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Date : 20200825


Dossier : IMM‑4639‑19

Référence : 2020 CF 813

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 25 août 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

NIRALI NIMESHKUMAR SONI

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire. La demanderesse, Mme N. N. Soni, demande à la Cour d’annuler la décision par laquelle un agent d’immigration du haut‑commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a refusé, le 26 juin 2019, sa demande de permis de travail.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

I.  Faits et événements à l’origine de la présente demande

[3]  Mme Soni est une citoyenne de l’Inde qui réside dans le Gujarat. Employée comme commis‑comptable principale auprès d’une firme dans le Gujarat, elle est mariée et a un fils adolescent.

[4]  En novembre 2017, Mme Soni a obtenu un visa de résident temporaire (« VRT ») pour entrées multiples afin de visiter le Canada. Un agent de voyages a aidé Mme Soni à remplir la demande de VRT.

[5]  En septembre 2018, Mme Soni a accepté une offre d’emploi comme commis‑comptable auprès d’une entreprise de Pembroke, en Ontario. En octobre 2018, son éventuel employeur au Canada a obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (« EIMT ») favorable, qui était valide jusqu’au 13 avril 2019.

[6]  Le 26 mars 2019, Mme Soni est arrivée au Canada avec son époux et son fils par l’Aéroport international Pearson de Toronto. Ils devaient retourner en Inde le 29 avril 2019, ce qu’ils ont fini par faire.

[7]  À son arrivée à l’Aéroport Pearson, l’époux de Mme Soni a informé un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada que le but de leur voyage était de « visiter » le Canada. Ni lui ni Mme Soni n’ont mentionné l’offre d’emploi, l’EIMT ni une éventuelle demande de permis de travail.

[8]  Quelques jours après leur entrée au Canada, Mme Soni a rendu visite au consultant en immigration que son éventuel employeur avait retenu. Le consultant lui a dit que l’EIMT expirerait à peine deux semaines plus tard, le 13 avril, et que la meilleure option était de présenter une demande de permis de travail au point d’entrée le plus proche.

[9]  À la suite d’examens médicaux organisés à la hâte le 1er avril, Mme Soni et les membres de sa famille se sont rendus au point d’entrée de Rainbow Bridge le 2 avril afin de demander un permis de travail. Cependant, elle n’avait pas en sa possession les documents originaux requis. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas prévu demander un permis de travail pendant son séjour au Canada et qu’elle n’avait donc pas apporté les documents originaux. Vu l’absence de ceux‑ci, sa demande de permis de travail a été refusée.

[10]  Mme Soni s’est organisée pour que les documents originaux lui soient envoyés par messagerie de l’Inde. Le 10 avril, elle est retournée au point d’entrée de Rainbow Bridge avec les documents. Les renseignements relatifs aux examens médicaux ne figuraient alors pas encore dans son dossier.

[11]  Dès le lendemain, le 11 avril, les documents médicaux avaient été téléversés. Mme Soni a demandé de nouveau un permis de travail, cette fois‑ci au point d’entrée de Peace Bridge. On l’a interviewée, et un agent a soulevé certaines préoccupations au sujet de la demande, lesquelles ont amené Mme Soni à retirer sa demande. On lui a alors remis un formulaire l’autorisant à quitter le Canada.

[12]  D’après Mme Soni, l’agent du point d’entrée de Peace Bridge (que j’appellerai à des fins de clarté « l’agent de Peace Bridge ») a soulevé deux préoccupations lors de l’entrevue du 11 avril : a) Mme Soni n’avait pas dit la vérité en remplissant le formulaire de déclaration signé à bord de l’avion lors de son vol vers le Canada (elle avait coché la case « Personnel », et non pas « Affaires » ou « Études » comme but de son voyage au Canada); et b) la demande VRT de Mme Soni mentionnait qu’elle n’avait [traduction« aucune éducation » et qu’elle était une [traduction« femme au foyer », tandis que, dans sa demande de permis de travail, il était inscrit qu’elle détient un baccalauréat en mathématiques et qu’elle travaille à l’extérieur de la maison comme commis‑comptable.

[13]  Le 12 avril, l’EIMT de Mme Soni a été prolongée de 30 jours, ce qui lui a permis de présenter une nouvelle demande de permis de travail. Le 29 avril, Mme Soni et les membres de sa famille sont retournés comme prévu en Inde.

[14]  Le 10 mai, de l’Inde, Mme Soni a présenté une demande en ligne au haut‑commissariat du Canada à New Delhi concernant un permis de travail à l’égard duquel une EIMT valide a été délivrée, ainsi qu’un permis de travail ouvert pour son époux et un permis d’études pour son fils. Sa demande comprenait une déclaration solennelle faite sous serment au Canada, datée du 16 avril 2019, dans laquelle elle expliquait les circonstances de sa visite au Canada et traitait des préoccupations soulevées par l’agent de Peace Bridge, le 11 avril. La demande renfermait également une lettre du conseiller en voyages qui avait préparé sa demande de VRT qui contenait des renseignements inexacts ainsi qu’une lettre de huit pages de son conseiller juridique canadien à l’appui de sa demande.

[15]  Un agent du haut‑commissariat a refusé sa demande de permis de travail et, par voie de conséquence, les demandes connexes concernant son époux et de son fils. Le haut‑commissariat a avisé Mme Soni de la décision de l’agent dans une lettre datée du 26 juin 2019. Le motif donné pour refuser la demande était que l’agent n’était [traduction] « pas convaincu [que la demanderesse] quittera[it] le Canada à la fin de [son] séjour conformément au paragraphe 200(1) du RIPR en raison du but de [sa] visite ». Le « RIPR » est le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002/227 (le « RIPR »).

[16]  Conformément au paragraphe 200(1) du RIPR, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger qui fait sa demande préalablement à son entrée au Canada si, à l’issue d’un contrôle, certains éléments sont établis. Aux termes de l’alinéa b), l’étranger doit « quitt[er] le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable […] ».

II.  Questions soulevées par la demanderesse

[17]  La demanderesse soulève deux questions. Premièrement, s’appuyant sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, Mme Soni soutient que la décision de l’agent est fondamentalement erronée, car elle est fondée sur une analyse irrationnelle et n’est pas justifiée au regard du droit et des faits pertinents. Elle ajoute que l’agent a fondé la décision sur des critères non pertinents et superflus, a fait fi des éléments de preuve figurant dans sa déclaration solennelle qui contredisaient la conclusion à laquelle il était parvenu et n’a pas correctement communiqué ni expliqué pourquoi sa déclaration sous serment ne dissipait pas ses préoccupations.

[18]  Deuxièmement, Mme Soni prétend que les motifs de l’agent sont inadéquats. Elle fait valoir que le fait qu’il n’ait pas traité des éléments de preuve rend la décision inadéquate et inintelligible. D’après elle, les motifs ne donnent aucune idée de la raison pour laquelle l’agent a refusé la demande.

[19]  Dans le cadre de ces observations, Mme Soni fait valoir que si l’agent avait des préoccupations au sujet de sa déclaration sous serment, elle aurait dû se voir donner l’occasion d’y répondre, s’agissant d’une question d’équité procédurale, car le défaut de le faire constituerait une [traduction« conclusion voilée en matière de crédibilité, qui lui était défavorable ».

[20]  Le défendeur est d’avis que la décision de l’agent était raisonnable. Le ministre soutient que Mme Soni a fourni des réponses non véridiques – a menti – aux autorités canadiennes d’immigration, et ce, à deux occasions distinctes. Selon lui, une conclusion à l’égard du fait que la demanderesse n’a pas dit la vérité est un motif raisonnable pour rejeter une demande de permis de travail, et ce, peu importe les explications qu’elle a fournies en présentant sa demande : Garcia Porfirio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 794 (le juge Near); Chamma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 29 (le juge Shore).

[21]  Le défendeur soutient en outre que, lorsque les agents prennent des décisions concernant la question de savoir si un demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable, les éléments de preuve concernant des interactions précédentes avec des agents d’immigration constituent les meilleurs indicateurs de la probabilité que le demandeur se conforme ultérieurement à cette exigence de quitter le pays. L’agent a choisi d’apprécier le comportement passé de la demanderesse et d’autres facteurs plutôt que les diverses explications qu’elle a fournies à l’égard de ses inexactitudes et il a tiré une conclusion raisonnable.

[22]  Concernant la deuxième prétention générale de la demanderesse, le défendeur fait valoir que le caractère adéquat des motifs ne peut à lui seul constituer une raison pour annuler une décision et que la décision est [traduction« claire et raisonnable ».

III.  Norme de contrôle

[23]  La norme de contrôle applicable aux décisions administratives est présumée être celle de la décision raisonnable. Cette présomption d’application de la norme de la décision raisonnable s’applique à tous les aspects de la décision. Voir Vavilov, aux para 16, 23 et 25. La présomption peut être réfutée par la preuve de l’intention du législateur ou si la primauté du droit exige une norme différente : Vavilov, aux para 17, 23 et 69. L’arrêt Vavilov ne recense que cinq situations où la présomption peut ainsi être réfutée : voir Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 (le juge Stratas), au para 16. Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

[24]  Les parties font toutes les deux valoir – et je suis d’accord avec elles – que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[25]  Une décision raisonnable doit être a) fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et b) justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné, par exemple parce que l’analyse ayant entraîné ce résultat était déraisonnable, ou si la décision n’est pas justifiée au regard des faits et du droit applicable : Vavilov, aux para 83‑86 et 96‑97; Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6.

[26]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12‑13. Le contrôle de la cour de révision est rigoureux – ce qui veut dire qu’elle effectue un examen complet et attentif des circonstances juridiques et factuelles de chaque affaire –, mais aussi structuré. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. La cour de révision doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au para 100. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important pour rendre la décision déraisonnable : para 100.

[27]  Au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a recensé deux catégories de lacunes fondamentales : le manque de logique interne du raisonnement; le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour a envisagé que la cour de révision puisse examiner la question de savoir si la preuve dont disposait le décideur constitue une contrainte factuelle pour ce dernier. Toutefois, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve : Vavilov, aux para 125‑126.

[28]  La Cour suprême a aussi prévu que, pour évaluer le caractère raisonnable, la cour de révision peut tenir compte des observations des parties présentées au décideur, parce que les motifs du décideur doivent tenir valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties : Vavilov, au para 127. Ce principe est lié à celui de l’équité procédurale et au droit des parties d’être entendues et écoutées. Le décideur n’a pas l’obligation de répondre à tous les arguments ou modes possibles d’analyse ou de tirer des conclusions explicites sur chaque élément qui a mené à une conclusion. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties « permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » : Vavilov, au para 128.

[29]  Pour ce qui est de l’équité procédurale, la demanderesse affirme que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Peu importe qu’on parle de norme de contrôle de la décision correcte ou d’obligation de la Cour de s’assurer que le processus a été équitable sur le plan procédural, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que le contrôle judiciaire d’une question relative à l’équité procédurale ne laisse aucune marge de manœuvre à la cour de révision ni n’autorise cette dernière à faire preuve déférence. En dernière analyse, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la partie visée connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 (le juge Rennie), particulièrement aux para 49, 54 et 56; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (la juge L’Heureux‑Dubé), au para 22.

IV.  Analyse

A.  La décision était‑elle déraisonnable selon les principes exposés dans Vavilov?

[30]  À mon avis, la décision de l’agent était raisonnable. Elle ne contient pas de faille fondamentale dans sa logique globale et elle n’est pas indéfendable à la lumière des observations et des éléments de preuve présentés par Mme Soni. Il était loisible à l’agent, en fonction des éléments de preuve, de parvenir à la conclusion tirée au titre de l’alinéa 200(1)b) du RIPR. Même si les motifs de l’agent ne contiennent pas chaque élément de l’analyse auquel il serait raisonnable de s’attendre d’une cour ou d’un tribunal, l’arrêt Vavilov n’exige pas ce niveau d’analyse. Les motifs pour refuser le permis de travail sont adéquats et, globalement, la décision de l’agent est suffisamment transparente, intelligible et justifiée.

[31]  Dans le cadre de la présente demande, la demanderesse a fourni des observations écrites exhaustives dans lesquelles elle conteste la décision de l’agent. Ces observations s’intéressent tout particulièrement au passage suivant de la note que l’agent a versée dans le Système mondial de gestion des cas (« SMGC ») :

[traduction]

[…] vu les divergences et les contradictions entre la demande de VRT [visa de résident temporaire] de la demanderesse et ses antécédents d’emploi actuels déclarés, compte tenu de ses antécédents en matière de migration et de ses tentatives répétées pour obtenir un PT [permis de travail] à la frontière pendant qu’elle disposait d’un VRT, et à la lumière du fait que toute la famille voyagerait ensemble, je ne suis pas convaincu […]

[32]  Ce passage contient trois éléments, que la demanderesse analyse comme suit dans ses observations :

[traduction]

(i) les « divergences et les contradictions entre la demande de VRT de la demanderesse et ses antécédents en matière d’emploi actuels déclarés » étaient des « erreurs involontaires commises sans mauvaise foi » pour lesquelles le conseiller en voyages de Mme Soni (qui a préparé la demande de VRT) a assumé l’entière responsabilité;

(ii) les « antécédents en matière de migration [de Mme Soni] et ses tentatives répétées pour obtenir un PT à la frontière pendant qu’elle disposait d’un VRT » ont été expliqués dans sa déclaration solennelle et il n’y avait rien d’illicite. Elle prétend que l’agent a fait fi de son explication de la raison pour laquelle son époux et elle ont déclaré à l’agent des services frontaliers, le 26 mars, que le but de leur voyage au Canada était une « visite ». Elle affirme en outre qu’elle a fourni une explication raisonnable concernant ses multiples tentatives d’obtenir un permis de travail à la frontière, qui contredit directement la conclusion de l’agent. D’après Mme Soni, ces tentatives licites auraient dû favoriser sa demande, aucune conclusion défavorable ne peut être tirée contre elle, et il est déraisonnable de le faire d’après la décision Campbell Hara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 263 (le juge Russell);

(iii) le fait que « toute la famille voyagerait ensemble » n’est pas une raison pour tirer une conclusion défavorable contre elle.

[33]  En somme, la demanderesse fait essentiellement valoir que l’agent n’a pas véritablement examiné et de façon explicite les explications et les éléments de preuve figurant dans sa déclaration solennelle. Comme son avocat l’a conclu dans ses observations écrites, la [traduction« demanderesse méritait une décision qui tenait compte de l’intégralité des documents qu’elle avait présentés. Cela n’a pas été fait ».

[34]  Pour commencer l’analyse, je ferai quelques remarques préliminaires. Premièrement, l’arrêt Vavilov de la Cour suprême prévoit qu’une cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble – pas simplement quelques lignes ou un passage en particulier (aux para 15, 85, 99 et 102). Cela ne veut pas dire qu’un passage en particulier ne peut pas permettre de saisir la logique fondamentale ou le raisonnement clé d’une décision – c’est souvent le cas. Mais l’ensemble du raisonnement, dont l’appréciation par le décideur des circonstances de l’affaire particulière, doit être pris en considération avec le résultat global.

[35]  Deuxièmement, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a insisté sur la création d’une « culture de la justification » au sein du processus décisionnel administratif (aux para 2 et 14). La Cour a déclaré que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le juge siégeant en révision doit examiner les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu (aux para 83 et 87). La cour de révision devrait commencer par les motifs, car ceux‑ci constituent le « mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions » (au para 81). Il faut accorder « une attention particulière » à ces motifs (au para 97).

[36]  Troisièmement, les exigences juridiques de la justification ne peuvent faire abstraction du contexte particulier qui a donné lieu à la décision attaquée. La décision doit être justifiée auprès des personnes auxquelles elle s’applique, particulièrement lorsqu’elle a des répercussions sévères sur leurs droits et intérêts : Vavilov, aux para 86 et 133. Le contrôle judiciaire d’une décision doit également tenir compte du contexte juridique de la décision attaquée : Vavilov, aux para 86 et 89‑94.

[37]  En l’espèce, Mme Soni est une ressortissante étrangère qui a demandé un permis de travail de l’extérieur du Canada. La demande était naturellement importante dans son esprit et celui des membres de sa famille (particulièrement en ce qui concerne les études futures de son fils, d’après sa déclaration solennelle). Toutefois, à mon avis, les répercussions de la décision de l’agent sur ses droits et intérêts (le cas échéant) ne peuvent être qualifiés de sévères : Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 (le juge Gascon), au para 32; Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 (le juge Rennie), aux para 9‑10; Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815 (le juge Rothstein), au para 5.

[38]  Comme je l’expliquerai, en l’espèce, la décision de l’agent était centrée sur un élément, soit la sincérité de Mme Soni dans ses interactions avec les agents d’immigration canadiens – ce qui a directement influencé la décision de l’agent sur la question de savoir si, en tant que ressortissante étrangère, elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de l’alinéa 200(1)b) du RIPR. Même si les motifs pour refuser sa demande de permis de travail devaient être adaptés aux circonstances particulières du dossier, j’estime que le raisonnement de la Cour dans l’arrêt Vavilov n’obligeait pas l’agent du haut‑commissariat à rédiger des motifs détaillés dans lesquels il examinerait chaque nuance de la demande de permis de travail de Mme Soni, ni à analyser le moindre recoin de l’argumentation juridique du conseil de cette dernière, afin de satisfaire aux exigences de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité de notre droit administratif : Vavilov, au para 128.

[39]  Les observations de la demanderesse dans le cadre de la demande portent sur le contenu de sa déclaration solennelle et la présumée omission de l’agent de l’examiner de manière appropriée et d’y donner effet. Qu’est-ce qui se trouvait dans cette déclaration solennelle? En bref, Mme Soni a énoncé pour commencer le contexte et le but de sa venue au Canada en mars 2019 (aux para 1‑6 et 8‑9). Elle a décrit son arrivée à l’aéroport (au para 7) et sa rencontre avec le consultant en immigration ainsi que les rendez‑vous médicaux du 1er avril (aux para 10‑12). Elle a expliqué les demandes qu’elle a présentées aux points d’entrée les 2 et 11 avril, les préoccupations soulevées par l’agent de Peace Bridge le 11 avril et sa réaction (aux para 12‑24, 29, 37‑38 et 40‑43). Elle a également décrit les explications et les réponses qu’elle a données à ces préoccupations en communiquant immédiatement avec l’agent de voyages qui a préparé sa demande de VRT (aux para 25‑28 et 30‑31) et en mentionnant ses études et antécédents de travail réels (aux para 32‑36). Elle a aussi signalé la prolongation de son EIMT (au para 39).

[40]  Le conseiller juridique canadien de Mme Soni a intégré ce contenu et bien plus encore dans la lettre, en date du 10 mai 2019, adressée au haut‑commissariat, qui était jointe à sa demande de permis de travail. En plus de huit pages à simple interligne, la lettre expose en détail :

  • le poste proposé à Pembroke (aux p 1‑2);

  • les études et l’expérience de travail de Mme Soni (à la p 2);

  • les antécédents en matière d’immigration de Mme Soni – ce qui comprenait la discussion avec l’agent des services frontaliers à l’aéroport, ses demandes présentées aux points d’entrée, les préoccupations soulevées par l’agent et le fait que l’agent de voyages a assumé [traduction« l’entière responsabilité pour les renseignements inexacts », lesquels découlaient de [traduction« ses erreurs » (souligné et en caractères gras dans les deux cas) (aux p 2‑4);

  • des observations juridiques sous le titre général [traduction« Mme Soni n’est pas interdite de territoire pour fausses déclarations » et les sous-titres [traduction« erreurs involontaires de Mme Soni dans ses formulaires de demande » et [traduction« intention véritable de Mme Soni d’entrer en tant que visiteuse ». Ces observations (aux p 4‑6) renfermaient un précédent précis de la Cour ainsi que des citations en bloc;

  • les personnes à charge qui l’accompagnaient (aux p 6‑7);

  • une liste de 20 documents à l’appui, dont la déclaration solennelle (aux p 7‑8).

[41]  Comme la liste (et la lecture de la lettre) le montrent clairement, le conseiller juridique de Mme Soni a exposé et défendu de façon générale la position de sa cliente, notamment les explications qu’elle a données en réponse aux deux préoccupations en matière de véracité soulevées par l’agent de Peace Bridge le 11 avril.

[42]  Examinons maintenant ces préoccupations liées à la véracité et les explications que Mme Soni a données en réponse. Premièrement, dans sa déclaration solennelle, Mme Soni n’a pas nié l’existence d’incohérences entre sa demande de VRT et son permis de travail. Concernant cette préoccupation, Mme Soni a reconnu que, comme elle avait signé et daté la demande initiale de visa, elle [traduction« aurait dû avoir une connaissance complète du contenu du formulaire de demande, car [elle est] une personne éduquée » (au para 29). Elle a exprimé son incrédulité et sa surprise lorsque l’agent de Peace Bridge a soulevé les incohérences. Dans sa déclaration, elle a expliqué que, puisqu’elle avait fourni au bureau du conseiller en voyages les renseignements exacts, elle lui avait [traduction« entièrement fait confiance », avait [traduction« cru en lui » et avait simplement signé et daté la demande, suivant ses directives. Dans sa lettre, le conseiller juridique a qualifié ces inexactitudes de [traduction« faute et erreur commise sans mauvaise foi » et [traduction« [d’]erreur administrative » de la part du conseiller en voyages, faisant aussi état d’un [traduction] « léger manque de diligence [de la part de Mme Soni] qui lui a fait confiance » et n’a pas procédé à un examen adéquat des formulaires (lettre du conseiller juridique, aux p 4, 5 et 6). La demande de permis de travail renfermait une brève lettre du conseiller en voyages qui semble assumer la responsabilité des erreurs.

[43]  Pour ce qui est de l’autre préoccupation liée à la véracité, la position de Mme Soni était différente. Elle a dit n’avoir eu aucune possibilité de fournir des détails sur son arrivée à la frontière le 26 mars et que, quoi qu’il en soit, il n’était pas question de non‑divulgation étant donné ce qu’elle croyait à l’époque. Son époux a dit à l’agent des services frontaliers que le but de leur voyage était de « visiter » le Canada. D’après la déclaration solennelle de Mme Soni, [traduction« l’agent [l’]a regardée et ne [lui] a pas donné de détails, et [elle] n’[a] pas eu l’occasion de fournir de détails concernant [son] EIMT; […] dans [leur] esprit, le but de [leur] venue au Canada et de [leur] recherche d’écoles avant de présenter une demande était de visiter le pays ». Elle a également témoigné ceci au sujet du but du voyage :

[traduction]

5. Que la principale raison pour laquelle je suis venue au Canada était de regarder tout particulièrement des écoles pour mon fils Viren, qui avait terminé ses examens de 11année et était en vacances, donc s’il les jugeait convenables, nous déménagerions, ou s’il y avait des cours d’été qu’il pouvait suivre;

6. Que si nous les jugions convenables, nous prendrions alors une décision pour ce qui est de demander mon permis de travail et un permis d’études pour Viren, tandis que mon époux reprendrait ses affaires en Inde; ayant cela à l’esprit, je suis venue au Canada accompagnée de mon époux et de mon fils; c’était une grande étape dans notre vie, et comme c’est notre seul enfant, j’avais très à cœur que les choses fonctionnent pour lui.

Au paragraphe 8, elle a mentionné que son EIMT avait un objet double : appuyer la demande d’un permis de travail et sa résidence permanente. La lettre de son conseiller juridique adressée au haut‑commissariat a étayé sa position selon laquelle le but du voyage était de visiter le Canada et qu’aucune fausse déclaration n’a été faite (aux p 5‑6).

[44]  Passons maintenant à la principale question : l’agent a‑t‑il omis d’examiner suffisamment les explications de Mme Soni, de sorte que sa décision est déraisonnable? Je ne le crois pas.

[45]  Il ressort de l’examen attentif des notes du SMGC que l’agent était au courant des événements importants pour trancher la question de savoir si Mme Soni quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour proposée mais aussi de la position de Mme Soni à ces égards. J’organiserai l’explication qui suit autour du passage « essentiel » dont le raisonnement a été contesté par la demanderesse dans la présente demande.

[46]  Le passage « essentiel » et ses trois éléments ne sont pas mentionnés de façon indépendante dans les notes que l’agent a versées dans le SMGC. Concernant le premier élément, les notes versées dans le SMGC avaient déjà décrit comme suit les [traduction« divergences et les contradictions entre la demande de VRT de la demanderesse et ses antécédents en matière d’emploi actuels déclarés » :

[traduction]

[…] dans sa demande de VRT précédente, [Mme Soni] a déclaré qu’elle était une femme au foyer et qu’elle n’avait pas d’études et d’expérience professionnelle. Selon une lettre d’emploi, [elle] avait travaillé comme commis‑comptable de novembre 2007 à avril 2009. Une autre lettre révèle qu’[elle] travaille depuis avril 2009 pour une autre entreprise. Aucun talon de paie n’a été fourni, mais des certificats de salaire ont été versés au dossier. La divergence entre les déclarations précédentes de la demanderesse et la lettre [sic : les lettres] figurant maintenant au dossier soulève des préoccupations.

C’est à ce moment-là que l’agent a déclaré : [traduction] « J’ai pris note et tenu compte de l’observation du représentant de la demanderesse; toutefois, mes préoccupations demeurent ». Le conseiller juridique de Mme Soni a admis à l’audience que cette phrase renvoie à la lettre détaillée que son conseiller juridique a adressée au haut‑commissariat le 10 mai 2019.

[47]  L’agent était manifestement au courant des incohérences figurant dans la demande originale de Mme Soni, préparée par l’agent de voyages, mais signée et datée par elle, et il s’en préoccupait, tout comme des faits corrigés au sujet de ses antécédents en matière d’études et d’emploi figurant dans sa demande de permis de travail. Même s’il avait lu la lettre du conseiller juridique de Mme Soni, qui contenait les explications de celle‑ci, l’agent demeurait préoccupé.

[48]  Par rapport au deuxième élément contesté par la demanderesse, encore une fois, les notes de l’agent versées dans le SMGC avaient déjà décrit les [traduction« antécédents en matière de migration de Mme Soni et ses tentatives répétées pour obtenir un PT à la frontière pendant qu’elle disposait d’un VRT ». L’agent a souligné qu’à son entrée initiale au Canada, le 26 mars, Mme Soni [traduction« n’a pas divulgué ses perspectives d’emploi ». Les notes versées dans le SMGC faisaient ensuite mention du fait que Mme Soni :

[traduction]

[…] avait fait un aller‑retour à la frontière une fois, s’était vu refuser un PT [permis de travail] à la frontière le 2 avril, avait reçu une FV [fiche du visiteur] et avait présenté une nouvelle demande le 10 avril 2019. Sa demande a de nouveau été refusée, et elle a fini par recevoir une autorisation de quitter le pays, à laquelle je constate qu’elle s’est conformée.

[49]  L’agent était manifestement au courant des événements en cause et de la préoccupation liée à la non‑divulgation de Mme Soni lors de passage à la frontière avec son époux le 26 mars, non-divulgation mentionnée le 11 avril par l’agent de Peace Bridge et que Mme Soni a cherché à expliquer dans sa déclaration solennelle. Dans sa lettre, aux pages 5‑6, le conseiller juridique a répété cette explication et défendu la position de sa cliente. On ne sait pas trop au vu du dossier comment l’agent aurait pu relever la non‑divulgation des perspectives d’emploi de la demanderesse dans le dossier, à moins qu’il n’ait lu la lettre du conseiller juridique ou la déclaration solennelle.

[50]  Je signale que l’agent a reconnu, à la fin de l’extrait du SMGC reproduit ci-dessus, que Mme Soni s’est conformée à l’exigence du Canada le 29 avril, ce qui doit avoir été considéré comme un fait favorable à Mme Soni pour établir si elle quitterait le Canada à la fin de la durée de validité de son permis de travail proposé.

[51]  Pour ce qui est du troisième élément, l’agent savait également d’après le dossier que la famille voyagerait ensemble. Au début et à la fin des notes versées dans le SMGC, l’agent mentionne trois demandes de visa. Je reviendrai plus loin sur la position de Mme Soni par rapport à ce troisième élément.

[52]  Ce sont ces trois éléments et les circonstances déclarées qui ont amené l’agent à conclure ceci : [traduction] « Je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse serait une résidente temporaire de bonne foi qui respecterait les conditions de sa période de séjour applicable » au titre de l’alinéa 200(1)b) du RIPR en quittant le pays à la fin de la durée de validité de son permis de travail.

[53]  Il ressort de cet examen que les notes versées dans le SMGC recensaient clairement les « divergences » quant aux antécédents en matière de migration de Mme Soni et la « non‑divulgation » de ceux‑ci, qui soulèvent toutes deux la même question, à savoir si Mme Soni a dit la vérité aux agents d’immigration. À mon avis, cette question était au cœur du raisonnement de l’agent exposé dans les notes du SMGC. Il n’y a pas non plus d’autres moyens de comprendre le renvoi de l’agent aux « préoccupations » qui subsistaient après la lecture de la lettre du conseiller juridique (bien qu’à ce moment‑là, l’agent ne semble renvoyer qu’aux « divergences »). Ce que reconnaît l’agent n’est pas surprenant. L’agent de Peace Bridge au Canada avait aussi eu ces mêmes préoccupations et les avait exprimées à Mme Soni le 11 avril. Moins d’une semaine plus tard, alors qu’elle se trouvait toujours au Canada, elle a signé la déclaration solennelle qui les abordait en détail. Elle a retenu les services d’un conseiller juridique canadien qui a résumé toute la preuve pour appuyer sa demande de permis de travail et présenter des observations en son nom afin de répondre précisément à ces préoccupations.

[54]  Les points de vue de la demanderesse et du défendeur divergent quant au fait de savoir si l’agent a correctement analysé les trois éléments et les explications de Mme Soni. La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné suffisamment ses explications présentées sous serment et qu’il aurait dû leur donner effet, tandis que le défendeur fait valoir que la situation est simple : Mme Soni a menti à deux reprises, et l’agent était légalement en droit de refuser sa demande de permis de travail pour ce seul motif.

[55]  Je ne suis pas entièrement d’accord avec aucune des deux parties. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que les notes du SMGC n’indiquent pas qu’elle a menti (c.‑à‑d. qu’elle a intentionnellement fait de fausses déclarations au sujet de ses études et de son emploi) dans sa demande de VRT ou qu’elle n’a pas intentionnellement divulgué le but réel ou tous les buts de sa visite à la frontière le 26 mars. Mais il n’était pas nécessaire pour l’agent d’aller aussi loin. L’agent devait déterminer, en vertu de l’alinéa 2001(1)b) du RIPR, si Mme Soni quitterait le Canada à la fin de la période de séjour applicable dans le permis de travail demandé. Donc, il suffisait que l’agent reconnaisse, comme des facteurs à prendre en considération pour déterminer si elle quitterait le Canada, les questions expressément exposées dans les notes du SMGC – ses antécédents en matière de migration comprenaient l’omission de « divulgu[er] ses perspectives d’emploi » à l’agent des services frontaliers le 26 mars et les « divergences » factuelles entre sa demande de VRT et sa demande de permis de travail.

[56]  Le défendeur a fait observer que les interactions passées entre Mme Soni et les agents d’immigration canadiens sont de façon générale pertinentes pour l’évaluation de l’agent au titre de l’alinéa 200(1)b) : voir Calaunan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1494 (le juge Boivin), au para 28; Kwasi Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754 (le juge Lagacé), au para 13; Ngalamulume c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1593 (le juge Boivin), aux para 18 et 28. De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent avait le droit de prendre en considération la franchise de Mme Soni concernant des questions pertinentes ou son manque d’exactitude ou d’exhaustivité dans des communications pertinentes avec des agents d’immigration aux fins d’application de la LIPR pour prendre la décision d’accorder ou de refuser le permis de travail et, plus précisément, d’évaluer si Mme Soni quitterait le Canada à la fin de la période de séjour applicable conformément à l’alinéa 200(1)b) : voir LIPR, art 16; Garcia Porfirio, au para 45; Chamma, au para 39; Mescallado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 462 (le juge Phelan), au para 16; Barud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1441 (le juge Pentney).

[57]  Je ne puis conclure, comme m’y exhorte la demanderesse, que l’agent était tenu, en raison de la loi ou des faits, d’admettre les explications figurant dans sa déclaration solennelle (ni, d’ailleurs, dans la lettre de l’agent de voyages ou celle de son conseiller juridique). Ses explications n’ont pas circonscrit les actes de l’agent de la manière envisagée dans l’arrêt Vavilov. L’agent a expressément affirmé qu’il avait tenu compte de la lettre du conseiller juridique qui contenait ces explications, mais que ses préoccupations demeuraient.

[58]  Si nous avons bien compris, Mme Soni demande à la Cour d’évaluer ou d’apprécier à nouveau la preuve concernant sa présentation d’une demande de visa signée, qui contenait des erreurs avouées, et son explication à cet égard, et d’évaluer ou d’apprécier à nouveau la preuve au sujet de la non‑divulgation de son contrat de travail et de son EIMT ainsi que le but de sa visite au Canada à compter du 26 mars sur le fondement de sa version des événements. Or, ce n’est pas le rôle que doivent jouer les cours de révision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Vavilov, au para 125.

[59]  À mon avis, l’agent a suffisamment compris et pris en considération les éléments de preuve et les arguments fondamentaux présentés par Mme Soni et son conseiller juridique : voir Vavilov, aux para 126‑128. Il ne s’agit pas d’une affaire où le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte de manière à rendre la décision « indéfendable ».

[60]  Les observations de la défenderesse renvoyaient à de nombreuses décisions de la Cour. J’en examinerai deux en particulier. Dans l’affaire Xie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1239 (« Xie »), le demandeur a accompagné sa demande de permis de travail d’une déclaration dans laquelle il expliquait qu’il ne resterait pas au Canada une fois terminée sa période de séjour autorisé. M. Xie affirmait également être l’héritier en Chine d’un immeuble appartenant à son père, d’une valeur considérable, affirmation étayée par une déclaration formulée par son père. L’agent n’a pas examiné la déclaration, et le juge Pinard a annulé la décision lors du contrôle judiciaire.

[61]  L’affaire Xie se distingue de celle qui nous occupe. Dans la décision Xie et dans les affaires qu’elle a examinées, la Cour n’était pas convaincue que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé. Sa façon de le dire peut varier entre de purs énoncés généraux, qui peuvent être banals, jusqu’à une conclusion plus convaincante appuyée par des éléments de preuve supplémentaires concernant les liens du demandeur avec un autre pays et de l’absence de liens au Canada (ou les deux). Dans le cas de M. Xie, ce dernier avait expressément affirmé dans une déclaration sous serment qu’il retournerait en Chine à la fin de son séjour autorisé au Canada et il a fourni des éléments de preuve à l’appui pour expliquer pourquoi il le ferait.

[62]  Ce n’est pas le cas en l’espèce. D’abord, Mme Soni n’a fait aucune déclaration de la sorte dans sa déclaration solennelle. Il n’est pas possible de dire si ni comment une telle affirmation et explication – en présumant qu’elle les aurait fournies – pourraient avoir influencé la décision de l’agent concernant sa demande de permis de travail. De plus, contrairement à l’affaire Xie, la déclaration solennelle de la demanderesse ne traite pas des liens de la demanderesse ou de celles de son époux en Inde ni d’autres motifs pour lesquels la famille ou ils retourneraient en Inde à la fin de son permis de travail demandé. La demanderesse ne fait pas valoir que l’agent n’a pas tenu compte de ce type de preuve, et aucun élément de preuve de ce type n’apparaît dans sa déclaration solennelle.

[63]  La demanderesse s’est aussi fondée sur l’affaire Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 (« Aghaalikhani »), qui est également différente. Dans cette affaire, le juge Gascon a indiqué que rien ne permettait d’étayer le point de vue de l’agent selon lequel le demandeur avait des liens avec le Canada et qu’il ne partirait donc pas à la fin de la durée de validité de son permis d’études. Voir les paragraphes 19 (« silence assourdissant du dossier sur les liens de M. Aghaalikhani avec le Canada »), 20 (« pénurie de la preuve qui appuie la conclusion factuelle de l’agent »), 21 (contrairement à la preuve du demandeur attestant qu’un emploi l’attendait en Iran) et 22 (« le dossier ne comporte aucune preuve » appuyant deux des trois facteurs cités par l’agent dans la décision ni sa conclusion globale). Le fait que l’agent n’a pas tenu compte des documents figurant au dossier constitue un élément clé dans l’analyse du juge Gascon. Ce dernier a conclu que les motifs de l’agent étaient incompréhensibles, car ils n’étaient « étayés par aucune preuve au dossier et sembl[aient] être complètement arbitraires au regard de la preuve soumise » (au para 26). Voir également ses renvois au caractère irrationnel, arbitraire, illogique et à l’« absence de tout fondement acceptable à la conclusion de fait tirée » au paragraphe 17.

[64]  En comparaison, en l’espèce, il y a des éléments de preuve au dossier pour appuyer les préoccupations de l’agent au sujet de la sincérité de Mme Soni dans ses interactions avec des agents de l’immigration. Les explications figurant dans sa déclaration solennelle, qui, selon elle, ont été passées sous silence, n’étaient pas la seule preuve sur la question : elles visaient à expliquer les « divergences » et la non‑divulgation à la frontière et à dissiper les préoccupations à ces égards. Me fondant sur les notes du SMGC, je suis convaincu que l’agent n’a pas fait abstraction des documents joints à la demande de permis de travail. En outre, je n’ai pas les mêmes préoccupations sous‑jacentes au sujet du caractère arbitraire ou irrationnel relevé par le juge Gascon dans l’affaire Aghaalikhani.

[65]  Il me faut examiner les deux autres éléments de l’argument de Mme Soni. Par rapport au deuxième élément, je reconnais que la prise en considération par l’agent des [traduction« tentatives répétées [de Mme Soni] pour obtenir un PT à la frontière pendant qu’elle disposait d’un VRT » est quelque peu ambiguë et peut‑être déroutante. Le défendeur l’a décrite comme une [traduction« simple récitation » de faits. Je ne suis pas de cet avis. Comme il est expliqué dans sa déclaration solennelle et au moyen des documents à l’appui comme le reçu de son service de messagerie de DHL, les efforts de Mme Soni pour demander un permis de travail aux points d’entrée en avril 2019 se sont révélés être une comédie d’erreurs, et certains éléments étant indépendants de sa volonté. Toutefois, en fin de compte, même si j’admets sa position sur cette question, cela ne rendrait pas la décision globale de l’agent indéfendable ou déraisonnable selon les normes énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[66]  Pour finir, je reviens au troisième élément. Mme Soni s’oppose à la conclusion apparemment défavorable tirée par l’agent en raison du fait que la famille voyagerait ensemble. L’agent doit avoir estimé que le voyage des membres de la famille ensemble indiquerait que Mme Soni ne laisserait pas derrière elle sa famille immédiate en Inde dans le but de poursuivre un débouché professionnel au Canada. Il est difficile de voir à quel point un tel jugement est inapproprié pour déterminer si elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de l’alinéa 200(1)b) du RIPR. Si nous imaginons l’inverse – si la preuve montrait que son époux et son fils n’avaient pas proposé de venir au Canada durant sa période de travail souhaitée, les liens personnels qu’elle aurait toujours en Inde auraient assurément été pertinents pour établir si elle aurait quitté le pays comme elle devait le faire.

[67]  Pour ces motifs, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable.

B.  Équité procédurale

[68]  L’équité procédurale oblige une partie à connaître la preuve à réfuter et à avoir la possibilité complète d’y répondre. Mme Soni a fait valoir que si l’agent avait des préoccupations au sujet de sa déclaration faite sous serment, elle aurait dû se voir donner l’occasion d’y répondre.

[69]  Je ne crois pas que l’agent a omis d’offrir une telle possibilité à la demanderesse en l’espèce conformément au principe de l’équité procédurale. Mme Soni a eu la possibilité de répondre et elle s’en est prévalue. Les préoccupations soulevées par l’agent dans les notes du SGMC étaient les mêmes que celles que l’agent de Peace Bridge avait soulevées auprès de Mme Soni au point d’entrée le 11 avril 2019. Elle a dissipé certains de ces points dans sa déclaration faite sous serment au Canada une semaine plus tard. Son conseiller juridique les a fait valoir dans sa lettre du 10 mai 2019. Les deux documents ont été présentés à l’agent. Mme Soni a été amplement avertie des préoccupations que l’agent examinant son permis de travail pourrait avoir et elle a été en mesure de prendre de multiples mesures pour tenter de les dissiper. À mon avis, l’agent n’était pas tenu de fournir à Mme Soni une autre possibilité de le faire.

C.  Les motifs de l’agent étaient‑ils inadéquats?

[70]  La prétention de la demanderesse selon laquelle les motifs de l’agent étaient inadéquats recoupait en grande partie ses arguments sur le caractère déraisonnable. Je tenterai de me concentrer sur les différents points soulevés au sujet du caractère adéquat des motifs.

[71]  La demanderesse s’est fondée sur un certain nombre de décisions judiciaires, à commencer par l’arrêt LeBon c Canada (Procureur général), 2012 CAF 132 (« LeBon »). Dans cette affaire, le demandeur avait été incarcéré à l’extérieur du Canada. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a refusé d’approuver sa demande de transfèrement au Canada, et le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour, sans succès. La juge Dawson, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a fait droit à l’appel du demandeur et annulé la décision du ministre sur la demande de transfèrement.

[72]  Dans l’arrêt LeBon, le ministre a refusé la demande de transfèrement malgré l’avis « sans équivoque » du Service correctionnel du Canada (« SCC »), à savoir que, après son transfèrement, M. Lebon ne commettrait pas une infraction liée à la criminalité organisée ou un acte criminel. En annulant la décision du ministre, la juge Dawson a déclaré qu’il n’existe pas de critère absolu quant à la mesure dans laquelle le ministre doit expliquer son désaccord, le cas échéant, avec l’avis qu’il a reçu – chaque cas est tributaire du dossier soumis au ministre. Dans certains cas, peu ou pas d’explications sont requises, parce que le dossier permet de comprendre facilement les raisons du désaccord du ministre. Cependant, dans l’affaire LeBon, les avocates du procureur général n’ont pu renvoyer à aucun élément de preuve convaincant qui aurait raisonnablement pu mettre en doute ou contredire l’opinion du SCC. Pourtant, le ministre était en désaccord avec cet avis et a tiré une conclusion contraire au sujet de la probabilité qu’un crime soit commis. Dans ces conditions, « la conclusion à laquelle le ministre est arrivé n’était ni étayée par des motifs justifiables ni transparente ni intelligible » : voir LeBon, aux para 20 et 23.

[73]  Dans l’affaire LeBon, la loi obligeait le ministre à motiver sa décision par écrit. La juge Dawson a déclaré que le ministre était tenu, en vertu de la loi, de faire davantage que de se contenter d’affirmer qu’il avait examiné les faits et les circonstances uniques eu égard au critère juridique. Lorsqu’il existe des facteurs favorables à un transfèrement, le ministre doit démontrer « qu’il a apprécié les divers facteurs qui s’opposent pour expliquer les raisons l’ayant amené à refuser de consentir au transfèrement »; sans cette appréciation, la décision n’est ni transparente ni intelligible et elle ne satisfait pas non plus à l’obligation légale de motiver sa décision : LeBon, au para 25.

[74]  La demanderesse s’est également reportée à la récente décision de la juge Fuhrer Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 (« Iyiola »), une affaire portant sur un visa d’études. Reprenant les mots de l’arrêt Vavilov, ma collègue a affirmé au paragraphe 18 que même s’il est possible que les notes de l’agent des visas ne soient pas étoffées, elles doivent néanmoins donner une idée (une analyse rationnelle et intrinsèquement cohérente tenant compte des contraintes factuelles et juridiques applicables : Vavilov) de la raison pour laquelle une demande a été refusée. La juge Fuhrer a conclu que l’agent n’avait pas expliqué de manière intelligible ou raisonnable pourquoi M. Iyiola n’avait pas été considéré comme un véritable étudiant (au para 19) ni pourquoi l’agent avait conclu que M. Iyiola pourrait ne pas quitter le Canada à la fin de la période autorisée de séjour (au para 20). Par rapport au dernier élément, la décision de l’agent était inintelligible en raison de l’absence de la moindre explication concernant les attaches familiales importantes du demandeur dans son pays d’origine et la question de savoir pourquoi l’absence de conjoint ou de voyages à l’étranger préalablement documentés serait jugée défavorablement dans une demande de visa d’études.

[75]  Contrairement à l’affaire LeBon, en l’espèce, le décideur n’était pas en présence d’une opinion sans équivoque ou d’un ensemble de faits unilatéraux qui ne pourraient donner lieu qu’à une seule conclusion. L’agent devait déterminer s’il admettait les explications de Mme Soni concernant les incohérences reconnues entre sa demande de VRT et sa demande de permis de travail et les communications à la frontière (le 26 mars) liées au but de ce voyage. Les préoccupations de l’agent tenaient à la véracité des échanges de Mme Soni avec des agents d’immigration. L’agent n’a pas non plus eu à apprécier les éléments de preuve liés à divers facteurs qui pourraient associer Mme Soni à sa famille en Inde ou au Canada comme dans l’affaire Iyiola; comme il a déjà été mentionné, il n’y avait pas de telle preuve. Et comme je l’ai déjà expliqué, même si le ministre n’avait pas l’obligation de motiver sa décision comme dans l’affaire LeBon, les notes versées dans le SMGC donnent une assez bonne idée de la raison pour laquelle l’agent a conclu que Mme Soni ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de l’alinéa 200(1)b) du RIPR.

[76]  J’ai également pris en considération les observations de la demanderesse au sujet du caractère adéquat des motifs de l’agent fondées sur l’affaire Aghaalikhani. Pour les motifs susmentionnés, j’estime que les motifs donnés en l’espèce ne souffrent pas des mêmes lacunes que celles relevées par le juge Gascon dans l’affaire Aghaalikhani.

[77]  Je conclus qu’il n’y a aucune raison d’annuler la décision de l’agent au motif que les motifs étaient inadéquats.

V.  Conclusion et décision

[78]  J’aimerais terminer par une observation. Comme je l’ai déjà souligné, l’agent du haut‑commissariat a refusé la demande de permis d’études présentée au nom du fils de Mme Soni, Viren Nimeshbhai Soni, indiquant expressément qu’il s’agissait d’une conséquence du refus de la demande de permis de travail de sa mère. Rien dans la lettre du haut‑commissariat ou dans les notes de l’agent versées dans le SMGC ne donne à penser que la demande de permis d’études de Viren a été prise en considération ou refusée en fonction de son bien-fondé. Il en va de même pour la demande de l’époux de Mme Soni, Nimeshkumar Dhirubhai Soni.

[79]  La demande est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune. Il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens.

 


JUGEMENT dans l’affaire IMM‑4639‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. La Cour ne certifie aucune question en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Andrew D. Little »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4639‑19

 

INTITULÉ :

NIRALI NIMESHKUMAR SONI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 juillet 2020

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES JUGEMENT ET MOTIFS :

LE 25 AOÛT 2020

 

COMPARUTIONS :

Ravi Jain

Neerja Saini

 

pour la demanderesse

 

Leanne Briscoe

 

pour lE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ravi Jain

Neerja Saini

Green & Spiegel, LLP

 

pour la demanderesse

 

 

Leanne Briscoe

Procureur général du Canada

pour lE DÉFENDEUR

 

 

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