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Date : 20040308

Dossier : IMM-5079-03

Référence : 2004 CF 343

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2004.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                     EBRAHIM RADMAR NADAFI

SEDIGHEH SOUDABEH TAHVILDARI

PANIZ RADMARD NADAFI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 10 juin 2003, dans laquelle on a établi, pour des raisons fondées sur la crédibilité, que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger.


LES FAITS

[2]                Les demandeurs sont des citoyens de l'Iran. Ils sont arrivés au Canada le 15 août 2002. Ebrahim Radmar Nadafi, le demandeur principal (le demandeur), prétend avoir une crainte fondée de persécution aux mains des autorités iraniennes en raison de ses opinions politiques, et parce que son père était colonel dans la garde spéciale du Shah, avant la révolution islamique de 1979 en Iran. La demande de l'épouse du demandeur, Sedigheh Soudabeh Tahvildari, et de son enfant mineur, Paniz Radmard Nadafi, est fondée sur celle du demandeur.

[3]                Le demandeur prétend qu'après la révolution, son père a été placé en détention et sa famille a été tenue à l'écart. Le demandeur prétend appuyer le [traduction] « Mouvement iranien pour la liberté » , aussi connu sous le nom de l'[traduction] « Union libérale de l'Iran » . Le 9 juillet 1999, le demandeur aurait participé à une manifestation étudiante à Téhéran qui a été interrompue par une attaque du Hezbollah. Il prétend qu'en raison de sa participation à la manifestation, les autorités ont porté de fausses accusations contre lui. Il prétend que lorsqu'il a essayé d'empêcher le Hezbollah d'attaquer les étudiants, il a été frappé à l'arrière de la tête, a perdu connaissance et s'est réveillé dans l'unité médicale de la prison. Il prétend avoir été incarcéré et torturé pendant trois ans et un mois (de juillet 1999 à août 2002). Il affirme avoir été libéré parce qu'un membre de sa famille a remis un pot-de-vin, après quoi il a réussi à quitter l'Iran à destination du Canada, avec l'aide de passeurs de clandestins.


LA DÉCISION

[4]                La Commission a conclu que la crédibilité du demandeur était minée par des contradictions entre son témoignage et sa déposition écrite, et n'a pas accepté les explications du demandeur concernant ces contradictions. En particulier, aux pages 2 et 3 de ses motifs, la Commission souligne les contradictions suivantes :

Au cours de son entrevue avec l'agent d'immigration, le demandeur a affirméavoir été arrêté, accusé et incarcéré pour avoir mis le feu à une motocyclette. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et lors de son témoignage de vive voix, il a affirmé avoir été attaqué et arrêté parce qu'il avait essayé d'empêcher un agent du Hezbollah d'attaquer les manifestants. [...] Lorsque l'incohérence lui a été signalée, le demandeur a répondu qu'il s'agissait de fausses accusations que les autorités avaient portées contre lui. Le tribunal n'est pas satisfait de cette explication. Le tribunal a remarqué que les notes de l'agent d'immigration n'indiquent pas que le demandeur a été battu et arrêté parce qu'il tentait de neutraliser un agent du Hezbollah. Comme ceci a été mentionné précédemment, les notes de l'agent disent bien clairement que le demandeur a été arrêté et accusé pour le motif qu'il avait incendié une motocyclette.

[5]                De plus, la Commission a conclu que la crédibilité du demandeur était également minée du fait qu'il ne pouvait fournir son passeport. La Commission n'a pas accepté l'explication selon laquelle le passeur de clandestins avait repris le passeport après l'entrée du demandeur au Canada, et la Commission a remis en question l'affirmation selon laquelle le demandeur avait présenté une demande d'asile le lendemain matin de son arrivée, comme le voulait son témoignage. La Commission dit ceci à la page 3 :


[...] Àla question concernant la date à laquelle les demandeurs sont entrés au Canada, le demandeur a répondu qu'ils étaient entrés au Canada le 15 août 2002 et qu'ils avaient fait leurs demandes le lendemain matin. Toutefois, le document du bureau de l'Immigration révèle que les demandeurs ont fait leurs demandes le 22 octobre 2002. Placé devant cette incohérence, le demandeur a affirmé qu'ils avaient obtenu un rendez-vous le 16 août, quand ils avaient communiqué avec le bureau de l'Immigration; cependant, aucun document n'a étéprésentéà l'appui de cette affirmation. La confusion dans le témoignage du demandeur, quant à leur date d'entrée au Canada et quant à la date de leurs demandes d'asile, et l'absence de documents de voyage renforcent l'opinion du tribunal que le témoignage du demandeur n'est pas crédible. [Non souligné dans l'original.]

[6]                Enfin, la Commission a conclu que le gouvernement iranien traitait « très durement » ses opposants, c'est-à-dire les leaders étudiants, les activistes connus et les journalistes.

ANALYSE

[7]                La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable, comme le prescrivent les arrêts Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), et De (Da) Li Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 161 (C.A.F.).


[8]                La Cour conclut que le premier motif de la conclusion de la Commission sur la crédibilité du demandeur est abusif et manifestement déraisonnable. À l'audience, le demandeur a témoigné qu'il avait en main un document provenant du bureau d'immigration démontrant qu'il avait déposé la demande d'asile le 16 août 2002. Dans son affidavit, le demandeur a dit avoir fait parvenir le document à la Commission immédiatement après l'audience, lorsque la date est devenue une question litigieuse. La Commission a dit qu'aucun document ne lui avait été présenté au soutien de la demande. En réalité, le document existe. Je suis d'avis que la conclusion de fait de la Commission sur la non-existence de ce document est abusive et manifestement déraisonnable. J'accepte également la preuve par affidavit du demandeur selon laquelle ce document a été envoyé à la Commission immédiatement après l'audience, puisqu'on y fait référence dans la transcription de l'audience et qu'on a mentionné qu'il serait produit. De plus, à l'audience, la Commission a dit vouloir passer à une autre question, comme si elle n'attachait pas beaucoup d'importance à ce document. Cela est préjudiciable aux intérêts du demandeur. Si un document revêt une importance fondamentale, la Commission devrait le dire aux parties afin qu'il soit traité en conséquence. Heureusement, les demandeurs ont effectivement fait parvenir le document à la Commission.

[9]                La Cour conclut également que le deuxième motif de la conclusion de la Commission sur la crédibilité du demandeur est manifestement déraisonnable. La Cour ne considère pas que le récit du demandeur contient des contradictions - mais seulement qu'à certains moments, le demandeur fournit plus de renseignements. Le récit que le demandeur reprend toujours est le suivant : il a été arrêté à une manifestation étudiante en juillet 1999, a perdu connaissance, s'est réveillé en prison, a été faussement accusé d'avoir incendié une motocyclette et d'avoir participé à une manifestation étudiante violente; il a été emprisonné pendant trois ans et un mois et a longuement subi des tortures dont les séquelles mentales et physiques qui perdurent sont décrites dans un rapport médical canadien. Par conséquent, la Cour conclut que le rejet par la Commission de l'explication du demandeur est manifestement déraisonnable.


[10]            Enfin, la Cour conclut que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de mentionner la preuve corroborante importante, pertinente et probante provenant du médecin; cette preuve confirmait l'existence des cicatrices du demandeur et des blessures corporelles infligées par suite d'une torture prolongée. La torture alléguée par le demandeur constitue une partie fondamentale de sa demande. Dans la mesure où un médecin canadien tire la conclusion qu'il y a clairement preuve de torture, la Commission commet une erreur en ne la mentionnant même pas ou en n'expliquant pas pourquoi elle la rejette.

[11]            Pour ces motifs, la décision sera annulée.

[12]            Ni l'une ni l'autre des parties n'est d'avis que la présente affaire soulève une question qui mérite d'être certifiée. La Cour accepte qu'aucune question ne doit être certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »          

                                                                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-5079-03

INTITULÉ :                                                       EBRAHIM RADMAR NADAFI ET AL.

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 2 MARS 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                       LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                      LE 8 MARS 2004

COMPARUTIONS :             

Carey MacKay                                                     POUR LES DEMANDEURS

Gordon Lee                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Carey MacKay                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                                          Date : 20040308

                                               Dossier : IMM-5079-03

ENTRE :

EBRAHIM RADMAR NADAFI

SEDIGHEH SOUDABEH TAHVILDARI

PANIZ RADMARD NADAFI

demandeurs

                                         

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE   

                                                                                   

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