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Date : 20020517

Dossier : IMM-3080-01

Référence neutre : 2002 CFPI 573

ENTRE :

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                demandeur

ET :

                             MEHRNAZ CHOOVAK

                                                             défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, modifiée par L.R.C. 1985, ch. 28 (4e supp.) (la Loi), visant l'examen et l'annulation d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) rendue le 7 juin 2001 et déterminant que la défenderesse est un réfugié au sens de la Convention parce qu'elle n'est pas exclue sous le régime de la section 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can, no 6 (la Convention), et qu'elle craint avec raison d'être persécutée du fait de ses opinions politiques, de sa religion et de son sexe si elle retourne en Iran. Le ministre demandeur prie la Cour d'annuler la décision de la SSR et de renvoyer l'affaire à cette dernière pour réexamen par une formation différemment constituée.

  

[2]                 Les faits sont essentiellement exposés dans les motifs de la SSR. La défenderesse est née le 11 juin 1982 à Téhéran, en Iran, de parents musulmans, et elle est citoyenne iranienne.

  

[3]                 La défenderesse affirme qu'en 1986, pendant la guerre entre l'Iran et l'Irak, ses parents ont décidé de l'envoyer, par mesure de sécurité, chez des membres de la famille qui avaient été acceptés en Allemagne. Elle a donc accompagné sa mère en Allemagne en mars 1986 et y a obtenu asile en tant que pupille de sa tante et de son oncle, auxquels l'Allemagne avait reconnu le statut de réfugié en 1985. C'est en vertu d'un statut spécial de résidente temporaire accordé aux étrangers qu'elle est entrée en Allemagne. Sa mère lui rendait visite plusieurs mois par année grâce à un permis de séjour temporaire, lorsque cela lui était possible; quand elle n'était pas avec sa fille, elle retournait vivre avec son mari, à qui il était interdit de quitter l'Iran à cause de son ancienne allégeance au Shah et de sa profession de médecin.

  

[4]                 Après son arrivée en Allemagne en 1986, la demanderesse a vécu avec son oncle et sa tante et a terminé là l'école maternelle et quatre ans d'école primaire, puis a entrepris ses études secondaires qu'elle a terminées en 1997. Le 4 avril 1998, la mère de la défenderesse a reçu une ordonnance de la tutelle judiciaire locale de Souest révoquant la tutelle de la tante et indiquant que la défenderesse vivait avec sa mère.

  

[5]                 La défenderesse déclare avoir été victime de harcèlement et d'autres formes de discrimination tout au long de sa scolarité, de l'école maternelle à la fin de ses études secondaires, en raison de sa nationalité. Elle allègue qu'à l'école maternelle un de ses amis, qui était Turc, a été maltraité par les autres élèves et par les professeurs à cause de sa nationalité. Les parents de cet enfant ont déménagé dans une autre ville pour fuir la discrimination, mais la défenderesse a plus tard appris que son ami avait été battu et que sa mère avait été tuée dans un incendie allumé par des skinheads. Elle affirme en outre que, pendant ses études primaires, elle a souffert de nausées extrêmes, de perte d'appétit, de prédisposition à contracter des maladies et de troubles mentaux qui ont nécessité qu'elle voie un psychologue. À l'école secondaire, ses nausées ont évolué en gastrite, elle a souffert de problèmes cutanés et d'insomnie. Elle soutient que ces problèmes étaient causés par les mauvais traitements qu'elle subissait à l'école.

  

[6]                 En 1997, le frère de sa mère, qui avait obtenu le droit d'établissement au Canada, s'est rendu en Allemagne pour le mariage de la tante. La défenderesse aurait parlé à son oncle des mauvais traitements dont elle était victime en Allemagne, et ce dernier lui aurait conseillé de quitter le pays. Lorsqu'il est retourné à Toronto, l'oncle a pris contact avec un consultant pour la faire sortir d'Allemagne, mais au printemps 1999, il a informé sa nièce que le consultant était déménagé sans rien entreprendre.

  

[7]                 La défenderesse a demandé un visa d'étudiant pour venir fréquenter un collège à Toronto. Sa mère y a consenti et a nommé l'oncle comme tuteur; ce dernier prenait financièrement en charge la défenderesse. La défenderesse est donc arrivée au Canada le 15 septembre 1999 munie d'un visa d'étudiant canadien délivré par l'Allemagne, lequel expirait le 31 juillet 2000. En raison de délais administratifs dans l'obtention de ses documents de voyage, la défenderesse a commencé son programme d'étude un an plus tard que prévu. Elle a revendiqué le statut de réfugié le 20 septembre1999, cinq jours après son arrivée, alléguant craindre avec raison d'être persécutée en Allemagne du fait de sa race, de sa nationalité et de ses opinions politiques. Dans la réponse à la question 13 du Formulaire de renseignements personnels (FRP) - laquelle était ainsi conçue : [TRADUCTION] « Dans quel(s) pays craignez-vous d'être persécuté » - elle a indiqué seulement l'Allemagne et n'a pas mentionné l'Iran.


  

[8]                 Dans l'exposé circonstancié du FRP, elle affirme qu'elle craint d'être la cible d'actes de persécution de la part des skinheads et des autorités, de souffrir de nouveau des mêmes maux physiques et mentaux et d'être victime de harcèlement et de discrimination de la population en général, si elle retourne en Allemagne. Relativement à l'Iran, elle dit qu'elle ne peut y retourner parce qu'elle s'oppose au régime, qu'elle ne parle pas la langue, qu'elle est partie lorsqu'elle avait quatre ans et a étudié en Allemagne et au Canada et qu'elle ne pourrait s'adapter à la vie là-bas parce qu'elle a grandi dans une culture différente. Elle allègue en outre que sa mère est décédée et que le seul membre restant de sa famille, son père, n'est pas dans les bonnes grâces des autorités.

[9]                 Dans une lettre en date du 7 juin 2001, la SSR a informé la défenderesse qu'elle lui reconnaissait le statut de réfugié. Le demandeur sollicite à présent le contrôle judiciaire de la décision de la SSR parce que les conclusions de celle-ci seraient déraisonnables compte tenu de la preuve qui lui a été présentée.

  

[10]            Dans les motifs écrits qu'elle a rendus le 31 mai 2001, la SSR a d'abord conclu à la nullité du statut temporaire de résidente permanente de la défenderesse et déterminé qu'elle n'avait plus le droit de retourner en Allemagne et que son statut de résidente avait été abandonné de façon permanente. Elle a par conséquent conclu que la défenderesse n'avait pas le droit de retourner en Allemagne et que la section 1E de la Convention ne s'appliquait pas.

  

[11]            La crainte d'être persécutée de la défenderesse ne visait que l'Allemagne. Toutefois, lorsque la SSR a conclu que la section 1E de la Convention ne s'appliquait pas, elle a malgré tout examiné la revendication de la défenderesse par rapport à son pays d'origine, l'Iran, dont elle conservait la nationalité. À cet égard, la SSR a conclu que les craintes, objective et subjective, de la défenderesse d'être persécutée du fait de ses opinions politiques, de sa religion et de son sexe étaient bien fondées. Elle a déterminé que les autorités iraniennes considéreraient la défenderesse comme une opposante au régime et que cette dernière ferait l'objet d'actes de persécution si elle retournait en Iran.

  

[12]            La question primordiale qui se pose en l'espèce est la question de savoir si la SSR a commis une erreur en concluant que la section 1E mentionnée dans la définition de réfugié au sens de la Convention ne s'appliquait pas à la défenderesse et qu'il existait une crainte fondée qu'elle soit persécutée si elle retournait en Iran.


[13]            Pour ce qui est de la conclusion relative à l'exclusion, le ministre affirme que la SSR a mal interprété la section 1E de la Convention et qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve substantielle établissant que la défenderesse avait un statut en Allemagne.

  

[14]            Il fait valoir que la défenderesse était en possession d'un document de voyage allemand indiquant que son statut de résidente n'était assujetti à aucune restriction ou limitation (unbefristet) ou qu'elle était une résidente permanente du pays. Le permis de séjour portait la mention supplémentaire suivante : [TRADUCTION] « Le travail rémunéré nécessitant un permis de travail n'est autorisé qu'en conformité avec un permis de travail valide » . De plus, lorsque la défenderesse a demandé un visa d'étudiant pour entrer au Canada, elle aurait indiqué, sur le formulaire de visa de visiteur, qu'elle détenait un permis de séjour pour une « période indéfinie » dont la date d'expiration était le 31 décembre 2000. Un gestionnaire de programme d'immigration en poste à Berlin lui aurait également dit, en réponse à une demande de renseignement, que même si son statut n'était valide que jusqu'au 31 décembre 2000, [TRADUCTION] « il serait prolongé sur demande » . Les notes versés au SSOBL concernant l'entrevue relative au visa d'étudiant indiquent en outre que la défenderesse aurait dit à l'agent d'immigration qu'elle était résidente permanente en Allemagne et qu'elle avait l'intention d'étudier la médecine dans ce pays à son retour du Canada. Le demandeur soutient que la SSR n'a pas tenu compte de cette preuve forte et qu'elle a ainsi commis une erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de la Cour.

  

[15]            Le demandeur fait valoir que la SSR a mal interprété la décision de notre Cour dans l'affaire Shamlou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1537 (QL) (C.F., 1re inst.) et a mal appliqué la section 1E de la Convention en présumant que cette disposition vise des droits inconditionnels de résidence. Ni la décision Shamlou ni le texte de la section 1E n'exigent un droit inconditionnel, contrairement à ce qu'a indiqué la SSR dans sa décision. En fait, notre Cour a refusé de souscrire à une interprétation aussi restrictive de la section 1E. Le demandeur souligne qu'en l'espèce la preuve présentée à la SSR démontrait que la défenderesse pouvait travailler et étudier en Allemagne et qu'en fait, elle avait affirmé qu'elle entendait y retourner après ses études au Canada, pour entreprendre des études en médecine. Elle était également admissible aux services sociaux de base en Allemagne.

  

[16]            Le demandeur fait également valoir que la défenderesse avait le droit de retourner en Allemagne, mais a laissé son statut de résidente devenir périmé pendant qu'elle était au Canada. Elle était ici depuis 1999, et son statut de résidente venait à expiration le 31 décembre 2000. Elle a toutefois attendu jusqu'à la mi-mars 2001 pour s'informer de son statut, et a alors appris qu'étant donné qu'elle n'avait pas renouvelé son permis de eésidence dans les six mois suivant l'expiration de son visa d'étudiante (son visa avait pris fin, en fait, au mois de juillet 2000), son statut était expiré et n'était pas renouvelable. Le demandeur cite l'extrait suivant de la décision de notre Cour Shahpari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [1998] A.C.F. no 429 (QL) (C.F. 1re inst.), dans lequel la Cour déclare, au par. 9 : « [l]e fait que la requérante n'ait pas renouvelé son visa de sortie avant qu'il n'expire ne saurait lui profiter. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, la formation pouvait raisonnablement conclure que le visa pouvait être renouvelé [...] On doit forcément en conclure que le visa d'aller et retour auquel le titulaire d'une carte sans restriction a droit peut lui aussi être renouvelé, ou encore que le titulaire d'une telle carte peut, dans de telles circonstances, obtenir un nouveau visa d'aller et retour » . De la même façon, le demandeur avance que la SSR disposait en l'espèce d'une ample preuve (formée de dispositions législatives allemandes (la Loi sur les étrangers)) indiquant qu'il était possible d'obtenir de nouveau le statut. Il soutient que la SSR a commis une erreur en ne tenant pas compte non plus de cet élément de preuve substantielle.

  

[17]            Le demandeur affirme également que bien que la défenderesse n'ait pas eu le statut de réfugié en Allemagne, elle jouissait tout de même, avant de le laisser délibérément devenir périmé, d'un statut s'apparentant à celui de résidente permanente. En laissant expirer son statut, la défenderesse se livrait en fait à une quête du meilleur pays d'asile, et cela ne suffit pas à empêcher l'application de la section 1E de la Convention. De plus, notre Cour a déjà statué à plusieurs reprises, et le plus récemment, dans l'affaire Nepete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1640 (QL) (C.F., 1re inst.), que l'expiration du visa de retour ou du document de voyage d'un demandeur au moment de l'audience n'empêche pas l'exclusion en vertu de la section 1E de la Convention. Ainsi, le demandeur, invoquant les principes jurisprudentiels établis par notre Cour, soutient que la SSR a encore commis une erreur en statuant que la section 1E ne s'appliquait pas puisque le permis de séjour de la défenderesse était expiré au moment de l'audience.

  

[18]            Par conséquent, le demandeur avance que compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve déposés devant la SSR, il avait établi la preuve prima facie de l'application de la section 1E, et qu'il incombait donc à la défenderesse de démontrer pourquoi elle n'avait pas renouvelé son permis de séjour et pourquoi elle ne devait pas être exclue de la définition de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur soutient que la défenderesse ne s'est pas acquittée de ce fardeau de preuve et que la SSR a commis une erreur de droit en appliquant les règles relatives au fardeau, ou plutôt, en ne les appliquant pas.


[19]            Le demandeur conteste la conclusion d'inclusion formulée par la SSR, selon laquelle la défenderesse craint avec raison d'être persécutée si elle retourne en Iran. Rien ne permettait, selon lui, à la SSR de conclure que la défenderesse avait établi l'existence d'une telle crainte relativement à l'Iran. Il n'existait aucun élément de preuve que la défenderesse appartenait à un mouvement politique ou qu'elle avait exprimé des opinions politiques opposées au régime et, par conséquent, rien n'étayait la conclusion qu'elle serait persécutée si elle retournait en Iran.

  

[20]            Le demandeur ajoute que les autres motifs invoqués par la défenderesse pour établir l'incapacité où elle se trouve de retourner en Iran - savoir qu'elle ne parle pas le parsi, qu'elle n'adhère pas aux pratiques islamiques, qu'elle ne peut s'adapter à la culture iranienne et qu'elle n'a pas d'appui familial - ne constituent pas des motifs relevant de la définition légale de réfugié au sens de la Convention. En outre, aucune analyse n'a été faite de la question de savoir si ces éléments satisfaisaient aux exigences applicables en matière d'appartenance à un groupe social. Par conséquent, la SSR a erronément conclu, selon le demandeur, que puisque la défenderesse serait incapable de s'intégrer à la vie culturelle iranienne elle était une réfugiée au sens de la Convention.

  

[21]            Enfin, le demandeur prétend que la SSR a commis une erreur susceptible de révision tant dans son analyse relative à l'exclusion que dans celle qui se rapportait à l'inclusion et pris la Cour d'accueillir la demande de contrôle judiciaire.

  

[22]            La défenderesse soutient quant à elle que la SSR a correctement interprété la section 1E de la Convention lorsqu'elle a conclu que cette disposition ne s'appliquait pas à sa revendication.

  

[23]            Selon la défenderesse, la SSR a apprécié correctement la preuve substantielle qui lui avait été soumise en tirant la conclusion que le statut temporaire de résidence accordé à la défenderesse en Allemagne avait été abandonné de façon permanente et que cette dernière n'avait plus le droit de retourner dans ce pays.

  

[24]            Pour la défenderesse, la SSR a correctement appliqué la décision Shamlou. Elle n'a pas présumé que les droits relatifs à la résidence dont il est question à la section 1E sont des droits inconditionnels, et elle a accepté les quatre critères signalant les droits fondamentaux qui amènent l'exclusion sous le régime de la section 1E et les a évalués correctement en tenant compte du droit allemand, en particulier de la Loi sur les étrangers de 1991. La défenderesse ajoute que la SSR a bien tenu compte du document de voyage et l'a correctement interprété à la lumière du témoignage de vive voix donné par la défenderesse et de la preuve documentaire présentée à l'audience, en particulier le document allemand intitulé Merkblatt No. 6 (un exposé du droit allemand en matière de statut de résident). La SSR n'a donc pas commis d'erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de la Cour.

  

[25]            La défenderesse prétend en outre que la SSR a eu raison de considérer qu'il incombait au ministre d'établir que la clause d'exclusion s'appliquait à elle. Elle possédait un document de voyage gris composé de permis de séjour temporaires, et la SSR a examiné à fond la portée de ce document. La SSR a également examiné en profondeur les arguments invoqués par le ministre à l'appui de l'exclusion en vertu de la section 1E, et elle a conclu avec raison que le ministre ne s'était pas acquitté du fardeau de prouver que la clause d'exclusion était applicable.

  

[26]            La défenderesse prétend que la SSR a appuyé sa conclusion de non-exclusion sur des motifs clairs et explicites. Elle a estimé que les documents déposés à l'audience démontraient que les permis de séjour temporaires étaient liés à l'option de traitement spécial prévue par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) pour les situations comme celle de la défenderesse et qu'ils conféraient certains des droits et obligations d'un citoyen allemand mais qu'ils étaient assortis de restrictions interdisant de travailler et'obligeant à résider dans une région géographique donnée.

  

[27]            La défenderesse conteste en outre la thèse du demandeur voulant qu'elle ait laissé expirer son statut de résidente en Allemagne afin de demeurer au Canada. Elle dit être partie d'Allemagne parce qu'elle craignait d'y retourner et avoir revendiqué le statut de réfugié au Canada, ce qui constituait un motif de son incapacité de renouveler son statut de résidente puisqu'elle avait quitté l'Allemagne pour une raison qui n'était pas temporaire. La défenderesse fait valoir que cela est énoncé clairement dans une lettre émanant du Consulat général de la République fédérale d'Allemagne en date du 16 mars 2001.

  

[28]            Enfin, la défenderesse fait valoir qu'il existe au dossier des éléments de preuve démontrant que son statut de résidente temporaire était nul et de nul effet et qu'il n'existait pas de droit d'appel, et que la SSR, en analysant la définition complexe de la résidence, avait décidé à bon droit que le permis de la défenderesse ne lui conférait pas de droits comparables aux droits afférents au statut de résident permanent. Cette position de la SSR distingue la présente espèce de l'affaire Nepete car il est établi ici qu'il serait impossible à un représentant officiel du gouvernement allemand, savoir le vice-consul du Consulat général de la république fédérale d'Allemagne, de délivrer un visa de rentrée autorisant le retour de la défenderesse en Allemagne, à cause du document Merkblatt No. 6 et de la Loi sur les étrangers allemande.

  

[29]            Relativement à la conclusion d'inclusion tirée par la SSR, la défenderesse soutient que la SSR avait le droit de recevoir des éléments de preuve se rapportant à sa crainte d'être persécutée en Iran et explicitant la déclaration contenue dans le FRP, et que les principes devant guider la conduite de la SSR sont énoncés dans la Loi, plus particulièrement aux paragraphes 68(2) et (3). La seconde disposition porte que la SSR n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et qu'elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision. En l'espèce, la SSR a reçu des éléments de preuve au sujet des opinions politiques, de la religion et du sexe de la défenderesse et les a correctement examinés pour parvenir à la conclusion qu'il existait un fondement objectif et un fondement subjectif à la crainte de la défenderesse de retourner en Iran et déterminer qu'il existait davantage qu'une simple possibilité qu'elle soit persécutée pour ces motifs si elle retournait en Iran. La SSR pouvait donc raisonnablement conclure à l'inclusion.

  

[30]            La défenderesse demande par conséquent le rejet de la demande de contrôle judiciaire.


  

[31]            La première question que pose la présente affaire est celle de l'applicabilité de la section 1E à la défenderesse. Si la disposition s'applique, la défenderesse est exclue de la définition de réfugié au sens de la Convention. Voici le texte de la section 1E :

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

[32]            Dans son ouvrage Immigration Law and Practice, Markham (Ontario) : Butterworths,1992 (feuilles mobiles)), vol. 1, section 8.479, Lorne Waldman énumère quatre facteurs dont la Commission devrait, selon lui, tenir compte dans l'analyse des « droits fondamentaux » que possède un demandeur :

[TRADUCTION]

(a) le droit de retourner dans le pays de résidence; (b) le droit de travailler sans restriction aucune; (c) le droit d'étudier et (d) le droit d'utiliser sans restriction les services sociaux du pays de résidence.

[33]            Ces critères ont été adoptés dans la décision Shamlou, précitée, où l'on peut lire, au par. 36 :


J'accepte les critères exposés par M. Waldman comme étant un énoncé exact du droit. La question en litige relative à l'application par la Commission de ces critères porte donc en définitive sur la question de savoir s'il était loisible à la Commission, compte tenu des faits établis devant elle, de conclure que le requérant était une personne que les autorités compétentes du Mexique reconnaissaient comme ayant la plupart des droits et obligations d'une personne de la nationalité mexicaine

[34]            L'effet de la décision Shamlou est que la SSR doit exiger la preuve claire qu'une personne jouit de tous les droits d'un citoyen du pays où elle réside, dont le droit de retourner dans le pays, avant d'appliquer la section 1E.

  

[35]            La défenderesse fait valoir qu'une personne ne peut être exclue conformément à la section 1E si elle a une forme de statut temporaire qui doit être renouvelé, et qui pourrait être annulé, ou si elle ne jouit pas d'un droit de retour sans restriction dans le pays de résidence et, par conséquent, que l'obligation faite à la défenderesse de renouveler son visa de résidente permanente « sans restriction » ou « illimité » signifiait qu'elle ne pouvait retourner librement en Allemagne et qu'elle ne jouissait pas du même droit de retour au pays qu'un citoyen allemand. Je ne suis pas convaincu qu'il convienne d'interpréter aussi strictement le libellé de la section 1E ou qu'il découle clairement du texte de la disposition qu'elle ne s'applique pas dans les présentes circonstances. Le droit d'un résident permanent de l'Allemagne de retourner dans ce pays n'est pas nécessairement inconditionnel; il s'apparente plutôt aux droits des résidents permanents d'ici. Au Canada, un résident permanent possède presque tous les droits et obligations d'un citoyen canadien, sauf le droit de vote; il peut néanmoins voir son statut révoqué s'il reste hors du pays pendant plus de six mois. Par conséquent, même au Canada les droits des résidents permanents ne sont pas inconditionnels.

  

[36]            La défenderesse plaide en outre que le moment pertinent pour déterminer l'existence du droit de retour en Allemagne est celui de l'audience devant la SSR, ce qui concorde avec la portée prospective de la définition de réfugié au sens de la Convention[1]. Le dossier comporte en l'espèce des éléments de preuve établissant que son droit au statut de résidente temporaire était nul et de nul effet, sans appel possible, lorsque la SSR a entendu la revendication, car la défenderesse n'avait pas procédé à son renouvellement dans les six mois de la date d'expiration de son visa d'étudiant. Par conséquent, même si la défenderesse avait, pour un temps, joui de la plupart des droits d'un citoyen allemand, le droit de retour n'en faisait pas partie à la date de l'audience.

  

[37]            Je dois avouer que cet argument de la défenderesse me paraît difficile à accepter car il mène à un résultat absurde suivant lequel un avocat peut reporter indéfiniment l'audience d'une revendication de statut de réfugié de façon à laisser devenir périmé le statut de résident du revendicateur, rendant par là inapplicable la clause d'exclusion de la section 1E. Il faut donner à cette disposition une interprétation plus conforme à son objet, qui est de fournir un refuge sûr à ceux qui en ont vraiment besoin et non d'ouvrir un raccourci commode vers le droit d'établissement aux immigrants qui ne peuvent pas l'obtenir de la manière usuelle ou qui ne le veulent pas. Je me rallie donc entièrement à la position adoptée la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Mahdi, [1995] A.C.F. no 1623 (QL), au par. 12 : « la question véritable que la Commission devait trancher dans cette affaire était la suivante : l'intimée était-elle, lorsqu'elle a demandé son admission au Canada, une personne qui était encore reconnue par les autorités compétentes des États-Unis comme un résident permanent de ce pays » .

  

[38]            Les faits de la présente espèce diffèrent passablement de ceux de l'affaire Hurt c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration (1978), 21 N.R. 525 (C.A.F.). Dans cette affaire, l'appelant, un citoyen polonais revendiquait le statut de réfugié à l'égard de la Pologne. Il avait résidé légalement en Allemagne pendant quatre ans avant de venir au Canada. Il alléguait qu'il ne pouvait demeurer en Allemagne qu'en vertu de visas temporaires, qu'il avait été incapable d'obtenir le statut de résident permanent et qu'il avait été informé que les autorités allemandes avaient l'intention de l'expulser vers la Pologne et que son visa temporaire, qui devait expirer le 25 novembre 1975, ne serait pas renouvelé. La Cour a estimé que cette preuve contredisait plutôt qu'elle ne l'appuyait l'allégation selon laquelle l'appelant avait des droits analogues à ceux que conférait la citoyenneté allemande. Je reconnais qu'il appert des faits de la présente espèce, toutefois, qu'il est très probable que la défenderesse jouissait du droit de retourner en Allemagne et des autres droits énumérés dans la décision Shamlou, lorsqu'elle a revendiqué le statut de réfugié.

  

[39]            Les modalités énoncées dans le document de voyage gris délivré par l'Allemagne et dans le permis de séjour remis à la défenderesse établissent en fait prima facie que celle-ci avait statut de résidente permanente sous réserve de renouveler ce statut tous les deux ans. Le témoignage de la défenderesse établit également qu'elle pouvait travailler sans restriction et que c'est par choix qu'elle n'a pas exercé d'emploi rémunéré. Elle pouvait étudier et, dans les faits, elle a fait des études, et elle avait le droit à une modique allocation versée par le gouvernement, allocation qu'elle a touchée. Quant au droit de retour, il appert qu'elle a effectué un voyage scolaire d'une semaine hors de l'Allemagne et qu'elle a pu rentrer sans difficulté.

  

[40]            Il ressort donc du propre témoignage de la défenderesse ainsi que de la preuve documentaire présentée à la SSR que lorsqu'elle a présenté sa revendication de statut de réfugié, elle était toujours validement une résidente permanente de l'Allemagne et jouissait des « droits fondamentaux » mentionnés dans la décision Shamlou. Pour évaluer si elle a démontré pourquoi elle ne devrait pas être exclue de la définition de réfugié, il convient d'examiner toute modification survenue dans ce statut à la date de l'audience de même que les raisons sous-jacentes du changement. Elle ne peut tirer profit du fait qu'elle avait laissé expirer son statut de résidente permanente au moment de l'audience.


  

[41]            Je suis d'avis que le ministre a établi prima facie que la section 1E s'applique en l'espèce et qu'il revenait donc à la défenderesse de démontrer pourquoi, après avoir laissé expirer son statut de résidente permanente, elle ne pouvait faire une nouvelle demande de visa. Comme il l'a été mentionné, la défenderesse était au Canada depuis le mois de septembre 1999, et son statut de résidente en Allemagne expirait le 31 décembre 2000. La défenderesse a attendu jusqu'à la mi-mars 2001 pour s'informer de son statut et s'est alors fait dire que puisqu'elle n'avait pas renouvelé son permis de séjour dans les six mois suivant l'expiration de son visa d'étudiant, son statut était périmé. Toutefois, elle ne s'est pas renseignée sur la possibilité de renouveler son visa ou d'en demander un nouveau. Les faits de l'espèce sont très différents de ceux de l'affaire Wassiq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 468 (QL) (C.F., 1re inst.) dans laquelle la preuve établissait clairement que le gouvernement allemand avait informé les demandeurs qu'ils ne pouvaient pas retourner en Allemagne. Ici, la défenderesse n'a tout simplement pas fait cette preuve.

  

[42]            Selon moi, la preuve en l'espèce, contrairement à l'affaire Mahdi, ne démontre pas l'existence d'une possibilité sérieuse que les autorités allemandes ne reconnaissent pas à la défenderesse le droit de redemander le statut de résidente permanente et de retourner en Allemagne. Au contraire, la SSR disposait d'une ample preuve, savoir une loi allemande (la Loi sur les étrangers), établissant qu'il était possible de ravoir le statut en en faisant la demande ou, à tout le moins, que de telles demandes seraient examinées au « cas par cas » . Ainsi, la défenderesse n'a pas démontré qu'au moment de l'audience il existait des éléments de preuve établissant que si elle demandait un visa allemand de rentrée ou de résidente permanente, il lui serait refusé, quoiqu'il fût clair qu'elle ne jouissait pas du droit automatique de rentrer dans ce pays.

  

[43]            La véritable question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la SSR, compte tenu de la preuve dont elle disposait, est parvenue à une conclusion qu'elle pouvait raisonnablement tirer. Après avoir examiné minutieusement la preuve et les motifs de la SSR, j'estime que celle-ci a conclu erronément que la défenderesse n'avait pas le droit de retourner en Allemagne et que la section 1E de la Convention n'était pas applicable.

[44]            Cette conclusion suffirait au règlement de la présente demande de contrôle judiciaire, toutefois, même si je concluais que la section 1E ne s'applique pas, la demande serait vouée à l'échec.

  

[45]            S'agissant de la conclusion de la SSR relative à l'inclusion, la défenderesse fait valoir que la SSR n'est pas tenu de n'examiner à l'audience que les renseignements contenus dans le FRP, sans modification ou clarification nécessaire. Elle peut recevoir des éléments de preuve relativement à une crainte fondée de persécution dans des pays autres que ceux qui sont expressément mentionnés dans le FRP et statuer sur cette crainte.    Selon la défenderesse, il convient de souligner en l'espèce qu'elle avait abordé dans l'exposé circonstancié du FRP la question de sa crainte d'être persécutée en Iran même si ce pays n'était pas mentionné expressément dans la réponse à la question 13. Le fait qu'elle était née en Iran et qu'elle était citoyenne iranienne suffisait pour que la SSR ait l'obligation, et non seulement le droit, d'examiner sa situation par rapport à l'Iran pour déterminer si elle craignait avec raison d'être persécutée dans ce pays et qu'elle se prononce sur la question.

  

[46]            J'insiste sur le fait que la revendication de la défenderesse visait essentiellement l'Allemagne. C'est ce seul pays qui était mentionné comme pays où elle craignait la persécution, alors qu'il était possible, à la question 13 de nommer plusieurs pays. En outre, il ressort clairement de l'exposé circonstancié du FRP que la revendication de la défenderesse visait essentiellement l'Allemagne. Dans sa réponse, longue de cinq pages, au sujet de l'Allemagne, on ne trouve qu'une phrase traitant pour la forme de l'Iran et exposant qu'elle ne peut retourner dans ce pays parce que [TRADUCTION] « j'ai grandi dans une culture différente et je ne serai pas capable de m'adapter à la vie en Iran, par exemple, me conformer au port du tchador (voile), et je n'ai jamais été en contact avec la langue parsi. Je ne peux lire, écrire ou parler cette langue, et je suis opposée aux principes suivis par les dirigeants iraniens » . Vu le laconisme de cette déclaration et le fait que la défenderesse n'a jamais mentionné l'Iran comme pays où elle craignait d'être persécutée, j'estime que la SSR a commis une erreur en n'examinant pas les prétentions visant expressément l'Allemagne et en portant son attention sur celles, presque inexistantes et, au mieux, imprécises, qui se rapportaient à l'Iran.

  

[47]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est annulée et l'affaire lui est renvoyée pour être réentendue par une nouvelle formation.

  

« P. ROULEAU »

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     JUGE

OTTAWA (Ontario)

17 mai 2002

   

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.


Date : 20020517

Dossier : IMM-3080-01

OTTAWA (Ontario), le 17 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                demandeur

ET :

                             MEHRNAZ CHOOVAK

                                                             défenderesse

                                ORDONNANCE

[1]    La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR est annulée et l'affaire lui est renvoyée pour être réentendue par une nouvelle formation.

« P. ROULEAU »

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     JUGE

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           IMM-3080-01

INTITULÉ :                                        M.C.I. c. Mehrnaz Choovak

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 1er mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mai 2002

   

COMPARUTIONS :

Mme Angela Marinos                              POUR LE DEMANDEUR

M. Donald M. Greenbaum, c.r.            POUR LA DÉFENDERESSE

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

M. Donald M. Greenbaum, c.r.           POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

  



[1]Shahpari, précitée, au par. 4.

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