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Date : 20020419

Dossier : T-596-01

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                            ALEXEI GOUDIMENKO,

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

L'appel de la décision par laquelle la juge de la citoyenneté a refusé d'accorder la citoyenneté à l'appelant est rejeté.

___________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 20020419

Dossier : T-596-01

Référence neutre : 2002 CFPI 447

ENTRE :

                                                            ALEXEI GOUDIMENKO,

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

[1]         L'appelant, M. Alexei Goudimenko, un immigrant âgé de 30 ans ayant obtenu le droit d'établissement, s'est établi au Canada le 28 janvier 1996 et a présenté une demande de citoyenneté le 12 février 1999. L'audience sur la demande de citoyenneté de M. Goudimenko a eu lieu le 11 septembre 2000 et, dans une lettre datée du 14 février 2001, la juge de la citoyenneté a refusé la demande de citoyenneté au motif que M. Goudimenko ne respectait pas les exigences en matière de résidence prévues dans la Loi sur la citoyenneté.


[2]         L'appelant est citoyen du Bélarus. Ses parents vivent à Toronto (Ontario). La citoyenneté canadienne a été attribuée au père de l'appelant. Au moment de la demande de M. Goudimenko, la demande de citoyenneté de sa mère était en instance et elle a depuis été attribuée. Cinq jours après s'être établi au Canada, l'appelant a repris ses études de cycle supérieur à la Syracuse University, à Syracuse (New York), États-Unis d'Amérique. Depuis son établissement, l'appelant a passé la majeure partie de son temps aux États-Unis comme étudiant de cycle supérieur. Il a terminé une maîtrise à Syracuse en mai 1997 et est actuellement candidat au doctorat à la Florida International University. Depuis son établissement, il a résidé à l'extérieur du Canada pendant 476 jours, ce qui fait qu'il lui manque 461 jours sur les 1 095 jours exigés par l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

[3]         La juge de la citoyenneté a examiné si les jours d'absence de l'appelant étaient suffisamment temporaires pour être comptées comme des jours de résidence et il a conclu que la demande de M. Goudimenko était prématurée parce qu'il n'avait pas centré son mode de vie au Canada. En examinant s'il devait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi, la juge a conclu que l'appelant n'avait fourni aucune preuve de situation particulière et inhabituelle de détresse.

[4]         Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29



5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

a) en fait la demande;

b) est âgée d'au moins dix-huit ans;

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20.

. . .

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a deportation order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

. . .

((4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne qu'il désigne; le ministre procède alors sans délai à l'attribution.

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.


14. (1) Dans les soixante jours de sa saisine, le juge de la citoyenneté statue sur la conformité - avec les dispositions applicables en l'espèce de la présente loi et de ses règlements - des demandes déposées en vue de_:

a) l'attribution de la citoyenneté, au titre du paragraphe 5(1);

b) la conservation de la citoyenneté, au titre de l'article 8;

c) la répudiation de la citoyenneté, au titre du paragraphe 9(1);

d) la réintégration dans la citoyenneté, au titre du paragraphe 11(1).

14. (1) An application for

(a) a grant of citizenship under subsection 5(1),

(b) a retention of citizenship under section 8,

(c) a renunciation of citizenship under subsection 9(1), or

(d) a resumption of citizenship under subsection 11(1)

shall be considered by a citizenship judge who shall, within sixty days of the day the application was referred to the judge, determine whether or not the person who made the application meets the requirements of this Act and the regulations with respect to the application.

2) Aussitôt après avoir statué sur la demande visée au paragraphe (1), le juge de la citoyenneté, sous réserve de l'article 15, approuve ou rejette la demande selon qu'il conclut ou non à la conformité de celle-ci et transmet sa décision motivée au ministre.

(2) Forthwith after making a determination under subsection (1) in respect of an application referred to therein but subject to section 15, the citizenship judge shall approve or not approve the application in accordance with his determination, notify the Minister accordingly and provide the Minister with the reasons therefor.

(3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l'existence d'un droit d'appel.

(3) Where a citizenship judge does not approve an application under subsection (2), the judge shall forthwith notify the applicant of his decision, of the reasons therefor and of the right to appeal.

(4) L'obligation d'informer prévue au paragraphe (3) peut être remplie par avis expédié par courrier recommandé au demandeur à sa dernière adresse connue.

(4) A notice referred to in subsection (3) is sufficient if it is sent by registered mail to the applicant at his latest known address.

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas_:

a) de l'approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

(5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

(6) La décision de la Cour rendue sur l'appel prévu au paragraphe (5) est, sous réserve de l'article 20, définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

(6) A decision of the Court pursuant to an appeal made under subsection (5) is, subject to section 20, final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

(2) S'il recommande l'exercice du pouvoir discrétionnaire, le juge de la citoyenneté_:

a) en informe le demandeur;

b) transmet sa recommandation motivée au ministre;

c) approuve ou rejette la demande dès réception de la réponse du ministre, en se conformant à la décision prise par celui-ci à l'égard de sa recommandation.

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.

(2) Where a citizenship judge makes a recommendation for an exercise of discretion under subsection (1), the judge shall

(a) notify the applicant;

(b) transmit the recommendation to the Minister with the reasons therefor; and

(c) in accordance with the decision that has been made in respect of his recommendation, forthwith on the communication of the decision to the judge approve or not approve the application.


Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en sa version modifiée




21. La Section de première instance a compétence exclusive en matière d'appels interjetés au titre du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté.

21. The Trial Division has exclusive jurisdiction to hear and determine all appeals that may be brought pursuant to subsection 14(5) of the Citizenship Act.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98/106



300. La présente partie s'applique :

a) aux demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives, y compris les demandes présentées en vertu des articles 18.1 ou 28 de la Loi, à moins que la Cour n'ordonne, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, de les instruire comme des actions;

b) aux instances engagées sous le régime d'une loi fédérale ou d'un texte d'application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l'introduction par voie de demande, de requête, d'avis de requête introductif d'instance, d'assignation introductive d'instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire, à l'exception des demandes faites en vertu du paragraphe 576(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada;

c) aux appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté;

300. This Part applies to

(a) applications for judicial review of administrative action, including applications under section 18.1 or 28 of the Act, unless the Court directs under subsection 18.4(2) of the Act that the application be proceeded with as an action;

(b) proceedings required or permitted by or under an Act of Parliament to be brought by application, motion, originating notice of motion, originating summons or petition or to be determined in a summary way, other than applications under subsection 576(1) of the Canada Shipping Act;

(c) appeals under subsection 14(5) of the Citizenship Act;


La Partie 5 inclut les articles 301 à 334, inclusivement.

[5]         Le principal argument de l'appelant est que la juge disposait d'une « preuve documentaire massive » qu'il avait centré son mode de vie au Canada et qu'elle a commis une erreur en rendant une décision sans tenir compte des éléments de preuve qui lui était présentés et en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée arbitrairement.   


[6]         M. Goudimenko déclare que la juge a commis une erreur en concluant [TRADUCTION] « [qu'] au cours de la période en cause, il a fait à l'occasion de courtes visites chez ses parents au Canada » alors que la preuve démontre qu'il est resté au Canada pendant de longues périodes et plus précisément 5 mois en 1996, 42 jours de décembre 1996 à janvier 1997, 7 mois de mai à décembre 1997 et 6 mois de décembre 1997 à juillet 1998. De plus, l'appelant dit que ses absences concordent avec ses études et souligne qu'il est resté au Canada 13 mois (à l'exclusion d'une visite de 2 semaines aux États-Unis) entre le moment où il a obtenu son diplôme de maîtrise et le début de ses études de doctorat. Pour ce qui de ces dernières, l'appelant a fait valoir que la juge a commis une erreur lorsqu'elle a conclu [TRADUCTION] « [qu'] après avoir terminé sa maîtrise en 1998, il a passé environ 3 mois au Canada où il a enseigné à l'Imperial College of Toronto (mai-septembre) et il est retourné aux États-Unis afin de poursuivre des études de cycle supérieur à la University of Florida, à Miami » . L'appelant se reporte à divers documents du dossier de citoyenneté qui établissent qu'il a obtenu son diplôme de maîtrise en 1997 plutôt qu'en 1998 et qu'il est resté au Canada 13 mois (plutôt que 3 mois) après l'obtention de son diplôme.


[7]         Enfin, M. Goudimenko soutient que la conclusion de la juge selon laquelle il n'a présenté aucune preuve de situation particulière et inhabituelle de détresse constitue un autre exemple de conclusion erronée qui ne tient pas compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés. L'appelant affirme qu'il n'a pas été informé de cette disposition et qu'il ne lui a pas été demandé de présenter de preuve à cet égard. De plus, il soutient que sa demande renfermait des éléments de preuve établissant que sa situation justifiait l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Plus précisément, l'appelant, un citoyen de Bélarus, s'étant vu refuser sa demande de passeport du Bélarus en août 1998 en raison de ses écrits anticommunistes, est donc devenu « apatride » depuis ce moment. Depuis, il est étudiant dans un pays étranger et, en tant qu'apatride, il n'a pas droit à la protection consulaire, est soumis à de sérieuses restrictions dans sa capacité à se déplacer et n'a pas de garantie au droit au travail, aux études ou à la protection contre le crime ou la maladie de la part du pays d'accueil. Un document de voyage canadien a été délivré à M. Goudimenko pour des motifs d'ordre humanitaire et ce dernier prétend que la juge de la citoyenneté n'a pas vérifié comme il se doit s'il se trouvait dans une situation de détresse. Il allègue que la juge a ignoré les éléments de preuve sur cette question qui ont été présentés à l'audience et qui figurent dans le dossier.


[8]         L'intimé se reporte à l'alinéa 5(1)c) de la Loi et soutient que c'est le troisième critère qui est en cause, c'est-à-dire qu'un requérant doit avoir résidé pendant 3 ans (1 095 jours) au cours des 4 années précédant la date de sa demande. La jurisprudence récente souligne la nécessité d'une présence physique importante au Canada. Affaire intéressant Chow (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 308 (C.F. 1re inst.) et Affaire intéressant Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122. L'intimé dit que même s'il existe différentes formulations du critère de résidence, il ressort de la jurisprudence qu'un requérant doit prouver (i) que la résidence au Canada a été initialement établie au Canada au moins 3 ans avant la demande et (ii) que la résidence établie a été maintenue pendant ce temps : Affaire intéressant Papadogiorgakis, [1978] 2 F.C. 208 (1re inst.); Canada (Secrétaire d'État) c. Martinson (1987), 13 F.T.R. 237 et Canada (Ministre d'État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté) c. Shahkar, [1991] 1 C.F. 177 (1re inst.). Les sources susmentionnées indiquent que l'intention d'établir une résidence ne suffit pas; la résidence dans les faits est nécessaire. Une dispense des exigences prévues par la Loi peut être accordée dans un cas limite, mais uniquement après qu'un requérant a déjà établi une présence prolongée et importante au Canada. Affaire intéressant Papadogiorgakis, précitée.

[9]         L'intimé soutient que l'absence du Canada de l'appelant dénote qu'il n'avait pas « [TRADUCTION] psychologiquement et dans les faits .... centré au Canada son mode de vie habituel avec les relations sociales, les intérêts et les convenances accessoires » . L'intimé se reporte à la conclusion de la juge selon laquelle l'appelant est demeuré au Canada 5 jours seulement après s'être établi avant de retourner aux États-Unis pour poursuivre ses études. L'intimé dit que les indices de résidence de l'appelant, c'est-à-dire le permis de conduire, la carte d'assurance-santé, le numéro d'assurance sociale, etc. concernent le but principal de la résidence, soit permettre à l'appelant de goûter à la vie au Canada et, ainsi, de se « canadianiser » .                                                           

[10]       Enfin, l'intimé fait valoir que la juge a examiné les six questions énoncées dans l'Affaire intéressant Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), et qu'elle a conclu qu'elles n'étaient d'aucun secours pour l'appelant en raison de ses absences du Canada et du fait qu'il n'avait pas établi sa résidence avant son départ initial. En résumé, l'intimé dit que l'appelant n'a pas prouvé qu'il avait centré son mode de vie au Canada, ou que le Canada est le lieu où il a vécu habituellement au cours des 4 années ayant précédé sa demande. Par conséquent, la demande de l'appelant était prématurée et la décision de la juge est bien fondée en fait et en droit.


[11]       Il s'agit d'un autre de ces cas où tout laisse croire que l'appelant ferait un excellent citoyen canadien. Les arguments de M. Goudimenko, tant écrits que verbaux, étaient préparés, approfondis, structurés et complets. Il est évident qu'il s'agit d'un candidat méritant la citoyenneté canadienne et qu'il souhaite ardemment devenir citoyen canadien. Dans le cadre des efforts qu'il a déployés pour faire annuler la décision de la juge de la citoyenneté, il a examiné attentivement la jurisprudence et la preuve. Toutefois, les mêmes critères doivent être respectés par tous les demandeurs, indépendamment de l'opinion du juge sur les qualités d'un individu en tant qu'éventuel citoyen. Les exigences de la Loi devraient s'appliquer de manière égale à tous. Affaire intéressant Koo, précitée.

[12]       L'appelant soutient que la loi ne s'applique pas de manière égale à tous et il se reporte à la divergence d'opinion au sein de la Cour fédérale au sujet du critère de l'existence centralisée (Affaire intéressant Koo, précitée, qui établit que les périodes d'absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence si la personne en cause a centré son existence au Canada), et du critère de la présence physique (Affaire intéressant Pourghasemi, précitée, qui exige une présence physique au Canada pendant le nombre de jours requis). Si la juge de la citoyenneté avait considéré ses périodes d'absence pour études universitaires comme des périodes de résidence, M. Goudimenko aurait dépassé les 1 095 jours de résidence requis.


[13]       Le problème que pose le raisonnement de l'appelant est qu'il ne tient pas compte de la question préliminaire, soit l'établissement de sa résidence au Canada. Si le critère préliminaire n'est pas respecté, les absences du Canada ne sont pas pertinentes. Canada (Secrétaire d'État) c. Yu (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F.1re inst.); Affaires intéressant Papadorgiorgakis, précitée, Affaire intéressant Koo, précitée; Affaire intéressant Choi, [1997] F.C.J. No 740 (1re inst.). Autrement dit, à l'égard des exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, l'enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n'a pas été établie, l'enquête s'arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l'enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C'est à l'égard de la deuxième étape de l'enquête, et particulièrement à l'égard de la question de savoir si les périodes d'absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu'il y a divergence d'opinion au sein de la Cour fédérale.

[14]       Il a été décrété que les juges de la Cour de la citoyenneté ont généralement tendance à adopter une vue moins restrictive de la résidence. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 148. Il ressort clairement des paragraphes 4 et 5 de la lettre datée du 14 février 2001 que la juge de la citoyenneté a appliqué le raisonnement suivi dans l'affaire Koo.

[TRADUCTION] Selon les éléments de preuve figurant dans votre dossier et qui m'ont été présentés à l'audience, au cours des quatre années précédant votre demande de citoyenneté (12 février 1999), vos absences du Canada totalisent 176 jours. Au cours de cette période, vous avez été physiquement présent au Canada pendant 634 jours. Dans les circonstances, pour respecter les exigences relatives à la résidence, vous devez me convaincre que vos absences du Canada (ou au moins une partie de celles-ci) peuvent être comptées comme une période de résidence au Canada.


La jurisprudence de la Cour fédérale exige, pour prouver la résidence, que le demandeur démontre qu'il a centré son mode de vie au Canada, psychologiquement et dans les faits. Une fois cette résidence prouvée, elle est acquise malgré les absences du Canada s'il est prouvé que le demandeur n'a été absent que de façon provisoire et qu'il a toujours gardé sa résidence au Canada sous forme réelle et tangible. J'ai donc examiné attentivement votre cas pour voir si vous aviez établi, avant vos absences, votre résidence au Canada de manière à ce que ces absences puissent néanmoins compter comme des périodes de résidence.

[15]       Le questionnaire intitulé « Motifs de décision en matière de résidence » ainsi que les notes de la juge figurent dans le dossier de citoyenneté qui est inclus dans le dossier de l'appelant. Les notes suivantes sont instructives :   

[TRADUCTION] Pour évaluer la qualité du lien d'un demandeur avec le Canada, je souligne qu'il ne s'agit pas d'une situation où il y a eu une longue période de résidence avant la période en cause visée par la demande, 5 jours au Canada avant sa première absence prolongée et de brèves visites chez ses parents pendant la période visée par la demande ne permettent pas d'établir une base résidentielle et un mode de vie centré au Canada - une exigence pour la citoyenneté canadienne ...

Les caractéristiques de la de présence physique indiquent que les fréquentes visites au Canada ne constituent pas un retour à la maison.

[16]       La juge de la citoyenneté a conclu que l'appelant n'avait pas établi de résidence. En conséquence, n'ayant pas respecté ce critère, indépendamment du critère de « résidence » qui était appliqué, l'appelant ne pouvait faire accepter sa demande.


[17]       Une conclusion de fait erronée modifie-t-elle l'issue de la demande? L'appelant déclare à juste titre que la juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il avait passé 3 mois au Canada après avoir terminé sa maîtrise en 1998. Un examen de la preuve révèle que la juge n'a pas tenu compte du fait que M. Goudimenko avait obtenu sa maîtrise en 1997 et qu'il était retourné au Canada pendant 13 mois (à l'exclusion d'une brève visite de deux semaines aux États-Unis) entre l'obtention de son diplôme de maîtrise et le début de ses études de doctorat en août 1998. La conclusion de la juge à cet égard était donc erronée. Je conclus néanmoins que la conclusion n'a pas eu et ne pouvait avoir eu une incidence sur l'issue de la demande.

[18]       La juge de la citoyenneté a tiré une conclusion de fait selon laquelle le séjour initial de 5 jours de l'appelant après l'établissement ne respecte pas le critère relatif à l'établissement de la résidence. Il n'y a pas de motif pour modifier cette conclusion. Il est raisonnable de conclure que la juge aurait aussi été peu impressionnée par les visites subséquentes de l'appelant au début de 1996 de 8, 5 et 8 jours, respectivement. La première fois que l'appelant est retourné au Canada pour plus de 8 jours après son établissement, est du 12 mai au 2 septembre 1996. Toutefois, le fait de supposer que l'appelant a établi une résidence au Canada en mai 1996, ou mai 1997 n'est d'aucun secours pour l'appelant parce que sa demande de citoyenneté était datée du 12 février 1999. Ainsi, il ne peut tomber sous le coup des dispositions de l'alinéa 5(1)c) de la Loi parce que même l'interprétation la plus libérale de l'exigence de résidence veut que ce critère soit respecté au moins 3 ans avant la date de la demande. N'ayant pas de conséquence importante, cette erreur ne peut avoir d'incidence sur l'issue de la demande. Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 C.A.F. 55; [2002] F.C.J. No 178.

[19]       Même si j'éprouve de la sympathie pour l'appelant, j'estime que la juge de la citoyenneté a conclu à juste titre que sa demande de citoyenneté canadienne était prématurée.


[20]       La dernière question à trancher concerne l'omission de la juge de la citoyenneté de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire que prévoient les paragraphes 5(4) et 15(1) de la Loi et selon lesquels, avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté doit examiner s'il y a lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire. (Non souligné dans l'original). La lettre du 14 février 2001 mentionne ce qui suit :

[TRADUCTION] Aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi sur la citoyenneté, j'ai examiné s'il y avait lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi, qui confère au gouverneur en conseil le pouvoir d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne dans une situation particulière et inhabituelle de détresse ou pour récompenser des services exceptionnels rendus au Canada.

Étant donné que vous n'avez pas été en mesure de me présenter des éléments de preuve à cet égard, je ne vois aucune raison de formuler une recommandation [ ...]

[21]       L'appelant soulève une objection à l'égard de ce commentaire de la juge sur le manque de preuve particulièrement parce qu'il n'a pas été informé de la disposition en cause et qu'il ne lui a pas été demandé de présenter des preuves à cet égard. Malgré cela, M. Goudimenko déclare qu'il existe une preuve de situation particulière et inhabituelle de détresse.


[22]       Je ne partage pas l'interprétation que donne l'appelant à l'emploi du mot « aucune » par la juge de la citoyenneté. La mention désignait « aucune » preuve qui pourrait l'inciter à formuler la recommandation. La juge de la citoyenneté a examiné la preuve de l'appelant en rapport avec son état d' « apatride » et les contraintes de déplacement liées à ce statut ou à l'absence d'un tel statut. La juge a conclu qu'à son avis, il s'agissait d'une question d'inconvénient (plutôt que de détresse) pour M. Goudimenko. La juge de la citoyenneté a examiné s'il y avait lieu de recommander l'exercice du pouvoir discrétionnaire et elle a refusé de le faire. C'est tout ce qui était exigé d'elle. Même si ce n'est pas nécessaire, je fais miennes les observations de Madame le juge Reed dans Affaire intéressant Koo, précitée :

Je ne vois pas comment une cour de révision pourrait critiquer un juge de la citoyenneté pour avoir omis de recommander au ministre d'attribuer la citoyenneté en exécution du paragraphe 5(4). [...]La formulation d'une recommandation étant à ce point discrétionnaire, je ne suis pas convaincue que le fait qu'on n'en ait pas formulé une est un sujet d'appel valable. [...] Dans la présente affaire, le juge de la citoyenneté n'a pas recommandé que le ministre agisse en vertu du paragraphe 5(4). Je ne critiquerais certainement pas cette décision.   

[23]       En fin de compte, l'appel de la décision par laquelle la juge de la citoyenneté a refusé d'accorder la citoyenneté canadienne à M. Goudimenko est rejeté.

____________________________________

                        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

          AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-596-01

INTITULÉ :                                           ALEXEI GOUDIMENKO c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 9 AVRIL 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                        LE 19 AVRIL 2002

COMPARUTIONS :

M. ALEXEI GOUDIMENKO DEMANDEUR

Me IAN HICKS                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                                                                                  

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