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Date : 20051014

Dossier : IMM-54-05

Référence : 2005 CF 1404

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

FARHA SYED

ADEEL ALI SYED

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Quand Raghib Syed avait 15 ans et qu'il vivait au Pakistan, il s'est lié d'amitié avec une compagne de classe du nom de Maria. Raghib est un musulman chiite et Maria est issue d'une famille sunnite très influente, qui fait également partie du groupe extrémiste Lashkar-e-Jhangvi.

[2]                Raghib et Maria ont été vus se tenant par la main et par la suite, le frère de Maria et trois de ses amis ont violemment battu Raghib. Raghib et sa famille ont demandé l'aide de la police qui a refusé de s'en mêler. Une semaine plus tard, lorsque Raghib et Maria ont été vus en train de s'embrasser, le frère de Maria a battu cette dernière à mort, pour sauver l' « honneur » de la famille.

[3]                Pour se venger des gestes de Raghib, le grand-père de Maria, un imam influent, a ordonné que la maison de la famille de Raghib soit incendiée de fond en comble. Il a également prononcé un « fatwah » contre Raghib et il l'aurait également prononcé contre sa famille.

[4]                Sachant que la police ne lui viendrait pas en aide, la famille a quitté son domicile de Lahore et s'est enfuie à Islamabad. Quand le domicile familial a été incendié, la famille a décidé de fuir le Pakistan. La famille ne disposait que d'une somme d'argent suffisante pour envoyer trois personnes à l'étranger et il a été décidé d'envoyer Raghib, sa mère et son frère le plus jeune, Adeel, au Canada. Le père et le frère aîné de Raghib sont demeurés au Pakistan parce qu'on croyait qu'il leur serait plus facile de s'en tirer.

[5]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reconnu que ces événements avaient eu lieu et qu'un fatwah avait été prononcé, du moins contre Raghib. La Commission a également reconnu que Raghib avait été très traumatisé par les événements et qu'il souffrait toujours d'une grande détresse psychologique. Par conséquent, sa demande d'asile a été acceptée.

[6]                Toutefois, la Commission a rejeté les demandes d'asile de la mère et du frère de Raghib au motif qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves crédibles pour étayer leurs allégations selon lesquelles tous les membres de la famille étaient visés par le fatwah ou qu'ils seraient exposés à un risque s'ils devaient retourner au Pakistan.

[7]                Selon moi, la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion puisqu'elle n'a pas examiné des preuves importantes dont elle était saisie, lesquelles preuves, il est permis de le penser, étayaient les demandes d'asile des demandeurs. Pour ce motif, la décision de la Commission sera annulée.

Analyse

[8]                Ayant reconnu que les événements tragiques attribuables à l'amitié qu'entretenaient Raghib et Maria s'étaient réellement produits et que Raghib serait exposé à un risque s'il devait retourner au Pakistan, la Commission devait trancher la question de savoir si Mme Syed et Adeel seraient également exposés à un risque s'ils devaient retourner dans leur pays.

           

[9]                En règle générale, la Commission est réputée avoir examiné toute la preuve dont elle est saisie. Cela dit, lorsqu'il existe des éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de la Commission sur un point essentiel, la Commission doit analyser cette preuve et expliquer les motifs pour lesquels elle préfère une autre preuve sur cette question : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.).

[10]            En l'espèce, la Commission a conclu que même s'il arrivait que des hommes soient assassinés au nom de l'honneur, la preuve documentaire ne montrait pas que, dans un cas semblable, des familles entières étaient assassinées.

[11]            Toutefois, la Commission était saisie d'une preuve, que le commissaire présidant semble avoir acceptée comme étant crédible, preuve qui indiquait que toute la famille Syed était visée par le désir de vengeance. À cet égard, je note que la Commission semble avoir reconnu que le grand-père de Maria avait ordonné que le domicile de la famille Syed soit incendié et que la maison avait bel et bien été incendiée peu après. Cette preuve, on peut le soutenir, établit que toute la famille était visée par le fatwah, mais la Commission n'a pas régulièrement examiné cette preuve.

[12]            En outre, dans son témoignage, Mme Syed a expliqué que même si Raghib était la cible principale du fatwah, les autres membres de la famille seraient exposés à un risque si la famille de Maria était empêchée de se venger contre Raghib. La Commission ne semble pas avoir tenu compte du risque auquel seraient exposés Mme Syed et Adeel s'ils étaient renvoyés au Pakistan sans Raghib.

[13]            Enfin, bien que la Commission ait examiné la preuve documentaire sur les meurtres d'honneur, la Commission n'a pas examiné la preuve documentaire sur les fatwahs. Cette preuve donne à penser qu'il arrive [traduction] « malheureusement trop souvent » que des religieux prononcent des fatwahs contre les membres de leurs propres collectivités.

[14]            La Commission n'a pas non plus examiné la preuve documentaire concernant le groupe terroriste Lashkar-e-Jhangvi auquel appartenait la famille de Maria. Cette preuve révèle que le groupe Lashkar-e-Jhangvi est encore plus radical que le Sipah-e-Sahaba et qu'il a été responsable en partie de la pire violence anti-shiite au Pakistan au cours des dernières années. N'oublions pas que la famille Syad est de confession musulmane shiite.

[15]            Selon moi, il s'agit d'éléments de preuve importants qui auraient bien pu influer sur les conclusions de la Commission concernant la portée du fatwah et, en outre, qui auraient pu influer sur la décision de la Commission concernant le risque auquel seraient exposés Mme Syed et Adeel s'ils devaient retourner au Pakistan. La Commission n'a pas régulièrement examiné cette preuve et cette omission constitue une erreur susceptible de contrôle à ce point importante que la décision ne saurait être confirmée.

Conclusion

[16]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Certification

[17]            Les parties n'ont proposé aucune question aux fins de certification et il n'y en a aucune.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

            1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la question renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

            2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-54-05

INTITULÉ :                                                    FARHA SYED, ADEEL ALI SYED

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 12 OCTOBRE 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE Mactavish

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :                          LE 14 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert                                                POUR LESDemandeurs

Jamie Todd                                                       POUR LEDéfendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert                                                POUR LES DEMANDEURS

Jackman et associés

596, avenue St. Clair Ouest, pièce 3

Toronto (Ontario)

M6C 1A6

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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