145 (CP)).

[161]  Le mémoire descriptif du brevet [traduction] « ne s’adresse pas à des grammairiens, à des étymologistes ou au public en général, mais à des individus compétents suffisamment versés dans l’art auquel se rapporte le brevet pour leur permettre d’apprécier sur le plan technique la nature et la description de l’invention » (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed, (Toronto : Carswell, 1969), à la p. 185). Pour reprendre les mots de M. Fox, la Cour doit se mettre [traduction] « dans la position d’une personne au fait de l’état de la technologie et du processus de fabrication à l’époque en cause, et elle doit s’informer du sens technique qu’un seul ou plusieurs mots particuliers peuvent avoir dans cette technologie ou ce processus de fabrication » (Whirlpool, au para 53). La CAF a récemment cité ce passage de l’arrêt Whirlpool dans l’arrêt AFD Petroleum Ltd c Frac Shack Inc, 2018 CAF 140, au para 60.

[162]  Cependant, « l’approche téléologique n’invite pas la Cour à ignorer les règles courantes de la grammaire et de la syntaxe » (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 181, au para 45, conf. par 2013 CF 947).

[163]  Alors que dans l’arrêt Free World Trust, la Cour suprême a adopté la méthode d’interprétation téléologique, elle a aussi confirmé que la Loi sur les brevets, dans sa version en vigueur à l’époque, favorise le respect de la teneur des revendications.

[164]  Dans le récent arrêt Tearlab c I‑MED Pharma Inc, 2019 CAF 179, au para 47 [Tearlab CAF], la CAF a approuvé l’interprétation du juge de première instance et son respect de la teneur des revendications. Le juge avait refusé d’ajouter des limites qui n’étaient pas expressément prévues et s’était concentré sur les revendications sans les réécrire. La CAF a également rappelé que, même s’il faut tenir compte du mémoire descriptif du brevet pour comprendre le sens qu’étaient censés avoir les mots employés dans les revendications, il faut veiller à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et […] interprétée » (aux para 32–34).

[165]  Dans l’arrêt Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30, [Hospira CAF], la CAF n’a pas non plus relevé d’erreur dans la décision du juge de la Cour fédérale de donner aux mots employés dans les revendications leur sens ordinaire et de s’aider du mémoire descriptif pour les interpréter compte tenu des arguments soulevés par les appelantes. Dans ce cas particulier, les appelantes qui étaient poursuivies pour contrefaçon, cherchaient à limiter la portée des revendications alors que celles‑ci ne contenaient aucune restriction explicite, et que la divulgation le confirmait.

(5)  Différenciation des revendications

[166]  Le concept de la différenciation repose sur la prémisse que les revendications d’un brevet sont rédigées de manière à ne pas être redondantes et que chacune d’elles a une portée différente (Donald Cameron, Canadian Patent Law Benchbook, 3rd Ed, (Toronto : Thomson Reuters, 2019); Halford c Seed Hawk Inc, 2004 CF 88, conf par 2006 CAF 275). La présomption réfutable selon laquelle les revendications ne sont pas redondantes a d’abord été appliquée à l’égard d’une revendication et de ses revendications dépendantes (Apotex Inc c Lundbeck Canada Inc, 2010 CAF 320, au para 110; Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188; ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2020 CF 486, au para 56). Elle s’applique à présent aussi aux revendications indépendantes (Camso Inc c Soucy International Inc, 2019 CF 255, aux para 103, 186–190).

[167]  Le concept de la différenciation permet de déterminer si un élément de la revendication est essentiel. Ainsi, lorsque deux revendications diffèrent l’une de l’autre à un seul égard, il est difficile de prétendre que l’on n’a pas fait de la caractéristique différente un élément essentiel de la revendication (Whirlpool, au para 79). Il serait étrange que l’inventeur ait voulu que deux revendications soient redondantes.

[168]  Si une caractéristique essentielle d’un brevet est définie de manière spécifique, et qu’un autre terme plus général susceptible d’englober cette caractéristique spécifique est aussi employé, normalement l’on ne déduira pas que les deux termes veulent dire la même chose. L’utilisation de termes différents sert habituellement à distinguer les caractéristiques les unes des autres et non à exprimer une synonymie (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co Ltd, 2013 CF 947, au para 29, conf par 2015 CAF 181).

C.  Personne versée dans l’art

[169]  Le brevet doit être interprété du point de vue de la personne versée dans l’art qui n’est pas un inventeur (Beloit Canada Ltd c Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289 (CAF) [Beloit]. De nombreuses décisions donnent à entendre que cette personne n’est ni la première ni la dernière de sa classe, mais qu’elle se situe quelque part au milieu (Merck‑Frosst‑Schering Pharma GP c Canada (Santé), 2010 CF 933, au para 69; Amgen Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 1261, au para 45). Cependant, le juge Locke a récemment précisé que la personne versée dans l’art n’est ni la première ni la dernière de sa classe, car [traduction] « la qualité de l’esprit inventif n’est pas liée au rang occupé au sein de la classe ». Il s’agit plutôt de [traduction] « la capacité d’examiner un problème d’une manière qui ne serait pas évidente pour les autres dans leur domaine » (Hospira, au para 80). Le juge Locke a ajouté : [traduction] « Une personne inventive peut être dernière de classe, et une personne première de classe peut ne pas être inventive. On peut en dire autant des experts. Les praticiens hautement spécialisés peuvent être des chefs de file dans leur domaine, mais ne pas être inventifs. À l’inverse, l’esprit inventif peut se manifester chez des personnes ayant une expertise limitée » (Hospira CAF, au para 80).

[170]  Il n’y a guère de désaccord entre les parties quant à la question de la personne versée dans l’art en l’espèce. Lilly insiste sur l’importance de l’urologue par rapport aux autres membres de l’équipe, tandis que les défenderesses souhaiteraient que la Cour adopte les caractéristiques de la personne versée dans l’art décrites par le juge de Montigny dans la décision relative à l’avis de conformité du brevet 684.

[171]  Il n’y a aucune raison de croire que l’urologue est plus important que le pharmacologue ou que d’autres membres de l’équipe, celle‑ci ne pouvant pas fonctionner sans ces autres personnes. Par conséquent, la personne versée dans l’art est une équipe qui met au point des médicaments et qui possède une expertise en pharmacologie, en pharmacocinétique, en physiologie, en dosage et en évaluation de l’innocuité de nouveaux traitements, ainsi qu’une expérience dans le traitement de la DE. L’équipe pourrait être constituée de médecins, de cliniciens, de chercheurs, de pharmacologues, de toxicologues et de statisticiens.

D.  Art antérieur

[172]  L’art antérieur s’entend « de l’ensemble du savoir dans le domaine du brevet en cause » et comprend « tout enseignement accessible au public, aussi obscur ou peu accepté soit‑il » (Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119, au para 23 [Mylan Pharmaceuticals CAF]).

[173]  L’arrêt Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc., 2017 CAF 225, au para 56 [Ciba CAF] confirme que l’état de la technique est simplement un autre terme pour désigner l’art antérieur. Je peux donc employer l’un ou l’autre de ces termes dans les présents motifs. La CAF a récemment conclu qu’aucune antériorité accessible au public ne doit être exclue de l’art antérieur pour la simple raison qu’elle n’a pas pu être localisée à la suite d’une recherche diligente et raisonnable (Hospira CAF, au para 86).

[174]  En l’espèce, les défenderesses soutiennent que la demande 784 est la pièce de l’art antérieur sur laquelle repose l’allégation d’invalidité pour cause d’antériorité, et que le sildénafil, le tadalafil du brevet 377 et la demande 784 sont les antériorités qui fondent l’allégation d’invalidité pour cause d’évidence.

(1)  Sildénafil

[175]  Le sildénafil est le premier médicament de la catégorie des inhibiteurs de la PDE5. Il est invoqué par les défenderesses à l’appui de leur allégation d’évidence.

[176]  Après avoir été approuvé par les organes de réglementation, le sildénafil est rapidement devenu le traitement de référence de la dysfonction érectile. C’était un médicament novateur en ce que les traitements antérieurs supposaient des injections ou d’autres formes de traitement effractif. Dès que le sildénafil a été approuvé, les médecins canadiens ont commencé à recevoir plusieurs appels par jour de patients souhaitant obtenir une ordonnance et il fallait qu’ils connaissent cette antériorité. Un plan des essais menés avec le sildénafil a été distribué à grande échelle par Pfizer, et il révélait toute la liste des études (précliniques et cliniques) effectuées, les doses réellement testées, la puissance des concentrations allant de 3,0 à 3,9 nM, la sélectivité médiocre pour la PDE5 comparativement à la PDE6 entraînant des anomalies visuelles transitoires, l’efficacité associée à des doses faibles de 5 et 10 mg, et le plateau d’efficacité observé pour l’intervalle allant de 50 à 100 mg. M Ellis cite des renseignements tirés de la monographie de Viagra (1998), ainsi que d’un certain nombre de publications comme Boolell (1996A) & (1996B), Christiansen (1996), Gingell (1996), Olsson (1996), Terrett (1996), (Virag 1996), Bailey 1997, Dean (1997), Eardley (1998), Lue 1997, Goldstein (1997) & (1998), Ballard (1998), De Mey (1998), Goldenberg 1998, Morales (1998) qui contiennent des renseignements additionnels ou des commentaires concernant l’information de Pfizer. Il n’est pas contesté que ces documents font partie de l’art antérieur, mais comme je l’ai déjà mentionné, Lilly nie que ces données font partie des connaissances générales courantes.

(2)  Le brevet 377

[177]  Le brevet 377 est intitulé « Dérivés tétracycliques, leurs procédés de préparation et leur utilisation ». L’inventeur désigné au brevet est Alain Claude-Marie Daugan. La demande a été déposée le 19 janvier 1995 et revendiquait la priorité sur la demande de brevet 9401090.7, déposée au Royaume-Uni, le 21 janvier 1994. Au Canada, la demande a été publiée le 27 juillet 1995, et le brevet a été délivré le 28 mai 2002.

[178]  Les défenderesses se fondent sur ce brevet pour étayer leur allégation d’évidence. Elles renvoient à la divulgation et aux revendications du brevet 377, et laissent entendre qu’il s’agit de déclarations qui lient Lilly. Elles soutiennent que le brevet 377 ne fait que revendiquer le tadalafil dans la revendication 10, et qu’il s’agit là d’une indication que le tadalafil était le composé principal. Par ailleurs, elles soulignent que le brevet 377 révèle que les composés sont des « inhibiteurs puissants et sélectifs de la [PDE5] » et présentent un intérêt [traduction] « thérapeutique, plus particulièrement pour le traitement de diverses affections pour lesquelles cette inhibition est présumée bénéfique » (brevet 377, page 6). Le brevet 377 indique aussi que la dose à administrer par voie orale sous forme de comprimé chez un patient adulte moyen (70 kg) devrait se situer entre 0,2 et 400 mg de composé actif (brevet 377, page 8). La CI50 de tadalafil nécessaire à l’inhibition de la PDE5 a été déterminée et est de 2 nM et la CE50 était de 0,2 µM dans l’exemple 95 du tableau 1 (brevet 377, pages 74 à 76). Un effet (baisse de tension artérielle) sur les rats spontanément hypertendus a aussi été observé et est de 135 mmHg h (aire sous la courbe entre 0 et 5 heures) (brevet 377, page 76), lequel, selon les déclarations antérieures du Dr Brock, signifie pour la personne versée dans l’art que le tadalafil est biodisponible (transcription du 19 décembre 2019, à la p 105).

[179]  D’après Lilly, le brevet 377 ne divulgue pas de doses précises, et la personne versée dans l’art prenant connaissance du brevet 377 s’attendrait à des effets hypotenseurs.

(3)  La demande 784

[180]  La demande 784 s’intitule « Utilisation d’inhibiteurs de phosphodiestérase spécifique de GMPc dans le traitement de l’impuissance ». L’inventeur désigné est Alain Claude-Marie Daugan. La demande 784 a été déposée le 11 juillet 1996, et revendiquait la priorité sur la demande de brevet 9514464.8 déposée au Royaume-Uni, le 14 juillet 1995. Au Canada, la demande a été publiée pour la première fois le 6 février 1997 et le brevet a été délivré le 18 juillet 2003. Il s’agit d’un brevet d’utilisation d’un inhibiteur puissant et sélectif de la GMPc, propre à la PDE, en l’occurrence le tadalafil, pour le traitement de l’impuissance.

[181]  La demande 784 porte sur l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la dysfonction érectile. Les défenderesses l’invoquent à la fois à des fins d’allégation d’antériorité et d’évidence, et laissent entendre que cet élément de l’art antérieur contient des déclarations sur le fait que les dérivés tétracycliques divulgués sont des « inhibiteurs puissants et sélectifs » de la PDE5 (demande 784, page 1), car ils élèvent la concentration de GMPc, qui, à son tour, induit la relaxation du corps caverneux (demande 784, page 4), et sont utiles pour traiter la dysfonction érectile chez les animaux mâles lorsqu’ils sont administrés par voie orale (demande 784, page 4). Les défenderesses soulignent aussi que le brevet 784 divulgue des méthodes de fabrication des comprimés et des essais permettant de déterminer la CI50 envers la PDE5 ainsi que la CE50. La demande divulgue aussi un intervalle posologique de 0,2 à 400 mg pour chaque dose unitaire, ou de 0,5 à 800 mg, une fois par jour, pour un adulte de 70 kg.

[182]  Lilly répond que la demande ne porte pas sur les doses précises du brevet 684 et, en fait, s’éloigne plutôt des doses faibles puisque la seule dose donnée en exemple dans la demande 784 est 50 mg.

E.  Connaissances générales courantes

[183]  Les connaissances générales courantes ne s’entendent pas de tous les renseignements qui se trouvent dans le domaine public. Il s’agit plutôt de connaissances que possède généralement la personne versée dans l’art ou la science dont relève le brevet à la date pertinente (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, aux para 63–65 [Bell Helicopter Textron]).

[184]  L’évaluation des connaissances générales courantes est régie par les principes énoncés dans la décision Eli Lilly & Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, au para 97 [Eli Lilly 2009], conf par 2010 CAF 240, citant General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (UKHL) à 482–483 :

1) Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, bien qu’il soit peu vraisemblable qu’il soit consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.

2) Les connaissances générales courantes englobent les mémoires descriptifs qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art. Dans certains secteurs d’activités, la preuve peut indiquer que tous les mémoires descriptifs de brevets font partie des connaissances pertinentes.

3) Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article en particulier. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée d’emblée par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.

4) Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans un art en particulier.

[185]  En d’autres mots, comme l’indique l’arrêt Mylan Pharmaceuticals CAF, « les connaissances générales courantes […] s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré […] » (au para 24). Contrairement à l’art antérieur, qui est une catégorie générale regroupant tous les renseignements précédemment divulgués dans le domaine, un élément d’information ne fait partie des connaissances générales courantes que si une personne versée dans l’art en est informée et qu’elle reconnaît cette information comme constituant [traduction] « un bon fondement pour les actions à venir ».

[186]  Les connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art ne peuvent être présumées; elles doivent plutôt être prouvées par une preuve factuelle selon la prépondérance des probabilités (Eli Lilly 2009, au para 109).

[187]  La date pertinente pour évaluer les connaissances générales courantes aux fins de l’interprétation des revendications est celle de la publication, soit le 9 novembre 2000. Cependant, la date pertinente pour évaluer les connaissances générales courantes aux fins de l’analyse sur l’évidence et l’antériorité est celle de la revendication, soit le 30 avril 1999, et les parties ont soumis leurs observations en prenant cette date comme point de départ.

[188]  Lilly se réfère à la section V du rapport de M. Derendorf sur la validité et aux sections 5 et 6 du rapport du Dr Brock sur la validité pour définir les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art.

[189]  M. Derendorf a résumé le processus de mise au point du médicament, notamment les études précliniques et cliniques, dans la section V de son rapport d’expert. Il a fait ressortir que la proportion d’échec des entités chimiques au stade préclinique de la mise en marché est extrêmement élevée, entre autres pour les raisons suivantes : faible activité physicochimique du médicament, toxicité élevée et différences dans les paramètres pharmacocinétiques entre les espèces. Par ailleurs, selon lui, même si un médicament est sans danger, efficace et bien toléré à court terme chez les animaux, il se peut qu’il ne le soit pas chez l’humain à long terme. Par conséquent, il affirme que personne n’aurait raisonnablement pu prédire les régimes posologiques du médicament qui seraient sans danger, bien tolérés et efficaces au stade préclinique et aux premiers stades cliniques. Il a aussi mentionné qu’une vaste gamme de paramètres pharmacocinétiques doit être recueillie durant le processus et a critiqué l’avis de M. Ellis, qui aurait accordé trop d’importance à l’activité du médicament dans l’établissement de la posologie.

[190]  Le Dr Brock, dans les sections 5 et 6 de son rapport sur la validité, a discuté de généralités entourant la dysfonction érectile et de la mise au point d’un médicament pharmaceutique. D’après le Dr Brock, il faut trouver un moyen de mesurer l’efficacité d’un traitement contre la dysfonction érectile avant même de déterminer les doses. Selon lui, la mesure de la rigidité du pénis (Rigiscan), un questionnaire d’évaluation globale, le questionnaire sur la satisfaction à l’égard du traitement de l’inventaire des dysfonctions érectiles (EDITS) et un journal sur l’expérience sexuelle, ainsi que les questions de l’index international de la fonction érectile (IIFE) utilisé par Pfizer lors de la mise au point du sildénafil, étaient quelques‑unes des mesures utilisées. Avant de lire l’article de Rosen (2011), il était d’avis que les cliniciens ne sauraient pas comment utiliser adéquatement les questions de l’index IIFE et interpréter les résultats. Par la suite, le Dr Brock a répondu au Dr Hellstrom, et a mentionné que l’inhibition de la PDE5 pourrait aussi indirectement inhiber la PDE3 par une augmentation de la concentration d’AMPc. Il a affirmé aussi qu’en raison de l’effet indésirable du sildénafil que sont les anomalies visuelles, les associations professionnelles de pilotes et de contrôleurs aériens ont restreint son utilisation et les rougeurs, un autre effet indésirable du sildénafil, pourraient rendre le patient mal à l’aise. Enfin, en ce qui a trait à la mise au point du médicament, le Dr Brock déclare que [traduction] « il existe plus d’une façon d’en arriver à la commercialisation d’un médicament, même si l’information ultime à fournir est semblable » (rapport sur la validité du Dr Brock, para 55), et [traduction] « l’objectif de la mise au point d’un médicament est de maximiser les bienfaits thérapeutiques tout en réduisant au minimum les effets indésirables et les problèmes possibles d’innocuité » (au para 108). Quant au choix d’une dose, il a indiqué que l’activité, la sélectivité, l’absorption, la distribution, la métabolisation, l’élimination et le sildénafil doivent tous être pris en compte. Par ailleurs, il n’était pas d’accord avec le fait de déterminer la dose efficace minimale et maximale de chaque médicament, car même si on le recommande dans plusieurs lignes directrices, ce n’est pas une obligation. Il a ajouté que l’article de Rosen (2011), lequel a permis de clarifier certaines questions de l’index IIFE, n’a pas été publié avant 2011, et que les cliniciens de différentes études sélectionneraient différents paramètres cliniques qui aboutiraient à différents régimes posologiques. Selon lui, le taux de réussite à l’égard de la commercialisation d’un composé est faible, et il n’y avait aucune garantie que le tadalafil, un médicament de deuxième classe, se lie et fonctionne de la même façon que le sildénafil, car ils sont chimiquement différents. Il a affirmé aussi que la posologie « au besoin » a été utilisée pour le sildénafil et s’appliquait aussi clairement au tadalafil, jusqu’à ce que Lilly préfère un régime posologique quotidien.

[191]  Au procès, dans son témoignage, le Dr Brock a déclaré que les questions de l’index IIFE font partie des connaissances générales courantes, contrairement à certaines questions. Certains articles de revues savantes constituent les connaissances générales courantes, de même que les données sur le sildénafil, mais il a dû rechercher et extraire les données de pharmacocinétique de ces documents.

[192]  Selon les défenderesses qui s’appuyaient sur les lignes directrices de l’ICH (connues à la date de la revendication du brevet 684 en tant que la Conférence internationale sur l’harmonisation des exigences techniques relatives à l’homologation des produits pharmaceutiques à l’usage humain), les doses efficaces minimales et maximales doivent être déterminées. Les défenderesses renvoient au rapport d’expert de M. Ellis, au para 36, ainsi qu’à la déclaration du Dr Brock qui a reconnu au procès dans T-169-13, que [traduction] « [le document des lignes directrices de l’ICH] décrit la mesure dans laquelle la conception d’études pour examiner la relation dose-effet est nécessaire » (transcription du 19 décembre 2019, page 160). En général, pour ce qui est de la sélection d’une dose, les défenderesses font référence à la déclaration de M. Ellis selon laquelle les événements indésirables et l’efficacité ont tendance à augmenter avec la dose, et à un certain moment, atteignent un plateau thérapeutique (d’efficacité) (transcription du 12 décembre 2019, page 119).

[193]  Les défenderesses sont, pour l’essentiel, d’accord avec Lilly que le processus de mise au point d’un médicament ainsi que la phase préclinique et les trois phases cliniques font partie des connaissances générales courantes.

[194]  Les défenderesses ont aussi demandé à la Cour de reconnaître que le recours à des inhibiteurs de la PDE5 et leur mécanisme d’action font partie des connaissances générales courantes (rapport d’expert de M. Ellis, para 59), ainsi que les questions de l’index IIFE, en particulier les questions 3 et 4 (voir aussi le brevet 684, page 29). En insistant sur le fait que le lancement du sildénafil était bien connu en raison du caractère novateur du médicament, qui traite la dysfonction érectile de manière non effractive, les défenderesses ont présenté l’histoire de la mise au point du médicament à base de sildénafil et avancé que cette mise au point faisait partie des connaissances générales courantes (activité, soit la CI50, qui diminue à une valeur entre 3,0 et 3,9 nM, efficacité du sildénafil à la faible dose de 5 mg, plateau d’efficacité du sildénafil à 100 mg, sildénafil offert à une dose de 25, 50 ou 100 mg, dose de 50 mg dose sans danger et efficace pour tous les hommes, sildénafil bien toléré et accompagné d’effets indésirables transitoires mais contre‑indiqué dans le cas d’une administration concomitante avec des dérivés nitrés).

[195]  Les parties ne s’entendent pas principalement sur deux points : cela relève‑t‑il des connaissances générales courantes que la personne versée dans l’art chercherait à établir la dose efficace minimale, et qu’elle examinerait les données de pharmacocinétique, celles des articles de revues savantes et celles se rapportant au sildénafil, ainsi que certaines questions de l’index IIFE qui faisaient partie des connaissances générales courantes?

[196]  Comme je trouve M. Ellis plus fiable et plus convaincant que le Dr Brock, selon moi, à propos des connaissances générales courantes, l’équipe versée dans l’art chercherait à établir la dose efficace minimale malgré l’incertitude accompagnant cette dose, selon des prédictions basées sur ses connaissances, les données de pharmacocinétique, celles des articles de revues savantes et celles se rapportant au sildénafil, ainsi que certaines questions de l’index IIFE qui faisaient partie des connaissances générales courantes à la date pertinente, soit la date de la revendication, c’est‑à‑dire le 30 avril 1999, pour l’évaluation de l’antériorité et de l’évidence, et la date de publication, soit le 9 novembre 2000, pour l’interprétation de la revendication.

F.  Revendications ayant besoin d’interprétation

(1)  Introduction

[197]  Comme il a été mentionné plus tôt, les revendications ayant besoin d’interprétation, soit la revendication 10 (car elle dépend de la revendication 9, qui elle-même dépend des revendications 3 à 6) et les revendications 13 à 16. Plus précisément, l’interprétation portera sur « là où le bât blesse » (Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc, 2015 CAF 116, au para 83).

(2)  Interprétation de la revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, qui elle-même dépend des revendications 3 à 6)

[198]  La revendication 10 se lit comme suit : [traduction] « La forme posologique de la revendication 9, où la dysfonction sexuelle est la dysfonction érectile ».

[199]  La revendication 9 se lit comme suit : [traduction] « La forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6, en vue du traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait ».

[200]  Les revendications 1 et 3 à 6 se lisent comme suit : [traduction]

1. Une forme posologique unitaire pharmaceutique comprenant environ 1 à environ 20 mg d’un composé dont la formule développée est la suivante :

ladite forme posologique unitaire étant administrable par voie orale.

3. La forme posologique de la revendication 1 comprenant environ 5 à environ 20 mg du composé sous forme de dose unitaire.

4. La forme posologique de la revendication 2 comprenant environ 2,5 mg du composé sous forme de dose unitaire.

5. La forme posologique de la revendication 3 comprenant environ 5 mg du composé sous forme de dose unitaire.

6. La forme posologique de la revendication 3 comprenant environ 10 mg du composé sous forme de dose unitaire.

[201]  L’interprétation de la revendication 10, pour l’essentiel, ne suscite pas la controverse, mais les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il s’agit d’une dose maximale quotidienne ou d’une dose par jour au maximum.

[202]  Les parties conviennent que dans les revendications, il n’y a pas de termes qui limitent expressément la portée à une dose maximale quotidienne. Cependant, Lilly est d’avis que l’interprétation de la revendication 10 devrait inclure une dose par jour au maximum. Puisque la dose la plus élevée est 20 mg, Lilly soutient que la dose est limitée à 20 mg. Seul M. Derendorf soutient cette thèse. Le Dr Brock quant à lui, a interprété les revendications de façon à inclure cette restriction dans une affaire antérieure relative à un avis de conformité en lien avec le brevet 684, mais il lui a été demandé de ne pas le faire dans la présente affaire.

[203]  Selon l’interprétation de M. Derendorf, qui se fonde sur les connaissances générales courantes, la revendication contient une limite d’une dose par jour, peu importe la dose unitaire, pour le traitement de la dysfonction érectile en raison de la nature de ce traitement, et il se base aussi sur le brevet lui-même pour enseigner cela. Puisque la dose la plus élevée revendiquée dans le brevet est 20 mg, Lilly fait valoir que la personne versée dans l’art saurait implicitement que l’efficacité de la dose la plus élevée est la même que celle d’une administration d’un maximum de 20 mg par jour. Lilly souligne aussi que cette dose maximale quotidienne est mentionnée dans la divulgation du brevet 684 aux pages 5 et 32. Par conséquent, suivant une interprétation téléologique du brevet, Lilly soutient que l’interprétation devrait comprendre la dose par jour au maximum issue des connaissances générales courantes, qui équivaut à 20 mg par jour au maximum. D’après Lilly, la loi énonce clairement que les limites qui restreignent une revendication peuvent être intégrées à une revendication si la personne versée dans l’art le considère ainsi.

[204]  Selon les défenderesses, la preuve d’expert indiquant si la dose maximale quotidienne est un élément essentiel des revendications invoquées est cohérente avec la décision du juge de Montigny. Elles décrivent aussi les opinions de M. Ellis et du Dr Brock. M. Ellis est d’avis que les revendications ne contiennent aucune restriction explicite quant à une dose maximale quotidienne et rien dans le libellé des revendications ne pourrait être interprété comme un maximum. Les défenderesses soulignent le fait que M. Derendorf, le seul expert à interpréter la revendication comme ayant une limite concernant la dose quotidienne, a fondé son rapport de réponse sur le rapport qu’il a préparé sur le litige relatif au brevet américain équivalent au brevet 684, lequel comprenait une limite expresse visant la dose maximale quotidienne.

[205]  Les défenderesses invoquent le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, selon lequel les revendications doivent définir l’objet de l’invention en termes explicites. Elles invoquent également l’article 53.1 de la Loi pour faire valoir que la position de Lilly dans la présente instance contredit celle qu’elle avait adoptée durant l’instruction de la demande liée au brevet 684, alors qu’elle avait dû réécrire les revendications initiales et retirer de leur énoncé une dose maximale quotidienne pour réfuter les objections de l’examinateur des brevets. Ce dernier avait jugé que ces revendications initiales étaient invalides parce qu’elles portaient sur une méthode de traitement médical (Pollard Banknote c BABN Technology, 2016 CF 883 [Pollard]). Enfin, les défenderesses soulignent que le brevet 684 a été inscrit à l’égard du produit ADCIRCA de Lilly sur le registre des brevets, alors que la monographie de ce médicament requiert une dose de 40 mg par jour.

[206]  L’historique des poursuites canadiennes révèle que le 30 novembre 2005, l’examinateur des brevets a informé les agents de brevet de Lilly ICOS LLC des lacunes de la demande 684. Il a, entre autres choses, signalé que les revendications 13‑17, qui faisaient état d’une dose totale maximale de 20 mg par jour, visaient une méthode de traitement médical (…). Le 2 mai 2006, Lilly ICOS LLC, par l’entremise de ses agents de brevet, a confirmé par écrit au commissaire des brevets que les revendications avaient été modifiées, les revendications 13‑17 ayant été réécrites sous la forme de revendications d’usage, sans la dose maximale quotidienne.

[207]  Lilly soutient que la théorie de la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier ne s’applique pas, car (1) M. Derendorf n’a pas interprété les revendications comme prévoyant une dose maximale quotidienne, mais seulement un régime posologique quotidien fondé sur les connaissances générales courantes; et (2) le Bureau de brevet ne s’est pas opposé à la dose maximale quotidienne, mais seulement à la formulation de la « méthode de traitement » dans les revendications 13‑17 initiales, quoique la mention de la dose maximale quotidienne a été retirée en même temps que le libellé a été modifié.

[208]  Dans la décision Canmar, le juge Manson a confirmé que « [d]epuis l’adoption de l’article 53.1, l’interprétation téléologique des demandes de brevet au Canada comporte maintenant trois volets : (1) les revendications elles‑mêmes, (2) la divulgation et (3) l’historique de la poursuite au Canada, quand celui‑ci sert à réfuter une déclaration que le breveté a faite au sujet de l’interprétation d’une revendication du brevet » (au para 68).

[209]  Vu le libellé des revendications, les règles qui régissent leur interprétation, le paragraphe 27(4) et l’article 53.1 de la Loi sur les brevets, et comme j’ai accordé plus de poids à l’avis d’expert du Dr Ellis, j’estime que la revendication 10, de même que les revendications 13‑16 ne renvoient pas à une dose maximale quotidienne ni à une dose par jour au maximum. Le sens ordinaire des revendications ne révèle aucune ambiguïté et ne comporte pas de telles limites (Hospira CAF, aux para 16–18).

[210]  Cette conclusion est confirmée par l’historique des poursuites qui ont été intentées au Canada en lien avec le brevet 684, alors que Lilly a réécrit les revendications pour supprimer la référence initiale à la dose maximale quotidienne. Il serait inique de permettre à Lilly d’introduire dans les revendications invoquées une limite relative à une dose maximale quotidienne ou à une dose par jour au maximum (Pollard).

[211]  Les éléments essentiels de la revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, qui elle‑même dépend revendications 3 à 6) sont les suivants :

  • Une forme posologique unitaire pharmaceutique (par exemple, une pilule ou un comprimé);
  • Adaptée à une administration par voie orale;
  • Contient du tadalafil;
  • À certaines doses, donc dans la revendication 3 : 5 à 20 mg, dans la revendication 4 : 2,5 mg, dans la revendication 5 : 5 mg, et dans la revendication 6 : 10 mg;
  • Pour traiter la dysfonction érectile chez un patient pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait;

[212]  La revendication 10 ne contient aucune dose maximale quotidienne ni ne renvoie à une dose par jour au maximum.

(3)  Interprétation des revendications 13 à 16

[213]  Les revendications 13 à 16 sont des revendications d’utilisation, car elles ont trait à l’utilisation d’une dose unitaire. Elles font référence à la revendication indépendante 12. Elles sont libellées comme suit :

12. L’utilisation d’une dose unitaire contenant environ 1 à environ 20 mg d’un composé dont la structure est la suivante

en vue du traitement de la dysfonction sexuelle d’un patient.

13. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 2 à environ 20 mg du composé.

14. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 5 mg du composé.

15. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 10 mg du composé.

16. L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 20 mg du composé.

[214]  Il existe un désaccord quant à la définition de « dysfonction sexuelle »; le terme renvoie‑t‑il à la dysfonction érectile ou à la dysfonction sexuelle chez la femme, à savoir le trouble de l’excitation chez la femme. Les défenderesses soutiennent que ces revendications ne se limitent pas à un type particulier de dysfonction sexuelle. Les défenderesses soulignent aussi le fait que ces revendications ne font pas référence aux effets indésirables ou à l’absence de contre‑indications, à une limite fixant la dose maximale quotidienne à 20 mg ou à une limite visant une seule dose par jour. D’après Lilly, la distinction entre dysfonction érectile ou dysfonction sexuelle chez la femme ne s’applique qu’à l’utilité du composé et elle fait valoir que le composé est utile puisque le tadalafil peut traiter la dysfonction érectile. Selon Lilly, la personne versée dans l’art saurait ce qu’est une dose par jour au maximum, et comme 20 mg est la dose unitaire maximale, la dose maximale quotidienne est de 20 mg (rapport de réponse de M. Derendorf, au para 123). C’est là où le bât blesse.

[215]  Comme j’ai déjà vidé la question de la dose unique par jour ou de la dose maximale quotidienne, je ne vais discuter que de dysfonction sexuelle. Il existe un consensus général voulant que, au moment de la publication du brevet 684, la dysfonction sexuelle doit être interprétée, suivant son sens ordinaire, comme une dysfonction qui s’applique autant à l’homme qu’à la femme (voir le rapport de réponse de M. Derendorf, au para 117). Comme le Dr Pullman l’a expliqué, à cette époque, on croyait que les inhibiteurs de la PDE5 pourraient servir à traiter la dysfonction sexuelle à la fois chez l’homme et chez la femme.

[216]  La revendication 9 fait aussi référence à son utilisation pour traiter la dysfonction sexuelle, mais mentionne aussi [traduction] « pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait ». Les revendications 10 et 11 limitent explicitement la dysfonction sexuelle à la dysfonction érectile et au trouble de l’excitation chez la femme, respectivement.

[217]  Les revendications 13 à 16, qui se rapportent à la revendication 12, ne précisent pas [traduction] « pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait », comme c’est le cas dans la revendication 9, ni ne limite la dysfonction sexuelle à la dysfonction érectile ou à la dysfonction sexuelle chez la femme. Conformément aux principes de la différenciation entre les revendications, une limite ne doit être considérée que si elle est expressément écrite. Un libellé différent mène la Cour à conclure que le breveté avait voulu donner aux revendications 12 et 13 à 16 une signification plus large qu’à la revendication 10, et que le sens ordinaire du terme « dysfonction sexuelle » renvoie à la dysfonction sexuelle autant chez l’homme que la femme.

[218]  Selon moi, les éléments essentiels des revendications 13 à 16 sont les suivants :

  Utilisation d’une dose unitaire;

  Contenant du tadalafil (revendication 13 : 2 à 20 mg; revendication 14 : environ 5 mg; revendication 15 : environ 10 mg; et revendication 16 : environ 20 mg);

  Pour traiter la dysfonction sexuelle (notamment autant la dysfonction érectile que la dysfonction sexuelle chez la femme) chez un patient.

[219]  Là encore, il n’est fait mention d’aucune dose maximale quotidienne ni d’une seule dose par jour.

VII.  Les demandes reconventionnelles introduites par le demanderesses sur le fondement de l’invalidité

A.  Introduction

[220]  Comme l’indique le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, un brevet est présumé valide. Il incombe aux défenderesses d’en prouver l’invalidité selon la prépondérance des probabilités.

[221]  Les défenderesses ont soulevé huit motifs d’invalidité. Cependant, comme nous le mentionnions aux paragraphes 19‑20 des présents motifs, certains de ces motifs dépendent de l’interprétation des revendications ou n’ont pas été allégués dans les conclusions finales.

[222]  Les défenderesses ont expliqué dans leur exposé préliminaire que leurs allégations d’invalidité fondées sur les motifs de portée excessive, d’absence de prédiction valable ou de démonstration et d’inutilité/inutilisabilité ne valaient que dans la mesure où les revendications invoquées étaient interprétées de manière à inclure les avantages liés aux effets indésirables réduits. J’ai déterminé que le brevet 684 ne reposait pas sur une sélection des éléments du brevet 784. Personne ne m’a demandé d’interpréter le profil amélioré des effets indésirables ni le profil de réduction des rougeurs dans les revendications invoquées, et je n’en ai pas non plus tenu compte dans l’interprétation des revendications en question. Quoi qu’il en soit, il n’a pas été question de ces allégations d’invalidité lors des conclusions finales, pas plus que des allégations de double brevet et d’insuffisance. Comme on ne m’a présenté aucune argumentation complète et que les défenderesses ne se sont pas acquittées de leur fardeau à l’égard de ces motifs, je n’examinerai pas ces allégations.

[223]  Les allégations des défenderesses concernant l’objet non brevetable sont demeurées, mais seulement dans la mesure où les revendications étaient interprétées de manière à inclure une dose maximale quotidienne. Comme je n’ai pas interprété ainsi les revendications invoquées, je n’examinerai pas ces allégations.

[224]  Les défenderesses n’ont présenté d’arguments sur la question de l’invalidité que dans le contexte des motifs fondés sur l’antériorité et l’évidence.

[225]  En bref, et pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que les défenderesses ont établi l’antériorité et l’évidence des revendications invoquées.

B.  Antériorité

(1)  Les allégations d’antériorité

[226]  Les défenderesses affirment que le brevet 684 est antériorisé par la demande 784, car les éléments essentiels des revendications invoquées ont tous été précédemment divulgués par la demande 784 et permettent la réalisation de l’invention. Les défenderesses soulignent que les éléments essentiels du brevet 684 consistent en une forme posologique pharmaceutique unitaire pouvant être administrée par voie orale et contenant du tadalafil à des concentrations ou à des intervalles posologiques destinés à traiter la dysfonction sexuelle, ou s’agissant de la revendication 10, la DEM; ces revendications ne prévoient pas de dose maximale quotidienne. Les défenderesses soutiennent que le brevet 684 est nécessairement antériorisé et invalide, sauf s’il s’agit d’un brevet de sélection.

[227]  S’agissant de l’analyse en deux étapes relative à l’antériorité qui est décrite dans l’arrêt Sanofi et de la divulgation, les défenderesses soulignent que celle‑ci est expressément prévue à l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, et qu’elle n’est pas tirée de la common law pas plus qu’elle ne découle implicitement du libellé la loi.

[228]  Elles soutiennent que la demande 784 divulgue chacun des éléments essentiels du brevet 684 ou des revendications invoquées. En fait, elles soulignent que chacune des doses de tadalafil revendiquée dans le brevet 684 se situe entièrement dans l’intervalle posologique de la demande 784. En réponse à l’argument de Lilly concernant le critère à appliquer en matière de divulgation, les défenderesses insistent sur le fait qu’il ressort clairement du libellé de la Loi que l’examen commence avec l’objet que définit la revendication, pour passer ensuite à la question de savoir si cet objet a été divulgué dans les antériorités, et non l’inverse. Elles soutiennent, de façon imagée, qu’il y a antériorité si la demande 784 divulgue A et B et que le brevet 684 ne divulgue que B.

[229]  Elles citent également des décisions, notamment celle rendue par le juge Hughes dans Merck & Co, Inc c Pharmascience Inc, 2010 CF 510 [Merck], à l’appui de la proposition suivant laquelle un intervalle posologique dérivé d’une divulgation plus large est une antériorité, à moins que le brevet ne constitue un brevet de sélection.

[230]  S’agissant du caractère réalisable, les défenderesses citent le Dr Ellis selon qui la demande 784 enseignait comment fabriquer le tadalafil et des comprimés contenant ce médicament à une dose se situant dans l’intervalle revendiqué, à l’aide de techniques standards connues de la personne versée dans l’art. Elles rappellent également les grandes lignes du témoignage livré par M. Derendorf en contre‑interrogatoire, alors que ce dernier a reconnu qu’en utilisant les enseignements de la demande 784 et en modifiant les proportions utilisées dans le comprimé cité en exemple, la personne versée dans l’art serait en mesure de fabriquer des comprimés contenant une dose plus petite ou plus grande (transcription du 17 décembre 2019 à la p 141).

[231]  Lilly répond que les défenderesses n’ont pas établi que la demande 784 antériorisait le brevet 684. Elle ne nie pas que la demande 784 constitue une antériorité; elle est d’accord avec les défenderesses pour ce qui est du critère à deux volets relatif à l’antériorité, tel qu’il est établi dans l’arrêt Sanofi, bien qu’elle ne partage pas leur avis quant à l’application du volet lié à la divulgation.

[232]  Dans son mémoire écrit de conclusions finales, Lilly soutient que la demande 784 divulgue le tadalafil pour le traitement de la DE, mais qu’au chapitre de la posologie, elle ne divulgue qu’un exemple précis, la dose de 50 mg. Lilly reconnaît que la demande 784 divulgue un intervalle possible pour les comprimés ou les gélules orales à prise unique de 0,2‑400 mg, ainsi qu’un intervalle de doses quotidiennes situées entre 0,5 et 800 mg, qu’elle décrit par ailleurs ces intervalles comme des exemples du cas moyen tout en envisageant des doses individuelles qui seraient supérieures ou inférieures à celles des intervalles prévus.

[233]  Lilly affirme que la demande 784 ne divulgue manifestement aucune des revendications du brevet 684, étant donné que (1) la large portée ou le genre de l’intervalle 0,2–400 mg n’aboutit pas inévitablement aux posologies ou intervalles revendiqués par le brevet 684 et aussi (2) que la dose de 50 mg mentionnée dans la demande 784 ne correspond clairement à aucune dose ni à aucune concentration du brevet 684. Dans son mémoire écrit de conclusions finales, Lilly cite la CSC concernant les différents éléments du critère de divulgation (au para 114). Elle s’appuie plus précisément sur le paragraphe 21 de l’arrêt Sanofi, quoique la CSC ait confirmé que le juge des demandes avait exagéré la rigueur du critère de l’antériorité en considérant que l’« invention exacte » devait déjà avoir été faite et rendue publique (Sanofi, au para 23).

[234]  Dans sa plaidoirie finale, Lilly a soutenu que le critère à deux volets (divulgation et caractère réalisable) relatif à l’antériorité n’est pas expressément imposé par la loi, même s’il a un fondement législatif.

[235]  Elle soutient également que le fait de qualifier un brevet de brevet de sélection n’a pas d’incidence sur l’analyse relative à la divulgation, étant donné que cet aspect n’entre en jeu que dans l’analyse du caractère réalisable (transcription du 4 février 2020, à la p 127). Elle confirme ainsi que les principes qu’elle propose pour orienter l’analyse de la divulgation s’applique à tous les brevets, de sélection ou pas.

[236]  Pour ce qui est de la divulgation, Lilly soutient que l’analyse doit débuter avec les antériorités, donc la demande 784, et qu’il n’y aura antériorité que si, chaque fois que la demande 784 est mise en pratique et que les instructions sont suivies, le résultat obtenu est visé par les revendications du brevet 684. Lilly conclut ainsi que le critère de la divulgation n’est pas rempli en l’espèce étant donné qu’un certain nombre de posologies dans la demande 784 ne se retrouvent pas dans le brevet 684. Elle cite par exemple toutes les doses supérieures à 20 mg qui font partie de la demande 784, mais qui ne se retrouvent pas dans le brevet 684. En fait, Lilly a confirmé que le brevet en litige devrait toujours être [traduction] « de portée plus large » que celui considéré comme une antériorité pour conclure qu’il a y a eu divulgation (transcription du 4 février 2010, aux pages 125–126).

[237]  Ainsi, suivant l’argument de Lilly, la demande 784 ne fournit pas de directives menant infailliblement à l’objet sélectionné du brevet 684 (Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, au para 83).

[238]  Lilly ajoute, au cas où le brevet 684 serait interprété comme un brevet de sélection, que la demande 784 ne divulgue pas l’avantage spécial qu’il apporte.

[239]  Lilly fait donc valoir qu’il n’est pas nécessaire d’analyser le caractère réalisable vu l’absence de divulgation. Subsidiairement, s’il devait y avoir divulgation, Lilly soutient que la personne versée dans l’art aurait clairement besoin d’une foule de renseignements supplémentaires pour parvenir aux doses revendiquées, compte tenu de la nature de l’invention et du fait que les travaux réalisés pour trouver les doses revendiquées n’étaient en rien courants.

(2)  Le cadre d’analyse de l’antériorité

(a)  Article 28.2 de la Loi sur les brevets et critère de l’arrêt Sanofi

[240]  Les allégations d’antériorité sont régies par l’article 28.2 de la Loi sur les brevets. Sous le titre « Objet non divulgué », cette disposition prévoit que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas avoir été divulgué. Il paraît clair que le volet divulgation du critère de l’antériorité est intégré dans le libellé de la loi.

[241]  Les parties conviennent que le critère de l’antériorité est énoncé dans l’arrêt Sanofi et que pour déterminer si un objet est antériorisé, une analyse en deux étapes doit être effectuée. La première étape concerne l’exigence de la divulgation antérieure : à la date de la revendication, l’art antérieur doit divulguer un objet qui, s’il est réalisé, entraînerait nécessairement une contrefaçon du brevet (Sanofi, au para 25). Si cette condition est remplie, la seconde consiste à examiner le caractère réalisable et à se demander si une personne versée dans l’art aurait pu réaliser l’invention (Sanofi, au para 26). Le caractère réalisable doit être révélé dans un seul document d’antériorité divulgué (Beloit, à la p 297), de telle sorte que la personne versée dans l’art puisse « exécuter ou [...] réaliser l’invention du deuxième brevet sans trop de difficultés » (Sanofi, au para 33). La personne versée dans l’art peut appliquer les connaissances générales courantes pour évaluer le caractère réalisable (Sanofi, au para 37). Si les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Par ailleurs, les essais courants ne devraient pas être considérés comme posant des difficultés excessives (Sanofi, au para 37).

[242]  L’analyse de l’antériorité doit s’effectuer en fonction de la date de la revendication, soit le 30 avril 1999, comme l’ont confirmé les parties.

(b)  L’exigence de divulgation

[243]  En ce qui concerne le brevet 540, Lilly ne conteste pas que la divulgation porte sur les éléments essentiels des revendications invoquées, et que l’analyse sur la divulgation consiste à examiner une revendication à la fois pour déterminer si chaque élément essentiel a été divulgué dans les antériorités. En fait, c’est ainsi que Lilly a mené l’analyse sur la divulgation dans le procès se rapportant au brevet 540.

[244]  Bizarrement, dans cette partie du procès, Lilly a soutenu que l’analyse sur la divulgation doit débuter avec l’art antérieur, et qu’il faut examiner si chaque élément de l’art antérieur, une fois réalisé, contreferait les revendications du brevet en cause. Elle a confirmé que cela s’applique à tous les brevets, qu’il s’agisse de brevets de sélection ou pas.

[245]  Contrairement à l’affirmation avancée par Lilly durant cette partie du procès, il paraît clair que l’analyse sur la divulgation doit débuter avec les éléments essentiels des revendications invoquées du brevet 684. Elle doit ensuite consister à examiner si les éléments essentiels ont été divulgués dans le document de l’art antérieur invoqué par les défenderesses. L’élément considéré comme ayant été divulgué dans l’art antérieur doit, une fois réalisé, entraîner une contrefaçon des éléments essentiels de la revendication du brevet en litige (SmithKline Beecham Pharma Inc, c Apotex 2002 CAF 216; Lundbeck Canada Inc. c Ratiopharm 2009 CF 1102).

[246]  J’ai déjà conclu que les revendications invoquées ne comprennent pas de dose quotidienne ni de dose maximale quotidienne. J’ai aussi déjà conclu que Lilly n’a pas démontré que le brevet 684 était un brevet de sélection du brevet 784, si bien que le profil amélioré d’effets indésirables à l’égard des rougeurs, comparé ou non au sildénafil, n’entre pas en compte dans l’analyse sur l’antériorité. Cela concorde avec les motifs du juge de Montigny qui déclarait : « Quand un second brevet n’est pas interprété comme un brevet de sélection, les avantages qu’il procure ne sont pas pris en compte dans l’examen de l’antériorité et il n’est pas nécessaire qu’ils aient été divulgués dans un brevet antérieur pour qu’il soit antériorisé » (la décision sur l’AC du brevet 684, au para 148). Ma conclusion est également conforme à l’arrêt Sanofi dans lequel l’exigence de divulgation aux fins de l’antériorité n’avait pas été remplie, parce que le brevet constituant une antériorité ne divulguait pas les avantages particuliers du brevet de sélection (aux para 31–32, 38–41).

[247]  Compte tenu de mon interprétation des revendications invoquées, je conclus que les éléments essentiels des revendications invoquées du brevet 684 sont divulgués dans la demande 784.

[248]  J’ai confirmé que les éléments essentiels de la revendication 10, qui est subordonnée à la revendication 9, qui elle-même est subordonnée aux revendications 3 à 6, sont les suivants :

  Une forme posologique unitaire pharmaceutique (par exemple, une pilule ou un comprimé);

  Adaptée à une administration par voie orale;

  Contient du tadalafil;

  À certaines doses, donc dans la revendication 3 : 5 à 20 mg, dans la revendication 4 : 2,5 mg, dans la revendication 5 : 5 mg, et dans la revendication 6 : 10 mg;

  Pour traiter la dysfonction érectile, chez un patient pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait

[249]  Ces éléments essentiels sont tous divulgués dans la demande 784. À la page 3 de cette demande, il est indiqué que [traduction] « les composés précis de l’invention sont le [composé A et et le composé B] ». Aux pages 3 et 4, l’exposé se poursuit et indique que [traduction] « les composés A et B sont utiles dans le traitement de la dysfonction érectile », et que [traduction] « de plus, les composés pourraient être administrés par voie orale, ce qui fait disparaître les inconvénients associés à l’administration intracutanée ». Le tadalafil, même si ce n’est pas expressément indiqué, est le composé A.

[250]  Dans la demande 784, il est aussi mentionné à la même page que [traduction] « les composés de la présente invention sont des inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE qui ralentissent la dégradation de la GMPc », et on apporte des clarifications trois lignes plus loin sur le fait qu’ils inhibent sélectivement la PDE5. Puis, à la page 4, on précise que [traduction] « les composés de l’invention sont principalement envisagés dans le traitement de la dysfonction érectile ou dysfonction sexuelle chez l’homme », mais [traduction] « ils pourraient aussi être utiles dans le traitement de la dysfonction sexuelle chez la femme ». Aux pages 12 à 16 de la demande 784, on trouve des exemples de préparations pharmaceutiques des deux composés sous forme de comprimés, d’une granulation humide, de comprimés enrobés d’une pellicule et de capsules. Enfin, à la page 5 de la demande, il est indiqué que pour un patient adulte typique, les comprimés individuels contenant entre 0,2 et 400 mg de composé actif peuvent servir à administrer des doses uniques ou multiples, une ou plusieurs fois par jour. D’après la demande 784, la dose devrait généralement se situer entre 0,5 et 500 mg une fois par jour pour un patient adulte de 70 kg, à l’exception des cas particuliers. Cet intervalle est plus grand que l’intervalle posologique de 2,5 à 20 mg des revendications invoquées.

[251]  J’ai confirmé que les éléments essentiels des revendications 13 à 16 sont les suivants :

  Utilisation d’une dose unitaire;

  Contenant du tadalafil (revendication 13 : 2 à 20 mg; revendication 14 : environ 5 mg; revendication 15 : environ 10 mg; et revendication 16 : environ 20 mg);

  Pour traiter la dysfonction sexuelle (notamment la dysfonction érectile et la dysfonction sexuelle chez la femme) chez un patient.

[252]  Pour la même raison citée préalablement pour la revendication 10, tous les éléments essentiels des revendications 13 à 16 sont divulgués. Comme il a été mentionné précédemment, il est indiqué à la page 3 de la demande 784 que deux composés, dont l’un est le tadalafil, sont utiles dans le traitement de la dysfonction érectile. L’intervalle posologique dans les revendications d’utilisation varie de 2 à 20 mg, mais là encore, les doses se situent dans l’intervalle entre 0,2 et 400 mg.

[253]  Les défenderesses ont établi que la demande 794 révèle des éléments qui, s’ils sont mis à exécution, contreferaient les revendications invoquées du brevet 684. Tous les éléments essentiels des revendications invoquées du brevet 684 sont divulgués dans la demande 784.

(c)  L’exigence relative au caractère réalisable

[254]  Aux fins de l’établissement du caractère réalisable, la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention (Sanofi, au para 27). L’équipe et le lecteur versés dans l’art doivent être capables de mettre en pratique l’invention et de passer d’un intervalle posologique de doses unitaires de 0,2 à 400 mg à un intervalle de 2 à 20 mg.

[255]  La sélection d’une dose est un travail de routine en pharmacologie qui se fait sans trop de difficultés, et fait partie des études cliniques de phase II, à la fin desquelles, on trace généralement une courbe dose‑effet pour sélectionner les doses finales qui serviront dans les études menées à grande échelle. L’équipe versée dans l’art, à la phase II, doit déterminer la dose minimale efficace ainsi que la dose maximale efficace. Bien que la détermination des paramètres des études nécessite le jugement de l’urologue, il ou elle n’aura aucune difficulté à établir la dose minimale efficace dans le traitement de la dysfonction érectile. Le plateau d’efficacité s’observe dans les études de phase II, et est déterminé à l’aide d’un grand nombre de facteurs recensés dans des travaux préalables tirés d’études précliniques et de phase I, notamment les données recueillies par les experts sur l’absorption, la distribution, la métabolisation et l’élimination (ADME), ainsi que le profil des effets indésirables, et les doses finales, qui procurent le meilleur rapport entre innocuité, tolérabilité et efficacité, et qui sont choisies pour les études de phase III, réalisées à grande échelle. Même si l’équipe versée dans l’art ne réussit pas à tracer une courbe dose-effet à la suite d’un seul essai de phase II, parce que les doses étudiées sont trop élevées et toutes efficaces, ou parce que les doses étudiées sont trop faibles et aucune n’est efficace, un deuxième essai de phase II sera réalisé (transcription du 18 décembre 2019, à la p 44). Aucune inventivité n’est nécessaire dans les essais de routine.

[256]  Par ailleurs, la masse molaire du tadalafil par rapport à celle du sildénafil et la CI50 et la CE50 des deux molécules, qui font partie des connaissances générales courantes de l’équipe versée dans l’art, seront utiles pour déterminer les doses de la première étude servant à établir l’intervalle posologique, comme l’a indiqué Mme Baughman (rapport d’expert de Mme Baughman, aux para 68 à 75). Le sous‑groupe précis de doses de la demande 784 qui offre le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité, est établi à partir de l’étude. C’est ainsi que la personne versée dans l’art pourrait réaliser l’invention des revendications invoquées dans le brevet 684.

[257]  Les brevets établissant une posologie, comme le brevet 684, ont fait l’objet de décisions antérieures. En général, l’établissement de la posologie d’un médicament n’apporte rien de nouveau, à moins de circonstances exceptionnelles, ce qui signifie qu’un brevet établissant une posologie se heurtera presque toujours à une antériorité. Le juge Hughes a exprimé dans Merck, au para 167 qu’en général « il entrerait dans les compétences attendues de la personne versée dans l’art, ainsi que le brevet 457 lui-même le reconnaît, de déterminer la dose appropriée pour une personne donnée ». Il poursuit en déclarant ce qui suit au paragraphe 176 :

[176] Je conclus, compte tenu de l’état du droit au Canada tel qu’il est exposé dans l’arrêt Sanofi, en particulier, que l’utilisation du finastéride dans un traitement oral de la calvitie masculine a été divulguée et que la sélection d’une gamme de doses entrait dans les compétences de la personne moyennement versée dans l’art. La revendication 5 du brevet 457 ne fait que confirmer que le médicament est efficace à une dose de 1 mg/jour. Aucun élément technique nouveau n’a été divulgué ou revendiqué. Dans la mesure où Harris et Thigpen donnent à entendre que le finastéride pourrait ne pas être efficace, il n’y a pas d’enseignement clair qu’il sera inefficace. En l’absence de Harris et Thigpen, la revendication 5 ne présente aucune nouveauté. Après Harris et Thigpen, le brevet 457, y compris la revendication 5, ne fait que confirmer, sans expérimentation excessive, ce qui était déjà connu.

[258]  Suivant un raisonnement semblable à celui tenu par le juge Hughes, je conclus que le brevet 684 ne fait que confirmer que le tadalafil fonctionne à une posologie de 2–20 mg. L’administration du tadalafil, par l’instauration d’un schéma posologique simple, peut être distinguée de la situation qui prévalait dans Janssen Inc c Teva Canada Ltd, 2020 CF 593, où il était question d’un régime posologique totalement différent : doses de charge et doses de maintien.

(3)  Conclusion sur l’antériorité

[259]  Les défenderesses ont établi que la demande 784 divulgue les éléments essentiels des revendications invoquées du brevet 684 et en permet la réalisation. Ces revendications sont invalides pour cause d’antériorité.

C.  Évidence

(1)  Les allégations d’évidence

[260]  Les défenderesses allèguent que tout le brevet 684 est évident pour la personne versée dans l’art, car celle‑ci n’aurait à faire preuve d’aucun degré d’inventivité pour confirmer que les doses de 2–20 mg de tadalafil sont efficaces. Elles font valoir que le brevet 684 est donc invalide.

[261]  Elles ajoutent que la conduite des inventeurs est, en grande partie si ce n’est totalement, dépourvue de pertinence au regard du brevet 684, et que les aspects pertinents démontrent que ces derniers ont effectué des études courantes relevant aisément des connaissances et des capacités de la personne versée dans l’art pour parvenir à l’invention.

[262]  Les défenderesses soutiennent que l’objet défini par la revendication dont il est question à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets se trouve dans les éléments essentiels des revendications et que le fait que le tadalafil puisse être utilisé et administré oralement à des doses précises pour traiter la DEM, dans laquelle l’inhibition de la PDE5 est bénéfique, a ainsi été enseigné par le brevet 377, la demande 784 et le sildénafil.

[263]  Lilly a répondu que le brevet 684 est évident. Lilly convient qu’il est effectivement question dans la loi de l’objet que définit la revendication. Toutefois, elle fait valoir que l’idée originale n’est pas l’objet que définit la revendication, car elle diffère des revendications, telles que ces dernières sont interprétées. Soutenant que le brevet 684 est un brevet de sélection, Lilly souligne que l’idée originale comprend, dans le cas qui nous concerne, une réduction des effets indésirables, qui était inattendue, ou qui se limitaient aux rougeurs, par rapport au sildénafil de Viagra, lorsque la dose maximale quotidienne est fixée à 20 mg. Même si le brevet n’était pas considéré comme un brevet de sélection, Lilly ajoute que l’idée originale devrait néanmoins inclure la réduction au minimum des effets indésirables par rapport au sildénafil de Viagra. Lilly propose donc que l’idée originale soit considérée comme étant [traduction] « la découverte que des doses étonnamment faibles de tadalafil comme il est libellé dans chacune des revendications invoquées, dont la dose maximale quotidienne est de 20 mg, sont efficaces dans le traitement de la dysfonction érectile et réduisent au minimum les effets indésirables par rapport au sildénafil de Viagra » (mémoire de conclusions finales de Lilly, au para 168).

[264]  Compte tenu des positions contradictoires des parties, je dois déterminer comment, à la lumière des directives de la CSC et de la CAF, notre Cour doit procéder à l’examen sur l’évidence.

(2)  Le cadre régissant l’évidence

(a)  Article 28.3 de la Loi sur les brevets

[265]  L’examen de l’évidence est régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, selon lequel l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas être évident.

[266]  En l’espèce, le brevet 684 ne devait pas être évident pour la personne versée dans l’art en date du 30 avril 1999.

(b)  Critère issu de l’arrêt Sanofi sur l’évidence

[267]  En 2008, la CSC a rendu l’arrêt Sanofi, reconnu depuis comme étant l’arrêt de principe sur l’examen relatif à l’évidence. L’arrêt Sanofi portait sur un brevet de sélection, et comme l’article 28.3 de la Loi sur les brevets ne s’y appliquait pas, il n’a pas été examiné.

[268]  Ayant jugé trop strict le critère de l’évidence énoncé dans l’arrêt Beloit, la CSC a estimé qu’il y avait lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée dans l’arrêt Windsurfing International Inc c Tabur Marine (Great Britain) Ltd, [1985] RPC 59 (EWCA) [Windsurfing] et reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c BDMO SA [2007] EWCA Civ 588 [Pozzoli]. Au paragraphe 67 de ses motifs, elle a reformulé comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

1)  a) identifier la « personne versée dans l’art »;

b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2)  définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3)   recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

4)  abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[269]  S’agissant de l’idée originale, la CSC a conclu qu’il n’était pas facile de saisir l’idée originale à partir des seules revendications, et elle s’est donc fondée sur le reste du mémoire descriptif pour la définir : « La seule présence d’une formule chimique ne permet pas de déterminer l’inventivité de la revendication. J’estime donc que l’on doit pouvoir se fonder sur les mémoires descriptifs pour définir l’idée originale qui sous‑tend les revendications ». (Sanofi, au para 77). La CSC a estimé que l’idée originale à la base des revendications du brevet de sélection en litige résidait dans les avantages que le composé visé par ce brevet offrait par rapport aux autres composés couverts par son brevet de genre et dans les méthodes permettant d’obtenir ce composé (au para 78).

[270]  J’examinerai chaque étape.

(c)  Première étape : Identifier la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes de cette personne

[271]  La personne versée dans l’art a déjà été identifiée par la Cour aux paragraphes 170‑172, et les connaissances générales courantes définies aux paragraphes 184‑197.

(d)  Deuxième étape : Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

(i)  Questions à trancher

[272]  L’arrêt Sanofi a donné lieu à d’importants débats visant à déterminer si, en introduisant le concept d’« idée originale » dans le critère relatif à l’évidence et en se référant à la divulgation pour l’interpréter, la CSC a dans les faits modifié la jurisprudence établie jusque‑là par la CAF dans l’arrêt Beloit. Les questions soulevées concernaient le sens d’« idée originale », à savoir si l’appréciation de cette idée différait de l’interprétation des revendications, si le critère établi par la CSC sur le fondement des anciennes dispositions de la Loi sur les brevets s’appliquait aux brevets régis par l’article 28.3 de la même loi, ou s’il était permis à l’égard des brevets, de sélection ou non, de déterminer l’idée originale en s’appuyant sur autre chose que sur les revendications lorsqu’il est difficile, ou non, de saisir cette idée à partir des seules revendications. Comme les parties ne s’entendent pas sur la manière de répondre à ces questions, j’exposerai brièvement la jurisprudence et les modifications législatives de manière chronologique, je situerai l’arrêt Sanofi dans cette chronologie et donnerai un bref aperçu des réponses jusque‑là fournies par la CAF afin d’orienter mon analyse.

(ii)  1986 : le cadre de l’arrêt Beloit

[273]  Avant 1993, la Loi sur les brevets ne contenait aucune disposition précise sur l’évidence ou son antithèse : l’ingéniosité et l’inventivité. L’inventivité a été intégrée dans la définition du terme invention à l’article 2 de la Loi sur les brevets comme condition de la brevetabilité.

[274]  Jusqu’à 2008, la décision de principe sur l’évidence était l’arrêt Beloit de la CAF, dans lequel les deux parties avaient en fait obtenu un brevet pour la même invention. Le brevet se rapportait à un mécanisme de presse installé sur l’une des quatre sections d’une machine à papier et il ne s’agissait pas d’un brevet de sélection.

[275]  S’exprimant au nom de la CAF, le juge Hugessen a indiqué que ce qui était revendiqué comme étant novateur et inventif était la combinaison d’éléments déjà connus dans la conception d’une presse à grande vitesse, et il a décrit en la simplifiant et en la vulgarisant la revendication du brevet ainsi que le texte de celle‑ci, qui ne mentionnait pas la vitesse de la machine.

[276]  Le juge Hugessen a confirmé le critère permettant de déterminer s’il y a évidence. Il a d’abord déclaré qu’il ne s’agissait pas de se demander ce que des inventeurs compétents auraient fait, les inventeurs étant par définition inventifs, ajoutant que « [l]a pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit », et que la question à se poser était de savoir « si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire » (Beloit, à la p. 294, c’est moi qui souligne).

[277]  Le juge Hugessen a ainsi désigné la « solution que préconise le brevet » comme l’élément qui doit être comparé à l’art antérieur, c’est‑à‑dire le second point, mais il ne l’a pas défini. Comme nous le verrons plus loin, la solution que préconise le brevet a plus tard été interprétée comme désignant la ou les revendications interprétées par la Cour.

[278]  Le juge Hugessen a relevé une série de faits déterminables qui n’étaient pas contestés, et conclu qu’ils attestaient cumulativement une certaine inventivité : (1) la défenderesse dans cette affaire avait prétendu et continuait de prétendre qu’elle avait fait preuve d’esprit inventif à l’égard du même appareil; (2) la vitesse de la machine allait en augmentant; (3) il était difficile de faire accepter la nouvelle machine, car les idées reçues à l’époque invitaient à s’en éloigner; et (4) la machine avait connu un succès commercial phénoménal après qu’elle eut été acceptée.

(iii)  Article 28.3 de la Loi sur les brevets

[279]  En 1993, la Loi sur les brevets a été modifiée par l’introduction de l’article 28.3, qui s’appliquait aux demandes de brevet déposées à partir du 1er octobre 1989. Il y était question du second point, c’est‑à‑dire l’élément devant être comparé à l’art antérieur, comme de l’objet que définit la revendication. Comme nous l’avons examiné plus tôt, il s’agit du même terme que celui employé à l’article 28.2 qui régit l’analyse relative à l’antériorité.

[280]  Dans la décision Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234, le brevet faisant l’objet du litige n’était pas régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, mais le juge Hughes a pris acte de la modification apportée à la loi et du fait qu’une définition de l’évidence avait été introduite, déclarant que celle‑ci « correspond à l’état du droit tel qu’il était généralement admis auparavant » (au para 109). Il s’est demandé si la solution que préconise le brevet, c’est‑à‑dire l’invention enseignée, différait de la revendication correctement interprétée et il a confirmé que le critère de l’évidence était celui formulé dans l’arrêt Beloit, ajoutant que ce qui était en cause était la ou les revendications correctement interprétées par la Cour : « N’est pas en cause l’“invention” décrite en général dans le brevet ou par les inventeurs, mais bien la revendication correctement interprétée » (au para 113). Il a dressé une liste de facteurs, les qualifiant de primaires ou de secondaires, et déterminé que l’invention revendiquée était la revendication qu’il avait interprétée, laquelle ne comprenait pas les propriétés ou les utilisations du composé (au para 114). La CAF a maintenu la décision du juge Hughes dans l’arrêt 2007 CAF 217 (Janssen CAF) et confirmé le critère établi par l’arrêt Beloit selon lequel « [l]a question porte sur la revendication telle que la Cour l’interprète » (au para 25).

[281]  Il ressort clairement de l’arrêt Janssen CAF que la solution que préconise le brevet, au titre du second point énoncé par l’arrêt Beloit, correspond aux revendications interprétées par la Cour.

(iv)  Arrêt Sanofi en 2008

[282]  Comme nous l’avons déjà mentionné, la CSC a examiné en 2008 le cadre d’analyse de l’évidence dans le contexte d’un brevet de sélection non régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. La CSC a introduit le terme « idée originale » pour désigner le « second point », c’est‑à‑dire l’élément qui doit être comparé à l’art antérieur, et ce que la CAF avait décrit dans l’arrêt Beloit comme la « solution que préconise le brevet ». Soulignant qu’il n’était pas possible de saisir l’idée originale à partir des seules revendications, la CSC s’est appuyée sur la divulgation pour déterminer qu’il s’agissait d’« un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir » (Sanofi, aux para 77–78).

(v)  Période postérieure à l’arrêt Sanofi

[283]  Peu après l’arrêt Sanofi, la CAF a rendu l’arrêt Apotex Inc c ADIR, 2009 CAF 222 [ADIR CAF]. Elle examinait alors une décision rendue par la CF avant l’arrêt Sanofi, et dans laquelle la juge Snider avait appliqué le cadre décrit dans l’arrêt Janssen CAF. Le brevet en cause n’était pas un brevet de sélection et n’était pas régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[284]  Devant la CAF, Apotex a fait valoir que la juge de première instance avait commis une erreur en faisant porter l’examen relatif à l’évidence sur les revendications du brevet tout en rejetant ce que la divulgation révélait à propos de l’esprit inventif. La CAF a jugé que le cadre d’analyse de l’arrêt Janssen CAF n’était pas incompatible avec les principes décrits dans l’arrêt Sanofi. Elle a rejeté la proposition d’Apotex en approuvant et en faisant siens les propos tenus dans l’arrêt Conor MedSystems Inc c Angiotech Pharmaceuticals Inc. [2008] UKHL 49 [Conor MedSystems], au paragraphe 19 : [traduction] « l’invention est le produit décrit dans la revendication et le breveté a le droit de voir la question de l’évidence tranchée en fonction de sa revendication et non d’une vague paraphrase fondée sur l’étendue de sa divulgation dans la description ». La CAF a cité l’arrêt Janssen CAF pour rappeler que « [l]a question porte sur la revendication telle que la Cour l’interprète » et elle a dit que cela concordait avec l’arrêt Sanofi, soulignant que le juge Rothstein avait déclaré que le deuxième volet tient à la nécessité de « [d]éfinir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation » (ADIR CAF, au para 69).

[285]  Dans l’arrêt Novopharm CAF, la juge Layden‑Stevenson a adopté le cadre établi dans l’arrêt Sanofi pour évaluer les allégations d’évidence formulées à l’égard d’un brevet de sélection régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[286]  Avant d’entreprendre l’analyse sur l’évidence, la juge Layden‑Stevenson a précisé n’avoir trouvé aucun précédent où l’analyse des conditions de validité d’un brevet de sélection, sans plus, a mené à l’invalidité du brevet. Elle a confirmé qu’un brevet de sélection n’était en rien différent des autres brevets et que sa validité pouvait être contestée pour les motifs prévus dans la Loi sur les brevets. Elle a ajouté toutefois que les conditions de validité d’un tel brevet servaient à le définir et, par conséquent, à guider l’analyse des motifs de validité prévus par la Loi (au para 27). S’agissant de l’évidence, la juge Layden‑Stevenson a confirmé que « [d]ans le cas d’un brevet de sélection, l’analyse de l’évidence porte sur les propriétés spéciales du composé, ainsi que sur ses avantages allégués, décrits dans la divulgation du brevet de sélection, car c’est là que le caractère inventif de la sélection y est défini » (non souligné dans l’original). La juge n’a pas dit ni expliqué ce qui devrait guider l’examen relatif à l’évidence d’un brevet qui n’est pas un brevet de sélection. Ainsi, rien n’indique qu’elle a modifié les enseignements de l’arrêt ADIR CAF pour ce type de brevet.

[287]  Cependant, d’autres décisions ont adopté une position différente, comme Allergan Inc c Canada (Santé), 2011 CF 1316, aux para 53–54 [Allergan]; Apotex Inc c Allergan Inc 2012 CAF 308; Bell Helicopter Textron, ce qui a donné lieu à une certaine confusion.

[288]  Les parties ont insisté en particulier sur cinq arrêts récents de la CAF qui jettent un éclairage sur l’interprétation et l’application du critère de l’évidence établi dans l’arrêt Sanof. J’examinerai brièvement ces décisions pour dégager l’interprétation que la CAF me demande d’adopter. Elles portent sur des brevets qui ne sont pas des brevets de sélection et qui sont régis par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[289]  Dans l’arrêt Zero Spill Systems (Int’l) Inc c Heide, 2015 CAF 115 [Zero Spill CAF], le juge Stratas a confirmé que les articles 28.2 et 28.3 de la Loi sur les brevets commençaient tous deux par le même texte, et exigeaient que les cours de révision se concentrent sur l’objet « que définit la revendication » (au para 81). Le juge Stratas a souligné que ces dispositions établissaient une norme, ainsi que certaines conditions à leur application, mais qu’elles ne prescrivaient pas de critère. Il a confirmé que l’arrêt de principe sur l’antériorité et l’évidence était l’arrêt Sanofi (bien qu’il ait été rendu sous le régime de l’ancienne version de la Loi sur les brevets) dans lequel la Cour suprême du Canada « a confirmé deux critères de la common law, dont chacun affirme que l’invalidité pour cause d’antériorité ou d’évidence doit être établie pour chaque revendication » (au para 85). Je n’ai pas trouvé de définition claire de la notion d’« idée originale » tirée de l’arrêt Sanofi dans les motifs du juge Stratas, ni rien laissant croire que cette idée découle d’un critère de la common law.

[290]  Dans l’arrêt Société Bristol-Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76 [BMS CAF], le juge Pelletier a examiné le cadre relatif à l’évidence. Commentant l’arrêt Sanofi, il a écrit que sa caractéristique novatrice, en ce qui concerne l’évidence, résidait dans son adoption du critère de « l’essai allant de soi » que la Cour suprême a lié aux décisions britanniques Windsurfing/Pozzoli et aux trois facteurs relatifs à « l’essai allant de soi » provenant de la décision Lundbeck (H. Lundbeck A/S c Generics (UK) Ltd, [2008] EWCA Civ. 311).

[291]  Dans l’arrêt BMS CAF, le juge Pelletier a souligné, à l’égard de l’idée originale, que la CSC n’avait pas exposé les raisons pour lesquelles elle avait adopté le cadre des décisions Windsurfing/Pozzoli, et qu’elle n’avait pas mentionné la mise en garde formulée dans Pozzoli concernant l’idée originale : [traduction] « En fin de compte, ce sont les différences entre ce qui est revendiqué et l’art antérieur qui comptent » (au para 63). Le juge Pelletier a par ailleurs précisé que, jusqu’à l’arrêt Sanofi, la jurisprudence suivait l’arrêt Beloit en se référant à « la solution préconisée par le brevet », et que diverses interprétations de l’idée originale ont été appliquées depuis l’arrêt Sanofi. Selon lui, la CSC avait dans cet arrêt modifié le critère relatif à l’évidence en changeant la façon de passer de l’état de la technique à la solution préconisée par le brevet, mais sans dire qu’elle modifiait la définition de l’évidence (BMS CAF, aux para 67–68). Pour le juge Pelletier, l’utilisation par la CSC du terme « idée originale » n’avait pas modifié ce à quoi l’art antérieur doit être comparé. Il a finalement conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur en adoptant implicitement une définition de l’idée originale qui était axée sur les propriétés des composés (au para 74). L’idée originale correspond à ce qui est revendiqué dans le brevet.

[292]  Dans l’arrêt Ciba CAF, le juge Pelletier s’est de nouveau penché sur le critère de l’évidence ainsi que sur le sens du terme « idée originale » employé dans l’arrêt Sanofi. Il a cité les décisions Unilever c Chefaro, [1994] RPC 567 (Cour des brevets) et Conor MedSystems pour affirmer que « le titulaire du brevet est en droit d’exiger que la question de l’évidence soit déterminée par rapport à sa revendication et non à quelque paraphrase vague fondée sur la portée de la divulgation figurant dans le mémoire descriptif ». Le juge a conclu que de mettre ainsi l’accent sur les revendications était conforme à l’article 28.3, lequel prévoit que l’objet que définit la revendication ne doit pas être évident. Il a souligné que la notion d’idée originale n’était toujours pas définie, ce qui causait une grande confusion, et a suggéré que nous évitions tout simplement ce terme jusqu’à ce que la CSC soit en mesure d’élaborer une définition pratique. Le juge Pelletier a ensuite comparé l’état de la technique avec les éléments des revendications interprétées.

[293]  Dans l’arrêt Tearlab CAF, la notion d’idée originale qui fait partie de l’examen de l’évidence est abordée au paragraphe 75 de la décision. Citant l’arrêt Sanofi, le juge de Montigny a indiqué que la CSC a semblé dire que l’interprétation des revendications et l’idée originale ne sont pas des concepts identiques, et qu’elle n’avait donné aucune description ou explication pour définir réellement l’idée originale, ce qui avait mené de nombreuses personnes à se demander si, en pratique, ces concepts sont différents. S’appuyant sur l’arrêt BMS CAF, le juge de Montigny a avancé la proposition que les mentions dans la jurisprudence de « l’idée originale », de « la solution enseignée par le brevet » ou, simplement de « l’invention » sont de simples tentatives pour définir le deuxième point et sont considérées comme synonymes de « ce qui est revendiqué » dans le brevet (au para 77).

[294]  Le juge de Montigny a ensuite renvoyé à des décisions récentes de la CAF (Ciba CAF et ADIR CAF) qui ont minimisé l’importance de « l’idée originale » comme outil analytique dans le cadre de l’examen relatif à l’évidence, et mis l’accent sur l’analyse des revendications elles‑mêmes, conformément au principe exprimé par lord Hoffmann dans l’arrêt Conor MedSystems, au paragraphe 19 (Tearlab CAF, au para 78).

[295]  Dans l’arrête Hospira CAF, le juge Locke a confirmé que l’article 28.3 était le fondement législatif de l’exigence relative à l’inventivité ainsi que de la démarche à quatre volets orientant l’analyse de l’évidence décrite au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi. Le juge Locke a également axé son examen sur les revendications pour déterminer l’idée originale en réitérant le principe selon lequel [traduction] « l’invention revendiquée pour n’importe quelle revendication donnée se définit par les éléments essentiels qui la composent, lesquels n’envisagent ni essai ni résultat particulier » (au para 94).

[296]  De plus, j’aimerais faire remarquer que dans l’arrêt AstraZeneca CSC rendu en 2017, la CSC a aboli la doctrine de la promesse. La question de la non‑évidence n’était pas en cause et la CSC ne s’y est pas intéressée, sinon pour mentionner au paragraphe 31 qu’« [e]n général, une analyse portant sur les questions de validité, comme la nouveauté et la non‑évidence, est axée uniquement sur les revendications, et ne tient compte de la divulgation que lorsque les revendications sont ambiguës » (Sanofi‑Synthelabo). Cette déclaration concorde avec la directive de notre Cour voulant que l’interprétation des revendications précède toutes les considérations liées à la validité : Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, aux para 33‑50; Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067, aux para 42‑43 ».

[297]  L’évidence était toutefois en cause dans la décision AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CF 638, rendue par la Cour fédérale ( [AstraZeneca CF], où le juge Rennie a reconnu que ce qu’il fallait entendre par « l’idée originale » des revendications du brevet avait suscité la controverse, et que les parties devant lui, comme celles devant moi, en avaient proposé des interprétations contradictoires. Il a souligné que « [l]es parties avaient également des opinions contradictoires quant au principe juridique sous‑tendant l’idée originale. Dans sa plaidoirie finale, AstraZeneca a soutenu que l’idée originale, la promesse du brevet et l’interprétation des revendications n’étaient [traduction] ‘à toutes fins utiles qu’une seule et même chose’. À l’inverse, Apotex a fait valoir qu’il s’agissait de trois exercices distincts. Un tel désaccord sur le cadre juridique fondamental de doctrines essentielles en droit des brevets, entre deux plaideurs particulièrement avertis, est à tout le moins alarmant » (au para 266). Le juge Rennie a estimé que la détermination de l’idée originale commençait avec les revendications, comme lorsqu’il s’agit de les interpréter, et que le reste du brevet ne pouvait être consulté que si cela était nécessaire (au para 266). Il a finalement conclu qu’il n’était pas nécessaire de se reporter à la divulgation pour en dégager les propriétés améliorées associées à l’idée originale du brevet 653, car une idée originale viable était présente dans les revendications. La CAF a confirmé que la CF avait bien établi le critère juridique applicable et la CSC n’a pas examiné la question.

[298]  L’interprétation par le juge Rennie de la notion d’idée originale issue de l’arrêt Sanofi, tout comme celle retenue par la CAF, était axée sur les revendications des brevets, et la CSC n’a pas écarté cette interprétation.

(vi)  Le sens du terme « idée originale »

[299]  L’élément qui doit être comparé avec l’art antérieur dans l’analyse relative à l’évidence a été désigné comme étant « la solution préconisée par le brevet » dans l’arrêt Beloit, « l’idée originale » dans l’arrêt Sanofi, et « l’objet que définit la revendication » dans la Loi sur les brevets.

[300]  Il ressort clairement des arrêts de la CAF susmentionnés que ces termes désignent tous la même chose et qu’ils se rapportent aux éléments essentiels cernés à la suite de l’interprétation des revendications.

[301]  Les tribunaux ont reconnu que le recours aux éléments de la divulgation peut être autorisé lorsque les revendications sont ambiguës ou qu’elles ne permettent pas de saisir l’idée originale. Par exemple, dans le contexte d’un brevet de sélection, il a été établi que le caractère inventif tient aux avantages que présente le brevet de sélection par rapport au brevet de genre (Astrazeneca CSC, au para 31; Sanofi, au para 77; Novopharm CAF). La CAF et notre Cour ont confirmé qu’il y a lieu d’établir une distinction entre l’invention et ce que l’on appelle les propriétés de l’invention, les avantages de l’invention ou encore les résultats de l’invention (BMS CAF, au para 74; Apotex c Pfizer 2019 CAF 16, aux para 37–45; Hospira CAF, au para 94; la décision sur l’AC du brevet 684, au para 164). Il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation à la recherche de propriétés améliorées si une idée originale viable est présente dans les seules revendications (AstraZeneca CF, au para 272).

[302]  Axer l’analyse relative à l’évidence sur les éléments essentiels des revendications est conforme aux principes fondamentaux. Comme le font remarquer les défenderesses, la loi renvoie à l’objet défini par la revendication, et non par le brevet. Le droit des brevets est entièrement législatif, et la loi elle‑même nous impose de nous concentrer sur les revendications.

[303]  Par ailleurs, les articles 28.2 et 28.3 de la Loi sur les brevets renvoient tous deux à l’objet que définit la revendication pour désigner l’élément devant être évalué en regard de l’art antérieur. Selon les règles générales d’interprétation, le même terme utilisé dans deux dispositions doit avoir le même sens, et le même élément doit donc être utilisé comme point de comparaison avec l’art antérieur autant dans l’analyse de l’antériorité que dans celle de l’évidence. « Donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des lois (Elmer Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p 93) » (R c Zeolkowski 1989 1 RCS 1378; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of statutes (Markham : LexisNexis, 2014) au para §8.34; Aux Sable Liquid Products LP c JL Energy Transportation Inc, 2019 CF 581; Zero Spill CAF).

[304]  L’objet que définit la revendication, s’agissant de l’analyse relative à l’antériorité, réside dans les éléments essentiels des revendications. Compte tenu des règles générales d’interprétation, l’objet que définit la revendication, s’agissant de l’analyse relative à l’évidence, doit donc résider dans les mêmes éléments essentiels.

[305]  Enfin, la CSC nous a enseigné que l’interprétation des revendications précède les analyses sur la validité et la contrefaçon, que cette interprétation sert à toutes les fins et que la clé de l’interprétation téléologique consiste à définir les éléments essentiels des revendications. Comme l’analyse relative à la contrefaçon s’intéresse aux éléments essentiels des revendications, l’analyse sur la validité, qui englobe celle relative à l’évidence, doit également s’intéresser aux éléments essentiels des revendications.

(vii)  L’objet que définit la revendication du brevet 684

[306]  Les défenderesses soutiennent que, s’agissant d’un brevet non qualifié de brevet de sélection, tout prétendu avantage exposé dans la divulgation, mais non revendiqué, ne devrait pas être pertinent pour l’examen relatif à l’évidence. L’idée originale, ou l’objet que définit la revendication, correspond ainsi aux éléments essentiels des revendications invoquées et, en l’espèce, elle réside dans le fait que les posologies revendiquées sont efficaces pour traiter la DEM. Les défenderesses font remarquer que le Dr Brock a déjà exprimé l’opinion, dans le cas de l’AC du brevet 684, que l’amélioration du profil d’effets indésirables résultait de l’invention, plutôt que de faire partie de l’idée originale, et que le même Dr Brock semble n’avoir changé d’avis qu’en interrogatoire principal, car il a indiqué au paragraphe 18 de son rapport sur la validité que la réduction des effets indésirables est un avantage de l’invention.

[307]  Lilly affirme que l’idée originale diffère des revendications interprétées et que les termes employés par la CSC dans l’arrêt Sanofi imposent aux parties, à la troisième étape du critère, d’emprunter la « voie de l’interprétation », c’est‑à‑dire d’interpréter l’idée originale. Suivant l’argument de Lilly, comme les revendications auront d’emblée déjà été interprétées, il n’était pas nécessaire que la CSC demande aux tribunaux d’interpréter de nouveau les revendications dans le cadre de l’examen relatif à l’évidence. Toujours selon elle, l’idée originale représente donc un concept supplémentaire et distinct, qui dans certains cas désignera en fait la même chose que les revendications interprétées, mais pas nécessairement.

[308]  Lilly confirme à la fois dans ses arguments écrits (mémoire de conclusions finales, au para 168) et dans sa plaidoirie finale (transcription du 4 février 2020, à la p 115) que l’idée originale est celle décrite par M. Derendorf et le Dr Brock. Elle réside dans [traduction] « la découverte que des doses étonnamment faibles de tadalafil, comme il a été revendiqué dans chacune des revendications invoquées, dont la dose maximale quotidienne est de 20 mg, sont efficaces dans le traitement de la dysfonction érectile et réduisent au minimum les effets indésirables par rapport au sildénafil de VIAGRA ». Dans sa plaidoirie finale, Lilly a limité les effets indésirables aux rougeurs et n’a pas supprimé la comparaison avec les effets indésirables du sildénafil de ses observations sur l’idée originale.

[309]  Comme je l’ai souligné précédemment, la CAF a confirmé que l’idée originale, c’est‑à‑dire l’objet que définit la revendication, réside dans les éléments essentiels des revendications.

[310]  Je souscris donc à la façon dont les défenderesses formulent l’objet que définit la revendication et je confirme que cet objet réside en l’espèce dans le fait que les posologies revendiquées du tadalafil, administré par voie orale, sont efficaces pour traiter la DEM. Les avantages soulevés par Lilly ne sont pas inclus, car il ne s’agit pas d’éléments essentiels des revendications, le brevet 684 n’est pas un brevet de sélection, et il est possible de dégager des revendications une idée originale viable.

(e)  Troisième étape : Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation

[311]  Les défenderesses soutiennent qu’il n’existe aucune différence entre l’art antérieur et l’idée originale des revendications, mais s’il y en avait une, elle résiderait dans la confirmation que les comprimés contenant entre 2 et 20 mg de tadalafil peuvent être administrés par voie orale pour traiter la dysfonction érectile chez les humains (déjà enseigné dans la demande 784). Les défenderesses citent aussi plusieurs déclarations contenues dans les brevets 377 et 784, et renvoient à l’étiquette du sildénafil et à des articles sur le sildénafil.

[312]  Lilly soutient vaguement que les différences entre l’art antérieur et l’idée originale sont nombreuses et importantes. Le Dr Brock, dans son rapport sur la validité, a écrit que l’état de la technique n’a pas divulgué d’intervalle de doses maximales quotidiennes précises situées entre 2 et 20 mg ou un degré inattendu d’efficacité dans le traitement de la dysfonction érectile associée à cet intervalle, la réduction au minimum des rougeurs et les anomalies visuelles auxquelles on se serait attendu de la part d’un inhibiteur de la PDE5, et les bienfaits des doses entre 2 et 20 mg par rapport à l’intervalle posologique entre 0,5 et 800 mg.

[313]   Comme l’indique la preuve, et étant donné ma conclusion antérieure, selon moi, la seule différence entre l’art antérieur (brevet 377, demande 784 et sildénafil) et l’objet défini par une revendication du brevet 684 est l’intervalle posologique plus faible et plus étroit du brevet 684.

[314]  L’art antérieur avait déjà divulgué que l’administration de tadalafil par voie orale peut être efficace dans le traitement de la dysfonction érectile à une dose unitaire située entre 0,2 et 400 mg.

(f)  Quatrième étape : Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[315]  Les défenderesses font valoir qu’il n’y a pas d’étapes. Subsidiairement, elles affirment que les essais de routine sont suffisants et qu’ils permettent d’arriver à la posologie unitaire appropriée, sans trop de difficultés.

[316]  En relatant la preuve avancée par Mme Baughman et M. Ellis, les défenderesses expliquent que 1) compte tenu de la relative plus grande activité du tadalafil et de l’efficacité connue du sildénafil à une dose aussi faible que 5 mg, la personne versée dans l’art s’attendrait à ce qu’une dose entre 1 et 2 mg de tadalafil soit efficace; 2) cette prédiction serait confirmée par des études de phase 1 avec doses croissantes, et de phase 2 pour l’établissement de l’intervalle posologique; 3) les études d’établissement de l’intervalle posologique sont des études de routine et sont exigées par les organismes de réglementation; et 4) l’activité du tadalafil mesurée par la CI50 est cruciale pour prédire les doses faibles.

[317]  Les défenderesses ont aussi critiqué l’approche de Lilly, car le brevet 377 et la demande 784 ont été traités comme des documents hypothétiques dont les enseignements sont sans aucun fondement. Les défenderesses soulignent que M. Donn a déclaré que personne chez Glaxo ne croyait que le taladafil était sans danger pour l’humain, peu avant le dépôt de la demande 784, ce qui soulève la question de savoir si le brevet 784 a fait l’objet d’une prédiction valable, et si la divulgation est suffisante. La validité du brevet 784 a été confirmée à deux reprises par la CAF.

[318]  Les défenderesses ajoutent aussi que Lilly s’est fondée à tort sur l’entièreté du processus de mise au point du tadalafil avant de déposer la demande 784. Au moment du dépôt de la demande, les essais pré-cliniques chez le rat et le chien dans le cadre des études de phase 1 menées chez l’humain à des doses variant entre 1 et 500 mg étaient en cours, ainsi que la première étude de phase 1 qui a fourni à Glaxo une quantité appréciable de données sur la pharmacocinétique, l’innocuité et la tolérabilité de doses uniques. Selon les défenderesses, Lilly tente de se fonder, à tort, sur l’ensemble du programme sur le tadalafil; or, les travaux réalisés avant le dépôt du brevet 784 avaient déjà été l’objet de brevets. Les défenderesses ajoutent aussi que les travaux menés après l’étude DSD06 sont non pertinents aux fins de la présente analyse, car les doses choisies pour poursuivre la phase 3, pour obtenir une autorisation des organismes de réglementation à des fins de commercialisation sont totalement dénuées de pertinence (Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, au para 77).

[319]  Concernant les mesures concrètes, les défenderesses affirment que Lilly, à propos de la mise au point du tadalafil, a procédé en tout point conformément à la pratique courante dans l’industrie, y compris pour l’établissement de la dose minimale efficace. Les défenderesses font valoir que le problème de toxicité chez le chien a été exagéré, car les preuves semblent indiquer que le programme lancé chez Glaxo a réellement pris fin en raison d’une entente commerciale médiocre avec ICOS. ICOS, après avoir pris la charge du programme de mise au point, a simplement obtenu un avis selon lequel le problème chez le chien était propre aux beagles. ICOS a aussi poursuivi les études cliniques chez l’humain sans entrave en Europe, malgré la suspension temporaire de celles‑ci aux États‑Unis.

[320]  Enfin, bien que les décisions du Royaume-Uni ne soient pas contraignantes, les défenderesses citent l’arrêt Actavis Group c ICOS Corporation, [2019] UKSC 15, dans lequel la Cour suprême du Royaume‑Uni a invalidé l’homologue britannique du brevet 684 pour cause d’évidence après la réalisation d’un essai très similaire.

[321]  Lilly soutient que les différences sont des étapes non évidentes, car 1) le grand intervalle enseigné dans la demande 784 est inutilement étendu; 2) le grand intervalle du brevet 784 pourrait comprendre des doses dangereuses; 3) il n’existe aucun enseignement sur la façon d’établir un régime posologique dans la demande 784; 4) il n’existe aucun enseignement sur la réduction importante des effets indésirables, en particulier les rougeurs, qui peuvent être embarrassantes et qui sont présumées être inhérentes aux inhibiteurs de la PDE5; 5) la personne versée dans l’art n’a aucune raison d’examiner l’extrémité inférieure de l’intervalle du brevet 784 pour établir une comparaison avec l’efficacité du sildénafil; 6) il n’y a aucune dose maximale quotidienne dans le brevet 784 comparativement au brevet 684; 7) il n’existe aucune raison de relever le tadalafil parmi les composés de la littérature scientifique; 8) Glaxo a mis fin à la mise au point du tadalafil en raison de problèmes de toxicité chez le chien; 9) la FDA a suspendu les études cliniques menées sur la mise au point en raison des problèmes de toxicité chez le chien; et 8) les connaissances sur le sildénafil ne sont d’aucune aide, car a) la structure du sildénafil est distincte de celle du tadalafil, b) il est impossible de bien prédire la posologie à l’aide de la CI50 et de la masse molaire en l’absence de mesures précises de la CI50 et de données sur la pharmacocinétique du tadalafil, c) Mme Baughman et M. Ellis ont reconnu que les valeurs de CI50 sont variables et dépendantes des conditions expérimentales, avant d’admettre que la CI50 du tadalafil et du sildénafil sont du même ordre de grandeur, d) il existe des inquiétudes quant à l’innocuité en l’absence de données sur la biodisponibilité, le métabolisme, la liaison des protéines et la demi-vie, et e) plusieurs inhibiteurs puissants de la PDE5 n’ont jamais fini par être commercialisés.

[322]  Lilly a aussi attaqué le point de vue de Mme Baughman en se fondant sur les points suivants : 1) il s’agit d’une experte des protéines et non des petites molécules pharmaceutiques, 2) elle était visiblement au courant de l’invention, 3) elle n’a pas accompli sa tâche du point de vue d’une personne versée dans l’art, 4) elle n’a pas lu la demande 784, dont l’exemple de 50 mg, et 5) les valeurs de CI50 sont variables et dépendent des conditions expérimentales.

[323]  Le critère de l’essai allant de soi est approprié en l’espèce, car le brevet en cause se situe dans un champ d’activité où les avancées sont souvent le fruit de l’expérimentation (voir Sanofi, au para 78). S’agissant d’appliquer ce critère de l’essai allant de soi, le paragraphe 69 de l’arrêt Sanofi exige de la Cour qu’elle tienne compte des facteurs suivants :

  1. Est‑il plus ou moins évidents que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?
  2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?
  3. Les antériorités fournissent‑elles un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[324]  Même si je reconnais que les facteurs énumérés dans l’arrêt Sanofi ne sont pas exhaustifs, je suis convaincue, après avoir examiné ceux qui précèdent, que la différence entre l’art antérieur et l’objet défini par les revendications invoquées aurait été évidente pour la personne versée dans l’art en date du 30 avril 1999.

[325]  Comme l’ont souligné les experts, on établit généralement la posologie durant les essais cliniques de phase II. Il s’agit d’un travail de routine, et il existe même des pharmacologistes experts, comme Mme Baughman, qui se spécialisent dans la sélection de dose (ou posologie) de médicaments. L’équipe versée dans l’art, qui tente d’établir les doses de tadalafil, se servirait des données de la demande 784 et du brevet 377, y compris les données sur la biodisponibilité du tadalafil, l’activité et la sélectivité de la PDE5, ainsi que les données sur le sildénafil. Comme Mme Baughman l’a écrit dans son rapport d’expert, aux paragraphes 68 à 75, le poids moléculaire relatif du tadalafil par rapport à celui du sildénafil, et l’activité relative du tadalafil par rapport à celle du sildénafil vont permettre à l’équipe versée dans l’art d’effectuer une prédiction approximative de la dose, dans l’intervalle divulgué dans la demande 784. À partir de là et à l’aide de toutes les données existantes de l’art antérieur, l’équipe versée dans l’art peut concevoir une étude de phase II d’établissement de la posologie, tracer le graphique de la relation dose-effet d’après les données recueillies au cours de l’étude, recenser les effets indésirables, et choisir l’intervalle posologique qui offre le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité (rapport d’expert de Mme Baughman, aux para 50, 96). Si la première étude d’établissement de l’intervalle posologique ne permet pas de tracer une courbe complète de l’effet du médicament parce que la dose efficace minimale ou maximale n’a pas pu être déterminée, une deuxième étude de phase II peut être entreprise avec différentes doses pour établir ces doses (transcription du 18 décembre 2019, à la p 44). L’équipe versée dans l’art, à l’aide de techniques connues et de routine, devrait être en mesure de concevoir des essais pour choisir convenablement les doses de tadalafil et procéder ensuite à des études de phase III, menées à plus grande échelle.

[326]  Même s’il peut être coûteux d’obtenir une approbation réglementaire pour effectuer les études de dosage de phase II et de lancer ensuite un médicament, le droit des brevets ne vise pas à récompenser les travaux effectués dans le but d’obtenir une approbation réglementaire (voir Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, au para 77; Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2011 CF 52, aux para 28, 71), mais plutôt les travaux qui apportent quelque chose de nouveau, d’utile et d’inventif (voir la Loi sur les brevets, art 2).

[327]  Selon la preuve d’expert, le nombre de solutions prédictibles n’est pas infini, mais plutôt bien défini et le résultat final varie peu. L’objectif ultime est de choisir un intervalle posologique qui offre le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité. De fait, il n’existe qu’une seule méthode permettant d’établir l’intervalle posologique : il faut réaliser des essais pour tracer une courbe de l’efficacité du médicament en fonction de la dose, et recenser la fréquence des effets indésirables en fonction de la dose (rapport d’expert de M. Ellis, aux para 37 à 39).

[328]  Outre les efforts déployés pour obtenir une autorisation de la part des organismes de réglementation, les étapes à suivre sont courantes. Après avoir trouvé un composé viable qui inhibe la PDE5 et le traitement de la dysfonction érectile, l’équipe versée dans l’art serait certainement motivée à établir les doses qui offrent le meilleur rapport entre efficacité, innocuité et tolérabilité pour faire en sorte que le composé se rapproche de la commercialisation.

[329]  Ma conclusion est semblable à celle tirée dans l’arrêt Actavis Group PTC EHF c ICOS Corporation, [2019] UKSC 15, dans lequel la cour a conclu que l’homologue britannique du brevet 684 était évident. La Cour suprême du Royaume‑Uni a cité, au paragraphe 76, le lord juge Jacob dans l’arrêt Actavis UK Ltd c Merck & Co Inc, [2009] 1 WLR 1186 (EWCA), au paragraphe 32. Ce dernier avait déclaré qu’un nouveau régime posologique de type suisse est presque toujours évident, car [traduction] « il est de pratique courante d’enquêter sur des régimes posologiques appropriés ».

(3)  Conclusion sur l’évidence

[330]  Les défenderesses ont démontré que les revendications invoquées sont évidentes et qu’elles sont donc invalides.

D.  Conclusion sur les demandes reconventionnelles faisant valoir l’invalidité

[331]  Les revendications invoquées sont invalides à la fois au titre de l’antériorité et de l’évidence.

VIII.  Action en contrefaçon de Lilly

A.  Principes

[332]  Aux termes de l’article 42 de la Loi sur les brevets, le breveté et ses représentants légaux ont le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres l’objet de l’invention. Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets prévoit que quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir.

[333]  Le fardeau de prouver la contrefaçon incombe à la partie qui l’allègue (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34, au para 29).

[334]  Pour Lilly, la question de la contrefaçon est une question mixte de fait et de droit, l’interprétation des revendications est une question de droit et la détermination de la contrefaçon une question de fait. Une fois les revendications interprétées de manière téléologique, l’appareil contrefaisant est comparé aux éléments essentiels et non essentiels des revendications. Si le produit des défenderesses comporte tous les éléments essentiels de la revendication interprétée, il y a contrefaçon, mais ce ne sera pas le cas si un élément essentiel est différent ou omis. Cependant, il peut encore y avoir contrefaçon si des éléments non essentiels sont substitués ou omis (Free World Trust; Canamould Extrusions).

[335]  Lilly fait également valoir que la partie qui a incité une autre à contrefaire un brevet est coupable de contrefaçon du brevet. Toujours d’après elle, l’incitation est évaluée selon un critère en trois volets : (1) l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct; (2) l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu; (3) l’influence a été exercée sciemment par l’incitateur, c’est‑à‑dire que ce dernier doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[336]  En plus de la contrefaçon directe de la revendication 10, qui dépend de la revendication 9, qui dépend à son tour des revendications 3 à 6, Lilly soutient également qu’il y a eu incitation à la contrefaçon des revendications 13 à 16 ; (1) les médecins et pharmaciens prescrivent aux patients des comprimés de contrefaçon; (2) si les défenderesses n’avaient pas rendu ces doses unitaires disponibles en les vendant aux médecins, aux pharmaciens et aux patients, ces doses ne serviraient pas à traiter la DE; (3) si la monographie prescrit une indication particulière pour un médicament, l’incitateur sait que cela entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[337]  Les défenderesses ont soulevé le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette dans leur exposé introductif, mais n’en ont pas fait mention dans leur plaidoirie finale. En fait, elles n’ont fait valoir aucune défense dans leurs observations finales au cas où les revendications invoquées du brevet 684 seraient jugées valides.

[338]  Les parties ne contestent pas que l’analyse sur la contrefaçon porte sur les éléments essentiels des revendications invoquées.

B.  Conclusion relative à l’action en contrefaçon

[339]  La preuve montre que, le ou vers le 12 juillet 2016, Apotex, Mylan, Teva/Actavis, Pharmascience et Riva ont chacune reçu un avis de conformité relativement à leur tadalafil respectif avec CIALIS comme produit de référence, et qu’elles ont toutes mis en marché, exploité, fabriqué, vendu ou importé les comprimés contrefaisants ou ont incité à le faire (comprimés de 2,5 mg, 5 mg, 10 mg et 20 mg, à l’exception de Riva qui a offert à la vente et vendu des comprimés de 5 mg et 20 mg au Canada).

[340]  Si je me trompe dans mon examen de la validité et que les revendications invoquées sont valides, Lilly s’est alors acquittée de son fardeau d’établir qu’elles ont été contrefaites.

IX.  Choix entre des dommages‑intérêts et une remise des profits

[341]  Si les revendications invoquées sont valides et que les défenderesses les ont contrefaites, Lilly demande de pouvoir choisir entre des dommages‑intérêts et une remise des profits. Les défenderesses font pour leur part valoir dans leurs actes de procédure qu’elles ont le droit de faire ce choix.

[342]  En règle générale, le juge du procès jouit d’une entière discrétion pour décider s’il convient ou non d’accorder ce redressement en equity (Merck & Co c Apotex Inc, 2006 CAF 323), et le droit de choisir a été refusé pour une variété de raisons comme le caractère tardif de l’action en contrefaçon, une inconduite de la part du breveté et la bonne foi du contrefacteur (Eli Lilly & Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, aux para 647–648).

[343]  En l’espèce, il n’y a aucune raison de refuser à Lilly le droit de choisir, s’il y a eu contrefaçon des revendications valides.

X.  Ordonnance déclaratoire

[344]  Dans son mémoire de conclusions finales, Lilly ne sollicite pas la restitution des profits ni la destruction des marchandises. Elle ne demande pas non plus d’injonction. La Cour a le pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement déclaratoire lorsqu’il y a eu contrefaçon (article 57 de la Loi sur les brevets). Lilly sollicite une ordonnance déclarant que les défenderesses ont contrefait les revendications invoquées et/ou incité à leur contrefaçon, que le brevet 684 est valide, et que les demanderesses peuvent choisir entre des dommages‑intérêts et une remise des profits.

[345]  S’il y a eu contrefaçon, Lilly aura droit à l’ordonnance déclaratoire qu’elle demande.

XI.  Ordonnance de mise sous scellés

[346]  Les parties disposent de quinze jours à partir du moment où sont rendus les présents motifs confidentiels pour proposer des caviardages, avant qu’une version publique ne soit publiée.

XII.  Dépens

[347]  Les parties ont présenté peu d’observations sur les dépens, elles n’ont pas demandé à la Cour de mettre la question en délibéré ni de pouvoir déposer des observations sur la question. Lilly a demandé les [traduction] « dépens de la présente action selon une échelle déterminée par la Cour, y compris l’ensemble des taxes et débours applicables » tandis que les défenderesses ont demandé [traduction] « que la présente action, dans la mesure où elle se rapporte au brevet 684, soit rejetée et que les dépens soient adjugés aux défenderesses ».

[348]  Comme l’action intentée par Lilly au regard du brevet 684 est rejetée et que les demandes reconventionnelles des défenderesses sont accueillies, ces dernières ont droit aux dépens.


JUGEMENT PUBLIC dans le dossier T-1627-16

LA COUR STATUE :

  1. La revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, qui dépend à son tour des revendications 3 à 6), et les revendications 13 à 16 du brevet canadien no 2,371,684 sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence.

  2. L’action en contrefaçon intentée contre la défenderesse au regard du brevet canadien no 2,371,684 est rejetée.

  3. Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

  4. Les parties disposent de quinze jours à partir du moment où sont rendus les présents motifs confidentiels pour présenter des observations sur les caviardages à faire avant qu’une version publique ne soit publiée.

  5. Une copie des présents motifs confidentiels sera versée dans chacun des dossiers suivants : T‑1631‑16 (T‑1639‑16), T‑1623‑16 (T‑1624‑16) et T‑1632‑16.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


Annexe I

Revendication 3

La forme posologique de la revendication 1 comprenant environ 5 à environ 20 mg du composé sous forme de dose unitaire.

Revendication 4

La forme posologique de la revendication 2 comprenant environ 2,5 mg du composé sous forme de dose unitaire.

Revendication 5

La forme posologique de la revendication 3 comprenant environ 5 mg du composé sous forme de dose unitaire.

Revendication 6

La forme posologique de la revendication 3 comprenant environ 10 mg du composé sous forme de dose unitaire.

Revendication 9

La forme posologique de l’une quelconque des revendications 1 à 6, en vue du traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient pour qui l’inhibition de la PDE5 procure un bienfait.

Revendication 10

La forme posologique de la revendication 9, où la dysfonction sexuelle est la dysfonction érectile.

Revendication 13

L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 2 à environ 20 mg du composé.

Revendication 14

L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 5 mg du composé.

Revendication 15

L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 10 mg du composé.

Revendication 16

L’utilisation de la revendication 12, où la dose unitaire contient environ 20 mg du composé.


Annexe II

Comme les brevets en litige ont été délivrés après le 1er octobre 1989, l’actuelle Loi sur les brevets s’applique. En voici les dispositions pertinentes :

Définitions

Definitions

2 Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act, except as otherwise provided,

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)

invention means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; (invention)

Mémoire descriptif

Specification

27 (3) Le mémoire descriptif doit :

27 (3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

Revendications

Claims

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject-matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

Objet non divulgué

Subject-matter of claim must not be previously disclosed

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

a) soit plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a);

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

(c) in an application for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant, and has a filing date that is before the claim date; or

d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) si :

(d) in an application (the “co-pending application”) for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant and has a filing date that is on or after the claim date if

(i) cette personne, son agent, son représentant légal ou son prédécesseur en droit, selon le cas :

(i) the co-pending application is filed by

(A) a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a),

(A) a person who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim, or

(B) a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a), dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada,

(B) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim,

(ii) la date de dépôt de la demande déposée antérieurement est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa a),

(ii) the filing date of the previously regularly filed application is before the claim date of the pending application,

(iii) à la date de dépôt de la demande, il s’est écoulé, depuis la date de dépôt de la demande déposée antérieurement, au plus douze mois,

(iii) the filing date of the co-pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application, and

 (iv) cette personne a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(iv) the applicant has, in respect of the co-pending application, made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere

Délivrance

Form and duration of patents

43 (1) Sous réserve de l’article 46, le brevet accordé sous le régime de la présente loi est délivré sous le sceau du Bureau des brevets. Il mentionne la date de dépôt de la demande, celle à laquelle elle est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10, celle à laquelle il a été accordé et délivré ainsi que tout renseignement réglementaire.

43 (1) Subject to section 46, every patent granted under this Act shall be issued under the seal of the Patent Office, and shall bear on its face the filing date of the application for the patent, the date on which the application became open to public inspection under section 10, the date on which the patent is granted and issued and any prescribed information.

Validité

Validity of patent

(2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

(2) After the patent is issued, it shall, in the absence of any evidence to the contrary, be valid and avail the patentee and the legal representatives of the patentee for the term mentioned in section 44 or 45, whichever is applicable.

Durée du brevet

Term of patents based on applications filed on or after October 1, 1989

44 Sous réserve de l’article 46, la durée du brevet délivré sur une demande déposée le 1er octobre 1989 ou par la suite est limitée à vingt ans à compter de la date de dépôt de cette demande.

44 Subject to section 46, where an application for a patent is filed under this Act on or after October 1, 1989, the term limited for the duration of the patent is twenty years from the filing date

Admissibilité en preuve

Admissible in evidence

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies :

53.1 (1) In any action or proceeding respecting a patent, a written communication, or any part of such a communication, may be admitted into evidence to rebut any representation made by the patentee in the action or proceeding as to the construction of a claim in the patent if

a) elle est produite dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet ou, à l’égard de ce brevet, d’une renonciation ou d’une demande ou procédure de réexamen;

(a) it is prepared in respect of

[en blanc]

(i) the prosecution of the application for the patent,

[en blanc]

(ii) a disclaimer made in respect of the patent, or

[en blanc]

(iii) a request for re-examination, or a re-examination proceeding, in respect of the patent; and

b) elle est faite entre, d’une part, le demandeur ou le titulaire du brevet, et d’autre part, le commissaire, un membre du personnel du Bureau des brevets ou un conseiller du conseil de réexamen.

(b) it is between

[en blanc]

(i) the applicant for the patent or the patentee; and

[en blanc]

(ii) the Commissioner, an officer or employee of the Patent Office or a member of a re-examination board.

[en blanc]

[blank]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1627-16

 

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DELCARIBE, INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION INC. et MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET ALS.

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS publics :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 10 septembre 2020

COMPARUTIONS :

Jamie Mills

Adrian Howard

Chantal Saunders

Beverley Moore

David Schnittker

David Chapman

pour les Demanderesses/défenderesses reconventionnelles

Bradley White

Nathaniel Lipkus

Lillian Wallace

Jonathan Stainsby

Scott Beeser

Marcus Klee

Aleem Abdulla

Yaseen Manan

Andrew Brodkin

Jordan Scopa

Jaclyn Tilak

Benjamin Hackett

pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais

Ottawa (Ontario)

pour les Demanderesses/défenderesses reconventionnelles

Osler, Hoskin & Harcourt SENCRL/srl

Ottawa (Ontario)

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

Aitken Klee LLP

Ottawa (Ontario)

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

pour les défenderesses/demanderesses reconventionnelles

 

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