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Date : 20051205

Dossier : T-2089-04

Référence : 2005 CF 1650

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

VIBE VENTURES LLC

et

3681441 CANADA INC.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Dans une ville canadienne, un jeune homme ou une jeune femme cherche une paire de jeans. Le magasin met en vitrine une telle paire portant l'étiquette suivante :

FABRIQUÉ POUR/MANUFACTURED FOR

[2]                Cette étiquette donne-t-elle à penser, en toute probabilité, que ce vêtement a été fabriqué par les éditeurs du magazine ou vendu par eux? Prenez note non seulement des quatre lettres, mais aussi des caractères d'imprimerie, qui sont épais ou gras sur l'étiquette aussi bien que dans le nom du magazine. Les trois premières lettres sont en majuscules, mais non le « e » qui, bien qu'il soit en bas de casse, a été élargi pour être de la même taille que les trois autres lettres. En outre, la branche droite du « V » est un peu italicisée, ainsi qu'à un angle plus éloigné de la verticale que la branche gauche.

[3]                Ce n'est que l'un des scénarios qu'évoque en nous cette demande, formulée par Vibe Ventures LLC, éditeur du magazine Vibe et propriétaire de la marque de commerce canadienne VIBE, en vue de faire radier le dessin-marque VIBEdéposé par la défenderesse (un grossiste et distributeur canadien de vêtements prêt à porter). Les caractères d'imprimerie du magazine Vibe n'ont pas été déposés en vertu de la Loi sur les marques de commerce; Vibe Ventures a enregistré uniquement le mot « VIBE » .

[4]                L'article 57 de la Loi autorise toute personne intéressée à demander qu'une inscription dans le registre des marques de commerce soit biffée ou modifiée si « l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque » . Vibe Ventures soutient que l'enregistrement est invalide parce que le dessin VIBE créait de la confusion avec sa marque de commerce VIBE ou avec ses caractères d'imprimerie Vibe aussi bien au moment où la défenderesse a produit sa demande d'enregistrement, en 1998, qu'à celui où la présente action a été intentée en 2004.

[5]                Il est nécessaire de déblayer le terrain et de mettre de l'ordre dans les questions avant de pouvoir prendre une décision. Vibe Ventures a-t-elle employé la marque de commerce VIBE avec ou sans caractères distinctifs au Canada, ou l'a-t-elle révélée au Canada, avant que la défenderesse produise sa demande? Quand Vibe Ventures a déposé une demande relative à la marque de commerce VIBE, s'agissait-il d'une production antérieure qui aurait dû empêcher la défenderesse de déposer une demande d'enregistrement pour le dessin VIBE? La marque de commerce est-elle distinctive? Les marques de commerce sont-elles employées en liaison avec des marchandises? Quels sont les commerces respectifs des deux parties? Le magazine Vibe et les vêtements de la défenderesse appartiennent-ils à la même « catégorie générale » ? Depuis combien de temps les marques de commerce sont-elles utilisées? Dans quelle mesure sont-elles devenues connues? Quel est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent? Qui a le fardeau de la preuve?

LES FAITS

[6]                La présente affaire a procédé par voie de demande plutôt que de procès; en conséquence, la preuve a revêtu la forme d'affidavits et de contre-interrogatoires sur ces sujets. La Cour n'a pas bénéficié d'un témoignage direct en audience publique.

[7]                Vibe Ventures a appelé un témoin, soit son président Kenard Gibbs, qui a subi un contre-interrogatoire. La défenderesse a appelé deux témoins : Charles Bitton, son secrétaire et l'un de ses administrateurs, a été contre-interrogé sous forme d'interrogatoires par écrit; et Mamon Moreau, une technicienne juridique dans le bureau d'avocats de la défenderesse, a porté à l'attention de la Cour différents dossiers publics provenant du Bureau des marques de commerce, de même que les résultats de sa recherche sur Internet montrant l'emploi du mot « Vibe » dans les marques de commerce, les noms d'entreprise et autres. Elle n'a pas été contre-interrogée.

[8]                Les faits essentiels peuvent être présentés selon le calendrier qui suit.

            CALENDRIER

[9]                1992 : Magazine américain à diffusion internationale, Vibe est fondé par le musicien-vedette Quincy Jones; il est publié depuis lors par Vibe Ventures LCC ou par ses prédécesseurs en titre, Time Publishing Ventures, Inc., Time Inc. et Vibe Venture (une société en nom collectif). M. Gibbs le décrit ainsi [traduction] : « magazine d'intérêt général qui traite de musique, de mode, de culture urbaine et de divertissement » . On peut se le procurer au Canada depuis sa parution : selon les chiffres remontant à 1996, sa circulation en kiosque au Canada est d'environ 60 000 exemplaires par an. Il est aussi possible de s'y abonner par la poste, mais aucun chiffre n'est fourni à cet égard. Dès le début, le magazine a largement affiché les caractères d'imprimerie Vibe. M. Gibbs prétend que Vibe Ventures détient un droit d'auteur sur ces caractères d'imprimerie, mais nous ne tiendrons pas compte de cette déclaration, en l'absence de preuve à l'appui.

[10]            19 octobre 1993 : Vibe est déposé à titre de marque de commerce aux États-Unis; comme le dossier n'en contient pas de copie, nous ignorons si les caractères d'imprimerie ont été déposés, ou seulement le mot.

[11]            3 janvier 1996 : Les prédécesseurs de Vibe Ventures produisent une demande d'enregistrement de VIBE à titre de marque de commerce canadienne.

[12]            28 janvier 1998 : La prédécesseure de la défenderesse, Request Jeans Ltd., fait une demande d'enregistrement du dessin VIBE.

[13]            10 avril 2000 : VIBE est déposé au Canada à titre de marque de commerce devant être employée en liaison avec « un magazine d'intérêt général » .

[14]            28 février 2001 : Le dessin VIBE est déposé au Canada en tant que marque de commerce employée en liaison avec les marchandises suivantes [traduction] : « vêtements pour hommes, femmes et enfants, nommément manteaux, vestes, pantalons, jeans, chandails, shorts, jupes, pulls d'entraînement, tee-shirts, débardeurs, chemisiers » .

[15]            23 novembre 2004 : Vibe Ventures produit la présente demande.

[16]            M. Gibbs a produit, avec sa preuve principale, des exemplaires de différentes couvertures du magazine Vibe au fil des ans, un numéro assez récent du magazine au complet et une description des types de publicité qu'on y trouve, qui consiste en quelque 30 % à 40 % d'articles de mode, le plus souvent des vêtements prêts à porter, y compris des jeans.

[17]            Le magazine Vibe ne vend pas sa propre gamme de vêtements. On y trouve des annonces de marques bien connues comme Perry Ellis, Calvin Klein, Louis Vuitton, Levi's et Baby Phat.

[18]            Bien que Vibe Ventures ne fabrique pas sa propre gamme de vêtements, les caractères du magazine Vibe figurent sur différents articles promotionnels et de marchandisage (tee-shirts, casquettes, pulls d'entraînement, sacs messagers, etc.) parfois offerts aux abonnés au moyen d'encarts ( « buck slips » ), ces morceaux de papier qui tombent des pages d'un magazine tandis qu'on le feuillette.

[19]            Le caractère d'imprimerie du magazine Vibe figure également sur son site Web et dans des émissions télévisées. Au moment de la production de sa demande, la défenderesse réalisait une émission télévisée intitulée Vibe, qui était diffusée au Canada par des canaux émanant de l'autre côté de la frontière aussi bien que par une station de Toronto locale. La câblodiffusion propose actuellement l'émission « Weekend Vibe » , de même que les prix musicaux Vibe.

[20]            La prédécesseure de la défenderesse, Request Jeans, a placé des annonces dans trois des numéros du magazine Vibe en 1997. Charles Bitton est (ou a été) un abonné.

[21]            En contre-interrogatoire, M. Gibbs a convenu que le magazine Vibe est la voix et l'âme de la culture musicale urbaine. On dit que la musique urbaine est le fruit de la créativité musicale afro-américaine; elle recouvre plusieurs genres, notamment le rhythm and blues, le hip-hop, le jazz, le gospel et le reggae. La culture urbaine désigne un style de vie créé par une musique urbaine qui intègre la mode, la langue, l'idéologie, la danse et les arts. [traduction] « Il s'agit donc du style de vie qui découle de la musique urbaine. »

[22]            Plus d'un million d'exemplaires sont imprimés tous les mois. Il existe uniquement une édition américaine offerte en deux versions, dont l'une, qui contient des annonces pour du tabac et de l'alcool, est destinée aux abonnés âgés de 21 ans ou plus. On peut se procurer ce magazine partout au monde.

[23]            Le magazine compte environ huit millions de lecteurs par mois. Selon des études menées aux États-Unis, quelque trois cinquièmes des lecteurs américains sont des Afro-Américains et plus d'un tiers sont caucasiques, terme qui recouvre aussi les Hispaniques. Trois-quarts des lecteurs américains sont âgés de moins de 24 ans.

[24]            Il n'y a pas de bureau de vente ou d'agent des ventes au Canada; il existe un bureau à Milan (Italie).

[25]            Le magazine Vibe est en vente à Montréal, où sont établis la défenderesse et M. Bitton.

[26]            De son côté, M. Bitton déclare que l'activité principale de la défenderesse est de détenir et d'administrer un portefeuille de différentes marques de commerce. À l'époque où Request Jeans a demandé l'enregistrement du dessin-marque VIBE, il en était un administrateur et le président. Request Jeans souhaitait créer une nouvelle gamme de vêtements destinée surtout aux jeunes; le son du mot lui a plu et il a demandé à un concepteur graphique de proposer différents caractères. C'est lui, en dernière analyse, qui a choisi le dessin VIBE. Il nie avoir été inspiré par le magazine Vibe; la similarité serait purement fortuite. Il déclare que le dessin VIBE n'est pas identique aux caractères du magazine Vibe, dont les lettres seraient plus arrondies. Cette distinction m'échappe : à mes yeux, le dessin VIBE et les caractères employés pour le mot Vibe dans le magazine sont identiques. En 2000, le dessin-marque VIBE a été cédé à Buffalo Inc., entreprise dont M. Bitton est également administrateur et secrétaire, et qui a monté un site Internet : www.vibejeans.com.

[27]            Bien que ce fait ne soit pas à la base de la demande de Vibe Ventures, celle-ci laisse entendre que le dessin VIBE a cessé d'être utilisé. M. Bitton convient que les ventes sont à la baisse, mais nie que le dessin ne soit plus utilisé. La Cour part de la prémisse que la marque de commerce est encore employée.

ANALYSE

[28]            La Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-10, traite des marques de commerce aussi bien déposées que non déposées, comme le rappelait récemment la Cour suprême dans Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., 2005 CSC 65, [2005] A.C.S. no 66 (QL). Dans cette affaire, Kirkbi détenait des brevets sur des jeux de construction LEGO; à l'expiration des brevets, Ritvick a commencé à fabriquer et à vendre ses Mega Bloks, qui peuvent être utilisés indistinctement avec les briques Lego. Kirkbi a intenté une action en commercialisation trompeuse, faisant valoir que sa « marque figurative LEGO » était une marque de commerce valide non déposée, et que les Mega Bloks créaient de la confusion sur le marché. La poursuite intentée par Kirkbi a été rejetée au motif qu'une marque qui ne se borne pas à distinguer les marchandises de son titulaire, mais se rapporte à la structure fonctionnelle des marchandises mêmes, outrepasse les limites légitimes d'une marque de commerce. Cette affaire prouve toutefois que la Loi accorde différents recours au propriétaire d'une marque de commerce valide et non déposée contre le détenteur d'une marque de commerce déposée. La présente affaire ne traite pas d'une action en commercialisation trompeuse ou de déclarations qui seraient désobligeantes, mais consiste à savoir s'il convient de conserver le dessin VIBE sur le registre tenu par le registraire des marques de commerce.

[29]            Nous devons garder à l'esprit non seulement la marque de commerce déposée VIBE de Vibe Ventures, mais aussi ses caractères d'imprimerie Vibe non déposés.

[30]            Comme nous l'avons déjà dit, l'article 57 de la Loi accorde à la Cour fédérale la compétence initiale exclusive pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée « parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque » . Si le registraire avait donné à Vibe Ventures avis de la demande de Request Jeans et si l'enregistrement du dessin VIBE avait été accepté, son recours aurait consisté à interjeter appel de la décision du registraire - un recours prescrit depuis longtemps par l'article 56. Toutefois, aucun avis de cette nature n'a été donné.

[31]            Le paragraphe 18(1) de la Loi prescrit que l'enregistrement d'une marque de commerce est invalide si celle-ci « n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement » , si elle n'était pas distinctive à l'époque où ont été entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement ou si elle a été abandonnée. Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, il n'existe aucune preuve d'un abandon.

[32]            À l'époque où Request Jeans a produit sa demande, le dessin VIBE était enregistrable parce qu'il ne contrevenait pas à l'article 12, c'est-à-dire qu'il ne créait pas de confusion avec une marque de commerce déposée. Vibe Ventures avait demandé l'enregistrement de Vibe, mais la demande était encore à l'étude. Toutefois, les paragraphes 16(3) et (4) précisent les personnes admises à l'enregistrement des marques de commerce. Request Jeans n'avait pas le droit de procéder à l'enregistrement si sa demande créait de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne, ou avec une marque de commerce à l'égard de laquelle une demande d'enregistrement avait été antérieurement produite et était pendante.

[33]            Une marque de commerce crée de la « confusion » au sens de l'article 2 si son utilisation engendre de la confusion de la façon décrite à l'article 6. Enfin, les paragraphes 6(1), 6(2) et 6(5) énoncent les situations susceptibles de créer de la confusion en l'espèce. Elles sont résumées au paragraphe [5] et annexées aux présents motifs.

[34]            La marque de commerce non enregistrée et le caractère du magazine Vibe sont employés au Canada depuis 1992. Sa demande d'enregistrement de marque de commerce était pendante en 1998, quand Request Jeans a produit sa demande pour le dessin Vibe. Sa marque de commerce déposée VIBE est employée au Canada depuis l'an 2000. Je ne détecte aucune différence notable dans son emploi et sa promotion du mot VIBE et du caractère d'imprimerie employé pour ce mot entre 1998 et 2004.

[35]            Le mot VIBE n'a pas de caractère distinctif inhérent. M. Gibbs - qui n'est nullement lexicologue professionnel - estime qu'il s'agit d'un mot inventé. Au Canada, le mot « vibe » est ainsi défini dans le Canadian Oxford Dictionary : « vibration, esp. in the sense of feelings or atmosphere communicated » (vibration, particulièrement dans la communication d'un sentiment ou d'un état). On peut l'utiliser dans différents contextes, comme la musique et le « style de vie » des jeunes. La défenderesse a prouvé que General Motors détient une marque de commerce canadienne, « Vibe » , employée en liaison avec son automobile Pontiac. Le mot a sans doute actuellement des connotations chez les jeunes Afro-Américains en milieu urbain - une culture que beaucoup de gens à Montréal, à Milan et ailleurs cherchent à imiter - mais le génie de la langue anglaise est tel qu'un mot peut avoir un sens différent à des époques différentes et en des lieux différents.

[36]            Si le mot « vibe » évoque sans le moindre doute une idée de jeunesse sur le plan de la musique, des vêtements et du style de vie, cette connotation ne relève pas obligatoirement de la culture urbaine et afro-américaine. D'aucuns se souviendront de « California Dreaming » et de la chanson Good Vibrations des Beach Boys :

« I, I love the colorful clothes she wears

And the way the sunlight plays upon her hair

I hear the sound of a gentle word

On the wind that lifts her perfume through the air

I'm picking' up good vibrations

She's giving me excitations

I'm picking' up good vibrations... »

[37]            J'estime néanmoins que le degré de ressemblance entre la marque de commerce VIBE et le dessin-marque VIBE dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent, ne crée pas de confusion. Quelle que soit l'évolution de la langue anglaise, le mot « Vibe » n'est pas unique au point de se rattacher exclusivement à une culture donnée, un groupe d'âge donné, à des marchandises en particulier comme des magazines, des vêtements ou des automobiles, ou à des services précis. À titre d'exemple, le nom semble avoir servi à désigner un salon de coiffure. Mais en l'espèce le dessin-marque VIBE est identique dans la présentation aux caractères de la marque de commerce non déposée du magazine Vibe, et c'est ce qui crée de la confusion sur le marché.

CONFUSION

[38]            Comme nous l'avons déjà indiqué, une marque de commerce crée de la confusion au sens de la Loi si son emploi engendre de la confusion de la façon, et dans les circonstances, décrites à l'article 6. Un arrêt fait jurisprudence en la matière : la décision du juge Cattanach dans Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1. On y lit notamment ce qui suit :

Lorsqu'il s'agit de dire si deux marques de commerce peuvent être confondues, il faut prendre en considération les personnes qui achèteront vraisemblablement les marchandises, c'est-à-dire les personnes qui forment habituellement le marché, à savoir les consommateurs. Il ne s'agit pas de l'acheteur impulsif, négligent ou distrait ni de la personne très instruite ni d'un expert. On cherche à savoir si une personne moyenne, d'intelligence ordinaire, agissant avec la prudence normale peut être trompée. Le registraire des marques de commerce ou le juge doit évaluer les attitudes et les réactions normales de telles personnes afin de mesurer la possibilité de confusion.

(p. 5)

(...)

Comme je l'ai déjà dit, il s'agit de décider en l'espèce s'il y a possibilité de confusion entre les marques « TOVARICH » et « TSAREVITCH » dans les circonstances énoncées à l'alinéa 6(5)e) de la Loi sur les marques de commerce, c'est-à-dire un degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son ou dans les idées qu'elles suggèrent, (appelé habituellement « ressemblance » ) et, de fait, pour qu'il puisse y avoir ressemblance entre deux marques, il faut qu'il y ait une différence, sans quoi les marques seraient totalement identiques. C'est l'effet créé dans l'esprit des utilisateurs ordinaires dans l'ensemble qui doit être pris en considération et, en règle générale, ces derniers se souviennent de l'image globale des marques et non des détails de celles-ci.

(p. 16)

[39]            Les utilisateurs ordinaires dans cette affaire étaient les consommateurs de vodka, et le juge Cattanach pouvait en outre s'appuyer sur un sondage d'opinion spécialisé. Je suis ici livré à mes propres moyens. J'observe que les marchandises des deux parties attirent une tranche d'âge jeune, aux goûts variables sur le plan de la mode, des vêtements, de la musique et du style de vie. La Cour doit observer la situation du point de vue d'une personne ordinaire et raisonnable, et essayer de déterminer si l'on risque de créer de la confusion parmi les utilisateurs cibles des marchandises respectives.

[40]            Comme le fait observer le juge Cattanach dans Canadian Schenley, précité, un degré de ressemblance suppose aussi un certain degré de différence, « sans quoi les marques seraient totalement identiques » . Je conclus que les caractères du magazine Vibe et le dessin VIBE sont identiques. Les produits visent la même clientèle jeune et créeraient vraisemblablement de la confusion au sens de l'article 6 de la Loi.

[41]            Bien que s'inscrivant dans le cadre d'une injonction interlocutoire, la décision du juge Teitelbaum dans Coca-Cola Ltd. c. Fisher Trading Co. (1988), 21 F.T.R. 6, [1988] A.C.F. no 510 (QL), m'est d'une grande aide. En attendant l'issue de l'action, la défenderesse s'est vu interdire de vendre ou de pratiquer quelque activité liée à des verres à boire vendus dans des boîtes portant le mot Cola identifié en scriptes identiques au dessin-marque déposé de Coca-Cola Ltée. Celle-ci a fait valoir que « lepublic, à la vue de l'emballage de la défenderesse, et notamment du type de scriptes et de la couleur apparaissant sur l'emballage, pourrait croire que les verres sont fabriqués par la demanderesse ou en vertu d'une licence accordée par celle-ci » (paragraphe 20).

[42]            Le juge Teitelbaum fait observer, au paragraphe 29 :

De plus, l'avocat de la demanderesse prétend que le simple usage du mot Cola dans le type de scriptes de la marque de commerce de la demanderesse pourrait porter les consommateurs à croire que c'est celui de la demanderesse ou qu'il a été autorisé en vertu d'une licence ou d'une permission de celle-ci.

[43]            L'affaire qui m'est soumise est une simple question d'enregistrement, qui n'a rien à voir avec l'achalandage ou les pratiques commerciales déloyales. Toutefois, la conclusion du juge Teitelbaum, aux paragraphes 32 et 33, est tout à fait pertinente en l'espèce :

Comme nous l'avons mentionné plus haut, l'avocat de la demanderesse admet que la marque de commerce intégrale en scriptes de Coca-Cola a un caractère distinctif et qu'elle est connue mondialement. Il ajoute que l'emploi du seul mot Cola a pour effet de réduire le risque de confusion.

Je ne puis souscrire à cette prétention. Même s'il est possible de réduire la possibilité ou la probabilité de confusion, celle-ci n'en demeure toutefois pas moins présente. Puisque la marque de commerce en scriptes est si bien connue et si réputée, j'estime que le consommateur qui voit un emballage sur lequel figure le mot Cola dans le type de scriptes connu mondialement de la demanderesse et contenant neuf verres à Cola ayant la forme des verres à Cola fournis par la demanderesse à ses embouteilleurs pendant des décennies et utilisés pour annoncer la boisson de la demanderesse, serait porté à croire que les verres sont fabriqués par la demanderesse, ou en vertu d'une licence ou d'une autorisation de celle-ci.

[44]            Je ne veux pas donner l'impression que j'estime que le caractère d'imprimerie employé pour le mot Vibe, repris dans le dessin VIBE, est notoire au point d'être connu du grand public au même titre que Coca-Cola, Pink Panther, Veuve Cliquot ou Barbie (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp. (C.A.), [1998] 3 C.F. 534, [1998] A.C.F. no 441 (QL); Veuve Clicquot Ponsardin, Maison fondée en 1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée, Mademoiselle Charmantes Inc. et 3017320 Canada Inc., [2004] C.S.C.R. no 324; Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. 2005 C.A.F. 13, (2005) 329 N.R. 259, (2005) 38 C.P.R. (4th) 214; les deux dernières affaires ayant été récemment plaidées devant la Cour suprême). Je note néanmoins que le dessin Vibe et les caractères d'imprimerie employés pour le mot Vibe sont connus par un nombre considérable de jeunes consommateurs.

[45]            Nous ne sommes pas en présence ici de deux marques qui sont semblables au point de créer de la confusion, mais bien de marques identiques. Comme l'explique le juge Deneault dans Molson Breweries c. Pernod Ricard, S.A. (1992) 56 F.T.R. 53, (1992) 44 C.P.R. (3d) 359, [1992] A.C.F. no 706 (QL), au paragraphe 34 :

Le critère de la confusion tient de la première impression. Les marques de commerce devraient être examinées dans l'optique du consommateur moyen qui a un souvenir non pas précis mais général de la marque précédente. En conséquence, les marques ne devraient pas être disséquées ni soumises à une analyse microscopique en vue d'apprécier leurs ressemblances et leurs différences. Au contraire, elles devraient être regardées globalement et évaluées selon leur effet sur l'ensemble des consommateurs moyens (Ultravite Laboratories Ltd. c. Whitehall Laboratories Ltd. (1965), 44 C.P.R. 189 aux pages 191-192, 53 D.L.R. (2d) 1, [1965] R.C.S. 734; Oshawa Group Ltd. c. Creative Resources Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 29, à la p. 35, 46 N.R. 426 sub nomine Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce (C.A.F.); Cantine Torresella S.r.l. c. Carbo (1987), 16 C.P.R. (3d) 137, à la p. 146; 14 C.I.P.R. 234 (C.F. 1re inst.).

Dans la présente affaire, c'est la défenderesse qui nous convie à procéder à un examen minutieux pour établir que les caractères employés pour le mot Vibe dans le magazine sont plus ronds que les siens. J'ai accepté cette invitation, mais je n'ai pas été convaincu.

Comme l'a déclaré la Cour d'appel dans Baylor University c. Governor & Co. of Adventures Trading into Hudson's Bay (2000) 8 C.P.R. 464, (2000) 257 N.R. 231, [2000] A.C.F. no984 (QL), la question de confusion suscitée par la vente de marchandises sous des marques de commerce concurrentes doit être réglée par référence à ceux qui sont le plus susceptibles d'acheter ces marchandises. Or le magazine et les vêtements de la défenderesse visent tous une clientèle plus jeune, désireuse de se conformer à un certain style de mode, de vêtements, de musique et d'expériences de vie.

[46]            Dans Pink Panther (précité), la Cour d'appel fédérale traitait d'une demande d'enregistrement de la marque de commerce « Pink Panther » , à laquelle faisait opposition la défenderesse, en vue d'un emploi projeté en liaison avec des produits capillaires et de beauté. La marque de commerce de la défenderesse, « The Pink Panther » , tirée des comédies mettant en vedette le feu grand comique Peter Sellers dans le rôle de l'inspecteur Clouseau, était déjà déposée en liaison avec le secteur du divertissement. La Cour a tranché (le juge McDonald étant dissident) qu'une confusion était peu probable, malgré la notoriété qui s'attachait à la marque de commerce « Pink Panther » , en raison des différences dans la nature des marchandises et des commerces des parties. Le juge Linden a déclaré, au nom de la majorité, au paragraphe 54 :

En outre, il faut accorder une certaine confiance au consommateur moyen, ce que n'a pas fait le juge de première instance. Certes, un produit employant le nom « Pink Panther » qui utiliserait simultanément une illustration d'un chat rose pourrait semer la confusion dans le public, mais on ne peut pas dire que l'emploi des mots seuls suscite une telle confusion. En fait, l'une des circonstances sur laquelle le juge de première instance aurait dû attirer l'attention est qu'une bonne partie de la notoriété que la présente Cour et la cour inférieure reconnaissent à la marque de l'intimée ne découle pas des mots « The Pink Panther » , mais de la musique et des images du dessin animé qui y sont associées. Dans le présent cas, seuls les mots sont employés. Il n'y a ni dessin ni musique qui l'accompagnent. Il est raisonnable de conclure que, pour la personne moyenne à qui l'on ne présente pas ces autres caractéristiques, la marque projetée de l'appelante ne créera aucune confusion quant à la source. (Non souligné dans l'original.)

[47]            Bien que j'en conclue que « Vibe » , contrairement à Pink Panther, n'est pas une marque de commerce notoire, il faut tenir compte ici du dessin identique qui l'accompagne. Devant le mot « Vibe » accompagné du dessin, l'acheteur moyen potentiel risque vraisemblablement de se méprendre sur l'origine des marchandises.

[48]            À mon avis, même si la Cour suprême parvient à une conclusion différente touchant aussi bien la possibilité d'appliquer des marques de commerce célèbres à d'autres marchandises et services que la considération qu'il convient d'accorder à des marques de commerce aussi célèbres que « Veuve Cliquot » et « Barbie » , nul ne peut utiliser des caractères d'imprimerie identiques pour cibler une clientèle donnée, même si les marchandises d'une partie sont vendues en kiosque et celles de l'autre partie en magasin.

[49]            En soi, le mot « vibe » ne suscite aucun problème; la source de la confusion consiste en l'emploi de caractères identiques pour des marchandises qui ciblent un marché particulier. Tous les jours, on voit déambuler le long des rues Ste-Catherine, Yonge, Robson et Rideau des consommateurs des marchandises des parties, lesquelles empruntent toutes sortes de formes et de couleurs.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION

[50]            Pour résumer :

a.                    Étant donné que le dessin-marque de la défenderesse était déposé, il incombe à la demanderesse de prouver la confusion, conformément à l'article 17 de la Loi. Celle-ci a toutefois produit suffisamment d'éléments de preuve pour s'acquitter de ce fardeau;

b.                   Vibe Ventures avait employé la marque de commerce VIBE et l'avait fait connaître au Canada avant que la défenderesse produise une demande d'enregistrement de son dessin-marque;

c.                    Vibe Ventures avait employé les caractères d'imprimerie pour le magazine Vibe au Canada, et les y avait fait connaître, avant que la défenderesse produise une demande d'enregistrement de son dessin-marque;

d.                   La demande de Vibe Ventures n'est pas assimilable à une production antérieure, qui aurait empêché la défenderesse de demander l'enregistrement du dessin VIBE. La confusion naît de la combinaison du mot et du caractère employé, et non du mot à lui seul;

e.                    La marque de commerce VIBE n'est pas distinctive au point d'empêcher la défenderesse d'employer le mot en liaison avec des vêtements, malgré toute ressemblance dans la présentation ou le son, ou dans les idées suggérés;

f.                     Les commerces respectifs des deux parties -magazine et vêtements - n'appartiennent pas à la même « catégorie générale » ;

g.                    Vu la clientèle ciblée, toutefois, le dessin VIBE crée de la confusion avec les caractères non déposés du magazine Vibe de Vibe Ventures LLC.

[51]            La demanderesse aura droit à ses dépens, en fonction du milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B.

ORDONNANCE

La demande est accueillie. Il est ordonné que la marque de commerce canadienne portant le no d'enregistrement LMC 541,721 correspondant au dessin VIBE soit radié et biffé du registre canadien des marques de commerce canadiennes, le tout avec dépens.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram, B.C.L., LL.B.


ANNEXE

Loi sur les marques de commerces, S.R., ch. T-10, art. 1.

Trade-marks Act, R.S., c. T-10, s. 1

6. (1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

...

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

S.R., ch. T-10, art. 6.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class...

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

© the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-markor trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

R.S., c. T-10, s. 6.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2089-04

INTITULÉ :                                        Vibe Ventures LLC c. 3681441 Canada Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 8 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                       LE 5 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Tony Bortolin

POUR LA DEMANDERESSE

François M. Grenier

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacBeth & Johnson

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Léger Robic Richard

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

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