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Date : 20200814


Dossier : IMM-2125-19

Référence : 2020 CF 825

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 août 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

Yao He

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATIOM

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Section d’appel des réfugiés (la SAR) a conclu que Yao He n’avait présenté aucun document probant à l’appui de son allégation selon laquelle il était menacé par le Bureau de la sécurité publique chinois (le BSP) parce que ses parents pratiquaient le Falun Gong. La SAR a conclu que le fait que M. He n’a présenté aucun document établissant que le BSP portait un intérêt continu à son égard, faute, notamment, de documents provenant du BSP, minait la crédibilité de ses allégations selon lesquelles le BSP l’a recherché à maintes reprises, a arrêté plusieurs amis de ses parents et a menacé de les arrêter, lui et ses parents. La SAR a également conclu que si les allégations de M. He avaient été crédibles, il n’aurait pas pu quitter la Chine muni de son propre passeport comme il l’a fait.

[2]  Malgré les arguments présentés par M. He à l’encontre de ces conclusions, je conclus que la décision de la SAR était raisonnable. Selon son témoignage, M. He a pu quitter le pays sans incident, car il ne figurait pas dans les bases de données de la police chinoise en matière d’arrestation. Il était raisonnable pour la SAR de conclure que cette affirmation minait l’argument de M. He selon lequel il était recherché par le BSP. Dans le même ordre d’idées, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que l’absence de documents probants pour étayer ses allégations a eu une incidence défavorable sur la crédibilité de sa demande d’asile.

[3]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[4]  Les objections de M. He à l’encontre de la décision de la SAR soulèvent deux questions :

  1. Était‑il raisonnable pour la SAR de conclure que si la demande de M. He était crédible, il n’aurait pas pu quitter la Chine muni de ses propres documents?

  2. Était‑il raisonnable pour la SAR de conclure que l’absence de documents minait la crédibilité de la demande d’asile de M. He?

[5]  Chacune de ces questions, qui portent sur la crédibilité de la demande d’asile de M. He, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 762, aux para 24–25 [Guimei Huang]; Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 781, au para 11. Bien que la présente affaire ait été plaidée peu de temps avant la publication de l’arrêt Vavilov rendu par la Cour suprême du Canada, ce dernier n’a pas d’incidence sur la norme de contrôle applicable ni sur son application en l’espèce; il confirme simplement que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16–17, 23–25.

[6]  Comme la juge McVeigh l’a souligné dans la décision Yan, la norme de la décision raisonnable ne permet pas à la Cour de réexaminer ou de soupeser de nouveau les éléments de preuve, de tirer des conclusions de fait ou de substituer la solution qu’elle juge appropriée à celle qui a été retenue : Yan, au para 23. La norme de la décision raisonnable a plutôt trait à la question de savoir si la décision est justifiée, transparente et intelligible.

III.  Analyse

A.  La conclusion de la SAR relative au départ de M. He de la Chine était raisonnable

[7]  M. He a fait valoir que le BSP l’a recherché à plusieurs reprises parce que ses parents sont adeptes du Falun Gong. Il a affirmé que le BSP lui a demandé où se trouvaient ses parents et qu’il a menacé de l’arrêter s’il dissimulait des renseignements. M. He a soutenu qu’il était [traduction« recherché » par le BSP et qu’il a quitté la Chine avec l’aide d’un passeur.

[8]  La SAR a conclu que « [s]i les allégations de l’appelant concernant les visites continuelles du PSB étaient crédibles, il n’aurait pas pu quitter la Chine muni de ses propres documents, selon la prépondérance des probabilités ». Cette conclusion est venue confirmer la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), qui a conclu de manière similaire que le BSP aurait probablement empêché M. He de quitter la Chine s’il le recherchait véritablement. La SAR a souligné que la SPR s’est référée à une Réponse à la demande d’information (RDI) tirée du cartable national de documentation (le CND), qui expliquait que le « Bouclier d’or » de la Chine a la capacité de signaler les fugitifs recherchés aux fins d’enquêtes qui se présentent aux postes frontaliers.

[9]  M. He invoque plusieurs décisions de la Cour selon lesquelles il est vraisemblable qu’un passeur aide un citoyen chinois à contourner des restrictions de sécurité en soudoyant des fonctionnaires : Guimei Huang, aux para 63–68; Yao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 927, aux para 16–18; Ren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1402, au para 16; Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 387, au para 26.

[10]  Le fait que M. He se soit appuyé sur ces décisions pose problème, car elles évoquent toutes des circonstances dans lesquelles un passeur aurait fait usage de pots-de-vin, de corruption ou d’un faux passeport pour contourner les contrôles officiels aux frontières. En d’autres termes, elles portaient sur la question de savoir s’il est plausible qu’une partie puisse quitter la Chine malgré le fait qu’elle figure dans les bases de données de la police. En l’espèce, selon le témoignage de M. He, le passeur lui avait confirmé que son nom ne figurait pas dans la base de données de la police : [traduction« Il n’y avait aucune information dans le système informatique du BSP selon laquelle ce dernier cherchait à m’arrêter. » Dans sa conclusion quant à la capacité de M. He de quitter la Chine, la SPR a estimé qu’il était invraisemblable qu’il soit recherché par le BSP au point où ce dernier l’a visité à plusieurs reprises avant son départ et qu’il ne figure pourtant pas dans la base de données.

[11]  Dans la décision Yan, la juge McVeigh a souligné qu’une situation où la demanderesse « n’a jamais prétendu que les fonctionnaires avaient été soudoyés pour contourner le système » était différente de la situation décrite dans l’affaire Guimei Huang: Yan, au para 32. Dans le même ordre d’idées, en l’espèce, M. He ne prétend pas que des fonctionnaires ont été soudoyés pour contourner le système, mais plutôt qu’il a été en mesure de quitter le pays parce qu’il ne figurait pas dans le système informatique de la police. Il a néanmoins fait valoir qu’il était recherché et menacé par les autorités chinoises. La SAR a conclu que ce récit n’était pas crédible.

[12]  M. He soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de déduire que son nom figurerait dans la base de données de la police compte tenu de la preuve selon laquelle les adeptes du Falun Gong sont traités et détenus de façon arbitraire et ne sont pas soumis à une « application régulière » de la loi. Toutefois, la preuve à laquelle se réfère M. He ne traite pas d’application régulière de la loi de façon générale ni de la probabilité que des membres de la famille d’adeptes du Falun Gong soient recherchés par le BSP sans toutefois figurer dans la base de données. La preuve sur la situation au pays invoquée par M. He cite un rapport produit par un tiers selon lequel [traduction] « les adeptes du Falun Gong sont parfois placés dans “des centres de détention provisoire” qui servent “à mettre en application […] les politiques gouvernementales ou à punir […] la dissidence”, et ils n’ont pas droit à “un contrôle judiciaire visant à assurer une application régulière de la loi” ». Cependant, ni cette preuve ni les autres éléments de preuve présentés par M. He ne témoignent de la possibilité ou de la vraisemblance qu’une personne recherchée en vue d’être arrêtée par le BSP ne figure pas dans la base de données de la police. Dans de telles circonstances, je ne peux conclure qu’il était déraisonnable pour la SAR de déduire qu’une personne recherchée par les autorités dans la mesure décrite par M. He figurerait dans le système informatique, et de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité au sujet de la version de M. He selon laquelle il n’y figurait pas.

B.  La conclusion de la SAR concernant l’absence de pièces justificatives était raisonnable

[13]  La SAR a conclu qu’« aucun document probant n’a été présenté pour valider les principales allégations formulées dans le cadre de la demande d’asile, à savoir que les parents de l’appelant étaient des adeptes du Falun Gong recherchés par le BSP et que l’appelant était également recherché par le BSP ». La SAR a notamment souligné que des documents à l’appui des allégations selon lesquelles le BSP cherchait à arrêter les parents de M. He auraient vraisemblablement été remis à M. He ou à ses grands‑parents par le BSP.

[14]  M. He soutient que cela équivaut à une conclusion relative à la vraisemblance, c’est‑à‑dire qu’il serait invraisemblable que le BSP les poursuive, lui ou ses parents, sans laisser de documents à cet effet; une conclusion qui ne devrait être tirée que dans « les cas les plus évidents »: Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, aux para 7–8. M. He fait de nouveau référence à la même preuve selon laquelle les adeptes du Falun Gong n’ont pas droit à [traduction] « un contrôle judiciaire [de leur détention] visant à assurer l’application régulière de la loi », suggérant que cette preuve démontre qu’il est vraisemblable que le BSP n’ait laissé aucun document. Il mentionne également divers rapports faisant état d’arrestations et autres mauvais traitements infligés à des adeptes du Falun Gong, qui montrent selon lui qu’il est vraisemblable que le BSP l’ait pris pour cible. Cependant, M. He n’a présenté à la SAR aucune preuve relative aux pratiques du BSP concernant la remise de documents, que ce soit dans la province du Fujian où habite M. He, en Chine de façon générale, ou dans le contexte d’enquêtes menées sur des adeptes du Falun Gong ou autres enquêtes de cette nature.

[15]  Plusieurs décisions de la Cour ont soulevé des préoccupations quant au fait de se fonder sur une conclusion selon laquelle le BSP aurait laissé une citation à comparaître ou un autre document témoignant de son intérêt : voir, par exemple, Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 65 aux para 11–14; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1124, aux para 42–43; Guimei Huang, au para 69. Dans d’autres décisions, une conclusion défavorable fondée sur l’absence de citation à comparaître a été jugée raisonnable dans le cas où un demandeur soutenait avoir fait l’objet de poursuites répétées de la part du BSP : Yan, aux para 37–38; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1200, aux para 28–30; Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1398, au para 35; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 654, aux para 19–23.

[16]  La juge en chef adjointe Gagné a récemment abordé ces différences dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148, aux paragraphes 28 à 31 [Shaoqian Huang]. Après avoir examiné un certain nombre de décisions qui portent sur la question, elle a conclu ce qui suit au paragraphe 31 :

À mon avis, étant donné le dossier factuel selon lequel une citation à comparaître n’est pas toujours délivrée, la SPR aurait commis une erreur déraisonnable si elle avait conclu que l’absence de citation à comparaître était déterminante. Toutefois, cette conclusion défavorable quant à la crédibilité est tirée dans un contexte où la SPR ne croit pas beaucoup d’autres éléments du récit des demandeurs. En d’autres mots, il est évident que l’absence de citation à comparaître n’est pas déterminante, mais qu’elle fait plutôt partie d’une suite d’inférences défavorables qui pourraient mener à une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, je conclus que cet aspect de la décision de la SPR est raisonnable.

[17]  En l’espèce, la SAR n’a pas analysé ce que le CND prévoyait relativement aux pratiques du BSP concernant les citations à comparaître, les mandats ou autres documents. Cet aspect distingue la présente affaire de celles dont il est question plus haut et de la décision Shaoqian Huang de la juge en chef adjointe. Cependant, l’analyse de la SAR doit également être examinée dans le contexte des arguments soulevés et de la preuve déposée par M. He, qui se limitaient à des éléments de preuve généraux relatifs aux mauvais traitements infligés à des adeptes du Falun Gong et aux membres de leur famille, ainsi qu’à l’absence de contrôle judiciaire visant à assurer l’application régulière de la loi dans les cas de détention.

[18]  Par conséquent, la situation dans laquelle se trouve M. He peut fort bien être décrite par le libellé qui suit tiré de la décision Lin, au paragraphe 30 :

Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve pour démontrer que, dans le contexte de leur demande d’asile, le BSP avait suivi les procédures courantes. C’est ce qui distingue la présente espèce de l’affaire Liang, dans laquelle la Cour a statué comme suit : « si la norme de la région où la demanderesse habite veut que le BSP ne laisse aucun mandat ou aucune sommation à une personne autre que celle à qui le document est adressé, cette norme est vraisemblablement suivie, peu importe le nombre de visites des agents du BSP chez la demanderesse ou le nombre de personnes qui auraient pu être arrêtées et condamnées si elles avaient été trouvées dans la maison église » (voir Liang, au paragraphe 14). Aucun élément de preuve ne démontre que le BSP ne laisse pas de mandat d’arrestation aux membres de la famille de la personne recherchée dans la province du Fujian. La Commission a raisonnablement conclu que le BSP n’était pas à la recherche des demandeurs en Chine.

[19]  Comme dans la décision Shaoqian Huang, la conclusion défavorable de la SAR quant à la crédibilité fait raisonnablement partie d’une suite de conclusions défavorables liées à la preuve de M. He. En particulier, les conclusions de la SAR concernant l’absence de documents provenant du BSP faisaient partie d’une plus grande préoccupation selon laquelle M. He n’avait présenté aucun document probant pour étayer les principales allégations figurant dans sa demande.

[20]  Comme l’a soigneusement résumé la juge Strickland dans la décision Luo, il faut présumer qu’un demandeur d’asile dit la vérité lorsqu’il témoigne sous serment et, par conséquent, il n’est pas tenu de présenter une preuve corroborante sauf s’il y a des raisons de mettre en doute son témoignage : Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823, aux para 18–22; Maldonado c Canada (Emploi et Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) à la p 305; He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2, aux para 22-25. Cependant, il incombe au demandeur d’asile de prouver le bien‑fondé de sa demande. Le décideur peut tirer des conclusions défavorables du défaut du demandeur de présenter les éléments de preuve dont le décideur s’attend raisonnablement à ce qu’il dispose dans sa situation : Luo, aux para 18, 21. La SAR a tiré une conclusion de cette nature en l’espèce, tant à l’égard de l’absence de documents provenant du BSP que du point plus général selon lequel M. He n’avait présenté aucun document probant pour établir ses allégations selon lesquelles ses parents étaient adeptes du Falun Gong, qu’il avait été recherché par le BSP à plusieurs reprises et que ce dernier le recherchait et le menaçait.

[21]  Dans ce contexte, je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable pour la SAR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demande d’asile de M. He en se fondant sur l’absence de pièces justificatives, y compris l’absence de documents provenant du BSP.

IV.  Conclusion

[22]  Je conclus que la décision de la SAR répond aux exigences relatives à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité, et qu’elle était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]  Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Je conviens qu’aucune question soulevée en l’espèce ne satisfait au critère de certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2125-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2125-19

 

INTITULÉ :

YAO HE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 AOÛT 2020

 

COMPARUTIONS :

Zainab Jamal

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Matthew Siddall

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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