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Date : 20050421

Dossiers : T-241-02 et T-1059-02

Référence : 2005 CF 542

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2005

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                         

ENTRE :

                                                            EXPRESS FILE INC.

                                                                                                                                   demanderesse

                                                                             et

                                                           HRB ROYALTY INC.

                                                                                                                                      défenderesse     

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit de deux appels, interjetés en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), de deux décisions rendues le 7 décembre 2001 et le 9 mai 2002 respectivement par la Commission des oppositions des marques de commerce. Ce sont les agentes d'audience Jill W. Bradbury et C.R. Folz qui ont rendu les décisions. L'agente Bradbury a rejeté l'opposition de la demanderesse à la demande numéro 797 808 de la défenderesse pour l'enregistrement de la marque de commerce EXPRESS FILE H & R BLOCK. L'agente Folz a rejeté la demande no 821 155 de la demanderesse pour l'enregistrement de la marque de commerce EXPRESS FILE.


QUESTION EN LITIGE

[2]                La question en litige est la suivante :

1.         La marque de commerce EXPRESS FILE de la demanderesse a-t-elle été « employée » au sens de la Loi en liaison avec des services de transmission électronique de déclarations de revenus le 31 janvier 1992 ou avant?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je dois répondre à cette question par la négative. En conséquence, les appels seront rejetés.

CONTEXTE

[4]                Le 21 novembre 1995, HRB Royalty Inc., la défenderesse, a déposé la demande d'enregistrement no 797 808 pour la marque de commerce EXPRESS FILE H & R BLOCK en liaison avec la transmission électronique de déclarations de revenus au Canada.


[5]                Express File Inc., la demanderesse, possède la marque de commerce américaine pour la transmission électronique de déclarations de revenus EXPRESS FILE aux États-Unis. Cette marque de commerce a été enregistrée le 3 mars 1992 sous le numéro 1 677 866. Le 20 août 1996, la demanderesse a produit une demande d'enregistrement de la marque de commerce canadienne, no 821 155 pour sa marque de commerce EXPRESS FILE. Elle réclame ainsi les bénéfices que procure l'article 14 de la Loi sur le fondement de l'enregistrement de la marque de commerce aux États-Unis.

[6]                Le 17 décembre 1996, la demanderesse a déposé une déclaration d'opposition à la demande no 797 808 produite par la défenderesse, opposition rejetée par la Commission des oppositions des marques de commerce le 7 décembre 2001. La demanderesse a interjeté appel de cette décision le 14 février 2002 conformément de l'article 56 de la Loi (dossier T-241-02).

[7]                Le 29 avril 1997, la défenderesse a déposé une déclaration d'opposition à la demande d'enregistrement no 821 115 produite par la demanderesse. L'audience a eu lieu le 7 décembre 2001 et la décision, rendue le 9 mai 2002, portait rejet de la demande d'enregistrement de la demanderesse. La demanderesse a fait appel de cette décision le 9 juillet 2002, conformément à l'article 56 de la Loi (dossier T-1059-02).

DÉCISIONS CONTESTÉES

Décision rendue par l'agente d'audience Jill W. Bradbury (T-241-02) (7 décembre 2001)


[8]                L'agente a conclu que la demanderesse ne pouvait s'appuyer sur l'alinéa 16(3)b) de la Loi pour s'opposer à la demande d'enregistrement de la défenderesse puisque sa propre demande d'enregistrement n'avait pas été déposée avant celle de la défenderesse. Elle a également conclu que la demanderesse ne pouvait invoquer l'alinéa 30i) de la Loi puisqu'elle n'a pas démontré que la défenderesse connaissait sa marque de commerce au moment de la production de sa demande. Elle a également rejeté l'opposition de la demanderesse fondée sur l'alinéa 30e) parce que celle-ci n'a pas présenté de preuves démontrant que la défenderesse n'a jamais eu l'intention d'employer la marque de commerce qu'elle souhaitait enregistrer. Finalement, l'agente était d'avis que la demanderesse n'avait pas établi que son produit était « employé » ou disponible au Canada ou qu'un grand nombre de Canadiens connaissait sa marque de commerce.

Décision rendue par l'agente d'audience C.R. Folz (T-1059-02) (9 mai 2002)

[9]                L'agente a conclu que la demanderesse n'avait pas démontré que ses services étaient employés au Canada de la manière prévue au paragraphe 4(2) de la Loi à la date pertinente, en l'occurrence le 31 janvier 1992. En conséquence, elle a accepté le premier motif d'opposition de la défenderesse, fondé sur l'alinéa 30b) de la Loi. Elle a aussi conclu que la demanderesse ne s'était pas acquittée du fardeau de preuve en matière de confusion et de caractère distinctif. En se fondant sur l'opposition de la défenderesse, l'agente a donc rejeté la demande d'enregistrement de la demanderesse conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

DISPOSITIONS PERTINENTES



Appel

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

Procédure

(2) L'appel est interjeté au moyen d'un avis d'appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

Avis au propriétaire

(3) L'appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l'avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

Avis public

(4) Le tribunal peut ordonner qu'un avis public de l'audition de l'appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu'il juge opportune.

Preuve additionnelle

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

DEMANDES D'ENREGISTREMENT DE MARQUES DE COMMERCE

Contenu d'une demande

30. Quiconque sollicite l'enregistrement d'une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

b) dans le cas d'une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

Quand une marque de commerce est réputée employée

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

Idem

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.

Appeal

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

Procedure

(2) An appeal under subsection (1) shall be made by way of notice of appeal filed with the Registrar and in the Federal Court.

Notice to owner

(3) The appellant shall, within the time limited or allowed by subsection (1), send a copy of the notice by registered mail to the registered owner of any trade-mark that has been referred to by the Registrar in the decision complained of and to every other person who was entitled to notice of the decision.

Public notice

(4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

Additional evidence

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

APPLICATIONS FOR REGISTRATION OF TRADE-MARKS

Contents of application

30. An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing

(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of wares or services described in the application;

When deemed to be used                  

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

Idem

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.


ANALYSE

Norme de contrôle

[10]            Dans Molson Breweries c. John Labatt Ltd., [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la nature de l'appel déposé en vertu de l'article 56 de la Loi et sur la norme de contrôle applicable. S'exprimant au nom de la Cour, le juge Rothstein a déclaré ce qui suit :

Du fait qu'il offre l'opportunité de produire une nouvelle preuve, l'appel prévu à l'article 56 n'est pas une disposition d'appel habituelle par laquelle la cour saisie rend sa décision sur la base du dossier de la cour dont la décision fait l'objet de l'appel. Un appel régulier n'est pas interdit si aucune preuve additionnelle n'est produite, mais il n'y a aucune obligation de procéder ainsi. L'appel prévu n'est pas non plus un « procès de novo » au sens strict du terme. Ce terme renvoie habituellement à un procès qui requiert la création d'un tout nouveau dossier, comme s'il n'y avait pas eu de procès en première instance. Ainsi, dans un procès de novo, la cause doit être jugée uniquement sur la base du nouveau dossier et sans égard à la preuve présentée dans les procédures antérieures. (paragraphe 46)

Lors de l'appel sous le régime de l'article 56, le dossier constitué devant le registraire forme la base de la preuve devant le juge de la Section de première instance qui est saisi de l'appel; les parties peuvent ajouter à cette preuve. Bien que le terme procès de novo soit devenu d'utilisation courante pour décrire l'appel de l'article 56, il n'est pas tout à fait approprié pour décrire la nature de cet appel. Le fait que l'appel de l'article 56 n'est pas un procès de novo au sens strict a déjà été signalé par le juge McNair dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (no. 1). (paragraphe 47)

Un appel sous le régime l'article 56 implique, du moins en partie, une révision des conclusions du registraire. Du fait que les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues, ses décisions méritent une certaine déférence. (paragraphe 48) [...] [Non souligné dans l'original.]


[E]n l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire. (paragraphe 51)

[11]            En résumé, on a statué que l'article 56 de la Loi n'était pas une disposition d'appel habituelle puisqu'il n'est pas interdit aux parties d'introduire une nouvelle preuve. On a considéré que l'appel prévu à cet article comprenait une révision des conclusions du registraire. En raison de l'expertise du registraire, la Cour a conclu que ses décisions méritaient une certaine déférence. En conséquence, en l'absence de preuve supplémentaire, les décisions du registraire devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cependant, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée en Cour et qu'elle peut avoir un effet sur les conclusions du registraire, le juge doit appliquer la norme de la décision correcte.

[12]            En l'espèce, la demanderesse a présenté le 30 juillet 2002 deux affidavits souscrits par M. Gary Porter et Mme Geraldine Teresa Lonergan. Selon la défenderesse, ces nouvelles preuves ne sont qu'une simple répétition des preuves soumises au registraire et n'ajoutent rien d'appréciable. Elle allègue donc que la norme de contrôle applicable aux présents appels est celle de la décision raisonnable simpliciter. La demanderesse prétend pour sa part qu'elle a produit des affidavits concernant le fond de la question et que les décisions du registraire devraient être révisées selon la norme de la décision correcte.


[13]            Après avoir examiné attentivement les affidavits soumis aux agentes, je conviens avec la défenderesse que les nouveaux affidavits dont dispose la Cour ne sont qu'une répétition de la preuve déposée auprès du registraire. Je ne vois rien dans ces affidavits supplémentaires qui aurait pu avoir un effet sur les conclusions des décideurs. En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

Régime légal

[14]            Pour enregistrer une marque de commerce au Canada, le requérant doit produire une demande d'enregistrement de marque de commerce. Le Bureau des marques de commerce examine ensuite cette demande et évalue si :

(a)        la demande d'enregistrement des marques de commerce satisfait aux exigences (article 30 de la Loi);

(b)        la demande est enregistrable (articles 12 à 15 de la Loi);

(c)        la personne ayant produit la demande d'enregistrement de la marque de commerce est en fait la personne admise à l'enregistrement de la marque (article 16 de la Loi).

[15]            Quand le registraire n'est pas convaincu que la demande d'enregistrement de marque de commerce doit être rejetée, il fait alors annoncer la demande afin de fournir l'occasion à toute partie intéressée de s'y opposer (article 37 de la Loi).


[16]            Pour s'opposer à une demande d'enregistrement de marque de commerce, l'opposant doit produire une déclaration d'opposition qui expose, entre autres choses, les motifs de l'opposition (voir l'article 38 de la Loi). Les parties intéressées peuvent s'opposer à la demande sur les fondements suivants :

(a)        la demande d'enregistrement de marque de commerce ne satisfait pas aux exigences;

(b)        la marque de commerce n'est pas enregistrable;

(c)        le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque;

(d)        la marque de commerce n'est pas distinctive.

[17]            Si le registraire estime que l'opposition ne soulève pas une question sérieuse, il peut rejeter l'opposition (paragraphe 38(4) de la Loi). Toutefois, s'il est d'avis que l'opposition soulève une question sérieuse, il fait parvenir une copie de la déclaration d'opposition au requérant pour donner à celui-ci l'occasion de produire une contre-déclaration (paragraphes 38(5) et (6) de la Loi). Ensuite, tant l'opposant que le requérant ont l'occasion de soumettre la preuve sur laquelle ils s'appuient et de se faire entendre par le registraire des marques de commerce (paragraphe 38(7) de la Loi). Après avoir examiné les preuves et les observations de l'opposant et du requérant, le registraire des marques de commerce soit repousse la demande, soit rejette l'opposition (paragraphe 38(8) de la Loi).


Était-ce une erreur de conclure que la demanderesse n'avait pas « employé » sa marque de commerce de la manière prévue au paragraphe 4(2) de la Loi?

[18]            La demanderesse affirme que sa marque de commerce a été utilisée au Canada en liaison avec des services de transmission électronique de déclarations de revenus depuis au moins le 31 janvier 1992. Conséquemment, elle soutient que la date de premier emploi de sa marque de commerce est bien antérieure à la date du dépôt par la défenderesse de sa demande d'enregistrement no 798 808.

[19]            La défenderesse soutient pour sa part que la demanderesse ne répond pas aux exigences de l'article 30 de la Loi. En particulier, elle allègue que la demanderesse n'a pas employé sa marque de commerce au sens de l'article 4 de la Loi, comme l'exige l'alinéa 30b). Elle ajoute que la jurisprudence établit clairement qu'un service doit être exécuté au Canada et que le simple fait d'annoncer des services exécutés à l'extérieur du Canada ne constitue pas un emploi de la marque de commerce au Canada.

[20]            Le paragraphe 4(2) de la Loi prévoit « qu'une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services » . Montrer une marque de commerce dans l'annonce du service peut constituer un emploi en liaison avec ce service. Cependant, si l'on se fie à Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 C.P.R. 280, à la page 287 (voir aussi Canadian Kennel Club c. Continental Kennel Club (1997), 77 C.P.R. (3d) 470 (C.F. 1re inst.), le service qui est annoncé doit aussi être exécuté au Canada :


[TRADUCTION] Je dois donc conclure que l' « emploi au Canada » d'une marque de commerce en ce qui concerne des services ne s'établit pas par la simple annonce de la marque de commerce au Canada jumelée avec l'exécution de ces services ailleurs, mais qu'il nécessite que les services soient exécutés au Canada et que la marque de commerce soit employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce au Canada de ces services.

[21]            Ce point de vue a été réitéré dans Marineland Inc. c. Wonderland and Animal Park Ltd., [1974] 2 C.F. 558 (1re inst.), où on a conclu que la vente de laissez-passer pour le parc d'attraction de Marineland en Floride par des agents de voyages et des organisateurs de voyages au Canada ne constituait pas un « emploi » en liaison avec un service parce qu'il faudrait se rendre en Floride pour pouvoir bénéficier des services offerts par Marineland.

[22]            Dans un autre jugement, Bedwell Management Systems Inc. c. Mayflower Transit, Inc. (1999), 2 C.P.R. (4th) 543 (C.O.M.C.), on a statué que même si le service n'a pas encore été exécuté au Canada, il peut suffire que le propriétaire de la marque de commerce offre le service et soit disposé à l'exécuter au Canada. Ce point de vue est toutefois limité par la décision rendue dans Denman Place Investments Ltd. c. Hefru Food Services Ltd. (1972), 8 C.P.R. (2d) 199 (Registraire des marques de commerce), dans laquelle on a souligné qu'une marque montrée lors d'une annonce précédant la mise en marché d'un service non encore disponible ne constitue pas un emploi de la marque de commerce.

[23]            Puisqu'il est largement reconnu que l'emploi d'une marque de commerce en liaison avec un service doit être apprécié au cas par cas, voici un résumé des éléments de preuve produits en l'espèce.

[24]            Les services de transmission électronique de déclarations de revenus EXPRESS FILE sont offerts aux États-Unis depuis 1990. Entre 1990 et 1995, le service EXPRESS FILE a été mis à la disposition de clients par l'intermédiaire de banques et de coopératives d'épargne et de crédit américaines. Aucune institution canadienne n'y a pris part au cours des années pertinentes, pas plus que le service EXPRESS FILE n'a été offert pour la transmission de déclarations de revenus au Canada.

[25]            Les banques et les coopératives d'épargne et de crédit étaient responsables de leur propre campagne de marketing. EXPRESS FILE Inc. leur fournissait des présentoirs et du matériel publicitaire. De nombreux exemples de documents publicitaires ont été soumis mais aucun n'était daté puisqu'ils étaient utilisés année après année.


[26]            Gary Porter, président d'EXPRESS FILE Inc., a déclaré qu'il est possible que les banques et coopératives d'épargne et de crédit situées près de la frontière canadienne aient des clients canadiens. Conséquemment, il a affirmé que des documents publicitaires ont été envoyés à des Canadiens vivant au Canada puisque les banques et les coopératives envoyaient par la poste des renseignements à tous leurs déposants, y compris les Canadiens. Il a expliqué cependant qu'il n'était pas en mesure de donner le pourcentage des coûts de publicité affectés à la campagne de publicité au Canada puisque cette responsabilité incombait aux banques et aux coopératives.   

[27]            Joseph Grano, un ancien gérant de la M & T Bank, a témoigné que la banque encourageait ses clients à employer le service EXPRESS FILE. Pour ce faire, elle envoyait par la poste des renseignements à ses clients, y compris aux clients demeurant au Canada. Il a indiqué que le service EXPRESS FILE a été annoncé à plusieurs reprises.

[28]            Les clients canadiens fréquentant les banques et les coopératives d'épargne et de crédit américaines étaient exposés à la publicité d'EXPRESS FILE et avaient le droit d'y recourir pour transmettre leur déclaration de revenus à l'I.R.S. Les clients étaient invités à retourner leur déclaration de revenus, une fois remplie, à la banque ou à la poster directement aux succursales de la banque. M. Grano a indiqué qu'il n'y a jamais eu de centre de traitement ni de bureau au Canada.

[29]            Les Canadiens désireux de recourir au service EXPRESS FILE devaient posséder une adresse postale aux États-Unis au moment de la transmission électronique de leur déclaration, car le logiciel d'EXPRESS FILE ne pouvait reconnaître les données alphanumériques. Ils devaient donc obligatoirement avoir un code postal aux É.-U. M. Porter n'a pas pu préciser le pourcentage de Canadiens utilisant le service EXPRESS FILE parce que les clients canadiens devaient se servir d'une adresse aux É.-U. On a aussi démontré qu'un numéro de téléphone sans frais disponible à partir du Canada existait pour les clients canadiens ayant besoin d'aide pour remplir leur déclaration à l'aide d'EXPRESS FILE.


CONCLUSION          

[30]            En l'espèce, rien dans la preuve ne démontre que le service EXPRESS FILE a été annoncé au Canada ou, concrètement, qu'il était employé par des Canadiens ou connu d'eux au cours de la période pertinente. Les preuves apportées par M. Grano et M. Porter révèlent plutôt l'absence de preuve attestant dans les faits l'emploi et l'annonce du service. En réalité, M. Porter s'appuie sur le fait que certaines des institutions possédant une licence d'utilisation du service EXPRESS FILE font affaire avec des clients canadiens. Il se fonde sur cette prémisse pour affirmer que des Canadiens étaient au courant de l'existence du produit de la demanderesse.

[31]            M. Porter a témoigné que, durant les années en question (1992-1995), EXPRESS FILE Inc. n'a pas directement publicisé ni annoncé le service EXPRESS FILE. Il a affirmé clairement que les banques et les coopératives d'épargne et de crédits utilisant le service EXPRESS FILE étaient en charge de leur propre publicité. Il a aussi dit qu'il croyait que certains de ses clients pouvaient avoir annoncé le service EXPRESS FILE dans des journaux et que certains de ces journaux pouvaient avoir été distribués au Canada. Cependant, aucune preuve à l'appui de cette allégation n'a été produite.

[32]            En fait, rien ne démontre que les services de la demanderesse ont été annoncés dans des journaux ou des magazines au Canada, ou que de la publicité s'y rapportant a été envoyée directement à des Canadiens par la poste.


[33]            Il appert de la preuve qu'aucune documentation publicitaire ne visait spécifiquement la promotion du service en territoire canadien et que les résidants canadiens n'étaient pas directement visés. En fait, les seuls Canadiens qui auraient pu être au courant de l'existence du service EXPRESS FILE sont ceux qui faisaient affaire avec des institutions financières américaines.

[34]            De plus, même si ce produit avait été annoncé au Canada, le service n'était pas offert au Canada. Les Canadiens qui voulaient utiliser le service EXPRESS FILE de la demanderesse devaient non seulement remplir la trousse EXPRESS FILE, mais aussi la déposer à une succursale de leur banque située aux États-Unis ou la lui envoyer par la poste.

[35]            La demanderesse prétend que la jurisprudence a changé depuis l'arrêt Porter, précité, en raison des affaires Gesco Industries, Inc. c. Sim & McBurney, [2000] A.C.F. no 1766 (C.A.F.) (QL), Saks & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1989] A.C.F. no 28 (1re inst.) (QL), Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co. (1976), 28 C.P.R. (2d) 20, Société nationale des chemins de fer français c. Venice Simplon-Orient-Express Inc., [2000] A.C.F. no 1897 (1re inst.) (QL).

[36]            J'ai examiné ces jugements et je ne suis pas du même avis. Dans l'affaire Gesco, précitée, il n'a pas été question de l'arrêt Porto. Le contexte était également différent, et les services


d'application de produits antitaches sur les moquettes et les tapis ont été exécutés au Canada. Dans l'affaire Saks & Co., précitée, il ressort de la preuve que « la Société répond aux commandes postales et téléphoniques provenant du Canada, qu'elle accorde des privilèges de crédit à des Canadiens » . Dans l'affaire Wenward, précitée, les services de construction et de réfection des courts de tennis étaient eux aussi exécutés au Canada. Dans l'affaire Société nationale des chemins de fer français, précitée, les services de réservations et de vente de billets étaient aussi fournis au Canada, même s'il s'agissait d'un service de transport des passagers par train en Europe. Dans cette dernière affaire, les preuves établissaient que le nom SIMPLON-ORIENT-EXPRESS apparaissait sur les factures envoyées aux agences de voyages au Canada.

[37]            Je conclus donc qu'aucune erreur de fait ou de droit n'a été commise à l'égard des décisions contestées.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que les appels soient rejetés. Les dépens sont adjugés en faveur de la défenderesse.

                 « Michel Beaudry »                                                                                                               Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                                           T-241-02 et T-1059-02

INTITULÉ :                                                                           EXPRESS FILE INC. c.

HRB ROYALTY INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 18 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                       LE JUGE BEAUDRY          

DATE DES MOTIFS :                                                           le 21 avril 2005

COMPARUTIONS :                                                             

Kenneth D. McKay                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Margaret Weltrowska                                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Stefan Martin

                                                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                              

SIM, HUGHES, ASHTON & McKAY, LLP                           POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

FRASER MILNER CASGRAIN, s.r.l.                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)

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