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Date : 20020403

Dossier : T-1009-00

Référence neutre : 2002 CFPI 371

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

NINTENDO OF AMERICA INC. et

NINTENDO OF CANADA LTD.

demanderesses

- et -

M. UNTEL et MME UNETELLE et LES AUTRES PERSONNES

DONT LE NOM EST INCONNU, QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT,

IMPORTENT, FABRIQUENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES POKÉMON NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES PERSONNES DONT LE NOM FIGURE

À L'ANNEXE « A » DE LA DÉCLARATION

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Cette requête, qui vise à contrôler l'application d'une ordonnance Anton Piller, constitue une variation unique sur un thème peu familier.


[2]                 Le 20 mai 2001, l'avocat des demanderesses ainsi que trois enquêteurs privés et un agent du service de police de Toronto se sont rendus au Metro East Trade Centre afin d'y exécuter des ordonnances Anton Piller en faveur d'un certain nombre de plaignants et à l'encontre d'un certain nombre de personnes qui étaient, ou semblaient être, en train de vendre des marchandises contrefaites. Quand ils sont arrivés sur les lieux, l'un des deux occupants a accepté de s'identifier, soit Mme Alice Au. Son compagnon a refusé de s'identifier. Une carte d'affaires au nom de A. Au Company Kids and Gift Shop a été remise. D'autres recherches au sujet de l'entreprise ont révélé l'existence d'une société appelée A. Au Company Limited.

[3]                 Le rapport de l'avocat, intégré par renvoi à ses affidavits, énonce que deux ordonnances Anton Piller, deux avis de requête et deux déclarations ont été signifiés à la femme, un document de chaque catégorie concernant les demanderesses en l'espèce. Au début, l'homme a refusé de remettre les marchandises qui ont été identifiées comme étant contrefaites. En réponse aux explications qu'il a reçues, il a accepté de les remettre après 17 h ce jour-là. Mais, plus tard, il a refusé d'obtempérer et a demandé à l'agent de police présent de dire aux représentants des demanderesses de se tenir à l'extérieur du magasin. L'avocat des demanderesses a alors pris, de l'extérieur des locaux de l'entreprise, des photos de certaines ou de toutes les marchandises à vendre, photos qui sont devant la Cour sous forme digitale. Se trouve également devant la Cour, un affidavit de l'avocat énonçant pourquoi, à son avis, les marchandises en question sont contrefaites. Les représentants des demanderesses sont partis sans saisir aucune des marchandises.


[4]                 La requête devant la Cour cherche à obtenir les redressements suivants :

a) un contrôle de l'exécution de l'ordonnance Anton Piller et son maintien;

           b) une ordonnance ajoutant le ou les défendeurs à qui ont été signifiés cet avis de requête, l'ordonnance Anton Piller et la déclaration;

           c) une ordonnance énonçant que la signification de la déclaration émise par les demanderesses en l'espèce à l'égard de tout défendeur est réputée entrer en vigueur à la date de ladite signification;

           d) une ordonnance faisant de l'ordonnance Anton Piller provisoire ex parte une ordonnance interlocutoire à l'égard des défendeurs auxquels a été signifiée l'ordonnance Anton Piller;

           e) au cas où l'ordonnance provisoire ex parte serait expirée au moment de l'audience de la requête, la signification d'une ordonnance en vue d'une injonction interlocutoire contre le(s) défendeur(s) avec l'avis de requête, l'ordonnance Anton Piller et la déclaration en l'espèce;

f) tout autre redressement accessoire.

[5]                 Les demanderesses procèdent de la façon suivante. La déclaration émise en l'espèce ne nomme pas de défendeur individuellement mais est plutôt faite au nom de M. Untel et Mme Unetelle, qui sont des personnes inconnues censées avoir enfreint la marque de commerce ou le droit d'auteur des demanderesses. Il ne suffit pas de signifier une telle déclaration à un individu pour en faire un défendeur; il faut une ordonnance pour ajouter nommément un défendeur à l'action.


[6]                 L'ordonnance Anton Piller, qui est signifiée en même temps que la déclaration, exige que la personne à qui elle est signifiée consente aux fouilles des locaux de l'entreprise en question afin de retrouver la marchandise contrefaite et qu'elle remette celle-ci, quand elle est découverte, à la personne qui signifie l'ordonnance. Un inventaire des marchandises retirées est laissé à la personne qui fait l'objet de l'ordonnance. L'ordonnance n'autorise ni perquisition ni saisie sans le consentement de l'individu qui fait l'objet de la signification. Quand l'individu ne donne pas son consentement, comme c'est le cas en l'espèce, le représentant du demandeur est incapable de perquisitionner, de saisir et d'enlever des marchandises en vertu de l'ordonnance. L'ordonnance contient aussi des dispositions injonctives interdisant aux personnes faisant l'objet de la signification de faire le commerce de marchandises contrefaites ou de commercialiser de façon trompeuse les marchandises du demandeur. Les dispositions injonctives deviennent effectives à partir de la signification et sont valides pendant 14 jours. L'ordonnance exige aussi que son exécution puisse être contrôlée par la Cour dans les 14 jours de la signification.

[7]                 L'avis de requête qui est signifié en même temps que les deux autres documents requiert la Cour de contrôler l'exécution de l'ordonnance Anton Piller, d'ajouter les personnes qui ont fait l'objet de la signification comme défendeurs à l'action, et de maintenir l'injonction provisoire comme injonction interlocutoire jusqu'au procès. Si les événements se déroulent comme l'ont envisagé le demandeur et ses agents, cela entraînera le retrait des marchandises contrefaites de la circulation pendant le procès, les personnes faisant l'objet de la signification deviendront défenderesses à l'action et l'injonction interlocutoire empêchera les défendeurs actuels de faire le commerce de marchandises contrefaites.


[8]                 Cette requête soulève la question de savoir ce qui se passe lorsque les choses ne se déroulent pas selon le plan. En l'espèce, un individu a fait l'objet d'une signification mais n'a pas donné son consentement à la perquisition, à la saisie ou au retrait des marchandises. Par conséquent, les représentants des demanderesses en l'espèce ne peuvent prendre que des photographies digitales des prétendues marchandises contrefaites. L'individu qui a fait l'objet de la signification ne s'est pas présenté au retour de l'avis de requête. Pour des raisons qui ne sont pas claires d'après la documentation dont je dispose, le juge des requêtes n'a pas signé d'ordonnance de contrôle. L'affaire semble avoir été oubliée, si bien qu'aujourd'hui on me demande de signer l'ordonnance qui se trouvait devant le juge des requêtes.

[9]                 Le premier point à souligner est que les demanderesses cherchent à être mises dans la même situation que si l'ordonnance avait été exécutée, plutôt que de se lancer dans un procès pour outrage. Dans la mesure où les demanderesses peuvent s'acquitter du fardeau de la preuve qui pèse sur elles, il n'y a rien de fâcheux à cela. La question est de savoir si elles peuvent s'acquitter du fardeau de la preuve.

[10]            En ce qui concerne la question d'ajouter des personnes qui ont fait l'objet d'une signification comme défenderesses, les demanderesses pourraient à tout moment ajouter des personnes sans avoir à prouver qu'elles ont enfreint leurs droits de propriété intellectuelle. Une preuve de transgression sera nécessaire pour obtenir jugement, mais l'allégation de transgression est suffisante pour appuyer une requête afin d'ajouter une partie comme défenderesse.


[11]            En l'espèce, il semble que la seule personne qui ait fait l'objet d'une signification soit Mme A. Au. Le rapport de l'avocat dit que cette signification a été remise en personne à Mme Au. Il poursuit en disant qu'elle contrôlait les locaux de l'entreprise et qu'elle offrait des marchandises pour la vente. Ayant ignoré totalement l'existence de la société avant la signification de la déclaration, il sera difficile pour les demanderesses de prétendre que leur avocat avait l'intention de signifier cette déclaration à la société, dont il ignorait l'existence au moment de la signification. Je conclus donc que Mme Au a reçu cette signification à titre personnel. Une ordonnance sera rendue pour ajouter Alice Au comme défenderesse à l'action.

[12]            L'avis de requête cherche à obtenir une ordonnance validant la signification remise à Mme Au à la date la signification. Cela aurait pour conséquence de placer Mme Au en défaut de défense avant même qu'elle ne soit ajoutée comme défenderesse. Ce qui n'est pas un résultat très logique. Par conséquent, Mme Au sera ajoutée comme défenderesse à l'action à compter de la date de la présente ordonnance et aura 30 jours à compter de la date de la signification de cette ordonnance pour déposer sa défense.   


[13]            Le point suivant concerne l'octroi d'une injonction interlocutoire à l'encontre de Mme Au pour l'empêcher de faire le commerce de produits contrefaisant les produits résultant de la propriété intellectuelle des demanderesses. Le critère pour obtenir une telle injonction interlocutoire est bien connu. Le demandeur doit faire la preuve d'une question grave, d'un préjudice irréparable que ne pourront compenser des dommages si l'injonction n'est pas accordée, et la prépondérance des inconvénients doit être en faveur du demandeur. Voir RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Savoir s'il existe ou non une question grave à juger est une question de droit et de fait. La demanderesse doit faire la preuve de faits qui peuvent étayer sa position en droit. Les possibilités sont relativement faibles.


[14]            Avant d'analyser si les demanderesses ont droit à une mesure injonctive, il faudrait tout d'abord examiner si celle-ci pourrait être accordée ex parte. Techniquement, elle ne le pourrait pas car Mme Au a reçu la signification en mai 2001 et ne s'est pas présentée pour la requête en révision. Sur le plan pratique, une ordonnance rendue dans ces circonstances pourrait sembler à la défenderesse avoir été rendue ex parte compte tenu du délai qui s'est écoulé entre la signification de la requête et l'émission de l'ordonnance. Les demanderesses ne peuvent invoquer le délai car la requête, qui était au dossier, portait elle-même la date de retour. Par ailleurs, lorsqu'un défendeur a exploité une entreprise à partir de locaux fixes dans un établissement commercial et lorsque les marchandises restent sous la garde de ce défendeur, il me semble souhaitable d'aviser celui-ci de la mesure d'injonction. À tout le moins, le fait d'avoir l'avis de requête devrait accroître la vraisemblance de conformité à une ordonnance que la Cour aurait pu rendre. On procède habituellement ex parte quand il y a possibilité de destruction des preuves. En l'espèce, la preuve est déjà devant la Cour et il n'y a donc pas de risque de destruction. Il n'existe donc pas de raison impérieuse de ne pas aviser la défenderesse de la mesure d'injonction. Par conséquent, la partie de la requête portant sur la mesure injonctive interlocutoire est rejetée, mais avec autorisation de présenter une nouvelle demande pour le même redressement après en avoir avisé la défenderesse.

[15]            Comme il n'y a pas eu exécution de l'ordonnance Anton Piller, il n'est pas nécessaire de la contrôler.

[16]            Il en résulte qu'une ordonnance sera rendue pour ajouter Alice Au comme défenderesse à l'action et pour rejeter la demande d'injonction interlocutoire, mais avec autorisation de présenter une nouvelle demande après en avoir avisé la défenderesse Au.

ORDONNANCE

Pour les motifs indiqués ci-dessus, la Cour ordonne que :

1. Alice Au soit ajoutée comme défenderesse à la présente action à compter de la date de la présente ordonnance.

2. Mme Au aura 30 jours à compter de la date de la signification de la présente ordonnance pour signifier et déposer sa défense.


3. La demande d'injonction interlocutoire est rejetée, mais avec autorisation de présenter une autre demande après en avoir avisé la défenderesse. Toute autre requête peut être faite sur la base des affidavits déjà déposés conjointement à tout affidavit supplémentaire que les demanderesses pourraient souhaiter déposer.

        « J.D. Denis Pelletier »         

Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-1009-00

INTITULÉ :                                        NINTENDO OF AMERICA INC. ET AL.

c. MADAME UNETELLE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 4 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE PELLETIER

(Audience antérieure le 4 juin 2001 devant le juge Muldoon)

DATE :                                                   3 avril 2002

COMPARUTIONS :

M. Lorne Lipkus                                                  POUR LES DEMANDERESSES

Mme Georgia Danzig

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Kestenberg Siegal Lipkus                                    POUR LES DEMANDERESSES/

Toronto (Ontario)                                                 REQUÉRANTES

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