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Date : 20020923

Dossier : T-687-02

Référence neutre : 2002 CFPI 995

                   ACTION RÉELLE ET PERSONNELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ENTRE :

                                                   M. ET MME STEPHEN STRIEBEL

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                                              SOVEREIGN YACHTS (CANADA) INC.

                       LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE CHAIRMAN,

également connu sous le nom SOVEREIGN HULL NUMÉRO 7644

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction

[1]                 Par requête déposée le 6 septembre 2002, la défenderesse, Sovereign Yachts (Canada) Inc. (Sovereign), a interjeté appel de l'ordonnance prononcée dans la présente instance le 27 août 2002 par le protonotaire Hargrave, et modifiée le 30 août 2002, dans laquelle une garantie d'exécution était fixée à 1 000 000 $CAN pour l'obtention de la mainlevée de l'autoyacht de luxe Chairman.


[2]                 Selon l'avocat de Sovereign, le protonotaire Hargrave a commis des erreurs dans son appréciation de la preuve au dossier en tirant des conclusions quant à la crédibilité des témoignages qui n'avaient pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire, en statuant sur le bien-fondé de la réclamation de Sovereign et en statuant sur la valeur la plus raisonnable de sa cause.

   

[3]                 L'avocat de Sovereign a demandé que son appel soit fixé pour audition suivant la procédure accélérée. En conséquence, l'appel a été entendu dès 8 h 00 le jeudi 19 septembre 2002, à Vancouver, moins de 48 heures après le dépôt des documents de réponse des demandeurs.

   

Contexte

[4]                 En juin 2000, les demandeurs ont conclu un contrat avec Sovereign pour que celle-ci leur contruise l'autoyacht de luxe Chairman au prix de 6 500 000 $US, le 30 juin 2001 étant la date convenue pour l'achèvement et la livraison du navire. Or, le navire n'est toujours pas achevé. Il existe un profond désaccord entre les demandeurs et Sovereign quant au montant dû à Sovereign, à la quantité des travaux qui reste à exécuter, la valeur de ces travaux et le délai pour les achever. Il suffit de souligner, aux fins des présents motifs, que Sovereign demande une garantie d'exécution de 2 000 000 $CAN pour garantir sa réclamation. Personne n'a contesté devant moi que, à l'audience présidée par le protonotaire Hargrave, les demandeurs ont fait valoir que la réclamation de Sovereign était incertaine et non fondée, et lui ont demandé de fixer la garantie d'exécution à « un montant symbolique » .


   

La décision frappée d'appel

[5]                 Dans les motifs de sa décision frappée d'appel, le protonotaire Hargrave a fourni un résumé fort utile de la jurisprudence traitant du montant de la garantie d'exécution. Les paragraphes 14 à 22 de ses motifs constituent ce résumé et ils sont reproduits en annexe aux présents motifs.

   

[6]                 Au paragraphe 23 de ses motifs, le protonotaire Hargrave a écrit :

Si j'étais convaincu qu'aucune circonstance spéciale n'existait, la garantie à 2 millions $, compte tenu peut-être des intérêts de 6 % durant trois ans et des frais peut-être de 100 000 $, serait appropriée moins, naturellement, la partie de la sécurité qui serait consacrée à garantir North West, au montant de 160 000 $CAN. Toutefois, il y a manifestement des circonstances spéciales en l'espèce.

  

Le protonotaire Hargrave a ensuite procédé à l'analyse de ce qui sont, à son avis, les circonstances particulières de la preuve au dossier. Il conclut en ces termes aux paragraphes [32] et [33] :

La question à laquelle un juge de première instance devrait un jour s'attaquer est l'énorme différence existant entre le coût des travaux estimé par Sovereign pour terminer la construction, soit 27 000 $, et le coût des travaux estimé par les Striebel, soit 800 000 $, pour les travaux déjàeffectués et ceux à venir. Si les calculs de Sovereign devaient s'avérer corrects et, compte tenu du fait que ses calculs comprennent la réclamation de North West, le montant de 2 millions $ pour la garantie pourrait être soutenable. Selon leurs calculs relativement aux travaux, aux matériaux et à l'équipement nécessaires pour que le navire réponde aux caractéristiques du contrat de construction, les Striebel auront une réclamation importante contre Sovereign, parce qu'ils dépenseront beaucoup plus que 6,5 millions $US pour obtenir le luxueux yacht qu'ils ont négocié.

  


Les deux parties sont tellement éloignées l'une de l'autre que tout ce que l'on peut dire est que, même sans qu'elle soit analysée, la preuve est actuellement manifestement incomplète. Toutefois, je suis convaincu que la réclamation de Sovereign ne sera pas accueillie tel que présentée. Exiger une garantie pour la réclamation, comme elle est présentée, aurait pour effet de rendre la garantie et à n'en pas douter le caveat de Sovereign excessifs. Je suis convaincu que Sovereign aura une garantie suffisante si la valeur brute de la garantie est fixée à 1 million $, dont une partie de 160 000 $ de ce montant étant déduite et allouée pour fournir une garantie en faveur de North West, le solde net devant garantir Sovereign.

Analyse

1) Norme de contrôle

[7]                 Dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd.[1], Monsieur le juge MacGuigan, s'exprimant au nom de la majorité, a écrit à la page 463 :

[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

  

[8]                 En conséquence, si le protonotaire Hargrave a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou si son ordonnance porte sur une question ou des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, je devrais reprendre l'affaire depuis le début. En toute autre circonstance, il n'y aurait pas lieu que j'intervienne dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire Hargrave.

   

2) Appréciation erronée des faits

[9]                 L'avocat de Sovereign n'a pas allégué que le protonotaire Hargrave avait mal apprécié les faits qui ont donné lieu au litige dont il était saisi. A priori, je ne vois dans les motifs du protonotaire Hargrave aucune indication qu'il a mal apprécié les faits.

   

3) Questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal

[10]            Dans la décision C.P. Ships (Bermuda) Ltd. c. Panther Max Ex Canmar Supreme[2], j'ai écrit au paragraphe 12 :

De plus, je suis d'avis que, lorsqu'il a déterminé le montant à retrancher à la garantie d'exécution réclamée ainsi que le montant à ajouter au titre des intérêts et des frais, le protonotaire n'examinait pas des questions de principe ou des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

                                                                    [Non souligné dans l'original.]

Je suis convaincu que ces propos s'appliquent également à l'espèce, du moins en ce qui concerne les questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

  

4) Pouvoir discrétionnaire exercé en vertu d'un mauvais principe


[11]            L'avocat de Sovereign a fait valoir que le protonotaire Hargrave a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur un mauvais principe. Il a notamment soutenu que le protonotaire Hargrave avait commis une erreur de principe dans son appréciation de la preuve par affidavit au dossier, en ce qui concerne la valeur la plus raisonnable de la cause de Sovereign, particulièrement parce que cette preuve n'avait pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire. Pour étayer cette thèse, il a cité l'extrait suivant du paragraphe 19 des motifs du juge Lutfy (maintenant Juge en chef adjoint) dans la décision American Navigation Inc. c. Densan Shipping Co. et al.[3] :

C'est sur ce point que ma façon de procéder semble s'écarter de celle suivie par le protonotaire. Il a préféré la conclusion qui ressort du rapport de l'expert à la réclamation affirmée par le président de la demanderesse. Aucun des auteurs des affidavits n'a été contre-interrogé. Cet exercice spéculatif consistant à évaluer les frais de la demanderesse, en l'absence du contre-interrogatoire de son représentant, ne prouve pas nécessairement l'inexactitude du montant de la réclamation de la demanderesse concernant ses pertes de profits. L'incertitude est apparente. Le protonotaire lui-même a reconnu que le résultat devant le tribunal arbitral pourrait quand même favoriser la demanderesse si des preuves additionnelles étaient fournies :

                                                                         . . . . .

  

Le protonotaire a correctement fait observer que sa décision concernant la garantie d'exécution ne lierait pas l'arbitre sur le fond de l'affaire. Cela règle la question de la garantie d'exécution de la demanderesse si celle-ci a gain de cause devant l'arbitre. À mon avis, en reconnaissant qu'avec une preuve additionnelle la demanderesse pourrait avoir de meilleures chances d'obtenir gain de cause devant l'arbitre, le protonotaire a implicitement reconnu que la demanderesse avait une cause raisonnablement défendable. En toute déférence, je pense que le protonotaire a eu tort de réduire à zéro la garantie d'exécution relative à la réclamation concernant les pertes de profits à moins qu'il n'ait conclu définitivement que la meilleure cause raisonnablement défendable de la demanderesse était dans les faits tout à fait impossible à faire valoir.

  

                                                                                                                              [Citation omise.]

  

[12]            Avec égards, je suis convaincu que le passage précité n'énonce pas le principe que le protonotaire ne doit pas apprécier la preuve par affidavit lorsqu'il s'agit de la valeur la plus raisonnable de la cause d'une partie, que cette preuve par affidavit ait fait ou non l'objet d'un contre-interrogatoire. Je suis plutôt convaincu que la seule conclusion qu'il est possible de dégager de ce passage est que la réduction à zéro de la garantie d'exécution exigée à l'égard d'une réclamation, dans des circonstances où le protonotaire ou le juge reconnaissent implicitement, voire explicitement, que la partie a une cause raisonnablement défendable, constitue une erreur susceptible de révision. À mon avis, mon point de vue est étayé par la décision même du juge Lufty, d'après les faits au dossier, de réduire la garantie réclamée (mais sans aller jusqu'à zéro) en fonction de son évaluation ou de son appréciation de la preuve par affidavit non soumise à un contre-interrogatoire.

   

[13]            Je conclus que la décision frappée d'appel du protonotaire Hargrave n'est pas fondée sur une erreur de droit en ce sens qu'il aurait exercé un pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe.

   

Conclusion

[14]            Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la décision frappée d'appel du protonotaire Hargrave n'est pas entachée d'erreur flagrante, en ce sens qu'il n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, et également que l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ne porte pas sur une question ou des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. En définitive, au regard des indications données dans la décision Aqua-Gem, précitée, le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire du protonotaire Hargrave « [...] ne doit pas intervenir [...] » . Le présent appel est donc rejeté.

   

Dépens

[15]            Les dépens suivront l'issue de la cause. Selon l'avocat des demandeurs, les dépens devraient être fixés à 3 000 $ et être versés sans délai. Vu l'urgence invoquée par Sovereign pour faire entendre l'appel rapidement et vu ma conclusion quant à son absence totale de fondement, j'estime que cette prétention n'est pas déraisonnable. Les dépens, fixés à 3 000 $, sont adjugés en faveur des demandeurs et doivent être versés sans délai, peu importe l'issue de la cause.

      

« Frederick E. Gibson »

Juge

Vancouver (C.-B.)

23 septembre 2002

   

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


                                                 ANNEXE

                 [Reproduction intégrale conforme à l'original.]

Montant de la garantie d'exé cution - Jurisprudence                          

[14]    La règle générale qui régit le montant du cautionnement qui doit être fourni, pour obtenir mainlevée de la saisie correctement effectuée d'un navire, veut qu'il soit égal à la valeur la plus raisonnable de la cause de la partie titulaire d'une sûreté, intérêts et frais, limitée par la valeur du navire saisi : voir The Moschanthy, [1971] 1 Lloyd's Rep. 37 (B.R.), à la page 44 et Brotchie c. Le Karey T (1994), 77 F.T.R. 71 (C.F. 1re inst.), à la page 72.

[15]    Habituellement mais pas toujours, comme nous le verrons, le montant du cautionnement est celui qui est réclamé dans le bref ou la déclaration selon le cas : voir par exemple Mayers on Admiralty Law and Practice in Canada, Carswell, 1916, à la page 235.

[16]    En l'espèce, Sovereign prétend qu'il lui appartient de fixer la valeur la plus raisonnable de sa cause, en se fondant sur le libellé de l'ordonnance en date du 8 mai 2002, exposé ci-dessus et en particulier que le cautionnement vise « à garantir la valeur la plus raisonnable de la cause de Sovereign, frais et intérêts » . Cette remarque conclut que, comme le demandeur n'a pas interjeté appel de l'ordonnance du 8 mai, tout examen du montant du cautionnement, autre que celui réclamé par Sovereign, constitue chose jugée. Je ferai observer d'abord que le renvoi à « la valeur la plus raisonnable de la cause » , qui a été convenue virtuellement par consentement, exprime une notion ou une idée de la mesure de garantie, mais pas un nombre absolu ou l'importation d'un nombre absolu. Ensuite, bien que le cautionnement corresponde habituellement au montant réclamé dans l'acte de procédure sous-jacent, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire et la compétence, dans une certaine mesure, de fixer la valeur la plus raisonnable de la cause.

[17]    Pour donner plus de détails, je renvoie dans la décision Atlantic Shipping (London) Ltd. c. Le Navire Captain Forever (1995), 97 F.T.R. 32 (C.F. 1re inst.), à l'idée que, bien qu'un tribunal pour fixer un cautionnement, ne doive pas préjuger l'affaire pour déterminer ce qu'il vaut car il peut y avoir des circonstances particulières par lesquelles tempérer le cautionnement, en général, si une partie donne un cautionnement tel que demandé et que ce dernier se révèle plus tard excessif, il y avait un recours dans le cas d'une demande erronée de garantie, dans les dépens. Je me reporte ici à la décision The Moschanthy (précitée) : voir pages 45 et 46.

[18]    M. le juge Muldoon a trouvé des circonstances particulières dans Lundberg c. Le Navire Manitou III, décision inédite en date du 6 décembre 1988 dans le dossier no T-2180-88, [1988] A.C.F. no 1124, où il a fait des remarques au sujet de la pratique habituelle de fixer le cautionnement pour inclure le montant total de la réclamation du demandeur, y compris les intérêts et les dépens, a fait mention d'incertitudes de la réclamation et a fixé le cautionnement à la moitié de la réclamation elle-même, comme étant suffisant pour couvrir une réclamation, avec intérêts et frais :

La pratique habituelle en amirauté et en droit maritime, qui consiste à exiger un cautionnement selon une somme plus élevée que le total des réclamations de la partie demanderesse avant la mainlevée de la saisie du navire, est plutôt vague, mais néanmoins efficace. Elle est vague, car habituellement, la garantie exigée correspond au montant de la réclamation du demandeur, ainsi que les intérêts et les dépens. Par ailleurs, il n'est pas possible pour l'instant d'évaluer avec précision le montant des réclamations du demandeur. Effectivement, le demandeur réclame dans la présente cause des dommages-intérêts selon des estimations qui sont probablement arrondies.


La réclamation du demandeur semble être fondée sur l'alinéa 22(2)o de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chapitre 10, qui permet à la Cour de statuer sur toute réclamation ou question découlant de ce qui suit :

       (o)          une demande formulée par un [...] membre de l'équipage d'un navire relativement au salaire, à l'argent, aux biens ou à toute autre forme de rémunération ou de prestations découlant de son engagement.

D'après l'affidavit de Barry McGregor, il semble que le demandeur devra prouver cet engagement ou emploi, les périodes où il l'a exercé et les conditions convenues, le cas échéant. Il incombera également au demandeur de prouver la violation de l'entente qui aurait été convenue ainsi que les dommages-intérêts auxquels il peut avoir droit, et il ne s'agit pas ici d'un salaire ni même d'une somme déterminée. Compte tenu des imprécisions des réclamations et du fait qu'il est souhaitable d'entretenir le bateau de façon à pouvoir l'utiliser lors des diverses expéditions de pêche saisonnières, il semblerait raisonnable de fixer le montant du cautionnement à une somme inférieure au total des montants réclamés par le demandeur.

[19]    Dans l'arrêt The Gulf Venture, [1984] 2 Lloyd's Rep. 445 (B.R.), M. le juge Sheen a appliqué une méthode expéditive pour fixer la garantie : il a estimé que la preuve n'était pas complète, mais il était convaincu que la réclamation ne serait pas accueillie intégralement et, par conséquent, bien que la réclamation endossée sur le bref dépassait les 400 000 £ , il a fixé la garantie à 250 000 £ :

[TRADUCTION] Lorsque les demandeurs ont le droit de garder un navire saisi jusqu'à ce que ses propriétaires fournissent une garantie pour leur réclamation, cette garantie doit être pour une certaine somme d'argent qui représente la valeur la plus raisonnable de leur cause, y compris les intérêts, et leurs dépens dans l'action. Il y a place à beaucoup de discussion quant à la somme qui devrait être garantie relativement à cette réclamation. Je ne propose d'analyser la preuve : elle n'est pas complète. Une telle procédure serait tout à fait inappropriée à l'occasion d'une requête telle que la présente. Bien que la réclamation endossée sur le bref se chiffre, comme je l'ai déjà mentionné, à une somme supérieure à 400 000 £ , j'étais convaincu que la réclamation ne serait pas accueillie en entier. Après discussion avec les avocats, les demandeurs ont fait part de leur volonté d'accepter la garantie au montant de 300 000 £ . Je suis arrivé à la conclusion qu'une somme moindre serait adéquate et j'ai fixé le montant au chiffre rond de 250 000 £ .

[20]    Dans l'arrêt The Tribels, [1985] 1 Lloyd's Rep. 128, M. le juge Sheen, tout en admettant que les sauveteurs avaient le droit de réclamer une garantie jusqu'à concurrence de ce qui pourrait être prévu, en fonction de la valeur la plus raisonnable de la cause, des intérêts et des dépens, a considéré la demande de garantie de 3,323 millions £ comme exorbitante, en faisant remarquer que l'avocat du demandeur concédait le point. Il fixa ensuite la garantie à 1 million £ , en ajoutant qu'il se pourrait bien que même la somme de 1 million £ était excessive.

[21]    Une dernière décision que j'invoquerai, dans cette série de décisions où la cour a exercé un pouvoir discrétionnaire pour établir une garantie d'exécution, dans des circonstances particulières, est Amican Navigation Inc. c. Densan Shipping Co. (1997), 137 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.), décision rendue par M. le juge Lutfy (maintenant Juge en chef adjoint). Il faisait observer, à la page 135, que « la saisie est une arme très puissante » et il ajoutait que la demanderesse a le droit d'obtenir une garantie d'exécution pour le plein montant de sa réclamation majoré des intérêts et des frais, mais que ce pouvoir exceptionnel que la loi accorde à la saisie et au droit d'obtenir une garantie d'exécution doit être pondéré de façon à ne pas être excessif :

Il est donc important, dans l'analyse d'une requête visant à modifier la garantie d'exécution, de garder à l'esprit le pouvoir exceptionnel que la loi accorde à la saisie et au droit d'obtenir une garantie d'exécution pour le plein montant de la réclamation. Il faut rechercher un juste équilibre. Le pouvoir de saisir ne doit pas être exercé de façon excessive, et en même temps, la demanderesse a droit à une garantie d'exécution suffisante.

(Page 135)


À cette étape-ci, je ferai remarquer qu'il y avait en jeu la variation de garantie d'exécution, toutefois le même principe s'applique dans le cas de l'établissement d'une garantie d'exécution. Il a ensuite appliqué le principe énoncé dans l'arrêt The Moschanthy (précité).     

[22]    M. le juge Lutfy a rejeté un calcul hypothétique au sujet de la valeur la plus raisonnable de la cause, qui figurait dans un rapport de vérification, en notant qu'il y aurait pu y avoir contre-interrogatoire. Cependant, il a effectivement réduit la réclamation de la demanderesse en vue d'une perte de profit envisagée de 60 % du revenu brut, parce qu'il trouvait difficile d'imaginer, en utilisant les propres renseignements et calculs de la demanderesse que la valeur la plus raisonnable du profit pourrait être 60 % du fret brut. En effet, il a estimé que les circonstances découlant de ce genre de profit étaient spéciales et exceptionnelles, ce qui justifiait qu'il intervienne. Il était convaincu qu'un profit d'environ 30 %, sur le revenu, représentait un niveau suffisant de garantie d'exécution pour protéger les droits d'un demandeur : voir les pages 138 et 139. Par conséquent, il a réduit la garantie d'exécution de 650 000 $ à 436 784 $. Je vais maintenant passer à une application de tout cela à la présente instance et tout particulièrement à la garantie sollicitée par Sovereign.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                         

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE        

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-687-02

INTITULÉ :              M. et Mme Stephen Striebel c.

Le navire « Chairman » et al.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 19 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                     le 23 septembre 2002

ONT COMPARU :

David F. McEwen                                                POUR LES DEMANDEURS

Murray A. Clemens, c.r.                                                   POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McEwen, Schmitt & Co.                                                  POUR LES DEMANDEURS

Vancouver

Nathanson, Schachter & Thompson                                 POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver



[1][1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

[2]            2002 CFPI 406, [2002] A.C.F. no 514 (1re inst.), 11 avril 2002; avis d'appel déposé le 18 avril 2002, dossier no A-221-02.

[3]              (1997) 137 F.T.R. 132.

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