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Date : 20040914

Dossier : T-393-98

Référence : 2004 CF 1240

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2004

En présence de monsieur le juge SHORE                            

ENTRE :

                                                             A. LASSONDE INC.

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

                                                                             et

                                                     SUN PAC FOODS LIMITED

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

VUE D'ENSEMBLE

[1]                De quelle quantité de renseignements une partie doit-elle disposer pour établir sa preuve avant que ses demandes ne se transforment en mesure dilatoire, ou en intrusion injustifiée, reposant uniquement sur une recherche à l'aveuglette?


Après qu'un nombre impressionnant de décisions eurent été rendues pour faire avancer le dossier, dans l'avalanche de documents produits, une ordonnance se distingue des autres simplement à cause d'une possible inadvertance qui a toutefois assez d'importance, en raison de ce que doit savoir une partie pour établir sa preuve, pour qu'il soit nécessaire de l'annuler; ce serait toutefois faire preuve de négligence que de ne pas reconnaître en particulier le travail de gestion judiciaire réfléchi, minutieux et approfondi qui a permis de débattre comme il se doit les questions en litige, faisant ainsi disparaître de nombreux obstacles.

PROCÉDURES JUDICIAIRES

[2]                La requête vise à obtenir une ordonnance :

a)                   accueillant l'appel interjeté par Sun Pac d'une ordonnance datée du 1er juin 2004;

b)                   autorisant Sun Pac à poursuivre ses interrogatoires préalables de la demanderesse A. Lassonde Inc. (Lassonde) sur les documents que cette dernière a produits du 21 mars 2000 au 23 avril 2004 ainsi que sur les autres documents qu'elle peut produire, le cas échéant;

c)                   suspendant la prise d'autres mesures dans le cadre de la présente espèce jusqu'à la fin des interrogatoires préalables de Sun Pac, y compris les mesures ultérieures qui peuvent s'avérer indispensables à cause de la tenue des interrogatoires préalables;

d)                   accordant les dépens à Sun Pac;

e)                   accordant toute autre réparation que la Cour estime appropriée.


CONTEXTE

[1]                Les principales procédures engagées dans la présente action sont les suivantes :

1.         Le 9 mars 1998, la demanderesse A. Lassonde Inc. (Lassonde) a intenté la présente action alléguant, notamment, la contrefaçon d'une marque de commerce et la commercialisation trompeuse.

Déclaration datée du 9 mars 1998 (affidavit de Kathrine Harris fait sous serment le 10 juin 2004 (affidavit de Harris), pièce « A » )

2.                   Le 20 avril 1998, Sun Pac a déposé sa défense et demande reconventionnelle. Elle allègue notamment dans sa demande reconventionnelle que la marque de commerce en cause est invalide.

Défense et demande reconventionnelle du 20 avril 1998 (affidavit de Harris, pièce « B » )

3.                   Le 12 mai 1998, Lassonde a présenté une requête visant à faire radier certains paragraphes de la défense ou, subsidiairement, visant à obtenir des précisions. Cette requête a été entendue le 8 juin 1998. L'ordonnance du 19 juin 1998 a fait droit en grande partie à la requête de Sun Pac.

Ordonnance du 19 juin 1998 (affidavit de Harris, pièce « C » )


4.                   Aux environs du 29 juin 1998, Lassonde a interjeté appel de l'ordonnance susmentionnée. Une ordonnance datée du 9 septembre 1998 a rejeté l'appel de Lassonde et a accordé à Sun Pac un délai de 30 jours à compter de la date de son prononcé pour modifier sa défense et demande reconventionnelle.

Ordonnance du 9 septembre 1998 (affidavit de Harris, pièce « D » )

5.                   Le 29 septembre 1998, Sun Pac a déposé sa défense et demande reconventionnelle modifiée.

Défense et demande reconventionnelle modifiée du 29 septembre 1998 (affidavit de Harris, pièce « E » )

6.                   Le 16 octobre 1998, Lassonde a déposé sa réponse et défense à la demande reconventionnelle.

Réponse et défense à la demande reconventionnelle en date du 16 octobre 1998 (affidavit de Harris, pièce « F » )

7.                   Le 26 octobre 1998, Sun Pac a déposé sa réponse ainsi que sa réponse à la défense à la demande reconventionnelle.

Réponse et réponse à la défense à la demande reconventionnelle datée du 26 octobre 1998 (affidavit de Harris, pièce « G » )

8.                   Le 6 mai 1999, Mme Lisanne Oneschuk a été interrogée au préalable au nom de Sun Pac.

Affidavit de Harris, par. 9


9.                   Le 12 mai 1999, M. Jean Gattuso a été interrogé au préalable au nom de Lassonde. L'avocate de Sun Pac a ajourné l'interrogatoire préalable sous réserve de la production des documents que Lassonde s'était engagée à produire. L'interrogatoire préalable de M. Jean Gattuso s'est poursuivi le 9 novembre 1999. La défenderesse s'est réservée le droit de poursuivre son interrogatoire et de poser d'autres questions sur le dossier; il n'en demeure pas moins que la défenderesse n'a effectué aucun interrogatoire préalable sur les documents produits par la suite par la demanderesse jusqu'en avril 2004.

Extrait de la transcription de l'interrogatoire préalable de Jean Gattuso en date du 12 mai 1999 (affidavit de Harris, pièce « H » et par. 11)

10.               Le 3 novembre 1999, Lassonde a déposé une requête visant à obtenir des réponses aux questions refusées lors de l'interrogatoire préalable de Mme Oneschuk. Par voie d'une ordonnance datée du 4 novembre 1999, cette requête a été ajournée sine die sous réserve du dépôt par Lassonde des documents visés par la requête modifiée afin de respecter les règles régissant les requêtes pour refus.

Ordonnance du 4 novembre 1999 (affidavit de Harris, pièce « I » )

11.               Le 29 novembre 1999, Lassonde a produit les documents visés par la requête modifiée. Cette requête a été entendue le 14 février 2000. Elle a été accueillie en partie par une ordonnance datée du 22 février 2000. Cette ordonnance précisait aussi que Sun Pac devait fournir des réponses aux engagements qu'elle avait pris le 31 mars 2000.

Ordonnance du 22 février 2000 (affidavit de Harris, pièce « J » )


12.               Dans l'intervalle, soit le 21 février 2000, l'avocate de Sun Pac a écrit à l'avocat de Lassonde pour demander son consentement à un projet d'ordonnance de non-divulgation, comme il en avait été question lors des interrogatoires préalables. Le 21 mars 2000, l'avocat de Lassonde a informé l'avocate de Sun Pac qu'il ne donnerait pas son consentement à l'ordonnance de non-divulgation.

Lettres de l'avocat de Sun Pac à l'avocate de Lassonde les 21 février et 23 mars 2000 (affidavit de Harris, pièce « K » )

13.               Dans l'intervalle, soit le 28 février 2000, Lassonde a déposé une déclaration modifiée qui contenait des allégations reposant sur des discussions confidentielles en vue d'un règlement.

Déclaration modifiée en date du 28 février 2000 (affidavit de Harris, pièce « L » )

14.               Le 6 avril 2000, Lassonde a déposé une requête ex parte pour outrage au tribunal pour le motif que Sun Pac n'avait pas donné de réponses aux engagements comme elle s'y était engagée le 31 mars 2000, la date limite précisée dans l'ordonnance du 22 février 2000. La requête ex parte de Lassonde a été rejetée par une ordonnance datée du 12 avril 2000.

Ordonnance du 12 avril 2000 (affidavit de Harris, pièce « M » )

15.               Le 18 avril 2000, Lassonde a interjeté appel de l'ordonnance susmentionnée. L'appel de Lassonde a été rejeté par l'ordonnance datée du 5 juin 2000.

Ordonnance du 5 juin 2000 (affidavit de Harris, pièce « N » )


16.               Le 30 novembre 2000, Sun Pac a présenté une requête visant à obtenir des réponses aux questions refusées lors de l'interrogatoire préalable de M. Gattuso. Cette requête a été entendue le 22 février 2001. En vertu d'une ordonnance datée du 24 avril 2001, des réponses ont été exigées à certaines des questions. (Par conséquent, d'autres interrogatoires préalables ont été envisagés.)

Ordonnance du 24 avril 2001 (affidavit de Harris, pièce « O » )

17.               Dans l'intervalle, soit le 11 décembre 2000, une ordonnance de non-divulgation a été rendue à la suite d'une requête écrite présentée par la défenderesse qui a été incapable d'obtenir le consentement de la demanderesse.

Ordonnance du 11 décembre 2000 (affidavit de Harris, pièce « P » )

18.               Le 4 octobre 2001, Sun Pac a présenté une requête visant à obtenir la radiation des parties de la déclaration modifiée présentée par Lassonde le 28 février 2000 dans laquelle il était question de discussions confidentielles en vue d'un règlement. Cette requête a été entendue le 12 décembre 2001 en même temps qu'une requête présentée par Lassonde pour déposer sa déclaration modifiée. En vertu d'une ordonnance datée du 16 janvier 2002, les paragraphes contestés de la déclaration modifiée ont été radiés et la requête en amendement présentée par Lassonde a été rejetée. On trouve ce qui suit au paragraphe 23 de l'ordonnance :


La décision disposant de cette requête stipulera la prochaine étape à compléter dans le dossier, vraisemblablement une requête de la défenderesse qui visera à forcer « Lassonde to provide answers to undertakings and answers to the questions ordered to be answered in the April 24, 2001 Reasons for Order and Order »

Ordonnance du 16 janvier 2002 (affidavit de Harris, pièce « Q » )

19.               Dans l'intervalle, soit le 27 novembre 2001, Lassonde a déposé une requête pour obliger Sun Pac à donner des réponses aux engagements et aux questions refusées. Cette requête a été ajournée par suite d'une directive en date du 30 novembre 2001. La mise au rôle de la requête a finalement été réglée dans l'ordonnance du 16 janvier 2002 qui a accordé à Lassonde un délai de 30 jours à compter de la date du prononcé de l'ordonnance pour inscrire sa requête sur la liste générale. Comme c'est indiqué ci-dessous, l'exécution de l'ordonnance a été suspendue lorsqu'un appel a été interjeté. Une décision a finalement été rendue sur l'appel le 2 avril 2003, ce qui signifiait que Lassonde avait jusqu'au 2 mai 2003 pour représenter sa requête. Elle ne l'a pas fait et elle était empêchée de le faire par l'ordonnance du 15 octobre 2003.

Directive du 30 novembre 2001 (affidavit de Harris, pièce « R » )

Ordonnance du 16 janvier 2002 (affidavit de Harris, pièces « Q » et « V » )

20.               Le 25 janvier 2002, Lassonde a interjeté appel par voie de requête de l'ordonnance du 16 janvier 2002 et a également demandé un sursis à l'exécution de l'ordonnance. Le sursis a été accordé par une ordonnance datée du 4 février 2002.

Ordonnance du 4 février 2002 (affidavit de Harris, pièce « S » )


21.               Le 1er février 2002, Lassonde a présenté une requête visant à obtenir la tenue d'une conférence de règlement des litiges. Cette requête a été présentée par écrit. Une ordonnance datée du 4 avril 2002 a ordonné la tenue d'une séance de médiation le 17 juillet 2002 ainsi que la suspension de la procédure jusqu'à la fin de la séance de médiation.

Ordonnance du 4 avril 2002 (affidavit de Harris, pièce « T » )

22.               Le 17 juillet 2002, une séance de médiation a eu lieu entre les parties et leurs avocats. Elles n'ont pu en arriver à un règlement.

Affidavit de Harris, par. 24

23.               L'appel interjeté par Lassonde de l'ordonnance du 16 janvier 2002 susmentionnée a été entendu le 6 mars 2003. Cet appel a été rejeté par une ordonnance datée du 2 avril 2003.

Ordonnance du 2 avril 2003 (affidavit de Harris, pièce « U » )


24.               Le 19 novembre 2003, Sun Pac a présenté une requête visant à obtenir des réponses aux engagements. Cette requête a été entendue le 26 janvier 2004. Elle a été accueillie en partie dans une ordonnance datée du 10 mars 2004. Cette ordonnance prévoyait notamment que Lassonde devait communiquer des documents en réponse à certains engagements dans les 30 jours suivant la date de l'ordonnance, c'est-à-dire au plus tard le 13 avril 2004 (compte tenu des jours non ouvrables).

Ordonnance du 10 mars 2004 (affidavit de Harris, pièce « W » )

25.               Le 13 avril 2004, l'avocat de Lassonde a écrit à l'avocate de Sun Pac pour l'informer que [Traduction] « plusieurs centaines de documents et de factures concernant diverses questions » avaient été repérés et que Lassonde avait besoin de les examiner en conformité avec l'engagement qui avait été pris relativement à ces documents. L'avocate de Sun Pac a indiqué que les documents pertinents seraient communiqués [Traduction] « dans la semaine suivante » .

Lettre de l'avocat de Lassonde à l'avocate de Sun Pac en date du 13 avril 2004 (affidavit de Harris, pièce « X » )

26.               Le 23 avril 2004, l'avocat de Lassonde a fait parvenir à l'avocate de Sun Pac [Traduction] « toutes les pièces justificatives encore disponibles qui se rapportent directement ou indirectement, en partie ou en totalité aux sommes consacrées à la promotion et à la publicité de la marque de commerce FRUITÉ de 1987 à 1998 [...] [C]ertains des documents ne se rapportent pas à la marque FRUITÉ; ils ont néanmoins été inclus parce qu'ils concernent des dépenses liées à la marque FRUITÉ puisque les chèques tirés pour payer ces dépenses couvraient également d'autres dépenses dans certains cas » . L'avocate de Sun Pac a reçu cette lettre le 26 avril 2004.


Lettre de l'avocat de Lassonde à l'avocate de Sun Pac en date du 23 avril 2004 (affidavit de Harris, pièce « Y » )

27.               Le 10 mai 2004, l'avocat de Lassonde a écrit à l'avocate de Sun Pac à la suite d'une conversation téléphonique qu'ils avaient eue. L'avocat de Lassonde voulait présenter une demande de conférence préparatoire alors que l'avocate de Sun Pac estimait qu'il était prématuré de le faire vu que sa cliente voulait procéder à un autre interrogatoire préalable de Lassonde.

Lettre de l'avocat de Lassonde à l'avocate de Sun Pac en date du 10 mai 2004 (affidavit de Harris, pièce « Z » )

28.               Le 17 mai 2004, l'avocate de Sun Pac a répondu à la lettre susmentionnée; elle a indiqué qu'un interrogatoire préalable s'imposait sur les multiples autres documents produits par Lassonde au cours de la première série d'interrogatoires préalables. Elle a aussi demandé les dates de la seconde série d'interrogatoires préalables.

Lettre de l'avocate de Sun Pac à l'avocat de Lassonde en date du 17 mai 2004 (affidavit de Harris, pièce « AA » )

29.               Le 26 mai 2004, l'avocat de Lassonde s'est adressé par écrit à la Cour fédérale afin d'obtenir des directives sur la question des autres interrogatoires préalables et sur la demande de conférence préparatoire.

Lettre de l'avocat de Lassonde à la Cour fédérale en date du 26 mai 2004 (affidavit de Harris, pièce « BB » )


30.               Le 27 mai 2004, l'avocate de Sun Pac a écrit à la Cour fédérale pour lui expliquer sa position sur cette question.

Lettre de l'avocate de Sun Pac à la Cour fédérale en date du 27 mai 2004 (affidavit de Harris, pièce « CC » )

31.               Le 28 mai 2004, l'avocat de Lassonde a encore une fois écrit à la Cour fédérale relativement à une question de fait soulevée dans la lettre du 27 mai de l'avocate de Sun Pac.

Lettre de l'avocat de Lassonde à la Cour fédérale en date du 28 mai 2004 (affidavit de Harris, pièce « DD » )

32.               Le 1er juin 2004, la Cour a rendu une ordonnance interdisant la tenue d'autres interrogatoires préalable dans la présente affaire et indiquant qu'il y avait lieu pour Lassonde de demander une conférence préparatoire. Il s'agit de l'ordonnance qui est portée en appel par Sun Pac dans la présente requête.

Ordonnance du 1er juin 2004                          

33.               Le 7 juin 2004, l'avocate de Sun Pac a écrit à l'avocat de Lassonde pour réaffirmer qu'à son avis, il était prématuré de tenir une conférence préparatoire.

Lettre de l'avocate de Sun Pac à l'avocat de Lassonde en date du 7 juin 2004 (affidavit de Harris, pièce « EE » )

34.               Le 8 juin 2004, l'avocat de Lassonde a signifié une demande de conférence préparatoire à l'avocate de Sun Pac.

Affidavit de Harris, par. 36


35.               L'avocat de Lassonde a communiqué les réponses aux engagements à l'avocate de Sun Pac aux dates suivantes :

·            31 mars 2000

·                8 juin 2001

·                10 décembre 2003

·                18 décembre 2003

·                13 avril 2004

·                23 avril 2004

36.        Comme nous l'avons mentionné précédemment, aucun interrogatoire préalable n'a été tenu sur ces documents additionnels, qui comportent des centaines de pages.

Lettres de l'avocat de Lassonde à l'avocate de Sun Pac portant les dates indiquées ci-dessous (affidavit de Harris, pièces « X « , « Y « et « FF » et par. 11, 29 et 37)

QUESTIONS EN LITIGE

[4]         Les questions inhérentes à la requête sont les suivantes :

a)         Quel est la norme de contrôle applicable à l'ordonnance portée en appel?


b)         S'agissait-il d'une ordonnance dans laquelle une erreur de droit et de principe a été commise par inadvertance ou dans laquelle il y a eu une mauvaise appréciation des faits par suite d'une mauvaise appréciation des actes de procédure?

ANALYSE

[5]      Lorsqu'aucune question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal n'est en cause, le juge de révision ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire que si l'exercice du pouvoir discrétionnaire concernant l'ordonnance portée en appel a été exercé « en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits [...] » (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), par. 95).

[6]      Dans le cadre du présent appel, la Cour doit déterminer s'il y a eu une erreur par suite de l'application d'un mauvais principe de droit aux faits ou s'il y a eu une mauvaise appréciation des faits ou une erreur dans l'examen des actes de procédure.

[7]      Le motif invoqué pour l'appel est que Sun Pac prétend que l'ordonnance contestée dénote une mauvaise compréhension et une mauvaise application du principe de la « pertinence » ainsi qu'une mauvaise appréciation du rôle de l'interrogatoire préalable, en particulier en ce qui concerne la gestion des instances.


[8]      L'ordonnance illustre le point de vue selon lequel l'examen des questions en litige doit tenir compte de la pertinence inhérente des questions pour l'interrogatoire et de la réalité ou nécessité pratique de faire progresser le dossier avec célérité.

[9]      Selon la jurisprudence de cette Cour, pour déterminer si une réponse devrait être donnée à une question, il convient d'appliquer une norme de pertinence générale et souple. Si une question peut légitimement amener la partie qui procède à l'interrogatoire à se lancer dans une série de questions qui peut, directement ou par inadvertance, faire avancer son dossier ou nuire à celui de la partie adverse, il s'agit d'une question admissible à l'interrogatoire préalable à laquelle une réponse doit être donnée.

[10]      Un document est pertinent si la partie a l'intention de s'appuyer sur celui-ci ou s'il tend à être défavorable à la preuve de l'une des parties plutôt qu'à celle de l'autre. Un document est aussi pertinent s'il est susceptible de mener à une série de questions nécessaires.

[11]      La détermination des documents qui devraient être produits ou des questions auxquelles une réponse doit être donnée est une question de pertinence.

[12]      La Cour d'appel fédérale a donné une interprétation de la question soulevée en appel dans l'arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc., [2003] A.C.F. no 1725, 2003 CAF 438 (Q.L.) :


[12]         Dans les appels interjetés contre des décisions de juges des requêtes en révision de décisions de protonotaires, la présente Cour est très réticente à intervenir. Cela est particulièrement vrai à l'égard des décisions de juges responsables de la gestion des instances et de protonotaires, car la jurisprudence a établi que la Cour n'intervient alors « que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (Bande de Sawbridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346 à la page 354).

[13]         À mes yeux toutefois, en l'espèce, une erreur de principe a entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire et le juge des requêtes a confirmé la décision du protonotaire. Selon mon interprétation, l'article 385 des Règles n'autorise pas un juge responsable de la gestion de l'instance ou un protonotaire, dans les directives nécessaires qu'il donne pour permettre « d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » , à refuser à une partie le droit que lui confère la loi d'obtenir, dans un interrogatoire préalable, des réponses pertinentes à l'égard des questions soulevées dans les actes de procédure. Ce droit n'est pas seulement « théorique » (comme le dit le protonotaire), mais il est expressément prévu à l'article 240 des règles et, à mon avis, les termes généraux de l'alinéa 385(1)a) ou de l'article 3 des Règles ne sont pas suffisants pour permettre de passer outre à ce droit spécifique. Je fais également observer que le mot « juste » , qui figure dans ces deux articles des Règles sur lesquels s'appuient les intimées et les auteurs des décisions visées, confirme que la justice ne doit pas être subordonnée au caractère expéditif de l'instance. Toute personne qui est partie à une action civile a le droit de formuler en interrogatoire préalable toute question pertinente à l'égard de l'objet du litige : il s'agit d'une question de justice à l'endroit de cette personne, naturellement assujettie au pouvoir discrétionnaire du protonotaire ou du juge de refuser la question dans le cas où elle constitue un abus de procédure pour l'une des raisons mentionnées ci-dessus. Dans la présente affaire, il n'a été tiré aucune conclusion de cette nature.

[14]       Je ferai aussi remarquer que de limiter la portée des questions par souci de célérité pourrait se révéler contre-productif dans certaines affaires. Parmi les buts de l'enquête préalable, l'un est de simplifier la preuve au procès et un autre, de restreindre les questions qui demeurent en litige. Ces deux buts étant en pleine conformité avec la « célérité » , c'est à tort qu'on assume que le caractère exhaustif de l'enquête préalable fera toujours obstacle à la possibilité « d'apporter une solution au litige... la plus expéditive... possible » .          

[13]      Le raisonnement en l'espèce repose sur la jurisprudence indiquée ci-dessus.

[14]      Les considérations sont identiques et, par conséquent, le dispositif devrait tenir compte des directives données par la Cour d'appel fédérale.

                                                                             


                                                                ORDONNANCE

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

1.      L'appel de Sun Pac est accueilli.

2.      Sun Pac peut poursuivre ses interrogatoires préalables de la demanderesse Lassonde sur les documents que celle-ci a produits du 21 mars 2000 au 23 avril 2004 et sur les autres documents qu'elle peut produire, le cas échéant.

3.      Les autres étapes de la présente instance sont suspendues jusqu'à ce que Sun Pac ait terminé les interrogatoires préalables.

4.      Les dépens de la présente requête sont accordés à Sun Pac indépendamment du dispositif final.

Afin de garantir que l'ordonnance soit de nature prospective et ne concerne pas uniquement la situation pour laquelle elle est rendue, elle sera révisée dans six mois.


La révision aura pour but de vérifier que les parties collaborent entre elles et d'éviter ainsi les mesures dilatoires. L'échéancier initial, qui a été établi avant la présente ordonnance, devra simplement être devancé de six mois à moins que ne se présente une raison exceptionnelle valable, acceptée par cette Cour.

            Comme étape préliminaire, pour que l'échéancier de six mois puisse être respecté et pour assurer que l'affaire entre les parties puisse être tranchée dans un délai raisonnable, un nouvel échéancier devra être établi au cours du prochain mois (d'ici au 30 octobre 2004) par l'auteur du premier échéancier qui est le mieux placé pour le faire, en raison de sa connaissance approfondie de toutes les questions qui ont été soulevées entre les parties.

« Michel M.J. Shore »

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                                      T-393-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:                         A. LASSONDE INC.

                                                                        c. SUN PAC FOODS LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE:                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:                             Le 23 août 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                          Monsieur le juge Shore

                                                                            

DATE DES MOTIFS:                                    Le 14 septembre 2004

COMPARUTIONS:     

Pascal Lauzon                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Stephanie Chong

Keri Johnston                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:     

BROUILLETTE CHARPENTIER FORTIN

Montréal (Québec)                                            POUR LA DEMANDERESSE

JOHNSTON WASSENAAR LLP

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DÉFENDERESSE


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