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Date : 20020823

Dossier : T-1948-99

Référence neutre : 2002 CFPI 904

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 23 août 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                     TRUDY KALKE

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE MINISTRE DES TRANSPORTS, MOHAMMED AKHTAR et

WILLIAM J. NASH

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit du contrôle judiciaire de l'ordre de détention donné par un inspecteur du Service de la sécurité des navires (Région du Pacifique) de Transports Canada (le Service de la sécurité des navires) en date du 14 mai 1999, par lequel l'inspecteur avait ordonné que le yacht EL PRIMERO (le navire) soit détenu.


Réparation demandée

[2]                 La demanderesse sollicite une ordonnance de la nature d'un certiorari annulant l'ordre de détention.

[3]                 La demanderesse sollicite les déclarations suivantes :

a) que le navire n'est pas « dangereux » , terme employé dans le paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, et modifications;

b) que les machines et l'équipement du navire ne sont pas défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord; et

c) que le navire n'est pas sujet à détention selon le paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, précitée.

[4]                 La demanderesse sollicite un bref de prohibition :

a) enjoignant les défendeurs d'annuler l'ordre de détention et de libérer le navire; et

b) interdisant la détention future du navire; mais

c) accordant aux défendeurs l'autorisation de demander à tout moment que soit modifiée l'interdiction énoncée dans l'alinéa b), pour le cas où les circonstances futures l'exigeraient.


Contexte

[5]                 La demanderesse, Trudy Kalke, est le propriétaire du navire qui est détenu. Le navire, un voilier très ancien de 114 pieds construit en 1893, est immatriculé dans le port de Vancouver sous le numéro officiel 812803.

[6]                 Le défendeur, William J. Nash, était le directeur régional du Service de la sécurité des navires lorsque l'ordre de détention a été donné.

[7]                 Le défendeur, Mohammed Akhtar, était un inspecteur de navires à vapeur employé par le Service de la sécurité des navires et il était l'expert maritime qui avait inspecté et détenu le navire le 14 mai 1999.

[8]                 Les antécédents du navire et du Service de la sécurité des navires peuvent être résumés ainsi.

[9]                 Le 21 novembre 1992, George Kosanovich, du Service de la sécurité des navires, avait examiné le navire en cale sèche (hors de l'eau) à Port Angeles (État de Washington). M. Kosanovich avait remarqué l'application de plaques de renfort sur la coque et avait conclu à la navigabilité du navire.

[10]            Jusqu'en 1995, la demanderesse avait affecté le navire à des affrètements de plaisance sans que le Service de la sécurité des navires ne s'y oppose ou n'y voit d'inconvénient. En 1995, la demanderesse s'était renseignée sur une possible certification du navire comme « navire à passagers » aux termes du Programme de conformité des navires à passagers (PCNP), un programme appliqué par le Service de la sécurité des navires conformément à la Loi sur la marine marchande du Canada.

[11]            Le 2 février 1995, Malcolm Buchanan, du Service de la sécurité des navires, avait inspecté le navire en cale sèche pour savoir s'il pouvait être utilisé comme « navire commercial de transport de passagers » . M. Buchanan avait évalué le navire d'après les règles de 1983 du Bureau américain de la navigation, appelées « Rules for Building and Classing Steel Vessels Under 61 Meters (200 Feet) in Length » (les Normes ABS).

[12]            Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si le navire devrait ou non être soumis aux Normes ABS.

[13]            Après l'inspection de M. Buchanan, M. Kosanovich avait informé la demanderesse que le PCNP n'était plus applicable et que pour être exploité comme « navire à passagers » le navire allait devoir se conformer à toutes les exigences réglementaires et être certifié comme navire à passagers pour voyages de cabotage de classe III ou IV.

[14]            Des limites géographiques sont imposées aux voyages de cabotage des classes III et IV, comme il est indiqué dans l'article 4 du Règlement sur les voyages de cabotage, en eaux intérieures et en eaux secondaires, C.R.C., ch. 1430. Selon la demanderesse, ce service océanique restreint montre que les Normes ABS ne devraient pas s'appliquer aux navires de ces classes puisque la règle 1.11 des Normes ABS précise que lesdites normes ne concernent que les navires dont la liberté de mouvement n'est pas limitée.

[15]            Entre 1995 et 1996, Ralph Marwood, président de la société Marine Design Associates Ltd. (MDA), avait rédigé pour la demanderesse plusieurs rapports précisant ce qui serait nécessaire pour que le navire soit conforme au PCNP ou aux exigences de certification pour voyages de cabotage de classe IV.

[16]            Le 7 février 1996, à la requête de la demanderesse, le capitaine Ian Hopkinson avait procédé à l'inspection du navire dans l'eau. Le capitaine Hopkinson avait jugé que le navire pouvait être utilisé dans des excursions de jour et de soirée pour un maximum de 75 personnes et 6 membres d'équipage à l'intérieur de certaines eaux abritées, ainsi que dans certaines excursions de nuit.


[17]            Du 20 au 22 mars 1996, le navire avait été mis en cale sèche à Port Angeles (État de Washington). Alexander Greig, un ancien employé du Service de la sécurité des navires durant 26 ans, avait inspecté le navire à la requête de la demanderesse. M. Greig avait conclu à la navigabilité du navire pour des voyages de cabotage de classe IV. Selon lui, d'importantes réparations n'étaient pas nécessaires. Pour arriver à ses conclusions, M. Greig s'était servi des calculs de résistance effectués par M. Marwood.

[18]            Durant la mise en cale sèche de mars 1996, M. Buchanan avait inspecté le navire une deuxième fois. Le 1er avril 1996, il avait présenté un mémoire dans lequel il mentionnait que les plaques de renfort posées sur la coque n'étaient appliquées à la coque qu'au moyen de soudures périphériques et par conséquent ne contribuaient pas à la résistance de la coque. Le mémoire mentionnait que, pour remettre la coque en état, les plaques de renfort devraient « être enlevées et la carène restaurée » .

[19]            Par lettre en date du 23 avril 1996, M. Marwood répondait au mémoire de M. Buchanan. Dans sa lettre, M. Marwood affirmait que les Normes ABS ne devraient pas s'appliquer au navire, que les plaques de renfort étaient en réalité fixées à la coque par soudures en bouchon ou à entaille et que les renforts n'étaient pas pris en compte dans les calculs de résistance longitudinale de M. Marwood. La lettre de M. Marwood proposait d'autres réparations.

[20]            Le 16 mai 1996, un ordre de détention avait été émis contre le navire par le Service de la sécurité des navires, parce que le navire était prétendument exploité comme « navire à passagers » sans avoir été dûment certifié.

[21]            Le 22 mai 1996, la demanderesse introduisait une procédure de contrôle judiciaire de l'ordre de détention du 16 mai.

[22]            Le 23 mai 1996, l'ordre de détention du 16 mai était levé, et un nouvel ordre de détention était émis, qui ordonnait la détention du navire au motif qu'il était « dangereux » .

[23]            Le 24 mai 1996, une entente de rectification était conclue entre la demanderesse et le Service de la sécurité des navires, entente qui mettait fin à la détention du navire. La demanderesse acquiesçait à une liste de 23 vices structurels et vices liés à la sécurité concernant le navire. En échange, le défendeur acceptait de libérer le navire et d'autoriser la demanderesse à continuer l'exploitation du navire comme navire d'affrètement, à condition que les points énoncés dans l'entente de rectification soient corrigés dans le délai prévu par l'entente.

[24]            Sur les 23 vices énumérés dans l'entente de rectification, un seul n'a pas été corrigé à la satisfaction des défendeurs. Le vice qui demeure en litige, soit le numéro 23 de l'entente de rectification, est ainsi décrit :

[Traduction] 23. Lorsqu'il sera utilisé à des fins commerciales, et jusqu'à ce que des échantillonnages acceptables soient préparés et exécutés, le navire devra limiter ses déplacements à un rayon de trois milles marins d'un port de relâche. (Intégrité de la coque).

[25]            M. Buchanan avait rédigé un mémoire en date du 11 avril 1997 qui énumérait les exigences du Service de la sécurité des navires pour l'exploitation du navire comme « navire d'affrètement » . Le mémoire recommande que l'on répare la coque en enlevant les renforts fixés au bordé extérieur et : a) en les remplaçant par un nouveau bordé de coque, ou subsidiairement, b) en inspectant les renforts pour voir s'ils sont atteints par la corrosion et en les réappliquant s'ils sont dans un état satisfaisant.

[26]            M. Marwood avait le 15 mai 1997 envoyé une lettre au Service de la sécurité des navires pour l'informer que le remplacement des plaques de renfort serait une opération « inutile, voire imprudente » et « à notre avis, déraisonnable » .

[27]            M. Greig avait envoyé le 1er juin 1997 une lettre au défendeur Nash dans laquelle il mentionnait que les réparations exigées par le Service de la sécurité des navires étaient excessives et inutiles.

[28]            Par une lettre en date du 12 septembre 1997, la demanderesse avait répondu au mémoire du 11 avril 1997 de M. Buchanan en proposant d'autres réparations et en renouvelant ses objections aux conclusions de M. Buchanan. La demanderesse lui avait envoyé une autre lettre le 24 janvier 1998 dans laquelle elle proposait une autre solution pour le point 23 (réparation de la coque) de l'entente de rectification.

[29]            La demanderesse avait rencontré le 30 janvier 1998 M. Kosanovich et le défendeur Nash. Cette rencontre n'avait pas permis de régler le problème de la coque.

[30]            Par une lettre en date du 27 janvier 1999, Transports Canada avait informé la demanderesse que, tant qu'une rencontre ne permettrait pas d'établir un plan de travail propre à régler le problème de l'intégrité de la coque, le navire ne serait plus autorisé à naviguer comme auparavant.

[31]            Le 14 mai 1999, le navire fut détenu par le Service de la sécurité des navires. Les circonstances énumérées par Mohammed Akhtar sur l'ordre de détention étaient « paragraphe 310(1) de la LMMC » et « voir pièce annexée » . La pièce annexée mentionnait que les motifs étaient les suivants :

(i) navire exploité sans le certificat requis pour le transport de passagers à bord

(ii) absence de mécanicien temporaire / mécanicien assujetti à des restrictions

(iii) capitaine n'ayant pas sur lui le certificat requis pour exploiter le navire parce qu'il l'avait oublié chez lui

M.V. El Primero détenu jusqu'à ce que le navire se conforme aux points ci-dessus.

[32]            Également le 14 mai 1999, Chris Seeley, de la Garde côtière canadienne - Sécurité de la navigation (partie du ministère des Pêches et des Océans) avait examiné le navire et l'avait déclaré apte à l'utilisation pour la plaisance et pour des affrètements coque nue.

[33]            Le 20 mai 1999, M. Akhtar avait rédigé un mémoire énumérant plusieurs lacunes se rapportant au navire, dont certaines étaient sans rapport avec les motifs énumérés dans l'ordre de détention du 14 mai 1999. Aucun nouvel ordre de détention ne fut donné qui faisait état de ces nouvelles lacunes.

[34]            Le 1er juin 1999, la demanderesse avait écrit à Transports Canada et proposé de n'utiliser le navire que pour la plaisance pour le cas où le navire serait libéré. Transports Canada répondit le 2 juin 1999 en déclarant que le ministère jugeait maintenant dangereux le navire et qu'il n'était pas disposé à lever l'ordre de détention même si le navire ne devait être utilisé par la demanderesse que pour son propre agrément.

[35]            Le 10 août 1999, le capitaine Hopkinson avait procédé à une nouvelle expertise du navire. La carène tout entière fut filmée par des plongeurs. Le capitaine Hopkinson constata qu'il n'y avait pas de corrosion active sur la coque et que celle-ci semblait en bon état et exempte de toute détérioration apparente. Le capitaine Hopkinson remit son deuxième avis dans lequel il déclarait que le navire était apte à la navigation de plaisance et qu'il n'était pas dangereux. Le capitaine Hopkinson jugea que les renforts soudés assuraient la résistance de la coque.

[36]            Il s'agit ici du contrôle judiciaire de l'ordre de détention émis par le Service de la sécurité des navires le 14 mai 1999.


Arguments de la demanderesse

[37]            Selon la demanderesse, la norme de contrôle à appliquer se situe entre le critère de la décision raisonnable simpliciter et le critère de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme de contrôle a été appliquée par la Section d'appel de la Cour fédérale dans l'arrêt British Columbia Vegetable Marketing Commission et al. c. Washington Potato and Onion Association et al., décision non publiée (5 novembre 1997), dossier numéro A-435-97 (CAF). S'exprimant pour la Cour au paragraphe 3, le juge McDonald avait écrit :

Le Tribunal canadien du commerce extérieur est manifestement un organisme spécialisé, mais le législateur fédéral n'a pas protégé ses décisions par une véritable clause privative; il a plutôt prévu le droit de demander que ces dernières soient soumises à un contrôle judiciaire. Néanmoins, il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions du Tribunal, surtout lorsque celui-ci traite de questions qui touchent au coeur de ses compétences. Il est bien établi en droit que la présente Cour manifeste une plus grande retenue judiciaire envers les décisions des tribunaux qui lui sont soumises par voie de demande de contrôle judiciaire qu'à celles qui lui sont soumises par voie d'appel. Il s'ensuit qu'il existe, entre le simple caractère raisonnable et le caractère manifestement déraisonnable, une quatrième norme de contrôle, réservée aux décisions qui ont été rendues par un tribunal spécialisé sur une question relevant de son champ d'expertise et qui ont été soumises à un tribunal supérieur par voie de demande de contrôle judiciaire. Cette quatrième norme de contrôle exige davantage de retenue à l'égard des conclusions du tribunal que celle qui est manifestée envers les tribunaux spécialisés à l'égard desquels un droit d'appel est prévu par la loi, mais un peu moins de retenue que celle qui est manifestée envers les tribunaux protégés par une véritable clause privative. Ayant déterminé le juste degré de retenue judiciaire dont il faut faire preuve envers la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur, la Cour traitera maintenant des arguments des requérants. Pour ce qui est de la question de savoir si le Tribunal a commis une erreur en appliquant le critère, c'est-à-dire en se posant la mauvaise question juridique, nous sommes tous d'avis que, même s'il a parfois manqué de précision, le Tribunal a examiné l'ensemble des facteurs pertinents et importants et, par conséquent, qu'il n'y a pas lieu de modifier sa décision pour ce motif.

[38]            Selon la demanderesse, les réparations de la coque étaient déjà en cours à la date du premier ordre de détention, c'est-à-dire le 16 mai 1996.


[39]            Selon la demanderesse, les Normes ABS ne devraient pas s'appliquer au navire parce que la règle 1.11 de ces Normes mentionne que les Normes ABS s'adressent aux navires en service océanique illimité. Selon la demanderesse, le navire est destiné au service océanique restreint, c'est-à-dire un service qui ne dépasse pas certaines eaux protégées ou un rayon maximal de 10 milles entre ports de relâche. Ces restrictions sont des exigences applicables aux navires qui appartiennent aux classes III et IV des voyages de cabotage.

[40]            Subsidiairement, la demanderesse affirme que, si les Normes ABS sont applicables, M. Buchanan a commis une erreur en ignorant la règle 1.15 des Normes ABS. D'après cette règle, on devrait tenir compte des 100 ans d'exploitation sécuritaire du navire pour démontrer qu'il répond aux normes générales de sécurité et de résistance exposées dans les règles.

[41]            La demanderesse reconnaît que le navire avait coulé en 1989 lorsqu'il avait été manoeuvré par le chantier naval. Selon la demanderesse, cette mésaventure était survenue lorsque le chantier naval avait oublié une pièce en effectuant les réparations. Selon la demanderesse, la plupart des renforts avaient été appliqués après l'accident, et l'accident provoqué par le chantier naval n'enlève rien aux 100 ans d'exploitation sécuritaire du navire.


[42]            Selon la demanderesse, M. Nash et M. Buchanan reconnaissent que, si les plaques de renfort étaient convenablement appliquées à une coque d'acier par soudures en bouchon ou soudures à entaille, ainsi que par soudures périphériques, ces plaques contribueraient à la résistance structurelle de la coque. Selon la demanderesse, les plaques de renfort étaient convenablement appliquées à la coque d'acier par soudures en bouchon ou soudures à entaille, et le Service de la sécurité des navires n'a pas cherché à vérifier ou à démentir cette affirmation.

[43]            La demanderesse affirme que l'ordre de détention du 14 mai 1999 était fondé uniquement sur les constatations de M. Buchanan en date du 1er avril 1996. Selon la demanderesse, les constatations de M. Buchanan ne visaient que l'utilisation du navire comme navire à passagers et navire d'affrètement, mais non son utilisation pour la plaisance.

[44]            Selon la demanderesse, les défendeurs n'ont produit aucune preuve démontrant que le navire était utilisé à des fins commerciales sans « échantillonnages acceptables » et à plus de trois milles marins d'un port de relâche. Selon la demanderesse, aucune présumée violation du point no 23 de l'entente de rectification ne justifiait la détention du navire.

[45]            Selon la demanderesse, la détention du navire constitue une saisie sans mandat et à ce titre elle contrevient à l'article 8 de la Charte. Elle affirme que, si la décision d'un tribunal administratif contrevient à une disposition de la Charte, cette décision sera une décision manifestement déraisonnable.

[46]            Selon la demanderesse, il est impossible de proposer quoi que ce soit de valable pour la réparation du navire si l'on ne sait pas ce qui doit être corrigé.

Arguments des défendeurs

[47]            Selon les défendeurs, il n'existe aucune crainte raisonnable de partialité. Les défendeurs ne souscrivent à aucun des facteurs avancés par la demanderesse au soutien d'une crainte raisonnable de partialité.

[48]            Selon les défendeurs, il appartient au propriétaire du navire d'élaborer un plan grâce auquel le navire sera rendu conforme aux exigences de la Loi sur la marine marchande du Canada.

[49]            Selon les défendeurs, la préoccupation du Service de la sécurité des navires est la sécurité des vies en mer, et elle ne se limite pas aux seuls passagers, mais comprend toute personne, y compris la demanderesse, qui se trouve à bord d'un navire.

[50]            Selon les défendeurs, l'ordre de détention du 23 mai 1996 demeure en vigueur contre le navire et n'a jamais été invalidé par les tribunaux.

[51]            Selon les défendeurs, l'état de la coque du navire suscite de réelles inquiétudes. Ils affirment que le navire avait coulé auparavant et que la demanderesse reconnaît qu'il y avait des trous dans la coque lorsque la demanderesse avait acheté le navire.

[52]            Selon les défendeurs, l'ordre de détention du 14 mai 1999 reposait uniquement sur les décisions du défendeur, M. Akhtar, et sur son avis selon lequel le navire était dangereux. Selon les défendeurs, M. Akhtar est arrivé à cette conclusion sans avoir eu connaissance de l'entente de rectification de mai 1996.

[53]            Points en litige

1.          Les défendeurs ont-ils commis une erreur de droit en affirmant que : (1) le navire était « dangereux » ; (2) les machines et l'équipement du navire étaient défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord; et/ou (iii) le navire était d'une autre manière sujet à détention aux termes du paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada?

2.          L'ordre de détention donné par les défendeurs à l'encontre du navire constituait-il une saisie irrégulière ou sans motifs raisonnables et probables, niant ainsi le droit de la demanderesse à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, un droit conféré par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?


3.          Les défendeurs ont-ils manqué à une obligation légale d'équité procédurale envers la demanderesse lorsqu'ils ont décidé de détenir le navire?

4.          La décision de détenir le navire autorise-t-elle une crainte raisonnable de partialité des défendeurs?

Dispositions législatives et réglementaires applicables

[54]            Les articles applicables de la Loi sur la marine marchande du Canada sont les suivants :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

2. In this Act,

  

. . .

« coque » Le corps d'un bâtiment, y compris la mature et le gréement, ainsi que toutes les parties de sa structure.

. . .

"hull" means the body of a vessel including the masts and rigging and all parts of its structure;

. . .

« _ passager _ » Personne transportée sur un navire par le propriétaire ou l'exploitant. Sont exclus de la présente définition :

"passenger" means a person carried on a ship by the owner or operator, other than

a) la personne transportée sur un navire ressortissant à la Convention de sécurité et qui est :

(a) a person carried on a Safety Convention ship who is

(i) soit le capitaine ou un membre de l'équipage, ou une personne employée ou occupée à bord, en quelque qualité que ce soit, pour les affaires de ce navire,

(i) the master, a member of the crew or a person employed or engaged in any capacity on board the ship on the business of that ship, or

(ii) soit âgée de moins d'un an;

(ii) under one year of age,

b) la personne transportée sur un navire ne ressortissant pas à la Convention de sécurité et qui est :

(b) a person carried on a ship that is not a Safety Convention ship who is

(i) soit le capitaine ou un membre de l'équipage, ou une personne employée ou occupée à bord, en quelque qualité que ce soit, pour les affaires de ce navire,

(i) the master, a member of the crew or a person employed or engaged in any capacity on board the ship on the business of that ship, or

(ii) soit un invité transporté gratuitement ou sans but lucratif sur un navire utilisé exclusivement pour l'agrément;

(ii) a guest on board the ship, if the ship is used exclusively for pleasure and the guest is carried on it without remuneration or any object of profit,

c) la personne transportée sur un navire, soit en exécution de l'obligation qui incombe au capitaine de transporter des naufragés, des personnes en détresse ou d'autres personnes, soit par suite de circonstances que ni le capitaine, ni le propriétaire ne pouvaient empêcher;

(c) a person carried on a ship in pursuance of the obligation on the master to carry shipwrecked, distressed or other persons or by reason of any circumstances that neither the master nor the owner could have prevented, or

d) le personnel d'un navire à usage spécial.

(d) special purpose personnel;

« navire à passagers » Navire qui transporte des passagers.

. . .

"passenger ship" means a ship carrying passengers;

. . .

« navire de mer » Navire employé à un voyage dont une partie s'effectue sur mer.

. . .

"sea-going ship" means any ship employed on a voyage any part of which is on the sea;

. . .

« navire » Sauf aux parties II, XV et XVI_ :

"ship", except in Parts II, XV and XVI, includes

a) les bâtiments de toutes sortes employés à la navigation et non mus par des avirons;

(a) any description of vessel used in navigation and not propelled by oars, and

b) pour l'application de la partie I et des articles 574 à 581, les chalands ou allèges de toutes sortes et les bâtiments semblables employés à la navigation au Canada, quel qu'en soit le mode de propulsion.

. . .

(b) for the purpose of Part I and sections 574 to 581, any description of lighter, barge or like vessel used in navigation in Canada however propelled;

  

. . .

« bâtiment » Tout navire ou bateau ou toute autre sorte de bâtiments servant, ou destinés à servir, à la navigation.

. . .

"vessel" includes any ship or boat or any other description of vessel used or designed to be used in navigation;

. . .

7. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, le ministre des Transports est responsable de l'application de la présente loi.

7. (1) Except as otherwise provided in this Act, the Minister of Transport is responsible for the administration of this Act.

(2) Le ministre des Pêches et des Océans est responsable de toute question, en vertu de la présente loi, relative à la sécurité des embarcations de plaisance et à la délivrance des permis à leur égard.

(2) The Minister of Fisheries and Oceans is responsible for all matters under this Act relating to safety and licensing of pleasure craft.

310. (1) Un inspecteur de navires à vapeur peut, dans l'exercice de ses fonctions, monter à bord de tout navire, à des heures convenables, inspecter le navire, ses machines ou son équipement et examiner le certificat ou brevet du capitaine, d'un officier de pont ou d'un officier mécanicien; si le navire lui paraît dangereux, ou dans le cas d'un navire à passagers, inapte au transport de passagers, ou si les machines ou l'équipement lui paraissent défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord, il doit détenir ce navire.

310. (1) A steamship inspector, in the performance of his duties, may go on board any ship at all reasonable times and inspect the ship, or any of the machinery or equipment thereof, or any certificate of a master, mate or engineer, and if he considers the ship unsafe, or, if a passenger ship, unfit to carry passengers, or the machinery or equipment defective in any way so as to expose persons on board to serious danger, he shall detain that ship.

(2) Un inspecteur de navires à vapeur peut détenir un navire à l'égard duquel l'une des dispositions de la présente loi n'a pas été observée, s'il juge que les circonstances le justifient.

(2) A steamship inspector may detain any ship in respect of which any of the provisions of this Act have not been complied with, if, in his opinion, detention is warranted in the circumstances.



(3) Durant la visite qu'il opère d'un navire en vertu du présent article, un inspecteur de navires à vapeur peut poser au propriétaire ou à son agent, au capitaine ou au chef officier mécanicien, ou à toute autre personne se trouvant à bord et ayant la direction du navire, ou paraissant l'avoir, toute question pertinente qu'il juge à propos concernant le navire ou un accident qui lui est survenu; ces personnes doivent répondre à la question d'une manière complète et conforme à la vérité.

(3) When, under this section, a steamship inspector visits any ship, he may ask the owner or his agent, the master or chief engineer, or any other person on board and in charge or appearing to be in charge any pertinent question concerning the ship, or concerning any accident that has happened thereto, that he thinks fit, and every such person shall fully and truly answer every question.

(4) Un inspecteur de navires à vapeur peut exiger que les machines d'un navire soient mises en marche, afin de pouvoir se rendre compte de leur état.

(4) A steamship inspector may require that the machinery of a ship be put in motion so that he may satisfy himself as to its condition.

[55]            L'article applicable du Règlement sur les voyages de cabotage, en eaux intérieures et en eaux secondaires est ainsi rédigé :

4.(3) Sous réserve de l'article 7, un voyage de cabotage, classe III, s'entend d'un voyage de cabotage effectué dans les limites spécifiées dans le certificat d'inspection du navire à vapeur et au cours duquel,

a) sur la côte de l'Atlantique, le navire à vapeur ne va pas au sud du port de New York;

b) sur la côte du Pacifique, le navire à vapeur ne va pas au sud de Portland, Oregon;

4.(3) Subject to section 7, a home-trade voyage, Class III, means a home-trade voyage made within the limits specified in the inspection certificate of the steamship making the voyage, in the course of which,

(a) on the Atlantic coast, the steamship does not go south of the port of New York;

(b) on the Pacific coast, the steamship does not go south of Portland, Oregon;

c) le navire à vapeur ne se trouve jamais à plus de 20 milles de la rive; et

d) la distance entre les ports de refuge convenables sur la route n'excède pas 100 milles.

(4) Sous réserve de l'article 7, un voyage de cabotage, classe IV, s'entend d'un voyage de cabotage au cours duquel un navire à vapeur ne va pas au-delà de certaines eaux abritées, mentionnées dans le certificat d'inspection, ni, dans des voyages courts, ainsi spécifiés, au-delà des limites desdites eaux abritées, par beau temps, du 1er mai au 30 septembre d'une année quelconque.

(c) the steamship is at no time more than 20 miles off shore; and

(d) the maximum distance between suitable ports of refuge on the route does not at any time exceed 100 miles.

(4) Subject to section 7, a home-trade voyage, Class IV, means a home-trade voyage in the course of which a steamship does not go beyond certain sheltered waters specified in the inspection certificate, or, in fine weather, on short voyages so specified, beyond the limits of those sheltered waters, between May 1st and September 30th in any year.

[56]            Les articles applicables de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), sont les suivants :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

8. Everyone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.

9. Everyone has the right not to be arbitrarily detained or imprisoned.

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

24. (1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

  

Analyse et décision

[57]            Il convient de rappeler que la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi ne concerne que ce qui suit :


[Traduction] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de l'ordre de détention et de la pièce y annexée no MA-502-41 en date du 14 mai 1999 (l'ordre de détention), donné par les défendeurs au nom du Bureau d'inspection des navires à vapeur (constitué en vertu du paragraphe 304(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, et modifications), pour la détention du navire à moteur « El Primero » (le navire), un navire appartenant à la demanderesse.

[58]            Point no 1

Les défendeurs ont-ils commis une erreur de droit en affirmant que : (1) le navire était « dangereux » ; (2) les machines et l'équipement du navire étaient défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord; et/ou (iii) le navire était d'une autre manière sujet à détention aux termes du paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada?

Il n'y a aucune définition du mot « dangereux » dans la Loi sur la marine marchande du Canada ni dans la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-23. Le mot « dangereux » apparaît dans le paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada. Le paragraphe 310(1) de cette Loi confère l'obligation suivante à un inspecteur de la sécurité des navires :

310. (1) Un inspecteur de navires à vapeur peut, dans l'exercice de ses fonctions, monter à bord de tout navire, à des heures convenables, inspecter le navire, ses machines ou son équipement et examiner le certificat ou brevet du capitaine, d'un officier de pont ou d'un officier mécanicien; si le navire lui paraît dangereux, ou dans le cas d'un navire à passagers, inapte au transport de passagers, ou si les machines ou l'équipement lui paraissent défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord, il doit détenir ce navire.

310. (1) A steamship inspector, in the performance of his duties, may go on board any ship at all reasonable times and inspect the ship, or any of the machinery or equipment thereof, or any certificate of a master, mate or engineer, and if he considers the ship unsafe, or, if a passenger ship, unfit to carry passengers, or the machinery or equipment defective in any way so as to expose persons on board to serious danger, he shall detain that ship.


Le paragraphe 310(1) donne à l'inspecteur le pouvoir de détenir le navire si le navire lui paraît dangereux, ou dans le cas d'un navire à passagers, inapte au transport de passagers, ou si les machines ou l'équipement lui paraissent défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord. Trois genres de circonstances requièrent donc la détention du navire. L'ordre de détention donné dans le cas présent indique « paragraphe 310(1) de la LMMC » , mais il ne dit pas que l'inspecteur a jugé le navire dangereux. J'ajouterais que, d'après le libellé de la loi, l'inspecteur jouit d'une grande latitude dans l'interprétation du mot « dangereux » .

[59]            Selon l'ordre de détention, le navire était détenu en vertu de l'article 310 pour les raisons suivantes :

(i) navire exploité sans le certificat requis pour le transport de passagers à bord

(ii) absence de mécanicien temporaire / mécanicien assujetti à des restrictions

(iii) capitaine n'ayant pas sur lui le certificat requis pour exploiter le navire parce qu'il l'avait oublié chez lui

M.V. El Primero détenu jusqu'à ce que le navire se conforme aux points ci-dessus.

L'inspecteur avait noté que le navire ne serait détenu que jusqu'à ce qu'il soit rendu conforme aux points (i) à (iii). L'ordre de détention et la pièce y annexée ne mentionnent nulle part que l'ordre concernait l'intégrité structurelle du navire. Selon les termes de l'ordre de détention, le navire pouvait être remis à son propriétaire à trois conditions : que soit produit le certificat requis de transport de passagers, qu'un mécanicien soit affecté au navire et que le capitaine présente son certificat, qu'il avait oublié chez lui.

[60]            Je ne suis pas convaincu que l'ordre de détention donné pour les trois motifs énumérés a été émis par erreur. Cependant, il semble aujourd'hui que le défendeur continue de détenir le navire en vertu de l'ordre de détention de 1999, mais pour le motif qu'il est de construction dangereuse, l'intégrité de la coque étant expressément mise en doute. Je ne suis pas convaincu que l'ordre de détention de 1999 s'applique aux questions de sécurité se rapportant à l'intégrité structurelle du navire. Si la demanderesse corrige les trois lacunes énumérées dans l'ordre de détention de 1999, le défendeur n'a pas le pouvoir de continuer de détenir le navire en vertu de cet ordre.

[61]            Eu égard à l'économie de la loi, la Cour doit montrer une retenue considérable à l'égard de l'avis d'un inspecteur qui juge un navire dangereux. Cependant, l'ordre de détention de 1999 ne dit pas que l'inspecteur a jugé le navire dangereux.

[62]            Selon les défendeurs, les questions de sécurité liées à l'intégrité structurelle demeurent l'objet de l'ordre de détention de 1996, lequel n'a jamais été soumis à contrôle judiciaire. L'effet de l'ordre de détention de 1996 n'est pas en question dans la présente demande de contrôle judiciaire. J'observe que la demanderesse a fait valoir que l'ordre de détention de 1996 avait été levé suite à l'entente de rectification, puisque la demanderesse s'était engagée à corriger les 23 lacunes, en échange de quoi elle serait autorisée à exploiter le navire à des fins commerciales. Vingt-deux des 23 lacunes ont semble-t-il été corrigées à la satisfaction des défendeurs. La lacune litigieuse restante est la suivante :


[Traduction] 23. Lorsqu'il sera utilisé à des fins commerciales, et jusqu'à ce que des échantillonnages acceptables soient préparés et exécutés, le navire devra limiter ses déplacements à un rayon de trois milles marins d'un port de relâche. (Intégrité de la coque).

À première vue, cette disposition n'interdit pas l'utilisation commerciale du navire - elle soumet uniquement à quelques restrictions l'utilisation commerciale du navire jusqu'à ce que la condition indiquée soit remplie. La disposition ne semble pas non plus imposer de restrictions à l'utilisation non commerciale du navire. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas saisi de l'ordre de détention de 1996.

[63]            Puisque je ne suis pas convaincu que l'ordre de détention de 1999 a été donné par erreur, je ne suis pas disposé à rendre une ordonnance annulant l'ordre de détention. Je suis disposé à rendre un jugement déclaratoire selon lequel l'ordre de détention de 1999 n'a pas pour effet de détenir le navire parce qu'il est dangereux en raison de vices structurels. Je ne suis pas disposé à accorder l'autre redressement sollicité par la demanderesse.

[64]            Vu mes conclusions sur le point no 1, il ne m'est pas nécessaire d'examiner les points restants, mais je ferai de brefs commentaires à leur sujet pour que l'analyse soit complète.

[65]            Point no 2


L'ordre de détention donné par les défendeurs à l'encontre du navire constituait-il une saisie irrégulière ou sans motifs raisonnables et probables, niant ainsi les droits de la demanderesse à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, un droit conféré par l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?

La demanderesse affirme que la saisie du navire n'était pas autorisée par la loi dans le cas présent. Elle reconnaît que l'article 310 de la Loi sur la marine marchande du Canada autorise les détentions, mais il l'autorise lorsque l'inspecteur juge que le navire concerné est « dangereux » . Selon la demanderesse, rien ne permet d'affirmer que le navire est dangereux au sens de la loi, et par conséquent la saisie constitue une contravention à l'article 8 de la Charte. La demanderesse affirme aussi que la justification d'une telle saisie ne peut pas se démontrer et que la saisie ne saurait donc bénéficier de la protection de l'article premier de la Charte.

[66]            Les défendeurs ont donné l'ordre de détention en vertu du paragraphe 310(1) de la Loi. Le pouvoir de détenir des navires est un important pouvoir conféré au défendeur, Transports Canada (ou Pêches et Océans pour les embarcations de plaisance), un pouvoir dont l'objet est la protection des vies en mer. Je reconnais avec les défendeurs que la réglementation de la sécurité des navires en mer est un exercice légitime de la compétence fédérale sur la navigation et les bâtiments ou navires, aux termes du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Je reconnais aussi que cette disposition, et plus précisément cette application de la disposition, ne constitue pas une saisie abusive et donc ne contrevient pas à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Même si j'arrivais à la conclusion contraire, je serais néanmoins d'avis que l'article 310 est une disposition raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, de telle sorte qu'elle est validée par l'article premier.


[67]            Dans le même ordre d'idées, la demanderesse a invoqué une possible contravention de l'article 9 de la Charte dans l'avis de demande. Ce point n'a pas été soulevé par la demanderesse dans son argumentation et il ne sera donc pas examiné.

[68]            Point no 3

Les défendeurs ont-ils manqué à une obligation légale d'équité procédurale envers la demanderesse lorsqu'ils ont décidé de détenir le navire?

Les défendeurs ont fait tenir à la demanderesse plusieurs mémoires et lettres expliquant les lacunes du navire. La demanderesse a été représentée par divers experts et avocats dans ses communications avec les défendeurs au cours des dernières années. Les défendeurs ont indiqué à maintes reprises qu'ils étaient disposés à rencontrer la demanderesse. Par conséquent, je ne crois pas que les défendeurs aient manqué à une obligation d'équité procédurale.

[69]            Point no 4

La décision de détenir le navire autorise-t-elle une crainte raisonnable de partialité des défendeurs?


Les défendeurs ont le mandat d'appliquer les mesures de sécurité en mer qui sont énoncées dans la Loi sur la marine marchande du Canada. Selon les défendeurs, l'ordre de détention prononcé contre le navire le 14 mai 1999 a été donné par le défendeur, M. Akhtar, sans que celui-ci ait eu connaissance de l'entente de rectification de mai 1996. Je sais que la demanderesse et les autres défendeurs sont intervenus dans des débats et des désaccords se rapportant à des détentions ordonnées avant 1999. Je ne suis pas convaincu que les ordres antérieurs de détention, les divergences de vues à propos de l'entente de rectification ou la polémique en cours entre la demanderesse et les défendeurs, aient pu donner lieu à une crainte raisonnable de partialité au point de corrompre l'ordre de détention du 14 mai 1999. À mon avis, cet aspect ne permet pas de conclure au caractère déraisonnable de l'ordre de détention.

[70]            Puisque les deux parties ont obtenu gain de cause sur certains points, il ne sera pas adjugé de dépens.

ORDONNANCE

IL EST ORDONNÉ :

1.          Jugement sera rendu déclarant que l'ordre de détention de 1999 n'a pas pour effet de détenir le navire parce qu'il serait dangereux pour des raisons d'intégrité structurelle.

2.          Il ne sera pas adjugé de dépens.

  

                                                                                « John A. O'Keefe »           

                                                                                                             Juge                       

Halifax (Nouvelle-Écosse)

le 23 août 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1948-99

INTITULÉ :              TRUDY KALKE

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

LE MINISTRE DES TRANSPORTS

MOHAMMED AKHTAR et WILLIAM J. NASH

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le mardi 26 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE DE                                 Monsieur le juge O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     le 23 août 2002

COMPARUTIONS :

M. David McEwen et M. Roger Watts              POUR LA DEMANDERESSE

M. Joseph Spears et M. George Carruthers       POUR LES DÉFENDEURS

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McEwen, Schmitt & Co.                                                  POUR LA DEMANDERESSE

1615 - 1055, rue Georgia ouest

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6E 3R5

Spears & Company                                              POUR LES DÉFENDEURS

6438, rue Bay

Vancouver ouest (Colombie-Britannique)

V7W 2H1

Ministère de la Justice

900 - 840, rue Howe

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6Z 2S9



                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

  

Date : 20020823

Dossier : T-1948-99

ENTRE :

TRUDY KALKE

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES TRANSPORTS,

MOHAMMED AKHTAR et WILLIAM J. NASH

défendeurs

                                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  

                                                                                                  

   
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