Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040708

Dossier : ITA-5240-03

Référence : 2004 CF 974

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                                                          - et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE :

                                                        2524-2595 QUÉBEC INC.

                                                                                                                             débitrice judiciaire

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête de la débitrice judiciaire, 2524-2595 Québec Inc., en vertu de l'article 596 du Code de procédure civile du Québec (C.p.c.) et de la règle 364 des Règles de la Cour fédérale (1998) afin d'obtenir l'annulation de la saisie effectuée par l'Agence du revenu du Canada (l'Agence) le 22 avril 2004 au motif que les biens saisis l'ont été suite à une saisie-exécution mobilière alors que les biens saisis seraient, selon la débitrice judiciaire, entièrement des biens immobiliers au sens des articles 900 à 903 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

Contexte

[2]                En date du 22 avril 2004, tenant la débitrice judiciaire comme sa débitrice fiscale pour une somme de 16 740,02 $, l'Agence a fait saisir les biens suivants appartenant à la débitrice judiciaire :

-            un quai flottant en aluminium d'environ 7' x 50'

-            deux quais flottants en aluminium d'environ 7' x 42'

-            un quai flottant en aluminium d'environ 7' x 34'

-            un quai non flottant en aluminium d'environ 7' x 22'

-            deux quais flottants en aluminium d'environ 10' x 30'

-            un lève-bateau de marque Les Quais de l'Estrie d'une capacité de 3 600 livres

[3]                Suivant l'affidavit de M. Jacques Labérée, représentant de la débitrice judiciaire, les quais et le lève-bateau constituent un ouvrage de quai. Son affidavit nous renseigne comme suit quant à la mise en place et à la manutention occasionnelle des biens saisis :

5.              Ledit ouvrage de quai a été érigé en 1990, conformément à un plan préparé par TECHNOMARINE, tel qu'il appert dudit plan communiqué et produit au soutien du présent affidavit comme pièce O-2;

6.              Depuis 1990 l'ouvrage s'y trouve et y demeurera de façon permanente;


7.              À l'approche de l'hiver, les parties de l'ouvrage qui servent de trottoir et d'amarre pour les bateaux et celles servant de lève bateau, soit les biens saisis en l'instance, doivent en être détachés et déposés sur la rive;

8.              Cette opération d'une durée de deux (2) jours nécessite l'intervention d'une grue et d'une équipe de quatre travailleurs;

9.              Le printemps venu les parties de l'ouvrage enlevées y sont replacées;

10.            Six (6) blocs de béton mesurant six (6) pieds par six (6) pieds par un (1) pied d'épaisseur et pesant plus de cinq mille livres (5 000 lbs) chacun sont installés au fond de l'eau;

11.            Les blocs de béton ont été installés au fond de l'eau à l'aide d'une barge munie d'un treuil d'une capacité de douze mille livres (12 000 lbs);

12.            Afin de compléter l'immobilisation de l'ouvrage, une fondation de béton armé est coulée sur la rive laquelle contribue à la stabilité de l'ouvrage;

13.            La fondation est coulée à environ cinq (5) pieds de profondeur dans le sol de façon à contrer les effets du gel;

14.            Les parties de l'ouvrage temporairement enlevées sont retenues aux blocs de béton avec de la chaîne dont le diamètre des mailles mesure cinq huitièmes (5/8) de pouce;

15.            L'ouvrage est aussi solidement fixé à la fondation riveraine;

16.            L'ouvrage est équipé d'un réseau de distribution d'eau et d'électricité, et ce, sur la totalité de la superficie de l'ouvrage;

Analyse

[4]                La débitrice judiciaire s'oppose à la saisie en l'espèce et en réclame l'annulation en vertu de trois propositions principales que l'on analysera à tour de rôle.

[5]                Suivant la proposition première et centrale de la débitrice judiciaire, l'on doit voir comme un seul et unique ouvrage pour les fins de l'article 900 C.c.Q. à la fois la fondation coulée dans le sol même de la rive (la fondation), les quais flottants et le lève-bateau.

[6]                L'article 900 C.c.Q., de même que les autres articles pertinents de C.c.Q., soit les articles 901 à 907, ainsi que l'article 48 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57 (L.A.R.C.C.) se lisent comme suit :

Art. 900.     Sont immeubles les fonds de terre, les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s'y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante.

      Le sont aussi les végétaux et les minéraux, tant qu'ils ne sont pas séparés ou extraits du fonds. Toutefois, les fruits et les autres produits du sol peuvent être considérés comme des meubles dans les actes de disposition dont ils sont l'objet.

Art. 900.     Land, and any constructions and works of a permanent nature located thereon and anything forming an integral part thereof, are immovables.

      Plants and minerals, as long as they are not separated er extracted from the land, are also immovables. Fruits and other products of the soil may be considered to be movables, however, when they are the object of an act of alienation.

Art. 901.     Font partie intégrante d'un immeuble les meubles qui sont incorporés à l'immeuble, perdent leur individualité et assurent l'utilité de l'immeuble.

Art. 901.     Movables incorporated with an immovable that lose their individuality and ensure the utility of the immovable form an integral part of the immovable.

Art. 902.     Les parties intégrantes d'un immeuble qui sont temporairement détachées de l'immeuble, conservent leur caractère immobilier, si ces parties sont destinées à y être replacées.

Art. 902.     Integral parts of an immovable that are temporarily detached therefrom retain their immovable character if they are destined to be put back.


Art. 903.     Les meubles qui sont, à demeure, matériellement attachés ou réunis à l'immeuble, sans perdre leur individualité et sans y être incorporés, sont immeubles tant qu'ils y restent.

Art. 903.     Movables which are permanently physically attached or joined to an immovable without losing their individuality and without being incorporated with the immovable are immovables for as long as they remain there.

Art. 904.     Les droits réels qui portent sur des immeubles, les actions qui tendent à les faire valoir et celles qui visent à obtenir la possession d'un immeuble sont immeubles.

Art. 904.     Real rights in immovables, as well as actions to assert such rights or to obtain possession of immovables, are immovables.

Art. 905.     Sont meubles les choses qui peuvent se transporter, soit qu'elles se meuvent elles-mêmes, soit qu'il faille une force étrangère pour les déplacer.

Art. 905.     Things which can be moved either by themselves or by an extrinsic force are movables.

Art. 906.     Sont réputées meubles corporels les ondes ou l'énergie maîtrisée par l'être humain et mises à son service, quel que soit le caractère mobilier ou immobilier de leur source.

Art. 906.     Waves or energy harnessed and put to use by man, whether their source is movable or immovable, are deemed corporeal movables.

Art. 907.     Tous les autres biens que la loi ne qualifie pas son meubles.

Art. 907.     All other property, if not qualified by law, is movable.

Art. 48.     L'article 903 du nouveau code est censé ne permettre de considérer immeubles que les meubles visés qui assurent l'utilité de l'immeuble, les meubles qui, dans l'immeuble, servent à l'exploitation d'une entreprise ou à la poursuite d'activités étant censés demeurer meubles.

Art. 48.     Under article 903 of the new Code, only those movables referred to which ensure the utility of the immovable are to be considered as immovables, and any movables which, in the immovable, are used for the operation of an enterprise or the pursuit of activities are to remain movables.


[7]                Je ne considère pas en premier lieu que les biens saisis constituent un accessoire indispensable « d'un système » dont l'intégrité dépend de cet accessoire. Contrairement au système d'irrigation dont traite l'auteur Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, (1999), Les Éditions Thémis, en page 73, la fondation peut très bien servir à ce titre sans les biens saisis. L'auteur Lafond s'exprime comme suit :

-                un système d'irrigation automatique du sol, tuyauterie souterraine et gicleurs (y compris l'ordinateur le faisant fonctionner) ;

·                Lafrance c. Lanouette, [1998] R.D.I. 163 (C.Q., p.c.) (même si le juge invoque l'article 903 C.c.Q. au lieu des articles 900 et 901 C.c.Q.)

-                La plupart du temps, le problème n'est pas tellement de conclure si telle construction ou tel ouvrage constitue un immeuble, mais plutôt d'en arriver à déterminer ce qui en fait partie. À notre avis, comme l'illustre l'exemple qui précède, afin de respecter l'intégrité d'un ensemble, un système doit se concevoir comme un tout indivisible et, conséquemment, l'accessoire indispensable d'un bien immobilisé doit recevoir la même qualification que la partie principale.

[8]                Je pense que sous l'article 900 C.c.Q., seule la fondation peut être considérée comme un ouvrage et on ne peut inclure sous ce couvert les quais et le lève-bateau.

[9]                Quant à la fondation, il est indéniable qu'elle a un caractère permanent et adhère au sol de façon définitive (voir Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 4e édition, 2002, Éditions Yvon Blais, page 27, paragraphe [61]).

[10]            Toutefois en ce qui concerne les quais et le lève-bateau, ces biens n'ont pas en soi d'adhérence au sol. Cette adhérence n'existerait que par l'intermédiaire de la fondation et ce concept de rattachement semble devoir être écarté de tout raisonnement sous l'article 900 C.c.Q. En effet, tel que l'indique l'auteur Lafond, en page 69 :

- Le critère d'adhérence au sol est primordial. Contrairement au droit jurisprudentiel élaboré sous l'empire du droit antérieur, il écarte toute possibilité d'immobilisation d'un ouvrage par adhérence à une construction ou à un ouvrage. Par exemple, un réseau de fils de câblodistribution attaché dans les airs à d'autres réseaux (électrique, téléphonique) comprenant des fils et des poteaux, eux-mêmes qualifiés d'immeubles par adhérence au sol, ne recevrait sans doute plus aujourd'hui la même qualification. Le concept de rattachement vertical ou d'adhérence au sol par intermédiaire n'existe plus, compte tenu du libellé du nouvel article 900 C.c.Q.

[11]            Qui plus est et dans le même ordre d'idées, le rattachement des biens saisis aux blocs de béton installés au fond de l'eau est encore moins probant puisque je considère que ces blocs qui ont été « installés au fond de l'eau » ne font qu'y reposer. Partant, ces blocs de béton ne présentent pas un lien physique fort et durable entre eux et le sol. Il n'y a pas de lien définitif entre eux et le fond marin. Malgré leur poids, la preuve ne révèle pas qu'ils ont perdu toute mobilité. Ils ont été posés sur le fond marin et ils pourraient vraisemblablement être déplacés au besoin.

[12]            En conséquence, ces blocs ne peuvent être vus comme un ouvrage immobilisé et ils demeurent des biens meubles. En ce qui les concerne, les biens saisis seraient donc reliés à des biens meubles (voir Lafond, supra, pages 68-69). Ce rattachement, biens meubles à biens meubles, ne saurait donc faire des biens saisis des immeubles au sens de l'article 900 C.c.Q.

[13]            La deuxième proposition de la débitrice judiciaire est à l'effet que les quais flottants et le lève-bateau doivent être vus néanmoins comme des biens meubles faisant partie intégrante de la fondation au sens des articles 900 in fine, 901 et 902 C.c.Q. Si cette intégration doit être constatée, lesdits biens meubles seraient donc vus comme des immeubles aux fins des mêmes articles de loi.

[14]            Dans cette perspective, un bien meuble devient immobilisé par intégration à un immeuble :

-            lorsqu'il est incorporé à l'ensemble, ici la fondation;

-            perd son individualité;

-            assure l'utilité de l'immeuble.

[15]            La doctrine semble s'entendre pour établir que ces trois conditions d'intégration sont cumulatives et que celle de l'incorporation est d'une importance première. Tel que l'indique Lafond en page 78 :

Force est de reconnaître que, lorsque le bien est incorporé, les deux autres conditions perdent de leur importance : la première, parce que l'incorporation suggère une perte implicite de l'individualité, la seconde parce que la contribution à l'utilité de l'immeuble participe du concept d'incorporation du bien (infra, b) et c)).

[16]            Quant à ce concept d'incorporation et le degré d'incorporation recherché, Lafond indique, en pages 78-79, ce qui suit :


-    Ce premier critère, celui de l'incorporation, sous-entend un rattachement physique extrêmement important pour qu'un bien devienne immeuble selon cette forme d'immobilisation. Au demeurant, les trois critères énoncés ci-dessus peuvent se résumer en la recherche d'un tel lien physique entre le bien et l'immeuble auquel il est rattaché. Il en est ainsi des matériaux de construction qui entrent dans la composition d'un immeuble d'habitation.

-    [....] Plus le rattachement matériel est fort, plus le bien meuble se « fond » avec l'immeuble d'attache et plus on tend vers l'intégration.

[17]            Je ne considère pas ici que les quais flottants et le lève-bateau rencontrent ce critère d'incorporation. Bien que les biens saisis soient rattachés à la fondation par le biais de chaînes, on ne peut considérer que ces mêmes biens se fondent à la fondation, qu'ils y sont intégrés. Ces biens sont attachés à distance à la fondation. Leur lien, soit les chaînes, sont certes visibles, perceptibles. On ne peut soutenir que ces mêmes biens se confondent d'une manière ou d'une autre avec la fondation.

[18]            Pour ces motifs, on doit en conclure que les biens saisis ne rencontrent pas à la fois le critère d'incorporation ainsi que le critère de perte d'individualité. Ces biens ne peuvent être vus comme immobilisés par intégration au sens des articles 900 à 902 C.c.Q.

[19]            Reste maintenant la troisième proposition de la débitrice judiciaire à l'effet que les biens saisis se qualifient comme immeubles au sens des articles 903 C.c.Q. et 48 L.A.R.C.C.

[20]            Ces articles se lisent de nouveau comme suit :

Art. 903.     Les meubles qui sont, à demeure, matériellement attachés ou réunis à l'immeuble, sans perdre leur individualité et sans y être incorporés, sont immeubles tant qu'ils y restent.


Art. 48.     L'article 903 du nouveau code est censé ne permettre de considérer immeubles que les meubles visés qui assurent l'utilité de l'immeuble, les meubles qui, dans l'immeuble, servent à l'exploitation d'une entreprise ou à la poursuite d'activités étant censés demeurer meubles.

[21]            Cette forme d'immobilisation par attache ou réunion matérielle renferme cinq conditions. Tel que l'indique Lafond en page 96 :

Ces cinq conditions découlent de l'énoncé de principe de l'article 903 C.c.Q. qui tient lieu de définition, et de celui de l'article 48 L.A.R.C.C. qui les complète :

1 °              la présence d'un immeuble (a) ;

2 °              une attache ou une réunion matérielle liant le bien meuble à l'immeuble (b) ;

3 °              la conservation de l'individualité du bien meuble et l'absence d'incorporation (c) ;

4 °              un lien à demeure (d) ;

5 °              une fonction assurant l'utilité de l'immeuble (e).

[22]            En raison de notre analyse précédente, on peut aisément conclure que les trois premières conditions sont réunies en faveur des biens saisis.

[23]            Restent les quatrième et cinquième conditions.

[24]            Quant à la quatrième condition, soit un lien à demeure, voici ce que Lafond en dit en page 102 :


-    L'attache ou la réunion matérielle à demeure remplace l'ancienne condition de « placement à perpétuelle demeure » . Cet état de fait n'implique évidemment pas un lien à perpétuité entre le bien meuble et l'immeuble d'attache. L'expression « à demeure » ne signifie pas « pour toujours » , mais exprime davantage l'idée d'une période de temps indéfinie ou indéterminée, d'un lien permanent, par opposition à un rattachement temporaire ou passager. La condition est satisfaite lorsque le propriétaire a eu l'intention de faire du bien meuble un accessoire permanent de l'immeuble.

[25]            Ici, il est vrai que les quais flottants et le lève-bateau se trouvent pour une période assez fixe et précise de l'année à être détachés physiquement de l'immeuble, la fondation. De fait, tel que le révèle la preuve, soit les paragraphes 7 et 9 de l'affidavit du représentant de la débitrice judiciaire :

7.              À l'approche de l'hiver, les parties de l'ouvrage qui servent de trottoir et d'amarre pour les bateaux et celles servant de lève bateau, soit les biens saisis en l'instance, doivent en être détachés et déposés sur la rive;

9.              Le printemps venu les parties de l'ouvrage enlevées y sont replacées;

[26]            Toutefois, cette séparation des biens meubles avec l'immeuble ne doit pas être vue dans les circonstances toutes particulières de l'espèce comme étant fatale à la rencontre de la quatrième condition.

[27]            Il ressort de la jurisprudence et de la doctrine qu'il faille une idée de permanence derrière le détachement physique.


[28]            Dans l'arrêt Axor Construction Canada ltée c. 3099-2200 Québec inc., R.E.J.B.2002-27758, la majorité de la Cour d'appel du Québec a conclu que des bandes d'aréna se qualifiaient à titre d'immeuble au sens de l'article 903 C.c.Q. même si ces bandes pouvaient à l'occasion être démontées pour laisser se dérouler des événements autres que le hockey. Aux paragraphes 15 et 16 (page 3 de 7), la Cour s'exprime comme suit :

15.            Il me semble acquis au débat que le propriétaire de l'immeuble a l'intention de faire des bandes un accessoire permanent de l'aréna. Qu'elles puissent être retirées à l'occasion ne change en rien le fait qu'elles équipent le bâtiment et en sont un accessoire permanent. Les techniques modernes de construction, afin d'assurer une plus grande polyvalence au bâtiment, n'empêchent pas le rattachement physique à demeure d'un accessoire aussi important à un aréna que les bandes de la patinoire.

16.           J'estime utile de rappeler que le mécanisme d'immobilisation de l'article 903 C.c.Q. n'est pas réservé au seul propriétaire de l'immeuble. L'article 571 C.p.c. le prévoit expressément. Ceci m'amène à conclure que l'expression « à demeure » prend en compte la volonté du propriétaire du bien de l'attacher physiquement à un immeuble pour une période indéfinie avec l'intention de faire de ce bien un accessoire permanent de l'immeuble. Bref, je suis d'avis qu'en l'espèce, cette quatrième condition est satisfaite.

[29]            Ici, tout comme dans l'arrêt Axor, je pense que l'intention de la débitrice judiciaire était de faire des quais et du lève-bateau des accessoires permanents de la fondation. Le détachement physique des biens saisis est à mon avis un événement forcé par la nature qui ne vient rien enlever à l'intention de permanence. On peut même dire que quand la fondation sert à quelque chose, les quais et le lève-bateau servent également. À l'inverse, pendant la période morte, soit l'hiver, la fondation et les quais sont inactifs. Donc les biens saisis suivent le cycle de la fondation. Bref, je suis d'avis qu'en l'espèce, cette quatrième condition est satisfaite.


[30]            La cinquième condition prend donc ici toute son importance puisqu'elle vient à mon avis départager entre eux l'identification et le sort final des biens saisis. Je pense en effet que cette condition, qui exige pour chaque bien saisi une fonction assurant l'utilité de l'immeuble, impose une différence entre les quais flottants et le lève-bateau.

[31]            Dans Axor, la Cour d'appel du Québec nous fournit, en rappelant les propos de l'auteur Lafond à cet égard, un canevas d'analyse. Aux paragraphes 20 à 25, la Cour s'exprime comme suit :

20             La question demeure : comment distinguer entre un meuble qui assure l'utilité de l'immeuble et celui qui sert à l'exploitation de l'entreprise? Pour y répondre adéquatement, je suis d'avis qu'il faut examiner en premier lieu la nature du lien entre l'immeuble et ce meuble accessoire. En l'espèce, cet exercice est d'autant plus révélateur que nous sommes en présence d'un immeuble à vocation spécifique. Le professeur Lafond formule, à mon sens, le critère à utiliser en pareille matière :

Dans la recherche du caractère d'utilité, il importe de respecter l'unité que forment l'immeuble et son accessoire, le bien mobilier. L'intégrité de l'immeuble, tel qu'il existe, dans sa conception et sa construction réelles, doit être au coeur de l'acte de qualification. Toute atteinte à cette unité ou à cette intégritémène à une conclusion d'immobilisation du bien accessoire, dans la mesure où les autres éléments sont réunis.

Comme en matière d'immobilisation par intégration, nous recommandons l'application d'un test subjectif, propre à l'immeuble de rattachement, car le type d'immeuble peut influer sur l'unité ou l'intégrité qui s'en dégage. L'unité d'un immeuble de grand luxe sera appréciée différemment de celle d'un logement de qualité inférieure. Ce rapport d'unité dans un contexte subjectif nous amène également à tenir compte de la vocation ou de la destination intrinsèque de l'immeuble pour juger de l'utilité du bien meuble qui y est attaché. La vocation d'un immeuble d'habitation est d'offrir gîte et confort à ses occupants. La réalitéarchitecturale d'une église, d'un centre sportif ou d'une salle de concert diffère considérablement de celle d'un immeuble d'habitation. Ceci modifie le regard du juriste lorsqu'il est appelé à qualifier des biens meubles attachés matériellement à titre d'accessoires de ces immeubles. Le concept d'utilité s'apprécie différemment d'un contexte à un autre [Voir Note 7 ci-dessous].

Note 7 :

Pierre Claude LAFOND, précité p. 107.


21             Il conclut :

Lorsque le bien meuble qu'on cherche à qualifier sert directement la vocation de l'immeuble et que celui-ci ne serait pas complet ni cohérent sans lui, il y a lieu de conclure à l'immobilisation par attache ou réunion. Au nom de l'intégrité de l'immeuble, si, à moins de travaux majeurs, l'immeuble ne peut servir à rien d'autre que sa vocation première sans ces accessoires, alors il faut conclure à leur immobilisation. Par exemple, une salle de cinéma ne saurait exister en elle-même sans l'écran et les sièges qui servent sa vocation. De la même manière, une église n'en serait pas une sans son orgue [Voir Note 8 ci-dessous].

Note 8 :

Id. p. 109.

22             Plus simplement dit, les bandes aussi amovibles soient-elles sont un accessoire utile à un aréna tout comme une scène l'est à une salle de spectacle. Il suffit de se poser la question suivante : est-ce que l'immeuble serait complet sans ce meuble? Dans le cas d'un immeuble à vocation spécifique la réponse s'impose souvent de soi. À l'opposé, s'il s'agit d'un immeuble d'habitation, commercial ou autre, sans caractéristique particulière, il sera plus facile de relier le meuble à l'exploitation de l'entreprise plutôt qu'àl'utilité de l'immeuble.

23            L'article 48 de la Loi d'application de la réforme du Code civil nous invite à faire une distinction entre le meuble utile àl'immeuble et celui qui sert àl'exploitation d'une entreprise. Cet exercice ne doit pas avoir pour effet d'annuler la portée de l'article 903 C.c.Q. ou encore de réduire le cas d'immobilisation de meubles aux seuls immeubles d'habitation par rapport à ceux qui abritent une entreprise.

24             Il y a plus de cent ans, Mignault écrivait :

Toutefois, il est évident qu'un bâtiment ne s'entend point seulement des murs gros ou petits qui le composent. Il y faut également comprendre les accessoires qui sont tellement de son essence qu'en leur absence il resterait comme incomplet, et si inachevé qu'il serait impossible ou extrêmement difficile d'en retirer l'utilité en vue de laquelle il a étéconstruit... [Voir Note 9 ci-dessous].

Note 9 : P.B. MIGNAULT, Le droit civil canadien, t. 2, Montréal, Théorêt, 1896, pp. 401 et 402.


25             Je suis d'avis qu'un aréna sans bandes serait un immeuble incomplet, voire inutilisable, pour les fins premières pour lesquelles il fut construit.

[32]            Ici, il est clair que la fondation est un immeuble à vocation spécifique. En fait, la fondation n'a qu'une seule vocation. Sa vocation unique et première est de servir de point d'ancrage aux quais flottants. La fondation et les quais flottants, pour les fins de cette recherche du caractère d'utilité (et non pour revenir sur ce qui fut dit à leur égard sous l'article 900 C.c.Q.), ne forment véritablement qu'un. On porterait atteinte à cette unité si on privait la fondation des quais flottants. Sans quais, la fondation ne sert à rien.

[33]            En conséquence, on doit conclure que les quais flottants saisis doivent être qualifiés d'immeuble sous l'article 903 C.c.Q. et être distraits de la saisie pratiquée en l'espèce.


[34]            Il en va autrement toutefois pour le lève-bateau. Quant à lui, rien n'indique, en preuve ou en théorie, que la fondation perd son intégrité en termes de conception et de construction si elle est séparée du lève-bateau. Avec ou sans ce bien, la fondation sert très bien de point d'ancrage aux quais flottants. Le lève-bateau est vraisemblablement utile, mais c'est à mon avis à l'égard de l'exploitation de l'entreprise qu'exploite la débitrice judiciaire, soit une marina, que cette utilité s'inscrit. Il est certes très pratique et utile pour une marina d'offrir un service de lève-bateau. Cela ne va toutefois pas à l'utilité de l'immeuble ici en question, soit la fondation. En conséquence, le lève-bateau de par les termes de l'article 48 de la L.A.R.C.C. demeure un bien meuble toujours sujet à la saisie pratiquée par l'Agence le 22 avril 2004.

[35]            Cette dernière conclusion amène la Cour à faire ressortir un aspect factuel soulevé par la preuve soumise par l'Agence.

[36]            Il ressort en effet de cette preuve que suite à la saisie, soit le 6 mai 2004, les quais flottants et le lève-bateau furent remis à l'eau. Or, faut-il le répéter, le 6 mai les biens étaient sous saisie et M. Labérée, le représentant de la débitrice judiciaire, en était le gardien.

[37]            La procureure de l'Agence dénonce comme suit à ses représentations écrites cette situation :

Sa Majesté se réserve d'ailleurs expressément son droit de requérir une ordonnance d'outrage au tribunal contre monsieur Jacques Labérée et la débitrice judiciaire, dans le cas où l'opposition à la saisie serait accueillie; ceux-ci aurait (sic) alors sciemment et délibérément contrecarré l'exécution d'un bref de cette Cour;

Ainsi, tel que mentionné précédemment, Jacques Labérée a autorisé que les biens saisis soient déplacés et mis à l'eau; Dans l'ouvrage intitulé Précis de procédure civile, Charles Belleau s'est penché sur les obligations du gardien et mentionne (p. 167) : « Les tribunaux ont aussi décidé que le gardien a les obligations d'un dépositaire au sens du Code civil (a. 2280 à 2294 C.c.Q.). Il doit ainsi agir, dans la garde du bien, avec prudence et diligence (a. 2283 C.c.Q.) et, par conséquent, répondre des dommages causés au créancier par la perte ou la détérioration des biens survenus depuis sa nomination, sauf s'il prouve que ces faits tenaient de la force majeure » . (Onglet 1) Ainsi, l'article 2283 C.c.Q. prévoit que : Le dépositaire doit agir, dans la garde du bien avec prudence et diligence; il ne peut se servir du bien sans la permission du déposant. Jacques Labérée qui est le gardien du bien n'a jamais été autorisé à utiliser les quais et le lève-bateau.


[Souligné dans l'original.]

[38]            La requête en opposition de la débitrice judiciaire sera donc accueillie en partie seulement et la saisie pratiquée en l'espèce sera annulée à l'égard des quais flottants uniquement. Le lève-bateau demeure sous saisie et l'exécution à son égard pourra donc se poursuivre. À cet égard, qu'il suffise dans le cadre de la présente requête de mentionner que le situs actuel du lève-bateau pose certes problème et que M. Labérée aurait tout intérêt en vue de cette exécution à considérer ses obligations de dépositaire (voir entre autres les articles 2285 et 2286 C.c.Q.) et l'article 608 C.p.c.

[39]            Vu le succès partagé sur la présente requête, il n'y aura pas d'octroi de dépens.

[40]            Une ordonnance sera émise en conséquence.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 8 juillet 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ:


ITA-5240-03

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

- et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE :

2524-2595 QUÉBEC INC.

                                                     débitrice judiciaire


LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           14 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS :                                  8 juillet 2004

ONT COMPARU:


Me Julie Mousseau

pour la créancière judiciaire

Me Frédéric-Antoine Lemieux

pour la débitrice judiciaire


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:



Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour la créancière judiciaire

Drouin Lemieux

Sherbrooke (Québec)

pour la débitrice judiciaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.