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Date : 20200709


Dossier : IMM‑2888‑19

Référence : 2020 CF 754

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

JIEMING LI ET MINGXI LIU

demandeurs

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 11 avril 2019 [la décision] par laquelle un agent d’immigration principal [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire [la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse principale, Jieming Li, et son fils, Mingxi Liu, sont citoyens de la Chine.

[4]  Les demandeurs sont arrivés au Canada en mai 2014 et ils ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée. En novembre 2015, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a délivré un mandat d’arrestation au nom de la demanderesse principale après que celle‑ci eut omis de se présenter à son entrevue de renvoi.

[5]  Les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée en octobre 2018. Ils ont sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, mais se sont désistés après que le défendeur eut présenté une offre de règlement. Ce règlement leur accordait un délai de 30 jours pour fournir des éléments de preuve et des observations supplémentaires relativement à leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[6]  Après avoir réexaminé la demande et les nouveaux documents à l’appui, l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

III.  Décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]  L’agent a conclu que la preuve d’établissement au Canada était insuffisante. Il a pris en considération l’intérêt supérieur de Mingxi, qui était âgé de 17 ans au moment de la présentation de la demande, et a conclu que, pour ce dernier, il serait difficile de retourner en Chine. L’agent a également pris en compte l’intérêt supérieur des deux petits‑enfants de la demanderesse principale et il a conclu qu’une séparation ne serait peut‑être pas l’idéal, mais qu’elle n’aurait pas d’effet psychologique négatif sur eux.

[8]  L’agent a aussi tenu compte de l’observation de la demanderesse principale selon laquelle, en Chine, elle serait victime de discrimination fondée sur le sexe et sur l’âge en matière d’emploi. Il a admis la preuve documentaire de discrimination, mais a conclu que la demanderesse principale n’avait pas décrit en quoi ces conditions défavorables la toucheraient, étant donné qu’elle recevait vraisemblablement une pension de retraite en Chine.

[9]  Les détails relatifs à ces conclusions sont exposés et examinés dans la partie « Analyse » des présents jugement et motifs.

IV.  Question préliminaire : les permis de séjour temporaire [les PST]

[10]  Les demandeurs ont demandé des PST, qui seraient délivrés si leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était rejetée, mais l’agent ne s’est pas prononcé sur la question. Ils soutiennent que le paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] exige que l’agent rende une décision au sujet de la demande de PST.

[11]  Les parties conviennent, tout comme moi, qu’étant donné que la question des PST n’a pas été prise en considération, il faudrait qu’elle soit renvoyée à un agent différent pour qu’il la tranche. Toutefois, il est quand même nécessaire d’examiner le caractère raisonnable du refus de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires dans la décision.

V.  Question préliminaire : l’affidavit irrégulier

[12]  La demanderesse principale a présenté un affidavit à l’appui de la présente demande. Le défendeur soutient que le paragraphe 15 de l’affidavit, ce qui inclut les alinéas a) à h), doit être radié intégralement, car ces dispositions contiennent des renseignements sur la pension de retraite de la demanderesse principale, sur sa situation financière et sur ses intentions en matière d’emploi advenant qu’on la renvoie en Chine.

[13]  La demanderesse principale dit qu’elle aurait fourni ces renseignements à l’agent si on lui avait donné la possibilité de répondre aux recherches externes de ce dernier, qu’elle qualifie d’[traduction« éléments de preuve extrinsèques ».

[14]  La règle générale est que la preuve qui n’a pas été fournie à un décideur et qui se rapporte à l’affaire dont ce dernier était saisi n’est pas admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198, au para 17. Cette règle a pour but de préserver la distinction entre les rôles que jouent un tribunal administratif chargé d’apprécier les faits et notre Cour agissant à titre de cour de révision : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux para 19 et 23 [Access Copyright].

[15]  Il existe des exceptions restreintes à la règle voulant qu’un contrôle judiciaire ne doive porter que sur les éléments d’information qui ont été soumis au décideur original. Des exceptions s’appliquent si l’élément de preuve proposé : 1) contient des renseignements généraux destinés à aider le tribunal à comprendre les questions en litige, 2) peut établir l’existence d’un vice de procédure qu’on ne peut pas déceler dans le dossier de la preuve, et 3) est présenté pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur quand il a tiré une conclusion donnée : Access Copyright, au para 20.

[16]  Les renseignements que conteste la demanderesse principale ne correspondent à aucune de ces trois exceptions. Plus précisément, comme ces renseignements se trouvent dans le dossier de preuve, ils ne répondent pas à la deuxième exception. Ils sont accessibles au public. Les titres des articles, de même que les adresses url de renvoi, sont indiqués dans les notes de bas de page de la décision.

[17]  Les alinéas 15a) à h) inclusivement visent à traiter de la [traduction« situation sur le plan de la pension de retraite » de la demanderesse et de la question de savoir si elle chercherait du travail en Chine. Elle fait état de mesures qu’elle aurait prises à l’égard de cette situation. J’ai passé en revue les alinéas en question et je conclus qu’ils ne cadrent avec aucune des exceptions que prévoit l’arrêt Access Copyright. Ces alinéas visent à introduire de nouveaux éléments de preuve sur le fond que l’on aurait pu soumettre à l’agent, ou alors ils contiennent des observations et des arguments juridiques qu’il aurait été possible de présenter à l’agent dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[18]  Pour les motifs qui précèdent, le paragraphe 15, ce qui inclut les alinéas a) à h), de l’affidavit daté du 24 juin 2019 de la demanderesse principale est radié.

VI.  Questions en litige et la norme de contrôle applicable

[19]  Les demandeurs font valoir que l’agent a manqué à l’équité procédurale en omettant de leur donner la possibilité de répondre à des éléments de preuve extrinsèques sur les conditions régnant dans le pays.

[20]  Ils soutiennent également que la décision est déraisonnable, car l’agent n’a pas expliqué l’importance qu’il a accordée à des facteurs clés, n’a pas tenu compte d’autres facteurs et a appliqué le mauvais critère au moment d’examiner l’intérêt supérieur des petits‑enfants de la demanderesse principale.

[21]  Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il est présumé que le contrôle judiciaire d’une décision administrative repose sur la norme de la décision raisonnable, sous réserve de certaines exceptions, dont aucune ne s’applique au vu des faits dont il est question en l’espèce : Vavilov, au para 23.

[22]  La présomption d’application de la norme du caractère raisonnable ne s’applique pas à une question qui met en cause un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale : Vavilov, au para 23. Lorsqu’on examine des questions d’équité procédurale, la question ultime à laquelle doit répondre une cour de révision est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 56.

[23]  Une décision est raisonnable si le processus décisionnel est justifié, transparent et intelligible et donne lieu à un résultat qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47 [Dunsmuir]); Vavilov, au para 86.

VII.  Analyse

[24]  Les demandeurs ont le fardeau d’établir que le refus de leur accorder une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était soit déraisonnable soit inéquitable, selon le cas : Vavilov, au para 29.

[25]  L’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été décrit comme une « exception souple et sensible à l’application habituelle de la [LIPR] ». Le pouvoir discrétionnaire d’accorder une telle dispense a pour but de « mitiger la sévérité de la loi selon le cas » : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], au para 19.

[26]  Le sens des mots « considérations d’ordre humanitaire » a été décrit comme désignant « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » : Kanthasamy, au para 13.

[27]  Les situations qui justifient l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) varient en fonction des faits et du contexte de chaque affaire. Les agents qui rendent de telles décisions doivent examiner et soupeser essentiellement la totalité des faits et des facteurs pertinents qui leur sont soumis : Kanthasamy, aux para 25 et 33.

[28]  En gardant ces principes à l’esprit, j’examinerai maintenant les arguments des parties sur le fond de la décision, ainsi que les motifs que l’agent a fournis.

A.  L’absence d’éléments de preuve extrinsèques

[29]  L’agent a admis la preuve documentaire des demandeurs selon laquelle, en Chine, les femmes d’âge mûr sont victimes de discrimination en matière d’emploi. Il a toutefois conclu que la demanderesse principale n’avait pas fait de lien entre les conditions difficiles dans le pays et sa situation personnelle.

[30]  L’agent a fait remarquer que, même si la demanderesse principale avait déclaré qu’elle voulait continuer de travailler, elle n’avait pas indiqué si elle touchait une pension de retraite en Chine ni son montant. De plus, elle n’a pas décrit quelle était sa situation financière avant d’arriver au Canada. L’agent a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse principale décrive de quelle façon elle avait pu vivre en Chine pendant une période d’environ quatre ans, malgré le fait qu’elle était à la retraite et ne travaillait pas.

[31]  L’agent a conclu que la demanderesse principale touchait vraisemblablement une pension de retraite en Chine, et ce, en se fondant sur l’examen de deux documents : un article du South China Morning Post intitulé « China to roll out plans to raise retirement age within two years to cope with ageing population » (La Chine envisage de hausser l’âge de la retraite dans un délai de deux ans pour mitiger l’impact du vieillissement de la population), de même qu’un profil de pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques [l’OCDE] intitulé « Panorama des pensions 2017 ».

[32]  S’appuyant sur le fait que la demanderesse principale touchait une pension de retraite en Chine, l’agent a accordé peu d’importance à l’allégation selon laquelle, dans ce pays, elle serait vraisemblablement victime de discrimination fondée sur le sexe et l’âge en matière d’emploi.

[33]  Les demandeurs reconnaissent que l’agent n’était pas tenu de leur faire part des doutes qui découlaient directement des exigences de la LIPR. Ils invoquent toutefois la décision Nabin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 200 [Nabin], à l’appui de l’exception à cette règle : « l’obligation d’aviser existe lorsque l’agent a des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis, ou que ces renseignements comportent des éléments de preuve extrinsèques ».

[34]  Le défendeur soutient que la jurisprudence qu’invoque la demanderesse principale, notamment la décision Nabin, se distingue de la présente affaire, car cette décision avait trait à la crédibilité ou à la véracité de certains documents, ce qui, en l’espèce, n’est pas une question en litige.

[35]  Je conviens avec le défendeur que le droit est clair : un agent n’est pas tenu de fournir à un demandeur la possibilité de répondre, sauf si les éléments de preuve extrinsèques sont nouveaux ou importants. Une preuve n’est pas considérée comme « extrinsèque » si elle est de notoriété publique et si elle est facilement accessible au public : Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705, au para 33.

[36]  Dans la présente affaire, l’agent n’a pas commis de manquement à l’équité procédurale en se fondant sur l’article du South China Morning Post et sur le rapport de l’OCDE, tous deux publiés en 2015 et en 2017, respectivement. On ne sait avec certitude si le rapport de l’OCDE a été publié avant ou après que les demandeurs ont présenté leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en avril 2017. Cependant, même si ce rapport a été publié ultérieurement, l’agent n’était pas tenu de le divulguer, car il ne faisait pas état d’un changement de situation. Ce document décrit simplement le système des pensions de retraite en Chine et n’indique pas que les exigences en matière d’admissibilité à une pension de retraite ont changé.

[37]  Les renseignements figurant dans les deux documents n’étaient ni nouveaux ni extrinsèques; ils étaient facilement accessibles au public et ne faisaient pas état de changements dans la situation générale du pays : Holder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 337, au para 28.

[38]  Les demandeurs ont également fait valoir que, même si les éléments de preuve n’étaient pas extrinsèques, il ressortait des motifs de l’agent que celui‑ci était parfaitement au courant du souhait de la demanderesse principale de continuer à travailler. Il a fait référence aux documents qu’elle avait soumis au sujet de la discrimination exercée contre les femmes, surtout les femmes d’âge mûr, en Chine, et il les a admis.

[39]  L’agent a fait remarquer que la demanderesse principale avait pris sa retraite à l’âge de 53 ans et qu’elle était restée en Chine à titre de retraitée, sans travailler. Les doutes qu’avait l’agent au sujet de la preuve étaient que la demanderesse principale n’a pas décrit sa situation personnelle en fonction de sa retraite et de son souhait de travailler. Elle n’a pas indiqué si elle touchait une pension de retraite de la Chine, pas plus qu’elle n’a décrit quelle était sa situation financière avant son arrivée au Canada.

[40]  Comme la demanderesse principale a omis de fournir un lien, l’agent ne s’est pas dit convaincu qu’elle serait visée par ce qui était décrit dans les documents relatifs à la situation dans le pays.

[41]  L’allégation de la demanderesse principale selon laquelle l’agent a tiré une conclusion défavorable sans tenir compte de sa preuve concernant son souhait de travailler en Chine est sans fondement. L’agent a examiné la preuve présentée par la demanderesse principale et il a ensuite conclu de manière raisonnable que cette preuve n’était pas suffisante pour prouver ce qu’elle confirmait, allègue‑t‑elle maintenant.

B.  L’absence d’attente légitime

[42]  Les demandeurs font valoir que les Instructions sur l’équité procédurale [les Lignes directrices en matière d’équité] publiées sur le site Web du défendeur présentent une définition plus généreuse des « éléments de preuve extrinsèques » et elles indiquent qu’un demandeur doit être informé des éléments de preuve utilisés qu’il n’a pas produits. Les demandeurs indiquent que le texte des Lignes directrices en matière d’équité a suscité chez eux une attente légitime selon laquelle on leur donnerait la possibilité de répondre aux éléments de preuve disponibles en ligne sur lesquels l’agent se fondait.

[43]  Les demandeurs invoquent des précédents de notre Cour et de la Cour suprême du Canada pour faire valoir que, même si les Lignes directrices en matière d’équité n’ont pas force exécutoire, il a été conclu que, dans certains cas, elles doivent être suivies. Les affaires que les demandeurs ont invoquées mettaient en cause des lignes directrices qui énonçaient des procédures détaillées et exhaustives revêtant le caractère d’un code relatif au traitement des demandes. Cela n’est pas le cas en l’espèce. Les Lignes directrices en matière d’équité présentent des renseignements de haut niveau sur le droit d’être entendu, ainsi que sur d’autres questions d’ordre procédural. Elles ne prétendent pas établir un code procédural, pas plus qu’elles ne sont assez détaillées ou exhaustives pour être confondues avec l’un des faits de l’espèce.

[44]  Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques ou qu’ils s’attendaient légitimement à ce que les Lignes directrices en matière d’équité, formulées en des termes généraux, soient conçues pour changer la définition jurisprudentielle des circonstances dans lesquelles des éléments de preuve sont « extrinsèques ».

C.  Le caractère raisonnable de la décision

[45]  Les demandeurs estiment que la décision est déraisonnable, car l’agent n’a accordé aucune importance, ou qu’un degré inconnu d’importance, à quelques facteurs clés. Selon eux, l’agent n’a pas précisé le degré d’importance qu’il avait accordé à l’intérêt supérieur des petits‑enfants, à l’établissement de la demanderesse principale, ainsi qu’à l’établissement de Mingxi.

(1)  Les petits‑enfants

[46]  Les demandeurs font valoir que l’agent a commis une erreur en omettant de préciser le degré d’importance qu’il avait accordé aux intérêts des petits‑enfants. Ils invoquent l’arrêt Kanthasamy à l’appui du principe que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être « “bien identifié et défini”, puis examiné “avec beaucoup d’attention” eu égard à l’ensemble de la preuve ».

[47]  L’agent a bel et bien mentionné et énoncé l’intérêt supérieur des petits‑enfants, comme l’a décrit le conseil des demandeurs. Il a également reconnu que la demanderesse principale souhaitait préserver le lien qu’elle avait avec les petits‑enfants et que le fait de prendre soin de son petit‑fils lui procurait des bienfaits sur le plan de la santé. Il a ajouté que, d’après le témoignage du fils aîné, Ray, les demandeurs rendent visite à sa famille environ une fois par semaine.

[48]  L’agent a admis la preuve documentaire selon laquelle les petits‑enfants qui entretiennent des liens étroits avec leurs grands‑parents en tirent davantage de bienfaits sur le plan de la santé et sur le plan affectif, et il y a accordé une certaine importance. Il a mis en balance cette conclusion avec un article indiquant que l’engagement des grands‑parents n’est pas un facteur déterminant pour ce qui est d’élever des enfants en bonne santé sur le plan affectif, et que les parents des petits‑enfants étaient en mesure d’assurer un soutien économique et affectif. Il a également reconnu qu’il y a d’autres façons de rester en contact avec les enfants, soit par des visites, soit grâce à des moyens technologiques.

[49]  L’agent a conclu qu’il y avait peu de preuve que les petits‑enfants de la demanderesse principale subiraient des effets psychologiques défavorables du fait que leur grand‑mère ne les élèverait pas. Il s’agit là d’une conclusion justifiée, transparente et intelligible. Les motifs montrent comment et pourquoi il est arrivé à cette conclusion. Celle‑ci est étayée par la preuve et par le droit. Elle est raisonnable.

[50]  Les demandeurs font également valoir que l’agent a commis une erreur en prenant en considération la question des « difficultés » lors de l’examen de l’intérêt supérieur des petits‑enfants. Ils font valoir que l’agent a commis une erreur en allant au‑delà de cet examen et en déterminant plutôt si les enfants pouvaient s’adapter à la vie sans eux.

[51]  Dans l’arrêt Kanthasamy la Cour suprême n’a pas éliminé l’idée que les difficultés sont un facteur à prendre en considération. Elle a plutôt conclu qu’il convient d’accorder une certaine importance à « toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » : Kanthasamy, au para 33.

[52]  En l’espèce, l’agent a pris en compte un certain nombre de facteurs d’ordre humanitaire, dont le fait que la demanderesse principale n’avait pas montré qu’elle s’était suffisamment établie au Canada et qu’elle n’avait pas de liens importants avec son emploi, la relation qu’elle entretenait avec ses petits‑enfants, l’absence de preuve selon laquelle son fils suivait des traitements psychologiques continus au Canada, l’observation selon laquelle ce dernier était suffisamment âgé pour ne pas avoir à fréquenter son père, et que le fait de rester au Canada n’était pas attribuable à des raisons indépendantes de la volonté de la demanderesse principale.

[53]  L’agent a reconnu que l’intérêt supérieur des enfants n’est qu’un facteur parmi d’autres et qu’il ne l’emporte pas sur tous les autres. Après avoir passé en revue la décision et pris en considération les observations et les éléments de preuve soumis à l’agent, il m’est impossible de conclure au vu de la preuve et du droit que ce dernier a évalué l’intérêt supérieur des petits‑enfants ou du fils de la demanderesse principale de manière déraisonnable.

(2)  La pondération de la preuve

[54]  Les demandeurs soutiennent aussi que l’agent a commis une erreur en concluant que les facteurs relatifs à l’intérêt supérieur des enfants n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur les facteurs défavorables, et ce, sans expliquer pourquoi c’était à cette conclusion qu’il était arrivé.

[55]  Cet argument présente deux problèmes.

[56]  L’un de ces problèmes, comme il a déjà été mentionné, est qu’une analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants ne détermine pas l’issue d’une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; il ne s’agit que de l’un des facteurs, et il ne l’emporte pas sur les autres : Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, au para 28.

[57]  L’autre problème est qu’il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve soumise à l’agent, même si elle aurait pu arriver à une décision différente : Douglas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 703, au para 42. En fait, à moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne modifie pas les conclusions de fait d’un décideur qui est tenu d’apprécier et d’évaluer la preuve : Vavilov, au para 125.

[58]  L’agent est tenu de montrer qu’il a été réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur du fils et des petits‑enfants de la demanderesse principale. Il se devait de soupeser l’intérêt supérieur de ces personnes par rapport à d’autres éléments de preuve, comme il a été indiqué plus tôt, et il l’a bel et bien fait. Rien ne permet à la Cour d’intervenir pour soupeser à nouveau la preuve.

(3)  Le défaut de mentionner des éléments de preuve

[59]  Les demandeurs soutiennent également que l’agent a omis de prendre en considération ou de mentionner des facteurs clés, dont les objectifs de la LIPR et le manque de relations familiales des demandeurs en Chine, ce qui rend la décision déraisonnable.

[60]  Cependant, un décideur n’est pas tenu de faire référence à la totalité des éléments de preuve. Il est présumé que l’agent a soupesé et pris en compte la totalité des éléments de preuve, jusqu’à preuve du contraire : Sing c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, au para 90.

[61]  Il ne fait aucun doute que l’agent aurait été au courant des objectifs de la LIPR, et le fait que la demanderesse principale est séparée de ses sœurs en Chine figure dans le dossier. Il n’y a aucune raison de croire que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve. Étant donné que les observations soumises à l’agent étaient axées sur la famille immédiate au Canada et sur la capacité de la demanderesse principale de travailler en Chine, il n’y a pas lieu de croire que le fait de mentionner les objectifs de la LIPR ou l’éloignement des deux sœurs étaient des « facteurs clés » ou que ces facteurs auraient eu plus qu’un effet superficiel ou périphérique sur le fond de la décision.

[62]  La demanderesse principale allègue aussi que l’agent n’a pas traité de sa déclaration de revenus de 2018, dans laquelle elle a indiqué n’avoir reçu cette année‑là aucun montant de pension de source étrangère.

[63]  Le défendeur fait valoir que la déclaration de revenus n’est pas pertinente, étant donné que l’agent a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fourni de preuve sur ce qu’était sa situation financière avant son arrivée au Canada. Je conviens que la déclaration de revenus de 2018 n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision.

[64]  Il est nécessaire de prendre en considération la décision dans son ensemble au moment d’en évaluer le caractère raisonnable. Toute lacune relevée dans la décision doit être grave, et plus que simplement superficielle ou accessoire par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

[65]  Je ne peux relever une telle lacune en l’espèce.

VIII.  Conclusion

[66]  Pour tous les motifs susmentionnés, je conclus que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable.

[67]  L’agent a présenté une chaîne d’analyse rationnelle et intrinsèquement cohérente qui se justifie par rapport aux faits et au droit. Je suis donc tenue, lorsque je procède à un examen du caractère raisonnable, de faire preuve de déférence envers la décision faisant l’objet du contrôle : Vavilov, au para 85.

[68]  L’examen du caractère raisonnable d’une décision prévoit qu’il peut y avoir plus d’une issue raisonnable. Dans la décision Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 [Zlotosz], le juge Diner a admis et conclu que « l’exercice du pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire implique ultimement un certain élément de subjectivité dans l’analyse. En d’autres mots, un autre agent aurait pu en venir à une autre conclusion en soupesant la preuve différemment » : Zlotosz, au para 18.

[69]  Même si, dans certains cas, je ne serais pas arrivée aux mêmes conclusions que l’agent, mon rôle consiste à contrôler la décision. La Cour suprême a indiqué très clairement que la cour de justice qui procède à un contrôle judiciaire doit s’abstenir de trancher à nouveau la question en litige. Il me faut examiner seulement si la décision, et cela inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est déraisonnable : Vavilov, au para 83.

[70]  La présente demande est rejetée, sans frais. Il n’y a pas de question à certifier. La question de l’omission d’examiner la question des PST sera renvoyée à un autre agent pour décision.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2888‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La question non réglée des permis de séjour temporaire est renvoyée à un autre agent pour décision.

  2. Le paragraphe 15, ce qui inclut les alinéas 15a) à h), est radié de l’affidavit des demandeurs daté du 24 juin 2019.

  3. À tous autres égards, la demande est rejetée.

  4. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2888‑19

 

INTITULÉ :

 

JIEMING LI et MINGXI LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 27 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

lE 9 JUILLET 2020

 

COMPARUTIONS :

Raymond Lo

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nadine Silverman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raymond Lo

Avocat

Richmond Hill (Ontario)

 

POUR Les DEMANDeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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