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Date : 20050615

Dossier : IMM-9747-04

Référence : 2005 CF 851

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                             TERRY EGBEJULE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à une décision datée du 6 novembre 2004 par laquelle l'agente d'immigration Marjolaine Pellettier (l'agente d'immigration) a décidé qu'il n'y avait pas assez de motifs d'ordre humanitaire pour justifier que l'on dispense le demandeur, M. Terry Egbejule, de l'obligation énoncée au paragraphe 11(1) de la LIPR.

[2]                Le demandeur, un citoyen du Nigéria âgé de vingt-huit ans, est arrivé au Canada le 20 juillet 2000, muni d'un passeport britannique établi au nom de Paul William Kent. Le 24 juillet 2000, il a demandé l'asile en déclarant être Terry Egbejule, né à Delta States, au Nigéria, le 18 août 1976. Dans l'intervalle, le demandeur a rencontré Sylvia Marioara Manirescu - qui est aujourd'hui son épouse - le 11 novembre 2000. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a statué que le demandeur n'était ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger » . Ce dernier a demandé que la décision de la CISR soit soumise à un contrôle judiciaire, ce que la Cour a refusé le 20 septembre 2001. Le même mois, il a demandé à Sylvia Marioara Manirescu de l'épouser. Ils se sont mariés le 15 décembre 2001.

[3]                Le 8 janvier 2002, le demandeur a demandé d'être dispensé de l'obligation d'obtenir un visa à titre de conjoint d'une citoyenne canadienne et il a également rempli un formulaire intitulé « Renseignements complémentaires - Conjoint au Canada d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent » . Dans ce formulaire, le demandeur a expliqué comme suit pourquoi il sollicitait, au Canada, le droit d'établissement : [traduction] « Je suis un réfugié, je crains pour ma vie » . Le même jour, son épouse a présenté une demande en vue de le parrainer au titre de la catégorie du regroupement familial.


[4]                Le 24 août 2004, le demandeur a été informé que sa demande de résidence permanente pour motifs d'ordre humanitaire était en traitement et qu'il fallait mettre à jour son dossier. Une liste des documents ou des renseignements requis a été fournie, et elle contenait un avis important. Cet avis informait essentiellement le demandeur que, depuis l'entrée en vigueur de la LIPR, un mariage ou une union de fait n'est plus un motif suffisant en soi pour accorder une dispense ministérielle. De ce fait, le demandeur s'est trouvé dans l'obligation d'établir qu'il éprouverait des difficultés excessives s'il était tenu de présenter sa demande depuis l'étranger, comme l'exige la LIPR.

[5]                En septembre 2004, un passeport nigérian a été délivré au demandeur, indiquant qu'il était né à Ebute-Metta, au Nigéria. Le 8 novembre 2004, la demande de résidence permanente du demandeur, qu'il avait présentée au Canada, a été refusée. La décision de l'agente d'immigration était fondée sur les éléments suivants : l'identité du demandeur était douteuse; la preuve de cohabitation était insuffisante; il y avait des doutes quant à la bonne foi du mariage; des accusations portées contre le demandeur étaient en instance au Canada; le demandeur n'avait pas prouvé avec succès qu'il y aurait un risque pour sa vie s'il était renvoyé au Nigéria; enfin, le demandeur n'avait pas convaincu l'agente d'immigration que sa situation personnelle était telle que le fait d'avoir à obtenir un visa d'immigrant à l'étranger lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Le même jour, la demande de parrainage que son épouse avait présentée a été refusée elle aussi.


[6]                Essentiellement, le demandeur soutient qu'il n'a pas présenté une demande fondée sur des motifs humanitaires, mais plutôt à titre de conjoint, en prenant pour base que sa répondante - son épouse - est canadienne. En outre, il soutient que si sa demande a bel et bien été transformée de manière légitime par l'agente d'immigration en une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, il n'a pas bénéficié de toute la latitude qu'envisage l'article 66 du Règlement et qu'on ne lui a pas remis le formulaire 5283, un document dans lequel il aurait pu expliquer pourquoi il sollicitait un traitement exceptionnel. Autrement dit, le demandeur soutient que l'agente d'immigration ne lui a pas accordé la latitude nécessaire pour établir des faits suffisants qui soient à la hauteur des attentes de cette dernière. En outre, il allègue que l'agente d'immigration a commis une erreur en décidant qu'il ne fallait pas accorder une dispense en vertu du paragraphe 12(1) de la LIPR et de l'article 4 du Règlement. Plus précisément, prétend-il, la conclusion de l'agente d'immigration selon laquelle son mariage n'est pas authentique et qu'il n'éprouvera pas de difficultés injustifiées ou excessives s'il est contraint de solliciter à l'étranger la résidence permanente est déraisonnable.

[7]                Quelle que soit la norme appliquée, et pour les raisons exposées plus loin dans les présents motifs, la demande doit être rejetée. Il y a toutefois deux remarques préliminaires à faire avant d'analyser le bien-fondé des arguments du demandeur.

[8]                Tout d'abord, il est un principe élémentaire du droit que le contrôle judiciaire d'une décision doit être fait en tenant compte des éléments de preuve qui ont été soumis au décisionnaire. Le demandeur a produit un document intitulé [traduction] « Affidavit complémentaire du demandeur » . Ce dernier, que j'ai examiné en détail, se rapporte à des faits et à des documents postérieurs à la date à laquelle l'agente d'immigration a rendu sa décision. Je ne puis donc pas prendre en compte ce document dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Ye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1461 (C.F. 1re inst.) en ligne : QL; Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (1re inst.) en ligne : QL; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1526; [2004] A.C.F. no 1833 (1re inst.) en ligne : QL; Pauktuutit, Inuit Women's Assn. c. Canada, 2003 FCT 139; [2003] A.C.F. no 238 (1re inst.) en ligne : QL).

[9]                Deuxièmement, dans le contexte d'un contrôle judiciaire, les pouvoirs dont jouit la Cour sont restreints, et ils sont exposés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7. Quant à la demande du demandeur pour que la Cour conclue que la mesure de renvoi le concernant est sans objet et ordonne que l'on réponde à sa demande en vertu de la nouvelle politique après avoir déclaré que le mariage est authentique, la Cour n'est pas habilitée à rendre de telles décisions.


[10]            Maintenant, en ce qui concerne le bien-fondé de l'espèce, je commencerai par réitérer que chaque immigrant et visiteur doit, avant d'entrer au Canada, faire une demande de visa ou de n'importe quel autre document qu'exige le Règlement (paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi) et paragraphe 11(1) de la LIPR). Le paragraphe 114(2) de l'ancienne Loi habilitait le gouverneur en conseil à autoriser le ministre à faciliter l'admission d'une personne pour motifs d'ordre humanitaire. L'article 2.1 du Règlement sur l'immigration, 1978, DORS/78-172 (l'ancien Règlement) donnait également cette autorisation au ministre. L'article 25 de la LIPR a le même effet. Par conséquent, les demandes de dispense étaient toutes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire. En outre, conformément à l'article 190 de la LIPR, chaque demande, procédure ou question relevant de l'ancienne Loi qui était en instance ou traitée juste avant l'entrée en vigueur de la LIPR est régie par cette dernière.


[11]            Cela dit, il a déjà été noté que le paragraphe 114(2) de l'ancienne Loi est une mesure d'exception qui fait partie d'un cadre législatif dans lequel les non-citoyens n'ont pas le droit d'entrer ou de rester au Canada, où, en général, l'immigration est un privilège et non un droit (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358). En fait, le législateur a décidé, au paragraphe 114(2), de restreindre l'exercice du pouvoir discrétionnaire aux affaires qui concernent des motifs d'ordre humanitaire (Legault, précité, au paragraphe 17). Sur ce point, je signale qu'avant l'entrée en vigueur de la LIPR, le droit d'établissement pour des motifs d'intérêt public ou d'ordre humanitaire pouvait être accordé à des catégories prescrites d'immigrants, mais « époux au Canada » n'était pas, à cette époque, une catégorie réglementaire (paragraphe 6(5) de l'ancienne Loi et article 11.2 de l'ancien Règlement). En fait, la catégorie « époux au Canada » est devenue une catégorie réglementaire en vertu de l'article 123 du Règlement. Cette catégorie n'existait donc pas avant l'entrée en vigueur de la LIPR.

[12]            À ce stade-ci, je tiens à préciser qu'une demande de résidence permanente présentée en territoire canadien entraîne un processus décisionnel qui comporte deux étapes. Premièrement, les facteurs d'ordre humanitaire sont évalués afin de décider s'il convient d'accorder une dispense. Cette décision est prise conformément à l'article 25 de la LIPR, et non au paragraphe 12(1) de la LIPR et à l'article 4 du Règlement. À ce sujet, une demande de dispense du visa d'immigrant est distincte d'une demande de parrainage, et elle est régie par des dispositions distinctes de la LIPR et du Règlement. Ensuite, le cas échéant, il faut que le demandeur satisfasse à toutes les autres conditions de la loi.


[13]            Pour ce qui est de la première question soulevée par le demandeur, je suis d'avis que l'agente d'immigration n'a pas commis d'erreur en décidant que le demandeur avait présenté une demande de dispense de visa fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. En outre, il est bien connu que les agents d'immigration sont tenus de se conformer à la politique du gouvernement (Ochnio c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] A.C.F. no 816 (C.F. 1re inst.)). Ils ont le devoir d'agir de manière équitable et de se conformer aux règlements et à la politique. En l'espèce, l'agente d'immigration agissait en accord avec la directive du ministre. Ladite directive prescrivait qu'en date du 28 juin 2002, les demandes en suspens devaient être traitées comme des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire, et aucune disposition ne permettait de transformer ces demandes en demandes au titre du regroupement familial. En fait, la nouvelle loi ou son règlement ne permet d'aucune façon à un agent d'immigration de transformer une demande pour motifs d'ordre humanitaire soumise en vertu de l'ancienne loi en une demande visée par la catégorie des époux au Canada (Yun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1062; [2004] A.C.F. no 1283 (1re inst.) en ligne : QL). Dans la présente affaire, je signale que le demandeur a été informé que, depuis l'entrée en vigueur de la LIPR, le mariage et l'union de fait ne sont plus un motif suffisant en soi pour accorder une dispense ministérielle. En fait, le demandeur a bénéficié de toute la latitude qu'envisage l'article 66 du Règlement. Il a été avisé par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qu'il était important de prouver les difficultés excessives qu'il subirait s'il était obligé de produire sa demande depuis l'étranger, comme l'exige la LIPR, et qu'il pouvait fournir à l'appui de sa demande tous les renseignements ou documents qu'il jugeait nécessaires. Le demandeur a rempli sa « Demande de dispense du visa d'immigrant » , ainsi que le formulaire « Renseignements complémentaires - Conjoint au Canada » . C'est donc dire que le demandeur, même s'il n'a pas reçu le formulaire 5283, a néanmoins bénéficié de toute la latitude qu'envisage l'article 66 du Règlement.


[14]            Quant à la décision de l'agente d'immigration à propos de l'authenticité du mariage du demandeur et de l'absence de difficultés injustifiées ou excessives s'il avait à présenter une demande de résidence permanente depuis l'étranger, je suis d'avis que, dans les circonstances actuelles, cette décision n'est pas susceptible de contrôle. Il incombait au demandeur de fournir à l'agente d'immigration tous les éléments de preuve pertinents à l'appui de la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire (Borysova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 696; [2002] A.C.F. no 940 (C.F. 1re inst.) en ligne : QL). L'agente d'immigration a simplement conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté avec succès de ce fardeau. Ladite décision était fondée sur plusieurs motifs. Le demandeur est arrivé au Canada muni d'un faux passeport et a prétendu être né à Delta State, au Nigéria, plutôt qu'à Ebutte-Metta, comme il est indiqué dans son vrai passeport. Le demandeur n'a pas établi avec succès que son épouse et lui vivaient ensemble et que leur mariage était authentique. À ce sujet, l'agente d'immigration a tenu compte de ce qui suit : le feuillet T4 du demandeur et de son épouse portaient des adresses différentes; le bail relatif à l'année 2003 était au nom de son épouse et d'un autre homme; la maison familiale a été achetée uniquement par l'épouse; il n'y a pas de compte conjoint; le demandeur avait deux comptes bancaires différents, montrant qu'il faisait des transactions ordinaires à deux endroits différents; il a admis volontiers ne pas avoir vécu avec son épouse au départ; il s'est marié le même mois où sa demande de contrôle judiciaire a été refusée; il n'est pas un réfugié comme il prétendait l'être; aucune preuve n'étaye la crainte qu'il dit avoir pour sa vie; aucune preuve n'étaye les difficultés injustifiées ou excessives qu'il aurait s'il lui fallait solliciter la résidence permanente depuis l'étranger. Dans les circonstances particulières de l'espèce, la conclusion tirée par la Commission est raisonnable. Il n'appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve ou les facteurs énumérés ci-dessus. À mon avis, n'importe quelle erreur commise à cet égard n'est pas déterminante en l'espèce. Par ailleurs, l'agente d'immigration n'était pas tenue de procéder à une entrevue.


[15]            En conclusion, je suis convaincu que l'agente d'immigration a exercé convenablement son pouvoir discrétionnaire, conformément aux objectifs de la LIPR.

                                                                ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les avocats n'ont proposé aucune question de portée générale, et aucune ne sera certifiée.

                                                                                                                                 « Luc Martineau »                    

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-9747-04

INTITULÉ :                                       TERRY EGBEJULE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 7 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                     LE 15 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Idorenyin E. Amana                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Louise-Marie Courtemanche                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Idorenyine E. Amana                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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