Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050503

Dossier : IMM-4417-04

Référence : 2005 CF 617

Toronto (Ontario), le 3 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

KATALIN VARGA

demanderesse

                                                                                                                                                           

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Katalin Varga est une citoyenne hongroise âgée de 22 ans. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a reconnu qu'elle était Rom et lesbienne. La Commission a également reconnu comme crédible l'allégation selon laquelle, après que Mme Varga était venue joindre son amie au Canada, la famille de cette dernière l'avait contrainte à se livrer au commerce du sexe au Canada. La famille a depuis lors été expulsée en Hongrie et Mme Varga craint qu'elle la contraigne de nouveau à se livrer au commerce du sexe si elle est renvoyée en Hongrie.


[2]                La Commission a rejeté la demande d'asile au motif que Mme Varga n'avait pas fourni de preuve claire et convaincante qu'elle ne pourrait pas obtenir la protection de l'État si elle retournait en Hongrie. Mme Varga affirme que la Commission a commis une erreur en arrivant à cette conclusion, en ce sens que la Commission n'a pas examiné d'une façon adéquate la question de savoir si une protection étatique adéquate était de fait accordée à une personne se trouvant dans la même situation qu'elle.

Norme de contrôle

[3]                Dans cette demande, la question cruciale se rapporte au caractère adéquat de l'analyse effectuée par la Commission pour ce qui est de la protection étatique. Toutefois, il faut auparavant se demander quelle est la norme de contrôle qui s'applique.

[4]                Mme Varga affirme que la question de savoir si une protection étatique adéquate est accordée dans un cas donné est une question mixte de fait et de droit. Cela étant, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[5]                Le défendeur fait par contre valoir qu'il s'agit d'une question de fait, qui est donc susceptible d'examen selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.


[6]                Il n'est pas nécessaire de trancher ici cette question puisque je suis convaincue que la décision de la Commission peut résister à l'examen selon la norme plus rigoureuse du caractère raisonnable.

La Commission a-t-elle examiné d'une façon adéquate la question de la protection étatique?

[7]                Mme Varga soutient qu'elle ne devrait pas être obligée de s'exposer à un risque afin de chercher à obtenir une protection étatique inefficace. Sur ce point, elle se fonde sur l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, dans lequel la Cour suprême du Canada a fait remarquer que ce n'est que dans un cas où la protection étatique pourrait raisonnablement avoir été accordée que l'omission de l'intéressé de se réclamer de cette protection fera obstacle à sa demande.

[8]                Mme Varga affirme que dans ce cas-ci la Commission a mentionné à maintes reprises les efforts que les autorités hongroises faisaient pour protéger les divers groupes dont elle est membre : à savoir le groupe des lesbiennes, le groupe des Roms et le groupe des femmes contraintes à se livrer au commerce du sexe. Toutefois, selon Mme Varga, la Commission ne s'est pas demandée s'il y avait une volonté de la part de l'État d'accorder une telle protection, si l'État était capable d'accorder cette protection et si l'État disposait des ressources nécessaires pour assurer le succès de ces efforts.


[9]                Selon Mme Varga, cela constitue une erreur fatale, de sorte que la décision de la Commission devrait être annulée.

[10]            Il est en général présumé que l'État est en mesure de protéger ses citoyens, particulièrement lorsque, comme c'est ici le cas, une démocratie parlementaire y est établie.

[11]            Comme la Cour suprême l'a fait remarquer dans l'arrêt Ward, précité, l'intéressé qui veut démontrer que la protection étatique n'est pas accordée ne doit pas simplement se contenter de démontrer que la protection accordée par l'État n'est pas parfaite, c'est-à-dire que le fait qu'un gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger les gens qui se trouvent dans la même situation que le demandeur d'asile en cause ne suffit pas pour établir que la protection étatique n'est pas accordée à celui-ci dans son pays d'origine, et ce, parce qu'on ne saurait s'attendre à ce qu'un gouvernement garantisse en tout temps la sécurité de tous ses citoyens : Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.).

[12]            L'intéressé doit plutôt fournir une preuve claire et convaincante montrant que l'État ne sera pas en mesure de le protéger.


[13]            En l'espèce, la Commission a examiné la situation qui existait en Hongrie pour les Roms, ainsi que pour les gais et les lesbiennes. La Commission a noté que Mme Varga n'avait jamais demandé la protection de l'État pendant qu'elle vivait en Hongrie, mais elle a néanmoins conclu que Mme Varga aurait pu bénéficier de cette protection si elle l'avait demandée.

[14]            En outre, en reconnaissant que l'analyse du cas du réfugié est de nature prospective, la Commission a ensuite examiné l'aspect « sur place » de la demande de Mme Varga, c'est-à-dire qu'elle a tenu compte du risque qui se présentait une fois que Mme Varga était au Canada. Dans ce contexte, la Commission a tenu compte de la mesure dans laquelle Mme Varga pouvait s'attendre à obtenir la protection de l'État si l'on essayait de la contraindre à se livrer au commerce du sexe à son retour en Hongrie.

[15]            En examinant ce point, la Commission a également reconnu les motifs entremêlés en cause dans ce cas-ci, en tenant compte du fait que Mme Varga est à la fois Rom et lesbienne.

[16]            Sur ce point, la Commission a fait remarquer que le gouvernement hongrois déploie des efforts concertés pour protéger les Roms, et que ces efforts ont entraîné la prise de mesures concrètes. La Commission a fait remarquer que les skinheads qui s'étaient livrés à des agressions contre les Roms avaient fait l'objet de poursuites, qu'ils avaient été déclarés coupables et qu'ils avaient été emprisonnés. La Commission a en outre fait remarquer l'existence d'autres organismes parrainés par le gouvernement, comme le Bureau de l'Ombudsman (le Commissaire parlementaire des droits des minorités nationales et ethniques), qui est en place depuis 1995 et qui a pris des mesures efficaces en vue d'améliorer la situation des Roms en Hongrie.


[17]            Quant à la situation des gais et des lesbiennes en Hongrie, la Commission a fait remarquer que ceux-ci sont victimes de discrimination, mais qu'ils ne font pas face à des persécutions. À l'appui de cette conclusion, la Commission a noté qu'en Hongrie, l'homosexualité avait été décriminalisée en 1961 et que les unions de fait entre gais avaient été légalisées en 1996.

[18]            La Commission a également fait mention d'une entrevue avec Geza Juhasz, chef de l'organisation Habeas Corpus, qui aide les gais et les lesbiennes en Hongrie. M. Juhasz a déclaré qu'en Hongrie, les gais et les lesbiennes ne faisaient pas face à une situation dangereuse et que cela ne constituerait pas un motif de reconnaissance du statut de réfugié.

[19]            Enfin, la Commission a examiné la preuve documentaire se rapportant aux conditions qui existent en Hongrie, telles qu'elles s'appliquent aux femmes contraintes à se prostituer. Sur ce point, la Commission a fait remarquer qu'en Hongrie, le trafic des femmes constitue une infraction criminelle, une infraction punissable d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 15 ans.


[20]            Étant donné que Mme Varga a affirmé que la police, en Hongrie, ne l'aiderait pas parce qu'elle est corrompue et qu'elle est impliquée dans la mafia, la Commission a également abordé ces questions, en faisant remarquer qu'elle disposait de certains éléments de preuve au sujet de la corruption de la police, mais que d'autres éléments montraient que le gouvernement de la Hongrie faisait des efforts sérieux pour résoudre le problème. En particulier, la Commission a fait remarquer que les personnes qui soumettaient leur candidature pour joindre la Police nationale faisaient l'objet d'une vérification minutieuse, visant à permettre d'identifier les « facteurs de risque » et que 86 agents additionnels avaient été affectés au Bureau de la supervision et du contrôle.

[21]            La Commission a également fait remarquer qu'en l'an 2000, un comité parlementaire avait été créé pour enquêter sur la corruption de la police et qu'un certain nombre d'agents de police et de fonctionnaires haut placés du bureau du ministère de l'Intérieur avaient été obligés de démissionner et que certains d'entre eux avaient également été traînés devant les tribunaux.

[22]            La Commission a dit que la preuve documentaire mise à sa disposition établissait également que l'agent de police qui était accusé de corruption était immédiatement suspendu et que son cas était jugé plus sévèrement que s'il s'agissait d'un simple citoyen.


[23]            Quant à la question du crime organisé, la Commission a fait remarquer que la Hongrie a fait plus que tout autre pays de l'Europe centrale ou de l'Europe de l'Est pour combattre le crime organisé. Des mesures ont été mises en oeuvre, comme l'élaboration d'un programme de protection des témoins, afin de faciliter les poursuites contre les individus impliqués dans le crime organisé. En outre, le gouvernement de la Hongrie collabore avec le Federal Bureau of Investigation américain pour lutter contre les membres de bandes criminelles qui travaillent depuis la Hongrie.

[24]            Après avoir examiné toutes les mesures qui étaient prises contre le crime organisé en Hongrie, la Commission a reconnu que l'on n'était pas complètement venu à bout du problème de la corruption de la police et du crime organisé. La Commission a néanmoins conclu que la Hongrie fait des efforts sérieux pour résoudre ces problèmes. Dans ce contexte, la Commission a conclu qu'une protection étatique adéquate serait accordée à Mme Varga dans ce pays.

[25]            À mon avis, la Commission s'est penchée de la façon appropriée sur la question de la protection étatique. Elle a tenu compte des mesures que les autorités hongroises prenaient en vue de résoudre les problèmes auxquels faisaient face les Roms, les lesbiennes et les femmes contraintes à faire le commerce du sexe dans ce pays, et elle a également examiné l'efficacité de ces mesures.

[26]            Il importe également de noter que, bien que le dossier dans cette affaire soit volumineux, l'avocate de Mme Varga n'a pas fourni à la Cour de renseignements, en ce qui concerne la situation qui existait en Hongrie dans le cas des lesbiennes, des Roms et des femmes contraintes à faire, contre leur volonté, le commerce du sexe, que la Commission n'avait pas pris en considération. Je ne puis donc retenir l'argument de Mme Varga sur ce point.


Le rapport psychologique

[27]            Mme Varga affirme également que la Commission a commis une erreur en omettant d'expliquer d'une façon adéquate pourquoi elle accordait peu de poids à un rapport psychologique préparé par M. J. Pilowsky, qui avait conclu qu'elle est atteinte du syndrome de stress post-traumatique par suite des épreuves qu'elle a traversées. Selon M. Pilowsky, Mme Varga subirait un [TRADUCTION] « effondrement psychologique complet et serait de nouveau traumatisée » si elle était contrainte à retourner en Hongrie.

[28]            Dans ses motifs, la Commission a fait remarquer qu'elle avait examiné le rapport de M. Pilowsky, mais elle a dit qu'elle préférait accorder plus de poids à la preuve documentaire, en faisant remarquer que cette preuve provenait de diverses sources qui n'avaient aucun intérêt dans le résultat de l'affaire.

[29]            La question de savoir quelle importance il convient d'accorder à des éléments de preuve individuels relève de la Commission. En outre, en l'espèce, la question dont la Commission était saisie se rapportait au caractère adéquat de la protection que l'État offrirait à Mme Varga si elle devait retourner en Hongrie. Il est difficile de voir comment la preuve d'un psychologue exerçant sa profession à Toronto pourrait jeter la lumière sur ce point et, de fait, M. Pilowsky ne prétend pas le faire.


[30]            L'état psychologique de Mme Varga justifierait peut-être un examen favorable fondé sur d'autres dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais la Commission devait principalement se demander si la crainte que Mme Varga éprouvait d'être persécutée, en Hongrie, était objectivement fondée. Le rapport de M. Pilowsky n'était tout simplement pas pertinent à cette fin. Les arguments que Mme Varga a invoqués à cet égard sont donc dénués de fondement.

Conclusion

[31]            J'éprouve énormément de compassion pour Mme Varga. Elle a de toute évidence été traitée d'une façon effroyable dans ce pays. Il est fort malheureux qu'elle ne se soit pas adressée à la police du pays, qui aurait bien pu l'aider.

[32]            Toutefois, la compassion à elle seule ne constitue malheureusement pas un motif suffisant justifiant l'annulation de la décision de la Commission.

[33]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, les malencontreux faits de cette affaire pourraient bien donner lieu à une demande de réparation fondée sur d'autres dispositions de la LIPR, mais je ne suis pas convaincue que la Commission ait commis une erreur en concluant que Mme Varga allait bénéficier d'une protection étatique adéquate dans le cas où elle retournerait en Hongrie.


[34]            Par conséquent, je me vois obligée de rejeter la demande.

Conclusion

[35]            Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

Certification

[36]            Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé une question à certifier, et aucune question ne se pose en l'espèce.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.          qu'aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

              « A. Mactavish »                

           Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-4417-04

INTITULÉ:

KATALIN VARGA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :

LE 2 MAI 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

POUR LA DEMANDERESSE

Stephen H. Gold

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Niren et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.