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                                                                                                                                 Date : 20050321

                                                                                                                    Dossier : IMM-1718-05

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 394

ENTRE :

                                                                  DUNG TRAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                Le demandeur, Dung Tran, demande à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure de renvoi prise contre lui, maintenant fixée au 22 mars 2005, jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue sur sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision rendue à l'examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a rejeté sa prétention qu'il serait en danger s'il était renvoyé dans son pays de nationalité.


[2]                La demande d'autorisation sous-jacente a également pour objet de contester l'ordre de se présenter en vue d'être renvoyé le 22 mars 2005. Or, comme il ne s'agit pas d'une décision ou d'une ordonnance, cet ordre n'est pas visé au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale et ne peut donc pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Il semble que le demandeur n'ait jamais demandé à l'agent chargé de son expulsion ou à l'agent d'escorte qui lui a signifié l'ordre de se présenter de repousser son renvoi. En conséquence, la présente requête qui vise à obtenir un sursis de l'exécution de la mesure de renvoi sera traitée comme si la demande de contrôle judiciaire sous-jacente avait seulement pour objet de contester la décision relative à l'ERAR. Il ne sera donc pas nécessaire d'ajouter le solliciteur général du Canada à titre de défendeur.

[3]                Le demandeur est né au Vietnam le 28 janvier 1961. Il a joint les rangs de l'armée vietnamienne en 1979, avant de déserter en 1983 parce qu'il n'aimait pas que celle-ci se batte contre les Cambodgiens. Il est arrivé au Canada et a obtenu le statut de résident permanent le 9 janvier 1985.

[4]                Entre 1990 et 2001, le demandeur a commis de nombreuses infractions criminelles graves (vol qualifié, voies de fait graves, possession d'une substance visée au paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances). Une mesure d'expulsion conditionnelle a été prise contre lui le 16 mai 1994 à cause des condamnations criminelles prononcées contre lui au Canada. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention à la même époque. Sa revendication a été rejetée le 29 mai 1995. Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi et a présenté une demande de contrôle judiciaire relativement à la décision de la SSR, mais les deux décisions ont été maintenues. Les demandes de résidence permanente présentées par le demandeur à titre de parent, de requérant indépendant et de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada ont aussi été rejetées.


[5]                À cause des différentes infractions dont il a été déclaré coupable, seuls les risques décrits aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ont été examinés, conformément aux alinéas 112(3)b) et 113d) de cette loi. Le demandeur soutient essentiellement, comme il l'a fait dans sa demande d'ERAR, qu'il pourrait être exécuté pour avoir déserté l'armée vietnamienne en 1983 ou, à tout le moins, être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités.

[6]                Ayant entendu les avocats lors d'une conférence téléphonique le 18 mars 2005 et ayant examiné avec soin les prétentions écrites et les dossiers de requête, je suis arrivé à la conclusion que la demande de sursis de l'exécution de la mesure de renvoi devrait être rejetée. Pour arriver à une telle conclusion, j'ai appliqué le critère à trois volets servant à déterminer s'il y a lieu d'accorder un sursis qui a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, et par la Cour d'appel fédérale dans Toth c. M.E.I. (1988), 86 N.R. 302. Ce critère exige que l'on réponde aux trois questions suivantes : 1) y a-t-il une question sérieuse à juger? 2) la personne qui demande le sursis a-t-elle démontré qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé? 3) laquelle des deux parties subirait le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le sursis en attendant une décision sur le fond de la demande sous-jacente?

[7]                Même si la personne qui demande un sursis n'a qu'à établir l'existence d'une « question sérieuse » , il faut qu'une question soit soulevée. En plus d'invoquer de nouveau les arguments qui ont été rejetés par l'agent d'ERAR, l'avocat du demandeur a soulevé une seule question : comme le demandeur est apatride, il ne sera pas traité comme un citoyen du Vietnam, ce qui le placera dans une situation très précaire et désavantageuse.


[8]                On n'a pas tenté de démontrer que le demandeur avait perdu sa citoyenneté vietnamienne et aucune explication n'a été donnée à cet égard. Comme les autorités vietnamiennes ont remis à l'Agence des services frontaliers du Canada des titres de voyage valides et ont autorisé le demandeur à débarquer au Vietnam, je dois présumer que les autorités vietnamiennes ne le considéreront pas comme un apatride, mais comme l'un de leurs ressortissants. L'agent d'ERAR est arrivé à la même conclusion après avoir fait référence à l'article 49 de la Constitution du Vietnam et à la loi vietnamienne sur la nationalité, selon laquelle une personne possède automatiquement la nationalité vietnamienne au moment de sa naissance si l'un de ses parents la possède ou si elle est née sur le territoire. Rien dans la preuve n'indique que la mention du mot « apatride » sur la fiche d'établissement du demandeur a pour effet de le dépouiller de sa citoyenneté.

[9]                En outre, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre qu'il subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé au Vietnam. La Cour a répété à de multiples reprises que l'allégation d'un préjudice irréparable ne doit pas être une simple hypothèse ni être fondée sur une série de possibilités. En fait, la Cour doit être convaincue que le préjudice irréparable surviendra si le sursis n'est pas accordé (Selliah c. Canada (M.C.I.), 2004 CAF 261; Akyol c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 931; Atakora c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 826). La Commission de l'immigration et du statut de réfugié et l'agent d'ERAR ont examiné les risques allégués par le demandeur et les ont rejetés.

[10]            Le demandeur a aussi soutenu que son renvoi aura de graves conséquences pour sa famille (son épouse et ses sept enfants) qu'il laissera derrière lui. Aussi déplorable que cela puisse être, le renvoi cause généralement ce genre de situation difficile qui ne peut cependant pas constituer un préjudice irréparable aux fins du critère à trois volets établi dans Toth. S'il en était autrement, un sursis devrait être accordé dans la majorité des cas.


[11]            Enfin, le demandeur soutient qu'il sera admissible à une réhabilitation en 2006 et que la demande présentée par son épouse canadienne, qui veut le parrainer afin qu'il obtienne le statut de résident au Canada, serait traitée plus rapidement s'il restait au Canada que s'il était renvoyé au Vietnam. Ce type d'inconvénient ne constitue pas non plus un préjudice irréparable aux fins du critère établi dans Toth.

[12]            Pour tous ces motifs, la demande de sursis est rejetée.

                                                                                                                           « Yves de Montigny »        

       Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-1718-05

INTITULÉ :                                                                DUNG TRAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 18 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 21 MARS 2005

COMPARUTIONS :

John Welton                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Welton                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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