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Date : 20040123

Dossier : T-1661-02

Référence : 2004 CF 101

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                              LA MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT

DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                                   et

                                                                     MONA NÉRON

                                                                                   

                                                                                                                                               Défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18(1) et de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7 de la décision d'un tribunal de révision constitué en vertu de l'article 28 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9 (la Loi). Le tribunal de révision (Tribunal) avait accueilli l'appel de la défenderesse à l'encontre d'une décision de la ministre du Développement des ressources humaines Canada (DRHC) qui avait notamment ordonné à la défenderesse de lui rembourser une somme de 9 909,57 $ pour un trop payé pour des allocations au conjoint alors qu'elle était en fait séparée de son époux.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 Les questions en litige sont les suivantes:

1.         Le Tribunal a-t-il erré en droit en concluant que la défenderesse n'était pas séparée de son époux?

2.         Le Tribunal a-t-il excédé sa compétence en ordonnant le versement d'intérêts sur les sommes déjà recouvrées si tel est le cas?

[3]                 Pour les motifs suivants, je réponds par l'affirmative à ces deux questions, et j'accueille donc la demande de contrôle judiciaire.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                 Le 2 octobre 1961, la défenderesse a épousé Marcel Pesant. Le 7 avril 1995, la demanderesse a reçu une demande d'allocation au conjoint payable en vertu de la Loi qui a été présentée par la défenderesse. En octobre 1998, la défenderesse et M. Pesant ont commencé à vivre séparément. Le 30 juillet 2001, la demanderesse a reçu un formulaire de M. Pesant sur lequel il indiquait qu'il était séparé de la défenderesse depuis le 1er octobre 2000.


Le 17 août 2001, la demanderesse a reçu un formulaire intitulé Déclaration solennelle - Séparation d'époux légaux dans lequel la défenderesse a déclaré vivre séparément de son époux depuis septembre 1998. Après avoir reçu ce formulaire, la demanderesse a envoyé une lettre datée du 17 septembre 2001 à la défenderesse pour l'aviser qu'elle n'était plus admissible à la prestation d'allocation au conjoint et ce, à compter d'octobre 1998. Une révision du compte de la défenderesse révélait qu'elle avait reçu un montant de 9 909,57 $ en trop pour la période d'octobre 1998 à décembre 2000. Par contre, un montant de 974,81 $ lui était dû pour la période de janvier 2001 à août 2001 car la défenderesse avait atteint l'âge de 65 ans le 15 décembre 2000. Un montant équivalent à 8 934,76 $ devait donc être remboursé à même la prestation mensuelle de la défenderesse à compter d'octobre 2001.

[5]                 Dans une lettre datée du 22 septembre 2001, la défenderesse a réitéré que le 19 septembre 1998, M. Pesant avait quitté le domicile conjugal. Dans cette même lettre, elle demandait la révision de son allocation.

[6]                 Le 23 novembre 2001, la demanderesse a reçu un questionnaire rempli par M. Pesant indiquant qu'il n'avait pas résidé sous le même toit que la défenderesse depuis septembre 1998. Il mentionnait ne pas se considérer volontairement séparé mais avoir quitté le domicile conjugal en raison de cruauté mentale. Il ajoutait qu'il ne pouvait avoir accès au domicile conjugal du fait que la défenderesse avait changé les serrures.

[7]                 Le 4 décembre 2001, la défenderesse a été avisée que son dossier avait été révisé et qu'il y avait effectivement un trop payé de 9 909,57 $ pour la période d'octobre 1998 à décembre 2001.


[8]                 Par une lettre datée du 17 septembre 2001, la défenderesse a interjeté appel de cette décision auprès d'un Tribunal. Le 3 juillet 2002, un Tribunal a été convoqué puis a rendu sa décision le 26 août 2002.

DÉCISION CONTESTÉE

[9]                 Dans ses motifs du 26 août 2002, le Tribunal a déterminé ce qui suit :

L'appel est donc accueilli et la décision du Ministère de réclamer à l'appelante un trop versé de l'ordre de 9 909,57 $ est annulée à toutes fins que de droit et l'appelante à (sic) droit à la pleine pension sans aucune retenue en regard du soi-disant plus payé et en conséquence, toute somme retenue en regard de la décision annulée doit être remboursée à l'appelante, si tel est le cas et le tribunal estime qu'il est juste et raisonnable que dans le présent cas toute somme qui pourrait être due à l'appelante lui soit remboursée avec intérêts.

[10]            Il en est arrivé à cette conclusion pour les raisons suivantes :

Le tribunal est d'opinion que la prétention de l'appelante à l'effet qu'elle n'était pas séparée de son époux, monsieur Marcel Pesant, doit être retenue tant en fait qu'en droit. En effet, l'article 17 du règlement sur la SV [...] qui fait référence à l'alinéa 19(1)(a) de la Loi sur la SV, édictait que l'on devait recourir à la loi de la province où les époux avaient résidé au moment de la séparation; hors au Québec le code civil édicte que le mariage est dissout par un jugement de divorce ou par la mort de l'un des conjoints. La séparation de fait n'a aucune incidence sur les obligations des époux; et encore une fois aucune procédure de séparation légale ne fut introduite par l'un ou l'autre des époux dans le présent cas. Dans l'opinion du tribunal, l'appelante et son époux n'ont jamais été séparés même si pendant un certain temps ils n'ont pas partagé le même toit [...] Le tribunal préfère retenir comme avérée l'affirmation de l'appelante qu'elle a mû des procédures de divorce en novembre ou décembre 2000 ce qui dans les faits est corroboré par le numéro des procédures de divorce qui indique que le dossier fut ouvert à la Cour supérieure en l'an 2000 [...] Donc dans l'opinion du tribunal, ce n'est qu'à cette date ultime que l'appelante et son époux, monsieur Marcel Pesant, ont commencé à être séparés au sens de la Loi sur la SV.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[11]            En vertu des alinéas 19(1)a) et b) de la Loi, une allocation est versée au conjoint d'un pensionné qui en fait la demande et qui remplit notamment les conditions suivantes : « il n'est pas séparé du pensionné » et « il a au moins soixante ans mais n'a pas encore soixante-cinq ans » (je souligne). En vertu du paragraphe 19(5) de la Loi, cette allocation cesse d'être versée lorsque le conjoint du pensionné « se sépare du pensionné » .

[12]            Les circonstances en vertu desquelles un conjoint est réputé séparé du pensionné pour l'application de l'alinéa 19(1)a) et du paragraphe 19(5) de la Loi sont prévues à l'article 17 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C. ch. 1246 (article abrogé le 30 novembre 2000) (Règlement) :

a)         le pensionné a quitté le conjoint selon la loi de la province dans laquelle le conjoint et le pensionné ont résidé ensemble pour la dernière fois;

b)         le conjoint a quitté le pensionné selon la loi de la province dans laquelle le conjoint et le pensionné ont résidé ensemble pour la dernière fois;

c)         le conjoint et le pensionné sont séparés et vivent séparément en raison de l'échec du mariage;

d)         le conjoint et le pensionné sont divorcés, et un jugement irrévocable de divorce ou un jugement accordant un divorce conformément à la Loi sur le divorce ou un jugement en nullité de mariage a été rendu.


ANALYSE

[13]            Puisqu'il s'agit ici d'une question d'interprétation législative, c'est-à-dire de l'interprétation de l'article 17 du Règlement, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte : le Tribunal doit arriver à la bonne décision, à défaut de quoi sa décision devra être annulée et l'affaire renvoyée pour être entendue par un autre Tribunal différemment constitué (Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Skoric, [2000] 3 C.F. 265 (C.A.); Dowe c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), 2001 CAF 284, [2001] A.C.F. no 1486 (C.A.F.) (QL)).

Erreurs de droit

[14]            Le Tribunal a erré en droit parce qu'il a conclu à la non-séparation de la défenderesse et de son conjoint sans s'interroger sur la possibilité que la situation énoncée à l'alinéa 17c) s'applique ici, donc en ignorant une situation prévue par le Règlement.


[15]            L'erreur de droit déterminante qu'a commise le Tribunal en l'espèce tourne autour du fait que ce dernier n'a pas analysé la situation énumérée à l'alinéa 17c) du Règlement qui stipule « le conjoint et le pensionné sont séparés et vivent séparément en raison de l'échec du mariage » . Le Tribunal aurait dû analyser les faits pour savoir si la défenderesse et M. Pesant étaient séparés et vivaient séparés en raison de l'échec de leur mariage. Pour ce qui est de la séparation, il est important de noter que l'alinéa 17c) ne réfère à aucune autre législation et qu'en conséquence, le mot « séparé » doit donc prendre son sens ordinaire, c'est-à-dire le fait de ne plus vivre ensemble. Il me semble clair que la défenderesse et son époux se sont séparés en septembre 1998. La défenderesse a elle-même indiqué dans sa Déclaration solennelle - Séparation d'époux légaux qu'à partir du mois de septembre 1998, son époux et elle ne vivaient plus ensemble. Elle a réitéré ses propos dans une lettre datée du 22 septembre 2001. Cette affirmation a été corroborée par un questionnaire rempli et signé par M. Pesant en novembre 2001. Enfin, à aucun moment de l'audition devant le Tribunal la demanderesse a-t-elle nié qu'elle vivait séparée de son époux depuis septembre 1998; elle n'a pas non plus nié n'avoir jamais repris la vie commune avec son époux depuis cette date. Même lors de l'audition devant cette Cour, la défenderesse a admis être séparée de fait de M. Pesant depuis septembre 1998. Il n'y a que dans sa Demande de renouvellement du supplément de revenu garanti ou d'allocation datée du 13 juillet 2001 que     M. Pesant a déclaré être séparé de la défenderesse depuis le 1er octobre 2000. Ceci peut s'expliquer par les documents au dossier indiquant l'engagement de la défenderesse de garder la paix (Promesse remise à un juge de paix ou à un juge, (3 novembre 2000), 540-01-013892-008, district judiciaire de Laval, Province de Québec).


[16]            En somme, il me semble que le Tribunal était en présence d'assez d'éléments factuels où la défenderesse ainsi que son époux avaient déclaré être séparés en septembre 1998 pour que cela constitue l'établissement d'une séparation de fait pendant la période pertinente en l'espèce, de sorte que le Tribunal avait au moins l'obligation de considérer et d'analyser à fond la situation prévue à l'alinéa 17c) du Règlement. La conclusion quant à l'échec du mariage a été établie selon moi par le questionnaire complété par M. Pesant et le Tribunal aurait dû en tenir compte.

[17]            Je considère donc qu'il existe ici une erreur de droit justifiant le renvoi de cette affaire devant un Tribunal différemment constitué.

[18]            Le Tribunal a également commis une erreur de droit en utilisant la date où la défenderesse a entrepris des procédures de divorce, soit vers le mois de novembre ou décembre 2000, comme date de séparation des époux. La date où quelqu'un entreprend des procédures de divorce n'est pas l'une des circonstances énumérées à l'article 17 du Règlement. L'alinéa 17d) stipule le jugement de divorce comme étant une circonstance permettant de conclure à la séparation réputée des époux, mais non l'amorce de démarches en vue d'un divorce éventuel.

Intérêts   

[19]            Je souscris à l'argumentation de la demanderesse aux paragraphes 41 à 48 de son mémoire contestant la conclusion suivante du Tribunal :

[...] toute somme qui pourrait être due à l'appelante lui soit remboursée avec intérêts.


[20]            Le Tribunal a excédé sa juridiction et a commis une autre erreur de droit. En effet selon la législation pertinente, il n'y a pas de disposition statutaire prévoyant le paiement d'intérêt. La jurisprudence confirme qu'il faut justement une disposition à cet effet ou une entente contractuelle ce qui n'est pas le cas ici (Canada c. Carroll, [1948] R.C.S. 126).

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour une nouvelle audition devant un Tribunal différemment constitué et que ce dernier devra prendre en considération les présents motifs.

                     « Michel Beaudry »                                                                                                                                       Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                                                               T-1661-02

INTITULÉ :                                                             LA MINISTRE DU

DÉVELOPPEMENT DES

RESSOURCES HUMAINES

c.

MONA NÉRON

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 10 décembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                             L'honorable juge Michel Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                            le 23 janvier 2004

COMPARUTIONS :

Nathalie Archambault                                                 POUR LA DEMANDERESSE      

Mona Néron                                                               POUR LA DÉFENDERESSE        

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                       

Sous-procureur général du Canada                           POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Mona Néron (pour son propre compte)                    POUR LA DÉFENDERESSE

Sainte-Dorothée (Québec)


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