Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200730


Dossier : T-296-19

Référence : 2020 CF 803

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 juillet 2020

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

HAVI GLOBAL SOLUTIONS LLC, HAVI GS ASIA PACIFIC(S), GOLDEN ARCHES DEVELOPMENT CORPORATION, HAVI LOGISTICS TAIWAN LTD., MARTIN-BROWER SINGAPORE PTE, ET MARTIN-BROWER MALAYSIA CO. SDN.

demanderesses

et

IS CONTAINER PTE LTD., LE NAVIRE MV « MOL PRESTIGE », SES PROPRIÉTAIRES, ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE, KAWASAKI KISEN KAISHA LTD., ET YANG MING MARINE TRANSPORT CORPORATION

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête introduite par la défenderesse, IS Container PTE Ltd. [défenderesse propriétaire] en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, au nom de son navire porte-conteneurs MV « MOL Prestige » [navire défendeur] en appel de l’ordonnance en date du 30 juin 2020 [ordonnance] par laquelle la protonotaire Ring, chargée de la gestion de l’instance a, conformément au paragraphe 84(2) des Règles, autorisé les demanderesses à déposer l’affidavit de M. Lim Sin Siong, aussi connu sous le nom de Bernard Lim, souscrit le 4 mars 2020 [affidavit de M. Lim], joint en tant que pièce « A » à l’affidavit de M. Barry Oland, souscrit le 8 mai 2020 [affidavit de M. Oland].

Contexte

[2]  Les demanderesses ont intenté l’action sous‑jacente le 13 février 2019. Dans leur déclaration, elles allèguent qu’un incendie survenu le ou vers le 29 janvier 2018 ou le 1er février 2018, dans la salle des machines du navire défendeur, a causé une interruption complète de l’alimentation électrique des conteneurs de réfrigération. Elles poursuivent la défenderesse propriétaire, en tant que propriétaire enregistrée du navire défendeur, en dommages‑intérêts pour négligence et manquement à ses obligations de baillaire rémunérée, ainsi que pour ne pas avoir livré la cargaison qui leur était destinée en bon état. Elles ont aussi intenté une action réelle contre le navire défendeur en vertu de l’article 22 et du paragraphe 43(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et de l’article 477 des Règles des Cours fédérales [Règles].

[3]  Les demanderesses poursuivent en dommages‑intérêts les défenderesses, Kawasaki Kisen Kaisha Ltd. [K-Line] et Yang Ming Marine Transport Corporation [Yang Ming] [collectivement, les transporteurs] pour manquement à leurs contrats de transport et à leurs obligations de baillaires rémunérées, ainsi que pour ne pas avoir livré la cargaison qui leur était destinée en bon état à la destination convenue.

[4]  La présente action est l’une des onze actions en dommages‑intérêts intentées par plusieurs demanderesses, toutes représentées par les mêmes avocats canadiens, contre plusieurs défenderesses par suite de l’incendie de la salle des machines [collectivement les « actions »]. La protonotaire Ring a été affectée à la gestion de ces instances. À l’heure actuelle, les demanderesses ne poursuivent que le navire défendeur et la défenderesse propriétaire.

[5]  Le 26 juin 2019, la défenderesse propriétaire a déposé, dans le dossier T‑303‑19, une requête visant à obtenir la réunion des instances et l’arrêt des procédures pour des motifs de compétence. Les deux parties ont déposé un dossier de requête et ont procédé à des contre‑interrogatoires. Le 8 mai 2020, les demanderesses ont déposé une requête écrite par laquelle elles demandaient l’autorisation de déposer en contre‑preuve l’affidavit de M. Lim dans la requête en arrêt des procédures. La juge responsable de la gestion de l’instance a accordé l’autorisation demandée, aux conditions énoncées dans l’ordonnance. La Cour est saisie de l’appel de cette ordonnance.

La décision à l’examen

[6]  La protonotaire a déclaré que le critère applicable au titre du paragraphe 84(2) des Règles est le même que celui qui s’applique en vertu de l’article 312 des Règles (Pfizer Canada Inc. c Rhoxalpharma Inc., 2004 CF 1685, par 14, 16 [Pfizer]; Janssen-Ortho Inc. c Canada (Santé), 2009 CF 1179, par 9 [Janssen-Ortho]; Gemak c Jempak, 2020 CF 644, par 75 [Gemak]), et que les facteurs à prendre en compte pour décider s’il convient ou non de permettre à la partie requérante de déposer un autre affidavit après un contre‑interrogatoire sont les suivants :

[7]  La protonotaire a également fait remarquer que, dans la décision Campbell c Élections Canada, 2008 CF 1080, par 25 à 27 [Campbell], le juge Martineau a mentionné que la Cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’autoriser une partie à déposer des documents complémentaires et que ce pouvoir discrétionnaire est incompatible avec toute application mécanique de critères ou de formules figés. Chaque cas nécessitera une pondération différente en fonction de la situation particulière soumise au décideur. Il a en outre fait observer que, dans des situations particulières, le deuxième facteur susmentionné avait été appliqué avec une certaine souplesse.

[8]  La protonotaire a ensuite examiné chacun des facteurs en tenant compte du contexte de l’affaire dont elle était saisie.

[9]  En ce qui concerne le premier facteur, elle a souligné que la défenderesse propriétaire demande l’arrêt des procédures dans les onze actions étant donné qu’elle s’oppose à la compétence de la Cour, ou encore qu’elle estime que la Cour n’est pas un tribunal approprié. La défenderesse propriétaire allègue, entre autres, que dans tous les contrats de transport de marchandises visés par les actions, les parties ont convenu que les différends seraient tranchés conformément au droit étranger, surtout le droit japonais, et qu’ils seraient instruits dans des pays étrangers, principalement au Japon.

[10]  La protonotaire a conclu que l’affidavit de M. Lim renferme des éléments qui, à première vue, sont pertinents pour les questions de compétence soulevées dans la requête en arrêt des procédures. Elle a déclaré que l’affidavit de M. Lim fournit des renseignements factuels concernant le contrat de service RIC5068904 [contrat de service] entre Havi Container Line Limited et K-Line. Les demanderesses s’appuieront sur l’article 12 dudit contrat pour réfuter la position de la défenderesse propriétaire selon laquelle les parties ont convenu que les litiges devaient être tranchés conformément au droit japonais et par la cour de district de Tokyo. À l’article 12 du contrat de service, sous le titre [traduction] « Différends/Loi applicable », on peut lire que [traduction] « le droit substantiel de l’État de New York régit le présent contrat et les parties reconnaissent la compétence de la Cour de district des États‑Unis pour le district sud de New York à toutes fins ».

[11]  La protonotaire a rejeté l’argument de la défenderesse propriétaire qui soutient que l’affidavit de M. Lim ajoute peu à la preuve existante, car le contrat de service est déjà joint comme pièce à l’affidavit de Mme Leona Baxter, souscrit le 24 septembre 2019 [affidavit de Mme Baxter]. Elle a conclu que l’affidavit de M. Lim contient d’autres renseignements pertinents sur le contrat de service, comme la durée du contrat. M. Lim déclare avoir négocié, au nom de Havi Container Line Limited, le contrat de service avec K-Line America Inc., représentante de Kawasaki Kilian Kaisha Ltd., et qu’il l’a signé le 30 mars 2017. Il affirme que Havi Global Solutions LLC, Havi GS Asia Pacific(s) et Havi Logistics Taiwan Ltd. (demanderesses dans les dossiers T‑296‑19 et T‑298‑19), de même que Havi Container Line Limited (partie au contrat de service), font toutes partie du groupe Havi, qui est un groupe privé d’entreprises de transport et de logistique. M. Lim affirme également que le contrat de service était en vigueur du 4 avril 2017 au 31 mars 2018, ce qui couvre la période à laquelle a eu lieu l’incendie de moteur sur le navire défendeur.

[12]  La protonotaire a également mentionné que la défenderesse propriétaire a avancé divers arguments quant aux raisons pour lesquelles le contrat de service ne s’applique pas au présent litige, mais elle a conclu que ces arguments portaient sur le bien‑fondé de la requête en arrêt des procédures de la propriétaire, et que le juge des requêtes serait mieux à même de les examiner puisqu’il disposerait de l’ensemble du dossier de preuve présenté à la Cour dans le cadre de cette requête.

[13]  S’agissant du deuxième facteur à considérer en vertu du paragraphe 84(2) des Règles, la protonotaire a fait remarquer que la partie requérante doit démontrer que la preuve qu’elle cherche à produire n’était pas disponible avant les contre‑interrogatoires relatifs aux affidavits de la partie adverse. Cette exigence vise ce que les parties ne puissent scinder leur preuve et qu’elles présentent leurs meilleurs arguments le plus tôt possible (Rosenstein c Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 503, par 9 [Rosenstein]).

[14]  La protonotaire a souligné que, selon l’affidavit de M. Oland, le contrat de service joint comme pièce « A » à l’affidavit de Mme Baxter a été reçu [traduction] « juste à temps pour être versé au dossier que les demanderesses ont déposé en réponse à la requête en arrêt des procédures de la propriétaire », et que [traduction] « si nous avions eu le temps, nous aurions tenté de communiquer avec M. Lim pour qu’il confirme que le contrat de service avait été négocié par lui, mais à cause de contraintes de temps, nous n’avons pas pu le faire » (affidavit de M. Oland, par 5-6). Toutefois, aucune explication n’a été donnée sur la nature de ces « contraintes de temps ». De plus, il n’y avait aucune date limite pour le dépôt du dossier en réponse des demanderesses. Le paragraphe 365(1) des Règles dispose que le dossier de l’intimé doit être déposé au plus tard deux jours avant la date prévue pour l’audition de la requête. Comme aucune date d’audition n’était prévue, aucune contrainte de temps n’empêchait les demanderesses d’obtenir l’affidavit de M. Lim avant de déposer leur dossier.

[15]  De plus, il ressort des documents présentés à la Cour que les demanderesses avaient en mains les renseignements nécessaires pour communiquer avec M. Lim depuis au moins le 24 septembre 2019. Le nom et les coordonnées de M. Lim apparaissent dans le préambule du contrat de service annexé à l’affidavit de Mme Baxter. Or, M. Oland a déclaré dans son affidavit qu’il n’avait communiqué avec M. Lim que le 12 février 2020 – presque cinq mois plus tard. M. Oland a reconnu, au paragraphe 11 de son affidavit, qu’il avait tardé à obtenir l’affidavit de M. Lim, mais a déclaré que [traduction] « s’occuper des nombreuses questions liées aux 11 actions présentées à la Cour fédérale a pris beaucoup de temps et a contribué à mon retard à communiquer avec M. Lim ».

[16]  La protonotaire a conclu que l’explication des demanderesses quant au retard à obtenir l’affidavit de M. Lim ou à présenter la présente requête n’était absolument pas suffisante. Les demanderesses n’ont pas établi que la preuve proposée n’était pas disponible plus tôt ou qu’elles avaient fait preuve de diligence raisonnable en demandant l’autorisation de l’invoquer. La protonotaire a conclu que c’était là un facteur important qui militait contre l’octroi de la réparation recherchée par les demanderesses.

[17]  Quant au troisième facteur, la protonotaire a rejeté l’argument de la défenderesse propriétaire selon lequel elle subirait un préjudice important si l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Lim était accordée. Cet argument reposait sur le fait que la défenderesse propriétaire avait préparé sa cause, y compris les questions que poserait l’avocat lors des contre‑interrogatoires, de manière à réfuter la preuve présentée par les demanderesses, et qu’autoriser la nouvelle preuve de M. Lim à ce stade avancé de l’instance permettrait aux demanderesses de scinder leur preuve. La défenderesse propriétaire se trouverait ainsi désavantagée pour présenter une preuve en réponse.

[18]  La protonotaire a souligné que cette position était semblable à celle adoptée dans l’affaire Zhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16222 (CF) [Zhu], où le défendeur soutenait que le dépôt de l’affidavit supplémentaire lui causerait un préjudice grave parce qu’il avait préparé sa cause de façon à réfuter la preuve du demandeur et qu’il serait peut-être ainsi obligé de déposer un affidavit supplémentaire et de procéder à un autre contre‑interrogatoire. La Cour a rejeté cet argument, déclarant que « [c]ela ne cause pas de préjudice, mais occasionne simplement une dépense additionnelle qui, au besoin, pourrait être compensée au moyen des dépens » (par 8).

[19]  La protonotaire a précisé que, dans l’affaire dont elle était saisie, la requête en arrêt des procédures de la défenderesse propriétaire avait été déposée le 26 juin 2019 (il y a plus d’un an) et qu’aucune date n’avait encore été fixée pour l’instruction de cette requête. Selon elle, tout manque d’équité procédurale dont la défenderesse propriétaire serait victime pourrait être corrigé en lui permettant de mener d’autres contre‑interrogatoires et de présenter d’autres éléments de preuve (Winery c Spagnol's Wine & Beer Making Supplies Ltd., 2001 CFPI 794, par 12 [Mondavi]). Il n’y avait pas non plus de preuve que les demanderesses tentaient de scinder leur preuve. Elles ont reconnu que la défenderesse propriétaire avait le droit de contre‑interroger M. Lim. Par ailleurs, il semble que les demanderesses n’aient aucun intérêt ou avantage à scinder leur preuve, étant donné qu’elles ont cherché proactivement l’aide de la Cour au cours des derniers mois pour que la requête en arrêt des procédures soit entendue.

[20]  En ce qui concerne le quatrième facteur, la protonotaire a conclu que l’affidavit de M. Lim, qui se limitait aux questions déjà en litige entre les parties (c.-à-d., le contrat de service), aiderait le juge des requêtes à statuer correctement sur les questions de compétence soulevées dans la requête en arrêt des procédures de la défenderesse propriétaire.

[21]  Après avoir soupesé tous les facteurs dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 84(2) des Règles, et tenu compte du fait que le deuxième facteur peut être appliqué avec une certaine souplesse selon les circonstances, la protonotaire a jugé qu’il serait dans l’intérêt de la justice de permettre aux demanderesses de déposer l’affidavit de M. Lim, sous réserve de la mise en place de garanties appropriées pour que la défenderesse propriétaire puisse répondre pleinement à la preuve proposée dans l’affidavit de M. Lim.

[22]  La protonotaire a accordé l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Lim au plus tard le 7 juillet 2020. La défenderesse propriétaire a été autorisée à contre‑interroger M. Lim sur son affidavit et à déposer d’autres affidavits en réponse à celui de M. Lim. La protonotaire a également ordonné que les dépens soient payés à la défenderesse propriétaire quelle que soit l’issue de la cause.

Les questions en litige

[23]  Les demanderesses soutiennent que la question à trancher dans le présent appel est de savoir si la protonotaire a commis une erreur en n’appliquant pas correctement le critère permettant de déterminer s’il convient d’accorder l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) des Règles. Subsidiairement, il s’agit de savoir si la protonotaire a commis une erreur en n’appréciant pas correctement les faits.

[24]  Les demanderesses affirment qu’il s’agit de savoir si la défenderesse propriétaire a établi que la protonotaire avait commis une erreur en établissant les conditions de son ordonnance, de sorte que cette erreur suffit à infirmer sa décision.

[25]  À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

La norme de contrôle

[26]  Les parties soutiennent, et je suis d’accord, que les décisions discrétionnaires que rendent les protonotaires sur des questions de fait ou sur des questions mixtes de droit et de fait sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les questions de droit, ou les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il existe un principe juridique isolable, sont soumises à la norme de la décision correcte (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, par 2, 28, 66, 68 [Hospira]; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 par 19 à 37; Apotex Inc c Bayer Inc, 2020 CAF 86, par 30 et 31).

[27]  Bien que les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’application par la protonotaire des facteurs établis au regard du paragraphe 84(2) des Règles est susceptible de donner lieu à une erreur de droit, et fait ainsi appel à la norme de la décision correcte, par opposition à une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de l’erreur manifeste et dominante, pour les motifs exposés ci-dessous, cela n’est pas déterminant, car j’ai conclu que la protonotaire n’avait pas commis d’erreur dans son traitement du critère à remplir pour que l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) soit accordée.

Règles des Cours fédérales, art. 84

Contre-interrogatoire de l’auteur d’un affidavit

84 (1) Une partie ne peut contre-interroger l’auteur d’un affidavit déposé dans le cadre d’une requête ou d’une demande à moins d’avoir signifié aux autres parties chaque affidavit qu’elle entend invoquer dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l’autorisation de la Cour.

Dépôt d’un affidavit après le contre-interrogatoire

(2) La partie qui a contre‑interrogé l’auteur d’un affidavit déposé dans le cadre d’une requête ou d’une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle-ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l’autorisation de la Cour.

Question 1 : La protonotaire a-t-elle commis une erreur dans son traitement du critère à remplir pour que l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) des Règles soit accordée?

[28]  La défenderesse propriétaire fait valoir que la protonotaire a commis une erreur de droit, ou une erreur mixte de fait et de droit comportant un principe juridique isolable, en appliquant incorrectement le critère permettant de déterminer s’il convient d’accorder l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) des Règles. Elle décrit trois erreurs que la protonotaire aurait commises, erreurs que j’ai énoncées et examinées ci‑dessous.

  i.  Condition que la preuve proposée ne soit pas disponible avant les contre‑interrogatoires

[29]  La défenderesse propriétaire fait valoir que la protonotaire a commis une erreur en n’appliquant pas la condition que la preuve proposée ne soit pas disponible avant les contre‑interrogatoires ou en ne donnant pas dûment effet à cette condition.

[30]  À cet égard, la défenderesse propriétaire fait valoir que la protonotaire n’a pas correctement appliqué les décisions pertinentes selon lesquelles la partie requérante doit, pour obtenir l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) des Règles, démontrer que la preuve qu’elle entend produire n’était pas disponible avant le contre‑interrogatoire sur les affidavits de la partie adverse. Il s’agit plus particulièrement des décisions Rosenstein, par 9, et Gemak, par 75. La défenderesse propriétaire fait valoir que, bien que la protonotaire ait conclu que les demanderesses n’avaient pas établi que l’affidavit de M. Lim n’était pas disponible plus tôt, elle a accordé l’autorisation de le présenter en fonction de l’appréciation qu’elle a faite de tous les facteurs du critère. Selon la défenderesse propriétaire, la protonotaire a donc commis une erreur de droit en n’appliquant pas correctement cette condition.

[31]  Cet argument repose sur l’opinion de la défenderesse propriétaire, qui prétend que l’arrêt Rosenstein est un précédent contraignant qui imposait à la protonotaire de refuser l’autorisation après avoir déterminé que la preuve proposée, l’affidavit de M. Lim, était disponible avant qu’elle ne procède aux contre‑interrogatoires. La défenderesse propriétaire fait valoir que les décisions Rosenstein et Gemak établissent que les conditions du paragraphe 84(2) des Règles sont distinctes et obligatoires. En fait, elles forment un critère cumulatif obligatoire selon lequel le non‑respect d’un facteur – ou à tout le moins du facteur de la disponibilité antérieure – serait fatal à la demande d’autorisation.

[32]  Pour les motifs suivants, je ne souscris pas à l’interprétation de la défenderesse propriétaire quant à l’application des facteurs du paragraphe 84(2) des Règles.

[33]  J’aimerais d’abord faire remarquer que l’arrêt Rosenstein porte sur l’article 312 des Règles et qu’on peut y lire ce qui suit :

[8]  […] Exceptionnellement, la règle 312 prévoit qu’une partie peut, avec l’autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d’affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

i)  Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)  Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)  Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 1997 CanLII 5475 (CF), 76 C.P.R. (3d) 15 (1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol's Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2001), 2001 CanLII 22119 (CF), 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.)).

[9]  De plus, lorsqu’il sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 2000 CanLII 14828 (CF), 181 F.T.R. 146, 4 C.P.R. (4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 2000 CanLII 14848 (CF), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).

[34]  Il est vrai qu’en énonçant le critère à remplir, la Cour d’appel fédérale a qualifié les facteurs de « conditions » (Rosenstein, par 8). Or, bien que l’arrêt Rosenstein établisse le critère à remplir, que la protonotaire a bien exposé, il ne permet pas de savoir si la Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans son appréciation des facteurs qui le composent. Plus précisément, on ne sait pas si, dans le cas où l’un des facteurs n’est pas respecté, la Cour peut quand même accueillir la requête si elle juge que les autres facteurs l’emportent sur ce facteur. De plus, l’arrêt Rosenstein précise que la décision de la Cour est discrétionnaire puisque celle‑ci « peut » accueillir la requête si les facteurs sont respectés.

[35]  La défenderesse propriétaire soutient que, par suite de l’arrêt Rosenstein, les facteurs du paragraphe 84(2) des Règles, ou du moins le facteur de la disponibilité antérieure, ont été considérés comme des conditions obligatoires dans les décisions Janssen-Ortho et Gemak.

[36]  Dans la décision Janssen-Ortho, le juge Zinn a déclaré :

[9]  Le critère en vertu du paragraphe 84(2) des Règles pour accorder le dépôt de preuve après avoir contre‑interrogé les déposants de l’autre partie est le même que celui de l’article 312 des Règles : Pfizer Canada Inc. c. RhoxalPharma Inc. 2004 CF 1685 (CanLII), [2006] 36 C.P.R. (4e) 550 (C.F.). Comme l’a correctement observé la protonotaire, il peut être permis de déposer des preuves complémentaires, mais seulement si quatre exigences sont respectées. Les trois premières exigences ne sont pas pertinentes; toutefois, la quatrième tel qu’elle l’a énoncée est [traduction] « la question de savoir si les autres éléments de preuves étaient disponibles ou s’il n’était pas prévu auparavant qu’ils seraient pertinents ». La Cour d’appel dans Atlantic Engraving Ltd. c. Lapointe Rosenstein, 2002 CAF 503, au paragraphe 9, a énoncé que cette exigence est incluse parce que la règle permettant le dépôt d’éléments de preuve additionnels est « […] une partie ne peut se servir de la règle […] pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible […] ».

[37]  Dans la décision Gemak, la Cour a repris le critère résumé ci-dessus dans la décision Janssen-Ortho, à savoir que [traduction] « la partie requérante doit établir que la preuve proposée n’aurait pas pu être déposée à une date antérieure, qu’elle est pertinente, que son dépôt n’est pas susceptible de causer un préjudice à la partie adverse et qu’elle aiderait la Cour à statuer sur la requête » (par 75). La Cour a conclu qu’aucune des conditions n’était remplie dans cette affaire.

[38]  Bien que dans la décision Janssen-Ortho, la Cour ait semblé considérer les quatre facteurs comme étant obligatoires et cumulatifs, il n’est pas aussi évident qu’elle soit arrivée à la même conclusion dans la décision Gemak, dans laquelle la Cour ne s’intéresse pas non plus à la question de savoir si l’application de ces facteurs découle d’un pouvoir discrétionnaire.

[39]  Dans son ordonnance, la protonotaire a cité les décisions Pfizer, par 14 et 16, Janssen‑Ortho, par 9, et Gemak, par 75, pour énoncer correctement le critère établi au regard du paragraphe 84(2) des Règles.

[40]  Dans la décision Pfizer, notre Cour a déclaré :

[15]  Le juge Lemieux a ajouté, aux paragraphes 16 et 17 :

À mon avis, compte tenu de son contexte ainsi que de l’évolution des Règles antérieures, la Règle 84(2) vise à permettre de répondre aux questions qui sont soulevées au cours du contre-interrogatoire et qu’il est nécessaire d’examiner au moyen d’un affidavit supplémentaire avec l’autorisation de la Cour.

Dans les affaires portées à leur attention à ce sujet, la Cour fédérale et les tribunaux de l’Ontario ont reconnu que la pertinence de l’affidavit proposé, l’absence de préjudice pouvant être causé à la partie adverse, l’utilité pour la Cour et l’intérêt général de la justice sont des facteurs pertinents à prendre en compte pour décider s’il y a lieu de permettre le dépôt d’un affidavit supplémentaire.

[16]  Par conséquent, en analysant une demande en vertu du paragraphe 84(2), il faut prendre en compte :

a) la pertinence de l’affidavit proposé

b) l’absence de préjudice à la partie adverse

c) l’utilité pour la Cour

d) l’intérêt général de la justice

[41]  Il importe de souligner que, dans la décision Pfizer, la Cour a conclu que ce sont là des facteurs pertinents à prendre en considération pour décider s’il convient d’accorder l’autorisation de déposer un nouvel affidavit; elle ne les qualifie pas de conditions obligatoires (bien que cette version du critère n’inclue pas le facteur de la disponibilité de la preuve mentionné dans d’autres versions, l’inclusion de ce facteur n’est pas en cause). La Cour ne dit pas non plus que le critère est cumulatif ou que la Cour ne peut pas soupeser les facteurs pour tirer une conclusion.

[42]  La protonotaire a également fait référence à la décision Campbell, dans laquelle il est question du pouvoir discrétionnaire dont dispose la Cour pour permettre à une partie de déposer des affidavits supplémentaires :

[24]  De plus, une partie ne peut être autorisée à « scinder sa preuve »; elle doit présenter la meilleure preuve le plus tôt possible. En conséquence, les éléments supplémentaires ne doivent pas porter sur des éléments de preuve qui auraient pu être communiqués au moment du dépôt des premiers affidavits, sauf si l’on ne pouvait prévoir à l’époque qu’ils deviendraient pertinents par la suite (Atlantic, au paragraphe 9; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 2 R.C.F. 371, aux paragraphes 21 et 22, 2006 CF 984; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] A.C.F. no 681 (QL), aux paragraphes 11 à 23, 2007 CF 506).

[25]  Il existe toutefois des situations particulières dans lesquelles la quatrième condition susmentionnée a été appliquée avec une certaine souplesse (Robert Mondavi Winery c. Spagnol’s Wine & Beer Making Supplies Ltd., [2001] A.C.F. no 1412, aux paragraphes 10 à 17 et 18; Tint King of California Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [2006] A.C.F. no 1808 (QL), aux paragraphes 22 et 23, 2006 CF 1440).

[26]  Pour résumer, la Cour jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’autoriser une partie à déposer des documents complémentaires. Ce pouvoir discrétionnaire est incompatible avec toute application mécanique de critères ou de formules figés, qu’ils comportent trois ou quatre volets. Les facteurs susmentionnés ne sont pas exhaustifs et la jurisprudence ne précise pas comment le juge ou le protonotaire doit les apprécier. De plus, comme chaque cas est un cas d’espèce et que la décision est discrétionnaire, d’autres facteurs peuvent entrer en jeu dans un cas donné.

[27]  Il est par conséquent juste de dire qu’il y aura dans chaque affaire une appréciation différente selon les faits portés à la connaissance du tribunal (Solvay Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2007] A.C.F. no 1190 (QL), au paragraphe 12, 2007 CF 913). De façon générale, pour exercer son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit toujours avoir présent à l’esprit le principe général consacré à l’article 3 des Règles : « [l]es présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

[Caractères gras ajoutés]

[43]  Toutefois, la défenderesse propriétaire fait valoir, à titre subsidiaire, que la protonotaire n’a pas dûment donné effet à la condition selon laquelle la preuve proposée n’était pas disponible avant les contre‑interrogatoires. Plus précisément, la protonotaire a mal appliqué le facteur en raison de sa mauvaise compréhension de la décision Campbell. La défenderesse propriétaire fait valoir que les paragraphes cités ci‑dessus ne sont que des remarques incidentes, étant donné que la Cour a conclu dans la décision Campbell que les éléments de preuve proposés n’étaient pas antérieurement disponibles (par 51). Elle soutient en outre que la décision Campbell ne permet pas à la Cour d’écarter complètement la condition selon laquelle la preuve proposée n’était pas disponible auparavant.

[44]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la description que la Cour fait, aux paragraphes 26 et 27 de la décision Campbell, de la nature discrétionnaire des décisions fondées sur le paragraphe 84(2) des Règles, n’est qu’une remarque incidente, ou que la protonotaire a mal compris cette décision.

[45]  La défenderesse propriétaire reconnaît que la décision Campbell a été suivie dans la décision Canada (Procureur général) c United States Steel Corporation, 2011 CF 742 [US Steel]. Elle soutient toutefois que dans cette dernière décision, la Cour a appliqué avec souplesse l’article 312 des Règles, s’appuyant ainsi sur la décision Campbell, ce qui a seulement eu pour effet d’assouplir la condition selon laquelle la pertinence de la preuve proposée ne doit pas avoir été prévue, de sorte qu’elle soit moins stricte et qu’il ne soit pas nécessaire que cette pertinence ait été entièrement prévue. La défenderesse propriétaire fait valoir que la décision US Steel ne laisse pas entendre que la condition pourrait être complètement écartée.

[46]  Dans la décision US Steel, la Cour a dit, au sujet des requêtes fondées sur l’article 312 des Règles, que le juge Martineau avait « habilement exposé le pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge qui en est saisi », au paragraphe 26 de Campbell, cité plus haut. La Cour a ensuite conclu qu’il était dans l’intérêt de la justice de permettre le dépôt des affidavits en cause, que leur dépôt faciliterait la compréhension de la Cour et que la partie adverse ne subirait aucun préjudice indu. Comme US Steel avait admis qu’elle avait accès à tous les renseignements contenus dans les affidavits avant le dépôt de sa preuve, la Cour a déclaré qu’il lui était difficile de conclure qu’elle ne pouvait prévoir à l’époque qu’ils deviendraient pertinents par la suite. Quoi qu’il en soit, la preuve par affidavit portait sur des points qui n’auraient pas pu être entièrement prévus. La Cour a déclaré qu’elle avait exercé avec souplesse le pouvoir discrétionnaire accordé par l’article 312 des Règles et qu’elle souscrivait à l’approche adoptée par le juge Martineau au paragraphe 27 de la décision Campbell, à savoir que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit toujours avoir présent à l’esprit le principe général consacré à l’article 3 des Règles : les règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (US Steel, par 33).

[47]  À mon avis, la Cour a, dans US Steel, adopté la description de la nature discrétionnaire des décisions fondées sur l’article 312 des Règles figurant dans la décision Campbell et confirmé qu’elle dispose également d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’appliquer les facteurs du paragraphe 84 (2) des Règles aux circonstances de l’affaire dont elle est saisie.

[48]  La décision Tint King of California Inc. c Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 1440 [Tint King] montre également que le facteur de la disponibilité antérieure ne doit pas être appliqué de façon rigide :

[21]  Dans le cas qui nous occupe, les trois premiers facteurs énumérés par le juge Nadon dans l’arrêt Atlantic Engraving sont facilement respectés. La situation de la demanderesse suscite notre sympathie et mérite une certaine clémence de notre part. Par ailleurs, la Cour a besoin d’un plus grand nombre d’éléments de preuve pour bien évaluer si la marque a été employée et, enfin, il est difficile de voir comment la présentation d’autres éléments de preuve pourrait causer un préjudice à la partie adverse lorsque celle-ci n’a pas pris part à l’appel et n’a produit aucun document.

[22]  La question de savoir si l’on aurait pu obtenir les éléments de preuve plus tôt pose toutefois problème. Il ressort toutefois des faits de l’espèce qu’il n’y a aucune raison logique qui justifierait d’appliquer de façon rigide ce facteur. Rien ne permet en effet de penser que la demanderesse cherche à scinder sa preuve. En fait, elle n’a aucun intérêt ou avantage à le faire. Qui plus est, il existe des cas dans lesquels cette exigence a été interprétée avec souplesse. À ce propos, la demanderesse cite la décision Larson-Radok c. Ministre du revenu national, 2000 CanLII 15241 (CF), [2000] 3 C.T.C. 163, 2000 DTC 6322, dans laquelle, aux paragraphes 6 et 7, le protonotaire Hargrave déclare ce qui suit, après avoir signalé que l’affidavit complémentaire satisfaisait aux trois premières conditions prévues à l’article 312 des Règles :

La difficulté vient de ce qu’un affidavit complémentaire ne devrait pas traiter de documents qui auraient pu être produits à une date antérieure. Cependant, je ne crois pas que ce concept doive être appliqué servilement, lorsqu’il s’agit d’une erreur commise par inadvertance par l’avocat, que l’autre partie n’a pas été induite en erreur par celle-ci et qu’elle pourrait porter préjudice aux demandeurs. L’avocat et son client ne sont pas toujours une seule entité, et l’oubli d’un avocat n’entraîne pas toujours de conséquence inévitable pour son client […] Dans la présente instance, pour que justice soit rendue, un affidavit complémentaire s’impose.

[23]  Bien que la décision Larson-Radok soit axée sur le fait que l’avocat des demandeurs n’avait pas suivi les instructions de ces derniers, la situation de la demanderesse dans le cas qui nous occupe permet également de penser qu’en l’espèce, un affidavit complémentaire s’impose « pour que justice soit rendue ». Comme les intérêts de la justice ne seront aucunement compromis si l’on autorise le dépôt d’un affidavit complémentaire, il semblerait qu’il y ait lieu pour la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse et d’admettre l’affidavit complémentaire de Mme Starkman.

[49]  Et, bien que la défenderesse propriétaire tente d’établir une distinction avec l’affaire Tint King en la présentant comme un cas exceptionnel reconnu où la Cour a pu donner une « interprétation atténuée » du facteur de la disponibilité antérieure, j’estime que cette affaire montre encore mieux que la Cour dispose, pour l’examen des facteurs du paragraphe 84 (2) des Règles, du pouvoir discrétionnaire de les soupeser et, ce faisant, d’accorder l’autorisation demandée, même s’il n’a pas été satisfait à l’un de ces facteurs.

[50]  C’est également ce qu’a démontré la décision Mondavi, qui portait sur le paragraphe 84(2) des Règles. Dans cette affaire, il a été admis que le premier facteur du critère à considérer – la pertinence – était respecté. En ce qui concerne le deuxième facteur, la disponibilité antérieure des éléments de preuve, l’équité procédurale est la principale préoccupation étant donné que les affidavits complémentaires ne visent pas à corriger les réponses que l’avocat ayant dirigé le contre‑interrogatoire ne souhaitait pas obtenir, ni à permettre à une partie de scinder sa preuve (Mondavi, par 10, citant la décision Salton Appliances (1985) Corp. c Salton Inc., 181 FTR 146, 2000 CanLII 14828 (CF), par 18 [Salton]). Dans l’affaire Mondavi, la demanderesse a reconnu que les affidavits complémentaires contenaient des éléments de preuve qui étaient disponibles avant le contre‑interrogatoire. La Cour a déclaré que « [m]anifestement, l’avocat a commis une erreur en décidant de s’abstenir de divulguer ce renseignement, s’attendant à ce qu’il soit communiqué au cours du contre‑interrogatoire. Il s’agit d’un facteur important qui milite contre l’octroi de la réparation sollicitée par la demanderesse » (par 11). La Cour a ensuite examiné le troisième facteur – le préjudice causé à l’autre partie – et a conclu que l’on pouvait y remédier en permettant à la défenderesse de mener d’autres contre‑interrogatoires et de présenter d’autres preuves, ainsi que par l’octroi de dépens. La Cour a mentionné que la demanderesse n’avait pas tenté de cacher l’information à des fins stratégiques et que, bien que l’on ait pu douter que la première recherche ait été faite avec diligence, rien ne laissait croire que la demanderesse avait agi avec insouciance ou mauvaise foi (par 13).

[51]  Fait important, bien que la Cour ait conclu dans la décision Mondavi que le facteur de la disponibilité antérieure n’avait pas été respecté et que c’était là un facteur important qui militait contre l’autorisation de déposer la nouvelle preuve par affidavit, elle a néanmoins conclu, après avoir soupesé les trois facteurs, usant pour ce faire du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 84(2) des Règles, qu’il était dans l’intérêt de la justice d’autoriser le dépôt, sous réserve que des garanties appropriées soient mises en place pour que la défenderesse soit en mesure d’opposer une réponse complète à la demande.

[52]  À mon avis, cette décision montre clairement que dans l’examen des facteurs établis au regard du paragraphe 84(2) des Règles, y compris le facteur de la disponibilité antérieure, la Cour dispose d’une certaine marge de discrétion quant à la manière dont elle les évalue. De plus, l’approche adoptée par la Cour dans la décision Mondavi est précisément l’approche que la protonotaire a adoptée en l’espèce.

[53]  La nature discrétionnaire de la décision d’accorder l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) des Règles ressort peut-être mieux, pour les besoins du présent appel, d’une décision non citée par les parties, Apotex Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1401 [Apotex], qui portait sur l’appel d’une ordonnance par laquelle une protonotaire avait refusé d’accorder l’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire en vertu du paragraphe 84(2) des Règles.

[54]  Dans l’ordonnance contestée, la protonotaire expliquait que [traduction] « les parties s’entendent pour dire que les facteurs dont il y a lieu de tenir compte pour exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 84(2) des Règles des Cours fédérales pour permettre le dépôt d’un affidavit après un contre‑interrogatoire ne sont pas une série de critères à respecter, mais bien un certain nombre de facteurs à soupeser » (cité au par 14 d’Apotex). Elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve étaient disponibles avant le contre‑interrogatoire et que le contre-interrogatoire ne les avait pas rendus plus pertinents qu’ils ne l’étaient avant. S’appuyant sur cette constatation, elle a conclu que les nouveaux éléments de preuve ne pouvaient pas non plus aider la Cour, et qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’autoriser leur dépôt. Quant au préjudice, elle a fait remarquer que la défenderesse n’avait pas nié que le dépôt de la preuve proposée ne lui causerait pas de préjudice, tout en concluant que [traduction] « l’absence de préjudice ne contrebalance pas à elle seule, à mon avis, les conclusions que j’ai tirées au sujet des autres facteurs à soupeser » (Apotex, par 20) [Soulignement supprimé].

[55]  Apotex a interjeté appel de l’ordonnance de la protonotaire, soutenant, entre autres, que les commentaires de la protonotaire sur le préjudice étaient erronés. La Cour a rejeté l’argument d’Apotex : « Apotex affirme que l’absence de préjudice l’emporte sur tous les autres facteurs. Suivant ce que j’en comprends, la jurisprudence applicable n’appuie pas cette proposition. L’absence de préjudice n’est qu’un des facteurs dont il y a lieu de tenir compte et c’est précisément ce que la protonotaire a fait » (par 36) [Caractères gras ajoutés].

[56]  Ainsi, notre Cour a conclu dans la décision Apotex que tous les facteurs doivent être soupesés et qu’aucun des facteurs n’est nécessairement déterminant. En d’autres termes, même si tous les facteurs du paragraphe 84(2) des Règles doivent être pris en compte, il ne s’agit pas de conditions obligatoires et cumulatives.

[57]  De plus, fait important, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté par Apotex (Apotex Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 397), déclarant :

[5]  L’appelante s’est fortement appuyée, à l’appui de sa requête en production d’un affidavit, sur le fait que l’intimé ne prétend pas qu’il en subirait un préjudice. Or ce n’est là qu’un des facteurs à considérer et il n’est pas déterminant en soi. Il n’éclipse pas tous les autres facteurs.

[6]  L’appelante n’a pas démontré que le juge Lemieux a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire; en conséquence, l’appel sera rejeté avec dépens.

[Non souligné dans l’original.]

[58]  À mon avis, la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex est déterminante pour le présent litige. Elle démontre que les facteurs du paragraphe 84(2) des Règles ne sont pas les conditions distinctes et obligatoires d’un critère cumulatif. Ce sont plutôt des facteurs à considérer et à soupeser lorsqu’il s’agit de rendre une décision discrétionnaire fondée sur le paragraphe 84(2) des Règles. L’absence d’un des facteurs n’est pas nécessairement fatale à la demande de redressement.

[59]  Compte tenu de ce qui précède, la protonotaire était tenue, en l’espèce, d’examiner chacun des facteurs établis au regard du paragraphe 84(2) des Règles pour décider s’il convenait ou non d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’autorisation demandée. Il ressort clairement de ses motifs que c’est ce qu’elle a fait. Il importe aussi de souligner qu’au moment de soupeser le facteur de la disponibilité antérieure, la protonotaire a tenu compte de l’affidavit de M. Oland et a conclu que l’explication quant au retard à présenter l’affidavit de M. Lim ou les requêtes n’était absolument pas suffisante. Elle a également conclu que c’était là un facteur important qui militait contre l’octroi de la réparation demandée. Or, bien que ce facteur n’ait pas été établi, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire d’accorder plus de poids à d’autres facteurs et d’accueillir la requête. Ce faisant, la protonotaire a reconnu que le facteur de la disponibilité antérieure visait à empêcher les parties requérantes de scinder leur preuve et à les obliger à présenter leurs meilleurs arguments le plus tôt possible (Rosenstein, par 9). La protonotaire a abordé cette question dans le contexte du facteur relatif au préjudice, déclarant qu’il n’y avait aucune preuve que les demanderesses tentaient de scinder leur preuve. Autrement dit, l’objectif et l’importance du facteur de la disponibilité antérieure ont été dûment pris en considération par la protonotaire.

[60]  À mon avis, la protonotaire n’a pas commis d’erreur de droit, ni d’erreur mixte de fait et de droit, en ne traitant pas le facteur de la disponibilité antérieure comme étant un élément distinct et obligatoire d’un critère cumulatif. Elle était en droit de soupeser les facteurs du paragraphe 84(2) des Règles, ce qu’elle a fait, dans sa décision discrétionnaire. Le non-respect de l’un de ces facteurs, celui de la disponibilité antérieure de la preuve, n’est pas fatal..

[61]  Pour conclure sur cette question, j’estime, contrairement à ce que prétend la défenderesse propriétaire dans ses observations, que la protonotaire n’a pas commis d’erreur dans son traitement du critère à remplir pour que l’autorisation prévue au paragraphe 84(2) des Règles soit accordée. En réalité, la défenderesse propriétaire conteste la façon dont la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’admission de la preuve par affidavit, à laquelle elle s’oppose. Cependant, il ne s’agit pas d’une erreur de droit, ni d’une erreur manifeste et dominante. Il s’agit plutôt d’un désaccord quant au résultat.

  ii.  Transfert du fardeau de la preuve

[62]  La défenderesse propriétaire fait également valoir que la protonotaire a commis une erreur de droit puisqu’elle semble lui avoir transféré le fardeau de la preuve en l’obligeant à établir qu’elle subirait un préjudice si l’autorisation était accordée. De plus, la protonotaire semble avoir assujetti la défenderesse propriétaire à une norme incohérente.

[63]  À mon avis, cette allégation n’est pas fondée. Aux paragraphes 31 à 34 de ses motifs, la protonotaire décrit l’argument de la défenderesse propriétaire selon lequel elle subirait un préjudice important si le dépôt de l’affidavit de M. Lim était autorisé – un argument qu’elle a opposé en réponse à celui des demanderesses qui affirment il n’y aurait pas de préjudice – et elle explique pourquoi elle n’est pas convaincue que la défenderesse propriétaire subirait un préjudice grave. Rien dans ses motifs ne donne à penser qu’elle a transféré le fardeau de la preuve à la défenderesse propriétaire. Elle n’a tout simplement pas retenu l’argument de la défenderesse propriétaire sur ce point. Rien non plus ne porte sur le fait que, dans son énoncé du critère applicable, au paragraphe 18 de ses motifs, elle fait état de l’absence de préjudice, alors qu’aux paragraphes 31 et 32, elle fait référence à un « préjudice grave ». Elle conclut que tout manquement à l’équité procédurale dont serait victime la défenderesse propriétaire pourrait être corrigé en lui permettant de procéder à d’autres contre‑interrogatoires et de produire d’autres éléments de preuve, et pourrait aussi être atténuée par les dépens, comme le reflète son ordonnance. Aucune erreur de droit n’a été établie.

  iii.  Pertinence de la preuve proposée

[64]  La défenderesse propriétaire fait valoir que la protonotaire a également commis une erreur de droit en concluant que l’affidavit de M. Lim était à première vue pertinent et en ne tenant compte que de sa pertinence à première vue plutôt que de s’intéresser aux arguments qu’elle a soulevés quant au bien‑fondé de sa pertinence. Selon la défenderesse propriétaire, la protonotaire était tenue de tirer une conclusion préliminaire sur la question de la pertinence à l’étape de la requête fondée sur le paragraphe 84(2) des Règles, cette conclusion lui imposant d’examiner ses arguments sur le fond.

[65]  La défenderesse propriétaire n’offre aucune jurisprudence à l’appui de sa prétention selon laquelle il existe un seuil de pertinence et que ce seuil est plus élevé que celui de la conclusion prima facie de pertinence. Je ne suis pas non plus en mesure de comprendre pourquoi il serait nécessaire, dans le cadre d’une requête présentée en vertu du paragraphe 84(2) des Règles et de l’examen du facteur de la pertinence, que je me penche sur le fond du litige alors que la protonotaire a conclu que l’affidavit de M. Lim était, à première vue, pertinent pour les questions de compétence soulevées dans la requête en arrêt des procédures. En tant que juge responsable de la gestion des 11 instances connexes, elle était sans doute au courant de la question de la compétence. Elle a également mentionné dans ses motifs les raisons pour lesquelles elle estimait que l’affidavit de M. Lim fournissait des renseignements factuels supplémentaires sur la question de la compétence (ordonnance, par 21 à 23). Après avoir tiré cette conclusion, elle a déclaré que, bien que la défenderesse propriétaire ait avancé divers arguments expliquant pourquoi le contrat de service ne s’applique pas en l’espèce, ceux-ci portaient sur le bien‑fondé de la requête en arrêt des procédures de la défenderesse propriétaire et qu’il valait mieux qu’ils soient examinés par le juge des requêtes sur la base du dossier de preuve complet qui lui serait présenté.

[66]  Je ne vois aucune erreur dans l’approche de la protonotaire.

Question 2 : La protonotaire a-t-elle commis des erreurs de fait, ou des erreurs mixtes de fait et de droit, équivalant à des erreurs manifestes et dominantes?

[67]  Le principal argument de la défenderesse propriétaire est que la protonotaire a mal évalué et apprécié les faits. Elle relève trois erreurs de compréhension des faits qu’aurait commises la protonotaire.

  i.  Pertinence de l’affidavit de M. Lim

[68]  Sur cette question, la défenderesse propriétaire fait d’abord valoir que la protonotaire a commis une erreur en concluant, sans preuve, que l’affidavit de M. Lim était pertinent ou qu’il pouvait aider la Cour.

[69]  La défenderesse propriétaire fait valoir que les demanderesses n’ont présenté aucune preuve établissant que le contrat de service présente un quelconque intérêt pour les actions. À cet égard, elle répète que la protonotaire ne pouvait pas simplement conclure que la preuve était à première vue pertinente et qu’elle pouvait aider la Cour (ordonnance, par 21, 23 et 35).

[70]  Comme je l’ai mentionné, la protonotaire a examiné l’affidavit de M. Lim. Elle a conclu qu’il fournissait des renseignements factuels sur le contrat de service conclu entre Havi Container Line Limited et K-Line. Elle a aussi conclu que les demanderesses s’appuieront sur l’article 12 du contrat de service pour réfuter l’argument de la défenderesse propriétaire selon lequel les parties ont convenu que les litiges devaient être tranchés conformément au droit japonais et par la cour de district de Tokyo, l’article 12 prévoyant que le droit substantiel l’État de New York régit le contrat et que les parties reconnaissent la compétence du tribunal américain indiqué.

[71]  La protonotaire a conclu que l’affidavit de M. Lim contient d’autres renseignements pertinents sur le contrat de service, comme la durée du contrat. M. Lim déclare avoir négocié, au nom de Havi Container Line Limited, le contrat de service avec K-Line America Inc., représentante de Kawasaki Kilian Kaisha Ltd., et qu’il l’a signé le 30 mars 2017. Il affirme que Havi Global Solutions LLC, Havi GS Asia Pacific(s) et Havi Logistics Taiwan Ltd. (demanderesses dans l’action sous‑jacente et dans le dossier de la Cour no T-298-19), de même que Havi Container Line Limited (partie au contrat de service) font toutes partie du groupe Havi, qui est un groupe privé d’entreprises de transport et de logistique. M. Lim a également déclaré que le contrat de service était en vigueur du 4 avril 2017 au 31 mars 2018, ce qui couvre la période à laquelle a eu lieu l’incendie de moteur sur le navire.

[72]  La défenderesse propriétaire affirme que Havi Container Line Limited n’est partie à aucune des actions et qu’il n’a pas été établi que le contrat de service s’appliquait à l’une ou l’autre d’entre elles. Plus précisément, il n’y a aucune preuve que la prétendue appartenance de Havi Container Line Limited au groupe Havi s’étend de manière à ce que le contrat de service s’applique aux autres membres du groupe.

[73]  À mon avis, ces affirmations touchent au fond de la question de compétence. Elles pourraient également être abordées lors du contre‑interrogatoire de M. Lim, que l’ordonnance de la protonotaire autorise. Je ne suis pas convaincue qu’en s’appuyant sur une conclusion de pertinence à première vue, la protonotaire ait commis une erreur manifeste et dominante.

  ii.  Préjudice causé à la défenderesse propriétaire

[74]  La défenderesse propriétaire fait valoir que la protonotaire a commis une erreur en concluant que la défenderesse propriétaire ne subirait aucun préjudice grave si elle accordait l’autorisation demandée, malgré une preuve claire à l’effet contraire.

[75]  Par ailleurs, la protonotaire a mal compris l’importance de ne pas avoir pu bénéficier de l’affidavit de M. Lim au moment des contre‑interrogatoires de Mme Leona Baxter et de M. Shuji Yamaguchi.

[76]  Cette affirmation repose sur les paragraphes 9 et 10 de l’affidavit de M. Kostyniuk, dont disposait la protonotaire et dans lequel M. Kostyniuk a déclaré que, si l’affidavit de M. Lim avait été disponible, il en aurait tenu compte pour décider de l’approche à adopter lors des contre‑interrogatoires de Mme Baxter et de M. Yamaguchi, notamment en ce qui concerne le choix des points précis sur lesquels il aurait posé des questions et la profondeur de l’enquête inquisitoire, et le processus de demande d’admission aurait été différent; il est convaincu qu’à cause de cela, la défenderesse propriétaire a subi un préjudice important.

[77]  La protonotaire a pris acte des arguments de la défenderesse propriétaire, mais elle a estimé que celle‑ci ne subirait aucun préjudice grave si les demanderesses étaient autorisées à déposer l’affidavit de M. Lim. Comme l’a reconnu la défenderesse propriétaire, la protonotaire a renvoyé aux décisions Zhu (par 8) et Mondavi (par 12) et a conclu que tout manquement à l’équité procédurale dont pourrait être victime la défenderesse propriétaire à cause de la manière dont son avocat avait préparé son dossier n’équivalait pas à un préjudice et que l’on pouvait y remédier en permettant à la défenderesse propriétaire de procéder à d’autres contre‑interrogatoires et de présenter d’autres preuves. Par ailleurs, rien ne prouvait que les demanderesses tentaient de scinder leur preuve.

[78]  En appel, la défenderesse propriétaire réitère sa position et nie que les dispositions de l’ordonnance remédient à tout préjudice ou manquement à l’équité procédurale dont elle pourrait être victime. Il en est ainsi, affirme‑t‑elle, parce que ces mesures ne permettent pas de corriger les « restrictions aux questions qui ont été posées » lors des contre‑interrogatoires antérieurs.

[79]  À mon avis, aucune erreur manifeste et dominante ne découle de l’évaluation que la protonotaire a faite du risque d’iniquité procédurale ou de sa mise en place de garanties visant à remédier à tout manquement à l’équité procédurale qui pourrait se produire. Le témoignage par affidavit de M. Kostyniuk était de nature générale; il ne donne aucune précision sur le prétendu préjudice.

[80]  De même, l’affirmation selon laquelle les interrogatoires ont été limités parce que la défenderesse propriétaire ne connaissait pas le contenu de l’affidavit de M. Lim n’est étayée par aucun exemple montrant en quoi ils ont été limités. Par exemple, la défenderesse propriétaire a contre‑interrogé Mme Baxter sur son affidavit de huit paragraphes, auquel était jointe une copie du contrat de service. Mme Baxter compte parmi les avocats canadiens qui représentent les demanderesses dans les actions. Il est difficile de voir en quoi, lors du contre‑interrogatoire de Mme Baxter, l’information contenue dans l’affidavit de M. Lim a restreint l’approche de la défenderesse propriétaire. De plus, comme le montre la transcription du contre‑interrogatoire, la seule « admission » faite à cette occasion et sur laquelle se fonde la défenderesse propriétaire est que Mme Baxter n’avait aucune connaissance personnelle de la date d’entrée en vigueur du contrat de service ou ne savait pas si les deux parties en avaient convenu d’une. Étant donné que Mme Baxter fait partie des avocats canadiens dans l’affaire relative aux dommages causés aux conteneurs par l’incendie de la salle des machines, cette admission ne semble pas être particulièrement surprenante ou importante. En outre, dans la décision Salton, la Cour a déclaré que le paragraphe 84(2) des Règles vise à permettre de répondre aux questions qui sont soulevées au cours du contre‑interrogatoire et qu’il est nécessaire d’examiner au moyen d’un affidavit supplémentaire avec l’autorisation de la Cour (Salton, par 16). Étant donné que Mme Baxter n’avait aucune connaissance personnelle des questions soulevées par la défenderesse propriétaire au cours du contre‑interrogatoire, il était loisible aux demanderesses de solliciter l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Lim pour y répondre.

[81]  À cet égard, la défenderesse propriétaire fait valoir que les demanderesses tentent de scinder leur preuve ou de remédier à ses lacunes en déposant l’affidavit de M. Lim, car cet affidavit leur permettra d’étoffer leur dossier après que la défenderesse propriétaire aura « préparé son dossier » de façon à réfuter la preuve qui lui sera présentée. Elle ajoute que, compte tenu de l’admission de Mme Baxter, la protonotaire a eu tort de conclure que rien ne prouvait que les demanderesses tentaient de scinder leur preuve.

[82]  À mon avis, la défenderesse propriétaire conteste tout simplement la conclusion de la protonotaire. La défenderesse propriétaire n’a pas établi en quoi, par la façon dont elle avait préparé son dossier, elle subirait un préjudice si l’on permettait que l’affidavit de M. Lim soit déposé, même avec la mise en œuvre des garanties procédurales prévues par l’ordonnance. Qui plus est, la protonotaire a conclu que rien ne prouvait que les demanderesses tentaient de scinder leur preuve. En d’autres termes, elle n’a pas retenu l’argument de la défenderesse propriétaire selon lequel l’admission de Mme Baxter et le dépôt ultérieur de l’affidavit de M. Lim avaient eu cet effet. Elle a aussi fait remarquer que les demanderesses ont reconnu que la défenderesse propriétaire pouvait contre‑interroger M. Lim et qu’il ne semblait y avoir aucun intérêt ni avantage pour les demanderesses à scinder leur preuve, étant donné qu’elles ont cherché proactivement l’aide de la Cour pour que la requête en arrêt des procédures soit entendue.

[83]  Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion de la protonotaire selon laquelle la défenderesse propriétaire ne subirait pas de préjudice grave si l’affidavit de M. Lim pouvait être déposé aux conditions énoncées dans son ordonnance.

  iii.  Exercice du pouvoir discrétionnaire

[84]  Enfin, la défenderesse propriétaire fait valoir que la protonotaire a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’autorisation demandée alors que les faits militaient fortement en faveur d’un refus. Elle affirme que l’affidavit de M. Lim n’a que peu ou pas de pertinence et qu’il ne peut pas aider la Cour, et que la protonotaire a accordé un poids excessif à ces facteurs. À cet égard, la défenderesse propriétaire fait à nouveau valoir que les demanderesses n’ont pas prouvé que le contrat de service a une quelconque pertinence ou qu’il sera utile à la Cour, car il n’a pas été établi que le contrat de service a un rapport avec les demanderesses dans les actions. Elle soutient une fois de plus que la protonotaire aurait dû examiner ces questions sur le fond plutôt que de simplement conclure que le contrat de service était à première vue pertinent. De plus, même s’il est légèrement pertinent, il ne devrait pas être accepté en raison de sa disponibilité antérieure.

[85]  Ces arguments, de même que les observations répétées de la défenderesse propriétaire au sujet du préjudice grave et des retards, ont été examinés ci‑dessus. En l’espèce, la défenderesse propriétaire conteste tout simplement la façon dont la protonotaire a apprécié les facteurs applicables. Or, comme je l’ai déjà conclu, il lui était possible de soupeser les facteurs qui l’ont amenée à prendre sa décision discrétionnaire. Il n’appartient pas à la Cour, en appel, de réévaluer ces facteurs simplement parce que la défenderesse propriétaire les conteste (voir, par exemple, Première Nation de Whitefish Lake c Grey, 2019 CAF 275, par 10 et 11). Et comme l’a dit la Cour d’appel dans l’arrêt Hospira, « [...] le juge des requêtes saisi d’un appel fondé sur l’article 51 des Règles fera toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention ne doit pas être décidée à la légère » (par 103).

[86]  En l’espèce, la protonotaire a soupesé tous les facteurs. En ce qui concerne le quatrième facteur, elle a conclu que la preuve contenue dans l’affidavit de M. Lim, qui se limite aux questions déjà en litige entre les parties, c’est‑à‑dire le contrat de service, aiderait le juge des requêtes à statuer correctement sur les questions de compétence soulevées dans la requête en arrêt des procédures de la défenderesse propriétaire, et a conclu qu’il serait dans l’intérêt de la justice de permettre aux demanderesses de déposer l’affidavit de M. Lim, sous réserve que les garanties appropriées soient mises en place pour que la défenderesse propriétaire puisse répondre pleinement à la preuve proposée dans l’affidavit de M. Lim. Je ne vois pas d’erreur manifeste et dominante dans son approche, son évaluation ou ses constatations de fait, ou dans sa conclusion.

 




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.