Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : 20‑T‑27

Référence : 2020 CF 806

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 juillet 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

COB ROLLER FARMS LTD.

demanderesse

et

9027‑3636 QUÉBEC INC., faisant affaire sous le nom d’ÉCOCERT CANADA

défenderesse

ORDONNANCE CORRIGÉE ET MOTIFS

[1]  Dans le cadre de la présente requête, la demanderesse sollicite une prorogation du délai et l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. La requête a été tranchée sur la foi des observations écrites, en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales et du par. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

[2]  Pour les motifs qui suivent, il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation du délai. La demanderesse est autorisée à présenter une demande de contrôle judiciaire en l’espèce dans les 10 jours suivant la date de la présente ordonnance.

I.  Faits

[3]  La demanderesse Cob Roller Farms Ltd. (Cob Roller) exploite plusieurs entreprises agricoles en Ontario. La défenderesse 9027‑3636 QUÉBEC INC., faisant affaire sous le nom d’Écocert Canada (Écocert) est accréditée comme organisme de certification pour l’agriculture biologique et a ses bureaux au Québec.

[4]  L’avis de demande proposé se rapporte à la décision d’Écocert de révoquer la certification de produit biologique qu’elle avait accordée à Cob Roller.

[5]  Cob Roller a déposé la présente requête le 30 juin 2020, qui était appuyée par un affidavit indiquant sa version des faits importants. Écocert a déposé un dossier de requête en réplique qui comprenait un affidavit contenant substantiellement la même chronologie, avec des faits supplémentaires et son propre point de vue sur la situation.

[6]  J’exposerai la chronologie essentielle pour les besoins de la présente requête uniquement et sans tenter d’inclure toutes les nuances ou d’englober toutes les questions soulevées par les parties.

[7]  Avant 2019, Cob Roller était certifiée producteur biologique par une société américaine, qui a décidé d’interrompre ses activités de certification canadienne.

[8]  Cob Roller a présenté une demande de certification à Écocert Canada. Après une inspection et une vérification en août 2019, Écocert a délivré une certification de produit biologique à Cob Roller par voie d’une décision de certification datée du 7 octobre 2019.

[9]  Écocert a reçu une plainte à la fin novembre; après quoi, elle a effectué une inspection inopinée de Cob Roller le 11 décembre 2019. Dans le cadre de cette inspection, Écocert a trouvé certains domaines de non‑conformité à un manuel. L’affidavit déposé par la demanderesse indique que l’inspecteur a effectué l’inspection sans solliciter de commentaires auprès de Cob Roller et sans lui donner la possibilité d’être entendue.

[10]  Le 19 décembre, Écocert a envoyé à Cob Roller un document intitulé [traduction« Avis de motifs d’annulation ». Ce dernier renvoie à une [traduction« inspection aléatoire » effectuée le 11 décembre. L’avis indique que la certification de certains produits est [traduction« suspendue », puis précise ce qui suit :

[TRADUCTION]

Conformément au paragraphe 350(2) du RSAC, ÉCOCERT Canada vous a avisé par écrit des motifs de révocation et vous avez eu la possibilité de vous faire entendre à l’égard de la révocation.

Vous pouvez profiter de la possibilité de vous faire entendre dans les trente (30) jours suivant la date du présent avis.

Si nous n’avons pas de vos nouvelles d’ici le 19 janvier 2020, votre certification sera révoquée à cette date conformément au paragraphe 350(3) de la partie 13 du RSAC.

La mention « RSAC » renvoie au Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, DORS/2018‑108.

[11]  L’avis indiquait ensuite ce qui suit :

[traduction]

DANS LE CONTEXTE DE LA POSSIBILITÉ DE SE FAIRE ENTENDRE :

Vous pouvez vous prévaloir du processus d’appel dans les trente (30) jours suivant la date de l’avis vous informant de la décision.

[12]  L’avis comportait ensuite plusieurs pages de résultats d’évaluation sous plusieurs intitulés, dont l’un était [traduction« Non‑conformité déterminée » lié à des [traduction« Renseignements faux ou trompeurs ».

[13]  Les parties ne s’entendent pas sur la nature de l’avis en tant que [traduction« décision », ainsi que la question de savoir si l’avis a suspendu ou révoqué la certification biologique de Cob Roller.

[14]  Cob Roller a présenté une réponse le ou vers le 19 janvier 2020, réponse qu’Écocert aurait reçue le 23 janvier. Ce jour‑là, Écocert a avisé Cob Roller par lettre qu’elle avait reçu son [traduction« appel de l’avis de révocation » et que [traduction« l’appel serait examiné dans un délai de 15 jours. Le résultat de cet appel vous sera alors transmis ».

[15]  Dans une lettre datée du 5 février et intitulée [traduction« Résultat de la demande d’appel », Écocert a indiqué ce qui suit :

[traduction]

La présente a pour but de vous informer du résultat de votre demande d’appel visant la décision de certification. Au terme de son examen de votre dossier, ÉCOCERT CANADA a pris la décision suivante :

Votre appel est rejeté : la décision de certification initiale d’ÉCOCERT CANADA est maintenue. Le rejet est fondé sur les motifs suivants :

DÉCLARATION FAUSSE OU TROMPEUSE : […]

[En caractères gras dans l’original.] La lettre décrivait ensuite certaines déclarations fausses ou trompeuses alléguées. Après avoir indiqué certaines dispositions législatives, la lettre renvoyait à un [traduction] « avis de révocation » joint et indiquait ce qui suit : [traduction] « Toute plainte concernant la décision d’ÉCOCERT Canada peut être envoyée au CAEQ », ce dernier étant le Comité d’accréditation en évaluation de la qualité.

[16]  Le 11 février, Cob Roller a envoyé un courriel à Écocert pour lui transmettre des renseignements supplémentaires sur les déclarations supposément fausses ou trompeuses, lesquels s’ajoutaient à sa réponse fournie le ou vers le 19 janvier.

[17]  Le lendemain, Écocert a répondu que [traduction] « le processus de certification est clos, puisque l’appel a été rejeté » et que le contrat de certification a été résilié.

[18]  Selon l’affidavit déposé par la demanderesse, le même jour, le 12 février, Cob Roller a porté plainte auprès du CAEQ. Le CAEQ l’a rejetée dans une lettre datée du 9 avril 2020. Même si Cob Roller n’a pas déposé sa plainte dans son dossier de requête, la lettre du CAEQ datée du 9 avril renvoie à une plainte présentée le 12 février 2020.

[19]  Entre le 12 février et le 9 avril 2020, la Cour a commencé à rendre des Directives sur la procédure et ordonnances en raison de la pandémie de COVID‑19. Les ordonnances prévoyaient notamment la suspension de l’écoulement de tous les délais, y compris l’exigence de 30 jours prévue au par. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, à compter du 16 mars 2020. Le début de la pandémie a eu une incidence importante sur les parties, les avocats et les activités de la Cour fédérale. Je renverrai à la période durant laquelle l’écoulement des délais a été suspendu comme la « période de suspension », comme le faisaient les ordonnances de la Cour. La période de suspension pour l’Ontario et le Québec a pris fin le 29 juin 2020.

[20]  À la mi‑avril 2020, Cob Roller a retenu les services d’un avocat, qui a écrit à Écocert une lettre datée du 20 mai 2020 pour l’aviser que Cob Roller avait l’intention de demander le contrôle judiciaire à la Cour fédérale de la décision d’Écocert d’annuler la certification biologique. La lettre de l’avocat datée du 20 mai indiquait que le délai pour introduire la demande aurait expiré le 6 mars et demandait le consentement d’Écocert pour obtenir une prorogation ou, du moins, ne pas s’y opposer.

[21]  Après une lettre de suivi de l’avocat de Cob Roller datée du 28 mai, l’avocat d’Écocert a répondu au moyen d’une lettre datée du 1er juin 2020. Ce dernier a indiqué qu’Écocert n’admettait pas à ce moment‑ci que la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire, mais que si c’était le cas, elle refusait de consentir à la prorogation du délai et se réservait tous les droits.

[22]  Cob Roller a déposé la présente requête le 30 juin 2020. Écocert s’y est vigoureusement opposée dans un long affidavit détaillé et des observations écrites. Je renverrai à d’autres éléments de preuve et observations au besoin ci‑dessous.

II.  Le critère

[23]  En vertu du par. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours qui suivent la communication de la décision ou de l’ordonnance à la partie concernée, « ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder ».

[24]  Le délai pour présenter une demande commence à courir au moment où le demandeur prend connaissance de la décision définitive qu’il souhaite contester dans le cadre du contrôle judiciaire : Meeches c Assiniboine, 2017 CAF 123, au par. 40. Comme la décision du juge Scott dans l’arrêt Meeches l’indique, l’autorisation de déposer l’avis de demande est requise, sinon la demande sera prescrite (au par. 41). Voir aussi Première Nation de Key c Lavallée, 2019 CF 1467 (la juge Walker) et Save Halkett Bay Marine Park Society c Canada (Environnement), 2015 CF 302 (le juge en chef Crampton), décisions citées par la défenderesse.

[25]  Les prorogations de délai en vertu du par. 18.1(2) sont discrétionnaires et sont accordées lorsqu’elles sont dans l’intérêt de la justice. Lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est déposée par un ou plusieurs demandeurs, quatre questions orientent l’examen de la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : 

(1)  Le requérant a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

(2)  La demande a‑t‑elle un certain fondement?

(3)  Le défendeur a‑t‑il subi un préjudice en raison du délai?

(4)  Le requérant a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le délai?

Voir les motifs de jugement du juge Near dans Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212, au par. 5; et du juge Stratas dans Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199, au par. 42, et dans Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204, au par. 61.

[26]  L’importance de chacun de ces quatre facteurs dépend des circonstances de l’espèce. De plus, il n’est pas nécessaire de répondre aux quatre questions en faveur du requérant. La force d’un facteur peut compenser la faiblesse d’un autre. C’est l’intérêt de la justice qui prime : Larkman, au par. 63; Thompson, au par. 9.

[27]  Dans le cadre de la présente requête, les deux parties ont relevé les quatre facteurs et ont mis l’accent sur ceux‑ci dans leurs observations écrites.

III.  Application du critère

[28]  Les parties reconnaissent que le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire a expiré le 6 mars 2020, soit 30 jours après que la décision finale d’Écocert eut été communiquée, soit le 5 février. Elles reconnaissent aussi que 10 autres journées se sont écoulées avant la suspension de l’écoulement des délais prévue par les Directives sur la procédure et ordonnances de la Cour.

A.  Intention constante

[29]  Cob Roller soutient qu’elle a eu l’intention constante de contester l’annulation de sa certification biologique depuis la communication initiale de la décision. Si je comprends bien, Cob Roller est d’avis qu’Écocert a rendu une décision initiale en décembre et l’a communiquée le 19 décembre, et Cob Roller a produit ses documents en vue d’un « appel » le 19 janvier. Après la décision d’« appel » rendue par Écocert le 5 février, Cob Roller a continué de demander l’annulation, en envoyant d’autres explications par courriel à Écocert le 11 février (qui ont été rejetées, parce que le processus d’appel était terminé). Cob Roller a encore continué de demander l’annulation, en envoyant sa plainte au CAEQ le 12 février, laquelle a été rejetée le 9 avril. Elle a ensuite immédiatement embauché un avocat, qui a communiqué avec celui d’Écocert et déposé la présente requête.

[30]  Écocert répond que Cob Roller n’a divulgué son intention de demander le contrôle judiciaire que le 20 mai, bien après l’expiration du délai de 30 jours prévu par le par. 18.1(2). Elle soutient aussi que Cob Roller n’a pas fait preuve de diligence dans le cadre du processus de plainte devant le CAEQ, puisqu’elle a attendu un mois avant de fournir les renseignements au CAEQ, même s’il semble y avoir peu d’éléments qui justifient cette plainte au dossier (du moins pas dans les deux sources citées au paragraphe 134 des représentations écrites de la défenderesse). En tout état de cause, Écocert soutient que rien n’empêchait la demanderesse de présenter une demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours prévu par la loi.

[31]  À mon avis, la preuve dans la présente requête indique l’intention de Cob Roller de contester la révocation de la certification de toutes les façons possibles. Toute une série de mesures ont été prises pour contester la révocation de la certification, depuis l’« appel » déposé le ou vers le 19 janvier, en passant par le courriel du 11 février, sa plainte au CAEQ et son rejet, jusqu’à l’embauche d’un avocat et les instructions d’intenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour.

[32]  L’option de porter plainte auprès du CAEQ est venue d’Écocert elle‑même, dans sa lettre du 5 février. Elle figurait aussi dans l’avis du 19 décembre 2019 d’Écocert. Essentiellement, avant d’apprendre la décision du CAEQ le 9 avril 2020, Cob Roller croyait qu’elle prenait toutes les options d’appel disponibles, ainsi qu’elle les comprenait. Lorsque son avocat a par la suite soulevé la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour, Cob Roller a décidé de s’adresser à la Cour après avoir examiné ses options durant la fin de semaine.

[33]  Je reconnais que l’intention de Cob Roller pour la majeure partie de cette période était de contester la révocation de sa certification de toutes les manières qui lui semblaient possibles, plutôt que de le faire en particulier en demandant le contrôle judiciaire devant la Cour. Toutefois, à mon avis, l’intention d’épuiser les recours juridiques disponibles pour faire annuler la révocation suffit pour démontrer une intention constante en l’espèce. Voir APV Canada Inc. c Canada (Ministre du Revenu National), 2001 CFPI 737, au par. 13 (le juge Pelletier); Crowchild c Nation Tsuu T’ina, 2017 CF 861, au par. 19 (le juge Pentney). La preuve n’appuie pas l’observation d’Écocert selon laquelle les actions de Cob Roller démontrent le volonté d’explorer [traduction« d’autres options » que le contrôle judiciaire qu’elle [traduction« considérait comme préférable et plus prometteuse à l’époque ».

[34]  Ce premier facteur de l’approche en quatre étapes décrit par le juge Stratas favorise la prorogation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire.

[35]  J’examine certaines observations d’Écocert sur ce facteur dans la partie de ma décision traitant du quatrième facteur.

B.  La demande a un certain fondement

[36]  Le projet d’avis de demande proposé de Cob Roller et ses observations sur la présente requête portent sur l’équité procédurale. Pour la demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle sera celle de la décision correcte. La cour de révision a l’obligation de s’assurer que le processus était équitable sur le plan de la procédure : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, en particulier les par. 49 et 54. La question fondamentale est celle de savoir si la partie touchée connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, en particulier au par. 56; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 22.

[37]  Selon Cob Roller, la demande est susceptible d’être accueillie, parce que la procédure adoptée par Écocert comportait des lacunes et était inéquitable. Cob Roller soutient qu’Écocert n’a pas fait preuve de transparence à son endroit en ce qui concerne les critères qu’elle a appliqués et qu’elle les a appliqués de façon inégale, révoquant sa certification pour des motifs non pertinents ou pour de [traduction« simples formalités ». Elle nie que ses déclarations étaient fausses ou trompeuses et affirme que les éléments sur lesquels Écocert a fondé la révocation de la certification n’avaient rien à voir avec la production ou les opérations agricoles de cultures biologiques. Toujours selon Cob Roller, une fois qu’Écocert a rendu sa décision de révocation (renvoyant, selon moi, à l’avis daté du 19 décembre 2019), elle [traduction« n’allait en aucune façon accueillir un appel de la décision » et qu’elle a [traduction« agi injustement comme juge et partie ».

[38]  De son côté, Écocert soutient que sa procédure est juste et précise. Elle n’avait d’autre choix que de révoquer la certification aux termes des dispositions obligatoires de l’alinéa 350(1)b) et du par. 350(2) du RSAC, en raison de la violation de l’art. 15 de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada, LC 2012, c 24. En bref, l’art. 15 interdit à toute personne de faire une déclaration fausse ou trompeuse à une personne qui exerce des attributions sous le régime de la Loi, ou de lui fournir des renseignements faux ou trompeurs. L’affidavit déposé par Écocert fournissait une explication détaillée de l’importance de cette disposition qui s’appliquait aux déclarations fausses ou trompeuses faites par Cob Roller (affidavit, au par. 30).

[39]  L’affidavit en réponse d’Écocert dans le cadre de la présente requête soulevait deux nouveaux points : l’inspection inopinée du 11 décembre faisait suite à une plainte formulée à la fin novembre et, en 2017, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a avisé Écocert qu’un employé principal de Cob Roller, qui a participé à l’inspection et qui était le conjoint de la déposante de Cob Roller dans le cadre de la présente requête, avait un certificat de producteur biologique frauduleux daté de juillet 2016.

[40]  Dans ses observations en réplique, Cob Roller a soutenu que ces nouvelles révélations rendent encore plus probable le fait que la demande sera accueillie. Elle a soutenu qu’Écocert avait un motif inavoué pour révoquer la certification, et qu’elle n’avait pas divulgué la plainte ni le certificat supposément frauduleux. Selon elle, il n’y avait rien d’aléatoire dans l’inspection du 11 décembre, Cob Roller était ciblée et elle n’a jamais eu la possibilité d’aborder les points non divulgués. Elle soutient que le ton et le contenu de l’affidavit justificatif de la défenderesse démontrent qu’Écocert n’a pas agi de façon impartiale.

[41]  De plus, l’affidavit déposé par Écocert dans le cadre de la présente requête mettait l’accent sur la participation active de l’employé principal et conjoint de la déposante aux inspections annuelles et aléatoires d’Écocert et sur le fait qu’il avait répondu à la plupart des questions des vérifications.

[42]  Cob Roller insiste aussi sur la déclaration de la déposante selon laquelle [traduction« la seule possibilité d’appel d’une décision d’Écocert est une présentation directe à Écocert elle‑même ». Je note que cette phrase de l’affidavit fait aussi référence au droit de se faire entendre indiqué au par. 350(2) du RSAC. Ce point renvoie au désaccord entre les parties quant à l’effet de l’avis du 19 décembre 2019. L’affidavit déposé par Écocert indiquait aussi que [traduction« l’examen d’un appel déposé par une partie est analysé par un groupe de personnes tout à fait différent » d’Écocert et que ces personnes avaient une [traduction« obligation d’impartialité ». Ces appels avaient permis d’annuler la [traduction« décision initiale » dans 36 % des cas au cours des deux dernières années. Écocert a soutenu qu’en général, il est [traduction« fréquent que l’appel interjeté à l’égard de la décision d’un office soit entendu par l’office lui‑même ».

[43]  À mon avis, la demande proposée présente un certain fondement. Même si, en vertu du règlement, une violation de l’art. 15 de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada déclenche la prise de mesures obligatoires au titre de l’art. 350 du RSAC, toute conclusion d’une violation présumée doit être fondée sur un processus équitable, y compris le droit de se faire entendre en vertu du par. 350(2). La demanderesse a adopté une approche tous azimuts dans son projet d’avis de demande et dans ses observations sur la présente requête; cependant, elle fait essentiellement valoir que Cob Roller était ciblée, qu’une décision de révoquer la certification avait été prise en décembre 2019 sans divulgation suffisante et sans lui donner la possibilité de se faire entendre et que le processus d’« appel » interne qui s’est déroulé en janvier et février n’était pas un appel réel ou impartial, mais qu’il était injuste sur le plan procédural.

[44]  Dans ses réponses du 19 janvier 2020 à l’avis du 19 décembre 2019 d’Écocert et aux résultats d’évaluation ainsi que dans son courriel du 11 février, Cob Roller semblait confirmer qu’il y avait des erreurs dans certaines de ses déclarations antérieures, par exemple sur la taille de ses entreprises agricoles; toutefois, ces documents expliquent aussi les erreurs. J’ai examiné la preuve ainsi que les explications d’Écocert au paragraphe 30 de son affidavit sur la nécessité d’une mesure.

[45]  En concluant que la demande proposée respecte le seuil du certain fondement, je renvoie en particulier au contenu des lettres du 19 décembre, du 23 janvier et du 5 février envoyées par Écocert, à deux observations de Cob Roller, à l’allégation de non‑divulgation liée au certificat présumément frauduleux et au rôle actif joué par cet employé et époux dans les vérifications et les inspections et à la possibilité que Cob Roller n’ait pas eu la possibilité de se faire entendre en décembre. J’ai aussi pris note de la suggestion que la plainte datée de la fin novembre aurait dû être divulguée à Cob Roller, et il est raisonnable de croire qu’il y avait des arguments juridiques et factuels des deux côtés sur la question de savoir si cette divulgation était requise et à quel moment.

[46]  Je ne dirai rien de plus au sujet de ce volet du critère, sauf affirmer que les présents motifs n’ont pas pour but de limiter la portée des questions à plaider par l’une des parties et insister sur le fait que rien dans les présents motifs ne devait être interprété comme un commentaire sur la solidité de la position de l’une des parties à cette étape très embryonnaire ou sur l’issue potentielle.

C.  Le préjudice subi par la défenderesse

[47]  La défenderesse soutient que le délai lui cause un préjudice, car elle a fermé le dossier lorsque la période de 30 jours prévue au par. 18.1(2) a expiré. Écocert note aussi l’importance de la finalité du processus décisionnel, comme la Cour l’a indiqué dans les décisions Première Nation de Key et Save Halkett Bay, précitées.

[48]  Je fais remarquer que, selon la preuve, Écocert était d’avis dans sa correspondance avec Cob Roller le 12 février que son dossier était essentiellement déjà clos en raison de la fin de l’« appel », bien avant l’expiration de la période de 30 jours. De plus, elle a appris certains détails concernant la plainte au CAEQ après le 12 février, étant donné son allégation dans la présente requête selon laquelle Cob Roller a retardé d’un mois la transmission de renseignements à cet organisme. Ces faits diminuent la force de l’observation d’Écocert selon laquelle elle subirait un préjudice du retard de Cob Roller à présenter la demande en raison de la fermeture de son dossier.

[49]  Dans ces conditions, ce facteur est neutre.

D.  L’explication raisonnable justifiant le retard

[50]  Cob Roller affirme qu’elle a présenté ses documents seulement 10 jours en retard et que tout écoulement du temps après la suspension de l’écoulement du délai le 16 mars ne devrait pas être pris en compte. Elle soutient aussi que c’est la correspondance d’Écocert elle‑même qui l’a informée de son droit de se plaindre auprès du CAEQ.

[51]  Écocert soutient qu’aucun motif raisonnable n’explique le retard de Cob Roller et que Cob Roller aurait dû présenter ses actes de procédure au plus tard le 5 avril 2020, et ce, malgré la suspension du délai par l’ordonnance de la Cour causée par la pandémie. Elle soutient qu’en date du 4 avril, la Directive de la Cour sur la procédure et ordonnance permettait que les requêtes soient entendues en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales. De plus, Écocert soutient que le fait de ne pas être au courant de la possibilité de présenter une demande de contrôle judiciaire n’est pas une excuse pour attendre, selon ses calculs, environ 87 jours pour déposer la requête. En outre, Écocert affirme que la plainte déposée auprès du CAEQ ne saurait constituer une explication pour justifier le retard, puisque la plainte et la demande de contrôle judiciaire auraient pu être traitées simultanément.

[52]  La Directive sur la procédure et ordonnance datée du 4 avril 2020 autorisait la présentation de requêtes par écrit, mais uniquement sur consentement des deux parties. Il existe de nombreux impondérables sur ce qui aurait pu arriver au début de la pandémie de COVID‑19, en l’espèce, moins de trois semaines après le début de la période de suspension. On ne peut savoir avec certitude si Cob Roller et son avocat étaient en mesure de préparer la présente requête et de demander le consentement pour la déposer à cette époque ou si Écocert et son avocat auraient pu être en mesure d’y répondre ou de donner leur consentement à sa présentation, étant donné que tout le monde composait avec les répercussions de la pandémie à ses débuts. Nous ne savons pas non plus si la pandémie a eu un effet sur le moment auquel a été prise la décision du CAEQ communiquée le 9 avril 2020.

[53]  Je conviens avec la défenderesse que la demande de contrôle judiciaire proposée aurait pu en théorie être introduite pendant qu’une plainte devant le CAEQ était en instance. De plus, pour les besoins du par. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la Directive sur la procédure et ordonnance de la Cour ne prolongeait pas la suspension de l’écoulement du délai lorsque la date limite était déjà expirée.

[54]  Toutefois, j’hésite à accorder un poids important aux arguments portant sur ce que les parties ou leur avocat en l’espèce auraient pu ou dû faire pendant la période de suspension, et en particulier sur la question de savoir si la demanderesse aurait dû déposer la présente requête le 5 avril 2020 ou tout de suite après. Il y avait une période de 10 jours après l’expiration du délai de 30 jours prévu au par. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, entre le 6 et le 16 mars, au cours de laquelle les activités de la Cour étaient considérablement limitées. Bien entendu, les parties et leur avocat ont aussi ressenti l’incidence de la pandémie sur leur vie personnelle et sur leurs activités professionnelles et commerciales. Le but de la période de suspension est énoncé dans la directive sur la procédure du 4 avril 2020 de la Cour ainsi : « [l]e but est de figer dans le temps les choses là où elles en étaient au moment où la période de suspension a pris effet, comme si l’interruption n’était jamais survenue ». Même si cette intention énoncée à ce moment dans la Directive sur la procédure semble concerner des délais non expirés, à mon avis, la même considération a un poids important en ce qui concerne les arguments sur ce qui aurait pu ou aurait dû être fait par les parties durant la période de suspension, en particulier au début de celle‑ci.

[55]  Étant donné les enjeux soulevés par la certification de Cob Roller, la défenderesse fait observer à juste titre que le manque de connaissance par la demanderesse au sujet de la demande qu’elle pouvait présenter à la Cour n’est pas une excuse pour son retard. Toutefois, comme je l’ai noté, les propres communications de la défenderesse du 19 décembre 2019 du 5 février 2020 avisaient Cob Roller de la possibilité de déposer une plainte auprès du CAEQ, ce qui, croyait la demanderesse, entraînerait l’annulation de la décision de révocation rendue par Écocert. Le CAEQ a envoyé sa décision le 9 avril 2020.

[56]  L’avocat de Cob Roller a soutenu que la demanderesse avait une croyance honnête, mais erronée, attribuable à Écocert, qu’elle devait présenter une plainte au CAEQ afin d’épuiser ses recours administratifs avant de présenter une demande de contrôle judiciaire. Ce n’est pas tout à fait exact, puisque Cob Roller ne savait pas qu’elle avait l’option du contrôle judiciaire lorsqu’elle a porté plainte auprès du CAEQ le 12 février. Toutefois, cette observation ne saurait sous‑tendre une explication raisonnable pour justifier le retard à déposer sa demande de contrôle judiciaire.

[57]  La demanderesse a eu besoin d’un certain temps avant de présenter la requête après avoir retenu les services d’un avocat. Ce délai s’est déroulé en majeure partie durant la deuxième partie de la période de suspension. L’avocat de la demanderesse a donné certaines explications et a assumé une partie de la responsabilité pour le retard à déposer la requête après que ses services eurent été retenus, et j’en ai tenu compte, tout comme du contenu de la correspondance entre les avocats, décrite ci‑dessus.

[58]  Bien qu’il existe un intérêt général pour le caractère définitif et exécutoire des décisions, à mon avis, il y avait une explication raisonnable au retard de la demanderesse, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[59]  Ce facteur milite en faveur de l’octroi des mesures réclamées par la requête.

IV.  Conclusion et décision

[60]  Je me penche de nouveau sur la question générale : Est‑il dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai demandée et de permettre l’introduction de la demande de contrôle judiciaire?

[61]  Après examen des quatre facteurs au regard de la preuve et des observations produites dans le contexte de la présente requête, je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder à la demanderesse l’autorisation de présenter une demande contrôle judiciaire en l’espèce. J’accorderais la prorogation du délai en vertu du par. 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales afin de lui permettre de le faire.

[62]  La demanderesse n’a pas demandé de délai précis après l’ordonnance de la Cour dans lequel déposer sa demande, mais elle a indiqué dans ses observations initiales qu’elle était prête à le faire. Je comprends que rien n’empêche le dépôt de la demande au greffe. La demanderesse aura dix (10) jours pour la produire. Je suis disponible si ce délai présente des difficultés.




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.