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Date : 20200730


Dossier : IMM‑6514‑19

Référence : 2020 CF 783

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 juillet 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

YINGE LI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Yinge Li demande à la Cour d’annuler la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a conclu que Mme Li n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  La décision de la SAR reposait principalement sur la crédibilité et la fiabilité des éléments de preuve déposés à l’appui de la demande de Mme Li. Pour les motifs qui suivent, rien ne justifie que la Cour intervienne et annule la décision de la SAR. La demande est donc rejetée.

I.  Événements ayant mené à l’arrivée de Mme Li au Canada

[3]  Mme Li est une citoyenne de la République populaire de Chine. Elle est chrétienne et a demandé l’asile au Canada parce qu’elle craint d’être victime de persécution religieuse en Chine.

[4]  Pendant de nombreuses années, Mme Li et son époux ont travaillé comme agriculteurs dans un village en Chine. Ils exploitaient un petit verger de poiriers. Leur fils est né en 1991.

[5]  L’année 2011 a été difficile pour Mme Li. Afin de gagner plus d’argent en prévision du futur mariage de leur fils, son époux a obtenu un emploi dans une usine locale. À peine quelques semaines plus tard, il est décédé subitement en raison d’un accident industriel à l’usine. Un mois plus tard, le père de Mme Li est également décédé du cancer.

[6]  Le fils de Mme Li est revenu vivre avec elle pendant environ un an, mais les années qui ont suivi ces décès ont été très difficiles.

[7]  En septembre 2016, un ami a introduit Mme Li au christianisme. Mme Li a commencé à pratiquer la foi chrétienne, ce qui l’a aidée à rompre la solitude et à combler le vide spirituel qu’elle ressentait depuis la perte de son époux et de son père. Elle a commencé à assister régulièrement à des services religieux clandestins (non parrainés par l’État) en décembre 2016. Ces services avaient parfois lieu au domicile du chef de l’église et parfois au domicile de différents membres.

[8]  Selon le témoignage de Mme Li, le 2 juillet 2017, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) du gouvernement chinois a fait une descente à la maison du chef de l’église, qui a été arrêté. Pendant la descente, les agents du BSP ont utilisé leur téléphone cellulaire pour prendre des photos des documents d’identification des fidèles qui se trouvaient sur les lieux. Les agents du BSP leur ont dit qu’ils devaient cesser immédiatement leurs rassemblements religieux et qu’ils devaient s’inscrire auprès du gouvernement et fréquenter une église gouvernementale. Ils les ont menacés d’arrestation et de détention s’ils continuaient à assister à des rassemblements religieux illégaux et à diffuser des idées religieuses en public.

[9]  À la suite de cette descente, les activités de l’église de Mme Li ont été suspendues et le chef de l’église a été détenu pendant deux semaines.

[10]  La mère et le fils de Mme Li craignaient que la sécurité de celle-ci soit compromise si elle continuait à pratiquer le christianisme. Ils l’ont exhortée à quitter la Chine si elle souhaitait continuer à pratiquer sa religion. Mme Li a donc décidé de quitter la Chine et de venir au Canada, où des gens de sa ville natale avaient déjà déménagé.

[11]  Après avoir appris qu’elle ne serait pas admissible à un visa pour voyager au Canada en raison de sa situation financière, un ami l’a mise en rapport avec un passeur qui pouvait obtenir un visa, dans les mots de Mme Li, [traduction] « par des moyens irréguliers » (dossier certifié du tribunal, à la p. 78). Elle a payé le passeur pour l’aider et, à la fin d’août 2017, elle a obtenu un visa fondé sur de faux renseignements.

[12]  En septembre 2017, Mme Li a voyagé de sa ville natale à l’aéroport de Pékin. Elle est passée par l’enregistrement, l’immigration et la sécurité à l’aéroport à l’aide de son propre passeport.

[13]  Le 21 septembre 2017, accompagnée du passeur, Mme Li a pris l’avion de Pékin à Toronto. Plusieurs mois plus tard, elle a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention. Elle a expliqué que le retard dans la présentation de sa demande s’expliquait par le fait que le passeur avait pris son passeport et qu’elle (ou plus précisément, sa famille en Chine) devait trouver l’argent nécessaire pour payer le passeur afin de récupérer son passeport. Elle pensait qu’elle avait besoin de son passeport pour demander l’asile, mais elle a finalement décidé de présenter sa demande, car elle [traduction] « ne pouvait plus continuer à attendre » (dossier certifié du tribunal, à la page 78).

II.  Décisions de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés

[14]  Le 9 mai 2019, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a entendu la demande d’asile de Mme Li et, le 7 juin 2019, elle a publié une décision écrite la rejetant. Mme Li a interjeté appel de cette décision. Au moyen d’un avis de décision daté du 7 octobre 2019, la SAR a rejeté l’appel. Les motifs de sa décision sont datés du 13 septembre 2019.

[15]  La SPR a conclu que Mme Li n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de la LIPR. Bref, la SPR a conclu que les questions déterminantes étaient le bien‑fondé de sa crainte et la crédibilité. La SPR a reconnu qu’il existe une présomption selon laquelle le témoignage de Mme Li est véridique, à moins qu’il n’existe une raison valable de douter de sa véracité, mais elle avait des doutes quant à la crédibilité de la demanderesse en ce qui concerne ses déplacements en Chine (depuis son domicile jusqu’à l’aéroport à Pékin) et sa capacité à quitter la Chine en passant par la sécurité à l’aéroport avec son propre passeport. Après avoir examiné la preuve sur la situation dans le pays et le témoignage de Mme Li, la SPR a conclu qu’elle n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités chinoises. Enfin, la SPR a conclu qu’il y avait de nombreuses congrégations que Mme Li pouvait fréquenter sans attirer l’attention des autorités chinoises, si elle souhaitait continuer à pratiquer le christianisme après son retour en Chine.

[16]  En appel devant la SAR, Mme Li n’a pas produit de nouveaux éléments de preuve ni demandé la tenue d’une audience. La SAR a examiné la preuve documentaire et a écouté un enregistrement de l’audience devant la SPR.

[17]  Dans ses motifs de rejet de l’appel, la SAR a d’abord conclu que le commissaire de la SPR avait eu raison de conclure que le témoignage de Mme Li quant à la façon dont elle avait quitté la Chine en recourant à un passeur n’était pas crédible (motifs de la SAR, au para 16). Il y avait deux raisons : a) il existait des incohérences dans son témoignage au sujet des détails ayant trait à son voyage depuis son domicile jusqu’à Pékin, tant en ce qui concerne la façon dont elle a voyagé (voiture ou train) et avec qui (avec ou sans son fils et le passeur) (motifs de la SAR, au para 18); et, b) le témoignage de Mme Li au sujet de son départ depuis l’aéroport n’était pas fiable. En ce qui concerne ce dernier point, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle il n’aurait pas été possible pour Mme Li de quitter la Chine en utilisant son propre passeport et sa véritable identité sans entrave et sans être repérée si le BSP avait enregistré ses renseignements d’identité lors de la descente à la maison-église. Les renseignements auraient été saisis dans le système de sécurité de l’aéroport, connu sous le nom de projet Bouclier d’or, et les autorités gouvernementales chinoises n’auraient pas autorisé Mme Li à quitter le pays si les autorités s’intéressaient à elle (motifs de la SAR, aux para 19-22).

[18]  En deuxième lieu, en analysant la demande d’asile et l’appel de Mme Li, la SAR a conclu qu’elle n’avait pas établi qu’elle craignait avec raison les autorités chinoises en raison de sa religion (motifs de la SAR, au para 24). La SAR a conclu que le témoignage de Mme Li au sujet de la descente, qu’elle a qualifié d’« événement important et déterminant », était vague et semblait avoir été mémorisé parce qu’elle n’a pas été en mesure de fournir des détails sur demande (motifs de la SAR, au para 24). La SAR a conclu que l’explication la plus vraisemblable du fait que Mme Li a pu quitter la Chine sans entrave en utilisant son propre passeport et sa véritable identité était qu’elle n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités et qu’elle n’avait pas de dossier relatif à des activités religieuses illégales (aux para 27-28). La SAR a fondé cette conclusion sur le « témoignage peu détaillé » de la demanderesse au sujet de la descente à la maison-église et sur le « caractère vague et contradictoire » de son témoignage concernant le recours à un passeur pour quitter la Chine (au para 28). La SAR a jugé que le témoignage de Mme Li au sujet de la descente à l’église et de son départ de la Chine n’était « pas fiable » (au para 29). En outre, la SAR a déclaré que Mme Li avait « offert un témoignage vague et contradictoire » au sujet du voyage qu’elle a effectué depuis sa maison, située dans une région rurale de la Chine, en vue de quitter le pays, indiquant également qu’elle avait « eu de la difficulté à se souvenir de l’ordre des événements et a[vait] contredit ses propres descriptions » (au para 30). Compte tenu de la situation de Mme Li, la SAR a conclu que ces renseignements étaient importants relativement à sa demande d’asile (au para 31).

[19]  En ce qui concerne le retour possible de la demanderesse en Chine, la SAR a souscrit, aux paragraphes 32 et 33 de ses motifs, à la conclusion de la SPR selon laquelle il existe des congrégations que la demanderesse pourrait fréquenter sans attirer l’attention des autorités. La SAR a fondé cette conclusion sur (i) les éléments de preuve sur la situation dans le pays qui étaient « divergent[s] » et qui n’étaient pas suffisants pour démontrer qu’il n’est pas possible de pratiquer librement la foi chrétienne en Chine et sur (ii) le témoignage « équivoque » et imprécis de la demanderesse au sujet de la nature de ses croyances et pratiques religieuses en Chine, y compris la raison pour laquelle elle ne peut pas pratiquer sa foi dans une église de l’État en Chine. Selon la SAR, une partie de son témoignage semblait avoir été mémorisée.

[20]  La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la descente à la maison-église n’a pas eu lieu (motifs de la SAR, aux para 34 et 36). La SAR a fait remarquer que le « témoignage de [Mme Li] sur ce qui s’est passé manquait de crédibilité en raison du nombre limité de détails fournis et des contradictions simples qui n’ont pas été expliquées ». Les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir qu’elle serait harcelée, qu’elle risquait de subir un préjudice à l’avenir ou qu’elle serait incapable de pratiquer librement sa religion.

[21]  La SAR a examiné la question de savoir si Mme Li risquait d’être persécutée en Chine en raison de son profil religieux, défini par sa prétendue conversion et sa prétendue fréquentation d’une maison-église, et par la descente qui l’a incitée à fuir la Chine. La SAR a de nouveau souligné que le témoignage de Mme Li n’était « pas fiable » et était « vague » en ce qui concerne la descente, la façon dont les descentes sont effectuées, l’absence de conséquences personnelles découlant de la descente (comme la surveillance, la fouille de son domicile ou la confiscation de sa Bible) et le fait que la descente de juillet 2017 ne figure pas dans la liste des descentes effectuées avant décembre 2017, publiée dans les médias. Puisque la SAR a conclu que la descente n’a pas eu lieu, Mme Li ne s’est pas acquittée du fardeau de démontrer qu’elle risque d’être persécutée ou de subir un préjudice à l’avenir si elle retourne en Chine (motifs de la SAR, aux para 36-37).

[22]  Enfin, la SAR a examiné le fait que Mme Li a fréquenté une église chrétienne au Canada et la question de savoir si, en raison de cette fréquentation, elle était exposée à un risque prospectif. La SAR a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas l’existence d’une possibilité raisonnable ou sérieuse de persécution ou de préjudice en découlant (motifs de la SAR, au para 38).

III.  Questions en litige soulevées par la demanderesse

[23]  Devant nous, la demanderesse soulève deux questions en litige :

(1)  La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en ce qui concerne son départ de la Chine?

(2)  La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse peut pratiquer le christianisme en toute sécurité en Chine?

IV.  Norme de contrôle applicable

[24]  Les observations écrites de la demanderesse présentées à la Cour dans le cadre de la demande d’autorisation ont été déposées avant que la Cour suprême ne publie l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Le défendeur a déposé un mémoire à la lumière de l’arrêt Vavilov, dans lequel il a soutenu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Une fois que la Cour a accordé l’autorisation d’introduire la présente demande, aucune des parties n’a déposé de mémoire supplémentaire.

[25]  À l’audience, les deux parties ont soutenu que la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov s’applique. Je suis d’accord. La norme de la décision raisonnable est la norme présumée applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives et s’applique à tous les aspects de la décision : Vavilov, aux para 16, 23 et 25. Il existe des exceptions à la norme de la décision raisonnable, mais aucune de celles‑ci ne s’applique en l’espèce (Vavilov, aux para 17, 23 et 69; Entertainment Software Assoc. v Society Composers, 2020 FCA 100, au para 16).

[26]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives. Comme il est expliqué dans l’arrêt Vavilov :

[13] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Il tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’une « simple formalité » ni d’un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes. Ce type de contrôle demeure rigoureux.

[27]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement à l’origine de la décision (c.‑à‑d. la justification) et au résultat de la décision (Vavilov, aux para 83 et 87; Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6, au para 12). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[28]  Le rôle de la cour de révision est limité et son approche est disciplinée. En évaluant le raisonnement du décideur, la cour examine attentivement les motifs fournis. Si les motifs comportent une lacune fondamentale ou un manque de logique, si la décision est fondée sur une analyse déraisonnable ou si la décision est indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur la décision, la cour peut intervenir. Si un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné, les lacunes simplement superficielles ou accessoires dans le raisonnement ne suffisent pas à rendre une décision déraisonnable (Vavilov, aux para 84, 86 et 96-101). La cour ne cherche pas à savoir comment elle aurait résolu la question compte tenu des éléments de preuve; elle n’apprécie pas non plus à nouveau la preuve (Vavilov, aux para 75, 83 et 125-126).

[29]  Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

V.  Analyse

A.  Les conclusions de la SAR concernant la crédibilité et d’autres questions connexes

[30]  La demanderesse conteste les conclusions de la SAR concernant la crédibilité. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n’intervient pas à la légère pour modifier les conclusions concernant la crédibilité. En général, la Cour fera preuve d’un degré de retenue élevé à l’égard de l’évaluation par un décideur de la vraisemblance et de la fiabilité des témoignages (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, surtout au para 15).

[31]  Dans ses observations écrites, Mme Li soutient d’abord que la SAR s’est livrée à des spéculations lorsqu’elle a affirmé que son voyage pour se rendre à l’aéroport de Pékin était « loin d’être habitue[l] » pour elle. Elle soutient que son incapacité à se rappeler si elle avait voyagé en train ou en voiture n’est pas invraisemblable au point de permettre à la SAR d’écarter son témoignage sur la question, étant donné la présomption de véracité accordée à tous les demandeurs d’asile (citant Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 [Maldonado]). En outre, elle fait valoir que son mode de transport constitue une question accessoire à sa demande d’asile.

[32]  À mon avis, il n’y a aucune raison d’intervenir pour modifier les conclusions de la SAR en ce qui concerne la crédibilité de Mme Li à l’égard de cette question. Dès le début, la SAR a pris note de la présomption énoncée dans la décision Maldonado, selon laquelle un témoignage est présumé véridique, à moins qu’il n’y ait une raison valable de douter de sa véracité (motifs de la SAR, au para 15). Le témoignage de la demanderesse devant la SPR a changé en ce qui concerne deux éléments : son mode de transport et l’identité de son compagnon de voyage. Il était raisonnable pour la SAR de tirer une conclusion concernant la crédibilité en raison de l’incapacité de la demanderesse à se rappeler si elle avait voyagé en voiture ou en train depuis son domicile de longue date dans une région rurale de la Chine jusqu’à l’aéroport de Pékin, et de son incapacité à préciser si elle avait voyagé avec le passeur ou son fils. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ce sont des faits importants dans le récit de la façon dont la demanderesse est arrivée au Canada.

[33]  Mme Li conteste ensuite la conclusion concernant la crédibilité tirée par la SAR sur le fondement de son témoignage portant sur la descente à la maison-église. Mme Li fait valoir que son témoignage était intrinsèquement cohérent et qu’il n’était pas loisible à la SAR de l’écarter en raison de ce qu’elle n’a pas dit, citant à l’appui la décision Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729, au para 11 [Mahmud]. Mme Li soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de s’attendre à ce qu’elle fournisse dans son témoignage des détails supplémentaires ou des éléments de preuve spontanés sur ce qui s’est passé pendant la descente et de s’attendre à ce que son témoignage concorde nécessairement avec la preuve documentaire relative à d’autres descentes.

[34]  La conclusion concernant la crédibilité tirée dans la décision Mahmud concernait deux lettres déposées à l’appui de la demande de statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur. Une des lettres ne mentionnait pas son arrestation ou sa détention. Ni l’une ni l’autre ne mentionnait la torture. Le tribunal a donné au demandeur l’occasion d’expliquer la raison pour laquelle les auteurs des lettres n’avaient rien dit au sujet de ces événements, qui constituaient le fondement de son allégation selon laquelle il craignait avec raison d’être persécuté. Il n’a fourni aucune explication pour justifier le manque de corroboration. Le tribunal a jugé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible et a remis en question l’allégation selon laquelle il aurait été torturé. Dans le cadre du contrôle judiciaire devant la Cour, le juge Campbell a conclu que le tribunal avait en fait jugé que les lettres contredisaient la preuve du demandeur, « non pour ce qu’elles disent, mais bien pour ce qu’elles gardent sous silence » (Mahmud, au para 11). Il a également conclu que les lettres appuyaient à première vue la preuve du demandeur et ne contenaient aucun élément qui viendrait la contredire. Il a conclu que l’approche adoptée par le tribunal était contraire au droit et a annulé sa décision.

[35]  En l’espèce, c’est le témoignage de la demanderesse elle-même et non le témoignage d’une autre personne ou un document, qui a mené la SAR à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité et à la fiabilité relativement à la descente. La SAR n’a pas utilisé des éléments de preuve externes pour contredire ou discréditer le témoignage de Mme Li; elle a évalué son propre témoignage. La SAR a indiqué que son témoignage au sujet de « cet événement important et déterminant était vague et semblait avoir été mémorisé parce que, quand elle s’est vu demander des détails, elle a répété l’information générale concernant le fait qu’elle avait été avertie de cesser les activités illégales » et qu’elle « n’a[vait] pas pu fournir de détails simples sur ce qui s’est passé au cours de cet événement relativement traumatisant » (motifs de la SAR, au para 24). À mon avis, la situation est très différente de l’affaire Mahmud.

[36]  L’avocate de la demanderesse a confirmé à l’audience que Mme Li ne prétend pas qu’on ne lui a pas donné une possibilité raisonnable de répondre aux questions posées ou qu’elle n’a pas compris les questions. En effet, dans ses motifs, au paragraphe 29, la SAR affirme que le commissaire de la SPR a « offert amplement l’occasion » à Mme Li de décrire et d’expliquer ce qui s’est passé en Chine et que, à son avis, il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle soit en mesure de se rappeler des détails et de présenter des renseignements cohérents concernant les caractéristiques centrales et fondamentales de son expérience. La SAR a également fait remarquer que le commissaire de la SPR avait offert à Mme Li l’occasion de se calmer et lui avait posé des questions claires et ouvertes.

[37]  En faisant preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SAR concernant la crédibilité, je ne puis conclure que la conclusion de la SAR était déraisonnable.

[38]  Dans son argumentation écrite, Mme Li a soutenu en troisième lieu que, parce qu’elle n’avait pas été reconnue coupable d’un crime et qu’elle ne s’était pas soustraite à une assignation, il [traduction] « demeurait plausible » que ses renseignements personnels n’aient pas été saisis dans les bases de données du gouvernement. Son avocate a fait valoir que cette affirmation n’a aucune incidence réelle sur sa crédibilité et que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a jugé que c’était le cas.

[39]  À mon avis, les conclusions tirées par la SAR se rapportaient à la question de savoir si le récit général donné par Mme Li dans son témoignage était logique, en particulier si la descente à la maison-église s’est produite comme elle l’a décrite et si elle aurait été en mesure de quitter le pays par l’aéroport de Pékin à l’aide de son propre passeport, sans être arrêtée par le personnel de l’enregistrement, de l’immigration et de la sécurité, étant donné les systèmes de sécurité en place à l’aéroport (le projet Bouclier d’or). La SAR, comme la SPR, a conclu qu’il était peu probable que Mme Li ait pu quitter la Chine en utilisant son propre passeport si elle était une personne d’intérêt pour les autorités (motifs de la SAR, aux para 22 et 26-28) et que les autorités n’avaient probablement aucun dossier indiquant qu’elle avait participé à des activités religieuses illégales (au para 27).

[40]  Une des fonctions de la SPR et, sous réserve des principes énoncés dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, de la SAR consiste à tirer des conclusions de fait, à évaluer la crédibilité des témoins et à tirer des inférences raisonnables des éléments de preuve présentés. Comme le juge Gascon l’a fait remarquer dans la décision Tsigehana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 426 :

[traduction]

[34] Qu’il s’agisse d’arrêter des conclusions de fait, d’apprécier la crédibilité d’un témoin ou de tirer des inférences raisonnables, toutes ces fonctions se situent au cœur de l’expertise et des connaissances particulières que possèdent la SAR et la SPR sous le régime de la LIPR. Cette expertise commande déférence et retenue de la part de la cour de révision.

[41]  Comme il ressort clairement de l’arrêt Vavilov, une cour de révision ne doit pas apprécier à nouveau les éléments de preuve présentés au décideur administratif. Que l’appréciation de la SAR en l’espèce porte sur la crédibilité, sur une série de conclusions et d’inférences factuelles ou encore sur une combinaison de ces éléments, rien ne justifie que la Cour intervienne pour modifier ses conclusions en l’espèce.

[42]  Mme Li a soutenu que la SAR a omis à tort, dans son évaluation de la preuve, d’aborder l’élément fondamental de sa demande d’asile, à savoir le fait qu’elle est exposée à un danger prospectif et à un risque plus élevé d’être victime de persécution si ses activités religieuses clandestines sont découvertes à nouveau par le BSP. Si elle a raison, cette omission pourrait donner lieu à une erreur de droit fondamentale de la part de la SAR, qui pourrait justifier l’intervention de la Cour selon les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov. Cette question est examinée plus en détail dans la section suivante.

B.  La capacité de la demanderesse à pratiquer le christianisme en toute sécurité en Chine

[43]  La SAR a conclu que Mme Li serait en mesure de pratiquer le christianisme en Chine sans attirer l’attention des autorités chinoises et, par conséquent, sans être persécutée pour ses croyances religieuses.

[44]  Mme Li conteste cette conclusion à deux égards. Dans un premier temps, elle conteste le raisonnement et la recherche des faits qui sous-tendent la conclusion de la SAR. Elle soutient tout d’abord qu’elle a livré un témoignage intrinsèquement cohérent au sujet de la descente à la maison-église et qu’il n’y avait aucune raison pour la SAR de conclure que la descente n’a pas eu lieu. Elle prétend que cette conclusion, fondée uniquement sur son incapacité à fournir des détails concernant l’incident, est déraisonnable et qu’elle est incompatible avec la présomption selon laquelle le témoignage d’un demandeur d’asile est véridique. Même si la preuve sur la situation dans le pays est divergente, la propre expérience de Mme Li atteste que les maisons-églises sont ciblées par le BSP. Mme Li soutient en outre que l’examen de la preuve par la SAR était déraisonnable parce qu’il était sélectif et témoignait d’une [traduction] « volonté arrêtée de la discréditer ». Enfin, elle fait valoir que la SAR a conclu de manière déraisonnable que son refus de fréquenter une église approuvée par l’État en Chine était superficiel, et qu’il était tout à fait raisonnable pour un chrétien dévoué de refuser de le faire. Selon la preuve objective sur la situation dans le pays et sa propre expérience en Chine, la demanderesse soutient que sa liberté religieuse risque d’être entravée si elle retourne en Chine.

[45]  Comme je l’ai déjà mentionné, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, une décision raisonnable est une décision fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

[46]  Il est vrai que la décision de la SAR contient de nombreux commentaires portant sur la crédibilité et la fiabilité du témoignage de la demanderesse (ceux-ci ne sont pas tous énoncés dans les présents motifs). Les motifs de la SAR sont quelque peu répétitifs en ce qui concerne la crédibilité et la fiabilité et le témoignage de la demanderesse sur la descente à la maison-église. Toutefois, cette observation ne mène pas inexorablement à la conclusion que le raisonnement est déraisonnable en ce sens qu’il ne contient pas une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle ou que les faits ne justifient pas la décision. La norme de contrôle n’exige pas la perfection ni l’absence de répétitions ou de conclusions gênantes concernant la crédibilité. La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Il s’agit de savoir si les motifs comportent une lacune fondamentale ou un manque de logique ou s’ils sont indéfendables compte tenu des contraintes factuelles auxquelles le décideur était assujetti. Pour ce motif, l’évaluation de la preuve par la SAR est raisonnable.

[47]  La demanderesse demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente de celle qu’ont tirée la SAR et la SPR à l’égard de la question centrale de sa demande d’asile. Là n’est pas le rôle de la Cour. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation où le décideur aurait omis de tenir compte d’éléments de preuve importants, ce qui aurait donné lieu à un résultat déraisonnable (voir Vavilov, au para 126, et Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au para 61).

[48]  Dans un deuxième temps, la demanderesse soutient que la SAR a omis de procéder à une évaluation du risque prospectif qu’elle soit persécutée en raison de ses croyances religieuses si elle retournait en Chine. Elle affirme que la SAR a plutôt fondé ses conclusions sur la question de savoir si Mme Li a établi qu’elle avait été victime de persécution lorsqu’elle vivait en Chine. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que, s’il était vrai que la SAR avait omis d’effectuer une évaluation prospective, cette omission justifierait l’intervention de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, aux para 101 et 108-114.

[49]  Les motifs de la SAR en l’espèce attestent qu’elle savait dès le début que le critère juridique applicable à la demande d’asile de la demanderesse consistait à savoir si elle serait exposée à un risque d’être personnellement persécutée à l’avenir, c.-à-d. si elle devait retourner en Chine (motifs de la SAR, au para 13). À la rubrique « Retour en Chine », qui commence au paragraphe 32, la SAR a examiné la prétention de Mme Li selon laquelle elle ne peut pas pratiquer librement sa religion en Chine. La SAR a examiné à la fois la preuve sur la situation dans le pays relativement à la pratique du christianisme en Chine et le témoignage de la demanderesse au sujet de ses croyances. En se fondant sur son évaluation du témoignage de Mme Li, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, aucun obstacle ne nuirait à sa capacité de fréquenter une maison-église. En outre, compte tenu de sa conclusion selon laquelle la descente à la maison-église n’a pas eu lieu, la SAR a jugé que Mme Li ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir qu’elle est exposée « au risque d’être persécutée ou de subir [un] préjudice à l’avenir si elle retourne en Chine » (motifs de la SAR, au para 37).

[50]  De plus, la SAR a examiné la fréquentation d’une église par la demanderesse au Canada et sa participation aux activités de l’église. Au paragraphe 38 de ses motifs, la SAR a examiné expressément la question de savoir « si, en conséquence de cette fréquentation, elle est exposée à un risque prospectif ». La SAR a conclu qu’elle ne l’est pas.

[51]  La SAR n’a donc pas omis d’évaluer le risque que Mme Li soit persécutée à l’avenir ni d’effectuer une évaluation prospective de la preuve présentée à l’appui de sa demande d’asile sous le régime de la LIPR.

VI.  Conclusion

[52]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune. Il n’y a aucune raison spéciale d’adjuger les dépens.




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