Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050830

Dossier : IMM-9448-04

Référence : 2005 CF 1176

Ottawa (Ontario), le mardi 30 août 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

AMIR SHAHZADA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]                M. Amir Shahzada est un citoyen du Pakistan et un musulman chiite. Il dit craindre le groupe extrémiste Sipah-e-Sahaba (SSP) qui l'a ciblé à cause du soutien qu'il a apporté à son Imam Bargah. Il demande donc la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de la protection et du statut de réfugié (la Commission ou la SPR) selon laquelle il n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]                Le témoignage qu'a donné M. Shahzada devant la Commission relativement au SSP se résume en ces termes :

            -            M. Shahzada a été nommé au poste de secrétaire de l'Imam Bargah de sa localité en juin 2000. Après sa nomination, il a accru ses activités et il a consacré un grand nombre d'heures à titre bénévole à l'Imam Bargah, il s'est fait connaître dans la collectivité et c'est la raison pour laquelle il a été ciblé par le SSP.

            -            Au cours de la dernière semaine de juillet 2000, M. Shahzada a commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants de la part du SSP.

            -            Au cours de la dernière semaine d'août 2000, à cause des activités de M. Shahzada, des gangsters appartenant au SSP local ont giflé la mère du demandeur alors qu'elle se rendait chez elle. Les agresseurs ont dit à la mère de M. Shahzada que selon Dieu, frapper la mère d'un chiite militant est une bonne action et que, si M. Shahzada ne cessait pas ses activités religieuses, ils assassineraient ce dernier.

            -            Le 6 décembre 2000, M. Shahzada a été agressé par des gangsters du SSP. Les gangsters lui ont dit que sa participation aux activités de sa « sale » religion était en train de vicier le climat de la région. M. Shahzada a consulté un médecin à la suite de l'agression et il a été hospitalisé jusqu'au lendemain matin. Il a signalé l'incident à la police qui a accepté le rapport médical mais qui n'a pas rédigé un premier rapport d'incident parce que M. Shahzada ne pouvait pas produire deux témoins oculaires de l'agression.

            -            En février 2001, le demandeur a voulu organiser une grande assemblée religieuse chez lui et plusieurs chiites ont été invités. Des circulaires ont été distribués, des invitations ont été lancées et M. Shahzada a commencé à recevoir des appels téléphoniques de membres du SSP qui menaçaient d'incendier sa maison et de tuer les membres de sa famille si l'assemblée avait lieu chez lui. Il a donc annulé la réunion.

            -            Le 17 novembre 2001, M. Shahzada a de nouveau été agressé par des gangsters du SSP. On lui a dit qu'il était un infidèle et que selon Dieu, tuer un chiite est un geste honorable. M. Shahzada a de nouveau été hospitalisé jusqu'au lendemain. Il a signalé ses blessures à la police qui a accepté le rapport médical et qui a consigné l'incident au registre. La police a refusé de rédiger un rapport de premier incident en disant que M Shahzada ne disposait d'aucun témoin et qu'elle ne voulait pas s'immiscer dans un conflit entre sectes.

            -            Le frère de M. Shahzada a été enlevé sous la menace d'une arme à feu en juin 2002 par des gangsters du SSP. Les gangsters ont dit au frère qu'il avait été enlevé à cause des activités de M. Shahzada au sein de la collectivité chiite. Le frère a été amené à une mosquée du SSP avoisinante, il a été torturé, humilié et plus tard abandonné, inconscient, sur une route à proximité de la mosquée. L'incident a été signalé à la police qui a dit qu'elle ne pouvait rien faire parce que le SSP avait assassiné plusieurs agents et qu'elle ne voulait pas avoir de démêlés avec eux.

            -            Au cours de la dernière semaine de juin 2002, des gangsters du SSP ont assailli le domicile de M. Shahzada en hurlant « longue vie au SSP » et « Shia Kafirs » (infidèles). Ils ont agressé M. Shahzada et les membres de sa famille et ont brisé certains articles ménagers. Avant de partir, les gangsters ont tiré des coups de feu en l'air et ils ont menacé M. Shahzada en lui disant que s'il poursuivait ses activités, les balles ne seraient plus tirées en l'air mais le viseraient personnellement. Ils ont également menacé de tuer M. Shahzada s'il signalait l'incident à la police.

            -            M. Shahzada s'est alors caché chez un ami. Après cet incident, alors qu'il se rendait en voiture à l'Imam Bargah local, des gangsters du SSP ont tiré sur lui. Après cette agression, le père de M. Shahzada a trouvé un agent qui sortirait son fils du Pakistan.

[3]                La SPR n'a tiré aucune conclusion en matière de crédibilité et semble avoir décidé que le témoignage de M. Shahzada était vrai. La SPR a conclu que la question déterminante était la protection de l'État. Toutefois, l'analyse par la Commission de cette question est fort succincte. Voici les motifs pour lesquels la Commission a rejeté la demande de M. Shahzada :

DÉCISION

       Je suis convaincu que l'État du Pakistan fait de sérieux efforts pour assurer à tous ses citoyens craignant d'être victimes de fanatiques religieux une protection qui, sans être parfaite, est adéquate. Je rejette la présente demande d'asile.

ANALYSE

Par le passé, lorsque le demandeur d'asile sollicitait l'aide des policiers, ceux-ci se contentaient de rédiger un rapport en raison de l'absence de témoins, et le chef de police refusait d'intervenir dans un différend entre sectes.

Après l'enlèvement de son frère, la police a réagi en disant que de nombreux policiers avaient été tués et qu'elle ne voulait pas se mêler de ces querelles.

Malgré tout, je suis convaincu que le gouvernement a beaucoup amélioré la situation des personnes qui craignaient auparavant d'être ciblées personnellement et qu'il assure maintenant une protection adéquate à des citoyens tels que le demandeur d'asile.

Protection de l'État

Aux fins de l'analyse des efforts déployés par l'État pour assurer une protection adéquate à ses citoyens, je renvois le lecteur à la décision TA2-20483, IXN (Re), [2004], SPR no 34, par. 9 à 33.

Observations du conseil

Le conseil a fait valoir qu'il existe une preuve objective selon laquelle la corruption de la police de l'État nuit à l'efficacité des forces policières et que l'omission de réagir aux actes de violence religieuse crée un sentiment d'impunité.

Les documents sur lesquels s'appuie mon analyse ne réfutent certes pas complètement les observations du conseil. Des chiites sont encore assassinés aujourd'hui. Toutefois, comme il a été observé, des arrestations ont lieu et des condamnations sont prononcées. Les terroristes optent maintenant pour les attentats suicides. Il est maintenant rare que la presse relate des cas de chiites ou de sunnites qui sont personnellement traqués et assassinés.

L'ensemble de ces éléments me convainc que, bien que la situation soit loin d'être parfaite, comme l'a souligné le conseil, les efforts du gouvernement portent fruit.

Après avoir examiné la preuve objective et les observations du conseil, je suis convaincu que le demandeur d'asile pourrait se réclamer d'une protection adéquate s'il devait retourner au Pakistan.

[4]                Malgré les observations judicieuses et convaincantes présentées par l'avocate du ministre, je conclus que les motifs susmentionnés sont problématiques et insuffisants pour les raisons suivantes.

[5]                Premièrement, à la face même du témoignage de M. Shahzada dont la véracité a apparemment été reconnue et compte tenu de la preuve documentaire qui étayait ce témoignage, la Commission devait, en droit, expliquer i) sur quelle preuve elle s'était fondée relativement à la protection de l'État, ii) pourquoi elle avait privilégié cette preuve au détriment de la preuve qui étayait la demande de M. Shahzada; iii) comment cette preuve appuyait la conclusion de la Commission selon laquelle le Pakistan pourrait protéger adéquatement M. Shahzada s'il devait retourner dans ce pays.

[6]                Deuxièmement, la Commission ne pouvait pas tout simplement s' « appuyer » sur une décision antérieure de la Commission lorsqu'elle a analysé la question de la protection de l'État. La loi permet à la SPR d'adopter la conclusion ou l'analyse d'un autre tribunal mais, comme je l'ai dit dans la décision Olah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 623, au paragraphe 25, la formation ne peut pas carrément incorporer des conclusions de fait tirées d'autres cas. Dans Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 440, au paragraphe 25, mon collègue, le juge O'Reilly, a dit qu'un tribunal ne peut s'appuyer sur les conclusions d'un autre tribunal que d'une manière « restreinte, réfléchie et justifiée » . Dans la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C. F. no 1755, j'ai conclu que la SPR peut adopter le raisonnement et les conclusions d'un autre tribunal relativement à des personnes qui se trouvent dans une situation semblable au Pakistan si elle est convaincue que les faits et les éléments de preuve concernant les conditions du pays sont suffisamment semblables aux faits et à la preuve dont dispose la SPR dans l'affaire qu'elle doit trancher.

[7]                En l'espèce, la SPR n'a effectué aucune telle analyse. L'avocate du ministre prétend que je devrais conclure que l'analyse a eu lieu puisque la décision sur laquelle s'est fondée la Commission, à savoir Re I.X.N., [2004] R.P.D.D. no 34, avait été tranchée par le même commissaire quelques mois seulement avant la présente affaire et qu'il s'était fondé sur des renseignements semblables au sujet des conditions qui existaient au pays.

[8]                Je ne suis pas disposée à tirer cette inférence pour deux raisons. Premièrement, dans le cas qui nous occupe, M. Shahzada a produit une importante preuve documentaire au sujet de la protection de l'État, y compris une lettre de son père (apparemment tenue pour crédible) selon laquelle le SSP recherchait toujours M. Shahzada. Il n'y a aucune indication que la SPR ait examiné cette preuve et aucune raison de conclure que le dossier documentaire sur les conditions qui existent au Pakistan, en sus des documents produits par M. Shahzada, étaient comparables à la preuve dont était saisie la SPR dans Re I.X.N., précité.

[9]                Deuxièmement, je ne puis conclure que M. Shahzada se trouvait dans une situation semblable à celle du demandeur dans Re I.X.N., précité, de manière à pouvoir appliquer l'analyse de la protection de l'État à la présente affaire. Dans Re I.X.N., la SPR a tiré une conclusion négative au sujet de la crédibilité du demandeur et elle a dit que la demande n'était fondée que sur deux incidents, l'un survenu en 1987 et l'autre en 1996. La SPR a reconnu que de simples citoyens étaient visés par des extrémistes religieux et étaient toujours assassinés au Pakistan, mais elle s'est fondée sur le fait que le demandeur n'avait pas, récemment, été gravement blessé. Ma collègue, la juge Layden-Stevenson, a écrit récemment dans Badilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 535, au paragraphe 35, une affaire dans laquelle la SPR s'était fondée sur la jurisprudence en matière de protection de l'État, que la jurisprudence peut avoir une certaine valeur ou utilité, mais que la SPR est toujours tenue de comparer les faits de la décision invoquée à l'appui à ceux de l'affaire dont elle est saisie. En l'espèce, la Commission ne l'a pas fait.

[10]            La SPR a commis une erreur de droit dans son analyse de la protection de l'État. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

[11]            Les avocats n'ont proposé aucune question aux fins de certification et je suis d'avis que le présent dossier ne soulève aucune telle question.

ORDONNANCE

[12]            LA COUR ORDONNE que :

1.          la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la SPR datée du 19 octobre 2004 soit annulée;

2.          l'affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvelle décision.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9448-04

INTITULÉ :                                        AMIR SHAHZADA

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 15 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 30 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                      POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann et associés                                           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.