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Date : 20030618

Dossier : T-890-02

Référence : 2003 CFPI 756

                                              ADMIRALTY ACTION IN PERSONAM

ENTRE :

                                                          VILHENA SHIPPING LTD.

                                                                                                                                                          Plaintiff

                                                                                 and

                                                                 AGRO-HALL LTD.

                                                                                   

                                                                                                                                                      Defendant

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

[1]                 Il s'agit en l'espèce d'une requête de la défenderesse (Agro) aux fins d'obtenir le rejet de l'action de la demanderesse (Vilhena) selon le paragraphe 221(1) des Règles de la Cour fédérale (1998)(les règles) ou, alternativement, la suspension de l'action de Vilhena selon le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. (1985), ch. F-7.


Les faits

[2]                 Le 27 juillet 2001, le navire Zodio, propriété de Vilhena et affrété par la corporation Afrocean, rompit ses amarres alors que l'on procédait à un chargement à son bord d'une cargaison de blé. Il ressort que des dommages tant au navire qu'à la cargaison furent alors encourus.

[3]                 La présente action contre Agro découle essentiellement des faits suivants.

[4]                 La principale activité commerciale de Agro est le commerce de denrées alimentaires, tout particulièrement de blé, qu'elle achète généralement au Canada de la Commission canadienne du blé (CCB) pour les revendre à l'étranger.

[5]                 Le 23 mai 2001, un contrat intervenait entre Agro et Société d'Études et de Réalisations Agro-industrielles ( « SERAIN » ), société ayant sa principale place d'affaires à Paris, France, en vertu duquel Agro vendait à SERAIN une quantité de 28 000 tonnes métriques plus ou moins 10% de blé provenant de la CCB.

[6]                 SERAIN a revendu la même cargaison à deux (2) acheteurs nigériens, soit Ideal Floor Mills Ltd. ( « Ideal » ) et Nigerian Eagle Floor Mills Ltd. ( « Eagle » ).

[7]                 Le transport de la cargaison de blé devait être effectué par le Zodio, affrété par Afrocean, pour être transportée de Churchill jusqu'au Nigéria pour être livrée aux acheteurs nigériens.

[8]                 Auparavant, soit le 3 juillet 2001, une charte-partie fut conclue entre la demanderesse et Afrocean concernant l'affrètement du Zodio.

[9]                 Le 10 septembre 2001, Vilhena poursuivait conjointement et solidairement devant le Tribunal de Commerce de Paris (le TCP) plusieurs défenderesses ayant des intérêts reliés à la cargaison de blé transportée par le Zodio soit SERAIN, Lerbret & Cie S.A., Agro, Ideal, Eagle, Agratrade S.A., Assuranceforeningen Skuld et Groupama Transport.

[10]            La principale cause d'action, tout au moins en ce qui a trait à Agro, est que cette dernière aurait manqué aux obligations décrites à la clause 1 de la charte-partie conclue le 3 juillet 2001 entre Vilhena et Afrocean.

[11]            Le 9 octobre 2001, une autre poursuite devant le TCP était intentée par Vilhena contre les parties déjà poursuivies dans la première poursuite. Vilhena y ajoutait cependant deux (2) défenderesses, soit Hudson et Omnitrax Port Authority. La même cause d'action était plaidée et les mêmes dommages y étaient réclamés contre toutes les défenderesses conjointement et solidairement.

[12]            Agro a déposé des conclusions et une demande reconventionnelle dans le cadre des deux (2) poursuites logées contre elle devant le TCP. Ces deux poursuites ont été depuis fondues en une seule action.

[13]            La présente poursuite fut signifiée le 11 juin 2002, soit deux (2) jours avant que Agro soit informée du dépôt par Vilhena devant le TCP d'un avis de désistement.

[14]            Suite à une requête semblable à celle à l'étude, le juge Pinard de cette Cour rendait le 20 septembre 2002 la décision suivante :

[1] Il s'agit ici d'une requête de la part du procureur de la partie défenderesse aux fins d'obtenir une ordonnance visant le rejet de l'action de la demanderesse selon la règle 221(1)(b), (c), (d), (e) et (f) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, ou, alternativement, la suspension de l'action de la demanderesse selon l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et adjugeant à la défenderesse les dépens sur la base avocat/client.

[2] Considérant les représentations écrites et verbales des procureurs des parties;

[3] Considérant les procédures et la preuve au dossier;

[4] Considérant qu'il y a véritable litispendance entre la présente action et le recours pris par la demanderesse devant le Tribunal de commerce de Paris;

[5] Considérant que ce dernier recours implique des parties additionnelles poursuivies conjointement et solidairement avec la défenderesse;

[6] Considérant la demande de désistement de ce dernier recours, en regard de la défenderesse seulement, faite par la demanderesse devant le Tribunal de commerce de Paris;

[7] Considérant le caractère apparemment litigieux de cette demande de désistement qui doit être considérée par ce dernier tribunal en novembre 2002;


[8] Considérant, tout en reconnaissant que la litispendance ne constitue pas toujours un obstacle à la poursuite d'une action devant cette cour, qu'il serait plus approprié, juste, équitable et pratique de considérer semblable requête en rejet d'action ou en sursis une fois le statut de la défenderesse devant le Tribunal de commerce de Paris clarifié et déterminé par le sort de la demande de désistement actuellement pendante;

[9]    Il est donc ordonné ce qui suit :

A.    La présente action est suspendue en attendant la disposition par le Tribunal de commerce de Paris de la demande de désistement, par la demanderesse, de son action contre la défenderesse;

B. La présente requête telle que présentée est autrement rejetée; et

C. Le droit de la défenderesse de présenter une nouvelle requête de même nature, devant cette cour, une fois le sort de la demande de désistement faite par la demanderesse devant le Tribunal de commerce de Paris déterminé ou réglé, est réservé.

[10] Le tout, frais à suivre.

[15]            Le TCP, par sa décision du 23 avril 2003, a débouté Vilhena de son désistement d'instance à l'encontre de Agro.

[16]            Quant à cette décision du 23 avril 2003, il ressort de la preuve déposée par chaque partie qu'à tout le moins cette décision est appelable dans le cadre du jugement qui sera rendu sur le fond en France.

[17]            Je ne retiens pas ici la proposition soumise en preuve par Vilhena à l'effet qu'en cas de vices graves tenant notamment à l'inobservation de principes fondamentaux de droit français, une décision telle celle du 23 avril 2003 serait susceptible d'un appel plus rapide par voie de l'appel nullité. C'est là à mon avis une allégation purement théorique soumise par Vilhena et rien dans la preuve soumise ne cherche à démontrer le moindrement que de tels vices pourraient ici être accolés à cette décision du 23 avril 2003.


Analyse

[18]            La réclamation de la demanderesse devant cette Cour est essentiellement fondée sur les mêmes motifs que la poursuite prise devant le TCP, c'est-à-dire le présumé manquement aux obligations contractuelles prévues à la charte-partie, tout particulièrement la clause 1 de la charte-partie qui se lit comme suit : « 1-2 safe berth(s) Churchill and there load 1/2 safe loading berths in charterers' option always afloat a full and complete cargo of bulk wheat one grade of minimum 28,000 m/t maximum 30,000 m/t exact quantity at owners' option » .

[19]            Ma propre analyse m'amène à conclure ici, à l'instar du juge Pinard, alors qu'il s'est penché sur la situation, qu'il y a clairement un cas de litispendance entre la présente action et celle entreprise par Vilhena devant le TCP.

[20]            Toutefois on ne saurait - pour l'instant - considérer la radiation de l'action de Vilhena puisque cette situation de litispendance pourrait disparaître si la demande de désistement de Vilhena est accueillie lors d'un appel, si appel il y a, sur le fond de l'affaire en France.


[21]            Néanmoins, il y a lieu à mon avis que la Cour intervienne ici et suspende les procédures dans la présente instance jusqu'à ce qu'un jugement final ait été rendu dans le cadre de la poursuite logée par Vilhena contre Agro devant le TCP, et ce, vu cet état de litispendance ainsi qu'en raison du fait, selon moi, que l'intérêt de la justice l'exige.

[22]            La poursuite logée devant le TCP par la demanderesse est plus vaste et inclut tout ce qui peut être plaidé, discuté ou décidé dans le cadre de la présente poursuite.

[23]            Le manquement, s'il en est, aux obligations prévues à la clause 1 de la charte-partie sera nécessairement décidé dans le cadre des procédures logées par Vilhena auprès du TCP.

[24]            Non seulement Vilhena a poursuivi Agro deux (2) fois en France pour les mêmes dommages et la même cause d'action mais elle a impliqué Agro dans une expertise judiciaire dont l'objet était justement la collecte de tous les faits et documents pertinents et l'émission d'un rapport pour notamment déterminer la cause de l'incident du 27 juillet 2001, plus spécifiquement la question de savoir si les quais de chargement ou le port de Churchill étaient sécuritaires.

[25]            Si la suspension des procédures n'était pas ici décrétée, Agro devrait probablement joindre comme co-défendeurs au Canada les autres intérêts cargaison et possiblement appeler Afrocean en garantie. Agro devrait vraisemblablement payer des frais d'experts et légaux additionnels.

[26]            Il y aurait de plus des risques de jugements contradictoires entre les deux ressorts. Cette éventualité m'apparaît existée même si selon Vilhena elle cherche à ne plus poursuivre son action en France. Vilhena a cherché à aller dans cette direction et cette possibilité lui fut refusée par la décision du TCP en date du 23 avril 2003.

[27]            Vilhena a bien voulu poursuivre Agro et plusieurs co-défenderesses conjointement et solidairement devant le TCP. Elle s'est donc soumise à la juridiction de ce tribunal et Agro en déposant des conclusions et une demande reconventionnelle a accepté la juridiction de ce tribunal.

[28]            C'est cette action en France, logée par Vilhena elle-même et antérieurement à la présente action, qui se doit de procéder et non l'inverse.

[29]            Selon les procédures logées devant le TCP par Vilhena, la présence de parties telles que Agro, SERAIN, Afrocean, Eagle et Ideal est nécessaire pour une solution complète du litige puisqu'elles y ont été poursuivies conjointement et solidairement.


[30]            Tel qu'indiqué par le procureur d'Agro, pour qu'il y ait solution complète du litige au Canada, si l'on se fie aux procédures intentées par Vilhena devant le TCP, des parties telles que Agro, SERAIN, Eagle, Ideal et Afrocean auraient aussi dû être poursuivies au Canada afin que le litige devant cette Cour soit susceptible d'une solution complète. Vilhena ne peut cependant se porter demanderesse au Canada contre SERAIN, Afrocean, Eagle et Ideal puisqu'en considération de la mainlevée des saisies sur le Zodio, elle s'est irrévocablement soumise à la juridiction du TCP et de la Chambre arbitrale maritime de Paris en autant que toutes disputes entre elle d'une part et Afrocean, SERAIN, Ideal et Eagle d'autre part sont concernées.

[31]            Les différents arrêts de jurisprudence soulevés par Vilhena où la suspension d'instance fut refusée impliquent des dynamiques qui sont différentes de celle qui nous occupe.

[32]            Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis ici que les alinéas 50(1)(a) et (b) de la Loi sur la Cour fédérale, supra, peuvent à bon droit être soulevés pour suspendre la présente instance jusqu'à ce qu'un jugement final ait été rendu dans le cadre de la poursuite logée par Vilhena contre Agro devant le TCP, le tout avec frais à suivre tel que le réclame sous ce scénario l'avis de requête d'Agro. Il en sera donc ordonné ainsi.

Richard Morneau                                     

protonotaire

Montréal (Québec)

Le 18 juin 2003


                                                                                                

                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030618

Dossier : T-890-02

                                                           ADMIRALTY ACTION IN PERSONAM

Entre :

                                                                       VILHENA SHIPPING LTD.

                                                                                                                                                                                   Plaintiff

                                                                                              and

                                                                              AGRO-HALL LTD.

                                                                                                

                                                                                                                                                                              Defendant

                                                                                                                                                                                       

                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                                                                                      


                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                

DOSSIER :                                                     T-890-02

INTITULÉ :                                                   

                                                                       VILHENA SHIPPING LTD.

                                                                                                                                                                                   Plaintiff

                                                                                              and

                                                                              AGRO-HALL LTD.

                                                                                                

                                                                                                                                                                              Defendant

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 9 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 juin 2003

COMPARUTIONS:

Me George J. Pollack                                                                               POUR LE DEMANDEUR


Me Richard Gaudreau                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Davies Ward Phillips & Vineberg                     POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Langlois Gaudreau O'Connor                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Québec (Québec)

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