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Date : 20200910


Dossier : T‑1632‑16

Référence : 2020 CF 814

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2020

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DEL

CARIBE INC., LILLY, S.A. et ICOS CORPORATION INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

et

APOTEX INC.

défenderesse/demanderesse reconventionnelle

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

(La version confidentielle du jugement et des motifs a été rendue le 6 août 2020)

I. Introduction 4

II. Le contexte procédural 5

III. Les actes de procédure et les résultats 7

IV. Tadalafil 12

V. Le régime législatif encadrant l’instruction de l’affaire 14

I. Fardeau de preuve 15

A. Contrefaçon 15

1) Généralités 15

2) Présomption légale 16

3) Présomption de common law 18

B. Invalidité 21

II. Témoins des faits 21

A. Témoins des faits de Lilly 21

(1) M. Michael Martinelli 21

(2) M. Joseph Matthew Pawlak 22

B. Témoins des faits d’Apotex 23

(1) M. Ramandeen Singh Bagga 23

III. Témoins experts 23

(A) Témoin expert de Lilly 23

(1) Trevor Laird 23

B. Témoins experts d’Apotex 24

(1) M. Neil George Anderson 24

(2) M. Robert Michael Williams 25

IV. Brevet 540 26

A. Aperçu 26

B. Divulgation 27

C. Revendications 30

V. Interprétation des revendications 31

A. La date pertinente pour l’interprétation des revendications 31

B. Droit de l’interprétation des revendications 32

(1) Introduction 32

(2) Une seule et même interprétation à toutes les fins 33

(3) Interprétation téléologique : éléments essentiels et non essentiels 35

(4) Interprétation téléologique : les mots du breveté 40

(5) Différenciation des revendications 42

C. Personne versée dans l’art 43

D. Art antérieur 44

(1) Demande 594 45

(2) Brevet 377 47

(3) Demande 008 47

E. Connaissances générales courantes 48

F. Revendications exigeant une interprétation 52

(1) Introduction 52

(2) Interprétation des revendications 1, 3 et 4 52

(a) La revendication contestée 52

(b) Revendication 1, premier paragraphe : « un diastéréoisomère cis désiré » par opposition à « le diastéréoisomère cis désiré ». 53

(c) Revendication 1, étape b : solvants 56

(d) Revendication 1, étape c : phase de séparation contre séparation du mélange 57

(e) Éléments essentiels des revendications 1, 3 et 4 63

(3) Interprétation des revendications 7, 8 à 10 64

(a) La revendication en litige 64

(b) Revendication 7, étape d 65

(c) Éléments essentiels des revendications 7 et 8 à 10 67

(4) Interprétation de la revendication 12 68

(a) La revendication en litige 68

(b) Revendication 12, étape a et étape b : les variantes 69

(c) Revendication 12, étape c 75

(d) Éléments essentiels de la revendication 12 76

VI. La demande reconventionnelle d’Apotex sur le fondement de l’invalidité 77

A. Introduction 77

B. Antériorisation 78

(1) Les allégations d’antériorité 78

(2) Le cadre d’analyse de l’antériorité 82

(a) Article 28.2 de la Loi sur les brevets et critère de l’arrêt Sanofi 82

(b) Exigence de divulgation 83

(i) Revendication 1, étape a (mentionnée dans les revendications 3 et 4) 84

(ii) Revendication 1, étape b (mentionnée dans les revendications 3 et 4) 85

(iii) Revendication 1, étape c (mentionnée dans les revendications 3 et 4) 88

(iv) Conclusion sur la divulgation 89

(c) L’exigence du caractère réalisable 89

(3) Conclusion sur l’antériorité 91

C. Évidence 91

(1) Les allégations d’évidence 91

(2) Le cadre régissant l’évidence 93

(a) Article 28.3 de la Loi sur les brevets 93

(b) Le critère de l’évidence énoncé dans l’arrêt Sanofi 94

(c) Première étape : Identifier la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes de cette personne 95

(d) Deuxième étape : Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation 95

(i) Questions à trancher 95

(ii) 1986 : le cadre de l’arrêt Beloit 96

(iii) Article 28.3 de la Loi sur les brevets 98

(iv) Arrêt Sanofi en 2008 99

(v) Période postérieure à l’arrêt Sanofi 99

(vi) Le sens du terme idée originale 106

(vii) L’objet que définissent les revendications invoquées du brevet 540 108

(e) Troisième étape : Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation 110

(i) Revendications 1, 3 et 4 110

(ii) Revendications 7 à 10 112

(iii) Revendication 12 113

(f) Quatrième étape : Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? 114

(i) Introduction 114

(ii) L’essai allant de soi 115

Revendication 7, étape d et revendications 8 à 10 117

Revendication 12, étape b 118

(iii) Conclusion de la quatrième étape 125

3) Conclusion sur l’évidence 125

D. Inutilité/Inutilisabilité 126

E. Portée excessive 127

F. Conclusion sur l’invalidité 130

VII. Action en contrefaçon de Lilly 131

A. Principes 131

B. Procédé d’Apotex : |||||||||| 132

C. Procédé d’Apotex : |||||||||||||||||||||||| 134

D. Procédé d’Apotex : |||||||||||||||||||||||||||||||| 136

E. Procédé d’Apotex : |||||||||||||||||||||| 138

F. Conclusion sur la contrefaçon 139

VIII. Choix entre des dommages-intérêts et une remise des profits 139

IX. Ordonnance déclaratoire, injonction ou restitution 140

X. Ordonnance de mise sous scellés 140

XI. Dépens 140

I. Introduction

[1] Les présents motifs supplémentaires ont trait à une action que les demanderesses (ci‑après appelées, collectivement, « Lilly ») ont intentée contre Apotex Inc. (Apotex), ainsi qu’à une demande reconventionnelle connexe d’Apotex, relativement au brevet canadien no 2,492,540 [le brevet 540].

[2] Les motifs concernant les actions et les demandes reconventionnelles connexes des demanderesses, relativement au brevet canadien n2,371,684 [le brevet 684], sont exposés dans le dossier T‑1627‑16 et seront versés dans le présent dossier (Eli Lilly Canada Inc. et al. C Mylan Pharmaceuticals ULC, 2020 CF 816).

[3] Les présents motifs supplémentaires ont donc trait à la validité et à la contrefaçon, à l’étape de la responsabilité, du brevet 540 intitulé « Réaction de Pictet‑Spengler modifiée et produits préparés à partir de cette dernière ».

II. Le contexte procédural

[4] Lilly a d’abord intenté contre Apotex, Mylan Pharmaceuticals ULC, Teva Canada Limited et Pharmascience Inc.-Laboratoire Riva Inc. des actions indépendantes en contrefaçon de brevets liés au tadalafil. Chaque défenderesse a nié avoir contrefait les brevets et riposté par une demande reconventionnelle visant à obtenir un jugement les déclarant invalides. Dans le cadre de ces procédures, Lilly a opposé quatre brevets aux quatre défenderesses : 1) le brevet 684, qui a expiré le 26 avril 2020, concerne l’utilisation d’une forme posologique du tadalafil; 2) le brevet 2,379,948, qui a expiré le 26 avril 2020, concerne une formulation comprenant du tadalafil; 3) le brevet 540, qui expirera le 14 juillet 2023, concerne un procédé de fabrication du tadalafil; et 4) le brevet 2,226,784 [le brevet 784], qui a expiré le 11 juillet 2016, concerne l’utilisation du tadalafil pour traiter la dysfonction érectile [DE].

[5] Le 8 septembre 2017, à la demande des parties, la protonotaire Tabib a scindé les actions en deux volets : la responsabilité et la quantification des dommages-intérêts. Suivant son ordonnance, le volet « responsabilité » porte sur les questions suivantes : (i) les brevets ont‑ils été contrefaits par les défenderesses? (ii) les brevets sont‑ils valides? (iii) exception faite des paragraphes 9, 28–36, 37–42 et 175 de la défense modifiée et demande reconventionnelle d’Apotex dont il sera question à l’étape de la quantification, Lilly a‑t‑elle droit à une ordonnance déclaratoire, à une injonction et à une restitution? et (iv) le droit de Lilly, le cas échéant, de choisir entre des dommages‑intérêts et une remise des profits (sauf en ce qui concerne les paragraphes 28–36 de la défense).

[6] Le 3 juillet 2019, la protonotaire Tabib a accordé à Lilly l’autorisation de modifier sa demande introductive d’instance, ce qui fait que seules les allégations de contrefaçon du brevet 684 visant les défenderesses, et les allégations de contrefaçon du brevet 540 visant Teva (lesquelles ont ensuite été retirées) et Apotex, ont été maintenues.

[7] La protonotaire Tabib a également autorisé Lilly à ajouter, à l’encontre de toutes les défenderesses, une allégation de contrefaçon du brevet 784 fondée sur la fabrication, l’importation et le stockage de tadalafil pour la DE, avant l’expiration du brevet, et à réclamer des dommages‑intérêts pour contrefaçon découlant de l’entrée hâtive sur le marché. Les modifications ont été autorisées à la condition que, en ce qui concerne le brevet 784, toutes les questions de validité, de contrefaçon et de quantification des dommages‑intérêts soient scindées et instruites uniquement après qu’auront été tranchées les questions relatives à la responsabilité qui sont liées aux brevets 684 et 540.

[8] Bien que les actions n’aient pas été réunies, elles ont fait l’objet d’une gestion conjointe d’instances et, pour ce qui est du volet « responsabilité », elles ont été instruites ensemble. L’audience s’est déroulée du 5 décembre 2019 au 7 février 2020. Même si les actions concernant les deux brevets en cause n’ont pas été scindées, les parties ont accepté que le procès soit divisé en deux étapes distinctes. La première a porté sur le volet « responsabilité » du brevet 684, et les quatre défenderesses y ont présenté une preuve commune, tandis que la seconde a porté sur le volet « responsabilité » du brevet 540, qui ne met en cause qu’Apotex à titre de défenderesse.

[9] Je présente donc ici des motifs supplémentaires qui se rapportent uniquement au litige opposant Lilly et Apotex au sujet du brevet 540. Certains passages des motifs concernant le brevet 684 sont repris dans les présents motifs supplémentaires, au risque de me répéter, de manière à pouvoir lire séparément les présents motifs.

[10] Les parties ne contestent pas que le droit applicable est le même dans les deux volets du procès, quoique étonnamment, et comme je le soulignerai dans l’analyse portant sur l’antériorité, Lilly a présenté à chaque étape des versions différentes du principe qui s’applique à l’exigence de divulgation dans l’analyse relative à l’antériorité.

III. Les actes de procédure et les résultats

[11] Les demanderesses en l’espèce sont Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly Canada), Eli Lilly and Company, Lilly Del Caribe, Inc., Lilly, S.A. et ICOS Corporation Inc. Apotex Inc. est la seule défenderesse.

[12] Le principal lieu d’affaires d’Eli Lilly Canada est à Toronto (Ontario). Le principal lieu d’affaires d’Eli Lilly and Company est à Indianapolis (Indiana). Quant à Lilly Del Caribe, Inc., une société constituée aux îles Caïmans, son principal lieu d’affaires se trouve à Caroline (Porto Rico). Lilly, S.A. a son principal lieu d’affaires à Madrid (Espagne), et celui d’ICOS Corporation Inc. se trouve à Indianapolis (Indiana). Apotex Inc. est un fabricant de médicaments génériques, dont le siège est situé à Toronto (Ontario).

[13] Apotex a quatre procédés approuvés par voie réglementaire, toujours en vigueur, pour fabriquer du tadalafil par l’entremise de deux fournisseurs principaux, tous deux situés en Inde : |||| et ||||||||||||||||||||||||. |||| obtenait les produits intermédiaires auprès de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| en Chine, |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| en Inde et |||||||||||||||||||||| en Chine, qui l’obtenait de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |  en Chine. ||||||||||||||||||||||||, en revanche, fabriquait la totalité du tadalafil elle-même.

[14] Lilly affirme que les quatre processus d’approbation réglementaires permettant à Apotex de fabriquer du tadalafil contrefont les revendications 1, 3–4, 7–10 et 12 du brevet 540 (les revendications invoquées).

[15] Lilly se fonde sur la présomption légale énoncée à l’article 55.1 de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P‑4 [la Loi sur les brevets], ainsi que sur la présomption de common law (Hoffmann‑La Roche Ltd c Apotex Inc, 1983 CarswellOnt 871, aux para 23 à 25 (H.C.J. Ont) [Hoffmann], conf 1984 CarswellOnt 1197 (C.A. Ont)), pour faire valoir, s’agissant du procédé de ||||||||||||||||||||||, qu’Apotex a le fardeau de prouver qu’elle n’a pas contrefait les revendications invoquées.

[16] Lilly sollicite par conséquent un jugement déclarant qu’Apotex a contrefait ou incité à contrefaire les revendications invoquées du brevet 540, qu’elle est en droit de faire un choix entre des dommages‑intérêts et une remise des profits et qu’elle a droit à une ordonnance déclaratoire, à une injonction ou à une restitution, de même que les dépens.

[17] Apotex nie la contrefaçon et invoque d’emblée le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette (Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust]). Face à la présomption légale qu’invoque Lilly, Apotex répond que cette présomption ne s’applique pas, car le tadalafil n’est pas un « nouveau produit », vu que le tadalafil et ses intermédiaires ont fait l’objet de brevets antérieurs. Face à la présomption de common law que Lilly invoque, Apotex répond que la présomption n’a jamais été appliquée, pas même dans l’arrêt Hoffmann où elle a été énoncée dans le cadre d’une remarque incidente, que les faits de l’arrêt Hoffmann sont extrêmes et qu’il convient de les distinguer en se fondant principalement sur le fait qu’Apotex a dûment collaboré pour divulguer tous les renseignements qu’elle avait sur les procédés.

[18] Apotex répond également qu’aucun de ses procédés ne contrefaisait le brevet 540. Elle fait valoir que le procédé de |||||||||| ne comporte pas de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| avec une étape d’acide acétique, ce qui suppose l’interprétation de la revendication 7, pas plus qu’elle ne se sert d’alcool isopropylique comme solvant pour la réaction de Pictet‑Spengler (RPS), mais plutôt de ||||||||||, ce qui suppose l’interprétation de la revendication 12. Elle ajoute que le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne comporte pas d’étape de |||||||||||||||||||||||||| après la RPS, ce qui suppose l’interprétation de la revendication 1, qu’il ne comporte pas d’étape de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||,ce qui suppose l’interprétation de la revendication 7, et qu’il a recours à |||||||||||||| pour la RPS plutôt qu’à de l’alcool isopropylique, ce qui suppose l’interprétation de la revendication 12. L’interprétation que fait la Cour des revendications permettra essentiellement de trancher les questions qui se rapportent à ces deux processus.

[19] Apotex soutient que le procédé de |||||||||||||||||||||||||||||||| dépend de l’exception réglementaire à la contrefaçon que prévoit l’article 55.2 de la Loi sur les brevets, tandis que le procédé de |||||||||||||||||||||| dépend du fardeau qu’a Lilly de prouver que les procédés décrits dans le dossier de lot et les présentations réglementaires sont inventés, et que les deux présomptions de contrefaçon sont applicables.

[20] Apotex sollicite un jugement déclarant que le brevet 540 ou les revendications invoquées sont invalides, de même que les dépens.

[21] Le 6 janvier 2020, les parties ont conjointement formulé comme suit les questions à trancher :

a) L’interprétation des revendications 1, 3–4, 7–10 et 12 du brevet 540;

b) L’une des revendications invoquées a‑t‑elle été contrefaite?

c) Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette est‑il applicable?

d) Les revendications invoquées sont‑elles invalides pour l’une des raisons suivantes :

i. Antériorité : la demande de brevet canadien no 2,412,594 (la demande 594, appelée demande « Gellibert ») antériorise‑t‑elle l’objet des revendications 1 et 3‑4 du brevet 540?

ii. Évidence : l’objet défini par les revendications invoquées du brevet 540 aurait‑il été évident, à la date de la revendication, pour la personne versée dans l’art?

iii. Absence de prédiction valable / aucune démonstration de l’utilité : les exigences relatives à la démonstration de l’utilité ou à la prédiction valable, à la date du dépôt du brevet 540, ont-elles été remplies?

iv. Portée excessive : la portée des revendications invoquées est-elle plus large que celle de l’invention réalisée par l’inventeur désigné du brevet 540 ou de l’invention divulguée dans le mémoire descriptif de ce brevet?

v. Inutilité/inutilisabilité : l’objet défini par les revendications invoquées du brevet 540 présente‑t‑il dans les faits une utilité?

vi. Insuffisance : le brevet 540 remplit‑il les exigences du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets?

e) Les demanderesses peuvent-elles choisir entre des dommages‑intérêts ou une remise des profits?

f) Les demanderesses ont-elles droit à une ordonnance déclaratoire, à une injonction ou à une remise?

[22] Dans son plaidoyer final, Apotex n’a pas invoqué l’absence de prédiction valable ou de démonstration, non plus que l’insuffisance et le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette. Ainsi, ce qui reste des motifs d’invalidité invoqués par Apotex, ce sont l’antériorité, l’évidence, la portée excessive et l’inutilité/inutilisabilité.

[23] La Cour doit se prononcer sur le genre de mesures de réparation à accorder et sur l’admissibilité ces dernières, le cas échéant.

[24] En bref, et pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que les revendications 1, 3–4, 7‑10 et 12 du brevet 540 sont invalides, car les revendications 1 et 3–4 sont antériorisées, et que toutes les revendications invoquées sont évidentes.

[25] Cependant, si j’ai tort et que les revendications invoquées sont valides, je conclus que les revendications 1 et 3–4 ont été contrefaites par le procédé de |||||||||| d’Apotex, tandis que cette dernière n’a pas contrefait les revendications 7–10 et 12 du brevet 540.

IV. Tadalafil

[26] La substance médicamenteuse au cœur de la présente instance est le tadalafil, utilisé, notamment, pour traiter la dysfonction érectile. À cet égard, le tadalafil est l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA) du produit pharmaceutique commercialisé par Lilly sous la marque nominative CIALIS, et par Apotex sous la marque nominative Apo‑Tadalafil.

[27] Le tadalafil est un inhibiteur de la phosphodiestérase (PDE) 5. Le premier inhibiteur de la PDE‑5 qui a été homologué était le sildenafil, commercialisé par Pfizer sous la marque nominative Viagra, et a été autorisé au Canada le 9 mars 1999. Le tadalafil est le deuxième produit pharmaceutique de la classe des inhibiteurs de la PDE‑5. Le sildénafil et le tadalafil ont tous deux connu un succès commercial considérable.

[28] Brièvement, le tadalafil agit en favorisant la relaxation du muscle lisse du pénis, ce qui peut sembler quelque peu contre‑intuitif du point de vue d’un non-spécialiste, et induit ainsi l’érection du pénis. Le muscle lisse du pénis, aussi appelé « corps caverneux », est contracté à l’état de repos, et ce faisant, comprime les artères acheminant l’afflux sanguin dans le pénis. Lors d’une érection, le muscle lisse se détend, et ne comprime plus l’afflux sanguin dans les artères, ce qui cause la tumescence du pénis. La relaxation du muscle lisse induit une cascade de réactions biochimiques dans l’organisme. Habituellement, la stimulation sexuelle provoque la libération de monoxyde d’azote, qui stimule une augmentation de la production d’une molécule appelée guanosine‑3‑5 monophosphate cyclique (GMPc). Cette molécule de GMPc régule l’activité d’autres protéines intracellulaires et sa libération entraîne la relaxation du muscle lisse. La hausse de la concentration de GMPc favorise la relaxation du muscle lisse et par le fait même, l’érection du pénis. La dégradation intracellulaire du GMPc est régulée par une classe d’enzymes appelée « PDE des nucléotides cycliques », et, dans le pénis, la classe la plus courante est la famille des PDE5. L’inhibition des PDE5 ralentit la dégradation du GMPc, qui s’accumule alors et favorise la relaxation du muscle lisse, qui, à son tour, permet l’érection du pénis.

[29] Le tadalafil a été revendiqué pour la première fois dans le brevet GB no 9401090.7 (dont l’équivalent canadien est le brevet 2,181,377 (brevet 377)), déposé le 21 janvier 1994 au Royaume‑Uni par les Laboratoires Glaxo. Plusieurs autres brevets associés au tadalafil ont aussi été délivrés, et appartiennent maintenant à Lilly à la suite de transactions commerciales consécutives.

[30] Le brevet 540 porte sur un procédé commercial de synthèse du tadalafil et s’attarde particulièrement sur la synthèse d’un composé intermédiaire important, qui est un cis‑diastéréoisomère ayant la stéréochimie absolue R,R, appelé cis‑1‑(1,3‑benzodioxol‑5‑yl)‑2,3,4,9‑tétrahydro‑1H‑pyrido[3,4‑b]indole‑3‑carboxylate de méthyle. Cet intermédiaire important est synthétisé en réalisant ce que l’on décrit comme étant une RPS améliorée dans laquelle le diastéréoisomère cis désiré est insoluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure, et le diastéréoisomère trans non désiré est soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure, ce qui aboutit à une cristallisation concomitante, et à la séparation du diastéréoisomère cis, qui est le produit désiré.

[31] La RPS a été mise au point en 1911. Désignée en l’honneur de ses inventeurs, la réaction chimique fait intervenir une β‑aryléthylamine qui subit une condensation avec un aldéhyde ou une cétone, suivie de la fermeture du cycle. Dans le brevet en litige, il s’agit d’une méthode permettant de fixer un nouveau cycle à six membres à une structure cyclique existante. Un autre concept, soit la « transformation asymétrique induite par la cristallisation » (TAIC) renvoie ici à la transformation in situ du diastéréoisomère trans en diastéréoisomère cis, induite par la cristallisation du diastéréoisomère cis désiré dans le mélange (à l’équilibre), ce qui donne un rendement élevé, une grande pureté et un procédé plus rapide avec moins d’étapes.

V. Le régime législatif encadrant l’instruction de l’affaire

[32] Les parties conviennent que le droit des brevets est entièrement issu de la loi. La Cour suprême du Canada (CSC) l’a de nouveau confirmé en 2008, dans l’un des arrêts phares que j’analyserai plus tard, Apotex c Sanofi‑Synthelabo Canada 2008 CSC 61[Sanofi]. La CSC citait le juge Judson qui a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Commissionner of Patents v Farbwerke Hoechest Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] RCS 49 à la p 57 : [traduction] « Il n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur obtient son brevet conformément à la Loi sur les brevets. Un point c’est tout » (Sanofi, au para 12). La CSC a également cité les propos de lord Walker dans l’arrêt Synthon B.V. v SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59 aux para 57–58 :

[TRADUCTION]

57. L’origine du droit des brevets est purement législative et étonnamment ancienne […] Eu égard à l’interprétation et à l’application des dispositions législatives sur les brevets, la doctrine jurisprudentielle a largement contribué au fil des ans à clarifier les notions abstraites des lois et à en assurer l’application uniforme.

58. Il est tout de même salutaire de se faire rappeler de temps à autre que les concepts généraux auxquels se réfèrent les avocats spécialisés en droit des brevets prennent appui sur un texte législatif et ne sauraient avoir aucun autre véritable fondement. (Sanofi, au para 12).

[33] Comme le brevet en cause a été déposé après le 1er octobre 1989, les dispositions actuelles de la Loi sur les brevets trouvent à s’appliquer. Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’annexe II pour faciliter la consultation.

I. Fardeau de preuve

A. Contrefaçon

1) Généralités

[34] Pour établir la contrefaçon, Lilly doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les procédés que les fournisseurs d’Apotex ont utilisés comprennent tous les éléments essentiels d’une ou plusieurs des revendications du brevet 540. En fait, « [i]l n’y a pas contrefaçon si des éléments non essentiels sont substitués ou omis » (Free World Trust, au para 31).

[35] Cependant, le fardeau de preuve qui incombe titulaire du brevet peut se déplacer vers le contrefacteur présumé en raison de l’application de la présomption légale et de celle de common law. Lilly soutient qu’en l’espèce les deux présomptions s’appliquent.

2) Présomption légale

[36] La présomption légale est énoncée à l’article 55.1 de la Loi sur les brevets : « [d]ans une action en contrefaçon d’un brevet accordé pour un procédé relatif à un nouveau produit, tout produit qui est identique au nouveau produit est, en l’absence de preuve contraire, réputé avoir été produit par le procédé breveté » (non souligné dans l’original).

[37] Lilly invite la Cour à interpréter les mots « nouveau produit » qui figurent à l’article 55.1 d’une manière semblable aux mots « drogue nouvelle », qui sont définis à l’article C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues, CRC c 870 [Règlement sur les aliments et drogues]. Lilly affirme donc que le CIALIS (et l’ADCIRCA, son autre produit à base de tadalafil) sont des « nouveaux produits » et que l’article 55.1 de la Loi sur les brevets s’applique donc de manière à inverser le fardeau relatif à la contrefaçon. Cependant, Lilly n’explicite pas sa position, admettant que la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2009 CF 991 [Céfaclor], conf 2010 CAF 240, peut être soumise au principe de la courtoisie. Elle confirme simplement qu’elle cherche à préserver ses droits d’appel à cet égard.

[38] Apotex répond que l’article 55.1 de la Loi sur les brevets ne s’applique pas en l’espèce car le tadalafil n’est pas un « nouveau produit » : les processus de fabrication du tadalafil ont été l’objet de brevets antérieurs, et le tadalafil était connu avant que le brevet 540 soit déposé. Apotex souligne que l’interprétation que propose Lilly au sujet d’un « nouveau produit », une interprétation semblable à celle des mots « drogue nouvelle », qui figurent dans le Règlement sur les aliments et drogues donc celle de tout produit qui n’a pas été vendu sur le marché a été expressément rejetée dans la décision Céfaclor, au para 214. Dans la décision Céfaclor, Lilly avait fait valoir que le mot « produit » (présent dans l’actuel article 55.1 de la Loi sur les brevets) remplaçait le mot « substance » (présent dans l’ancien paragraphe 39(2) de la Loi sur les brevets), par suite d’une modification apportée en 1993 dans le but de donner effet à l’alinéa 1709(11)a) de l’Accord de libre-échange nord-américain conclu entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Mexique et le gouvernement des États‑Unis, 17 décembre 1992, RT Can 1994 no 2. Elle avait fait valoir que ce mot désignait un « produit qui n’a pas été vendu sur le marché auparavant », mais la juge Gauthier, qui siège aujourd’hui à la Cour d’appel fédérale (CAF), n’a pas retenu cet argument.

[39] Apotex attire également mon attention sur la décision de notre Cour, Merck & Co Inc. c Apotex Inc., 2010 CF 1265 aux para 134‑186, conf 2011 CAF 363, où la juge Snider a interprété le mot « nouvelle », dans l’expression « nouvelle substance » de l’ancien paragraphe 39(2) de la Loi sur les brevets, et a conclu qu’il voulait dire « pas connu […] avant ». La CAF n’a ni réprouvé ni entériné son interprétation.

[40] Malgré que Lilly n’ait pas exposé en détail sa position sur la manière d’interpréter le terme « drogue nouvelle », qui figure dans le Règlement sur les aliments et drogues, je signale que l’art. C.08.001 du Règlement le définit comme suit à l’alinéa c) : une drogue qui « […] n’a pas été vendue pour cet usage ou selon ce mode d’emploi au Canada […] », ce qui est précisément l’interprétation que la juge Gauthier a rejetée dans la décision Céfaclor.

[41] Le principe de la courtoisie judiciaire m’oblige à appliquer une décision antérieure sauf si je suis convaincue que celle‑ci est mal fondée. Cependant, au lieu d’avancer d’autres arguments, Lilly a admis que la Cour peut être assujettie à ce principe, et elle a confirmé que, devant notre Cour, elle cherchait simplement à préserver ses droits en appel. Elle ne m’a donc pas convaincue que la décision Céfaclor est erronée. Étant donné que Lilly n’a pas établi que le tadalafil est un « nouveau produit » au regard de la présomption légale de l’article 55.1 de la Loi sur les brevets, elle conserve le fardeau de prouver la contrefaçon.

3) Présomption de common law

[42] Lilly invoque la présomption de common law à l’égard du procédé de ||||||||||||||||||||||. Elle fait valoir que la série de circonstances entourant ce procédé justifie l’application de la présomption de common law énoncée dans l’arrêt Hoffmann, au paragraphe 23 : [traduction] « […] lorsque l’une des parties est censée avoir particulièrement connaissance de l’objet d’une allégation, c’est à elle qu’il incombe de prouver cette allégation, qu’elle soit de nature positive ou négative ». Lilly fait valoir que la présomption de common law s’applique au procédé de |||||||||||||||||||||| qu’emploie Apotex pour fabriquer du tadalafil destiné à la vente au Canada, parce qu’elle tombe précisément sous le coup de cette présomption.

[43] Lilly souligne le témoignage incontesté de son témoin expert, M. Trevor Laird, à savoir que celui‑ci ne croit pas qu’un composé de grande qualité peut être produit au moyen du procédé décrit dans le dossier de lot de ||||||||||||||||||||||, et qu’il soupçonne donc que ce lot a été falsifié. Aux yeux de Lilly, il ne faudrait accorder aucun poids au dossier de lot, et étant donné qu’Apotex n’a produit aucun document sur la question, le fardeau devrait se déplacer : Lilly ne devrait plus être tenue de prouver la contrefaçon et c’est plutôt Apotex qui aurait à prouver la non-contrefaçon, ce qu’elle n’a pas fait. Lilly allègue qu’étant donné qu’Apotex est la seule qui puisse obtenir des documents appropriés sur le procédé, cette situation tombe directement sous le coup de la présomption. Insistant pour dire que la situation d’Apotex est unique parce qu’elle faisait affaire avec ||||, qui faisait elle-même affaire avec ||||||||||||||||||||||, qui obtenait les intermédiaires de ||||, Lilly cite la décision Eli Lilly & Coc Apotex Inc, [2000] ACF no 154 (CFPI), pour faire valoir qu’il convient d’exiger qu’Apotex présente une telle demande d’informations. Lilly fait également valoir qu’Apotex n’a présenté aucune preuve qu’elle avait avisé ses fournisseurs de ne pas contrefaire le brevet 540. Pour contrer l’argument d’Apotex selon lequel elle n’a pas pris suffisamment de mesures pour obtenir des informations supplémentaires au sujet du procédé de ||||||||||||||||||||||, Lilly répond qu’elle ne peut pas se fier à Apotex pour fournir des documents véritables si le dossier de lot fourni la première fois est falsifié, et que la cessation des activités de |||||||||||||||||||||| voulait dire qu’il aurait été impossible d’obtenir d’autres documents. Comme je le souligne plus loin dans les présents motifs, M. Ramandeen Singh Bagga a témoigné devant la Cour à titre de témoin des faits pour Apotex, dont il est le VP - Achats directs mondiaux. Lilly a reconnu d’une certaine façon ne pas avoir contre-interrogé plus en détail M. Bagga sur le procédé de ||||||||||||||||||||||, mais elle souligne que ce dernier a déclaré que même Apotex n’avait pas été en mesure d’obtenir de plus amples renseignements auprès de cette entreprise. Lilly fait donc valoir qu’on ne voit pas clairement comment M. Bagga aurait pu rendre un témoignage qui ne soit pas du ouï-dire inadmissible.

[44] Apotex soutient principalement que la décision Hoffmann, où est énoncée la présomption de common law, n’a jamais été appliquée et qu’elle devrait être limitée aux faits qui lui sont propres, c’est‑à‑dire que la défenderesse était titulaire d’une licence à l’égard du brevet des demanderesses et avait donné instruction à son fournisseur de ne divulguer aucune information au sujet de son procédé aux demanderesses ou à leur avocat. Apotex cite de nouveau la décision Céfaclor, dans laquelle la juge Gauthier a apporté des précisions sur l’applicabilité de la présomption de common law établie dans la décision Hoffmann. Apotex soutient essentiellement que : 1) elle a tenté d’obtenir avec diligence les informations demandées en fournissant de nombreux documents concernant le procédé de |||||||||||||||||||||| et en en cherchant d’autres, comme M. Bagga l’a déclaré; 2) Lilly n’a même pas tenté d’exiger qu’Apotex présente une preuve; et 3) Lilly a mis de l’avant un extrait de la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) d’Apotex, un document de nature réglementaire, à titre de pièce commerciale, sans tenter de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ce document est lui aussi falsifié. Cet extrait du PADN décrit aussi le procédé de ||||||||||||||||||||.

[45] Comme l’a fait la juge Gauthier dans la décision Céfaclor, aux para 219‑223, je conclus aussi que la preuve produite en l’espèce ne me permet pas de conclure qu’Apotex n’a pas cherché avec diligence à fournir les documents demandés au sujet du procédé, ou que Lilly n’a pas cherché avec diligence à obtenir d’autres informations d’Apotex. L’argument de Lilly à propos des précisions qu’il aurait été possible d’obtenir de M. Bagga en contre‑interrogatoire demeure peu convaincant. De plus, je signale que Lilly avait en main des informations sur le procédé, grâce à l’extrait du PADN d’Apotex, et que M. Laird a traité de ce document au paragraphe 83 de son rapport d’expert sur la contrefaçon. Lilly n’a pas expliqué comme il se pouvait que ce document réglementaire contienne des informations falsifiées, même si l’organisme de réglementation ne l’avait pas signalé, et elle ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver que ce document concerne un procédé falsifié. La présomption ne s’applique pas et Lilly conserve le fardeau de prouver la contrefaçon.

B. Invalidité

[46] Aux termes du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide. La loi crée une présomption de validité du brevet, et Apotex a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet est invalide (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67 [Whirlpool] au para 75).

II. Témoins des faits

A. Témoins des faits de Lilly

(1) M. Michael Martinelli

[47] M. Martinelli est l’un des inventeurs désignés du brevet 540. Il détient un baccalauréat ès sciences de l’Université de l’État de New York, un doctorat de l’Université Wesleyan en synthèse de produits naturels, de même qu’une bourse de recherche postdoctorale de l’Université Harvard.

[48] Ayant travaillé chez Lilly de 1987 à 2003, M. Martinelli a participé au processus de diligence raisonnable d’ICOS, en prévision d’une coentreprise formée entre Lilly et ICOS en 1998. Il a témoigné au sujet de la manière dont M. Joseph Matthew Pawlak et lui se sont efforcés de trouver un meilleur procédé de fabrication du tadalafil, en raison des nombreuses lacunes des procédés employés à ||||, |||||| et ||||||||. Il s’est souvenu d’avoir demandé à M. Pawlak, en août 1998, de reproduire les procédés employés à |||||| et ||||||||. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[49] M. Martinelli a été un témoin digne de foi, même s’il se souvenait peu des mesures précises qu’il avait prises il y a de cela environ 20 ans. Il s’est inspiré, dans une large mesure, des documents toujours existants et, à l’instruction, il a rajusté quelques aspects du témoignage qu’il avait fait lors à l’interrogatoire principal, ayant lu le cahier de notes de M. Pawlak avant de témoigner devant la Cour. Il a déclaré qu’il remplissait lui-même de deux à trois cahiers de notes par année, mais, à l’interrogatoire préalable, Lilly n’a trouvé qu’un seul cahier vierge.

(2) M. Joseph Matthew Pawlak

[50] M. Pawlak est lui aussi un inventeur désigné du brevet 540. Après avoir obtenu un baccalauréat ès sciences en chimie, il a travaillé dans une usine filiale où il a synthétisé des composés intermédiaires avant de se joindre à Lilly en août 1997. Il a quitté l’entreprise en 2015. Travaillant sous les ordres de M. Martinelli, il était le principal chercheur affecté au procédé de synthèse du tadalafil chez Lilly.

[51] À l’instar de M. Martinelli, M. Pawlak a témoigné au sujet de l’histoire de l’invention de Lilly, quoique d’une manière plus détaillée dans le cas, notamment, des solvants, des acides et des conditions de réaction mises à l’essai pour la RPS.

[52] M. Pawlak a été digne de foi, et il s’est fié à son cahier de notes.

B. Témoins des faits d’Apotex

(1) M. Ramandeen Singh Bagga

[53] M. Bagga a témoigné devant la Cour à titre de VP - Achats directs mondiaux d’Apotex. Après avoir obtenu un baccalauréat ès sciences en pharmacie et un MBA, il a travaillé principalement dans le secteur des ventes pour le compte plusieurs sociétés pharmaceutiques indiennes, dont ||||||||||, avant de se joindre à Apotex en janvier 2011, à titre de VP - Expansion commerciale, Marketing et Ventes. En 2015, il est devenu, chez Apotex, le VP - Gestion de la chaîne mondiale d’approvisionnement.

[54] M. Bagga a principalement témoigné au sujet de la manière dont Apotex obtenait les ingrédients actifs et à quel endroit, de la teneur générale de la partie ouverte ou fermée d’une fiche maîtresse de médicament (FMM), de la teneur d’une PADN, ainsi que des mesures prises par Apotex pour fournir à Lilly des documents relatifs aux procédés exacts émanant de ses fournisseurs.

[55] M. Bagga a été un témoin digne de foi et il a répondu de manière franche.

III. Témoins experts

(A) Témoin expert de Lilly

(1) Trevor Laird

[56] M. Laird détient un baccalauréat ès sciences (chimie) de l’Imperial College of London, ainsi qu’un doctorat en chimie organique de la London University. Avant de devenir consultant, il était responsable des chimistes chez SmithKline. Il a été reconnu à titre d’expert en chimie organique synthétique.

[57] M. Laird a été le seul témoin expert de Lilly, et il a fait part de son opinion sur l’interprétation des revendications, la contrefaçon et la validité. Il a signé un rapport d’expert sur l’interprétation, le 30 août 2019, un rapport d’expert sur la contrefaçon, le 30 août 2019, un rapport d’expert sur la validité, le 7 janvier 2020, ainsi qu’un rapport d’expert en réplique, le 7 janvier 2020 (pièces 116, 117, 118 et 119, respectivement).

[58] Il convient d’aborder avec prudence l’opinion de M. Laird. Je n’ai manifestement aucun doute quant à ses titres de compétence, mais il a semblé, dans son interprétation des revendications, mettre l’accent sur les résultats. Il y a eu des incohérences dans les façons dont il interprétait les revendications, notamment en suggérant des équivalents pour certains éléments, mais pas pour d’autres, sans fournir de justification appropriée.

B. Témoins experts d’Apotex

(1) M. Neil George Anderson

[59] M. Anderson détient un baccalauréat ès sciences en biologie et en chimie de l’Université de l’Illinois ainsi qu’un doctorat en chimie thérapeutique de l’Université du Michigan. Il a été reconnu comme un expert en chimie organique synthétique et en chimie des procédés. Il a notamment occupé le poste de chef de groupe et de scientifique principal chez E.R. Squibb & Sons, et il est l’auteur d’un ouvrage intitulé Practical Process Research & Development.

[60] À l’instruction, M. Anderson a fait part de son opinion sur l’interprétation des revendications, l’antériorité et l’évidence. Il a signé un rapport d’expert sur la validité, le 28 août 2019, un rapport d’expert en réponse, le 9 novembre 2019, ainsi qu’un rapport d’expert en réplique, le 11 décembre 2019 (pièces 120, 121 et 122, respectivement).

[61] M. Anderson a été un témoin calme, convaincant et digne de foi. Il a répondu aux questions de manière franche, que ses réponses soient favorables ou défavorables à Apotex. J’accorde un poids considérable à son opinion.

(2) M. Robert Michael Williams

[62] M. Williams détient un baccalauréat ès sciences en chimie de l’Université Syracuse ainsi qu’un doctorat du MIT. Il a été reconnu comme expert en chimie organique et thérapeutique. Il a travaillé toute sa vie dans le secteur universitaire et avait le titre de professeur distingué émérite à l’Université de l’État du Colorado.

[63] M. Williams a fait part de son opinion sur la liste des questions litigieuses soumises à la Cour. Il a signé un rapport d’expert, le 30 août 2019, un rapport d’expert en réponse, le 7 novembre 2019, ainsi qu’un rapport d’expert en réplique, le 11 décembre 2019 (pièces 126, 127 et 128 respectivement).

[64] M. Williams a été un témoin critique, qui semblait bien connaître le droit américain, mais moins le droit canadien. Les directives juridiques concernant l’évidence, l’antériorité, la portée excessive et l’inutilité n’étaient pas jointes à ses rapports, et il a semblé, en fait, qu’il n’avait reçu aucune directive sur les concepts juridiques canadiens. J’hésite donc à retenir celles de ses opinions qui concernaient des concepts juridiques canadiens, et je leur accorderai donc fort peu de poids. Comme il a été décrété à l’instruction, la Cour accorde peu ou pas de poids aux parties de son rapport qui reposent sur des preuves inadmissibles obtenues à l’interrogatoire préalable, et non produites par ailleurs à l’instruction.

IV. Brevet 540

A. Aperçu

[65] Le brevet 540 est intitulé « Réaction de Pictet‑Spengler modifiée et produits préparés à partir de cette dernière ». Il a été déposé (PCT) le 14 juillet 2003, publié (PCT) le 5 février 2004 et délivré le 4 mai 2010. Il revendique la priorité sur le fondement du brevet américain 60/460,161 (31 juillet 2002) et du brevet américain 60/460,161 (3 avril 2003), et il viendra à expiration le 14 juillet 2023.

[66] LILLY ICOS, LLC, US est désignée à titre de titulaire, et Mark W. Orme, Michael John Martinelli, Christopher William Doecke, Joseph Matthew Pawlak et Erik Christopher Chelius sont désignés à titre d’inventeurs.

[67] Le mémoire descriptif du brevet commence par la divulgation et se termine par les revendications.

B. Divulgation

[68] La divulgation est divisée en quatre sections : 1) Domaine de l’invention; 2) Contexte de l’invention; 3) Résumé de l’invention; et 4) Description détaillée des modes de réalisation à privilégier.

[69] La section sur le domaine de l’invention indique que l’invention fait référence à une RPS modifiée qui permet d’introduire un deuxième centre stéréogénique dans un composé, et plus particulièrement, à une RPS modifiée qui fournit le diastéréoisomère cis désiré ou le diastéréoisomère trans d’un composé polycyclique ayant deux centres stéréogéniques à un rendement élevé et à un degré élevé de pureté.

[70] La section sur le contexte de l’invention commence en soulignant le fait que les composés qui présentent une activité biologique contiennent généralement au moins un carbone asymétrique, c’est‑à‑dire au moins un centre chiral, et l’importance de synthétiser des stéréoisomères biologiquement actifs tout en réduisant au minimum les stéréoisomères moins actifs ou en éliminant la synthèse de ces derniers. On y énonce les avantages de la pureté stéréochimique et optique ainsi que de la synthèse stéréosélective. Dans la section, il est aussi mentionné que de nombreux composés contiennent deux centres stéréogéniques, dans lesquels les substituants des atomes de carbone asymétriques autres que l’hydrogène peuvent être dans une configuration cis ou trans, et que l’un des problèmes de la synthèse de ces composés biologiquement actifs est d’obtenir un rendement élevé et une préparation de grande pureté d’un stéréoisomère en particulier, lequel est le stéréoisomère désiré. Il faut une voie de synthèse qui permette l’obtention de la bonne stéréochimie, d’un rendement élevé du diastéréoisomère désiré en le moins d’étapes possibles, et à l’aide d’une séparation et d’une purification minimales des diastéréoisomères et, cela sous-entend que les étapes de la séparation et de la purification des diastéréoisomères sont des étapes obligées dans une voie de synthèse, même idéale.

[71] Dans la section, on poursuit en analysant le brevet américain 5,859,006 (le brevet 006) qui divulgue la synthèse d’un composé I qui a deux atomes de carbone asymétriques, chacun surmonté d’un astérisque, où les substituants de ces atomes de carbone autres que l’hydrogène ont une configuration cis. La section présente en détail deux voies décrites dans le brevet 006 où l’intermédiaire important de la synthèse du composé I est le composé II. Elle contient des renvois, notamment, à une [traduction] « étape de séparation » (page 2, ligne 18), à une [traduction] « séparation de diastéréoisomères » (page 3, ligne 15), à une [traduction] « étape de séparation » (page 4, ligne 21) et à un [traduction] « produit de séparation » difficile (page 10, ligne 14).

[72] La voie A est constituée de quelques étapes, mais le rendement est faible, nécessite une étape où on sépare le composé du stéréoisomère trans et fait appel à l’acide trifluoroacétique (ATF). La voie B offre un meilleur rendement, mais demande de nombreuses étapes de synthèse. L’une des étapes clés de la synthèse du composé I est la préparation du composé II par la voie de synthèse A, qui est plus courte, à l’aide de la RPS et d’ester méthylique de d‑tryptophane et de pipéronal dans le dichlorométhane en milieu acide à 4 degrés Celsius, et par l’obtention de l’isomère cis par cristallisation fractionnée dans une proportion de 42 % (rendement).

[73] À la fin de la section sur le contexte de l’invention, il est mentionné qu’une RPS modifiée qui améliore considérablement la diastéréosélectivité de la réaction, de sorte à surmonter les inconvénients d’un recours à l’ATF, d’une durée de réaction longue et d’une séparation difficile du produit, constituerait un progrès technique.

[74] Le résumé de l’invention, selon ce qui est allégué, aurait trait à une méthode permettant de préparer le diastéréoisomère désiré, cis ou trans, d’un composé polycyclique ayant deux atomes de carbone asymétriques dans les cycles. Dans le résumé, il est dit que la méthode fournit un bon rendement, raccourcit la durée de réaction, permet d’éviter le recours à l’ATF, utilise un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble et le diastéréoisomère non désiré est soluble, et permet un équilibre qui augmente le rendement du diastéréoisomère désiré aux dépens de celui qui est non désiré.

[75] La section sur le résumé de l’invention décrit aussi les modes de réalisation à privilégier, et indique que la RPS est réalisée dans un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble et le diastéréoisomère non désiré est soluble, utilise un réactif de départ qui est non n-substitué, par exemple le tryptophane, et permet d’éliminer le recours à l’ATF. Il est précisé, à deux reprises, que le choix du bon solvant relève tout à fait de la compétence de la personne versée dans l’art (page 13, lignes 18 à 20; page 14, lignes 24 à 27) et il a été établi que l’alcool isopropylique solubilise le diastéréoisomère non désiré et fait précipiter le diastéréoisomère désiré, et qu’un équilibre en résulte. On ajoute aussi que la différence de solubilité permet de séparer rapidement et facilement le diastéréoisomère désiré de celui qui est non désiré, et que l’état d’équilibre permet à ladite séparation d’être plus complète (page 14, lignes 14 et 19). On y montre un exemple de l’invention dans lequel chaque étape comprend une filtration. Je prends particulièrement note du fait que le produit de la RPS est isolé par cristallisation et par filtration.

[76] Enfin, on énonce les quatre étapes d’un exemple détaillé d’une préparation du composé I. Dans l’étape 2 du procédé, qui est la RPS, selon la divulgation, je note qu’il faut préférer un ensemencement de 0,05 % à 0,25 % du composé II, en fonction du poids du chlorhydrate d’ester méthylique de d‑tryptophane pour induire une cristallisation, et qu’il faut refroidir le mélange réactionnel à 0 ⸰C avant de filtrer, laver et sécher le solide recueilli. Dans cette étape, la divulgation présente aussi des variantes des solvants pouvant être utilisés.

[77] Je remarque notamment que le dernier paragraphe de la divulgation se lit comme suit : [TRADUCTION] « De toute évidence, de nombreuses modifications et variations de l’invention exposées précédemment peuvent être mises en œuvre tout en respectant l’esprit et le champ d’application de celle‑ci, et, par conséquent, seules ces limites doivent être imposées comme il est indiqué dans les revendications de l’annexe ».

C. Revendications

[78] Le mémoire descriptif du brevet 540 se termine par 12 revendications, dont 8 sont en litige, car Lilly revendique les revendications 1, 3–4, 7–10 et 12. Les revendications 1, 7 et 12 sont indépendantes et le reste de celles qui sont en litige sont dépendantes de l’une de ces revendications indépendantes.

[79] Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation des revendications indépendantes 1, 7 et 12, et leur désaccord trouve écho dans les revendications dépendantes. Comme l’a fait remarquer Apotex, dans une situation qui paraît quelque peu étrange, Lilly, la titulaire du brevet, demande à la Cour de s’écarter du libellé explicite des revendications, tandis qu’Apotex lui demande de s’y conformer.

[80] Je vais passer en revue le droit de l’interprétation des revendications et décider comment la personne versée dans l’art lirait chacune des revendications et la manière dont il faudrait les interpréter.

V. Interprétation des revendications

A. La date pertinente pour l’interprétation des revendications

[81] Pour ce qui est de l’interprétation des revendications du brevet 540, la date pertinente est celle de la publication, soit le 5 février 2004.

B. Droit de l’interprétation des revendications

(1) Introduction

[82] Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets. La première partie est une divulgation dans laquelle le breveté doit « décrire d’une façon […] complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur », « exposer clairement les diverses phases d’un procédé […] dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner […] l’invention », et dans le cas d’un procédé, « expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions ». Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Whirlpool (au para 42), la divulgation est ce que l’inventeur fournit en échange d’un monopole, de maintenant 20 ans, sur l’exploitation de l’invention.

[83] On peut faire respecter le monopole, de sorte qu’il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif » (Loi sur les brevets, art 27(4)).

[84] L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation (Whirlpool, au para 42; Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 aux para 122–123). L’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même (Free World Trust, au para 51).

[85] Les revendications ne doivent pas être interprétées à l’aide d’une preuve extrinsèque, sauf pour ce qui est des connaissances générales que la personne versée dans l’art à qui il s’adresse possède déjà. En décembre 2018, une autre exception a été introduite avec l’ajout de l’article 53.1 à la Loi sur les brevets. Cette disposition prévoit une exception limitée selon laquelle, dans toute action relative à un brevet, toute partie des communications échangées entre le titulaire du brevet et le Bureau des brevets peut être admise en preuve, mais seulement pour réfuter une déclaration faite par le titulaire du brevet dans le cadre de l’action (Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2019 CF 1233 au para 68 [Canmar]).

(2) Une seule et même interprétation à toutes les fins

[86] Dans une poursuite relative à un brevet, la première étape consiste à interpréter les revendications. Cette interprétation précède l’examen des questions liées à la validité et à la contrefaçon et elle demeure la même à toutes les fins (Free World Trust, aux para 33‑50; Whirlpool, aux para 42‑43; AstraZeneca CSC, au para 31).

[87] Cela a été clairement établi dans l’arrêt Whirlpool, où les appelantes avaient soutenu que les deux examens ‑ celui de la validité et celui de la contrefaçon ‑ étaient distincts, et que si les principes d’« interprétation téléologique » découlant de l’arrêt Catnic Components Ltd v Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183 (UKHL) [Catnic] devaient être adoptés, leur application devait à juste titre être limitée aux questions de contrefaçon. Le principe « d’interprétation téléologique », faisaient‑elles valoir, n’avait aucun rôle à jouer dans la détermination de la validité. La CSC a rejeté cet argument, car l’accepter aurait pu faire en sorte que l’interprétation des revendications lorsqu’il est question de validité soit différente de celle donnée lorsqu’il est question de contrefaçon, contrairement à la règle fondamentale d’interprétation des revendications voulant que les revendications reçoivent une seule et même interprétation à toutes les fins (Whirlpool, au para 49).

[88] Une revendication ne peut être interprétée en fonction du mécanisme que l’on prétend contrefait lorsqu’il est question de contrefaçon, ou en fonction de l’art antérieur lorsqu’il est question de validité afin d’en éviter les effets (Dableh c Ontario Hydro, [1996] 3 CF 751 (CAF)).

[89] L’interprétation des revendications est une question de droit pour le juge. Le rôle de l’expert n’est pas d’interpréter les revendications du brevet, mais de permettre au juge de le faire de manière éclairée; la preuve d’expert au sujet de l’interprétation d’une revendication de brevet est admise, mais elle n’est pas obligatoire (Whirlpool, au para 61; Purdue Pharmac Canada (Procureur général) 2011 CAF 132 au para 16). Les revendications doivent être interprétées par la personne versée dans l’art, en date de la publication, sur la base de ses connaissances générales courantes.

[90] Enfin, les règles fondamentales du droit en matière d’interprétation des revendications ont été énoncées par la CSC dans les arrêts Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504 aux p 520–525, Free World Trust et Whirlpool. Bien qu’ils portent sur des brevets régis par une version antérieure de la Loi sur les brevets, ces arrêts trouvent à s’appliquer (voir par exemple Cobalt Pharmaceuticals Company c Bayer Inc, 2015 CAF 116 [Cobalt]).

(3) Interprétation téléologique : éléments essentiels et non essentiels

[91] Dans les arrêts Whirlpool et Free World Trust, la CSC a retenu la méthode de l’interprétation téléologique. Ce faisant, elle a rejeté la méthode d’interprétation des brevets dite en « deux volets », où les tribunaux commençaient par se demander si, suivant une interprétation littérale, le mécanisme soi-disant contrefaisant incorporait l’invention brevetée et, si tel n’était pas le cas, examinaient ensuite si l’appareil incorporait l’« essentiel » ou la « substance » de l’invention (Canamould Extrusions ltd c Driangle inc 2004 CAF 63 au para 20 [Canamould Extrusions]).

[92] L’approche en une seule étape, ou téléologique, a été privilégiée, car « plus grand est le pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal de rechercher ‘l’esprit de l’invention’ au‑delà du libellé des revendications, moins les revendications peuvent jouer leur rôle d’information du public et plus l’incertitude et l’imprévisibilité qui en résultent malheureusement sont grandes » (Free World Trust, au para 50). Cette approche, tel que l’a énoncée lord Diplock dans l’arrêt Catnic, nécessite une « interprétation fondée sur l’objet » du brevet. Elle a été appliquée par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Eli Lilly & Co c O’Hara Manufacturing Ltd (1989), 26 CPR (3rd) 1 (CAF).

[93] Dans l’arrêt Whirlpool, la CSC a déclaré que l’interprétation téléologique consiste à bon droit à interpréter les mots des revendications de façon éclairée et en fonction de l’ensemble du mémoire descriptif; cette interprétation favorise l’atteinte de l’objectif d’une interprétation des revendications du brevet qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. La CSC a précisé que l’interprétation téléologique repose sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention (aux para 49, 45).

[94] En fait, les éléments d’une revendication sont censés être essentiels, et il incombe à la partie qui prétend le contraire d’en établir le caractère non essentiel (Mediatube Corp c Bell Canada, 2017 CF 6 au para 33 [Mediatube]).

[95] Dans l’arrêt Free World Trust, la CSC a fourni d’autres indications sur la façon de distinguer les éléments essentiels des éléments non essentiels des revendications. Je remarque que ces indications ont surtout été données alors que la cour examinait les questions de contrefaçon, et seulement après qu’elle a interprété les revendications, aux paragraphes 20–23. L’on comprend que la CSC donne ainsi des indications à la fois sur la façon de distinguer les éléments essentiels des éléments non essentiels, dans le contexte de l’interprétation des revendications, et sur l’incidence que cette distinction a sur l’analyse relative à la contrefaçon. Ces deux aspects semblent entremêlés et, au paragraphe 55, la CSC confirme que les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon). Ainsi, si un élément est jugé essentiel, sa substitution aura pour effet de placer le défendeur à l’extérieur du champ du monopole et il n’y aura pas de contrefaçon.

[96] Comme la Cour doit interpréter les revendications sans se préoccuper des questions de contrefaçon ou de validité, je me contenterai donc pour l’instant de préciser les facteurs de l’arrêt Free World Trust qui orienteront cette interprétation. Il est important de mentionner que le libellé des revendications montrera, suivant une interprétation téléologique, que certains éléments de l’invention revendiquée sont essentiels alors que d’autres ne le sont pas. Suivant le paragraphe 31 de l’arrêt Free World Trust, les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

i. en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève le brevet;

ii. à la date à laquelle le brevet est publié;

iii. selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

iv. conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

v. mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

[97] La CSC a examiné chacun de ces cinq facteurs aux paragraphes 51 à 67 de sa décision.

[98] Ayant examiné les facteurs iii et iv, la CSC a confirmé que, pour qu’un élément soit jugé non essentiel, il faut établir que i) suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur na manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que ii) à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c’est‑à‑dire que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative (Free World Trust, au para 55).

[99] La CSC a renvoyé à l’arrêt Improver Corp c Remington Consumer Products Ltd, [1990] FSR 181 (Pat Ct), et cité le juge Hoffmann, qui lui‑même citait l’arrêt Catnic, et ses trois questions, maintenant appelées les questions de l’arrêt Improver :

i. La variante influence‑t‑elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :

ii. Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait‑il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative :

iii. L’expert du domaine conclurait‑il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

[100] Il ne semble pas, comme Lilly l’a indiqué lors de la présentation orale de ses conclusions finales, que les trois questions du juge Hoffmann avaient pour but d’[traduction] « établir un critère qui permettrait à la Cour de décider ce qui fonctionnerait essentiellement de la même façon et mènerait essentiellement au même résultat ». Il semble que ces questions aient été formulées d’abord et avant tout pour aider la Cour à déterminer les éléments essentiels et non essentiels des revendications. Dans l’arrêt Canamould Extrusions, la CAF a relevé le commentaire du juge Hoffmann formulé à la page 190 de l’arrêt Improver, où il indiquait essentiellement que les deux premières questions ne portent pas principalement sur l’interprétation, qu’elles apportent un contexte factuel, que les réponses qu’on y donne ne sont pas décisives et que c’est la troisième question, sur l’intention du breveté, qui soulève la question de l’interprétation.

[101] Le juge Scott dans la décision Hollick Solar Systems Ltd c Matrix Energy Inc, 2011 CF 1213 aux paragraphes 54‑82, et le juge Locke dans la décision Mediatube, aux paragraphes 33‑34 et 52, ont tous deux appliqué l’arrêt Improver dans leur interprétation des revendications pour dégager les éléments essentiels et les éléments non essentiels de celles‑ci.

[102] S’agissant de l’intention de l’inventeur, la CSC a indiqué que « [l]es tribunaux reconnaissent que la langue comporte des pièges et ils font ce qu’ils peuvent pour accorder à l’inventeur [TRADUCTION] ‘l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi’ (Western Electric, précité, à la p 574), mais jusqu’à un certain point ». Citant la CAF, la CSC a ajouté que le tribunal doit interpréter les revendications; il ne peut les réécrire. Lorsqu’un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu’il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu’il se trompait (Free World Trust, aux para 58–59).

[103] Le juge Hoffmann a souligné ce point dans l’arrêt Improver, où il a conclu que [traduction] « [m]ême une interprétation téléologique de la formulation du brevet peut conduire à la conclusion que, même si la variante n'avait pas d'effet important et si cela avait été évident à l'époque, le breveté pour une raison quelconque restreignait sa revendication à la signification primaire et excluait la variante. Autrement, il n'y aurait aucune raison de poser la troisième question » (p 190). Il vaut la peine de mentionner qu’il est arrivé à cette conclusion même si le brevet en cause contenait une [traduction] « clause d’équivalence ».

(4) Interprétation téléologique : les mots du breveté

[104] Les mots choisis par l’inventeur sont interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Encore une fois, les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon ce qu’entend une personne versée dans l’art, à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes.

[105] Les tribunaux ont traditionnellement protégé les brevetés contre les effets d’un littéralisme excessif. Il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif (Whirlpool, au para 52). Pour interpréter les revendications de manière téléologique, la cour doit examiner le mémoire descriptif du brevet pour trouver le sens d’un mot avant de consulter les dictionnaires. Le breveté doit être son propre lexicographe (Kramer c Lawn Furniture Inc [1974] ACF no 100 (CFPI); Pfizer Canada c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725 au para 19; Minerals Separation North American Corp v Noranda Mines Ltd (1952), 15 CPR (1st) 133 aux p 144–145 (CP)).

[106] Le mémoire descriptif du brevet [traduction] « ne s’adresse pas à des grammairiens, à des étymologistes ou au public en général, mais à des individus compétents suffisamment versés dans l’art auquel se rapporte le brevet pour leur permettre d’apprécier sur le plan technique la nature et la description de l’invention » (H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed, (Toronto : Carswell, 1969), à la p 185). Pour reprendre les mots de M. Fox, la Cour doit se mettre [traduction] « dans la position d’une personne au fait de l’état de la technologie et du processus de fabrication à l’époque en cause, et elle doit s’informer du sens technique qu’un seul ou plusieurs mots particuliers peuvent avoir dans cette technologie ou ce processus de fabrication » (Whirlpool, au para 53). La CAF a récemment cité ce passage de l’arrêt Whirlpool dans l’arrêt AFD Petroleum Ltd c Frac Shack Inc, 2018 CAF 140 au para 60.

[107] Cependant, « l’approche téléologique n’invite pas la Cour à ignorer les règles courantes de la grammaire et de la syntaxe » (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 181 au para 45, conf 2013 CF 947).

[108] Alors que dans l’arrêt Free World Trust, la Cour suprême a adopté la méthode d’interprétation téléologique, elle a aussi confirmé que la Loi sur les brevets, dans sa version en vigueur à l’époque, favorise le respect de la teneur des revendications.

[109] Dans le récent arrêt Tearlab c I‑MED Pharma Inc, 2019 CAF 179 au para 47 [Tearlab CAF], la CAF a approuvé l’interprétation du juge de première instance et son respect de la teneur des revendications. Le juge avait refusé d’ajouter des limites qui n’étaient pas expressément prévues et s’était concentré sur les revendications sans les réécrire. La CAF a également rappelé que, même s’il faut tenir compte du mémoire descriptif du brevet pour comprendre le sens qu’étaient censés avoir les mots employés dans les revendications, il faut veiller à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et […] interprétée » (aux para 32–34).

[110] Dans l’arrêt Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30, [Hospira CAF], la CAF n’a pas non plus relevé d’erreur dans la décision du juge de la Cour fédérale de donner aux mots employés dans les revendications leur sens ordinaire et de s’aider du mémoire descriptif pour les interpréter compte tenu des arguments soulevés par les appelantes. Dans ce cas particulier, les appelantes, qui étaient poursuivies pour contrefaçon, cherchaient à limiter la portée des revendications alors que celles‑ci ne contenaient aucune restriction explicite, et que la divulgation le confirmait.

(5) Différenciation des revendications

[111] Le concept de la différenciation repose sur la prémisse que les revendications d’un brevet sont rédigées de manière à ne pas être redondantes et que chacune d’elles a une portée différente (Donald Cameron, Canadian Patent Law Benchbook, 3rd Ed, (Toronto : Thomson Reuters, 2019); Halford c Seed Hawk Inc, 2004 CF 88, conf par 2006 CAF 275). La présomption réfutable selon laquelle les revendications ne sont pas redondantes a d’abord été appliquée à l’égard d’une revendication et de ses revendications dépendantes (Apotex Inc c Lundbeck Canada Inc, 2010 CAF 320 au para 110; Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188; ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2020 CF 486 au para 56). Elle s’applique à présent aussi aux revendications indépendantes (Camso Inc c Soucy International Inc, 2019 CF 255 aux para 103, 186–190).

[112] Le concept de la différenciation permet de déterminer si un élément de la revendication est essentiel. Ainsi, lorsque deux revendications diffèrent l’une de l’autre à un seul égard, il est difficile de prétendre que l’on n’a pas fait de la caractéristique différente un élément essentiel de la revendication (Whirlpool, au para 79). Il serait étrange que l’inventeur ait voulu que deux revendications soient redondantes.

[113] Si une caractéristique essentielle d’un brevet est définie de manière spécifique, et qu’un autre terme plus général susceptible d’englober cette caractéristique spécifique est aussi employé, normalement l’on ne déduira pas que les deux termes veulent dire la même chose. L’utilisation de termes différents sert habituellement à distinguer les caractéristiques les unes des autres et non à exprimer une synonymie (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co Ltd, 2013 CF 947 au para 29, conf 2015 CAF 181).

C. Personne versée dans l’art

[114] Le brevet doit être interprété du point de vue de la personne versée dans l’art qui n’est pas un inventeur (Beloit Canada Ltd c Valmet OY [1986] ACF no 87 (CAF) [Beloit]). Les parties n’ont pas de profond désaccord quant à savoir qui, en l’espèce, est la personne versée dans l’art. Pour Lilly, cette personne est un chimiste organicien ayant de l’expérience en chimie organique synthétique (mémoire des conclusions finales de Lilly, à la p 6). Pour Apotex, cette personne est un chimiste ou un ingénieur chimiste chargé de la synthèse et de la fabrication de substances médicamenteuses (mémoire des conclusions finales d’Apotex, à la p 12). Les parties conviennent essentiellement que le brevet 540 s’adresse à un chimiste ou à un ingénieur chimiste travaillant dans le secteur pharmaceutique et chargé de la synthèse et de la fabrication de substances médicamenteuses.

[115] Lilly soutient que le désaccord entre les parties réside principalement dans l’approche grammairienne qu’Apotex cherche à ajouter à l’interprétation téléologique, en faisant référence notamment à des gérondifs ou à des mots d’action. Elle insiste pour dire que la personne versée dans l’art n’est pas un grammairien ou un membre du public. Je conviens avec Apotex que la personne versée dans l’art, même si elle n’est pas un grammairien, est un chimiste ou un ingénieur chimiste et elle aurait quand même suivi des cours de grammaire à l’école secondaire.

D. Art antérieur

[116] L’art antérieur s’entend « de l’ensemble du savoir dans le domaine du brevet en cause » et comprend « tout enseignement accessible au public, aussi obscur ou peu accepté soit‑il » (Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119 au para 23 [Mylan Pharmaceuticals CAF]).

[117] L’arrêt Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited’s c SNF Inc., 2017 CAF 225 au para 56 [Ciba CAF] confirme que l’état de la technique est simplement un autre terme pour désigner l’art antérieur. Je peux donc employer l’un ou l’autre de ces termes dans les présents motifs. La CAF a récemment conclu qu’aucune antériorité accessible au public ne doit être exclue de l’art antérieur pour la simple raison qu’elle n’a pas pu être localisée à la suite d’une recherche diligente et raisonnable (Hospira CAF, au para 86).

[118] Dans la présente affaire, Apotex a indiqué que la demande 594 est l’élément de l’art antérieur sur lequel reposent les allégations d’antériorité, et que le brevet 377 (ou son équivalent américain, le brevet 006) et la demande 594 sont les antériorités qui fondent les allégations d’évidence.

[119] Lilly ne conteste pas les antériorités invoquées par Apotex, mais elle souhaite introduire la demande 2,411,008 (la demande 008) – en tant qu’élément de l’art antérieur – pour les besoins de l’analyse relative à l’évidence. Elle soutient que cette demande n’oriente pas le lecteur vers l’invention, parce qu’on y divulgue que le rendement de la RPS d’un dérivé du tryptophane dans l’alcool isopropylique comme solvant est faible. Bien qu’il incombe à la personne qui allègue l’évidence de faire ressortir ces éléments particuliers de l’art antérieur, cela ne lui donne pas « toute latitude afin de définir l’état de la technique antérieur » (Frac Shack Inc. c AFD Petroleum Ltd, 2018 CF 1047 au para 54, inf en partie pour d’autres motifs 2018 CAF 140). Lilly a donc le droit d’invoquer la demande 008 en tant qu’élément de l’art antérieur.

(1) Demande 594

[120] La demande 594, déposée par Lilly ICOS LLC, US, est intitulée « Composés chimiques ». Les inventeurs mentionnés dans la demande sont Mark W. Orme, Jason Scott Sawyer, Lisa M. Schultze, Alain Claude‑Marie Daugan et Francoise Gellibert. La demande a été déposée le 15 mai 2001, revendiquant la priorité sur le fondement du brevet américain 60/213,647, déposé le 23 juin 2000. Au Canada, elle a été publiée pour la première fois le 3 janvier 2002. Le brevet 594 a été délivré le 17 mars 2009, soit après la date de priorité pertinente du brevet 540, de sorte que seule la demande publiée avant cette date fait partie de l’art antérieur.

[121] La demande 594 décrit la préparation de plusieurs composés inhibant la PDE5, notamment un analogue du tadalafil.

[122] Apotex invoque la préparation de l’intermédiaire 1 de l’exemple 2 à la page 34 de cet élément d’antériorité pour attaquer la validité des revendications 1, 3 et 4 du brevet 540, pour cause d’antériorité, et pour attaquer la validité de toutes les revendications invoquées, pour cause d’évidence. Une RPS est divulguée. En bref, le chlorhydrate de D‑tryptophanate initialement mis en suspension réagit avec le pipéronal dans l’acide acétique et l’eau dans une proportion de 50:1. La suspension résultante est refroidie, puis on ajoute des antisolvants, avant d’isoler le diastéréoisomère désiré, qui est le cis. Apotex affirme que la suspension résultante indique que le diastéréoisomère désiré cis a cristallisé, alors que Lilly nie que la demande 594 révèle que la suspension est le diastéréoisomère désiré cis et soutient qu’il n’y a aucune divulgation sur la consistance de la suspension.

(2) Brevet 377

[123] Le brevet 377 est intitulé « Dérivés tétracycliques, leurs procédés de préparation et leur utilisation ». Le nom de l’inventeur du brevet est Alain Claude‑Marie Daugan. La demande a été déposée le 9 janvier 1995, et revendiquait la priorité sur le fondement du brevet 9401090.7, déposé le 21 janvier 1994 au Royaume‑Uni. Au Canada, elle a été publiée le 27 juillet 1995, et le brevet a été délivré le 28 mai 2002. Aux États‑Unis, il est appelé « brevet 006 ».

[124] De manière informelle, les parties désignent le brevet canadien 377 et le brevet américain 006 comme étant le brevet Daugan. Apotex y a recours pour attaquer la validité de toutes les revendications invoquées dans le brevet 540 pour cause d’évidence. Le brevet 377 décrit un procédé, à l’étape des intermédiaires 54 et 55 à la page 23 et des intermédiaires 67 et 68 à la page 25, où le D‑tryptophanate de méthyle réagit avec le pipéronal dans le dichrométhane en présence d’acide trifluoroacétique. Il décrit aussi des réactions qui convertissent le diastéréoisomère trans non désiré, ou un mélange de cis et de trans, en cis ou en un mélange en présence d’un acide dans certaines conditions à l’étape de l’intermédiaire 69 de la page 26.

(3) Demande 008

[125] La demande 008, déposée par Lilly ICOS LLC, US, est intitulée « Dérivés de 2,3,6,7,12,12A‑hexahydropyrazino [1’,2’:1,6] pyrido [3,4‑B] indole‑1,4‑dione ». Les inventeurs cités dans la demande sont Mark W. Orme, Jason Scott Sawyer et Alain Claude‑Marie Daugan. La demande a été déposée le 15 mai 2001, et revendiquait la priorité sur le fondement du brevet 60/210,137 déposé le 7 juin 2000 aux États‑Unis.

[126] Au Canada, elle a été publiée pour la première fois le 13 décembre 2001. La demande 008 décrit la préparation d’un certain nombre de composés inhibant la PDE5, notamment d’un analogue du tadalafil, mais présentant un groupe hydroxyle sur le cycle benzène. En premier lieu, une RPS est nécessaire. Le 5‑hydroxy‑DL‑tryptophane réagit avec du pipéronal dans le dichlorométhane en présence d’acide trifluoroacétique qui agit à titre de catalyseur.

[127] Lilly invoque cette antériorité dans le contexte de l’analyse relative à l’évidence pour soutenir qu’elle nous éloigne du brevet 540, car le rendement de la RPS dans l’alcool isopropylique comme solvant est faible et la réaction n’est pas stéréosélective.

E. Connaissances générales courantes

[128] Les connaissances générales courantes ne s’entendent pas de tous les renseignements qui se trouvent dans le domaine public. Il s’agit plutôt de connaissances que possède généralement la personne versée dans l’art ou la science dont relève le brevet à la date pertinente (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219 aux para 63–65 [Bell Helicopter Textron]).

[129] L’évaluation des connaissances générales courantes est régie par les principes énoncés dans la décision Eli Lilly & Co c Apotex Inc, 2009 CF 991 au para 97 [Eli Lilly 2009], conf 2010 CAF 240, citant General Tire & Rubber Co v Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (UKHL) aux p 482–483 :

1) Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, bien qu’il soit peu vraisemblable qu’il soit consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.

2) Les mémoires descriptifs individuels de brevet et leur contenu ne font habituellement pas partie des connaissances générales courantes pertinentes, bien qu’il puisse y avoir des mémoires descriptifs connus au point de faire partie des connaissances générales courantes, particulièrement dans certaines industries.

3) Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article donné. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée d’emblée par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.

4) Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans un art en particulier.

[130] En d’autres mots, comme l’indique l’arrêt Mylan Pharmaceuticals CAF, « les connaissances générales courantes […] s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré […] » (au para 24). Contrairement à l’art antérieur, qui est une catégorie générale regroupant tous les renseignements précédemment divulgués dans le domaine, un élément d’information ne fait partie des connaissances générales courantes que si une personne versée dans l’art en est informée et qu’elle reconnaît cette information comme constituant [traduction] « un bon fondement pour les actions à venir ».

[131] Les connaissances générales courantes d’une personne versée dans l’art ne peuvent être présumées; elles doivent plutôt être prouvées par une preuve factuelle selon la prépondérance des probabilités (Eli Lilly 2009, au para 109).

[132] La date pertinente pour évaluer les connaissances générales courantes aux fins de l’interprétation des revendications est celle de la publication, soit le 5 février 2004. Cependant, la date pertinente pour évaluer les connaissances générales courantes aux fins de l’analyse sur l’évidence et l’antériorité est celle de la revendication, soit le 31 juillet 2002.

[133] M. Laird, l’expert de Lilly, a décrit les connaissances générales courantes comme étant les suivantes, à l’exception du dernier point :

· À l’origine, un procédé chimique menant vers un produit médicinal ayant un faible rendement pourrait être acceptable, et pour augmenter le rendement, il existe principalement trois solutions : 1) utiliser une voie de synthèse différente et meilleure donnant l’ingrédient pharmaceutique actif; 2) recourir à une voie différente et meilleure qui mène vers un intermédiaire clé de l’ingrédient pharmaceutique actif; 3) améliorer la voie de synthèse chimique donnant un produit médicinal en changeant le réactif, en ajoutant certains réactifs, en changeant la vitesse des réactions d’addition, en réorganisant les étapes ou en changeant les conditions de réaction.

· Le découvreur d’une molécule pourrait aussi chercher à revendiquer le procédé pour fabriquer un analogue dans l’espoir que ce dernier puisse avoir une meilleure activité et des propriétés médicinales plus acceptables.

· L’objectif est d’obtenir un rendement et une pureté acceptables de l’ingrédient pharmaceutique actif de façon rentable, par une méthode robuste, que l’on peut mettre à l’échelle, polluant peu et que des non-chimistes peuvent mettre en œuvre.

· La stéréochimie est importante et les propriétés des stéréoisomères sont souvent différentes. La RPS donnerait un mélange de diastéréoisomères.

· Dans un commentaire sur la conversion de la tétrahydro‑β‑carboline en tadalafil, M. Laird souligne que le brevet 377 décrit le procédé, et que le procédé de la demande 594 sert à fabriquer un analogue. Il affirme aussi que le brevet 377 divulgue un procédé dans lequel le diastéréoisomère cis est plus soluble.

· La cristallisation à grande échelle est une opération délicate, et il est difficile de cristalliser un mélange et d’obtenir un rendement élevé. Les diastéréoisomères purs ne s’obtiennent qu’après de multiples cristallisations.

· Dans un solvant protique, on a peu de maîtrise sur la stéréochimie dans une RPS, et M. Laird nous a cité la demande 008 comme un exemple d’une RPS réalisée dans l’alcool isopropylique, lequel est un solvant protique associé à une faible stéréosélectivité. Il estime donc que la personne versée dans l’art saurait que la RPS peut être réalisée en milieu aqueux dans des conditions acides ou aprotiques. J.M. Cook a examiné les publications et a constaté qu’une RPS peut être réalisée dans un milieu aprotique. P.D. Bailey a aussi étudié le tryptophanate de méthyle mis en présence d’aldéhyde et a remarqué que certaines réactions en milieu aprotique peuvent donner une proportion cis-trans de 80:20, ce qui représente un bon ratio en milieu universitaire, mais un moins bon ratio du point de vue commercial. Bailey a aussi noté que les températures élevées favorisaient la formation du stéréoisomère trans, lorsqu’on utilise le L‑tryptophane. En se référant au brevet 377, M. Laird mentionne que le stéréoisomère trans semble moins soluble que le cis. De son avis, le brevet 377 indique que le stéréoisomère trans se transformerait en un mélange de stéréoisomères cis et trans, et ce, même si Bailey a observé que le dérivé N‑benzylique du tryptophane cis est converti en trans, un dérivé que M. Laird reconnaît comme étant chimiquement différent du tryptophane.

[134] M. Anderson, l’expert d’Apotex, n’avait pas d’avis précis sur ce que sont les connaissances générales courantes, mais a répondu aux questions portant sur ce qu’un chimiste de procédés versé dans l’art ferait dans une situation donnée, le 31 juillet 2002 :

· Pour adapter un procédé de synthèse utilisé pour fabriquer un ingrédient pharmaceutique actif à l’échelle commerciale, un chimiste versé dans l’art chercherait à optimiser la sécurité, la fiabilité, la rentabilité, l’efficience, le rendement et l’incidence sur l’environnement du procédé et la pureté du produit;

· Pour adapter le procédé à une échelle commerciale, en général, le chimiste modifierait, ferait varier ou substituerait le procédé de synthèse, les réactifs ou les solvants, les températures auxquelles les réactions ont lieu ainsi que la façon dont le produit est isolé et le nombre d’étapes;

· Si le procédé décrit aux pages 25 et 26 du brevet 377 était donné à un chimiste de procédés versé dans l’art pour être adapté, ce dernier : 1) préférerait de loin employer un autre acide au lieu de l’acide trifluoroacétique; 2) réduirait au minimum le nombre d’extractions et le volume de solvant requis; 3) réduirait le nombre ou éliminerait complètement les étapes requérant le transfert d’un solvant; 4) cristalliserait le diastéréoisomère cis en premier; et 5) éviterait de recourir à l’éther isopropylique;

· Si le procédé décrit à la page 34 de la demande 594 était donné à un chimiste versé dans l’art pour être adapté, ce dernier s’efforcerait d’augmenter le rendement du produit désiré et de réduire la durée des réactions pour accroître le rendement espace-temps, entre autres en améliorant le choix du solvant et des réactifs et en réduisant, si possible, les étapes servant à l’isolement du produit par cristallisation.

F. Revendications exigeant une interprétation

(1) Introduction

[135] Comme il a été mentionné précédemment, les revendications indépendantes exigeant une interprétation sont les revendications 1, 7 et 12. Plus précisément, l’interprétation portera particulièrement « là où le bât blesse » (Cobalt, au para 83).

(2) Interprétation des revendications 1, 3 et 4

(a) La revendication contestée

[136] La revendication 1 est une revendication indépendante, et les revendications 3 et 4, aussi invoquées, figurent parmi les revendications dépendantes. La revendication 1 est reproduite ci‑après :

Une méthode de préparation d’un diastéréoisomère cis désiré d’une tétrahydro‑β‑carboline dont la formule est

et comprend les étapes suivantes :

a) produire un tryptophane estérifié à l’aide d’un alcool ayant la formule R2 OH où R2 est choisi parmi les groupements suivants : méthyle, éthyle, isopropyle, n‑propyle, n‑butyle, sec‑butyle, t‑butyle et mélanges de ces groupements;

b) faire réagir, le tryptophanate de l’étape a) avec un aldéhyde de formule R1CHO, où R1 est un pipéronyl, pour obtenir le diastéréoisomère désiré et un diastéréoisomère non désiré, par une réaction ayant lieu dans un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure et le diastéréoisomère non désiré est soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure; et

c) séparer le diastéréoisomère désiré insoluble du diastéréoisomère non désiré qui est soluble.

[137] Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation de la revendication 1. J’ai souligné les mots ou la section qui posent problème, c’est‑à‑dire « là où le bât blesse ».

(b) Revendication 1, premier paragraphe : « un diastéréoisomère cis désiré » par opposition à « le diastéréoisomère cis désiré ».

[138] La première question litigieuse concerne l’utilisation de l’article « un » plutôt que « le » par le titulaire du brevet dans le premier paragraphe de la revendication. Malgré leur désaccord, les parties reconnaissent que cette utilisation n’a aucun effet sur l’invalidité ou la contrefaçon. Apotex a confirmé que [traduction] « rien ne pourrait en définitive contredire la bonne interprétation de la phrase « un diastéréoisomère cis désiré d’une tétrahydro‑β‑carboline » dans le cas qui nous concerne, mais l’argument des demanderesses sur ce point illustre une mauvaise démarche de leur part et de la part de M. Laird dans leur interprétation » (Apotex, mémoire des conclusions finales, paragraphe 19). Lilly concède aussi qu’il n’est pas important de souligner le différend qui existe au sujet de l’article défini « le » ou indéfini « un », et de la signification du terme diastéréoisomère cis désiré dans la revendication 1. La revendication 4 se limite au D‑tryptophane de sorte que, seule la version R,R est fabriquée, et Lilly soutient que le contre‑interrogatoire de M. Laird par Apotex sur les articles défini et indéfini n’a aucune pertinence. Malgré ces commentaires formulés dans leur plaidoirie finale respective, les deux parties ont maintenu leur position et ont présenté des observations exhaustives à la Cour sur le sujet.

[139] Selon Lilly, la revendication 1 renvoie à la méthode de production du R,R diastéréoisomère cis à l’aide de D‑tryptophane. Lilly affirme que l’utilisation de l’article indéfini par le titulaire du brevet était dictée par les règles du Recueil des pratiques du Bureau des brevets, et l’utilisation d’un article défini dans les circonstances n’aurait pas été permis, car le nom « diastéréoisomère cis désiré » n’a pas fait l’objet d’une présentation adéquate. Selon Lilly, lorsqu’Apotex suggère que la variante pourrait être R,R ou S,S, il s’agit d’un exemple de la mauvaise méthode adoptée par Apotex comme grammairien.

[140] Apotex soutient que l’utilisation de l’article indéfini « un », plutôt que l’article défini « le », indique que le titulaire du brevet renvoyait, dans la revendication 1, à une méthode de préparation des deux diastéréoisomères cis, c’est‑à‑dire les configurations R,R et S,S, et n’a pas restreint la revendication 1 au diastéréoisomère cis de configuration R,R. Apotex se fonde sur 1) la signification habituelle d’un article indéfini qui renvoie au nom non spécifique qui suit; 2) le fait que la revendication 1b ne précise pas le type de tryptophane qui doit être utilisé, ce qui confirme que la diastéréoisomère cis pourrait être la variante R,R ou S,S puisque différents types de tryptophane donneraient différentes configurations, et ne mène vers aucune stéréochimie précise; et 3) le fait que la revendication 4, qui dépend de la revendication 1, restreint le tryptophane à utiliser à l’étape b au D‑tryptophane, qui aboutirait à la configuration R,R, qui, lorsqu’on applique le principe de la différentiation des revendications, porte à conclure que la revendication I n’est pas limitée à la configuration R,R.

[141] La Cour doit s’efforcer de donner une interprétation qui n’est pas redondante (Camso Inc c Soucy International Inc, 2019 CF 255 aux para 103, 186‑190).

[142] Même si j’adopte la position de Lilly pour ce qui est de l’opportunité d’utiliser un article indéfini, comme le Bureau des brevets le recommande, et que j’accepte ainsi que le diastéréoisomère cis désiré n’a pas été adéquatement présenté dans la divulgation, je ne peux me rallier à la position générale voulant que la revendication 1 ne renvoie qu’à la configuration R,R cis.

[143] Ma décision ne repose pas sur la grammaire, mais sur le fait que 1) la revendication 1b ne précise pas le type de tryptophane à être utilisé, ce qui confirme que le diastéréoisomère cis peut être la variante R,R ou S,S puisque différents types de tryptophane donneraient différentes configurations, ce qui ne mène vers aucune stéréochimie précise; et 2) la revendication 4 , qui est dépendante de la revendication 1, restreint le tryptophane de l’étape b au D‑tryptophane, qui aboutit à la configuration R,R, qui, lorsqu’on applique le principe de la différenciation des revendications, porte la Cour à conclure que la revendication 1 n’est pas redondante.

[144] Cela m’amène à conclure que la revendication 1 vise le diastéréoisomère cis désiré, sans précisément renvoyer à la configuration R,R. Cette configuration R,R est obtenue en utilisant le D‑tryptophane de la revendication 4.

(c) Revendication 1, étape b : solvants

[145] Lilly affirme que la revendication 1b concerne une limite fonctionnelle des solvants couverte par la revendication, et que cette limite fonctionnelle définit un élément essentiel.

[146] Le solvant doit être celui dans lequel le diastéréoisomère cis désiré est essentiellement insoluble, et le diastéréoisomère trans non désiré, soluble, ce qui permet l’interconversion des diastéréoisomères trans en cis, et ainsi, le procédé permet à une grande quantité de diastéréoisomère cis désiré de précipiter. Lilly affirme que le titulaire du brevet a clairement établi qu’il s’agit là d’une exigence primordiale à la réussite de l’invention, que le titulaire du brevet n’a pas à revendiquer de façon précise tous les solvants dans le mémoire descriptif et que ce ne sont pas tous les solvants divulgués dans le brevet qui respectent la limite fonctionnelle énoncée dans la revendication 1b. D’après Lilly, le choix du solvant pour la RPS modifiée en l’espèce se situe dans les compétences de la personne versée dans l’art et est enseigné dans le brevet 540. Lilly attire particulièrement l’attention sur la page 14 de la divulgation, aux lignes 24 à 27.

[147] Apotex ne répond pas directement à l’interprétation de la revendication de Lilly sur le sujet. Cependant, Apotex demande à la Cour de s’en tenir aux mots de la revendication, et insiste sur le fait que rien dans la revendication ne décrit une transformation asymétrique induite par la cristallisation, un état d’équilibre, des rendements élevés, une grande pureté et une réaction rapide.

[148] Je suis d’accord avec Lilly que la revendication 1b concerne une limite fonctionnelle des solvants énoncés, en ce sens que, d’après le libellé de la revendication, le solvant doit être tel que le diastéréoisomère cis désiré y est insoluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure, et le diastéréoisomère trans non désiré y est soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure.

[149] Je souligne que ni Lilly ni son expert n’affirment que les résultats, ou les avantages de la RPS sont des éléments essentiels de la revendication 1. Lilly ne demande pas que l’équilibre cis trans d’une transformation asymétrique induite par la cristallisation, les rendements élevés, la grande pureté, le traitement plus rapide et les étapes moins nombreuses, qui font de la revendication 1, fassent l’objet d’une interprétation. Ces éléments ne font pas l’objet d’une interprétation dans la revendication.

(d) Revendication 1, étape c : phase de séparation contre séparation du mélange

[150] D’après Lilly, la revendication 1c nécessite simplement qu’il y ait une séparation par précipitation ou par cristallisation du diastéréoisomère cis et du diastéréoisomère trans dans le mélange, et la revendication 1c ne comporte pas une étape où l’on sépare physiquement (par filtration ou isolement) le diastéréoisomère cis du mélange. Lilly affirme que le libellé clair de la revendication et du brevet étayent sa position. Elle attire l’attention de la Cour sur les lignes 6 à 23 de la page 14 de la divulgation, où la « séparation » du diastéréoisomère désiré du diastéréoisomère non désiré est mentionnée deux fois dans le même paragraphe. Elle ajoute qu’il s’agit des seules occasions dans le mémoire descriptif où les inventeurs utilisent une forme du mot « séparer » pour décrire l’invention et non l’art antérieur. D’après Lilly, cette interprétation nécessite seulement qu’un diastéréoisomère soit séparé de l’autre, en raison d’une différence de solubilité des produits de réaction de la revendication 1b.

[151] Lilly reconnaît que les mots « séparer » ou « séparation », lorsqu’ils sont utilisés par un chimiste, peuvent signifier un certain nombre de choses, et que les experts ont discuté, à l’audience, du recours au terme « séparation » pour désigner une séparation de phases ou la séparation d’un mélange par chromatographie ou filtration, par exemple. Pour un chimiste, ces deux exemples sont une séparation, mais dans le cas du brevet, Lilly affirme que le titulaire du brevet a indiqué à la page 14 que la séparation signifiait « séparer un composé d’un autre ».

[152] Lilly insiste aussi sur le fait que « séparation » dans le sens de « filtration » n’est pas explicitement mentionné dans les revendications, car cela fait partie des connaissances générales courantes, ce qui explique pourquoi la filtration n’est pas mentionnée dans la revendication 1a et pourquoi les autres revendications du brevet n’incluent pas cette étape de filtration.

[153] Lilly soutient en outre qu’Apotex adopte encore une fois la position d’un mauvais grammairien, car elle a recours à des gérondifs et à des verbes d’action pour décrire des manœuvres humaines, ce qui ne correspond pas au texte de l’ensemble du brevet, et qu’Apotex cherche à faire une certaine interprétation pour éviter la contrefaçon.

[154] Lilly affirme qu’une interprétation téléologique amène à interpréter la revendication 1c comme étant une séparation de phases et que les éléments essentiels de la revendication 1 sont par conséquent ceux que M. Laird a mentionnés dans son rapport.

[155] Subsidiairement, Lilly affirme que, si la revendication 1c doit être interprétée comme une étape d’isolement ou de filtration comme Apotex semble l’indiquer, il s’agit d’un élément non essentiel, l’invention essentielle revendiquée étant que le diastéréoisomère désiré se cristallise dans la réaction. D’après Lilly, rien n’exige que le « diastéréoisomère cis désiré » soit isolé ou libre d’autres composants du mélange réactionnel; il a juste besoin d’être préparé, et l’étape de filtration peut être omise sans qu’il y ait d’incidence importante sur la structure ou le fonctionnement de l’invention (Free world Trust, au para 20). Aucun témoin n’a corroboré cet argument, mais Lilly fait valoir qu’elle peut le présenter à la Cour et que la Cour peut interpréter les revendications sans renvoyer à un témoignage d’expert quelconque. Je suis d’accord que Lilly peut présenter cet argument.

[156] Apotex, d’un autre côté, soutient que la revendication 1c est une étape où l’on sépare le diastéréoisomère cristallisé du mélange, par filtration par exemple, et qu’il ne s’agit pas d’une séparation de phases du mélange. Apotex attire l’attention sur la structure de la revendication 1 et la signification des termes, notamment sur le recours au terme « séparer » au lieu de « séparation ». D’après Apotex, l’objectif de la revendication 1 est précisément de préparer un diastéréoisomère cis désiré et non un mélange du diastéréoisomère désiré et non désiré.

[157] Apotex ajoute que cela est confirmé par le fait que le diastéréoisomère cis désiré doit être disponible comme composé de départ du procédé de la revendication 7, et que le diastéréoisomère cis désiré doit être le diastéréoisomère cis de configuration R,R; sinon, le tadalafil ne saurait faire partie de la revendication 7, comme le confirme M. Laird (transcription du 17 janvier 2020, à la p 23). Il est évident que le diastéréoisomère cis désiré doit être filtré ou isolé, c’est‑à‑dire séparé du mélange à la fin du procédé de la revendication 1. Apotex soutient donc que cette étape où l’on sépare est une étape courante réalisée par un chimiste préparant un composé.

[158] Apotex affirme que le libellé clair, la structure, la ponctuation et les termes indiquent que la revendication 1c est une étape, tout comme les revendications 1a et 1b, et que rien ne justifie de confondre l’étape c avec l’étape b, d’autant qu’aucune autre étape des revendications n’est ainsi fusionnée. « Séparer », un verbe d’action, et « séparation » sont deux termes différents. Par ailleurs, Apotex soutient que l’interprétation de Lilly est redondante, car à la fin de l’étape b, les deux phases ont déjà réagi, un diastéréoisomère est déjà soluble et l’autre, est insoluble, et les deux phases distinctes sont déjà formées.

[159] Les parties ont confirmé que, pour un chimiste versé dans l’art, une séparation de phases n’est pas la seule forme de séparation, la cristallisation étant l’une d’elles, Apotex souligne que « isolé », et « cristallisation et filtration », tels qu’ils sont utilisés aux pages 17 et 21 de la divulgation, désignent aussi l’action physique de « séparer ».

[160] Apotex fait valoir que les trois étapes, dans leur ensemble, sont des éléments essentiels en raison du libellé de la revendication. En outre, le produit de la revendication 1 est le produit de départ de la revendication 7, et les produits cristallisés d’un mélange ne sont pas les produits de départ des prochaines étapes de la revendication 7.

[161] Je conclus que le libellé de la revendication 1c renvoie à une étape où l’on sépare le diastéréoisomère cis du mélange, et non à une séparation de phases passive, au sens envisagé à la revendication 1b. Ma conclusion demeure en dépit des deux mentions d’une « séparation » à la page 14 de la divulgation, qui font référence à une séparation rapide, facile et plus complète du diastéréoisomère désiré du diastéréoisomère non désiré. Lilly ne tient aucunement compte de tous les renvois aux termes séparation, aux étapes de séparation et au terme séparer mentionnés ailleurs dans la divulgation, ainsi que des renvois aux étapes de filtration et d’isolation de la description de l’invention. De fait, la divulgation contient un certain nombre de mentions de l’étape où l’on sépare ou à une étape de séparation qui ne se limitent pas une séparation de phases, soit à la page 3, lignes 15 et 16, à la page 4, ligne 21 (malgré l’absence d’une séparation de phases dans le procédé examiné) et à la page 10, ligne 14. Lilly n’a pas démontré que le titulaire de brevet a utilisé un lexique précis et le mot « séparation » dans l’intention de signifier uniquement « séparation de phases », ni que l’étape où l’on sépare de la revendication 1c est considérée comme une séparation de phases. Au contraire, le titulaire du brevet a inclus des étapes de filtration et d’isolement dans la description de la RPS de la divulgation menant à la production du composé II, comme il est illustré à la page 7 du brevet 540 à la page 17, lignes 6 et 10 à 12.

[162] Le libellé de la revendication 1 renvoie à des étapes, la dernière étant une séparation. Comme les notions de base en grammaire ne sont pas réservées aux grammairiens ni aux linguistes, j’en conclus qu’il s’agit de l’action de séparer le diastéréoisomère cis du mélange; et rien dans la divulgation ne s’écarte cette constatation. Ma conclusion repose sur la structure et le libellé clairs indiquant que la revendication 1c est une étape où l’on sépare, c’est‑à‑dire une étape avec intervention humaine qui filtre le mélange pour isoler le diastéréoisomère désiré. Cette conclusion est confirmée par le fait que la réaction est déjà terminée à la fin de la revendication 1b, et que la revendication 7 commence avec le composé isolé, et que les autres revendications ont toutes des « étapes » avec intervention.

[163] Lilly soutient que la revendication 1c, telle qu’elle est interprétée, est non essentielle. Lilly a le fardeau de prouver qu’une revendication est non essentielle (ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2020 CF 486 au para 22; Mediatube, au para 33), et elle ne m’a pas convaincue de cela, surtout si j’interprète la purification de la revendication 7d comme une étape essentielle, comme il est expliqué en détail plus loin. Je reconnais que la revendication 12, qui est une revendication plus limitée dont la portée chevauche celle d’autres revendications du brevet 540, ne comporte aucune étape de purification, mais comme la revendication 7 compte une étape de purification essentielle, Lilly n’a pas réussi à me convaincre que le titulaire du brevet entendait faire de la revendication 1c une revendication non essentielle.

(e) Éléments essentiels des revendications 1, 3 et 4

[164] J’interprète donc la revendication 1 comme suit :

Une méthode de préparation d’un diastéréoisomère cis (R,R ou S,S) désiré d’une tétrahydro‑β‑carboline dont la formule est :

Comprenant les étapes suivantes (chaque étape est essentielle) :

a) produire un tryptophane estérifié à l’aide d’un alcool ayant la formule R2 OH où R2 est choisi parmi les groupements suivants : méthyle, éthyle, isopropyle, n‑propyle, n‑butyle, sec‑butyle, t‑butyle et mélanges de ces groupements;

b) faire réagir le tryptophanate de l’étape a) avec un aldéhyde de formule R1CHO, où R1 est un pipéronyl, pour obtenir le diastéréoisomère désiré et un diastéréoisomère non désiré, par une réaction ayant lieu dans un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure et le diastéréoisomère non désiré est soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure (ce qui limite fonctionnellement le choix du solvant);

c) séparer le diastéréoisomère désiré insoluble du diastéréoisomère non désiré qui est soluble (séparation physique du diastéréoisomère désiré du mélange après sa cristallisation ou sa suspension à l’étape b).

[165] La revendication 3 est une revendication dépendante qui comprend la méthode de la revendication 1 et qui impose une restriction en précisant que l’alcool estérifiant de la revendication 1a, c’est‑à‑dire l’alcool de formule R2 OH, est le méthanol.

[166] La revendication 4 est une revendication dépendante qui comprend la méthode de la revendication 1 et qui impose une restriction en précisant que le tryptophane est le D‑tryptophane.

(3) Interprétation des revendications 7, 8 à 10

(a) La revendication en litige

[167] La revendication 7 est une revendication indépendante, et les revendications 8 à 10, aussi invoquées, figurent parmi ses revendications dépendantes. La revendication 7 est, une fois de plus, une méthode de préparation d’un composé, et comprend 4 étapes :

Une méthode de préparation d’un composé dont la formule est :

Comprenant les étapes suivantes :

a) produire un diastéréoisomère désiré à partir de la tétrahydro‑β‑carboline à l’aide de la méthode de la revendication 1;

b) faire réagir la tétrahydro‑β‑carboline avec du chlorure de chloroacétyle pour produire une tétrahydro‑β‑carboline n‑substituée;

c) faire réagir la tétrahydro‑β‑carboline n‑substituée avec une amine de structure R3NH2, où R3 est un groupement C1-6alkyle ou hydro;

d) purifier le composé par une recristallisation dans l’acide acétique glacial.

[168] Les revendications 8, 9 et 10 sont dépendantes de la revendication 7 et sont plus restreintes que la revendication 7.

(b) Revendication 7, étape d

[169] La revendication 7d est celle où le bât blesse.

[170] Lilly affirme que la revendication 7d, c’est‑à‑dire l’étape de la purification, n’est pas un élément essentiel, car la purification n’est pas cruciale à la fabrication du tadalafil. M. Laird le confirme et soutient que sa conclusion trouve appui dans la divulgation du brevet à la page 26.

[171] À propos de l’utilisation de l’historique de la poursuite (dossier de la demande), Lilly reconnaît que Canmar est la décision de principe concernant le paragraphe 53.1 de la Loi sur les brevets. Toutefois, elle conteste le fait que l’interprétation ne devrait pas reposer sur le dossier de la demande, qui ne devrait servir qu’à confirmer une interprétation déjà faite. Lilly affirme aussi que M. Williams ne pouvait pas utiliser le dossier de la demande pour interpréter la revendication, car il n’avait aucune déclaration de Lilly à réfuter. Lilly ajoute que c’est l’ensemble du dossier de la demande qui doit être pris en considération, si celui‑ci est en partie admis en preuve pour réfuter une déclaration qu’elle a faite, de sorte que « température du chauffage à reflux ou température inférieure » puisse être considérée comme étant la « température du chauffage à reflux ». Cela assurerait une cohérence dans le recours à ces dossiers. Elle affirme que c’est une arme dont elle pourrait se servir pour appuyer son interprétation si Apotex est admise à l’utiliser pour réfuter sa déclaration.

[172] Apotex se fonde sur le paragraphe 53.1 de la Loi sur les brevets pour invoquer la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet. Selon elle, l’argument que Lilly présente maintenant – que la revendication 7d est non essentielle – va exactement à l’encontre des communications écrites qu’elle a envoyées dans le cadre de la poursuite de la demande 540.

[173] Le 11 avril 2008, l’examinateur de brevets s’est opposé à ce qui était alors la revendication 16, pour des raisons d’évidence, conformément au paragraphe 28(3) de la Loi sur les brevets, eu égard au brevet américain 006 (Daugan). Le 9 septembre 2008, Lilly a répondu à cette objection et a modifié sa demande. Elle a indiqué que la revendication 16 était devenue la revendication 7 et que, pour répondre à l’objection fondée sur l’évidence, elle avait intégré les caractéristiques des revendications 19 et 21, éliminées par la suite, dans la revendication 7 (anciennement la revendication 16). Elle a précisé que le brevet 006, dit Daugan, n’enseigne pas ni ne suggère une étape de recristallisation dans l’acide acétique qui augmente la pureté du composé, comme la revendication 7 l’exige dorénavant (non souligné dans l’original).

[174] Dans la décision Canmar, le juge Manson a confirmé que « [d]epuis l’adoption de l’article 53.1, l’interprétation téléologique des demandes de brevet au Canada comporte maintenant trois volets : (1) les revendications elles‑mêmes, (2) la divulgation et (3) l’historique de la poursuite au Canada, quand celui‑ci sert à réfuter une déclaration que le breveté a faite au sujet de l’interprétation d’une revendication du brevet » (au para 68). La Cour a donc confirmé que l’historique de la poursuite peut être considéré comme faisant partie de l’interprétation téléologique.

[175] Lilly affirme que la revendication 7d n’est pas essentielle, même si la demanderesse l’a ajoutée à la revendication et a jugé qu’elle était [traduction] « requise » pour remédier au caractère évident lors de sa poursuite. Selon son libellé clair, l’article 53.1 de la Loi sur les brevets permet de réfuter les déclarations que fait le titulaire du brevet. Rien dans le texte de cette disposition ne permet à ce dernier de recourir à l’historique de la poursuite pour mettre de l’avant des éléments de preuve intéressés et, en l’espèce, rien ne permet à Lilly de s’en servir pour interpréter les mots « température du chauffage à reflux ou à une température inférieure » comme signifiant « température du chauffage à reflux ».

[176] Je conclus que l’historique de la poursuite relative au brevet 540 peut être invoqué pour réfuter la déclaration de Lilly selon laquelle la revendication 7d n’est pas essentielle. Il semble clair que, au contraire, la revendication 7d est essentielle, car le titulaire du brevet a dit qu’elle était [traduction] « requise » pour éviter que le Bureau des brevets ne conclue à l’évidence.

(c) Éléments essentiels des revendications 7 et 8 à 10

[177] Selon mon interprétation, les éléments essentiels de la revendication 7 sont les suivants :

Une méthode de préparation d’un composé de formule

qui comprend les étapes suivantes (chaque étape étant essentielle) :

a) produire un diastéréoisomère désiré d’une tétrahydro‑β‑carboline par la méthode de la revendication 1;

b) faire réagir la tétrahydro‑β‑carboline avec du chlorure de chloroacétyle pour obtenir une tétrahydro‑β‑carboline n‑substituée;

c) faire réagir la tétrahydro‑β‑carboline n‑substituée avec une amine de structure R3NH2, où R3 est un C1-6aIkyle ou hydro;

d) purifier le composé par recristallisation dans l’acide acétique glacial.

[178] La revendication 8 est une revendication dépendante qui comprend la méthode de la revendication 7 et lui impose une restriction de sorte que l’amine de la revendication 7c doit être choisie parmi le groupe défini dans la revendication 8.

[179] La revendication 9 est une revendication dépendante qui comprend la méthode de la revendication 7 et lui impose une restriction de sorte que l’amine de la revendication 7c doit être une méthylamine.

[180] La revendication 10 est une revendication dépendante qui comprend la méthode de la revendication 7 et lui impose une restriction de sorte que l’amine de la revendication 7c présente un R3 qui est un groupement méthyle.

(4) Interprétation de la revendication 12

(a) La revendication en litige

[181] La revendication 12 est une revendication indépendante

Une méthode permettant de préparer un composé dont la formule développée est :

comprenant les étapes suivantes :

a) estérifier le D‑tryptophane dans du méthanol et du chlorure de thionyle pour obtenir du chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle;

b) faire réagir le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle avec du pipéronal par chauffage à reflux dans l’alcool isopropylique pour obtenir du cis‑1‑(1,3‑benzodioxol‑5‑y1)‑2,3,4,9‑tétrahydro 1H‑pyrido[3,4‑b]indole‑3‑ carboxylate de méthyle;

c) faire réagir le produit de l’étape b) avec du chlorure de chloroacétyle et de la triéthylamine pour obtenir le cis‑1‑(1,3‑benzodioxol‑5‑y1)‑2,3,4,9‑tétrahydro‑1H‑pyrido[3,4‑b]indole‑3‑ carboxylate de méthyle;

d) faire réagir le produit de l’étape c) avec de la méthylamine pour obtenir le composé.

[182] Une fois de plus, j’ai souligné les passages en litige entre les parties.

(b) Revendication 12, étape a et étape b : les variantes

[183] Lilly affirme que « méthanol » et « chlorure de thionyle » à l’étape a, et « alcool isopropylique » à l’étape b devraient avoir une plus grande portée, même si elle n’a rien à dire sur les autres produits mentionnés à la revendication 12 et ne cherche pas à élargir leur portée.

[184] Lilly demande que le méthanol et le chlorure de thionyle de la revendication 12b, et l’alcool isopropylique de la revendication 12c soient assortis du passage suivant : [traduction] « ou une variante équivalente qui réaliserait essentiellement la même fonction essentiellement de la même façon pour obtenir essentiellement le même résultat ». Une fois que ce passage est ajouté, Lilly considère que les éléments deviennent essentiels.

[185] Lilly se fonde sur les paragraphes 55‑56 de l’arrêt Free World Trust, que nous avons analysés plus tôt, pour ce qui est de la détermination des éléments essentiels par opposition aux éléments non essentiels, et elle soutient que la démarche suivie dans l’arrêt Improver s’applique en l’espèce, ce qui permet donc au titulaire du brevet d’ajouter des variantes aux éléments revendiqués. Lilly, citant une fois de plus l’arrêt Free World Trust, soutient qu’« [i]l serait injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet ». Elle demande à la Cour d’adopter le critère à trois volets de l’arrêt Improver afin de pouvoir déterminer si, « à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention » (Free World Trust, au para 55). Si la réponse est positive, à moins de déduire des revendications qu’il est nécessaire de se conformer de manière stricte aux termes de l’invention, ses variantes pourraient être ajoutées dans ce cas à l’élément revendiqué, selon Lilly.

[186] Lilly attire également l’attention sur un arrêt du Royaume-Uni, Actavis v Eli Lilly, 2017 UKSC 48 [Actavis], dans lequel la cour a appliqué la démarche suivie dans l’arrêt Improver et élargi le libellé des revendications de manière à englober non seulement le permetrexed disodique, mais aussi des variantes équivalentes qui réaliseraient essentiellement la même fonction essentiellement de la même façon pour obtenir essentiellement le même résultat. Pour déterminer si la variante a néanmoins un effet contrefaisant parce qu’elle diffère de l’invention de manière peu importante, la cour a, dans l’arrêt Actavis, légèrement reformulé la démarche suivie dans l’arrêt Improver et elle a fait remarquer que [traduction] « si l’on ne peut s’écarter du libellé de la revendication […], quel est l’objet des questions au départ? » (au para 71). Lilly soutient que, même si l’arrêt Actavis appliquait le paragraphe 69(1) de la Convention sur le brevet européen (2000) et le Protocole sur l’interprétation de l’article 69, ces dispositions ne diffèrent aucunement des règles canadiennes en matière d’interprétation des revendications.

[187] Enfin, Lilly demande à la Cour de rejeter l’interprétation de M. Williams sur le sujet, car il n’a pas reçu d’instruction sur la méthode préconisée dans l’arrêt Improver, et de rejeter l’interprétation de M. Anderson également, car il n’y a aucune analyse dans ce rapport sur l’applicabilité de l’arrêt Improver. Par conséquent, Lilly demande à la Cour d’adopter l’interprétation de M. Laird sur les éléments essentiels dans les deux parties de la revendication 12, comme suit :

a) - estérifier le D‑tryptophane dans du méthanol et du chlorure de thionyle ou une variante équivalente qui réaliserait essentiellement la même fonction essentiellement de la même façon pour obtenir essentiellement le même résultat, pour obtenir du chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle;

b) - faire réagir le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle avec du pipéronal dans l’alcool isopropylique, ou une variante équivalente qui réaliserait essentiellement la même fonction essentiellement de la même façon pour obtenir essentiellement le même résultat, pour obtenir le cis‑1‑(1,3‑benzodioxol‑5‑yl)‑2,3,4,9‑tétrahydro‑1H‑pyrido[3,4‑b]indole‑3‑carboxylate de méthyle;

[188] Apotex s’oppose à la tentative que fait Lilly pour ajouter au libellé de la revendication. Elle allègue essentiellement que : 1) aucune disposition de la Loi sur les brevets, pas plus que la jurisprudence, n’étaye la demande de Lilly; 2) la tentative de Lilly est contraire au paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets, qui exige que le titulaire du brevet définisse le monopole directement et en des termes explicites; 3) Lilly tente de faire intervenir la doctrine de l’équivalence, que la CSC a rejetée dans l’arrêt Free World Trust, aux para 37‑40; 4) la portée étroite du mémoire descriptif était délibérée et il n’y a pas lieu de l’élargir; 5) le libellé de la revendication 12 peut être mis en contraste avec celui d’autres revendications, qui est de nature plus générale; 6) le principe de la différenciation des revendications reconnaît que, lorsqu’un brevet contient des revendications de nature générale et des revendications de nature précise, les éléments des revendications précises sont considérés comme essentiels à ces revendications. Apotex conteste l’interprétation de M. Laird, alléguant que celui‑ci n’a pas pris en compte l’intention du titulaire du brevet et que sa démarche est axée sur les résultats, car il n’a pas proposé d’ajouter des variantes à la triméthylamine dans la revendication 12c, malgré qu’il les ait ajoutées aux étapes a et b. Apotex demande donc à la Cour de respecter le libellé des revendications et de considérer que leurs éléments sont essentiels. Elle fait également valoir que l’ajout, par Lilly, des équivalents au libellé de la revendication 12 est une application erronée des enseignements de la CSC.

[189] Lilly cite le paragraphe 55 de l’arrêt Free World Trust à l’appui de sa position selon laquelle il faudrait ajouter les variantes connues à la date de publication en tant qu’éléments essentiels des revendications.

[190] Cependant, selon ce qu’enseigne la CSC dans l’arrêt Free World Trust et suivant les directives ensuite formulées par la CAF dans l’arrêt Canamould Extrusions, la tâche de la Cour, pour ce qui est de l’interprétation d’une revendication, consiste à distinguer les éléments qui sont essentiels de ceux qui ne le sont pas. Cette distinction aura une incidence sur l’analyse relative à la contrefaçon, dans le cadre de laquelle l’existence de variantes connues entrera en jeu, car des variantes d’éléments essentiels déborderont le cadre du monopole alors que des variantes d’éléments non essentiels seront visées par le monopole.

[191] Dans ce qui semble être une sorte d’analyse circulaire, la Cour peut tenir compte d’éléments factuels relatifs à l’existence de variantes connues pour déterminer si un élément est essentiel ou non. C’est toutefois l’intention du titulaire du brevet qui demeure le facteur clé (Free World Trust, aux para 58‑60; Canamould Extrusions).

[192] Quoi qu’il en soit, il incombait à Lilly de démontrer que les éléments n’étaient pas essentiels, mais elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Je suis convaincue que, à la date de publication, le chimiste versé dans l’art comprendrait, à partir du libellé des revendications 12a et b, que le titulaire du brevet voulait qu’une observation stricte du sens premier soit une exigence essentielle de l’invention. Si l’on veut respecter les principes de l’interprétation des revendications, ces dernières ne doivent pas être interprétées en fonction du libellé ajouté aux étapes a et b : étant donné que ce qui n’est pas revendiqué fait l’objet d’une renonciation, chaque revendication doit avoir un sens, et le principe de la différenciation des revendications s’applique aux revendications indépendantes.

[193] Le titulaire du brevet a décidé de revendiquer des solvants particuliers, sachant que d’autres fonctionneraient, et il a fait son lit en limitant la revendication 12 aux éléments nommés. La revendication 1, qui recoupe la revendication 12, est expressément libellée d’une manière plus ouverte, et le chimiste versé dans l’art comprendrait que le titulaire du brevet entendait créer un monopole plus restreint avec la revendication 12. M. Laird n’a pas expliqué pourquoi il ne faudrait ajouter des variantes qu’à la revendication 12a et à la revendication 12b, mais pas à la revendication 12c, ce qui n’exclut donc pas la possibilité qu’il a interprété la revendication en ayant à l’esprit un résultat, ce qui n’est pas permis, car l’interprétation d’une revendication précède l’examen des questions d’invalidité et de contrefaçon.

[194] Enfin, le dernier paragraphe de la divulgation va également à l’encontre de la position de Lilly, car il indique que [traduction] « de nombreuses modifications et variations de l’invention énoncées ci‑dessus doivent être faites sans s’écarter de son esprit et de sa portée et, de ce fait, les seules limites imposées devraient être celles qu’indiquent les revendications annexées ». Comme les mots imposent des limites, le lecteur versé dans l’art comprendrait l’intention qu’avait le titulaire du brevet de restreindre le choix des solvants à ceux qui sont nommés, encore que d’autres puissent fonctionner.

[195] En conséquence, les revendications 12a et b sont maintenues, les solvants nommés sont des éléments essentiels, et les variantes que Lilly souhaite inclure ne sont pas ajoutées en tant qu’éléments essentiels supplémentaires de la revendication.

(c) Revendication 12, étape c

[196] Lilly reconnaît qu’il y a une erreur dans la revendication 12c, car le nom de substance chimique qui y figure n’est pas celui du produit de la réaction en c), mais une répétition du produit de la revendication 12b. Le nom de la substance chimique de la revendication 12c devrait plutôt se lire comme suit : chloroacétyl tétrahydro‑β‑carboline”.

[197] Toutefois, Lilly confirme qu’elle ne demande pas à la Cour de réécrire l’élément de la revendication 12, pour ce qui est du composé mal nommé de la revendication 12c, ni de le corriger. Elle demande simplement à la Cour d’accepter la preuve par laquelle les experts expliquent comment une personne versée dans l’art lirait la revendication 12c. Essentiellement, Lilly soutient que la personne versée dans l’art saurait qu’il y a une erreur et, en conséquence, connaîtrait la portée de la revendication, ce qui concorde avec la méthode téléologique d’interprétation. La personne versée dans l’art saurait que le produit de l’étape b, après une réaction avec le chlorure de chloroacétyle et la triéthylamine, serait la chloroacétyl tétrahydro‑β‑carboline. M. Laird a aussi indiqué que la réaction est celle décrite à la page 23 du brevet 540.

[198] Apotex affirme que la Cour ne devrait pas corriger l’erreur ni réécrire la revendication 12c, car elle estime que cela aurait une incidence sur l’évaluation de l’utilité.

[199] Comme la présente section de la décision porte sur l’interprétation des revendications, et que les parties conviennent que la Cour ne devrait pas réécrire la revendication 12c, mais qu’elle la laisse telle quelle, c’est ce je ferai.

[200] La question de savoir si cela a une incidence sur l’examen de l’allégation d’invalidité pour cause d’inutilité ou d’inopérabilité formulée par Apotex sera examinée plus en détail plus loin dans les présents motifs.

(d) Éléments essentiels de la revendication 12

[201] Selon mon interprétation, les éléments essentiels de la revendication 12 sont les suivants :

Une méthode permettant de préparer un composé dont la formule développée est :

comprenant les étapes suivantes (chaque étape étant essentielle) :

a) estérifier le D‑tryptophane dans le méthanol et le chlorure de thionyle pour obtenir du chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle;

b) faire réagir le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle avec du pipéronal par chauffage à reflux dans l’alcool isopropylique pour obtenir du cis‑1‑(1,3‑benzodioxol‑5‑y1)‑2,3,4,9‑tétrahydro 1H‑pyrido[3,4‑b]indole‑3‑carboxylate de méthyle;

c) faire réagir le produit de l’étape b) avec du chlorure de chloroacétyle et de la triéthylamine pour obtenir du cis‑1‑(1,3‑benzodioxol‑5‑y1)‑2,3,4,9‑tétrahydro‑1H‑pyrido[3,4‑b]indole‑3‑ carboxylate de méthyle;

d) faire réagir le produit de l’étape c) avec de la méthylamine pour obtenir le composé.

VI. La demande reconventionnelle d’Apotex sur le fondement de l’invalidité

A. Introduction

[202] Comme l’indique le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, un brevet est présumé valide. Il incombe à Apotex d’en prouver l’invalidité selon la prépondérance des probabilités.

[203] Apotex soulève quatre motifs d’invalidité : l’antériorisation des revendications 1, 3 et 4 à cause de la demande 594, l’évidence de toutes les revendications invoquées compte tenu de la demande 594 et du brevet 377 (brevet américain 006), l’inutilité de la revendication 12 à cause de l’erreur relevée dans la revendication 12c, de même que la portée excessive de la revendication 1 parce que l’acétate d’éthyle est un solvant inscrit dans la divulgation, mais qu’il ne fonctionne pas comme promis.

[204] En bref, et pour les raisons exposées ci‑après, je conclus qu’Apotex a établi l’antériorisation des revendications 1, 3 et 4 ainsi que l’évidence des revendications invoquées, mais qu’elle n’a établi ni l’inutilité de la revendication 12 ni la portée excessive de la revendication 1.

B. Antériorisation

(1) Les allégations d’antériorité

[205] Apotex allègue que les revendications 1, 3 et 4 du brevet 540 sont invalides pour cause d’antériorité. Comme il se doit dans un tel cas, Apotex invoque un élément de l’art antérieur, la demande 594, publiée le 3 janvier 2002, alléguant que cet élément divulgue les éléments essentiels des revendications 1, 3 et 4 et en permet la réalisation.

[206] Apotex fait valoir que, bien que le brevet 540 divulgue deux méthodes de l’art antérieur de manière à établir une distinction entre la méthode brevetée et l’art antérieur, il ne compare pas l’invention qu’il protège à une autre antériorité décrite dans la demande 594.

[207] Affirmant que [traduction] « ce qui constitue une contrefaçon, s’il est postérieur, constitue une anticipation, s’il est antérieur », (Sanofi, aux para 23 à 27; Abbott Laboratoire c Ratiopharm; Abbott Laboratories c Canada (Santé), 2006 CAF 187), Apotex fait valoir que les éléments essentiels des revendications 1, 3 et 4 du brevet 540 sont antériorisés par le procédé mentionné visant la préparation de l’intermédiaire 1 de l’exemple 2, en particulier, la préparation décrite à la page 34 de la demande 594. Apotex soutient que ce procédé est une synthèse de 100 grammes de diastéréoisomère cis pur (59 % de rendement), un composé cible des revendications 1, 3 et 4 du brevet 540 , et que dans la demande 594, l’exemple cité mentionne directement tous les éléments essentiels des revendications 1, 3 et 4, car 1) il commence avec le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle (c’est‑à‑dire que le tryotophanate est fourni; 2) il fait réagir le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle avec le pipéronal pour obtenir les diastéréoisomères trans et cis et la réaction a lieu dans l’acide acétique et l’eau, un mélange de solvants qui est reconnu dans le brevet comme un solvant dans lequel le diastéréoisomère cis est insoluble contrairement au diastéréoisomère trans; et 3) le diastéréoisomère cis est séparé par filtration du diastéréoisomère trans, qui est dissous.

[208] Apotex présente chaque étape de la revendication 1, dont on fait mention aux revendications 3 et 4, et soutient qu’elles sont toutes antériorisées par la demande 594.

[209] Quant à la revendication 1a, Apotex souligne que M. Laird, l’expert de Lilly, a confirmé qu’elle était présente dans la demande 594 (rapport sur la validité de M. Laird, à la p 25).

[210] Pour ce qui est de la revendication 1b, Apotex affirme que M. Laird a reconnu que le solvant utilisé dans la demande 594 était une solution aqueuse à base d’acide acétique et d’eau, un type de solvant explicitement décrit dans le brevet 540. Selon Apotex, M. Laird a aussi reconnu que le brevet 540 enseigne à la personne versée dans l’art que la réaction peut aussi être réalisée avec du toluène, de l’acétate d’éthyle, des mélanges de ces solvants, des solutions aqueuses, de l’acétronile et de l’eau, du toluène et de l’acétronitrile, et l’acide acétique et de l’eau. Après avoir examiné la préparation, Apotex souligne que, à la 73e heure, une « suspension résultante » a été observée, qui, selon MM. Anderson et Williams, était le diastéréoisomère cis désiré.

[211] S’agissant de la revendication 1c, Apotex soutient que la demande 594 prévoit que [traduction] « le solide était recueilli par filtration » (rapport d’expert sur la validité de M. Anderson, au para 160; transcription du 23 janvier 2020, à la p 99).

[212] Lilly ne nie pas que la demande 594 est un élément de l’art antérieur pour les besoins de l’analyse de l’antériorité fondée sur le paragraphe 28.2 de la Loi sur les brevets. Elle répond, cependant, qu’Apotex ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver l’antériorité.

[213] En ce qui a trait à la revendication 1a, Lilly soutient que M. Anderson a admis qu’elle n’avait pas été précisément divulguée dans la demande 594, même si son propre expert, M. Laird, a confirmé qu’elle était présente dans la demande 594.

[214] Relativement à la revendication 1b, Lilly indique que le matériel de départ n’est pas contesté. Toutefois, elle ajoute que la personne versée dans l’art ne saurait pas que le solvant de la demande 594, soit l’acide acétique, est un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble et le diastéréoisomère non désiré est soluble. Par ailleurs, la personne versée dans l’art ne connaîtrait pas la nature de la suspension, et ne saurait pas que la suspension avait besoin d’être refroidie et les antisolvants, ajoutés, à l’opposé du brevet 540. Sans connaître ce qui se trouve dans la suspension, Lilly affirme qu’Apotex ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il y a eu divulgation. Lilly fait valoir que M. Laird et M. Anderson sont tous deux d’avis que la revendication 1a et la revendication 1b n’ont pas été divulguées, alors que M. Laird ajoute que la revendication 1c, qu’il a interprétée comme étant une séparation de phases, n’a pas non plus été divulguée dans la demande 594.

[215] Le principal point de discorde entre les parties concerne donc la revendication 1b, et la question de savoir si le solide en suspension observé à la fin de la réaction de la demande 594 est le diastéréoisomère cis désiré. M. Anderson affirme catégoriquement que oui, tandis que M. Laird présume que non. Lilly soutient que le [traduction] « drapeau n’a pas été planté par la demande 594 », car nous ignorons de quelle suspension il s’agit. Selon Lilly, Apotex aurait pu réaliser des expériences pour reproduire l’exemple 2 de la demande 594 dans le but de confirmer la nature de la suspension, mais elle ne l’a pas fait et elle n’a pas cette information. M. Laird était catégorique : tout ce qui existe à la fin de l’étape de l’intermédiaire I est une suspension non identifiée. Sans données sur cette suspension, Lilly fait valoir que le caractère réalisable n’a pas été établi.

[216] L’attaque formulée par Apotex sur le fondement de l’antériorité vise la revendication 1, la méthode revendiquée étant mentionnée dans les revendications 3 et 4. C’est la raison pour laquelle seule la revendication 1 est analysée au regard de la demande 594. De fait, la demande 594 donne un exemple de procédé utilisant le D‑tryptophane, comme dans la revendication 4 du brevet 540, et le fait que la revendication 3 restreint la revendication 1a n’a aucune incidence sur l’analyse, car les parties ne sont en désaccord que sur les points suivants : à savoir si l’ensemble de la réaction d’estérification est divulguée et si le méthanol est utilisé dans la réaction.

(2) Le cadre d’analyse de l’antériorité

(a) Article 28.2 de la Loi sur les brevets et critère de l’arrêt Sanofi

[217] Les allégations d’antériorité sont régies par l’article 28.2 de la Loi sur les brevets. Sous le titre « Objet non divulgué », cette disposition prévoit que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas avoir été divulgué. Il paraît clair que le volet divulgation du critère de l’antériorité est énoncé dans la Loi.

[218] Les parties conviennent que le critère de l’antériorité est énoncé dans l’arrêt Sanofi et que pour déterminer si un objet est antériorisé, une analyse en deux étapes doit être effectuée. La première étape concerne l’exigence de la divulgation antérieure : à la date pertinente, l’art antérieur doit divulguer un objet qui, s’il est réalisé, entraînerait nécessairement une contrefaçon du brevet (Sanofi, au para 25). Si cette condition est remplie, la seconde consiste à examiner le caractère réalisable et à se demander si une personne versée dans l’art aurait pu réaliser l’invention (Sanofi, au para 26). Le caractère réalisable doit être révélé dans un seul document d’antériorité divulgué (Beloit, à la p 297), de telle sorte que la personne versée dans l’art puisse « exécuter ou [...] réaliser l’invention du deuxième brevet sans trop de difficultés » (Sanofi, au para 33). La personne versée dans l’art peut appliquer les connaissances générales courantes pour évaluer le caractère réalisable (Sanofi, au para 37). Si les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Par ailleurs, les essais courants ne devraient pas être considérés comme posant des difficultés excessives (Sanofi, au para 37).

[219] L’analyse de l’antériorité doit s’effectuer en fonction de la date de la revendication, soit le 31 juillet 2002.

(b) Exigence de divulgation

[220] Il n’est pas contesté que l’objet que définit la revendication correspond ici aux éléments essentiels de la revendication, telle qu’interprétée.

[221] Comme il est expliqué en détail ci‑après, les deux parties ont effectué leur analyse de la divulgation en soulignant les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 540 et en examinant, un par un, si la demande 594 divulguait chacun d’eux.

[222] M. Laird, l’expert de Lilly, a réalisé son analyse comme suit (Tableau 1 du rapport sur la validité de M. Laird). Je remarque que, bien que M. Laird renvoie implicitement au résultat de la RPS (c.‑à‑d., l’interconversion du diastéréoisomère trans en cis, le procédé TAIC du tableau 1, mentionné aux paragraphes 76 à 82 de son rapport), son analyse et sa conclusion sur l’antériorité ne portaient que sur les éléments essentiels de la revendication 1 (rapport sur la validité de M. Laird, para 86).

[223] Dans cette partie du procès, Lilly n’a pas laissé entendre que l’analyse de la divulgation devrait consister à examiner si chaque élément de l’art antérieur, une fois réalisé, contreferait les revendications du brevet en litige, position qu’elle a fait valoir lors du volet portant le brevet 684, tant pour les brevets de sélection que pour ceux qui n’en sont pas. M. Laird, l’expert de Lilly, n’a pas, en l’espèce, passé en revue la demande 594 avant d’examiner si tous ses éléments se trouvaient dans le brevet 540.

[224] Je suis d’avis que, dans cette partie du procès, le principe de la divulgation appliqué par les deux parties est celui qui convient.

(i) Revendication 1, étape a (mentionnée dans les revendications 3 et 4)

[225] M. Laird a confirmé, à la page 25 de son rapport sur la validité, que la revendication 1a du brevet 540 fait partie de la demande 594.

[226] M. Anderson, dans son rapport d’expert, a constaté que, dans la demande 594, on commence la synthèse avec un sel de chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle, et on fait le choix d’acheter ce composé plutôt que de le préparer par une réaction classique d’estérification avec du méthanol. M. Anderson ajoute que ce type de réaction d’estérification est une réaction de base qui est enseignée à la personne versée dans l’art dans un programme universitaire de premier cycle, et que cette personne serait bien préparée à réaliser une réaction d’estérification donnant ce composé à l’aide des connaissances acquises durant sa formation générale. Il a souligné que, la personne versée dans l’art peut ne pas en être certaine, étant donné que l’ester a été acheté dans le commerce, mais elle s’attendrait à ce que l’estérification soit réalisée avec un alcool. Il est donc d’avis que la revendication 1a a été divulguée de façon générale, mais pas de façon expresse (rapport d’expert de Neal Anderson, para 152 et 153).

[227] J’estime convaincant que l’expert de Lilly, M. Laird, ait dit sans équivoque que la revendication 1a était divulguée dans la demande 594, tandis que M. Anderson se soit dit prudemment d’avis qu’elle était divulguée de façon générale. Comme l’approche prudente de M. Anderson ne réfute pas l’avis de M. Laird, je conclus donc qu’Apotex s’est acquittée du fardeau d’établir que la revendication 1a, mentionnée dans les revendications 3 et 4, est divulguée dans la demande 594.

(ii) Revendication 1, étape b (mentionnée dans les revendications 3 et 4)

[228] La revendication 1b exige que la réaction soit réalisée dans un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure, et le diastéréoisomère non désiré, soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure.

[229] Comme pour la première question litigieuse, M. Laird a confirmé que l’acide acétique et l’eau forment une solution aqueuse du type décrit expressément à la page 22 du brevet 540, et est le solvant divulgué dans la demande 594.

[230] Le point de discorde au sujet de la revendication 1b repose sur l’identité de la suspension à la 73e heure : s’agit‑il du diastéréoisomère cis désiré insoluble ou d’un autre composé?

[231] Apotex soutient qu’il ne peut s’agir que du diastéréoisomère cis désiré, et rien d’autre. D’après Apotex, il n’est pas logique de considérer que la suspension résultante soit autre chose que le diastéréoisomère cis désiré. Elle attire l’attention sur le témoignage de M. Anderson, qui a dit à la Cour : [TRADUCTION] « Je crois donc que les probabilités sont fortes, voire très fortes, et qu’il est presque certain […] que le solide en suspension […] de la 73e heure était véritablement le diastéréoisomère cis désiré » (transcription du 20 janvier 2020, à la p 47; transcription du 7 février 2020, à la p 133) et sur l’avis de M. Williams.

[232] D’après Apotex, si la suspension était autre que le produit désiré, cela signifierait que le solide recueilli à la fin de la réaction est différent de celui de la suspension à la 73e heure. Après refroidissement et ajout d’acétate d’éthyle et de MTBE, que les experts d’Apotex ont affirmé être ce qu’on appelle communément des « antisolvants » (transcription du 20 janvier 2020, à la p 33), la réaction est ralentie à une vitesse négligeable (transcription du 24 janvier 2020, à la p 32). Les antisolvants ont été ajoutés pour qu’une plus grande quantité du produit désiré précipite (rapport sur la validité de M. Anderson, au para 155). Si la suspension à la 73e heure n’était pas celle désirée, M. Anderson a indiqué qu’il serait logique de retirer la suspension, ce qui aurait été facile, mais que cela n’a pas été fait. Par ailleurs, si la suspension à la 73e heure était le diastéréoisomère trans, l’acétate d’éthyle et le MTBE auraient d’abord dissous la suspension et révélé le cis sous forme solide, ce qui est beaucoup trop compliqué et improbable (rapport en réplique du M. Anderson, au para 33; transcription du 20 janvier 2020, à la p 38). M. Anderson affirme que la suspension ne pouvait pas être le matériel de départ, car comme la solution était claire après 24 heures, cela signifie que le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle peut se dissoudre dans l’acide acétique (transcription du 20 janvier 2020, à la p 37). Avec le fait que vers la fin de la réaction, il y avait inévitablement moins de chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle dans la solution, la dissolution aurait été d’autant facilitée, et aurait empêché le matériel de départ de réapparaître sous forme d’une suspension, selon M. Anderson (transcription du 20 janvier 2020, à la p 37). En outre, M. Anderson a ajouté que si après le deuxième chargement, il n’y avait pas chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle dissous, le titulaire du brevet aurait laissé une note semblable à celle qui suit le premier chargement (transcription du 20 janvier 2020, à la p 35; rapport d’expert en réplique de M. Anderson, au para 30).

[233] Apotex affirme donc qu’une personne versée dans l’art qui interpréterait normalement la demande 594 comprendrait que la suspension est le diastéréoisomère cis désiré.

[234] À l’opposé, Lilly fait valoir, par l’entremise de M. Laird, que la demande 594 ne divulgue pas une RPS dans laquelle le diastéréoisomère cis désiré est insoluble dans le solvant à la température de la réaction (rapport sur la validité de M. Laird, au para 76), et qu’il se peut que la matière en suspension mentionnée dans la demande 594 ne soit pas le diastéréoisomère cis désiré : il pourrait s’agir du diastéréoisomère trans, du matériel de départ ou d’un mélange des deux (rapport sur la validité de M. Laird, au para 80). Par ailleurs, rien n’indique si l’on est présence d’une suspension liquide ou épaisse. Lilly soutient aussi que M. Williams a reconnu, avant qu’il apporte des corrections à la barre des témoins, que la cristallisation s’est produite avec l’ajout d’antisolvants. C’est pourquoi Lilly affirme que, dans la demande 594, le diastéréoisomère cis désiré est insoluble seulement après l’ajout d’antisolvants. Lilly cite aussi M. Anderson en contre‑interrogatoire, qui a déclaré que, en principe, la suspension pourrait contenir une certaine quantité de diastéréoisomères trans.

[235] Je retiens l’opinion de M. Anderson que le chimiste versé dans l’art, à la lecture de la demande 594, comprendrait que la suspension résultante serait presque entièrement composée du diastéréoisomère cis. L’argument de M. Anderson quant à la nature de la suspension résultante est convaincant : cette suspension ne peut être le matériel de départ, ni ne devrait contenir le diastéréoisomère trans en grande quantité, en raison de la pureté du solide recueilli peu après la fin du procédé.

[236] Lilly ne m’a pas convaincue qu’il conviendrait d’exiger d’Apotex de mener une expérience pour déterminer la nature de la suspension dans le cadre de la première partie de son analyse de l’antériorité (Sanofi, au para 32). Ayant retenu l’avis de M. Anderson, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que le diastéréoisomère cis soit insoluble, alors que le trans est soluble dans le mélange à la température de la réaction, ce qui aboutit à des phases séparées dans le mélange, et que la suspension de la 73e heure est le diastéréoisomère cis désiré.

[237] La demande 594 divulgue donc la revendication 1b du brevet 540, mentionnée dans les revendications 3 et 4.

(iii) Revendication 1, étape c (mentionnée dans les revendications 3 et 4)

[238] Aucune des parties n’a véritablement présenté d’arguments sur la revendication 1c telle qu’elle a été interprétée par la Cour. Il semble clair que l’ajout d’antisolvants, le refroidissement et la filtration à la fin du solide, dont il est question dans la demande 594, constituent une étape séparant le diastéréoisomère du mélange, et c’est ainsi que j’ai interprété la revendication 1c. M. Anderson explique au paragraphe 160 de son rapport sur la validité que [traduction] « l’intermédiaire 1 a été isolé du mélange réactionnel par filtration » et qu’il s’agit là d’un [traduction] « exemple de la séparation physique des deux produits diastéréoisomères résultant de cette réaction de Pictet‑Spengler ».

[239] Je suis d’avis que la demande 594 divulgue la revendication 1c du brevet 540, mentionnée dans les revendications 3 et 4.

(iv) Conclusion sur la divulgation

[240] L’exemple 2 de la demande 594 divulgue tous les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 540. La revendication 4 est aussi divulguée en raison du recours à du chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle provenant du commerce dans le procédé décrit dans la demande 594. La revendication 3 est aussi divulguée, car les parties ne sont en désaccord que sur les points suivants : à savoir si l’ensemble de la réaction d’estérification est divulgué et si le méthanol est utilisé dans la réaction, et après avoir tenu compte de l’admission de M. Laird, je tire comme conclusion que la revendication 1a est divulguée, tout comme la revendication 3.

[241] L’objet décrit dans l’art antérieur, s’il est réalisé, entraînerait une contrefaçon de la revendication 1 du brevet 540.

(c) L’exigence du caractère réalisable

[242] Apotex estime que le procédé présenté à l’étape de l’intermédiaire 1 de l’exemple 2, à la page 34 de la demande 594, est suffisamment détaillé et comprend l’identité et la quantité de réactifs, les températures, etc. de sorte qu’une personne versée dans l’art pourrait aisément le suivre comme s’il s’agissait de suivre une recette, et que c’est tout ce qu’il faut pour réaliser la revendication 1, mentionnée aux revendications 3 et 4 du brevet 540.

[243] À l’opposé, Lilly soutient que la réaction d’estérification n’a pas été divulguée, ce qui empêche la réalisation du procédé, et son expert, M. Laird, a été catégorique sur le fait que la demande 594 ne permet pas de réaliser la revendication 1 du brevet 540. Tout ce qui existe à la fin de la RPS de la demande 594 est une suspension de composition indéterminée qui pourrait être du matériel de départ n’ayant pas réagi ou un sous‑produit ou un mélange de diastéréoisomère cis et trans, la nature de la composition n’ayant pas été révélée.

[244] Pour ce qui est du caractère réalisable, la personne versée dans l’art qui se conforme au brevet constituant une antériorité doit être en mesure d’arriver à l’invention revendiquée dans le brevet contesté, et dans le cas qui nous concerne, seulement aux revendications 1, 3 et 4, sans trop de difficultés (Sanofi, au para 43).

[245] Compte tenu de mes conclusions sur l’estérification avec le méthanol et sur la nature de la suspension, et comme j’ai fait mienne l’opinion de M. Anderson, à savoir que la suspension dont il est question dans la demande 594 est le diastéréoisomère cis, j’estime que la demande 594 permet de réaliser les revendications 1, 3 et 4.

(3) Conclusion sur l’antériorité

[246] Apotex a établi que les revendications 1, 3 et 4 du brevet 540 sont divulguées et que la demande 594 en permet la réalisation, de sorte qu’elles sont antériorisées. Elles sont donc invalides.

C. Évidence

(1) Les allégations d’évidence

[247] Apotex allègue que la totalité des revendications invoquées du brevet 540 sont évidentes pour la personne versée dans l’art, en date du 31 juillet 2002, et qu’elles sont donc invalides. Même si Lilly nie que l’ensemble des revendications sont évidentes, les principales questions litigieuses et les principaux arguments des parties portent sur la RPS des revendications 1b et 12b.

[248] Apotex soutient que l’objet que définit la revendication dont il est question à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets se trouve dans les éléments essentiels des revendications invoquées, et non dans des éléments, choisis au hasard, de la divulgation. Elle ajoute que le critère de l’évidence établi dans l’arrêt Sanofi, dans la mesure où il permet de disséquer la divulgation du brevet, ne s’applique qu’aux brevets de sélection et aux brevets déposés avant le 1er octobre 1989 qui ne sont pas régis par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[249] En conséquence, Apotex allègue que la RPS de la revendication 1b était enseignée par la demande 594, publiée le 3 janvier 2002, et qu’elle a été enseignée plus tard par le brevet 377 délivré le 28 mai 2002. Pour ce qui est de la revendication 7d, Apotex affirme que la personne versée dans l’art n’aurait aucune difficulté à trouver le bon solvant compte tenu de la différence de solubilité nécessaire à la recristallisation et à la purification du tadalafil. Dans le cas de la RPS de la revendication 12b, Apotex affirme que le brevet 540 lui-même reconnaît que le choix d’un solvant précis, en l’occurrence, l’alcool isopropylique, est tout à fait dans les compétences de la personne versée dans l’art, et que cette admission rend la revendication 12 évidente au vu de la demande 594 et du brevet 377.

[250] Lilly ne nie pas que la demande 594 et le brevet 377 font partie de l’art antérieur, mais répond que le brevet 540 n’est pas évident. Selon elle, la définition de l’idée originale du critère de l’arrêt Sanofi, donc de l’objet que définit la revendication au paragraphe 28(3) de la Loi sur les brevets, diffère de l’interprétation de la revendication. Elle ajoute que dans la présente affaire, l’idée originale s’entend du procédé TAIC, c.‑à‑d. des résultats ou avantages d’une réaction modifiée de Pictet‑Spengler, qui atteint un équilibre, donne un rendement élevé et une grande pureté, est plus rapide et comprend moins d’étapes.

[251] Lilly se fonde sur l’avis de M. Laird selon lequel l’idée originale des revendications du brevet 540 est [TRADUCTION] « la conception d’une RPS améliorée ayant lieu dans un solvant dans lequel le diastéréoisomère cis désiré est insoluble à la température du chauffage à reflux (ou à une température inférieure) et le diastéréoisomère trans non désiré, soluble à la température du chauffage à reflux (ou à une température inférieure). Il s’ensuit une conversion simultanée, à des fins d’équilibre, du diastéréoisomère trans soluble en diastéréoisomère cis durant la réaction, qui donne lieu à un rendement élevé et à une grande pureté du diastéréoisomère cis ainsi qu’à un procédé rapide » (rapport sur la validité de M. Laird, au para 95). Par conséquent, Lilly fait valoir que les effets de la RPS ne sont pas négligeables lorsqu’on prend en compte le deuxième point de l’analyse du caractère inventif, et cite Teva Canada Limted c Pfizer Canada Inc, 2019 CAF 15 au para 35, et Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2019 CAF 16 au para 39.

[252] Lilly fait valoir que, selon l’analyse de l’évidence, il faut interpréter l’objet que définit la revendication, c’est‑à‑dire l’idée originale, et que cet objet peut être différent des éléments essentiels des revendications, telles qu’interprétées. Selon les observations de Lilly, l’idée originale peut donc s’entendre du résultat, des avantages ou des effets de l’invention. Elle soutient qu’il est en effet possible de prétendre que, d’après l’arrêt Sanofi, la définition de l’idée originale diffère de l’interprétation de la revendication.

[253] Compte tenu des positions contradictoires des parties, je dois déterminer comment, à la lumière des directives de la CSC et de la CAF, notre Cour doit procéder à l’examen de l’évidence.

(2) Le cadre régissant l’évidence

(a) Article 28.3 de la Loi sur les brevets

[254] L’examen de l’évidence est régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, selon lequel l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas être évident.

[255] En l’espèce, le brevet 540 ne devait pas être évident pour la personne versée dans l’art en date du 31 juillet 2002.

(b) Le critère de l’évidence énoncé dans l’arrêt Sanofi

[256] En 2008, la CSC a rendu l’arrêt Sanofi, reconnu depuis comme étant l’arrêt de principe sur l’examen relatif à l’évidence. L’arrêt Sanofi portait sur un brevet de sélection, et comme l’article 28.3 de la Loi sur les brevets ne s’y appliquait pas, il n’a pas été examiné.

[257] Ayant jugé trop strict le critère de l’évidence énoncé dans l’arrêt Beloit, la CSC a estimé qu’il y avait lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée dans l’arrêt Windsurfing International Inc v Tabur Marine (Great Britain) Ltd, [1985] RPC 59 (EWCA) [Windsurfing] puis reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA v BDMO SA [2007] EWCA Civ 588 [Pozzoli]. Au paragraphe 67 de ses motifs, elle a reformulé comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

1) a) identifier la « personne versée dans l’art »;

b) déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2) définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3) recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

4) abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[258] S’agissant de l’idée originale, la CSC a conclu qu’il n’était pas facile de saisir l’idée originale à partir des seules revendications, et elle s’est donc fondée sur le reste du mémoire descriptif pour la définir : « La seule présence d’une formule chimique ne permet pas de déterminer l’inventivité de la revendication. J’estime donc que l’on doit pouvoir se fonder sur les mémoires descriptifs pour définir l’idée originale qui sous‑tend les revendications ». (Sanofi, au para 77). La CSC a estimé que l’idée originale à la base des revendications du brevet de sélection en litige résidait dans les avantages que le composé visé par ce brevet offrait par rapport aux autres composés couverts par son brevet de genre et dans les méthodes permettant d’obtenir ce composé (au para 78).

[259] J’examinerai chaque étape.

(c) Première étape : Identifier la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes de cette personne

[260] La personne versée dans l’art a déjà été identifiée par la Cour aux paragraphes 114‑115, et les connaissances générales courantes définies aux paragraphes 128‑134.

(d) Deuxième étape : Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

(i) Questions à trancher

[261] L’arrêt Sanofi a donné lieu à d’importants débats visant à déterminer si, en introduisant le concept d’« idée originale » dans le critère relatif à l’évidence et en se référant à la divulgation pour l’interpréter, la CSC a dans les faits modifié la jurisprudence établie jusque‑là par la CAF dans l’arrêt Beloit. Les questions soulevées concernaient le sens d’« idée originale », à savoir si l’appréciation de cette idée différait de l’interprétation des revendications, si le critère établi par la CSC sur le fondement des anciennes dispositions de la Loi sur les brevets s’appliquait aux brevets régis par l’article 28.3 de la même loi, ou s’il était permis à l’égard des brevets, de sélection ou non, de déterminer l’idée originale en s’appuyant sur autre chose que sur les revendications lorsqu’il est difficile, ou non, de saisir cette idée à partir des seules revendications. Comme les parties ne s’entendent pas sur la manière de répondre à ces questions, j’exposerai brièvement la jurisprudence et les modifications législatives de manière chronologique, je situerai l’arrêt Sanofi dans cette chronologie et donnerai un bref aperçu des réponses jusque‑là fournies par la CAF afin d’orienter mon analyse.

(ii) 1986 : le cadre de l’arrêt Beloit

[262] Avant 1993, la Loi sur les brevets ne contenait aucune disposition précise sur l’évidence ou son antithèse : l’ingéniosité et l’inventivité. L’inventivité a été intégrée dans la définition du terme invention à l’article 2 de la Loi sur les brevets comme condition de la brevetabilité.

[263] Jusqu’à 2008, la décision de principe sur l’évidence était l’arrêt Beloit de la CAF, dans lequel les deux parties avaient en fait obtenu un brevet pour la même invention. Le brevet se rapportait à un mécanisme de presse installé sur l’une des quatre sections d’une machine à papier et il ne s’agissait pas d’un brevet de sélection.

[264] S’exprimant au nom de la CAF, le juge Hugessen a indiqué que ce qui était revendiqué comme novateur et inventif était la combinaison d’éléments déjà connus dans la conception d’une presse à grande vitesse, et il a décrit en la simplifiant et en la vulgarisant la revendication du brevet ainsi que le texte de celle‑ci, qui ne mentionnait pas la vitesse de la machine.

[265] Le juge Hugessen a confirmé le critère permettant de déterminer s’il y a évidence. Il a d’abord déclaré qu’il ne s’agissait pas de se demander ce que des inventeurs compétents auraient fait, les inventeurs étant par définition inventifs, ajoutant que « [l]a pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit », et que la question à se poser était de savoir « si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire » (Beloit, à la p 294, c’est moi qui souligne).

[266] Le juge Hugessen a ainsi désigné la « solution que préconise le brevet » comme l’élément qui doit être comparé à l’art antérieur, c’est‑à‑dire le second point, mais il ne l’a pas défini. Comme nous le verrons plus loin, la solution que préconise le brevet a plus tard été interprétée comme désignant la ou les revendications interprétées par la Cour.

[267] Le juge Hugessen a relevé une série de faits déterminables qui n’étaient pas contestés, et conclu qu’ils attestaient cumulativement une certaine inventivité : 1) la défenderesse dans cette affaire avait prétendu et continuait de prétendre qu’elle avait fait preuve d’esprit inventif à l’égard du même appareil, 2) la vitesse de la machine allait en augmentant, 3) il était difficile de faire accepter la nouvelle machine, car les idées reçues à l’époque invitaient à s’en éloigner, et 4) la machine avait connu un succès commercial phénoménal après qu’elle eut été acceptée.

(iii) Article 28.3 de la Loi sur les brevets

[268] En 1993, la Loi sur les brevets a été modifiée par l’introduction de l’article 28.3, qui s’appliquait aux demandes de brevet déposées à partir du 1er octobre 1989. Il y était question du second point, c’est‑à‑dire l’élément devant être comparé à l’art antérieur, comme de l’objet que définit la revendication. Comme nous l’avons examiné plus tôt, il s’agit du même terme que celui employé à l’article 28.2 qui régit l’analyse relative à l’antériorité.

[269] Dans la décision Janssen‑Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234, le brevet faisant l’objet du litige n’était pas régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, mais le juge Hughes a pris acte de la modification apportée à la loi et du fait qu’une définition de l’évidence avait été introduite, déclarant que celle‑ci « correspond à l’état du droit tel qu’il était généralement admis auparavant » (au para 109). Il s’est demandé si la solution que préconise le brevet, c’est‑à‑dire l’invention enseignée, différait de la revendication correctement interprétée et il a confirmé que le critère de l’évidence était celui formulé dans l’arrêt Beloit, ajoutant que ce qui était en cause était la ou les revendications correctement interprétées par la Cour : « N’est pas en cause l’“invention” décrite en général dans le brevet ou par les inventeurs, mais bien la revendication correctement interprétée » (au para 113). Il a dressé une liste de facteurs, les qualifiant de primaires ou de secondaires, et déterminé que l’invention revendiquée était la revendication qu’il avait interprétée, laquelle ne comprenait pas les propriétés ou les utilisations du composé (au para 114). La CAF a maintenu la décision du juge Hughes dans l’arrêt 2007 CAF 217 (Janssen CAF) et confirmé le critère établi par l’arrêt Beloit selon lequel « [l]a question porte sur la revendication telle que la Cour l’interprète » (au para 25).

[270] Il ressort clairement de l’arrêt Janssen CAF que la solution que préconise le brevet, au titre du second point énoncé dans l’arrêt Beloit, correspond aux revendications interprétées par la Cour.

(iv) Arrêt Sanofi en 2008

[271] Comme nous l’avons déjà mentionné, la CSC a examiné en 2008 le cadre d’analyse de l’évidence dans le contexte d’un brevet de sélection non régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. La CSC a introduit le terme « idée originale » pour désigner le « second point », c’est‑à‑dire l’élément qui doit être comparé à l’art antérieur, et ce que la CAF a décrit dans l’arrêt Beloit comme la « solution que préconise le brevet ». Soulignant qu’il n’était pas possible de saisir l’idée originale à partir des seules revendications, la CSC s’est appuyée sur la divulgation pour déterminer qu’il s’agissait d’« un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir » (Sanofi, aux para 77–78).

(v) Période postérieure à l’arrêt Sanofi

[272] Peu après l’arrêt Sanofi, la CAF a rendu l’arrêt Apotex Inc c ADIR, 2009 CAF 222 [ADIR CAF]. Elle examinait alors une décision rendue par la CF avant l’arrêt Sanofi, et dans laquelle la juge Snider avait appliqué le cadre décrit dans l’arrêt Janssen CAF. Le brevet en cause n’était pas un brevet de sélection et n’était pas régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[273] Devant la CAF, Apotex a fait valoir que la juge de première instance avait commis une erreur en faisant porter l’examen relatif à l’évidence sur les revendications du brevet tout en rejetant ce que la divulgation révélait à propos de l’esprit inventif. La CAF a jugé que le cadre d’analyse de l’arrêt Janssen CAF n’était pas incompatible avec les principes décrits dans l’arrêt Sanofi. Elle a rejeté la proposition d’Apotex en approuvant et en faisant siens les propos tenus dans l’arrêt Conor MedSystems Inc v Angiotech Pharmaceuticals Inc. [2008] UKHL 49 [Conor MedSystems], au para 19 : [traduction] « l’invention est le produit décrit dans la revendication et le breveté a le droit de voir la question de l’évidence tranchée en fonction de sa revendication et non d’une vague paraphrase fondée sur l’étendue de sa divulgation dans la description ». La CAF a cité l’arrêt Janssen CAF pour rappeler que « [l]a question porte sur la revendication telle que la Cour l’interprète » et elle a dit que cela concordait avec l’arrêt Sanofi, soulignant que le juge Rothstein avait déclaré que le deuxième volet tient à la nécessité de « [d]éfinir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation » (ADIR CAF, au para 69).

[274] Dans l’arrêt Novopharm CAF, la juge Layden‑Stevenson a adopté le cadre établi dans l’arrêt Sanofi pour évaluer les allégations d’évidence formulées à l’égard d’un brevet de sélection régi par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[275] Avant d’entreprendre l’analyse sur l’évidence, la juge Layden‑Stevenson a précisé n’avoir trouvé aucun précédent où l’analyse des conditions de validité d’un brevet de sélection, sans plus, a mené à l’invalidité du brevet. Elle a confirmé qu’un brevet de sélection n’était en rien différent des autres brevets et que sa validité pouvait être contestée pour les motifs prévus dans la Loi sur les brevets. Elle a ajouté toutefois que les conditions de validité d’un tel brevet servaient à le définir et, par conséquent, à guider l’analyse des motifs de validité prévus par la Loi (au para 27). S’agissant de l’évidence, la juge Layden‑Stevenson a confirmé que « [d]ans le cas d’un brevet de sélection, l’analyse de l’évidence porte sur les propriétés spéciales du composé, ainsi que sur ses avantages allégués, décrits dans la divulgation du brevet de sélection, car c’est là que le caractère inventif de la sélection y est défini » (non souligné dans l’original). La juge n’a pas dit ni expliqué ce qui devrait guider l’examen relatif à l’évidence d’un brevet qui n’est pas un brevet de sélection. Ainsi, rien n’indique qu’elle a modifié les enseignements de l’arrêt ADIR CAF pour ce type de brevet.

[276] Cependant, d’autres décisions ont adopté une position différente, comme Allergan Inc c Canada (Santé), 2011 CF 1316 aux para 53–54 [Allergan]; Apotex Inc c Allergan Inc 2012 CAF 308; Bell Helicopter Textron, ce qui a donné lieu à une certaine confusion.

[277] Les parties ont insisté en particulier sur cinq arrêts récents de la CAF qui jettent un éclairage sur l’interprétation et l’application du critère de l’évidence établi dans l’arrêt Sanofi. J’examinerai brièvement ces décisions pour dégager l’interprétation que la CAF me demande d’adopter. Elles portent sur des brevets qui ne sont pas des brevets de sélection et qui sont régis par l’article 28.3 de la Loi sur les brevets.

[278] Dans l’arrêt Zero Spill Systems (Int’l) Inc c Heide, 2015 CAF 115 [Zero Spill CAF], le juge Stratas a confirmé que les articles 28.2 et 28.3 de la Loi sur les brevets commençaient tous deux par le même texte, et exigeaient que les cours de révision se concentrent sur l’objet « que définit la revendication » (au para 81). Le juge Stratas a souligné que ces dispositions établissaient une norme, ainsi que certaines conditions à leur application, mais qu’elles ne prescrivaient pas de critère. Il a confirmé que l’arrêt de principe sur l’antériorité et l’évidence était l’arrêt Sanofi (bien qu’il ait été rendu sous le régime de l’ancienne version de la Loi sur les brevets) dans lequel la Cour suprême du Canada « a confirmé deux critères de la common law, dont chacun affirme que l’invalidité pour cause d’antériorité ou d’évidence doit être établie pour chaque revendication » (au para 85). Je n’ai pas trouvé de définition claire de la notion d’« idée originale » tirée de l’arrêt Sanofi dans les motifs du juge Stratas, ni rien laissant croire que cette idée découle d’un critère de la common law.

[279] Dans l’arrêt Société Bristol‑Myers Squibb Canada c Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76 [BMS CAF], le juge Pelletier a examiné le cadre relatif à l’évidence. Commentant l’arrêt Sanofi, il a écrit que sa caractéristique novatrice, en ce qui concerne l’évidence, résidait dans son adoption du critère de « l’essai allant de soi » que la Cour suprême a lié aux décisions britanniques Windsurfing/Pozzoli et aux trois facteurs relatifs à « l’essai allant de soi » provenant de la décision Lundbeck (H. Lundbeck A/S v Generics (UK) Ltd, [2008] EWCA Civ 311).

[280] Dans l’arrêt BMS CAF, le juge Pelletier a souligné, à l’égard de l’idée originale, que la CSC n’avait pas exposé les raisons pour lesquelles elle avait adopté le cadre des décisions Windsurfing/Pozzoli, et qu’elle n’avait pas mentionné la mise en garde formulée dans l’arrêt Pozzoli concernant l’idée originale : [traduction] « En fin de compte, ce sont les différences entre ce qui est revendiqué et l’art antérieur qui comptent » (au para 63). Le juge Pelletier a par ailleurs précisé que, jusqu’à l’arrêt Sanofi, la jurisprudence suivait l’arrêt Beloit en se référant à « la solution préconisée par le brevet », et que diverses interprétations de l’idée originale ont été appliquées depuis l’arrêt Sanofi. Selon lui, la CSC avait dans cet arrêt modifié le critère relatif à l’évidence en changeant la façon de passer de l’état de la technique à la solution préconisée par le brevet, mais sans dire qu’elle modifiait la définition de l’évidence (BMS CAF, aux para 67‑68). Pour le juge Pelletier, l’utilisation par la CSC du terme « idée originale » n’avait pas modifié ce à quoi l’art antérieur doit être comparé. Il a finalement conclu que la Cour fédérale avait commis une erreur en adoptant implicitement une définition de l’idée originale qui était axée sur les propriétés des composés (au para 74). L’idée originale correspond à ce qui est revendiqué dans le brevet.

[281] Dans l’arrêt Ciba CAF, le juge Pelletier s’est de nouveau penché sur le critère de l’évidence ainsi que sur le sens du terme « idée originale » employé dans l’arrêt Sanofi. Il a cité les décisions Unilever v Chefaro, [1994] RPC 567 (Pt Ct) et Conor MedSystems pour affirmer que « le titulaire du brevet est en droit d’exiger que la question de l’évidence soit déterminée par rapport à sa revendication et non à quelque paraphrase vague fondée sur la portée de la divulgation figurant dans le mémoire descriptif ». Le juge a conclu que de mettre ainsi l’accent sur les revendications était conforme à l’article 28.3, lequel prévoit que l’objet que définit la revendication ne doit pas être évident. Il a souligné que la notion d’idée originale n’était toujours pas définie, ce qui causait une grande confusion, et a suggéré que nous évitions tout simplement ce terme jusqu’à ce que la CSC soit en mesure d’élaborer une définition pratique. Le juge Pelletier a ensuite comparé l’état de la technique avec les éléments des revendications interprétées.

[282] Dans l’arrêt Tearlab CAF, la notion d’idée originale qui fait partie de l’examen de l’évidence est abordée au paragraphe 75 de la décision. Citant l’arrêt Sanofi, le juge de Montigny a indiqué que la CSC a semblé dire que l’interprétation des revendications et l’idée originale ne sont pas des concepts identiques, et qu’elle n’avait donné aucune description ou explication pour définir réellement l’idée originale, ce qui avait mené de nombreuses personnes à se demander si, en pratique, ces concepts sont différents. S’appuyant sur l’arrêt BMS CAF, le juge de Montigny a avancé la proposition que les mentions dans la jurisprudence de « l’idée originale », de « la solution enseignée par le brevet » ou, simplement de « l’invention » sont de simples tentatives pour définir le deuxième point et sont considérées comme des synonymes de « ce qui est revendiqué » dans le brevet (au para 77).

[283] Le juge de Montigny a ensuite renvoyé à des décisions récentes de la CAF (Ciba CAF et ADIR CAF) qui ont minimisé l’importance de « l’idée originale » comme outil analytique dans le cadre de l’examen relatif à l’évidence, et mis l’accent sur l’analyse des revendications elles‑mêmes, conformément au principe exprimé par lord Hoffmann dans l’arrêt Conor MedSystems, au para 19 (Tearlab CAF, au para 78).

[284] Dans l’arrêt Hospira CAF, le juge Locke a confirmé que l’article 28.3 était le fondement législatif de l’exigence relative à l’inventivité ainsi que de la démarche à quatre volets orientant l’analyse de l’évidence décrite au paragraphe 67 de l’arrêt Sanofi. Le juge Locke a également axé son examen sur les revendications pour déterminer l’idée originale en réitérant le principe selon lequel [traduction] « l’invention revendiquée pour n’importe quelle revendication donnée se définit par les éléments essentiels qui la composent, lesquels n’envisagent ni essai ni résultat particulier » (au para 94).

[285] De plus, j’aimerais faire remarquer que, dans l’arrêt AstraZeneca CSC rendu en 2017, la CSC a aboli la doctrine de la promesse. La question de la non‑évidence n’était pas en cause et la CSC ne s’y est pas intéressée, sinon pour mentionner au paragraphe 31 qu’« [e]n général, une analyse portant sur les questions de validité, comme la nouveauté et la non‑évidence, est axée uniquement sur les revendications, et ne tient compte de la divulgation que lorsque les revendications sont ambiguës » (Sanofi‑Synthelabo). Cette déclaration concorde avec la directive de notre Cour voulant que l’interprétation des revendications précède toutes les considérations liées à la validité : Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024 aux para 33‑50;Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067 aux para 42‑43 ».

[286] L’évidence était toutefois en cause dans la décision AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2014 CF 638, rendue par la Cour fédérale (AstraZeneca CF), où le juge Rennie a reconnu que ce qu’il fallait entendre par « l’idée originale » des revendications du brevet avait suscité la controverse, et que les parties devant lui, comme celles devant moi, en avaient proposé des interprétations contradictoires. Il a souligné que « [l]es parties avaient également des opinions contradictoires quant au principe juridique sous‑tendant l’idée originale. Dans sa plaidoirie finale, AstraZeneca a soutenu que l’idée originale, la promesse du brevet et l’interprétation des revendications n’étaient [TRADUCTION] ‘à toutes fins utiles qu’une seule et même chose’. À l’inverse, Apotex a fait valoir qu’il s’agissait de trois exercices distincts. Un tel désaccord sur le cadre juridique fondamental de doctrines essentielles en droit des brevets, entre deux plaideurs particulièrement avertis, est à tout le moins alarmant » (au para 266). Le juge Rennie a estimé que la détermination de l’idée originale commençait avec les revendications, comme lorsqu’il s’agit de les interpréter, et que le reste du brevet ne pouvait être consulté que si cela était nécessaire (au para 266). Il a finalement conclu qu’il n’était pas nécessaire de se reporter à la divulgation pour en dégager les propriétés améliorées associées à l’idée originale du brevet 653, car une idée originale viable était présente dans les revendications. La CAF a confirmé que la CF avait bien établi le critère juridique applicable et la CSC n’a pas examiné la question.

[287] L’interprétation par le juge Rennie de la notion d’idée originale issue de l’arrêt Sanofi, tout comme celle retenue par la CAF, était axée sur les revendications des brevets, et la CSC n’a pas écarté cette interprétation.

(vi) Le sens du terme idée originale

[288] L’élément qui doit être comparé avec l’art antérieur dans l’analyse relative à l’évidence a été désigné comme étant « la solution préconisée par le brevet » dans l’arrêt Beloit, « l’idée originale » dans l’arrêt Sanofi, et « l’objet que définit la revendication » dans la Loi sur les brevets.

[289] Il ressort clairement des arrêts de la CAF susmentionnés que ces termes désignent tous la même chose et qu’ils se rapportent aux éléments essentiels cernés à la suite de l’interprétation des revendications.

[290] Les tribunaux ont reconnu que le recours aux éléments de la divulgation peut être autorisé lorsque les revendications sont ambiguës ou qu’elles ne permettent pas de saisir l’idée originale. Par exemple, dans le contexte d’un brevet de sélection, il a été établi que le caractère inventif tient aux avantages que présente le brevet de sélection par rapport au brevet de genre (Astrazeneca CSC, au para 31; Sanofi, au para 77; Novopharm CAF). La CAF et notre Cour ont confirmé qu’il y a lieu d’établir une distinction entre l’invention et ce que l’on appelle les propriétés de l’invention, les avantages de l’invention ou encore les résultats de l’invention (BMS CAF, au para 74; Apotex c Pfizer 2019 CAF 16 aux para 37–45; Hospira CAF, au para 94; la décision sur l’AC du brevet 684, au para 164). Il n’est pas nécessaire d’examiner la divulgation à la recherche de propriétés améliorées si une idée originale viable est présente dans les seules revendications (AstraZeneca CF, au para 272).

[291] Axer l’analyse relative à l’évidence sur les éléments essentiels des revendications est conforme aux principes fondamentaux. Comme le font remarquer les défenderesses, la Loi renvoie à l’objet défini par la revendication, et non par le brevet. Le droit des brevets est entièrement législatif, et la Loi elle‑même nous impose de nous concentrer sur les revendications.

[292] Les articles 28.2 et 28.3 de la Loi sur les brevets renvoient tous deux à l’objet que définit la revendication pour désigner l’élément devant être évalué en regard de l’art antérieur. Selon les règles générales d’interprétation, le même terme utilisé dans deux dispositions doit avoir le même sens, et le même élément doit donc être utilisé comme point de comparaison avec l’art antérieur autant dans l’analyse de l’antériorité que dans celle de l’évidence. « Donner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des lois (Elmer Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p 93) » (R c Zeolkowski 1989 1 RCS 1378; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of statutes (Markham : LexisNexis, 2014) au para 8.34; Aux Sable Liquid Products LP c JL Energy Transportation Inc, 2019 CF 581; Zero Spill CAF).

[293] L’objet que définit la revendication, s’agissant de l’analyse relative à l’antériorité, réside dans les éléments essentiels des revendications. Compte tenu des règles générales d’interprétation, l’objet que définit la revendication, s’agissant de l’analyse relative à l’évidence, doit donc résider dans les mêmes éléments essentiels.

[294] Enfin, la CSC nous a enseigné que l’interprétation des revendications précède les analyses sur la validité et la contrefaçon, que cette interprétation sert à toutes les fins et que la clé de l’interprétation téléologique consiste à définir les éléments essentiels des revendications. Comme l’analyse relative à la contrefaçon s’intéresse aux éléments essentiels des revendications, l’analyse sur la validité, qui englobe celle relative à l’évidence, doit également s’intéresser aux éléments essentiels des revendications.

(vii) L’objet que définissent les revendications invoquées du brevet 540

[295] Comme les résultats de la RPS, c.‑à‑d. la TAIC, l’état d’équilibre, la vitesse de réaction, la grande pureté ou le rendement élevé, ne sont pas mentionnés dans les revendications du brevet 540, les parties n’ont pas demandé à la Cour de les interpréter, et ils ne l’ont pas été. Il s’agit donc d’avantages ou de résultats non revendiqués de l’invention. Eu égard aux récents arrêts de la CAF, je ne saurais les considérer comme étant l’objet que définit la revendication si un objet viable est présent dans les revendications. Il semble que le brevet 540 revendique des moyens précis d’arriver aux résultats, et non les résultats souhaitables en eux‑mêmes (voir Free World Trust, au para 32; BMS CAF, au para 74; Hospira CAF, au para 94).

[296] Dans tous les cas, il est possible ici de saisir l’objet que définit la revendication à partir éléments essentiels des revendications, telles qu’elles sont interprétées. Il s’agit, pour chacune des revendications 1, 3, 4, 7 à 10 et 12 qui sont invoquées, d’une méthode de préparation d’un composé comprenant une série d’étapes. Je souscris à la description faite par M. Anderson au paragraphe 220 de son rapport d’expert sur la validité : [TRADUCTION] « Selon moi, l’idée originale qui sous‑tend les revendications du brevet 540 est une méthode de fabrication du composé tadalafil et de composés apparentés fondée sur la réaction de Pictet‐Spengler, dans laquelle le diastéréoisomère cis désiré, produit de la tétrahydro‐β‐carboline, est insoluble dans le solvant de la réaction, et le diastéréoisomère trans non désiré est soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure. Concernant la revendication 12, plus particulièrement, l’idée originale est la méthode susmentionnée où le solvant de réaction est l’isopropanol ».

[297] L’analyse de l’évidence doit être faite pour chacune des revendications (Zero Spill CAF, au para 85). Si une revendication indépendante est jugée non évidente, alors les revendications en cascade, dépendantes et plus restreintes, ne sauraient donc être évidentes. A l’opposé, si une revendication indépendante est jugée évidente, la Cour doit alors considérer comme évidente chacune des revendications en cascade, dépendantes et plus restreintes.

(e) Troisième étape : Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation

[298] Apotex se fonde sur deux antériorités, la demande 594 et le brevet 377 (équivalent au brevet américain 006), et Lilly reconnaît que ces publications font partie de l’art antérieur. J’ai décrit chacune d’elles précédemment. Lilly affirme que le brevet 008 est un autre élément de l’art antérieur.

(i) Revendications 1, 3 et 4

[299] S’agissant de la revendication 1a et de la revendication 3, et de l’étape d’estérification avec l’alcool méthylique (méthanol) visant à produire un sel de chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle à partir du D‑tryptophane, Apotex soutient que cette étape a déjà été enseignée par l’art antérieur, ce que M. Laird a déjà reconnu (transcription du 16 janvier 2020, à la p 127). Il semble, d’après la preuve, qu’il s’agisse d’une réaction très courante et bien connue. Par conséquent, je ne relève aucune différence entre l’art antérieur et l’objet que définit la revendication.

[300] S’agissant de la revendication 1b et de la revendication 4, et de la RPS, Apotex affirme que cette réaction a été enseignée à l’étape de l’intermédiaire 1 de l’exemple 2 de la demande 594, et qu’elle a aussi été enseignée grâce aux réactions d’épimérisation (interconversion du trans en cis ou un mélange des deux) obtenues à l’étape de l’intermédiaire 69, à la page 26 du brevet 377. Apotex fait aussi valoir que le brevet 377 enseigne la RPS avec le toluène et le benzène, qui sont deux solvants réputés utiles pour ce type de réaction dans la divulgation du brevet 540. Au sujet de cette étape, Apotex affirme qu’il n’existe aucune différence entre l’état de la technique et l’objet que définit la revendication.

[301] Lilly insiste pour dire qu’il y a des différences et nie que la RPS des revendications 1b et 4 est enseignée par la demande 594, car la nature de la suspension résultant de la demande 594 n’est pas divulguée. Elle soutient donc que rien ne laisse croire que le produit de réaction cis est insoluble et le produit trans, soluble. Elle fait en outre valoir que la cristallisation a lieu après le refroidissement et l’ajout d’acétate d’éthyle et de MTBE, et que la température à laquelle la réaction est réalisée est de 50 ⸰C au lieu de la température du chauffage à reflux du solvant qui est de 118 ⸰C (le brevet 540 divulgue une RPS faisant appel à de l’alcool isopropylique réalisée entre 70 ⸰C et 82 ⸰C, une température avoisinant la température du chauffage à reflux de ce solvant). En lien avec le brevet 377, Lilly affirme aussi, en citant M. Anderson (transcription du 21 janvier 2020, à la p 54), que le brevet 377 enseigne un procédé dans lequel le diastéréoisomère cis est demeuré en solution durant la RPS, malgré la faible température, au lieu de cristalliser. À la fin de la RPS, seul un traitement subséquent, insiste Lilly en citant M. Laird, permet une cristallisation de l’isomère trans plutôt que de l’isomère cis (transcription du 16 janvier 2020, à la p 113). Malgré la conversion de l’isomère trans en cis dans les réactions subséquentes, le cis ne se cristallise pas selon Lilly, car la solution jaune a besoin d’un traitement ultérieur (transcription du 6 février 2020, à la p 154), ce qu’Apotex nie. Citant M. Laird, Lilly affirme que si on compare le rendement du procédé du brevet 594 et celui du procédé du brevet 540 sur une échelle similaire, ainsi que le temps de réaction, le procédé du brevet 540 est associé à un bien meilleur rendement et est beaucoup plus rapide.

[302] Comme j’ai retenu la preuve établissant que la suspension est le diastéréoisomère cis désiré, j’estime qu’il n’existe aucune différence entre l’art antérieur et les revendications 1b et 4.

[303] Quant à la revendication 1c, au sujet de l’étape de la séparation du mélange, je conclus qu’elle a été divulguée par l’étape de l’intermédiaire 1 de l’exemple 2 de la demande 594, et aussi par l’étape de la filtration du brevet 377.

[304] Comme il n’y a aucune différence entre l’objet que définissent les éléments essentiels des revendications 1, 3 et 4 et l’art antérieur, les revendications 1, 3 et 4 sont évidentes, et par le fait même, invalides.

(ii) Revendications 7 à 10

[305] La revendication 7a sert simplement à obtenir un diastéréoisomère désiré à partir de la tétrahydro‑β‑carboline par la méthode de la revendication 1. Étant donné ma conclusion sur la revendication 1, je suis d’avis qu’il n’y a aucune différence entre la revendication 7a et l’art antérieur.

[306] Concernant la revendication 7b et l’acylation de la tétrahydro‑β‑carboline, Apotex affirme qu’elle a déjà été enseignée dans l’art antérieur, et M. Laird l’a déjà admis (transcription du 16 janvier 2020, à la p 127). La voie indiquée dans le brevet 377 divulgue un procédé qui est semblable. Rien ne distingue donc la revendication 7b de l’art antérieur.

[307] S’agissant de la revendication 7c et des revendications 8 à 10, et de l’amination aboutissant à la cyclisation de la chloroacétyl carboline (transcription du 16 janvier 2020, à la p 127), Apotex soutient qu’elle a déjà été enseignée dans l’art antérieur, et M. Laird l’a déjà admis (transcription du 16 janvier 2020, à la p 127). La voie indiquée dans le brevet 377 divulgue une fois de plus un procédé semblable. Par conséquent, il n’existe aucune différence entre la revendication 7c et l’art antérieur.

[308] À propos de la revendication 7d et de la purification avec de l’acide acétique glacial, Apotex reconnaît que cette étape n’est pas la même dans l’art antérieur et dans l’objet de la revendication (mémoire des conclusions finales d’Apotex, à la p 78).

[309] J’estime donc qu’il existe une différence entre la revendication 7d et l’art antérieur. La même différence existe entre les revendications 8 à 10 et l’art antérieur.

(iii) Revendication 12

[310] La revendication 12a est semblable à la revendication 1a, la revendication 12c est semblable à la revendication 7b, et la revendication 12d est semblable à la revendication 7c. Elles sont divulguées dans l’art antérieur, et on ne relève aucune différence entre l’art antérieur et l’objet défini par les revendications. La validité de la revendication 12 dépend donc de la revendication 12b, qui porte sur la RPS dans l’alcool isopropylique à la température du chauffage à reflux.

[311] La RPS dans l’alcool isopropylique comme solvant dans lequel le chlorhydrate de D‑tryptophanate de méthyle et le pipéronal de la revendication 12b agissent comme réactifs n’existe pas dans l’art antérieur. Il existe donc une différence entre l’objet défini dans la revendication 12b et l’art antérieur.

[312] Comme j’ai relevé une différence entre l’objet de la revendication 7d et l’art antérieur de même qu’entre l’objet de la revendication 12b et l’art antérieur, je dois examiner si ces différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité.

(f) Quatrième étape : Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

(i) Introduction

[313] Comme l’historique de l’invention décrit en détail par M. Pawlak et M. Martinelli l’a démontré, nous sommes en présence d’un domaine scientifique où l’expérimentation est courante. De fait, Apotex allègue que, dans les deux cas, la recherche du bon solvant, qui est systématique, aurait mené à l’invention. M. Martinelli a souligné dans quelle mesure la recherche de solvant est habituelle et simple, et qu’elle se ferait dans un contenant de petite taille plutôt que dans une cuve de production de la taille d’une pièce (transcription du 14 janvier 2020, aux p 75 et 76). M. Pawlak a lui‑même réalisé plusieurs recherches de solvant et mis à l’essai plusieurs conditions de réaction avec différents acides, et ce, dans le but de mettre au point des réactions, mais aussi pour les adapter et les optimiser. Pour statuer sur l’évidence dans ce contexte, il faut donc recourir au critère de « l’essai allant de soi ».

[314] Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême a introduit à la quatrième étape le critère de l’« essai allant de soi », selon lequel un tribunal peut examiner si l’invention revendiquée résultait d’un « essai allant de soi ». Ce ne sont pas toutes les affaires qui exigent l’application de ce critère, mais il peut être indiqué d’y recourir quand l’art en question consiste notamment en des progrès qui sont le « fruit de l’expérimentation » (Sanofi, au para 68).

[315] Dans l’arrêt Sanofi, la CSC a dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération pour déterminer si l’invention résultait d’un « essai allant de soi » (Sanofi, aux para 69‑70) :

[69] Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’art antérieur*** fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’art antérieur****. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[316] Le critère de l’« essai allant de soi » n’est pas conçu pour remplacer tous les examens antérieurs, et d’autres examens demeurent possibles (BMS CAF, au para 60). Comme il a été souligné dans le récent arrêt Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2019 CAF 16 au para 32, il convient d’aborder ce critère avec prudence :

[32] Suite à l’arrêt Sanofi, notre Cour a repris, à l’occasion de l’affaire Atazanavir, l’enseignement de la Cour suprême relatif à l’évidence en rappelant que le critère de l’« essai allant de soi » commande la prudence, puisque ce n’est qu’un des nombreux facteurs à considérer pour statuer sur l’évidence (Atazanavir, au paragraphe 38; Sanofi, aux paragraphes 64 et 65). Dans l’arrêt Atazanavir, notre Cour a expliqué que le critère de l’« essai allant de soi » appliqué à l’occasion de l’affaire Sanofi n’abolissait nullement les autres critères, y compris le critère consacré par l’arrêt Beloit. Notre Cour a expressément rappelé que, bien que la Cour suprême ait appliqué le critère de l’« essai allant de soi », elle préconise une « démarche large et flexible englobant “toute considération accessoire pouvant se révéler éclairante” » (Atazanavir, au paragraphe 61, en référence à Sanofi, au paragraphe 63). Par conséquent, l’adoption d’une approche catégorique de l’examen de l’évidence et l’élaboration d’une « règle rigide » ont été expressément jugées inappropriées et rejetées par notre Cour (Atazanavir, au paragraphe 62).

[317] Lorsqu’un expert est engagé pour témoigner, le tribunal doit se méfier de son parti pris rétrospectif (Bridgeview Manufacturing Inc. c 931409 Alberta Ltd. (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188 au para 50 [Bridgeview]). Il ne serait pas juste envers la personne qui revendique une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, parce que chacun d’eux est bien connu, la combinaison est nécessairement évidente (Bridgeview, au para 51).

[318] Dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Santé), 2007 CAF 243 aux para 24‑25, la juge Sharlow a énoncé avec justesse les risques que présente le parti pris rétrospectif :

[24] […] On trouve l’avertissement traditionnel concernant la rétrospectivité dans Beloit (page 295, selon le juge Hugessen) :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « J’aurais pu faire cela »; avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »

[25] Cela ne signifie pas que le juge des faits est tenu, en droit, de rejeter une analyse d’expert rétrospective. Après tout, la preuve d’une partie alléguant la non‑validité pour cause d’évidence s’appuie nécessairement dans une certaine mesure sur une analyse rétrospective, puisqu’elle répond à une question hypothétique au sujet d’un moment dans le passé. Cela dit, il est entendu qu’une allégation peut être affaiblie si la preuve n’explique pas, directement ou implicitement, pourquoi l’invention n’a pas été faite par d’autres.

Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

Revendication 7, étape d et revendications 8 à 10

[319] M. Anderson a indiqué que la recherche systématique du solvant permettrait à une personne versée dans l’art de trouver l’acide acétique glacial comme solvant de recristallisation et de purification. Il ajoute que les manuels que la personne versée dans l’art aurait pu consulter avant le 31 juillet 2002 décrivaient l’acide acétique glacial comme un solvant de recristallisation possible, et est d’avis que la personne versée dans l’art n’aurait donc pas eu à faire preuve d’ingéniosité inventive pour combler la lacune et utiliser l’acide acétique glacial dans la recristallisation du tadalafil et d’autres composés de structure apparentée (rapport d’expert de M. Anderson, aux para 242 et 243).

[320] Je constate que l’affirmation de manque d’ingéniosité inventive n’a pas été contestée par Lilly, et j’estime que l’opinion de M. Anderson est celle qui permet d’établir qu’il allait plus ou moins de soi que les essais seraient fructueux. Il s’agit d’une simple différence de solubilité entre le composé désiré, et les impuretés courantes à une température donnée. Il n’est pas nécessaire de recourir à une réaction.

Revendication 12, étape b

[321] Apotex avance qu’une recherche systématique de solvant aurait révélé que l’alcool isopropylique, qui est un solvant fréquemment utilisé, fonctionnerait dans la RPS de la revendication 12b. Selon Apotex, il était évident d’essayer l’alcool isopropylique comme solvant dans la recherche systématique du bon solvant. Elle soutient que le brevet 540 reconnaît que le choix d’un solvant précis, dans le présent cas, l’alcool isopropylique, relève tout à fait des compétences de la personne versée dans l’art comme il est mentionné à deux reprises dans la divulgation du brevet 540, ce qui rend la revendication 12 évidente à la lumière de la demande 594 et du brevet 377.

[322] Apotex soutient que, dans l’éventualité où la question de la solubilité différentielle et de l’état d’équilibre était soulevée à l’égard la revendication 12, la réaction de réépimérisation divulguée à l’étape de l’intermédiaire 69 du brevet 377 enseigne que le diastéréoisomère trans peut être converti en diastéréoisomère cis en présence de certains acides et de chaleur, ce dernier pouvant être directement cristallisé. Apotex affirme que la personne versée dans l’art doit mettre à l’essai les différents solvants, et déterminer la solubilité des composés issus de la RPS dans divers solvants pour que seul le diastéréoisomère désiré cristallise directement au cours de la réaction.

[323] Apotex souligne que la méthode B et la méthode C, à l’étape de l’intermédiaire 69 du brevet 377, divulguent un procédé dans lequel le diastéréoisomère cis désiré cristallise directement, contrairement à ce que Lilly décrit.

[324] D’après Lilly, le brevet 377 s’éloigne du brevet 540 lorsqu’il divulgue, à l’étape des intermédiaires 67 et 68 du brevet 377, que le diastéréoisomère trans cristallise en premier. Les méthodes A, B et C à l’étape de l’intermédiaire 69 du brevet 377 ne font pas non plus appel à une cristallisation, selon Lilly. Les réactions aux étapes des intermédiaires 54 et 55, 67 et 68 sont lentes et produisent un mélange de cis et de trans.

[325] Lilly soutient aussi que la demande 008, qui divulgue une réaction avec un analogue du tadalafil, s’écarte aussi du brevet 540, car, malgré le recours à l’alcool isopropylique, le rendement est faible et on n’observe aucune cristallisation. La personne versée dans l’art apprendrait de ces échecs, notamment sur ce qui enseigné dans le brevet 008.

[326] Selon Lilly, il s’ensuit que les inventeurs ont pris un risque lorsqu’ils ont décidé de mettre au point un nouveau procédé non évident faisant appel à une TAIC dans l’isopropanol, même si l’art antérieur (demande 008) les éloignait du recours à ce solvant. Lilly ajoute aussi que le procédé du brevet 540 présente une très grande valeur commerciale, car son rendement est quinze fois plus important que celui du procédé du brevet 594.

[327] Lilly ajoute que M. Williams a indiqué que les |||| rapports qu’il a examinés contenaient le type précis de |||||||||||||||||||| que la personne versée dans l’art ferait (rapport d’expert de M. Williams, au para 230), mais |||| n’a jamais trouvé la solution.

[328] Enfin, Lilly soutient que la question n’est pas de savoir si cela « vaut d’être tenté » mais plutôt si cela « va de soi », et met en garde contre le danger d’un examen rétrospectif. Le critère de quelque chose « valant d’être tenté » a été précisément rejeté par la CSC dans l’arrêt Sanofi, aux para 55, 60 et 68. D’après Lilly, la seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas (Eli Lilly Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CAF 286 au para 4). Elle soutient que l’essai d’une cristallisation concomitante dans la réaction du diastéréoisomère cis désiré et le recours à l’alcool isopropylique comme solvant dans une RPS n’allaient pas de soi.

[329] La preuve montre qu’il va de soi qu’il y a un nombre déterminé de solvants que la personne versée dans l’art doit avoir essayé (ainsi que d’autres solvants potentiels que la personne versée dans l’art aurait pu essayer), et que l’alcool isopropylique est l’un de ces solvants. Il serait évident pour la personne versée dans l’art qu’un certain nombre de solvants pourraient avoir été utilisés. Après les essais, la personne versée dans l’art aurait constaté que l’alcool isopropylique est l’un des solvants à utiliser dans la RPS. M. Anderson a expliqué qu’il existe un nombre déterminé de solvants de réaction que l’on peut utiliser à l’échelle commerciale (rapport d’expert sur la validité de M. Anderson, au para 250).

[330] Il importe de souligner, une fois de plus, que la revendication 12b, telle qu’elle a été rédigée, revendique l’alcool isopropylique comme un solvant possible, mais ne revendique pas de réaction de TAIC, un état d’équilibre, un rendement ou une certaine pureté, et que ces effets n’ont pas été interprétés dans les revendications ni n’ont été considérés comme étant l’objet que définit la revendication.

[331] M. Anderson a présenté une liste de solvants fréquemment utilisés qui comprend l’alcool isopropylique (rapport d’expert sur la validité de M. Anderson, au para 235). La personne versée dans l’art qui chercherait un meilleur solvant que le dichlorométhane du brevet 377 et l’acide acétique de la demande 594, éliminerait un certain nombre des solvants de cette liste (ou les essaierait en réduisant les conditions de réaction), surtout ceux qui sont peu coûteux, peu toxiques, sans danger pour l’environnement et que l’on peut trouver facilement dans le commerce. L’alcool isopropylique est l’un de ces solvants, malgré le faible rendement divulgué dans le brevet 008, car, selon l’avis de M. Williams, un groupe hydroxyle sur le cycle du tryptophane, comme dans la molécule donnée en exemple dans le brevet 008, pourrait considérablement influer sur la liaison du tryptophane (transcription du 24 janvier 2020, à la p 70). La personne versée dans l’art tenterait différentes températures de réaction, mais elle essaierait la température la plus élevée possible pour obtenir la vitesse de réaction rapide. Pour la personne versée dans l’art, il serait courant de tenter la température du chauffage à reflux, ou une température légèrement inférieure. La personne versée dans l’art cherchant le bon solvant aurait trouvé l’alcool isopropylique et elle aurait obtenu un bon rendement en choisissant des conditions typiques de réaction.

Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour obtenir l’invention? Les essais sont-ils courants ou l'expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

[332] Apotex fait valoir que la recherche du solvant comme celle de M. Martinelli est une étape couramment entreprise. Elle ajoute que les inventeurs du brevet 540 ont réalisé l’invention après uniquement |||||||||||||||||||||| mené dans ||||||||||||||||||||||||,, et que M. Martinelli a qualifié la recherche de solvant d’« assez simple » (transcription du 14 janvier 2020, aux p 75 et 76). Apotex renvoie aussi aux paragraphes 263 et 264 du rapport d’expert sur la validité de M. Anderson, où ce dernier mentionne qu’il n’a trouvé aucune preuve dans le cahier de notes de M. Pawlak indiquant qu’il était difficile de trouver un meilleur procédé.

[333] Dans son témoignage, M. Pawlak a fait savoir que jusqu’à dix RPS auraient pu être effectuées en parallèle s’il l’avait voulu (transcription du 15 janvier 2020, à la p 59).

[334] Lilly reconnaît que ces essais de routine sont généralement réalisés pour rechercher de meilleures réactions (mémoire des conclusions finales de Lilly, au para 368). |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||| ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, sans succès : le diastéréoisomère désiré ne s’est pas cristallisé, le rendement était faible et on a observé un certain nombre d’impuretés. ||||||||||||||||||, et |||| n’a pas accidentellement trouvé ce que M. Pawlak et M. Martinelli avaient trouvé au cours |||||||||||||||||| de travail. Lilly remet en question la déposition d’expert de M. Anderson – qu’il n’avait pas trouvé le procédé difficile ou original – parce qu’il n’a pas reçu les rapports ||||. Elle ajoute que le meilleur |||||||| et |||||| a pu avoir lieu dans le procédé avant que Lilly y prenne part était la réaction |||||||||||||||||||||||||||||| qui était lente et dont le rendement n’était qu’entre ||||||||, et s’accompagnait aussi d’un grand nombre d’impuretés.

[335] Il appert des témoignages de M. Martinelli et de M. Pawlak que le choix du solvant est une étape courante, et les observations de M. Pawlak dans son cahier de notes indiquent que cette étape n’a pas été longue ni n’a nécessité un grand nombre d’essais pour arriver au choix du solvant. Selon M. Laird, un procédé ayant un faible rendement et s’accompagnant d’impuretés peut être acceptable dans les premières étapes des essais précliniques et cliniques. En dépit de mois entiers de travail par ||||||, seuls || ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, ont été utilisés pour rechercher divers solvants avant d’axer les recherches sur le solvant |||||||||||||| à partir de |||||||||||||| (rapport sur la validité de M. Laird, au para 141). Il semble que |||||||||||| n’ait pas non plus avoir mis à l’essai de façon soutenue un grand nombre de solvants. Elle a essayé |||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| comme dans le procédé antérieur réalisé à partir de |||||||||||||||| ainsi que ||||||||||||||. Il ne s’agit pas d’un grand nombre étant donné que ces mises à l’essai de solvants peuvent être effectuées en parallèle, dix solvants et dix conditions de réaction en même temps. En outre, |||||||| est toxique et |||| doit savoir qu’il est un candidat qui ne convient pas aux procédés commerciaux d’envergure.

[336] L’avis selon lequel ce genre de travail est courant, donné par M. Anderson, était convaincant même si ce dernier n’avait pas vu le rapport ||||, car |||| s’était concentré sur la recherche de procédés de petite taille (plus grand que les procédés de chimie thérapeutique) pour terminer les essais cliniques. M. Martinelli et M. Pawlak ont confirmé que la recherche du bon solvant était une étape courante qui leur a pris environ |||||||||| et qui semble être un |||||||||||||||| d’expériences servant à trouver le bon solvant.

[337] Je suis consciente du danger de l’approche rétrospective; toutefois, la preuve montre que le travail réalisé par M. Martinelli et M. Pawlak sur la RPS n’était ni long ni difficile.

L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

[338] Apotex soutient que les exemples de réépimérisation de la demande 594 et du brevet 377 offrent un motif suffisant pour analyser la solubilité des composés jouant un rôle dans la RPS dans divers solvants. Cela fait aussi ressortir l’avis de M. Anderson selon lequel la personne versée dans l’art serait sans aucun doute motivée à adapter et à améliorer les réactions de synthèse existantes enseignées dans l’art antérieur et visant la préparation du tadalafil et de composés connexes. M. Anderson a poursuivi et expliqué que, par l’influence de cette motivation, la personne versée dans l’art essaierait, par des expériences courantes de mises à l’essai, différents réactifs et solvants (rapport d’expert sur la validité de M. Anderson, au para 249). Comme l’acide acétique est un solvant polaire protique, la personne versée dans l’art aurait été motivée à poursuivre les recherches et à mettre à l’essai d’autres solvants polaires protiques (rapport d’expert sur la validité de M. Anderson, au para 251).

[339] Lilly répond que la CSC a déclaré dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 90, que le motif doit être précisément de poursuivre la réalisation de l’invention du brevet en litige. Le motif doit être directement axé sur la solution du brevet 540. Elle fait valoir que M. Laird a indiqué que rien dans l’art antérieur ne faisait état de la solution enseignée dans le brevet 540, et que les instructions sur la façon de surmonter les inconvénients décrits dans l’art antérieur étaient lacunaires (rapport sur la validité de M. Laird, au para 134; transcription du 16 janvier 2020, à la p 119).

[340] Comme je l’ai mentionné, l’objet que définit la revendication ne comprend pas les résultats de la RPS, c.‑à‑d. la TAIC, le rendement élevé, la grande pureté et la vitesse, car ce ne sont pas des éléments essentiels des revendications, mais des éléments à considérer pour statuer sur l’évidence.

[341] Je reconnais que les facteurs proposés dans l’arrêt Sanofi ne sont pas exhaustifs, mais je suis convaincue, après examen des facteurs susmentionnés, que la différence entre l’art antérieur et l’objet des revendications 7 et 12 n’est pas de nature inventive.

[342] Les allégations d’évidence d’Apotex sont fondées et toutes les revendications invoquées sont invalides pour cause d’évidence.

[343] Apotex soutient que, si la Cour ne rectifie pas l’erreur évidente qui a été commise dans la revendication 12, cette dernière sera invalide pour cause d’inutilité.

[344] Lilly affirme que la revendication 12 est clairement utile, car l’erreur qu’elle contient ne l’invalide pas. En fait, elle ne cherche pas à obtenir que la Cour reformule les éléments de la revendication 12, relativement à la mauvaise désignation du composé indiqué à la revendication 12c, mais simplement qu’elle souscrive aux témoignages des experts qui ont expliqué de quelle façon la personne versée dans l’art interpréterait la revendication. Une invention doit être nouvelle et utile (Loi sur les brevets, art 2). Pour qu’elle soit utile, il doit y avoir une parcelle d’utilité, et il n’est pas nécessaire d’invoquer de nouveau la doctrine de la promesse (AstraZeneca CSC).

[345] Citant l’arrêt Sanofi, Lilly fait valoir que, de la même façon que « [l]es erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier », l’erreur ne rendrait pas la revendication inutilisable.

[346] Apotex affirme cependant que Lilly aurait dû demander beaucoup plus tôt au Bureau des brevets de corriger l’erreur parce que le législateur a prévu un délai précis pour les rectifications dans la Loi sur les brevets, notamment à l’article 47 ainsi que dans les Règles sur les brevets, DORS/2019‑251, notamment à l’article 109. Apotex mentionne que l’équivalent américain du brevet 540 a été corrigé avant que le brevet 540 soit délivré.

[347] Cependant, Lilly ne demande pas une rectification ou ne souhaite pas que la Cour reformule la revendication. Elle lui demande d’interpréter la revendication, malgré l’erreur qui s’y trouve.

[348] Dans son rapport d’expert sur la validité, au paragraphe 267, M. Anderson a écrit que [traduction] « si la personne versée dans l’art suivait au pied de la lettre la méthode décrite par la revendication 12, celle‑ci ne produirait pas le composé cible, le tadalafil », mais que [traduction] « si la personne versée dans l’art suivait l’ordre des mesures décrites dans la revendication 12 sans tenir compte du produit à chacune des étapes, on obtiendrait dans ce cas le composé cible, le tadalafil ».

[349] Si je me fie à l’opinion de M. Anderson, je suis convaincue que la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 12 comporte une erreur, et que cette personne fabriquerait le tadalafil en suivant l’ordre des mesures indiqué. Apotex n’a pas démontré que l’interprétation de la revendication posait problème. Elle ne s’est donc pas acquittée de son fardeau pour ce qui est de son allégation d’inutilité.

[350] Apotex allègue que la portée des revendications 1, 3, 4 et 7 à 10 dépasse ce qui a été véritablement inventé, parce que M. Doecke, un autre inventeur désigné du brevet 540, sous la supervision de M. Martinelli, a étudié le |||||||||||||||| comme solvant, mais que le diastéréoisomère cis désiré ne s’est pas cristallisé en solution (transcription du 14 janvier 2020, aux p 97 et 98). Néanmoins, Apotex affirme que Lilly prétend faussement, à la page 22 du brevet 540, que |||||||||||||||| fonctionnerait s’il figurait dans la deuxième liste des solvants utiles. L’argument d’Apotex repose donc sur la question de savoir si |||||||||||||||| se situe ou non dans les limites de la revendication 1b.

[351] Premièrement, Lilly soutient, en considérant uniquement la loi, qu’il est clair qu’elle n’a pas établi de limites plus grandes que celles de l’invention; et deuxièmement, que dans les faits, Apotex ne s’est pas acquittée de son fardeau, car elle n’a pas établi la preuve qu’elle a tenté de présenter à l’appui de son allégation. Elle affirme que différents solvants peuvent être utilisés et qu’ils doivent satisfaire aux restrictions, c’est‑à‑dire être des solvants dans lesquels le diastéréoisomère désiré cristallise. Si un solvant ne respecte pas cette restriction, il n’est pas visé par la revendication.

[352] Lilly demande à la Cour d’éviter d’appliquer le principe de la portée excessive, car l’allégation d’invalidité pour cause de portée excessive n’est pas fondée sur la loi. Elle fait aussi valoir que la portée excessive risque de devenir une nouvelle promesse du brevet, une contestation des revendications par une analyse de la divulgation. En outre, d’après Lilly, Apotex n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation de portée excessive puisque seul M. Williams s’est prononcé sur le sujet, mais aucune directive juridique n’a été annexée à son rapport.

[353] Le principe de la portée excessive est ce que son nom indique. Il vise à ce que l’octroi d’un monopole se limite à l’invention réalisée et divulguée dans le mémoire descriptif (Farbwerke Hoechst AG v Commissioner of Patents, [1966] Ex Cr 91, à la p 106) :

[TRADUCTION]

La portée du monopole auquel peut valablement prétendre l’inventeur est restreinte de deux manières fondamentales. La portée du monopole ne peut excéder celle, premièrement, de l’invention qu’il a faite et, deuxièmement, celle de l’invention telle qu’elle a été décrite dans le mémoire descriptif.

[354] Le raisonnement est qu’il ne faut pas accorder l’exclusivité d’une manière trop large (RCA v Raytheon Manufacturing Co, [1956‑60] Ex Cr 98). Il est nécessaire de délimiter de manière raisonnable la portée du brevet (Free World Trust, au para 42).

[355] Cela étant, les revendications d’une portée excessive sont invalides (Amfac Foods Inc c Irving Pulp & Paper(CAF) [1986] ACF no 659 [Amfac]). « Il est fatal de revendiquer plus que nécessaire » (Biovail Pharmaceuticals Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2005 CF 9 au para 8). Une revendication est de portée excessive si l’on omet des éléments essentiels (Amfac).

[356] La manière dont Apotex a formulé l’allégation de portée excessive, en l’espèce, ressemble effectivement de près à la doctrine de la promesse, laquelle a été abolie dans l’arrêt AstraZeneca CSC. Ce qu’Apotex demande en réalité à la Cour de faire, c’est de décortiquer la divulgation, de conclure que |||||||||||||||| promet d’être utile pour la RPS, d’importer |||||||||||||||| dans la revendication 1 en l’absence de toute ambiguïté et de radier de ce fait la revendication 1.

[357] La CSC a fait une mise en garde contre cette pratique (AstraZeneca CSC, au para 31) :

[…] En revanche, la doctrine de la promesse oblige les tribunaux à lire tant les revendications que la divulgation pour cerner les promesses potentielles, et non uniquement les revendications, même en l’absence d’ambiguïté dans celles‑ci. Une fois les promesses cernées, la doctrine assimile la réalisation de ces promesses (par démonstration ou prédiction valable) à la condition d’utilité prévue à l’art. 2. Selon la doctrine, il suffit que l’une de ces promesses ne soit pas réalisée pour qu’il ne soit pas satisfait à la condition d’utilité prévue à l’art. 2 et que le brevet dans son ensemble soit invalide.

[358] Dans ce contexte, le principe de la portée excessive ne devrait pas être appliqué de la manière dont le suggère Apotex, une manière qui est semblable à la doctrine de la promesse (voir Les Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2019 CF 616 au para 237; Apotex Inc v Abbott Laboratories, Limited, 2018 ONSC 5199 aux para 8, 27 et 28).

[359] Apotex ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que les revendications 1, 3‑4 et 7‑10 sont invalides pour cause de portée excessive.

[360] Conformément aux motifs qui précèdent, je conclus que les revendications 1, 3–4 sont invalides pour cause d’antériorité et que la totalité des revendications invoquées sont invalides pour cause d’évidence.

[361] Après avoir conclu que la totalité des revendications sont invalides, je n’aurai pas besoin d’examiner la question de la contrefaçon. Cependant, au cas où je me serais trompée au sujet de la question de la validité, je vais examiner les allégations de Lilly.

[362] Aux termes de l’article 42 de la Loi sur les brevets, le breveté et ses représentants légaux ont le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres l’objet de l’invention et, aux termes de l’article 44, la durée du brevet est limitée à vingt ans à compter de la date de dépôt. Le paragraphe 55(1) prévoit que quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir.

[363] Comme il a été mentionné plus tôt, et étant donné que ni la présomption légale que comporte l’article 55.1 ni la présomption de common law (Hoffmann) ne s’appliquent de manière à inverser le fardeau, il incombe à Lilly, en l’espèce, de prouver que les procédés d’Apotex contrefont les revendications invoquées du brevet (Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34 au para 29). Apotex a quatre procédés : ||||||||||, ||||||||||||||||||||||, |||| |||||||||||||||||||||||| et ||||||||||||||||||||||||.

[364] Pour déterminer si une revendication de brevet est contrefaite, le tribunal doit interpréter de manière téléologique les revendications du brevet, ce que j’ai fait, et décider ensuite si le produit censément contrefaisant est visé par ces revendications (Free World Trust, précité, aux para 48‑49). Si un élément essentiel est différent ou a été omis, il n’y a pas de contrefaçon. Cependant, il peut tout de même y avoir contrefaçon si des éléments non essentiels sont différents ou ont été omis (Free World Trust, au para 31).

[365] Une fois l’interprétation terminée et les éléments essentiels et non essentiels identifiés, la Cour doit ensuite décider si l’un quelconque des procédés qu’Apotex a employés contient la totalité des éléments essentiels de la revendication invoquée, telle qu’interprétée. La contrefaçon d’un brevet exige que la défenderesse ait détourné la totalité des éléments essentiels d’une revendication de brevet valide (Free World Trust, aux para 68‑75). Si ne serait‑ce qu’un seul élément essentiel est omis des activités censément contrefaisantes de la défenderesse, il n’y a pas de contrefaçon (Zero Spill CAF, au para 56).

[366] Dans son témoignage, M. Bagga a confirmé que les approbations qu’Apotex a reçues du ministre de la Santé pour l’utilisation de chacun de ces quatre procédés sont en vigueur.

[367] Les allégations de contrefaçon concernant les procédés de |||||||||| et de |||||||||||||||||||||||| dépendent de l’interprétation des revendications. Les allégations concernant le procédé de |||||||||||||||||||||||||||||||||| dépendent de l’exception réglementaire, tandis que les allégations concernant le |||||||||||||||||||||| dépendent du fardeau de preuve.

[368] Pour ce qui est de la revendication 1 indépendante, Apotex ne conteste pas que le procédé de |||||||||| inclut la totalité de ses éléments essentiels. Ni M. Anderson ni M. Williams se sont prononcés sur la contrefaçon des revendications 1 et 3‑4 du brevet 540 par ||||||||||, tandis que M. Laird est d’avis que le procédé contrefait bel et bien les revendications 1 et 3‑4.

[369] Je remarque que le procédé de |||||||||| contient une étape de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| ||||||||, c’est‑à‑dire une étape de ||||||||||, en plus des éléments qu’analyse M. Laird en se fondant sur son interprétation des revendications (rapport d’expert sur la contrefaçon de M. Trevor Laid pour Apotex, aux p 8‑9), ce qui constitue l’élément essentiel de la revendication 1c, telle que je l’ai interprétée. Je remarque également que le procédé de |||||||||| utilise |||||||||| et ||||||||||||||||||. Je suis convaincue que Lilly s’est acquittée de son fardeau et a établi que le procédé de |||||||||| contrefait les revendications 1 et 3‑4 du brevet 540, si ces revendications sont valides.

[370] Pour ce qui est de la revendication 7, M. Anderson signale que le procédé de |||||||||| ne comporte pas l’étape de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| de la revendication 7d (rapport en réponse de M. Anderson, au para 74).

[371] J’ai considéré que l’étape de purification de la revendication 7d est un élément essentiel, ce qui fait que son omission exclut le procédé de |||||||||| de la portée du monopole. Le procédé de |||||||||| ne contrefait pas la revendication 7, ni les revendications 8‑10, car elles contiennent la méthode que décrit la revendication 7.

[372] Pour ce qui est de la revendication 12, M. Anderson souligne que le procédé de |||||||||| n’utilise pas d’alcool isopropylique comme solvant pour les besoins de la revendication 12b, mais qu’il utilise |||||||||| (rapport en réponse de M. Anderson, au para 78).

[373] J’ai considéré l’utilisation de l’alcool isopropylique dans la revendication 12b comme un élément essentiel, et le fait que cela a été omis du procédé de |||||||||| l’exclut là encore de la portée du monopole. Je conclus que le procédé de |||||||||| ne contrefait pas la revendication 12.

[374] En ce qui concerne la revendication 1, tant M. Laird que M. Anderson, experts de Lilly et d’Apotex, respectivement, conviennent que le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne contient pas une étape de |||||||||||||||||||||||||| de ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||. Le mélange réactionnel, après la RPS, se poursuit avec le ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||.

[375] J’ai considéré la revendication 1c comme une étape consistant à séparer physiquement le diastéréoisomère cis du mélange, ainsi que comme un élément essentiel. Le fait qu’un élément essentiel soit omis exclut le procédé de la portée du monopole, et le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne contrefait donc pas la revendication 1, ni les revendications 3‑4, car elles englobent la méthode que décrit la revendication 1.

[376] En ce qui concerne la revendication 7, M. Anderson est d’avis que le procédé n’englobe pas la revendication 7a, car le |||||||||||||||||| n’est pas obtenu par le procédé de la revendication 1, ni de la revendication 7d, vu que l’étape de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| n’est pas exécutée. M. Laird a considéré la revendication 7d comme un élément non essentiel.

[377] J’ai considéré l’étape de purification de la revendication 7d comme un élément essentiel, et le fait qu’elle soit omise, en plus du fait que le |||||||||||||||| n’est pas obtenu par le procédé de la revendication 1, exclut le procédé de |||||||||||||||||||||||| de la portée du monopole. Le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne contrefait pas la revendication 7, ni les revendications 8‑10, qui englobent la méthode que décrit la revendication 7.

[378] Quant à la revendication 12, M. Anderson exprime également l’avis que le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne contrefait pas la revendication 12 parce que la RPS n’est pas réalisée avec de l’alcool isopropylique, mais plutôt avec ||||||||||||||. L’analyse de M. Laird repose sur l’ajout d’équivalents à certains éléments de la revendication.

[379] J’ai considéré que l’alcool isopropylique est un élément essentiel de la revendication 12 et le fait que cet élément a été omis du procédé de |||||||||||||||||||||||| l’exclut donc de la portée du monopole. Le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne contrefait pas la revendication 12.

[380] En conclusion, le procédé de |||||||||||||||||||||||| ne contrefait aucune des revendications invoquées.

[381] Premièrement, il semble évident, d’après l’ordonnance de scission d’instance rendue par la protonotaire Tabib, que la question de la contrefaçon doit être tranchée à la présente étape, tandis que celle de l’étendue ou de la quantification des dommages doit l’être à la seconde étape.

[382] L’article 55.2 de la Loi sur les brevets dispose qu’« [i]l n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit ». Conformément à cette disposition, l’utilisation réglementaire d’un brevet, si elle est établie, n’emporte pas contrefaçon et, malgré l’exposé conjoint des questions en litige des parties, la question de savoir si elle s’applique ou non doit être tranchée, en l’espèce, à l’étape de la responsabilité.

[383] Lilly fait valoir qu’il incombe à Apotex de se prévaloir de l’exception que prévoit l’article 55.2 de la Loi sur les brevets (Teva Canada Limited c Novartis AG, 2013 CF 141 [Norvatis]) et qu’elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Elle soutient qu’Apotex n’a présenté absolument aucune preuve quant à la destination ultime des substances qui ont été censément mises au point à des fins réglementaires. Elle ajoute qu’Apotex n’a produit aucune preuve montrant que les substances importées étaient destinées à des fins réglementaires, ni qu’il n’en reste rien, qu’elle ne peut plus le faire à l’avenir ou que ces substances ne peuvent pas entrer dans la composition d’un médicament ou être vendues et, enfin, que ce qui restait de ces lots a été détruit. Elle invoque la décision Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis, 2011 CF 1486 aux para 232 à 238, inf pour d’autres motifs par 2013 CAF 186, ainsi que la décision Novartis, qui a confirmé que cette preuve est nécessaire. Comme Lilly l’a dit dans ses observations, le témoignage de M. Bagga, à savoir qu’aucune des substances n’a été utilisée à des fins autres que réglementaires, est insuffisant.

[384] Apotex ne conteste pas que les éléments essentiels de toutes les revendications se trouvent dans le procédé, mais elle invoque l’exception réglementaire de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets. Elle attire l’attention sur le témoignage de M. Bagga, à savoir que les substances || n’ont servi qu’à des essais réglementaires, qu’elles n’ont pas été transformées en doses finies, qu’elles n’ont pas été transformées en comprimés, qu’elles n’ont pas été vendues sur le marché canadien et qu’elles ne sont entrées dans aucune composition ni vendues à des fins d’exportation. Apotex cite le juge Hughes dans la décision Merck & Co Inc. c Apotex Inc., 2006 CF 524 au para 153, mod pour d’autres motifs 2006 CAF 323, à l’appui de la thèse selon laquelle l’exception est claire et non équivoque, de même que la juge Gauthier, dans l’arrêt Céfaclor, à l’appui de la thèse que l’exception ne se limite pas aux substances effectivement fournies à un organisme de réglementation.

[385] Je souligne que la seule preuve émane de M. Bagga, qu’elle n’a pas été contredite et qu’elle confirme que toutes les substances étaient destinées à des fins réglementaires. Au vu de la preuve, il semble plus probable qu’improbable que l’exception que prévoit l’article 55.2 s’applique et que le procédé de |||||||||||| |||||||||||||| n’est donc pas contrefaisant.

[386] M. Laird a convenu que le procédé décrit dans le dossier de lot ne serait pas contrefaisant, mais il allègue qu’il est falsifié. C’est pourquoi Lilly soulève les deux présomptions, tandis qu’Apotex nie leur applicabilité. J’ai conclu que les présomptions ne s’appliquent pas, et Lilly ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir la contrefaçon.

[387] M. Laird, l’expert de Lilly, a confirmé que le procédé décrit dans la PADN d’Apotex, laquelle a été produite par Lilly à titre de pièce commerciale, n’est pas contrefaisant. M. Laird n’avait pas en main les dossiers de lot se rapportant à d’autres procédés et il a fondé son analyse relative à la contrefaçon sur les ordinogrammes, sur la PADN ou sur la partie ouverte de la fiche maîtresse de médicament (FMM) qui s’applique à ces procédés.

[388] Dans son rapport d’expert sur la contrefaçon, M. Laird confirme que le procédé décrit dans la PADN du procédé de |||||||||||||||||||| décrit une RPS dans laquelle le |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| réagit avec |||||||||| au moyen de la méthode ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, qui est différente du procédé auquel recourt le brevet 540, ce qui a une incidence sur les revendications 1, 3–4 et 12.

[389] Au sujet de la revendication 7, le PADN indique qu’après le ||||||||||||||||||||||||||||||, |||| est ajouté au ||||||||||||, |||||||| et |||| suivi de |||||||| avec |||||||||| et |||||||||||||||||||||||||| et |||||||| avec |||||||||| (annexe J du rapport de M. Laird sur la contrefaçon, onglet 2 à la p 3). Il n’y a donc aucune purification par recristallisation dans l’acide acétique, un élément essentiel de la revendication 7d. Il n’y aurait aucune contrefaçon des revendications 7–10.

[390] Lilly ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que le |||||||||||||||||||||| contrefait l’une quelconque des revendications invoquées.

[391] Si je me trompe et que les revendications invoquées sont valides, Lilly a établi que le procédé de |||||||||| contrefait les revendications 1 et 3‑4 du brevet 540.

[392] Si j’ai tort au sujet de l’invalidité des revendications invoquées, la revendication 1 serait contrefaite et, à moins d’une décision contraire à l’étape de la quantification, Lilly serait en droit de faire un choix entre des dommages‑intérêts et une remise des profits. En règle générale, le juge du procès jouit d’une entière discrétion pour décider s’il convient d’accorder ou non ce redressement en equity (Merck & Co c Apotex Inc, 2006 CAF 323), et le droit de choisir a été refusé pour une variété de raisons, comme le caractère tardif de l’action en contrefaçon, une inconduite de la part du titulaire du brevet et la bonne foi du contrefacteur (Céfaclor, aux para 647 et 648).

[393] La Cour a le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance déclaratoire et d’ordonner une remise (Loi sur les brevets, art 57). Si les revendications invoquées sont valides, je déclarerais qu’Apotex a contrefait les revendications 1, 3 et 4 du brevet dans le cadre du procédé de |||||||||| et j’accorderais à Lilly les mesures de réparation demandées.

[394] Les parties disposent de quinze jours à partir du moment où sont rendus les présents motifs confidentiels pour formuler des observations au sujet des éléments qui ne devraient pas être communiqués au public.

[395] Les parties ont présenté peu d’observations sur les dépens, elles n’ont pas demandé à la Cour de mettre la question en délibéré ni de pouvoir déposer des observations sur la question. Lilly a demandé les [traduction] « dépens de la présente action selon une échelle déterminée par la Cour, y compris l’ensemble des taxes et débours applicables », tandis qu’Apotex a demandé que la présente action, dans la mesure où elle se rapporte au brevet 540, soit rejetée et que les dépens lui soient adjugés.

[396] Comme l’action intentée par Lilly au regard du brevet 540 est rejetée et que la demande reconventionnelle d’Apotex est accueillie, cette dernière a droit aux dépens.


JUGEMENT PUBLIC dans le dossier T‑1632‑16

LA COUR STATUE :

1. L’action en contrefaçon intentée contre la défenderesse au regard des brevets canadiens nos 2,371,684 et 2,492,540 est rejetée.

2. Les revendications 1 et 3‑4 du brevet canadien n2,492,540 sont invalides pour cause d’antériorité, et les revendications 1, 3‑4, 7‑10 et 12 du brevet canadien n2,492,540 sont invalides pour cause d’évidence.

3. La revendication 10 (qui dépend de la revendication 9, laquelle dépend à son tour des revendications 3‑6), et les revendications 13‑16 du brevet canadien no 2,371,684 sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence.

4 Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

5 Les parties disposent de quinze jours à partir du moment où sont rendus les motifs confidentiels pour présenter des observations sur les caviardages à faire avant qu’une version publique soit publiée.

6 Une copie des motifs confidentiels rendus dans l’affaire T‑1627‑16 sera versée dans le présent dossier.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE

Les brevets en litige ayant été délivrés après le 1er octobre 1989, les dispositions de la version actuellement en vigueur de la Loi sur les brevets s’appliquent. Les dispositions pertinentes de la Loi sur les brevets sont les suivantes :

Définitions

Definitions

2 Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act, except as otherwise provided,

invention Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. (invention)

invention means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter; (invention)

Mémoire descriptif Spécification

Specification

27 (3) Le mémoire descriptif doit :

27 (3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

Revendications

Claims

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject-matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

Objet non divulgué

Subject-matter of claim must not be previously disclosed

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

a) soit plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

c) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a);

(c) in an application for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant, and has a filing date that is before the claim date; or

d) avoir été divulgué dans une demande de brevet qui a été déposée au Canada par une personne autre que le demandeur et dont la date de dépôt correspond ou est postérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a) si :

(d) in an application (the “co-pending application”) for a patent that is filed in Canada by a person other than the applicant and has a filing date that is on or after the claim date if

(i) cette personne, son agent, son représentant légal ou son prédécesseur en droit, selon le cas :

(i) the co-pending application is filed by

(A) a antérieurement déposé de façon régulière, au Canada ou pour le Canada, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a),

(A) a person who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim, or

(B) a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication de la demande visée à l’alinéa (1)a), dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada,

(B) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim,

(ii) la date de dépôt de la demande déposée antérieurement est antérieure à la date de la revendication de la demande visée à l’alinéa a),

(ii) the filing date of the previously regularly filed application is before the claim date of the pending application,

(iii) à la date de dépôt de la demande, il s’est écoulé, depuis la date de dépôt de la demande déposée antérieurement, au plus douze mois,

(iii) the filing date of the co-pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application, and

(iv) cette personne a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

(iv) the applicant has, in respect of the co-pending application, made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, soit plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, soit, si la date de la revendication est antérieure au début de cet an, avant la date de la revendication, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed before the one-year period immediately preceding the filing date or, if the claim date is before that period, before the claim date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

Délivrance

Form and duration of patents

43 (1) Sous réserve de l’article 46, le brevet accordé sous le régime de la présente loi est délivré sous le sceau du Bureau des brevets. Il mentionne la date de dépôt de la demande, celle à laquelle elle est devenue accessible au public sous le régime de l’article 10, celle à laquelle il a été accordé et délivré ainsi que tout renseignement réglementaire.

43 (1) Subject to section 46, every patent granted under this Act shall be issued under the seal of the Patent Office, and shall bear on its face the filing date of the application for the patent, the date on which the application became open to public inspection under section 10, the date on which the patent is granted, and issued and any prescribed information.

Validité

Validity of patent

(2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

(2) After the patent is issued, it shall, in the absence of any evidence to the contrary, be valid and avail the patentee and the legal representatives of the patentee for the term mentioned in section 44 or 45, whichever is applicable.

Durée du brevet

Term of patents based on applications filed on or after October 1, 1989

44 Sous réserve de l’article 46, la durée du brevet délivré sur une demande déposée le 1er octobre 1989 ou par la suite est limitée à vingt ans à compter de la date de dépôt de cette demande.

44 Subject to section 46, where an application for a patent is filed under this Act on or after October 1, 1989, the term limited for the duration of the patent is twenty years from the filing date.

Admissibilité en preuve

Admissible in evidence

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies :

53.1 (1) In any action or proceeding respecting a patent, a written communication, or any part of such a communication, may be admitted into evidence to rebut any representation made by the patentee in the action or proceeding as to the construction of a claim in the patent if

a) elle est produite dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet ou, à l’égard de ce brevet, d’une renonciation ou d’une demande ou procédure de réexamen;

(a) it is prepared in respect of

EN BLANC

(i) the prosecution of the application for the patent,

EN BLANC

(ii) a disclaimer made in respect of the patent, or

EN BLANC

(iii) a request for re-examination, or a re-examination proceeding, in respect of the patent; and

b) elle est faite entre, d’une part, le demandeur ou le titulaire du brevet, et d’autre part, le commissaire, un membre du personnel du Bureau des brevets ou un conseiller du conseil de réexamen.

(b) it is between

EN BLANC

(i) the applicant for the patent or the patentee; and

EN BLANC

(ii) the Commissioner, an officer or employee of the Patent Office or a member of a re-examination board.

Nouveau produit

Burden of proof for patented process

55.1 Dans une action en contrefaçon d’un brevet accordé pour un procédé relatif à un nouveau produit, tout produit qui est identique au nouveau produit est, en l’absence de preuve contraire, réputé avoir été produit par le procédé breveté.

55.1 In an action for infringement of a patent granted for a process for obtaining a new product, any product that is the same as the new product shall, in the absence of proof to the contrary, be considered to have been produced by the patented process.


ANNEXE II

  1. Une méthode de préparation d’un diastéréoisomère cis désiré d’une tétrahydro-β-carboline dont la formule est

Comprenant les étapes suivantes :

  • a) produire un tryptophane estérifié à l’aide d’un alcool ayant la formule R2 OH où R2 est choisi parmi les groupements suivants : méthyle, éthyle, isopropyle, n-propyle, n-butyle, sec-butyle, t-butyle et mélanges de ces groupements

  • b) faire réagir, le tryptophanate de l’étape a) avec un aldéhyde de formule R1CHO, où R1 est un pipéronyl, pour obtenir le diastéréoisomère désiré et un diastéréoisomère non désiré, par une réaction ayant lieu dans un solvant dans lequel le diastéréoisomère désiré est insoluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure et le diastéréoisomère non désiré est soluble à la température du chauffage à reflux ou à une température inférieure, et

  • c) séparer le diastéréoisomère désiré insoluble du diastéréoisomère non désiré qui est soluble.

  1. La méthode de la revendication 1 où l’alcool R2OH est le méthanol.

  2. La méthode de la revendication 1 où le tryptophane est le D-trytophane.

  3. Une méthode de préparation d’un composé dont la formule est

Comprenant les étapes suivantes :

  • a) produire un diastéréoisomère désiré à partir de la tétrahydro-β-carboline à l’aide de la méthode de la revendication 1;

  • b) faire réagir la tétrahydro-β-carboline avec du chlorure de chloroacétyle pour produire une tétrahydro-β-carboline n-substituée;

  • c) faire réagir la tétrahydro-β-carboline n-substituée avec une amine de structure R3NH2, où R3 est un groupement C1-6alkyle ou hydro;

  • d) purifier le composé par une recristallisation dans l’acide acétique glacial.

  1. La méthode de la revendication 7 où l’amine est choisie parmi le groupe suivant : ammoniac, méthylamine, éthylamine, propylamine, isopropylamine, butylamine et sec-butylamine.
  2. La méthode de la revendication 7 où l’amine est la méthylamine.
  3. La méthode de la revendication 7 où R3 est le méthyle.

12. Une méthode permettant de préparer un composé dont la formule développée est :

Comprenant les étapes suivantes :

a) estérifier le D-tryptophane dans du méthanol et du chlorure de thionyle pour obtenir du chlorhydrate de D-tryptophanate de méthyle;

b) faire réagir le chlorhydrate de D-tryptophanate de méthyle avec du pipéronal par chauffage à reflux dans l’alcool isopropylique pour obtenir du cis-1-(1,3-benzodioxol-5-y1)-2,3,4,9-tétrahydro 1H-pyrido[3,4-b]indole-3- carboxylate de méthyle;

c) faire réagir le produit de l’étape b) avec du chlorure de chloroacétyle et de la triéthylamine pour obtenir le cis-1-(1,3-benzodioxol-5-y1)-2,3,4,9-tétrahydro-1H-pyrido[3,4-b]indole-3- carboxylate de méthyle;

d) faire réagir le produit de l’étape c) avec de la méthylamine pour obtenir le composé.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1632-16

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY, LILLY DELCARIBE INC., LILLY, S.A. ET ICOS CORPORATION INC. et APOTEX INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

du 4 DéCEMBRe 2019 au 7 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge martine st-louis

DATE DES MOTIFS :

le 10 Septembre 2020

COMPARUTIONS :

Jamie Mills

Adrian Howard

Chantal Saunders

Beverley Moore

David Schnittker

David Chapman

DEMANDERESSES/DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

Andrew Brodkin

Jordan Scopa

Jaclyn Tilak

Benjamin Hackett

DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais

Ottawa (Ontario)

DEMANDERESSES/DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

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